Péron.Les images maritimes de Pindare

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Jacques iPéron

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Pindare

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LES IMAGES MARITIMESDE

PINDARE

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É T U D E S E T C O M M E N T A I R E S ------------------------ LXXXVII ------------------------

JACQUES PÉRON

LES IMAGES MARITIMESDE

PINDARE

LIBRAIRIE C. KLINCKSIECK1 1 , RUE DE LILLE, P A R I S - 7 ®

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La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l ’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l ’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l ’auteur ou de ses ayants-droit ou ayants-cause, est illicite » (alinéa 1®"· de l ’article 40).Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.

ISBN 2-252-01698-1

© Jacques Péron, 1974.

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Πλους σφαλερός τά ζην · χειμαζόμενοι γάρ έν αύτφ πολλάκι ναυηγών π-ταίομεν οίκτρότερα ·

τήν δέ Τύχην βιότοιο κυβερνήτειραν ^χοντεςώς έπΙ τοϋ πελάγους αμφίβολοι πλέομεν,

οί μέν έπ’ εύπλοίην, οΐ S’ εμπαλιν · άλλ’ άμα πάντες εις ενα -τόν κατά γης ορμον άπερχόμεθα.

P a l l a d a s (Anthologie grecque, X , 65)

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INTRODUCTION

L ’é p o p é e h o m é r i q u e

Pour qui s’intéresse à l’évolution des procédés d ’expression de la poésie grecque — en particulier à l’usage de la comparaison et de la métaphore — toute étude a naturellement pour point de dé­part l’épopée homérique.

Or, ce qui frappe, notamment dans VIliade, c’est la disproportion entre le grand nombre des comparaisons et la rareté des métaphores ; le fait s’explique à la fois par certaines exigences du genre épicpie et par la situation de la poésie homérique dans l’ensemble de la littérature grecque.

Le poète épique raconte, et prend son temps pour raconter : dans le déroulement majestueux des événements, la longue comparaison, où les deux éléments, V iU u stra n s et V illu s tra n d u m , se répondent par ώς... ώς, a pour fonction de ménager dans le récit certaines pauses qui sont un repos pour l’esprit de l’auditeur, et de lui conférer aussi une diversité et un éclat que la simple narration des faits ne pour­rait assurer. Mais ce serait peu : la comparaison homérique a égale­ment, et plus encore, valeur de définition. Quand, au chant XV de V ll ia d e , V. 6 2 4 -6 2 9 : êv 8’ 2πεσ’ ώς δτε κΰμα θοη έν νηΐ πέσηβι ( λάβρον ύπό νεφέων άνεμοτρεφές ·ή δέ τε πάσα | ίίχνη ΰτιεκρύφθη, άνέμοιο 8έ δεινός άήτη ( ίστίφ έπιβρέμεται, τρομέουαι δέ τε φρένα ναϋται | δείδιότες · τυτθόν γάρ ύπέκ θανά-roto φέ- ρονται · | ώς έδαίζετο θυμός ένΙ ο-τήθεσαίιν ’Αχαιών, Homère compare les Grecs au combat à des marins épouvantés qui voient fondre sur eux une vague, il y a là plus qu’im ornement : à un auditoire qui n ’avait pas forcément l ’expérience des guerres, mais très au courant des choses de la mer, c’était un moyen de faire prendre conscience de l’existence d ’un sentiment, d’une émotion, et de les lui rendre accessibles C’est

1. Cf. H. Disep, Formen bildlichen Ausdrucks hei den àlteren griechischen Dichtern (Diss. Gottingen, 1951), p. 30. W. Elliger, Gleichnis und Vergleich hei Homer und den griechischen Tragikern (Diss. Tübingen, 1956), p. 30.

2. Voir H. Frânkel, D ie homerischen Gleichnisse (Gottingen, 1921), p. 99. Dichtung und Philosophie des frühen Griechentums {München, 1962), p. 59.

