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(icin°80)

« H οδός Λαρισας-Γυρτώνης-Τεμπών », Thessaliko Himerologio 24,1993, p. 3-17

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LA ROUTE DE LARISA A GYRTON ET A TEMPE

À LA RECHERCHE DU TOMBEAU DHIPPOCRATE

Bruno HELLY

Dans un ouvrage en cours de rédaction, consacré aux cités antiques de la plaine de Larisa

et du bassin de Tyrnavos, je propose pour Elateia et Gyrton à partir du modèle théorique des

sites centraux et des territoires de nouvelles localisations: l'une et l'autre de ces deux cités se

trouvaient, selon moi, la première à l'établissement antique situé près du village d'Evangélismos

(anc. Hadzombasi) au lieu-dit Mourlari, la seconde à Bounarbasi. La confrontation entre ces

propositions de localisation avec les principaux témoignages géographiques antiques qui s'y

rapportent, les renseignements tirés de Tite-Live et de Strabon, avant tout, donne des résultats

positifs. Mais ce n'est pas suffisant. Ces localisations doivent encore faire l'objet d'un examen

complémentaire, destiné à vérifier, de manière définitive, je l'espère, qu'elles sont en accord, ou du

moins qu'elles ne sont pas en contradiction avec les autres informations dont nous disposons

sur les cités antiques en cause. Cet examen est requis, sinon pour la localisation d'Elateia, pour

laquelle nous ne disposons pas d'autres sources que celle que j'ai déjà utilisées, mais du moins et

nécessairement pour Gyrton. L'hypothèse que je propose, situer Gyrton au site de Bounarbasi,

suppose en effet qu'on peut résoudre ou en tout cas écarter comme non pertinents deux

problèmes relativement délicats: celui de la tradition relative au tombeau d'Hippocrate, et celui de

l'indication de la distance qui, selon Strabon, sépare Gyrton de Crannon. Réservant le problème

des indications de distances enregistrées par Strabon pour une autre publication, je traiterai ici

exclusivement de la localisation de la tombe du Père de la Médecine.

Une tradition antique fait connaître qu'Hippocrate, mort à Larisa, avait été enterré à la

sortie de la ville, sur la route de Gyrton. Le principal témoignage sur le tombeau d'Hippocrate est

fourni par Soranos d'Ephèse, qui, dans sa Vie des Médecins, nous dit: τεθάπται δε μεταξύ

Γύρτωνος και Λαρίσης και δεικνΰται άχρι δεΰρο το μνήμα, "il a son tombeau entre Gyrton

et Larisa, et on peut voir ce monument encore aujourd'hui". L'information est reprise par la

Souda et par Tzétzès.

Les modernes se sont naturellement mis en quête pour retrouver ce tombeau. Au début du

19° siècle, l'érudit grec Anthimos Gazis (1758-1828) écrit dans sa Bibliothèque hellénique, tome

1 (Venise, 1807): "le tombeau d'Hippocrate se trouve hors de Larisa, au milieu des tombes

turques, au-dessus de la route, avec une inscription que j'ai vue moi même, mais que, après l'avoir

lue, je n'ai pas pu transcrire empêché que j'étais par la crainte que j'avais des enfants turcs qui

m'entouraient et qui m'ont conduit à me retirer avec regret et désolation. Au même endroit il

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existe de nombreux autres monuments inscrits et aucun des érudits de Larisa n'a jusqu'à présent

jugé digne de les transcrire1". Le héros thessalien de l'indépendance grecque, Rhigas Phéraios

rapporte lui aussi avoir vu le tombeau d'Hippocrate parmi des tombes ottomanes, au lieu dit

Péran Machalas. Adam Korais (1748-1833), l'un des plus illustes maîtres ès-lettres d'avant la

révolution grecque, lui fait écho dans une publication intitulée Medicus Hippocraticus sive de

praecipuis officiis medici ex primo Hippocratis Aphorismo deductis. La valeur de ces

informations, malgré tout le respect que l'on doit à ces grandes figures de l'hellénisme renaissant

de la fin du 18° siècle, reste faible; on n'en peut tirer qu'une chose, c'est que, dans les dernières

années du 18° siècle et les premières décennies du siècle suivant, des érudits cherchaient à

retrouver le tombeau du père de la médecine.

Pour les archéologues du 19° siècle, la question de la localisation de la tombe

d'Hippocrate est restée purement théorique: ils avaient sans doute conscience que cette

information transmise depuis l'antiquité ne pouvait avoir de sens que si l'on avait les moyens de

localiser à coup sûr l'emplacement de Gyrton, et c'est sur ce problème plus essentiel de

géographie historique qu'ils ont concentré leurs efforts. Ainsi s'explique le caractère

exclusivement documentaire des notations consacrées au tombeau d'Hippocrate dans les

différents articles érudits de la Real Encyclopédie, par Pauli, Stahlin et d'autres.

Ce sont en fait les médecins qui ont gardé ce sujet en tête, pour des raisons que l'on

comprend. Et ce sont des médecins grecs, de Larisa évidemment, qui s'y sont consacrés le plus

assidûment. Partant des informations de Gazis et Rhigas, ils se sont faits eux-mêmes

archéologues, ils ont tiré des conclusions, ils ont pensé qu'ils avaient résolu la question et ils ont,

en toute sincérité, engagé la réalisation d'un monument moderne à la mémoire d'Hippocrate à la

place même où devait se trouver, selon eux, la tombe vénérable du Père de leur Art. Il vaut la

peine de conter l'histoire de cette recherche archéologique, symbolique et vaine à la fois, pour

des raisons que j'indiquerai tout à l'heure.

En mai 1857, un médecin de Larisa, S. Samartzidis, envoie une lettre à un médecin

d'Athènes, le Professeur A. Gouda, qui était l'éditeur d'un journal médical,'Ιατρική Μέλισσα,

"L'Abeille médicale", pour publication2. Cette lettre est parue dans le tome 4 de la revue, p. 534,

et elle rapportait les faits suivants:

"En 1826, après une inondation, des paysans découvrirent, à dix minutes environ de

l'actuelle cité de Larisa à l'Est de la route qui conduit de Larisa à Tyrnavo, dans le voisinage des

petits villages de Giannouli et Kioski, un larnax ou sarcophage. L'ayant appris, les érudits

1. Cité par le professeur Kourias dans la conférence dont je reprends ci-dessous l'essentiel, cf n. suiv.; pour uneallusion à ce texte de Gazis de la part de Ioannis Oikonomou Larissaiou, cf. plus loin note 12.

