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L'arbre de Jessé avec la Vierge et ses parents: création et contenu dogmatique d' une icône d' Emmanuel Tzanès à l' Institut hellénique de Venise Irini LEONTAKIANAKOU Περίοδος Δ', Τόμος ΚΘ' (2008)• Σελ. 159-168 ΑΘΗΝΑ 2008

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L'arbre de Jessé avec la Vierge et ses parents: créationet contenu dogmatique d' une icône d' EmmanuelTzanès à l' Institut hellénique de Venise

Irini LEONTAKIANAKOU

Περίοδος Δ', Τόμος ΚΘ' (2008)• Σελ. 159-168ΑΘΗΝΑ 2008

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Irini Leontakìanakou

L'ARBRE DE JESSE AVEC LA VIERGE ET SES PARENTS : CRÉATION ET CONTENU DOGMATIQUE D'UNE ICÔNE

D'EMMANUEL TZANÈS À L'INSTITUT HELLÉNIQUE DE VENISE

J_-4 icône de l'Arbre de Jessé avec la Vierge et ses parents (Fig. 1), peinte par Emmanuel Tzanès en 1644, et actuelle­ment conservée à l'Institut hellénique de Venise, est bien connue dans la bibliographie1. Son intérêt réside dans son originalité car elle révèle les voies de la création picturale à la fin de l'Ecole Cretoise et les modes permettant d'illustrer les aspects essentiels du dogme. En outre, elle met en évidence les caractéristiques les plus créatives de l'art de Tzanès. Cette composition, de grandes dimensions2, exceptionnelle dans son iconographie d'ensemble, associe deux sujets dis­tincts3 : l'Arbre de Jessé réduit à ses éléments essentiels et la Vierge enfant accompagnée de ses parents. L'Arbre prend racine dans le flanc de l'ancêtre qui est un vieillard couché, la tête posée sur la main droite. Au sommet de l'Arbre se tient de face la Vierge fillette, flanquée de ses parents. An­ne, à gauche, et Joachim, à droite, figurés de trois quarts, leurs visages creusés de rides, se penchent vers leur fille en lui donnant la main. La mère de Marie la tient aussi par les épaules dans un geste de tendresse. À l'arrière-plan, de part et d'autre, se dressent deux architectures renaissantes. Sur le balcon de celle de gauche le prophète David en tenue royale, rendu à échelle réduite, tend son bras gauche en avant vers Marie et lui adresse ses propos écrits sur le rou­leau qu'il brandit de l'autre main. De manière analogue, au registre céleste, deux anges, disposés symétriquement, leurs mouvements expressifs soulignés par leurs himatia flottant, apparaissent dans des nuées, et adressent aux parents de la Vierge des amples gestes rhétoriques et des paroles écrites sur des phylactères déployés. En partie dissimulés par les

nuées, des rayons lumineux émanent d'un segment du ciel vers Marie. L'échelle variée des personnages, par ordre décroissant, se présente ainsi : Joachim et Anne de taille monumentale, puis Marie enfant, Jessé, les anges, enfin David qui apparaît tout petit. La facture n'échappe pas à cette hétérogénéité. Les figures de Joachim, d'Anne et de Jessé sont traitées le style le plus austère de la tradition post-byzantine, d'après le modelé des visages, le traitement schématique des draperies et les attitudes figées. En revanche, Marie se distingue par le modelé doux des carnations, le rendu souple des draperies surtout à l'intérieur du maphorion, la splendeur des vête­ments qui tranchent avec sa tenue habituelle. Si Jessé, Joa­chim et Anne se tiennent sur le sol parsemé de fleurs et de plantes variées, Marie se détache exclusivement sur le fond d'or qui occupe la partie médiane et supérieure de la com­position. Ses vêtements luxueux révèlent sa prééminence parmi les autres personnages, habillés de façon traditionnel­le avec chiton, himation et maphorion monochrome pour Anne. Le maphorion de la Vierge est doublé d'un brocart italien orné de motifs floraux raffinées et ses souliers sont brodés d'arabesques dorées. Son visage et ses petites mains charnues, évoquent ceux d'un enfant, contrairement à la pratique léguée de l'art byzantin qui fait des enfants, des adultes à échelle réduite.

En effet, la figure de Marie, nimbée d'une auréole de chéru­bins, témoigne de nombreux emprunts à la peinture occiden­tale. Il est vrai que dans le milieu artistique de l'Ecole Cretoi­se la coexistence de ces deux styles - byzantinisant et occi-

1 Elle a fait l'objet d'une analyse minutieuse (N. B. Drandakis, Ό Εμ­

μανουήλ Τζάνε Μπουνιαλής θεωρούμενος εξ εικόνων του σωζόμε­

νων κυρίως εν Βενετία, Athènes 1962,24-33) et d'une présentation dé­taillée (M. Chatzidakis, Icônes de Saint-Georges des Grecs et de la collec­tion de l'Institut, Venise 1962,130, n° 107, pi. 69). Toutefois plusieurs as­

pects que nous allons examiner (concernant les sources d'inspirations, le contenu dogmatique et les procédés créatifs de Tzanès) n'avaient pas été, jusqu'ici, abordés. 2 184x126,5 cm. 3 Comme l'a déjà signalé Chatzidakis (op.cit.).