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qu’à l’époque homérique il n ’existe pas dans ce domaine de voca­bulaire spécialisé ; les mots même n ’ont pas encore de sens fixe et précis : de là l’impossibilité de recourir à la métaphore, qui est une sorte de néologisme, et rompt avec une signification traditionnelle, et l’obligation d’user de la comparaison, qui éclaire et définit^. De fait, entre les deux, la différence n ’est pas que de taille, et la métaphore est autre chose qu’une comparaison brève : la comparaison explique, la métaphore implique ; l’une est analytique et logique, l’autre syn­thétique et intuitive ; enfin, comme il a été dit plus haut, la méta­phore suppose toujours la modification du sens d ’un mot, la compa­raison nullement Dans ces conditions, la métaphore n ’a pu jouer un rôle important qu’à partir d’un certain degré d’évolution de la langue, celui précisément où se situe la lyrique archaïque, qui in­troduit dans les procédés d’expression légués par l’épopée des modi­fications profondes*.

L e l y r i s m e

Le lyrisme se caractérise d’une façon générale par la décadence de la comparaison et l’usage constant de la métaphore®. Lorsque les poètes élégiaques ou lyriques s’inspirent d ’Homère, il est bien rare qu’ils empruntent sans l’abréger la longue comparaison épique®;

H. Seyiîert, Gleichnisse der Odyssee (Diss. Kiel, 1949), p. 100 s. H. Storch, D ie Erzahlfunktion der komerischen Gleichnisse in der Ilia s (Diss. Tübingen, 1960), p. 228, 245.

1. Voir sur ce point les remarques de W. B. Stanford, Greek metaphor (Ox­ford, 1936), p. 121 ss.

2. La célèbre définition d’Aristote est de ce point de vue tout à fait insufii- sante, Rhét. 1406 B εστι 8έ καΐ ή είκών μεταφορά · διαφέρει γάρ μικρόν · όταν γάρ εϊπη τόν Άχιλλέα « ώς δε λέων έπόρουσεν », είκών έστι, όταν δέ « λέων έπόρουσεν », μεταφορά.

3. Voir W. Β. Stanford, Greek metaphor, p. 29, et dans son Aeschylus in his style (Dublin, 1942), p. 86 : « metaphor is a concentrating, intensive figure, congenial to a m ind that seizes broad analogies without pausing to reflect on accompanying dissim ilarities o f detail. Sim ile shows a more precise and analytical m ind which hesitates to postulate identity on the evidence o f partia l sim ilarity ».

4. Dans cet ouvrage, on parlera peu d’Hésiode, qui se signale par l ’indigence de l ’expression imagée ; voir à ce propos I. Sellscliopp, Stilistische üntersuchungen zu Hesiod (Diss. Hamburg, 1934), p. 40, 81.

5. Voir K. Dietel, Das Gleichnis in der frühen griechischen L yrik (Diss. Mün- chen, 1939), p. 161.

6. Sur cette adaptation d’Homère par les lyriques, voir O. von Weber, Die Beziehungen zwisehen Homer und den alteren griechischen Lyrikern (Diss. Bonn, 1955), p. 74 s. A. Lesky Thalatta. Des Weges der Griechen zum Meer (Wien, 1947), p. 196. J. Kahlmeyer, Seesturm und Schiffbruch als B ild im antiken Schrift- tum (Diss. Greifswald, 1934), p. 17, 41.

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les seules exceptions (daïis le domaine des inaages appartenant à, la mer et au vent) sont chez Solon le fragment 1 D (v. 17-25) et chez Bacchylide la XIII® Ode (v. 121-140) Cette condensation de la comparaison homérique — qu’elle aboutisse à une comparaison brève ou plus souvent à une métaphore — s’explique non seule­ment par l’évolution de la langue, qui s’est intellectualisée et modifie très consciemment l’héritage épique, mais surtout par le changement d’optique de la poésie lyrique : soucieux de saisir dans la réalité quelques moments privilégiés pour l’émotion qu’ils suscitent et de mettre au premier plan l’intensité et la vivacité de cette émotion, le lyrisme ne pouvait considérer la comparaison épique que comme un instrument particulièrement encombrant et inadéquat ; « Vépopée raconte; le lyrisme^ au contraire, exprime des émotions : la métaphore, naturellement brève, lui convient; la comparaison, plus lente, est moins conforme à son génie^ ». Cet abandon de la comparaison au profit de la métaphore, justifié par le genre même du lyrisme, par sa fonction propre, entraîne, à partir d’Archiloque et d ’Alcée, et jusqu’à Pin- dare et Bacchylide, un bouleversement complet dans l’esthétique de la poésie : alors que chez Homère les particules de comparaison isolent la comparaison du récit proprement dit, la métaphore ly­rique, elle, abolit toute séparation entre la sphère réelle et la sphère imagée ; et ainsi, la confusion de la réalité et de l’image, de l’objet et du symbole, du littéral et du figuré, devient une des constantes de l’esthétique lyrique®.