2. Je n'ai pas pu accéder à un exemplaire de cette revue; je rapporte les faits tels qu'ils ont été exposés, beaucoupplus tard, dans une plaquette du Docteur Basileios G. Kourias, "Thessalien et professeur de chirurgie àl'Université d'Athènes". Cette plaquette donne le texte d'une conférence faite par le Docteur Kourias à la SociétéArchéologique d'Athènes le 5 avril 1947, et publiée par la Société Historique et Laographique des Thessaliensd'Athènes, dans les Thessalika Chronika, tome 4, fascicule 3 (juillet 1951). Après une première partie consacréeà la mémoire d'Hippocrate, le Docteur Kourias apporte les informations archéologiques sur lesquelles il a fondésa conviction qu'on avait effectivement retrouvé, en 1826, le tombeau d'Hippocrate.

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Thomas Andréadis et Ioannis Oikonomidis se hâtèrent d'aller l'examiner. Après quelques

travaux de dégagement, il trouvèrent le larnax et découvrirent sur le dessus une plaque qui portait

les caractères gravés et bien lisibles suivants: ΙΠΠΟΚΡΑΤ et quelques autres. Les deux hommes

n'osèrent pas poursuivre plus avant leurs recherches, à cause de la situation du moment et de leur

statut de chrétiens, et ils s'empressèrent d'apporter l'information à un Turc, propriétaire du lieu et

protecteur des chrétiens, Nezib Bey. Celui-ci fut persuadé de l'intérêt de la découverte, autant

qu'il était possible, en ce temps-là, à un Ottoman inculte d'être persuadé de l'intérêt de pierres et

de tombes de gens morts des siècles auparavant, et il envoya sur place des serviteurs avec ordre

de transporter dans sa maison la plaque portant l'inscription et les objets qu'on pourrait

éventuellement trouver dans le sarcophage.

Le compte-rendu de cette fouille, selon Samartzidis, a été fait par un témoin oculaire,

Thomas Andréadis de Larisa, selon lequel, une fois enlevée la plaque de couverture, on a trouvé

dans le sarcophage diverses monnaies antiques et un petit bracelet (alysos) d'or en forme de

serpent:

"Ces objets furent immédiatement dérobés par les serviteurs du Bey, tandis que la plaque

était transportée dans sa maison. Mais comme le Bey mourut peu de temps après, on ignore

complètement le sort de la plaque et le détail de l'inscription.

"Quand je me trouvai à Larisa, en 1857, continue le docteur Samartzidis, j'appris de

Thomas Andréadis la découverte du tombeau d'Hippocrate, je retrouvais la très luxueuse

demeure de Nezib Bey pour rechercher la précieuse plaque. Après de plusieurs vaines tentatives,

je la trouvais enfin par bonheur intacte et placée dans le bon sens, dans les bains de la maison.

J'ai lu avec soin l'inscription qui s'y trouvait, et que je transcris simplement en lettre ordinaires,

parce que je ne peux me rappeler les signes gravés, ni les reproduire, en concluant pourtant de

leur dessin qu'ils étaient très anciens et qu'ils remplissaient, comme vous le verrez, cinq lignes.

"Les lettres bien reconnaissables de ces lignes donnait ce que je transcris ci-dessous:

....ΙΠΠΟΚΡΑΤ.... ΚΩ.... ΑΓΛΑΟΦ........ΣΩΜΑ....

ΠΟΛΕΙ.... ΜΕ.... ΤΕΛΕΣΦ....ΑΓΑΘΗ.... ΑΡΕ.... ΕΝΕΚΑ....

ΧΡΗΣΤΕ.... ΧΑΙΡΕ

Une fois faite cette transcription, continue Samartzidis, je m'intéressai à retrouver le

sarcophage à l'emplacement qu'on avait indiqué. Je le trouvai par bonheur intact, à peine

recouvert d'un peu de terre."

Cette lettre de Samartzidis fut d'abord signalée dans La Gazette hebdomadaire de

médecine et de chirurgie de Paris, en date du 1er mai 1857, p. 312 par le savant docteur et

helléniste distingué qu'était René Briau3, dans la rubrique "Feuilleton", puis traduite et publiée

3. L'information est donnée comme une correspondance d'Athènes, avant la publication dans la Iatrikè Melissa\malgré mes recherches, je n'ai pu déterminer complètement qui était le Docteur René Briau, collaborateur de laGazette, et apparement fort versé dans l'histoire de la médecine: il a publié en 1855 une édition de Paul d'Egine,

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pour La Gazette hebdomadaire, n° 39, du 25.9.1857, par le même Docteur Briau, non sans

remarques critiques et interrogations, qui choquèrent beaucoup ses collègues grecs et le

Professeur Kourias lui-même, puisque, près de cent ans plus tard, il éprouva lui aussi le besoin

de les réfuter. Briau émettait des doutes sur la découverte du tombeau, et même sur la réalité de

l'existence d'Hippocrate. Il contestait en tout cas le témoignage de Soranos, dans sa Vie des

médecins, témoignage qui, selon lui, ne fait que refléter une tradition locale thessalienne, encore

vivace à l'époque moderne, et pour cause. Briau faisait également remarquer, non sans bon sens,

que le nom Hippocratès est banal et très courant, et que la plaque qui a été retrouvée peut se

rapporter à n'importe quel personnage portant ce nom, tout autant qu'au Grand Hippocrate. Il

émettait enfin des doutes sur la datation même de l'inscription, en considérant que les dernières

formules qui y étaient employées ne pouvaient guère remonter à une époque plus ancienne que

celle d'Alexandre le Grand. Ecoutons-le: "Comment se fait-il qu'Andréadis, témoin de

l'enlèvement du sarcophage, n'ait pas cherché, immédiatement et sur place, à examiner les

monnaies qu'on y avait trouvées, ou ne soit pas informé sur leur sort, afin d'en prendre

immédiatement des empreintes, et qu'il ne les publie pour l'information du monde cultivé... La

conduite du sieur Andréadis est véritablement insolite et contient de sérieuses ambiguïtés sur

son historicité".