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dentalisant - dans la même icône ne saurait surprendre. Néanmoins, dans la production iconographique de Tzanès, lorsqu'il y a une divergence de style, le personnage le plus sa­cré revêt l'aspect « byzantinisant »4, comme le prouve l'en­semble tardif des « Cinq scènes de Venise »5, où le Sauveur est toujours rendu selon la technique « traditionnelle » la plus austère contrairement aux autres personnages6. L'icône examinée fait preuve d'un renversement de cette situation. La diversité stylistique et la divergence de l'échelle mènent à une composition « fragmentée ». Cet effet esthétique est mis en évidence par la figure de Jessé qui masque le bout infé­rieur de l'Arbre, tout en étant elle-même dissimulée dans sa partie inférieure, par le cadre de l'icône. Comme le prou­vent Jessé et son Arbre qui occupent différents plans succes­sifs, il n'y a pas de cohérence spatiale, alors que les quelques rapports entre les personnages sont totalement dépourvus de naturel. Ainsi, les mains de la Vierge et de sa mère ont beau se toucher, ils ne donnent pas pour autant l'impression d'un véritable geste physique -se tenir par la main. À l'opposé de tout procédé narratif, cette hétérogénéité té­moigne d'un traitement conventionnel, propre aux icônes cultuelles caractérisées par une « intemporalité ». Cette ap­proche esthétique est également mise en évidence par l'axia-lité accentuée et la symétrie qui régit l'agencement des fi­gures et des motifs. Deux parents, deux anges, deux bâti­ments sont disposés de part et d'autre de l'axe central sur lequel s'alignent une série d'éléments de première impor­tance : la figure de la Vierge et le tronc de l'Arbre ; et dans la partie supérieure : le faisceau lumineux entre les nuages et le petit chérubin central parmi ceux qui entourent la tête de la Vierge. Les schémas en chiasme contribuent à la mise en valeur de l'axe où les diagonales se croisent. Ainsi, par ses gestes et son phylactère, l'ange de gauche s'adresse à Joa­chim, et l'ange de droite, à Anne, un rapport entre des per­sonnages de mondes différents.

4 Ce procédé est attesté aussi dans d'autres icônes de l'École Cretoise. Ainsi une divergence de style caractérise le Christ et Marie Madeleine dans des icônes du Noli me tangere (A. Kalliga-Geroulanou, « Ή σκηνή

τοΰ Μή μου 'Άπτου όπως εμφανίζεται σέ βυζαντινά μνημεία καί ή

μορφή που παίρνει τόν 16ο αιώνα », ΔΧΑΕ Γ' (1962-1963), 203-227). 5 Par cette appellation nous allons nous référer à l'ensemble des cinq icônes de l'Institut hellénique de Venise qui représentent : la Samaritaine, la Guérison de l'Aveugle-né, la Guérison du Paralytique de Bethésda, l'In­crédulité de Thomas et l'Apparition aux Myrrophores (Drandakis, op.cit., 78-84,87-94,100-106,127-142. Chatzidakis, op.cit., nos 115-119). 6 Ainsi le Paralytique de Bethésda ou la Samaritaine sont inspirés de gravures occidentales, Ν. B. Drandakis, « Συμπληρωματικά εις τόν

La palette, d'un ordre différent du langage formel, vient compenser l'hétérogéinité de l'échelle et du style7. Notre icône est presque exclusivement traitée en une trichromie de vert, rouge et or. Ces couleurs alternent souvent souli­gnant, elles aussi, des schémas en chiasme. Les bâtiments, par exemple, celui de droite en monochromie de rouge, ce­lui de gauche en monochromie de vert, se conjuguent entre eux par un élément architectural qui fait partie de leur toit (comble à lucarne, mansarde) de couleur complémentaire à celle du corps principal. Cette même cadence chromatique régit les vêtements de tous les personnages. À titre indicatif, signalons que le rouge vif du maphorion d'Anne se répète sur la tunique de David, celle de Jessé et l'himation de l'ange de gauche, alors que le vert sombre de la tunique d'Anne trouve un écho dans celle de Joachim et de l'ange de droite, le chiton de Jessé et le manteau de David. La combinaison des trois couleurs détermine le coloris de motifs aussi divers que les fleurs du sol, les ailes des anges, les cercles concen­triques des segments lumineux, le ruban et la couronne de David, ornés de pierreries. Des reflets étendus en vert re­haussent les tuniques pourpres de la Vierge et de l'ange de gauche. Ce procédé pictural dépourvu du moindre souci na­turaliste, fondé exclusivement sur le contraste des couleurs complémentaires, confère à la composition de l'éclat et un aspect décoratif, tout en unifiant l'espace. Nous allons examiner maintenant les éléments particuliers de cette image composite afin d'en saisir la signification. L'allure de Marie, son expression mélancolique, son éléva­tion sur l'Arbre et sa posture (les deux mains écartées, tête inclinée) interdisent d'emblée d'y voir une scène narrative, un épisode de son enfance, tel que les « Caresses », les « Sept premiers pas » ou de la « Conversation de Joachim et Anne »8. L'absence de narration que souligne la disposition hié­ratique des deux parents flanquant leur enfant - debout, de face, sans liens rhétoriques internes - incite le spectateur à

Εμμανουήλ Τζάνε. Δύο άγνωστες εικόνες του », Θησαυρίσματα

11 1974), fig. 8, 50-51 ; Ι. Leontakianakos, L'œuvre peint d'Emmanuel Tzanès fc.a. 1610-1690). Contribution à l'étude de l'École Cretoise, Thèse de doctorat (dactylographiée), Université de Paris I, Panthéon-Sorbon­ne, Paris 2000,1.1,137-139,140-144, et t. IÌ, fig. 94,95. 7 Voir la seule reproduction en couleur dans Chr. Maltezou, Ή Βενετία

των Ελλήνων, Athènes 1999 (sans pagination). 8 Sur les « Caresses » et les « Sept premiers pas » voir J. Lafontaine-Do-sogne, Iconographie de l'enfance de la Vierge dans l'empire byzantin et en Occident, I, Bruxelles 1964,121-128. K. Kalokyris, Ή Θεοτόκος εις την

είκονογραφίαν'Ανατολής καί Δύσεως, Thessalonique 1972,95-98.