Or, ce travail de re-création opéré sur la matière léguée par l’épopée ne peut être mieux apprécié que chez celui des lyriques qui par la hauteur et l’originalité de ses conceptions a imposé au genre qu’il a traité une empreinte inoubliable, au point de finir par en être le symbole.

De la grande comparaison à la manière homérique Pindare fait peu d ’usage*. On peut citer celle de la coupe, au début de la VII® Olym­pique (v. 1-10) : φιάλαν ώς εϊ τις άφνε|ας άπο χειρδς έλών | ένδον άμπέλου κα­

ί . Pour le frg. 1 de Solon, voir p. 190, n. 9 ; pour VOde X III de Bacchylide, p. 305 ss.

2. A. Croiset, L a poésie de Pindare et les lois du lyrisme grec (Paris, 1880), p. 395. Voir aussi C. M. Bowra, P indar (Oxford, 1964), p. 239.

3. Voir à ce propos les remarques de H. Disep, p. 16, 27. W. Elliger, p. 30, 111.

4. Voir L. Manuwald, Qua ratione P indarus imagines usurpaverit (Diss. Hei­delberg, 1920), p. 28 ss. K. D ietel, p. 119 ; H . Disep, p. 42, 54. C’est en général au début de l ’ode que l ’image (comparaison ou métaphore) a chez Pindare le plus d’ampleur ; voir à ce propos L. Manuwald, p. 69 ss. K. D ietel, loc. cit.

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χλάζοισαν δρόσω | δωρήβεται | vzmict. γαμβρφ προπί]νων οϊκοθεν οϊκαδε, πάγ| χρυσον, κορυφάν κτεάνων, | συμποσίου τε χάριν κά| δός τε τιμάσαις έόν, έν 8è φίλων | παρεόντων θήκέ vtv ζα| λωτόν όμόφρονος εόνάς · | καΐ εγώ νέκταρ χυτόν, Mot| σαν δόσιν, άεθλοφόροις | άνδράσιν πέμπων, γλυκύν καρπόν φρενός, | ίλάσκομαι,, | Όλuμπίqf Πυθοΐ τε νι|κώντεσσιν ; et, dans la X® Olympique, celle de l’enfant relève du même type (v. 85-94) : άλλ’ ώτε παϊς έξ άλόχου πατρί | ποθεινός ϊκοντι νεότα|τος το πάλι,ν ήδη, μάλα 8έ οΐ | θερμαίνει φιλότατι νόον · | έπεί πλούτος ό λαχών ποιμένα | έπακτόν άλλότριον | θνάσκοντι στυγερώτατος · | καΐ δταν καλά ίρξαις άοιδδς ατερ, | *Αγησίδαμ’, είς Ά ΐδα σταθμόν | άνήρ ϊκηται, κενεά 7τνεύ|σαις ^ ορ ε μόχθφ βραχύ

τι τερ[τινόν.

Encore peut-on mesurer toute la distance qui dans le détail comme dans la conception d’ensemble sépare ces comparaisons de la véri­table comparaison homérique^.

Plus nombreuses sont les comparaisons brèves introduites paj un simple ώς, ώσττερ, ώς δτε, ώτε, κατά, etc...^ : ainsi Pyth. II 80 φελλός ώς,I 91 ώσπερ κυβερνάτας άνήρ, XI 40 ώς δτ’ όίκατον έναλίαν J Νέτη. VII 62 δδατος ώτε ροάς ; Pyth. II 68 κατά Φοίνισσαν έμπολάν En fait, la particule de comparaison n ’y a rien d’indispensable, et l’on a affaire ici à ce que G. M. Bowra appelle une « extended m e ta p h o r».

Car l’image royale chez Pindare est bien la métaphore®; il ne- saurait être question ici d’en faire une étude complète, mais seule­ment de suggérer brièvement ses caractéristiques formelles, sous réserve d ’y revenir plus longuement dans le courant de cet ouvrage.