A ces critiques sévères de Briau, le directeur du périodique'Ιατρική Μέλισσα, le

Professeur Goudas, a tenté de répondre dans son journal en prenant la défense des deux érudits,

Andréadis et Oikonomou, qui, dit-il, étaient des lettrés au sens précis du mot, mais n'étaient pas

des savants et ne possédaient pas de compétences archéologiques étendues. Goudas tente aussi

d'expliquer que les deux Lariséens n'étaient pas en mesure de fouiller le sarcophage et d'en

examiner le contenu avant que s'en emparent les ouvriers turcs: "A qui a eu la chance de naître et

de vivre dans un état policé, comme la savante France, bien d'autres comportements qui

surviennent encore aujourd'hui chez nous peuvent assurément paraître surprenants. Pourtant

tous ceux qui ont visité et étudié notre pays avant notre glorieuse lutte de libération et

aujourd'hui encore, connaissent ou ont rapporté des faits encore plus surprenants, comme par

exemple que, avant notre libération, des gens, sur simple dénonciation d'avoir découvert un

simple sarcophage, ont été emprisonnés, châtiés ou même décapités par les Turcs, sous

l'accusation d'avoir prétendument découvert un vrai trésor". Et Goudas invitait Briau à faire en

sorte que l'Académie envoie un Professeur français d'archéologie, pour qu'il se rende à Larisa

évaluer la découverte.

L'épouse de Samartzidis, qui connaissait les lettres et la poésie, entra alors à son tour dans

le débat, en écrivant au journal Ιατρική Μέλισσα. Elle précisait que Thomas Andréadis lui avait

apporté des compléments d'information, que le serpent en or avait été volé par un certain Kadir

Aga, conseiller de Nezib Bey, que le bijou avait été vendu par lui à un orfèvre qui aujourd'hui

était déjà mort depuis longtemps. Une partie des monnaies avaient été récupérées par un autre

avec texte et traduction, et en 1866 un mémoire Du service de santé militaire chez les Romains, complété par desarticles dans la Gazette; on n'y trouve plus de contribution de lui après 1879, pour autant que j'ai pu en juger.

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Turc, que Madame Samartzidis avait pu rencontrer, qui avait reconnu qu'il possédait un certain

nombre d'entre elles, mais qu'il n'acceptait de les montrer qu'au docteur Samartzidis, lequel était

alors absent de Larisa. "Pour ce qui est de la plaque, continuait Madame Samartzidis, celle-ci

n'avait pas été donnée aux autorités turques qu'elle avait interrogées, elle ne se trouvait pas à sa

place antérieure, mais elle n'avait pas non plus quitté Larisa". Elle aussi terminait sa lettre en

demandant que des recherches soient engagées par un savant capable, à la condition cependant

que cela n'engendre par le moindre désordre. Cette lettre de Madame Samartzidis fut publiée par

Briau dans la Gazette Hebdomadaire du 26 février 1858, p. 148-150, en traduction française,

sans commentaires.

Près de cent ans plus tard, le Docteur Ar. Kouzis, professeur d'Histoire de la Médecine à

l'Université d'Athènes, exhumait les éléments principaux de cette histoire dans une conférence

qu'il donnait à l'Académie d'Athènes le 16 mai 1940, pour le 2400° anniversaire de la naissance

d'Hippocrate. Pour les cérémonies officielles du même événement, le 25 mai 1940, le Professeur

Skeuos Zervos, spécialiste d'Hippocrate, membre de la Société de médecine d'Athènes, l'évoquait

à son tour. De là on en entendit parler en Suisse et en Allemagne, en pleine guerre4. Après la

guerre enfin que le professeur Basileios G. Kourias, un ami de Ar. Kouzis, dans la conférence

qu'il a donnée sur le sujet, a tenu à répondre aux critiques de son prédécesseur français Briau. Il

a d'abord récusé sans détours le scepticisme de celui-ci sur la réalité de la figure d'Hippocrate,

mais il a aussi cherché à répondre honnêtement aux observations qui avaient été faites sur

l'interprétation de la trouvaille et notamment à celle-ci: la tombe pouvait être celle de n'importe

quel défunt, portant le nom Hippocratès, qui pourrait même être un médecin. Kourias note,

contre cette hypothèse, que les nombreuses monnaies d'or et le bracelet en forme de serpent,

assurément le serpent d'Asclépios, ne pouvaient pas se trouver dans la tombe d'un quelconque

médecin ordinaire. Il relève que l'inscription elle-même fournit un argument important: on peut y

lire les lettres ΚΩ, qui paraissent bien appartenir à l'ethnique Κωος. Mais il donne raison à Briau

pour son objection sur la date de l'inscription: époque hellénistique ou romaine, après s'être fait

confirmer par d'éminents épigraphistes, les Professeurs Oikonomou et Axénidis, que

l'inscription ne peut pas être de l'époque d'Hippocrate, comme l'attestent la formule ΧΡΗΣΤΕ

ΧΑΙΡΕ et les formes grammaticales utilisées qui ne sont pas celles du V° siècle.

Le Professeur Kourias conclut son exposé en proposant une hypothèse qui, selon lui,

résout la difficulté: oui, la plaque est consacrée au Père de la Médecine, Hippocrate, mais il s'agit

d'une réfection de l'inscription originale, une restauration d'époque tardive, ou même d'une

inscription entièrement recomposée à époque romaine qui aura été mise à l'emplacement où la

tradition situait le tombeau d'Hippocrate, pour signaler quelque chose comme un cénotaphe.

4. L'information a été transmise par un certain Hermann Reitzer, d'Athènes, au Schweizerischer MedizinischeWochenschrifi, 34, 1940. De là elle a été signalée dans le MUnchener Medizinische Wochenschrifi du 6.9.1940,p. 984; un lecteur, le Professeur von Brunn, de Leipzig s'y est intéressé et a obtenu du Professeur Kouzis unecopie de sa conférence; il en rend compte dans un article publié dans le même MUnchener MedizinischeWochenschrifi, 88, 1941 (du 18.4.41), p. 475-478, Das Grabmal des Hippokrates.

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L'histoire du tombeau d'Hippocrate ne s'arrête pas là. A la suite de Kourias, un autre

médecin de Larisa, le Médecin-Général Dimitrios Paliouras consacra vingt-cinq années de sa vie

à raviver le souvenir de la découverte de 1826 et à lui donner une forme matérielle5. Le

Professeur Paliouras fut nommé en juillet 1953 Directeur du 404° Hôpital militaire Général de

Larisa, il prit sa retraite dans cette même ville, où il devint Président du Conseil des Médecins,

Président de la section médicale de la Commission locale du Tourisme et de l'association

ΑΡΙΣΤΕΥΣ. Il travailla à mobiliser les énergies, les concours humains et financiers, pour faire

ériger un nouveau tombeau d'Hippocrate, qui fut inauguré le 17 décembre 1978. Ce glorieux

monument de marbre blanc, surmonté d'un statue d'Hippocrate en pied, oeuvre du sculpteur

Giorgos Kalakala, fut construit non loin du lieu où fut découverte la plaque inscrite qu'avaient

fait connaître Andréadis et Oikonomidis, à la sortie de Larisa sur la route de Tyrnavo, en face du

parc municipal que l'on appelle à Larisa l'Alcazar et non loin du moderne Stade Olympique de la

ville.