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L"ARBRE DE JESSE AVEC LA VIERGE ET SES PARENTS

Fig. 1. L'Arbre de Jessé avec la Vierge et ses parents (184x126,5 cm.). Emmanuel

Tzanès, 1644. Venise, Institut hellénique.

rechercher le sens profond de la composition dans le rôle des trois personnages dans l'Incarnation9. Cela est clairement af­

firmé par les propos que l'ange adresse à Anne : « Bienheu­reuse ta matrice, Anne, où poussa la Mère de la vie »10.

9 Sur la représentation de la Vierge flanquée de ses parents voir D. Mouriki, « Ή Παναγία καί οι προπάτορες. 'Αφηγηματική σκηνή ή

εικονιστική παράσταση »,ΔΧΑΕ Κ (1969), 31-52. 1 0 « ΜΑΚΑΡΙΑ Η ΜΗΤΡΑ COY ΑΝΝΑ ΟΤΙ ΤΗΝ ΜΗΤΕΡΑ THC ZQHC

EBAACTHCAC ». La traduction en français selon Chatzidakis, op.cit. Le terme végétal « βλαστήσασα » qui s'accorde avec la source de Jessé se répand à partir du Xlle siècle dans un contexte généalogique (T. Papa-

mastorakis, « Έ ν α εικαστικό εγκώμιο του Μιχαήλ του Η' του

Παλαιολόγου. Οι εξωτερικές τοιχογραφίες στο καθολικό της

μονής της Μαυριώτισσας στην Καστοριά », ΔΧΑΕ ΙΕ' (1989-1990),

230-232). Dans l'hymnographie de la Vierge, le mot « βλαστήσασα »

s'est également chargé d'un sens analogue (S. Eustratiadès, Ή Θεο­

τόκος εν rfj νμνογραφία Ανατολής καί Δύσεως, Paris 1930,13).

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11 Dans certains cas, nous avons affaire à une véritable déisis où la Vier­ge à l'Enfant, frontale et hiératique, est flanquée de ses parents en priè­re. Ailleurs, Joachim et Anne sont représentés à échelle réduite sur l'encadrement de l'effigie de laPanagia. Dans la peinture monumenta­le, la Mère de Dieu peut occuper la coupole, l'abside ou une niche, alors que ses parents, en pied ou en buste, parfois en médaillons, sont dispo­sés sur les montants de l'arc absidal ou sur les pendentifs (pour des exemples relatifs voir Mouriki, op.cit., 46-49). 12 L'icône, jadis sur le templon de l'église de Saint Nicolas de l'archonte Kyritzis à Kastoria, est conservée au Musée byzantin de la ville. Récem-

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Si les représentations de Marie enfant accompagnée de ses parents sont rares dans l'imagerie traditionnelle, ce même trimorphon avec la Théotokos portant le Christ dans les bras est attesté à plusieurs reprises dans des compositions où il est chargé d'une allusion explicite au dogme de l'Incarna­tion. La Vierge à l'Enfant, accompagnée de ses parents, fi­gure sur des icônes et des fresques dans des contextes diffé­rents, souvent Joachim et Anne n'ayant pas le même statut que leur fille11. Il en résulte que notre image « fragmentée » de ces trois personnages s'inscrit dans une longue tradition iconographique. Le rapprochement avec une icône du XVIe siècle conservée à Kastoria (Fig. 2)12 suggère toutefois des liens beaucoup plus précis que l'appartenance à une vaste tradition iconogra­phique. D'après l'intitulé13, cette icône, de dimensions impor­tantes14 illustre l'épisode des « Caresses de la Vierge ». Des éléments en commun caractérisent les personnages dans les deux œuvres : la monumentante de Joachim et d'Anne15, leur posture de trois quart, leur physionomie, la tête inclinée vers leur fille qui écarte les bras, ainsi que les gestes particuliers du père et de la fille qui se tiennent par la main, et d'Anne qui passe le bras gauche autour du corps de la Vierge et embrasse ses épaules. Dans l'icône de Kastoria, Marie donne la main uniquement à son père, sa mère ayant les mains occupées puisqu'elle la porte sur son sein. Cette image se partage entre l'émotion parentale illustrée surtout par Joseph et la figura­tion hiératique d'Anne. Or le sentiment intime s'exprime éga­lement dans notre composition. Les gestes et les regards at­tendris des deux parents sur la petite Marie suggèrent comme modèle pour ces deux personnages, une représentation des « Caresses » identique à celle de Kastoria. La question du modèle semble plus compliquée pour l'Arbre de Jessé. La figure étendue de Jessé ainsi que

Fig. 2. Les Caresses de la Vierge (121 x52,5 cm.), XVIe siècle. Kasto­

ria, Musée byzantin.

ment Kakavas l'a datée de la seconde moitié du XVIe siècle. Nous le re­mercions de nous avoir accordé une reproduction (Mouriki, op.cit., pi. 275. Kalokyris, op.cit, pi. 121. G. Kakavas, Βυζαντινό Μουσείο Κα­

στοριάς, Athènes 1996,14, pi. à la p. 17). 13 « H Κολακεία της Θεοτόκου ». 1 4 121Χ 52,5 cm. 1 5 L'écart d'échelle entre la Vierge et ses parents est beaucoup plus im­portant dans l'icône de Kastoria que dans la nôtre mais on constate dans les deux cas le principe de la divergence d'échelle.