Le cas le plus rare est celui de la métaphore longuement filée, comme celle des mules de Phintis dans la Vie Olympique (v. 22-28) :ώ Φίντις, άλλά ζεϋξον ·ΐί|δη μοι σθένος ήμιόνων, | Si. τάχος, δφρα κελεύθφ τ’ έν καθαρά | βάσομεν δκχον, ϊκωμαί τε πρός άνδρών ) καΐ γέΜος · κεϊναι γάρ έξ άλ-| λάν οδόν άγεμονεϋσαι | ταύταν έπίστανται, στεφάνους έν Όλυμπίς: | έπε'ι δέξαντο · χρή τοίνυν πύλας ΰ|μνων άναπιτνάμεν αύταϊς · | πρός Πιτάναν δε παρ’ Εύρώ]τα πόρον δεϊ σάμερον έλθεϊν έν ώρη:®, OU C elle d e l ’a r c e t d e s f lè c h e s d a n s l a

IX® Olympique (v. 5-12) : άλλα vüv έκαταβόλων I Μοισάν άπό τόξων | Δία τε φοινικοστερόπαν | σεμνόν τ’ έπίνειμαι | άκρωτήριον "Αλιδος | τοιοϊσδε βέλεσσιν, | τό δή ποτε Λυδός ήρως Πέλοψ ( έξάρατο κάλλιστον έ|δνον Ίπποδαμείας · | πτερόεντα δ’

1. Voir R . Nierhaus, Strophe und Inhalt im pindarischen E pin ikion (Berlin, 1936), p. 28, 36, p. 99, n. 67.

2. Voir Ή. Disep, p. 45.3. Tous ces exem ples seront com m entés en détail par la suite.4. C. M. Bowra, Pindar, p. 240.5. Voir A. Croisât, p. 395. L. Manuwald, p. 6, 8 ss. F . Dornseiiï, P indars S til

(Berlin, 1921), p. 44, 97. H. Mâhler, D ie Auffassung des Dichterberufs im frühen Griechentum bis zur Zeit P indars (Diss. Hamburg, 1961), p. 90, n. 3.

6. Pour ce passage, voir aussi p. 26, 56, n. 1.

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ï z i γλυκύν | Πυθώνάδ’ ό ϊσ τό ν · οΰ|τοί χ α μ α ιπ ε τ έ ω ν λόγων έφάψεαι κ-τλ^.On conçoit que Pindare n ’ait guère cultivé ce procédé, étranger,

comme la grande comparaison, au genre du lyrisme et plus parti­culièrement à, son tempérament d’artiste, qui préfère, pour traduire le monde en visions rapides, fulgurantes, l’emploi de métaphores brèves, empruntées à des domaiaes très divers et qui se succèdent sans transition ou se mêlent.

Au premier genre appartiennent les v. 14-15 de la V ille Isthmique, où le temps est représenté par la pierre de Tantale, puis par le vent : δόλιος γάρ αί|ών έπ’ άνδράσι κ ρ έμ α τ α ι, | έλ ίσ σ ω ν βίου πόρον ; dans laly e Pythique, deux métaphores, empruntées l’une à, l’eau, l’autre à l’architecture, évoquent les paroles de Jason, v. 136-137 : πραδνδ’ Ίάσων | μαλθακά φων^ ττοτιστάζω ν οαρον | βάλλετο κ ρ η π ίδ α σοφών επέων ;