Comme les médecins l'ont signalé à plusieurs reprises, les archéologues ont été

singulièrement absents de cette histoire. Tout au plus peut-on noter l'intervention du savant

historien de Larisa, T.D. Axénidis, qui signale le tombeau d'Hippocrate, sur la route de Gyrton,

sans aucun commentaire6. Mais le plus étonnant reste bien que l'inscription vue et transcrite par

Samartzidis, et qu'il fait connaître par sa lettre de 1857, n'ait jamais attiré l'attention des

spécialistes de l'épigraphie thessalienne. A ma connaissance, elle ne figure dans aucune des

publications des voyageurs de la seconde moitié du 19° siècle, ni non plus dans le Corpus de

Kern. L'information de Madame Samartzidis montre qu'on n'en a plus de trace directe depuis

1858 au moins. Cette inscription, pourtant, et son lieu de trouvaille, posent un problème

intéressant pour mon étude de la géographie historique thessalienne. De fait, faut-il prendre ce

document et le monument qu'il accompagnait comme un argument essentiel ou négligeable pour

identifier la route de Larisa à Gyrton, et pour localiser cette ville même?

Commençons par examiner le problème du lieu de la découverte. Les informateurs nous

orientent toujours à l'Ouest de la ville, soit vers un lieu dit Arnaout Machalas, le quartier des

Albanais situé dans la ville de Larisa, entre la route de Crannon et celle de Trikkala (Gazis), soit

sur l'autre rive du Pénée, vers Kioski et Giannouli (Andréadis et Samartzidis). Dans l'un et

l'autre cas, il s'agit de nécropoles de Larisa, qui nous sont désormais bien connues par ailleurs et

dont j'ai déjà parlé7. Mais il est clair qu'elles ne sont pas les seules. On peut donc se demander

5. Je prends mes informations dans un article signé du Professeur Paliouras et publié dans le journal de LarisaΗμερήσιος Κήρυξ, en date du 26 avril 1985, pour le 2.445° anniversaire de la naissance d'Hippocrate, célébré àCos.

6. Pelasgis Larisa, I, p. 247; la consultation du Professeur Kourias a dû être postérieure à la publication de œvolume, en 1947.

7. Arnautli, lieu de trouvaille de /G, IX 2, 641, 655, 847; on trouve des renseignements sur Arnautl-Makahlasdans K. Spanos, Ena Meteoritiko cheirographo tou 18ou aionos, Thess. Himerologio, 7, 1985, p. 19: Arnautmakhalas (on écrit aussi Arnaout, Arnautli, ce sont les Albanais) était dans les environs du quartier d'AgiosAthanasios. La nécropole de la rive gauche, près de Kioski, est le lieu de trouvaille de /G, 742 et 820 ; unetombe découverte "à Kioski" en 1950 dans une carrière de sable, qui contenait en particulier deux skyphoi d'argent

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pourquoi "la tradition" pousse constamment les érudits ou les curieux à chercher ce tombeau à

l'Ouest de Larisa. La réponse est évidente: c'est de ce côté-ci de Larisa qu'on pensait aussi

trouver la localisation de Gyrton, à partir des informations que donnaient les textes antiques.

Déjà à la fin du 18° siècle, et au début du 19°, on localisait Gyrton à Tatar Magoula (voir la carte

de Rhigas, et les propositions faites par Leake, Georgiadis, Bursian, etc.). C'est la situation

qu'avalise aussi O. Kern dans le Corpus des inscriptions de la Thessalie, IG, IX 2, publié en

1908. Contre cette localisation, les doutes et de nouvelles propositions n'ont été introduits

systématiquement que par Arvanitopoulos et Stahlin (1924), et c'est l'opinion de Sfâhlin qui a

fixé depuis lors la situation de Gyrton à Bakréna, le village grec appelé aujourd'hui Girtoni, sur

la rive droite du Pénée, et à peu de distance à l'Ouest de la route de Larisa à Tempe8. De cette

localisation, la plus récente et, en apparence, la plus autorisée, les érudits médecins que j'ai cités

n'ont pas tenu compte. On ne peut cependant pas maintenir des hypothèses géographiques qui

sont absolument contradictoires: selon les médecins, la route de Larisa à Gyrton va vers le Nord-

Ouest, c'est la route de Tyrnavo; en revanche, selon les archéologues, la route de Larisa à Gyrton

n'est pas vers le Nord-Ouest, mais, vers le Nord-Est, celle de Thessalonique. Cependant et en

définitive, comme je le montrerai dans ce qui suit, ni l'un ni l'autre de ces deux axes de

communication modernes ne sont en cause, mais un troisième, tout à fait différent.

On doit s'interroger d'autre part sur ce qu'était le monument lui-même. Les témoins ont

parlé d'une plaque couvrant un sarcophage, et qui portait une inscription. Je me demande si cela

était véritablement le cas: les exemples de sarcophages en pierre, avec couvercle ou cuve inscrits,

sont rarissimes en Thessalie. Nous connaissons bien la typologie des tombes classiques,

hellénistiques et romaines en Thessalie: hors les monuments funéraires construits, on trouve des

fosses, des cistes constitués de grandes plaques, mais toujours anépigraphes, puisqu'elles sont

enterrées, des sarcophages en terre cuite eux aussi enfouis, quelquefois des urnes (kalpides); les

uns et les autres de ces tombeaux sont normalement accompagnés d'une stèle (sema) bien

visible, et qui est soit plantée directement dans le sol, soit scellée sur un bloc de base, où l'on

aménageait une mortaise. On peut donc se demander si les termes utilisés par les témoins sont

vraiment sans équivoque, lorsque nous croyons comprendre qu'il s'agissait d'un sarcophage avec

couvercle inscrit. J'inclinerai à penser que la description de la tombe est pour le moins inexacte,

sinon fantaisiste; tout au plus peut-on supposer qu'elle s'est inspirée plutôt d'une tombe à ciste

sur laquelle reposait, couchée, une stèle funéraire du type le plus courant à Larisa, une stèle à

couronnement ogival avec anthémion. En Thessalie, c'est sur ce genre de stèle qu'on grave

normalement, à l'époque hellénistique et impériale, les épitaphes.