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L'ARBRE DE JESSE AVEC LA VIERGE ET SES PARENTS

l'Arbre poussant de son flanc constituent les composantes principales de ce thème iconographique qui, à l'origine, illustre le verset d'Isaïe (11.1) selon lequel : « un rejeton sort de la souche de Jessé, un surgeon pousse de ses racines »16. Deux idées fondamentales se sont très vite infiltrées dans les représentations de l'Arbre de Jessé : la généalogie du Christ et les prophéties prédisant la venue du Messie17. L'Arbre de Jessé dans la composition de Tzanès diffère es­sentiellement des deux schémas de base légués par la tradi­tion byzantine18 : le premier, monumental, attesté dans les grands centres monastiques du XVIe siècle au Mont Athos et en Moldavie19 comprend des rois, des prophètes et des scènes narratives entourés de rinceaux ; le second consiste en un arbre à branches rigides, peuplé de figures isolées de rois et de prophètes vétérotestamentaires20. Rarissime est la présence de la Vierge au sommet de l'Arbre, place habituel­lement réservée au Christ21. Les quelques exceptions, où le Sauveur est remplacé par la Vierge à l'Enfant22 témoignent d'une volonté affirmée d'exalter en particulier le personna­ge de la Théotokos.

Mais cette dernière est associée à l'Arbre de Jessé dans une troisième variante du thème qui fait son apparition sur des icônes post-byzantines (Fig. 5)23. Figurée à mi-corps ou trô­nant, la Vierge à l'Enfant domine ces compositions par sa

16 A. Watson, The Early Iconography of the Tree of Jesse, Londres 1934, 47-54. 17 Papamastorakis, op.cit. (n. 10), 228-238. 18 V. Milanovic, « Tree of Jesse in the Byzantine Mural Painting of Thir­teenth and Fourteenth Centuries. Contribution to the Research of the Theme », Zograf 20 (1989), 51. M. Garidis, La peinture murale dans le monde orthodoxe après la chute de Byzance (1450-1600) et dans les pays sous domination étrangère, Athènes 1989, 154-155, n. 721 (avec biblio­graphie antérieure). 19 P. Henry, « L'Arbre de Jessé dans les églises de Bucovine », Biblio­thèque de l'Institut Français des Hautes Études en Roumanie, II, Mélanges 1928, Bucarest 1929. M. Taylor, « An Historiated Tree of Jesse »,DOP 35 (1980-1981), 125-175. 20 Cette formule est suivie par les premières représentations byzantines (Papamastorakis, op.cit. (n. 10). D. Talbot-Rice, The Church ofAgia So­fia at Trebizond, Edinburgh 1968,152-153, fig. 115). 21 En principe, la Vierge est disposée juste au-dessous du Christ. 22 Voir les fresques des églises de la Mavriotissa à Kastoria et de Saint-Sophie à Trébizonde. 23 Les représentations ne remontent pas au-delà du XVIe siècle. D'ailleurs, si cette composition a été conçue par analogie avec celle du Christ Vigne, sa création est post-byzantine. Notons quelques exemples de ce type de l'Arbre de Jessé : volet latéral d'un triptyque au Vatican (A. Munoz, / quadri bizantini della Biblioteca Vaticana provenieti dalla Biblioteca Vaticana, Rome 1928, t. Vili) ; icônes de Victor (1674) à l'Institut hellénique de Venise et de Poulakis (1666) au Musée byzantin

Fig. 3. Illustration du «Explanatio in Isaiam » de St Jerome, Ms 129,

fol. 4v, première moitié du Xlle siècle. Bibliothèque de Dijon.

et chrétien d'Athènes (Chatzidakis, op.cit. (η. 1), n° 129, pi. 71,148-149.

Ο κόσμος τον Βυζαντινού Μουσείου, Athènes 2004, η° 154) ; icône à Rhodes (Kalokyris, op.cit. (n. 8), pi. 263) ; miniature du manuscrit Ga-rett 13 (M. Aspra-Vardavaki, Oi μικρογραφίες τοϋ 'Ακάθιστου στον

κώδικα Garett 13, Athènes 1992, fig. 1). La figure de Jessé y fait défaut, comme dans une icône du Musée Pouchkine à Moscou (M. Borbouda-kis (éd.), Εικόνες της κρητικής τέχνης. 'Από τόν Χάνδακα ως τη

Μόσχα και την Αγία Πετρούπολη, Catalogue d'exposition, Hérak-lion 1993, η° 90,443-444).

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position centrale et sa grande échelle24. Elle est disposée à l'extrémité supérieure du tronc, d'où poussent des branches agrémentées de figures de prophètes25, rarement de simples ancêtres26. Nous constatons alors un déplacement de la si­gnification de l'Arbre : l'effacement de l'aspect généalo­gique au profit des préfigurations de la Vierge27. Il semble que cette formule particulière soit créée par analogie à celle du « Christ Vigne »28, les prophètes se substituant aux apôtres29. L'association visuelle de la Théotokos, figurée en uirga de l'Arbre de Jessé, au Christ Vigne se manifeste par des couples d'icônes, situées côte à côte sur des tempia et constitue une allusion à l'histoire entière de la Rédemption (Fig. 4 et 5). En effet, les deux images perçues ensemble dé­finissent un mouvement centripète puis centrifuge, dans le­quel on peut voir les prophètes liés à la Vierge, véhicule de l'Incarnation, ainsi que le Pantocrator, Logos incarné, dont le message salutaire est diffusé par les disciples. Il est fort probable que notre peintre connaît cette formule de l'Arbre de Jessé culminant sur la Vierge car elle appartient à un ré­pertoire iconographique avec lequel il est familier30. Toutefois, l'Arbre de Jessé selon Tzanès constitue un unicum au sein de l'imagerie byzantine et post-byzantine dans la me­sure où il n'abrite aucun personnage. Sur ce point notre com­position ressemble curieusement à une autre image31, tout

Fig. 4. Le Christ Vigne (108x70 cm.). Théodore Poulakis, 1666.

Athènes, Musée byzantin et chrétien.

24 On peut même considérer cette formule en tant que type iconogra­phique de la Vierge dans lequel s'est infiltré le thème des préfigurations très en vogue à l'époque. 25 Les prophètes (ou rois) peuvent figurer en pied, assis sur des branches raides (icône de Victor et celle de Rhodes), ou bien à mi-corps, encadrés par des rinceaux souvent de vigne. 26 L'icône de Victor est la seule, parmi celles que nous avons prises en considération, à conserver la signification traditionnelle de la généalo­gie. David, en tenue royale, couronne la composition, figuré en buste au-dessus la Vierge, alors que les autres personnages sont des vrais an­cêtres, et pas des prophètes. David apparaît également dans les autres représentations mais sans statut particulier (cf. supra n. 23). 27 C'est un des grands thèmes en vogue dans l'imagerie post-byzantine. À l'exception de l'icône de Victor, les personnages qui escortent la Mère de Dieu sont des prophètes de première importance dans l'économie du salut, leurs textes se référant à l'Incarnation. Dans le triptyque du Vatican et l'icône du Musée Pouchkine, ils portent les symboles de leurs visions préfigurant la Théotokos (cf. supra n. 23). 28 « Χριστός Ή 'Άμπελος ». Cette transposition iconographique de la

métaphore de la Vigne (Jean 5:1-2) apparaît dans l'imagerie post-by­zantine (Εικόνες της κρητικής τέχνης, op.cit, n o s 119,124,151. Chatzi-

dakis, op.cit. (n. 1), n° 128, pi. 71, 148. M. Acheimastou-Potamianou,

Εικόνες τον Βυζαντινού Μουσείου Αθηνών, Athènes 1998, η° 50.

Ο κόσμος του Βυζαντινού Μουσείου, η° 154). 2 9 Excepté la figure étendue de Jessé, les dispositifs sont identiques. De ce rapprochement témoignent les images elles-mêmes qui vont de pair (Chatzidakis, op.cit. (n. 1), nos 128, 129, pi. 71. Ο κόσμος του Βυζα­

ντινού Μουσείου, n o s 153, 154). Voir aussi le triptyque du Vatican où le Christ Vigne figure sur le volet droit, Munoz, op.cit. (n. 23). Il semble que la substitution des prophètes aux apôtres constitue un procédé créatif de l'imagerie post-byzantine, comme en témoignent des effigies de la Vierge accompagnée de prophètes qui sont calquées sur celles du Sauveur avec les évangélistes. 30 Parmi ces icônes, celles de Victor et de Poulakis appartiennent à l'école Cretoise (cf. supra n. 23). D'ailleurs, le type du Christ Vigne, qui fait pendant à la Vierge associée à Arbre de Jessé, est très répandu dans le répertoire crétois. 31 C'est également l'opinion de Drandakis. Il propose comme modèle de notre composition une miniature plus tardive, de la fin du XVe siècle, mais d'une iconographie similaire à celle présentée ici (Dranda­kis, Ό 'Εμμανουήλ Τζάνε Μπουνιαλής (η. 1), 26).

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L'ARBRE DE JESSE AVEC LA VIERGE ET SES PARENTS

aussi exceptionnelle dans son iconographie, mais éloignée dans le temps et l'espace, une des premières tentatives pour illustrer le verset 11,1 d'Isaïe, avant la cristallisation icono­graphique du thème. Il s'agit de la miniature du fol. 4v du ma­nuscrit 129, S. Hieronymi Explanatio in Isaiam de la Biblio­thèque de Dijon (Fig. 3), qui remonte à la première moitié du Xlle siècle32. La tige (uirga), la Vierge et Jessé - qui dans la miniature en question figure déjà allongé - constituent les composantes de toute une série de représentations précai­res33, divergeant les unes des autres sur le plan formel. Si l'on fait abstraction de la facture stylistique et de la figuration dif­férente de Marie - là, adulte avec le Christ dans les bras, et chez Tzanès, enfant - la structure des deux œuvres est la mê­me. Bien qu'un rapprochement précis soit difficile à établir, l'hypothèse que notre peintre aurait sous les yeux une image semblable, une gravure-reprise d'une telle effigie, ou une mi­niature provenant d'un manuscrit ancien n'est pas à exclure. On peut également supposer que la transposition plastique du verset 11,1 d'Isaïe ait été effectuée directement par notre peintre qui se serait servi du schéma répandu dans tout le monde chrétien : l'Arbre prenant racine dans le corps incli­né de l'ancêtre.