Au vu de la transcription donnée par le Docteur Samartzidis, tout le monde s'accordera sur

la chronologie de l'inscription; elle est de la basse époque hellénistique ou de l'époque impériale.

ornés d'une scène représentant les Néréides portant les armes d'Achille, et d'autres belles pièces d'orfèvrerie, estsignalée par D.R. Théocharis, Arch. Delt, 16, 1960, Chronika, p. 175.

8 . Cf. R. Baladié, dans son édition du livre VII, Notes complémentaires, p. 233, n. 5: "Sans doute faut-il lire200 stades (= 37 km) dans Etienne de Byzance à qui l'erreur paraît due."

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Les arguments sont indiscutables: l'absence de tout trait linguistique caractéristique de l'époque

classique, la formule χρηστέ χαίρε. Il ne peut donc s'agir, comme l'avaient bien vu le professeur

Kourias et ses consultants, de l'épitaphe originale gravée sur le tombeau d'Hippocrate. Pourtant

l'inscription semble bien avoir un contenu qui convient à un Hippocrate médecin, et je m'étonne

qu'aucun spécialiste n'ait vraiment cherché à étudier de plus près les éléments que contient la

transcription donnée par Samartzidis.

Le texte en question comporte plusieurs éléments qui le font apparaître comme une

épigramme métrique, suivie d'une formule de salut. Mais on ne tire réellement rien de précis,

pour construire des phrases suivies, des quelques mots ou fragments de mots transcrits par

Samartzidis, sauf pour deux termes essentiels, les deux premiers, Ίπποκράτ(ης) Κω(ος). Dans

la suite, on peut évidemment faire des restitutions de mots, mais aucune formule ne se dégage

clairement des mots σώμα, πολει, άγλαοφ..., ni de τελεσφ...; on peut certes voir dans les deux

derniers des termes d'un lexique poétique, mais qui ne paraissent guère en situation. Tout au

contraire de ces trois premières lignes, les deux dernières renvoient sans équivoque à des

expressions formulaires très connues, mais non poétiques: 'Αγαθή (τύχη) suivi de αρετής

ένεκα, et enfin (ήρως) χρηστέ χαίρε. Mais les deux premières expressions viennent de textes

officiels en prose, décrets ou dédicaces publiques, et la dernière est le salut banal au défunt qu'on

trouve sur la plupart des stèles funéraires hellénistiques et romaines. Je serai donc très enclin à

considérer le texte donné par Samartzidis comme un centon sans cohérence de mots ou groupes

de mots assemblés les uns aux autres pour la circonstance, bref comme une forgerie, un faux.

On sait que le critère le plus commun qui révèle les fausses inscriptions est précisément

celui de l'incohérence. Je viens de faire apparaître cette incohérence pour le vocabulaire. Mais il

existe aussi un autre caractère de la transcription donnée par Samartzidis qui, à mon avis, est

révélateur de la falsification: ce sont les "blancs" signalés dans la copie en majuscules, et

auxquels on ne prête pas attention d'ordinaire, puisqu'ils indiquent simplement des lacunes.

Pourtant, la disposition de ces lacunes est significative. Que manque-t-il en effet avant

Ίπποκράτ(ης) Κω(ος) ? Evidemment le mot Θεσσαλός, qui explique la double origine du Père

de la Médecine, et qui apparaît dans la célèbre épigramme de l'Anthologie Palatine, comme

épitaphe d'Hippocrate. Je ne peux manquer de la citer ici:

Θεσσαλός Ιπποκράτης, Κώιος γένος ένθάδε κείταιΦοίβου από ρίζης αθανάτου γεγαώς,

πλείστα τρόπαια νόσων στήσας δπλοις Ύγιείης,

δόξαν ελών πολλήν ού τύχαι, άλλα τέχναι.

en supposant, avec vraisemblance, je crois, qu'elle a fourni les éléments de la première

ligne de l'inscription inventée par Samartzidis, ou par ceux qui avaient découvert le tombeau

trouvé près de Kioski. On sera également frappé par le fait que les "lacunes" de la copie tombent

justement aux bons endroits, dans les trois dernières lignes, pour amener à restituer 'Αγαθή

(τύχη), αρετής ένεκα, (ήρως) χρηστέ χαίρε. Tout bien considéré, je tiendrai donc la

prétendue épitaphe trouvée par Samartzidis pour un faux net et caractérisé.

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Mais il existe à ce sujet des informations déterminantes. Le Professeur Koulias et ses

successeurs n'ont pas connu, ou ils ont négligé, un témoignage capital, que le Docteur Briau a

publié dans la Gazette hebdomadaire du 9 avril 1858, p. 257-262 sous le titre "Conclusion sur

la prétendue découverte du tombeau d'Hippocrate": ce document est un rapport que le consul de

Grèce à Larisa, Monsieur Droskos, adressa au ministre des Affaires Etrangères du Royaume, le

distingué et savant Rangabé, qui lui avait donné instruction de faire une enquête détaillée sur

l'affaire. On constate ainsi que, contrairement à ce que laissaient penser les rapports des

médecins grecs cités, celui que l'on peut considérer comme le premier archéologue et

épigraphiste grec s'était intéressé de très près à cette histoire. Il vaut donc la peine de lire, dans la

traduction de Briau, le rapport circonstancié et très précis de Monsieur Droskos.

Celui-ci commence, après des formules d'envoi, à décrire la visite qu'il a faite au domicile

de Nezib Bey, habité par sa veuve. Droskos prend soin d'indiquer qu'il avait avec lui des témoins

dignes de foi: le vice-consul d'Angleterre, Monsieur Suster, et deux médecins de ses amis,

"Paoulianos, Italien, qui connaît toutes les pièces de la maison de feu Nezib Bey, comme

médecin et familier de cette famille", l'autre le Docteur Polyméris, Grec et médecin de Droskos

lui-même, qui poursuit: "après des recherches minutieuses, nous n'avons rien trouvé hors une

petite tablette de marbre qui se trouve dans l'avant-cour". De plus, ajoute l'auteur, "il existe non

pas un, mais deux bains dans cette maison, comme le dit Mr Samartzidis".

"Il ressort d'autres part des dépositions multipliées des domestiques, que toutes les choses

signalées comme vraies dans la lettre de M. Samartzidis relativement à une tablette et à une

inscription sont des fictions et des exagérations bien éloignées de la vérité. Et cela résulte:

1° de ce que le bain des femmes... ne renferme aucun reste de plaque; il en est de même

du bain des hommes qui ne contient rien de pareil.