Les deux concepts fondamentaux infiltrés dans le sujet au cours de son évolution, à savoir la descendance davidique et le dogme de l'Incarnation sont traités, voir exaltés, par Tza­nès. Ils convergent sur la Vierge qui est ainsi pleinement glo­rifiée, et s'affirment comme le véritable thème de l'icône. L'omission des personnages vétérotestamentaires, intermé­diaires entre l'ancêtre couché et la Vierge, n'est pas un obs­tacle à la perception de leurs liens de parenté, assurés par le motif de la vigne. D'autre part, la noble descendance est évoquée par la couleur dorée de cet Arbre, ce qui constitue également un unicum iconographique. D'ailleurs, David en personne, d'allure royale, fait irruption dans la composition pour affirmer sa lignée. Mais, David figure également en tant que prophète de la venue du Sauveur34. Les propos sur son rouleau « la montagne que Dieu a désiré pour séjour »35

(Ps. 68 [67], 17) font allusion à la Mère de Dieu en tant que récipient de l'Incarnation, la montagne - symbole habituel des prophètes Habaquq ou Daniel - étant un des éléments

32 Watson, op. cit. (n. 16), 89-90, pi. V. 33 Ibid., 89-96. 34 Plusieurs psaumes de David ont été interprétées comme préfigurant la Vierge d'où son rôle primordial dans l'économie du salut. Jusqu'à l'époque post-byzantine David est presque toujours représenté dans des scènes de préfiguration de la Vierge.

Fig. 5. La Vierge Arbre de Jessé (107x70 cm.). Théodore Poulakis,

1666. Athènes, Musée byzantin et chrétien.

les plus communs préfigurant la Théotokos aussi bien dans l'imagerie que dans l'hymnographie36. L'Incarnation s'est effectuée grâce à Marie, d'où son rôle primordial dans l'Économie du salut qui mène à sa glorifica­tion. Ceci explique le statut tout à fait particulier qu'elle ac­quiert dans notre image. Surgissant du feuillage de l'Arbre d'or, elle ne touche pas du tout au sol et sa figure entière se détache sur le fond d'or. Son ventre - souligné par des lu-

35 « TO OPOC O EYAOKHCEN Ο 0 E O C KATOIKEIN EN ΑΥΤΩ » (Ps. 67

[68],16). 3 6 D. Mouriki, « Αι βιβλικού προεικονίσεις της Παναγίας εις τόν

τροΰλον της Περιβλέπτου τοΰ Μυστρα »,ADelt 25 (1970), Meletai,

227-228,238.

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TRINI LEONTAKIANAKOU

mières d'or et de vert qui rehaussent sa robe pourpre - se trouve au niveau du centre géométrique de la composition ; on peut voir ici une interprétation iconographique de l'idée de l'Incarnation, à savoir du fait que la Vierge va porter dans son sein le Sauveur du monde. Outre son rôle décoratif, le paysage parsemé de plantes rouges, vertes et dorées pour­rait également constituer une image allusive de la fertilité de Marie, topos iconographique de l'Annonciation37. L'univers participe à la gloire de la Mère de Dieu. Le ciel s'ouvre juste au-dessus de sa tête pour faire passer la lumiè­re céleste. Lorsque David lui propose son message allégo­rique, les anges louent Joachim et Anne de l'avoir enfantée. D'un contenu analogue à celui qui s'adresse à Anne, le phy­lactère de l'ange de gauche est destiné à son époux : « Bien­heureux toi Joachim qui es devenu père d'une telle en­fant »38. Etant donné que tout aspect narratif est exclu, les parents de la Vierge sont là pour témoigner de son ascen­dance davidique et de l'Incarnation. Par ailleurs, l'expres­sion pensive, voire mélancolique, sur son visage enfantin préfigure la souffrance de la Passion. En effet, nous avons affaire à l'une des œuvres d'Emmanuel Tzanès les plus riches en allusions dogmatiques visualisées par une icono­graphie abondante et complexe qui suppose des spectateurs avertis.

Faute de modèle direct qu'il aurait pu éventuellement re­manier, notre peintre est considéré comme le créateur de cette image, dont les éléments particuliers indiquent diffé­rentes sources d'inspiration. Les architectures renaissantes, les anges aux gestes vifs qui apparaissent des nuées, ainsi que la petite figure du prophète qui adresse de son balcon

37 Outre le jardin clos, symbole de la virginité de Marie, l'abondance de la flore, à savoir la renaissance de la nature, constitue une image allégo­rique de la fertilité de Marie et de l'Annonciation (fête du printemps) qui puise ses sources dans les homélies et l'hymnographie (H. Maguire, Art and Eloquence in Byzantium, Princenton 1981, 42-52. R. Cormack, « Reading Icons », Valor, Konstvetenskapliga Studier 4 (1991), 19-23). 38 « MAKAPIOC ΕΙ ΙΩΑΚΕΙΜ TOIAYTHC ΠΑΙΔΟΟ XPHMATICAC ΠΑ­

ΤΗΡ ». La traduction selon Chatzidakis (n. 1), 130. 3 9 Pour des exemples de la Dormition avec des architectures renaissantes

aux balcons peuplés de gens voir deux icônes attribuées à Georges Klontzas, ainsi qu'une autre icône (1436), aujourd'hui à l'École des Beaux Arts à Athènes (M. Acheimastou-Potamianou, « H Κοίμηση

της Θεοτόκου σε δύο κρητικές εικόνες της Κω »,ΔΧΑΕ \Υ (1985),

125-142, fig. 1, 5, 6, 10. Ν. Pansélinou, « Κρητική εικόνα του 1636,

έργο του ρεθύμνιου ζωγράφου Γεωργιλά Μαρούλη », Ευφρόσυ-

νον. Mélanges en honneur de Manolis Chatzidakis, t. 2, Athènes 1991, 469-482, pi. ΚΘ'). David est souvent associé à l'Annonciation. Voir les portes royales du XVe siècle, aujourd'hui au Musée byzantin et chré-

ses propos à la Vierge, constituent des motifs habituels de l'École Cretoise, attestés dans des icônes de l'Annonciation ou de la Dormition de la Vierge39, et même dans les deux Annonciations peintes par Tzanès40. Le modèle des parents de la Vierge serait une représentation identique ou très proche de celle de l'icône de Kastoria. En revanche, Marie, dont le rendu évoque des emprunts occidentaux, n'a pas d'antécédents iconographiques dans l'imagerie tradition­nelle. Quant à l'Arbre d'où surgit la Théotokos, l'artiste pro­cède soit par abstraction à partir d'un schéma plus complexe (les icônes post-byzantines), soit par interprétation person­nelle du passage d'Isaïe en utilisant la formule consacrée de Jessé associé à son Arbre, soit il reprend une des rares com­positions anciennes. La substitution de la Vierge au Christ au sommet de l'Arbre renvoie, en particulier, à des modèles de l'École Cretoise, son héritage artistique le plus immédiat. Son objectif n'étant pas de situer la représentation dans le temps et l'espace, l'artiste n'a pas cherché à atténuer la hété­rogénéité qui existe parmi les différents éléments. L'en­semble est uniformisé seulement par des moyens picturaux, tels que l'application recherchée du coloris, largement adoptée ensuite dans les « Cinq scènes de Venise »41. Vu sa datation précoce au sein de la production artistique du peintre, notre icône constitue le premier exemple où il éta­blit ces liens chromatiques et fait preuve d'une telle origina­lité : Cette même palette (fondée sur l'alternance du vert, du rouge et de l'or) est également attestée dans deux autre icônes monumentales de la production précoce de Tzanès, à savoir le Christ Pantocrator (1648) au Palais Métropolitain à Corfou42, ainsi que saint Jean Prodrome avec scènes de sa

tien d'Athènes, où il figure à mis corps au registre supérieur de l'An­nonciation (Acheimastou-Potamianou, Εικόνες (n. 28), n° 39). 4 0 La première, datée de 1640, se trouvait jadis au Kaiser Friedrich Mu­seum à Berlin. La seconde est une reprise de celle-ci, conservée au Pa­lais Métropolitain à Ioannina (O. Wulff et M. Alpatoff, Denkmäler der Ikonenmalerei in kunstgeschichtlicher Folge, Hellerau bei Dresden 1925, pl. 100. Βυζαντινή και μεταβυζαντινή τέχνη, Catalogue d'exposition,

Athènes 1986, n° 169). Au lieu de David, c'est Salomon qui figure à échelle réduite sur le balcon d'une architecture renaissante. 41 Dans les « Cinq scènes de Venise » on retrouve ce même procédé : des liens chromatiques entre les différents plans successifs des composi­tions (Leontakianakos, L'œuvre peint d'Emmanuel Tzanès (n. 6), t. 1, 172-173. Ead., « Παρατηρήσεις σε ένα ζωγραφικό σύνολο του Εμ­

μανουήλ Τζάνε », Πεπραγμένα Θ'Διεθνούς Κρητολογικού Συνε­

δρίου, t. Β2 (2004), 285-286). 4 2 Βυζαντινή και μεταβυζαντινή τέχνη στην Κέρκυρα. Μνημεία,

εικόνες, κειμήλια, πολιτισμός, Corfou 1994,133.

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L'ARBRE DE JESSE AVEC LA VIERGE ET SES PARENTS

vie (1646), conservé à l'église de Saint Jean Prodrome à Kra-nidi (Argolide)43. La destination initiale de l'icône examinée reste obscure. Compte tenu de ses dimensions monumentales, l'hypothèse d'une fonction privée doit être exclue. En réalité, notre peintre, dont la grande majorité des œuvres connues sont destinées à l'iconostase et suivent de près les schémas conventionnels44, a rarement fait preuve d'une élaboration aussi savante des questions dogmatiques. La complexité de notre icône pourrait alors s'expliquer par les choix d'un commanditaire, sans doute cultivé45 qui auraient amené l'art de Tzanès à son plus haut niveau d'expression, comme c'est le cas des deux ensembles signés de sa main qui se dis­tinguent parmi ses œuvres les plus originales46. Ce même commanditaire aurait pu inciter notre peintre à abandonner à propos de la Vierge, le modèle qu'il a utilisé pour ses parents, ainsi qu'une longue tradition qui attribue aux enfants l'aspect d'adultes à échelle réduite, pour repro­duire une image « occidentalisante » de la Madone. Le type iconographique de la Madre della Consolazione et son évolu­tion dans l'imagerie de l'École Cretoise sont très éclairants

sur ce point. A l'origine objet de dévotion des catholiques47, cette image acquiert par la suite, sa place parmi les autres ef­figies « traditionnelles » de la Théotokos dans la conscience religieuse des orthodoxes48. Dans un environnement de di­versité religieuse tel que la Crète vénitienne49, il n'est pas ex­clu que les caractéristiques occidentales de Marie dans la composition de Tzanès passeraient inaperçues même aux yeux d'un orthodoxe, d'autant plus qu'elles évoquent l'exemple vénérable de la Madre della Consolazione. L'analyse de cette œuvre particulière a mis en évidence l'éclectisme qui, sous certaines conditions, peut engendrer de nouvelles images. Hormis la participation éventuelle du commanditaire, les traits fondamentaux de la peinture de Tzanès apparaissent dans toute leur ampleur : la divergence des sources d'inspiration, la prolixité iconographique, la sy­métrie et les autres modes picturaux qui évoquent la tradi­tion des icônes cultuelles, ainsi qu'une application recher­chée du coloris. Ces caractéristiques inhérentes de l'art de Tzanès régissent ses procédés créatifs à une époque où l'imagerie de l'École Cretoise ne cesse de se renouveler.