2° Après exacte enquête près de toutes les personnes de la maison et de la dame elle-

même (i.e. la veuve de Nezib Bey), aucune tablette enlevée d'un tombeau quelconque et portant

simplement des lettres, ni maintenant ni autrefois, n'a jamais été transportée ni déposée ni dans le

bain ni dans aucun autre endroit de la maison à l'exception de la jolie plaque... encastrée dans le

pavé de la cour depuis un temps immémorial...

3° De ce que, suivant les témoignages unanimes des personnes ci-dessus désignées, M.

Samartzidis n'est jamais entré dans le bain en question" Et Droskos rappelle que ce bain des

femmes est dans le harem, partie de la maison interdite très sévèrement aux hommes et surtout

aux chrétiens. Il précise qu'il en a "permission obtenue, une seule fois, avec un zèle et des

moyens particuliers", sa femme étant amie de la maîtresse de la maison.

Droskos n'oublie pas de lever toute incertitude possible aussi au sujet de la plaque qu'il a

vue dans la cour: "elle paraît vraisemblablement être une plaque ayant contenu un décret. Peut-

être aussi une pierre sépulcrale, mais non d'un Hippocrate quelconque: car les lettres conservées

et en grande partie mutilées laissent apparaître le nom d'un certain Ménandre". De plus la plaque

porte "non pas cinq lignes ainsi que le dit la lettre, mais peut-être plus de trente, ou pour mieux

dire le commencement de vers dont presque toute la moitié droite est tout à fait effacée par le

frottement des pieds. Seulement dans le coin gauche supérieur restent encore quelques lettres

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lisibles mais dans lesquelles le nom d'Hippocrate n'apparaît aucunement9". Vient ensuite

l'examen de l'autre bain, celui des hommes: ce bain, "qui était abandonné et fermé depuis seize

ou dix-sept ans, date de la mort de Nedjib Bey, a été ouvert par moi... Je n'y ai trouvé aucune

plaque portant des lettres".

Le Consul convoque aussi à Larissa et auditionne le témoin de la prétendue découverte,

Thomas Andréadis, "de Tyrnabe où il demeure", et, dit-il, de concert avec lui et le médecin de

famille "je me suis transporté en voiture à l'endroit où l'on dit que se trouve le tombeau supposé

d'Hippocrate...(Il est) à un quart d'heure environ de la ville, près du chemin qui vient de Tyrnabe,

dans les champs de la villa qui appartient à Khalil Bey". Droskos a vu là "un fossé et à huit à dix

pieds de distance un puits comblé portant un arbre au lieu d'eau" et qui lui sert de repère. La

pierre devait se trouver "sous le deuxième ou le troisième peuplier à compter du coin qui est près

des champs, selon Monsieur Andréadis qui n'a pas vu la pierre depuis dix ou douze ans". Le

témoin ne retrouve pas la pierre "qu'il suppose recouverte par la terre du fossé. Cette opinion n'a

rien d'invraisemblable".

On voit la précision de l'enquête menée par Droskos, et en même temps, on s'aperçoit que

son rapport décrit une scène souvent vécue par les épigraphistes en quête de pierres inscrites,

passant le terrain au peigne fin en compagnie d'informateurs et de villageois curieux. Le Consul

interroge son témoin, sur place, et il apprend que "sur cette pierre, Monsieur Th. Andréadis, qui

l'a vue non en 1826 comme le dit Monsieur Samartzidis, mais en 1834 ou 1835, prétend avoir lu

les lettres ΙΠΠΟΚΡ-; il n'a vu ni lu par conséquent autre chose que cela, mais c'était, dit-il, de

grandes lettres. Il faut remarquer, poursuit Droskos, que cet homme, qui est d'ailleurs bon, paraît

assez simple. Il n'est pas sans invraisemblance qu'il ait cru avoir vu ou lu ces lettres sans

cependant les avoir lues." On est donc loin du témoignage d'un érudit...

Puis intervient un nouveau témoin; "Cependant notre cocher nous a assurés que, il y a dix-

sept ans, on a fait en cet endroit un fossé à l'ouverture duquel il a travaillé de ses mains et que le

sarcophage dont il s'agit était là avec le corps, mais qu'il ne portait ni lettre ni aucun autre signe.

A environ soixante pas de cet endroit se trouve un autre sarcophage nouvellement découvert,

sans inscription ni signe, dans lequel on a trouvé quelques chaînes d'or, une épingle en bois de

palmier, des pendants d'oreille et des crânes, objets qui ont été pris par le gouverneur de la ville".

On notera que l'ensemble des opérations se passe de tout autre manière que dans le récit

dramatisé de Samartzidis, agressé par des enfants turcs, et que les trouvailles ne sont pas volées

par les ouvriers musulmans, mais récupérés par l'autorité, quelle que soit leur destination finale.

Suit un transport à la villa de Khalil Bey, avec l'espoir d'y découvrir le sarcophage qu'on

ne voyait plus, espoir déçu. Mais "une plaque sépulcrale gisait sous un hangar. Nous avons bien

lu distinctement les mots suivants, qui n'offrent aucun intérêt Προτογένης 'Αλεξάνδρου

9. Je croirais volontiers qu'il s'agit d'une plaque portant des déclarations d'affranchissement, comme peut-être IG,IX 2, 559 dont les débuts de lignes (:= vers pour le consul Droskos) sont conservés en haut et à gauche, le resteétant usé par un remploi probablement comme marche d'escalier.

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χρηστέ χαίρε"1 0. Ce texte qui n'intéressait par Monsieur Droskos est resté inédit; d'ailleurs la

pierre ne semble pas avoir été retrouvée depuis, mais peut-être en subsiste-t-il un fragment dans

l'épitaphe /G, 719, Πρωτογενής, publiée par Zékidis en 1901.

Intervient enfin un dernier témoin: "Monsieur Constantin Astériadis, qui est membre du

conseil d'administration11 et ancien habitant de Larisse, homme dont le jugement mérite toute

confiance... m'a affirmé qu'une plaque existait en effet près de la route en question, en 1834 ou

1835, qu'elle était restée longtemps exposée aux regards et qu'on l'attribuait à cette époque au

tombeau d'Hippocrate. Mais que s'étant porté sur les lieux avec deux amis, dont l'un était un

instituteur estimé, il a gratté avec des instruments convenables la terre qui couvrait la plaque et a

usé plusieurs mouchoirs en les mouillant et en essuyant la pierre pour découvrir les lettres qui

auraient pu s'y trouver et qu'aucune trace de lettres n'y a été découverte. On ignore ce qu'est

devenu cette plaque."