43 La signature de Tzanès a été récemment découverte sur cette icône qui reste encore inédite. 44 II s'agit, pour la plupart, des icônes de la Vierge ou des couples d'icônes de la Vierge et du Christ. Voir aussi des icônes de Dodeka-orton, très « traditionnelles » dans leur élaboration iconographique (P. L. Vokotopoulos, Εικόνες της Κερκύρας, Athènes 1990, fig. 334-336). 45 Parmi la clientèle de notre peintre se distinguent des personnages du plus haut niveau social - des gouverneurs, des hauts dignitaires, des reli­gieux supérieurs - dans tous les lieux où il demeure, à savoir en Crète, à Corfou et à Venise. Sur les commanditaires et la destination des icônes de Tzanès voir Leontakianakos, L'œuvre peint d'Emmanuel Tzanès (n. 6), 1.1,336-366. 46 Voir le décor peint de l'église des Saints Jason et Sosipatros à Corfou (saints hiérarques sur les portes de la clôture du sanctuaire), une com­mande effectuée par Kalliopios Kalliergis, certainement cultivé, car il rédigea avec notre peintre une acolouthie. Voir aussi les « Cinq scènes de Venise », léguées à la Confrérie hellénique par Maria Kagianis, veu­ve d'Andreas Chalkiopoulos, qui fut Président (Guardian) de la Con­frérie à trois reprises (N. Tselenti-Papadopoulou, Οι εικόνες της

Ελληνικής Αδελφότητας της Βενετίας από το 16ο έως το πρώτο

μισό τον 20ού αιώνα, Athènes 2002,94). 47 Sur la Madre della Consolazionne cf. Chr. Baltoyanni, Εικόνες. Μή-

τηρ Θεού βρεφοκρατούσα στην Ενσάρκωση και το Πάθος, Athènes 1994,273 (avec bibliographie antérieure). 48 Ainsi la « Lampovitissa » de Tzanès (icône du Musée byzantin et chrétien d'Athènes), dont la physionomie suit les caractéristiques de la Madre della Consolazione, serait commandée par une religieuse ortho­doxe, l'abbesse du monastère de la Lampovitissa à Corfou (Acheima-stou-Potamianou, Εικόνες (n. 28), n° 76). 4 9 A cette époque, il n'avait pas encore quitté la Crète quoique rien ne l'empêche de recevoir des commandes de l'extérieur, comme il le fit ul­térieurement (Leontakianakos, L'œuvre peint d'Emmanuel Tzanès (n. 6), 1.1,352-354).

Provenance des illustrations

Fig. 1: C. Maltezou, H Βενετία των Ελλήνων, Athènes 1999. Fig. 2:

Cliché G. Kakavas. Fig. 3: A. Watson, The Early Iconography of the Tree

of Jesse, Londres 1934, pi. V. Fig. 4-5: Ο κόσμος τον Βνζαντινού

Μονσείον, Athènes 2004, nos 153 et 154.

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Ειρήνη Λεοντακιανάκου

Η ΡΙΖΑ ΤΟΥ ΙΕΣΣΑΙ ΜΕ ΤΗΝ ΠΑΝΑΓΙΑ ΚΑΙ ΤΟΥΣ ΓΟΝΕΙΣ ΤΗΣ.

ΔΗΜΙΟΥΡΓΙΑ ΚΑΙ ΔΟΓΜΑΤΙΚΟ ΠΕΡΙΕΧΟΜΕΝΟ ΜΙΑΣ ΕΙΚΟΝΑΣ

ΤΟΥ ΕΜΜΑΝΟΥΗΑ ΤΖΑΝΕ ΣΤΟ ΕΑΛΗΝΙΚΟ ΙΝΣΤΙΤΟΥΤΟ

ΤΗΣ ΒΕΝΕΤΙΑΣ

^Jio άρθρο αναλύεται η σύνθεση και το θεολογικό πε­

ριεχόμενο της μεγάλης εικόνας του Ελληνικού Ινστι­

τούτου της Βενετίας, που αναπαριστά τη Ρίζα του Ιεσ-

σαί με την Παναγία και τους γονείς της, φέρει την υπο­

γραφή του Εμμανουήλ Τζάνε και τη χρονολογία 1644

(Εικ. 1).

Στην εικόνα ο ζωγράφος συνενώνει δύο εικονογραφι­

κά θέματα: τη «Ρίζα του Ιεσσαί» (στην πιο συνοπτική

μορφή της) και την «Κολακεία της Παναγίας» (σύμφω­

να με εικονογραφικό σχήμα μεταβυζαντινής εικόνας

της Καστοριάς, Εικ. 2), σε μία σύνθεση με φανερές τις

επιδράσεις από τη δυτική τέχνη.

Στο άρθρο προηγείται η στυλιστική προσέγγιση και η

ανάλυση του συνθετικού σχήματος, στη συνέχεια ανι­

χνεύονται τα πρότυπα και ο τρόπος συγκερασμού τους

στο πλαίσιο του εκλεκτικισμού του Τζάνε και, τέλος,

αναδεικνύεται το θεολογικό περιεχόμενο της παράστα­

σης. Ο ρόλος της Παναγίας στην Ενσάρκωση εξαίρεται

μέσω της εικονογραφίας, της οργάνωσης της σύνθεσης,

καθώς και της ιδιότυπης χρήσης των χρωμάτων.

Μέσα από την ανάλυση της δημιουργικής διαδικασίας

του Τζάνε, καθίστανται φανεροί οι μηχανισμοί ανανέ­

ωσης του θεματολογίου της κρητικής σχολής κατά την

όψιμη φάση της.

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