Je ne résiste pas à donner, malgré la longueur de ces citations, les conclusions de

Monsieur le Consul Droskos à Rangabé: "II résulte de tout cela, je crois, Excellence, que ce qui

a été publié sur la prétendue découverte du tombeau d'Hippocrate paraît être le résultat de

combinaisons hasardées et d'erreurs de l'auteur de l'article propres à attirer plutôt une mauvaise

qu'une bonne renommée à lui et à la nation dont il fait partie. Chaque ami de la vérité doit les

réfuter, et nous le devons surtout nous Hellènes; à moins que, contrairement à tous les

renseignements qui précèdent, et qui sont la conséquence de recherches zélées et minutieuses, on

ne puisse supposer que des informations nouvelles, et plus heureuses, arriveront à prouver

(chose bien invraisemblable) qu'il y a quelque chose de vrai dans ce qu'on a publié. Dans ma

conviction, il est bien difficile que cela puisse arriver". On a vu ce qu'il en a été, bien plus tard.

Droskos ajoute in fine un renseignement qui complète notre information: il ajoute que, à

Larisa, " ce qu'on suppose plus généralement comme devant être le tombeau d'Hippocrate est un

sépulcre dans la ville au quartier que les musulmans appellent Arnaut Makhalan, sépulcre d'un

de leurs saints très ancien qui cependant n'était pas un de leurs coreligionnaires... et donc

inaccessible à tout le monde et à moi également". Nous retrouvons ainsi notre point de départ, en

recoupant ici l'opinion rapportée par Rhigas Phéraios selon lequel la tombe d'Hippocrate était à

Larisa au quartier des Albanais, Arnaut Makhalas.

Je croyais être au bout de mes recherches, quand, en 1990, j'ai pris connaissance d'un écrit

tout à fait intéressant, qui nous éclaire sur cette période du début du 19° siècle, et aux écrits

d'Anthimos Gazis et de Rhigas Phéraios. Il s'agit d'un opuscule inédit rédigé en 1817 par un

érudit de Larisa, Ioannis Oikonomou, une figure tout à fait intéressante pour l'histoire des idées

aux commencements de la Grèce moderne. Dans un écrit qu'il avait rédigé en 1817 sur La

10. La traduction de Briau donne bien Προτογένης au lieu de Πρωτογενής, mais je ne sais à qui il faut enattribuer la faute à Briau lui-même ou à l'imprimeur de la revue.

11. Briau a dû traduire ainsi l'expression διοικητικόν συμβούλιον.

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topographie historique d'une partie de la Thessalie, texte qui ne fut publié qu'en 198912,

Oikonomou marquait son scepticisme au sujet des recherches entreprises de son temps pour

retrouver la tombe d'Hippocrate; il écrivait:

"Pour le médecin Hippocrate, qui était de Kos, tous les auteurs écrivent, unanimes, qu'il a

exercé à Larisa et qu'il y est mort, mais quelques-uns disent aussi qu'ils ont trouvé son tombeau

parmi les monuments funéraires turcs de Péra Machalas13, et qu'ils y ont vu une épigramme,

qu'ils ont lue. Quant à moi, dans la mesure où je n'ai jamais laissé sans l'examiner aucun marbre

antique14, je n'ai jamais pu trouver, ni à Péra Machalas ni parmi les autres monuments (ailleurs)

une telle épigramme, ni le moindre autre petit indice concernant cette tombe, d'où il apparaît que,

ou bien on l'a enfouie dans la terre, ou bien on a réutilisé ces pierres dans quelque construction

moderne"15.

Ces quelques lignes apportent un éclairage intéressant sur toute l'affaire. Elles confirment

que la question du tombeau d'Hippocrate occupait vivement certains érudits du début du siècle,

parmi lesquels devaient figurer aussi des médecins16, tout en permettant de préciser quelques

points. Ainsi, grâce à Oikonomou, la liste des lieux où l'on aurait vu l'inscription s'enrichit: non

plus seulement Péran Machalas (Rhigas Phéraios), mais aussi Arnaout Machalas. Et c'est encore

dans les faubourgs occidentaux de Larisa, à Kioski que deux paysans, devenus pour certains

aujourd'hui des érudits, ont lu l'inscription qui ferait preuve sur la découverte du tombeau

d'Hippocrate. Nous apprenons aussi par Joannis Oikonomou que l'inscription prétendument lue

par quelques-uns était une épigramme; ce sont justement les restes d'une épigramme que le

docteur Samartzidis nous a transmis. Enfin, on notera que l'un des deux témoins de Samartzidis

s'appelle Ioannis Oikonomidis. Malgré la similitude des noms, on peut pas penser qu'il puisse

s'agir réellement de Ioannis Oikonomou lui-même: car le comportement du premier,

Oikonomidès, qui ne paraît guère évaluer la valeur de ce qui vient d'être trouvé, en 1826, ou

1834, ou 1835, ne correspond guère à l'esprit aiguisé du second, dont nous savons qu'il savait

lire les inscriptions et qu'il connaissait, déjà en 1817, le problème posé par le tombeau

12. Le titre grec est Ιστορική τοπογραφία ενός μέρους της Θεσσαλίας; le manuscrit original, conservé à laBibliothèque de la ville de Larisa, a été publié en 1989, aux frais de la ville, en même temps qu'un autre texte deIoannis Oikonomou (une traduction de l'Histoire vraie de Lucien), par M. M. Papaïoannou, qui y a joint uneintroduction et des notes.

13. Je pense, d'après son nom même, que Péra Machalas, que je n'ai pu localiser sur le plan de Larisa de 1880,était un quartier situé de l'autre côté du fleuve, c'est à dire précisément du côté de Giannouli et Kioski.

14. On trouve dans l'ouvrage même de Ioannis Oikonomou des lectures d'inscriptions antiques (p. 161-163 cfel'édition de 1989), dans lesquelles il est facile de reconnaître, malgré quelques fautes de transcriptions, les textesde IG, 547 (affanchissement daté du trésorier Titios Onésimos), 931, 773, 975, une inscription apparemmentinconnue de nous, puis de nouveau IG, 805, 938, 907, une autre inédite, enfin IG, 576, 776, 740, 896, 624,984, 792.

15. Ιστορική τοπογραφία ενός μέρους της Θεσσαλίας, édit. Papaïoannou, p. 172.

16. Je rappellerai que c'est à partir de 1812 que s'installe à Larisa le poète Bilaras, médecin à la cour d'Ali Pachaet l'initiateur d'un des mouvements engagés en ces temps là pour redonner à la langue grecque une littératuremoderne: Oikonomou a été son meilleur disciple.

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d'Hippocrate. Je noterai enfin un élément curieux: dans sa topographie historique, quand il parle

du tombeau d'Hippocrate, Oikonomou ne parle pas de la route de Gyrton, à aucun moment il ne

mentionne Gyrton dans son ouvrage. C'est à mon avis qu'il ignorait, encore en 1817, la

localisation de Gyrton qui sera proposée, un peu plus tard par Leake, à la suite de son voyage en

Thessalie en 1805, et qui n'a pu être connue qu'à partir de la publication de son livre, en 1835.

On voit bien ainsi qu'on a interprété la trouvaille de Kioski et l'inscription portant peut-être

les lettres Ιπποκρ-, faite, prétend-on, en 1826 mais plutôt, comme l'a établi le Consul Droskos,

en 1834 ou 1835, en fonction de la localisation qu'on donnait pour Gyrton à partir de 1835: à

Tatar Magoula. Car il fallait bien qu'on ait cru connaître avec assez de certitude quelle était la

route de Larisa à Gyrton (les publications de Leake et de la plupart des autres érudits qui se sont

intéressés à la Thessalie sont toutes postérieures à 1835), pour faire la proposition de retrouver à

l'Ouest de Larisa le tombeau d'Hippocrate.

J'énoncerai donc clairement deux conclusions. D'une part on doit tenir l'inscription

donnée par Samartzidis au journal latriki Melissa pour un faux caractérisé, ce que dénoncent

l'assemblage incohérent des différents éléments du texte et l'agencement trop bienvenu de la

transcription. D'autre part, il faut considérer que ce n'est pas la découverte d'un tombeau dans la

nécropole occidentale de Larisa qui peut garantir que la route de Larisa à Tatar Magoula était

celle de Larisa à Gyrton antique, puisque la localisation de la découverte semble au contraire

dépendre de l'opinion que l'on se faisait sur l'emplacement de Gyrton dans la première moitié du

19° siècle. Ni la prétendue inscription, ni non plus la découverte d'une tombe dans la nécropole

de Kioski ne peuvent donc être utilisées contre l'hypothèse que je propose aujourd'hui pour

localiser Gyrton: près de Tempe, sur le site de Bounarbasi. Dans cette direction, on restitue alors

un des itinéraires routiers les plus importants de la Thessalie orientale: la route de Larisa à

Tempe, que je décrirai plus en détail ailleurs17. Cette route partait de Larisa en direction du

Nord-Est, comme au 19° siècle la route qui conduisait vers Agia, Marmariani, Chasambali et le

village moderne appelé aujourd'hui Sykourion.

On peut ainsi sans difficulté résoudre la question de l'emplacement du tombeau

d'Hippocrate: il se trouvait, le long de cette route, dans la nécropole classique de Larisa dont

l'emplacement est occupé, de nos jours, par la base aérienne militaire. On a trouvé dans ce

secteur de nombreuses sépultures, mais bien peu ont été étudiées, décrites et publiées. La tombe

d'Hippocrate était peut-être l'une d'entre elles, qui sait? Pour la remplacer, nous n'avons plus

aujourd'hui, à Larisa, qu'un somptueux cénotaphe de marbre blanc, ...sur la mauvaise route.

17. Voir description de Leake, Travels in Northern Greece, III, p. 372-373, route vers le rocher de Patoma,visible de très loin au bord de la plaine, puis vers le bassin de Mégalo Késerli (moderne Sykourion) et enfinAmbélakia.

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NOTE ADDITIONNELLE

Je donne ici le texte des deux inscriptions inédites signalées par J. Oikonomou dans sa La

topographie historique d'une partie de la Thessalie, édition Papaioannou, Larisa 1989, p. 161-

163 (voir ci-dessus n. 13).

Ces inscriptions proviennent, avec d'autres, d'un secteur εις τα τουρκικά μνήματα

επάνω είς τον δρόμον δια 'Αμπελάκια: c'est, je pense précisément le début de la route de

Larisa à Gyrton (voir l'itinéraire suivi par Leake, ci-dessus n. 16).

a) Φιλακασσανδρου Δεξενογενον χαίρε

J. Oikonomou n'a pas coupé tous les mots: on reconnaîtra facilement dans le premier le

nom et le patronyme Φίλα Κασσάνδρου: la suite est plus difficile à interpréter; il faut

comprendre je crois, que le texte est incomplet et j'écrirai, en introduisant un minimum de

correction à la lecture γυνή δέ Ξενογένου χαίρε.

b) Ήρως Σωτήρ χαίρε

La mention de Σωτήρ est nouvelle dans cette formule; peut-être faut-il supposer une

erreur de lecture ou de transcription pour χρηστέ, qui est attendu normalement?

Lettre de Monsieur DR. Dimitrios Karamberopoulos, Epistimoniki Hétaireia Meletis

Feron-Velestinou-Riga, (Athènes), en date du 13/07/00, me signale que Rhigas a parlé de Péran

Makhalas et non, comme je l'ai indiqué, d'Arnaout Makhala (dans l'édition Thessaliko

Himerologio, p. 4, 14 et 15). Voici le texte exact de Riga dans Ειδήσεις διδομένη παρά του

Ρίγα, ρ. 362 dans le Neos Anacharsis, Vienne 1797, p. 362 (p. 566 de l'édition des Ta erga tou

Riga, Métaphraseis) :

Ο Σουίδας ιστορεί ότι έν Λαρίσση τής Θετταλίας ό Ιπποκράτης άπέθανεν 104χρόνων. Οθεν, περνώντας το επί του Πεινεοΰ γεφύρι δι να πηγαίνη τινάς είς τονΤούρναβον, άπό τον δρόμον του δασούς δεξία, εις τα μνήματα, παρέκει από τον Πέραν-Μαχαλέ, είναι ή πέτρα όπου έκάλυπτε το μνήμα του, φερμένη παρά των Τούρκων άπότήν πάλαιαν Λαρισσαν και βαλμένη όρθια έφ ενός τάφου. Παρακαλούνται οι έκεισεσπουδαίοι και ιατροί να αντιγράψουν το επίγραμμα τής, και να το στέλουν να τυπωθή.

C'est probablement dans ce texte que Joannis Oikonomou a pris son information (et

sans doute aussi Samartzidis).