dans la VI® Olympique, toute une succession de métaphores, d’une grande variété, traduit les réalités du métier de poète : métaphores de l’eau et du tissage aux V. 86-87 : τάς έράτεινον (5δωρ | π ίο μ α ι, I άν- δράσιν οάχμαχοΰσι π λέκ ω ν | ποίκιλαν ΰμνον®; de la pierre à aiguiser, du courant et du souffle aux V. 82-83 : δόξαν &χω τιν’ ίπΐ γλώσ|σ(ί άκόνας λιγυρας, | & μ’ έθέλοντα προσέρπει | κ α λ λ ίρ ό ο ισ ι π ν ο α ϊς ^ ; du messager, de la scytale et du cratère aux v. 91-92 : éeai γάρ | ά γ γ ε λ ο ς ορθος, ήϋκό- μων σ κ υτάλα Μοι|σάν, γλυκύς κ ρα τή ρ άγαφθέγκτων άοιδαν®; οη rencontre parfois une succession encore plus complexe, comme dans la IX® Olym­pique, où la quadruple image de l’embrasement, du cheval, du navire et du jardin des Charités exprime les pouvoirs souverains de la poésie v. 21-26 : έγώ δέ τοι. φίλαν πόλιν I μαλεραϊς έπ ιφ λ έγ ω ν άοιδαϊς, | καΐ άγάνορος ϊπ π ο υ | θδίσσον καί να ός ύποτττέρου τταντα | άγγελίαν πέμψω ταύταν, | εί σύν τινι μοιριδίφ παλάμο: | έξαίρετον Χαρίτων νέμομαι κδίπον®.

Mais, si dans tous ces exemples, qu’on pourrait multiplier à l’in­fini, le passage s’opère sans transition d’une métaphore à l’autre, il est des cas où dans un même groupe de mots les métaphores se

1. Voir aussi 01. II (v. 91-100). A. L. Keith, Sim ile and metaphor in greek poetry from Homer to Aeschylus (Diss. Chicago, 1914), note (p. 81) que ces m éta­phores soutenues prennent la dimension de l ’allégorie ; cela est particulièrement frappant pour l’exem ple de la VI® Olympique.

2. Ce passage est étudié p. 192 ss. ; pour des successions de métaphores dont l ’une seulem ent est maritime, vo ir Pyth. IV 272-274 (p. 113 ss.), X 51-54 (p. 326), X I 38-40 (p. 33, 184).

3. Sur l ’image de l ’eau, voir p. 234 ss.4. Sur l’image du courant, voir p. 236 ss. ; pour celle du souffle, p. 179 ss.5. Sur l ’image du cratère, voir p. 235.6. Sur ces quatre métaphores successives, voir respectivem ent p. 99, n. 3,

p. 24, 154, p. 38, n. 4.

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mêlent et se confondent : ainsi l’ode est une « pierre qui parle » : Ném.V III 46-47 : λάβρον | ύπερεΐσαι λίθον Μοι]σαϊον; la jeunesse une « fleur qui bouillonne » : Pyth. IV 158 : όίνθοςήβας όίρη κυμαίνει^; on trouve également mêlées les images de la route et du Vent : Ném. II 6 : καθ’ όδόν... εώθυπομπός αίών ; du miel et du calme sur mer : 01. I 97 : με- λίτόεσσαν εύδίαν®; du miel et des flèches : Isthm. II 3 : έτ6ξευ|ον μελιγάρυας ΰμνους*, etc.

La question est de celles qui ont divisé les commentateurs de Pindare ; aux yeux de certains, il n ’y a pas lieu de voir chez le poète autre chose qu’une succession rapide de métaphore à métaphore ® ; les autres estiment plus exactement que dans bien des cas les méta­phores se mêlent véritablement, ce qui représente un pas de plus dans la voie de la brièveté et de la concision®. Ces procédés sont bien caractéristiques de Pindare, dont l’exubérance d’imagination tend à un langage fortement métaphorique ; que les métaphores se suivent ou se mêlent, il s’agit pour le poète de présenter un objet (ou une action) en le plaçant sous des éclairages différents®, et le fait que ce phénomène apparaisse plus fréquemment dans les odes de la maturité et de la vieillesse semble bien indiquer qu’au cours de son évolution poétique Pindare s’intéresse moins à la valeur for­melle des mots, à, l’image qu’ils évoquent, qu’à l’idée contenue en eux : l’image, de plus en plus, n ’est qu’un moyen propre à, définir l’essence même de l’objet®. D’autre part, dans la mesure où l’image

1. Voir p. 248.2. Voir p. 187 s.3. Voir p. 298 et 299, n. 1.4. Voir p. 23. Sur l ’ensemble particulièrement com plexe de Isthm. V II 17-19,

voir p. 238 s.5. Ainsi W. B. Stanford, Greek metaphor, p. 33 ss. G. Norwood, P indar (Ber-

keley-Los Angeles, 1945), p. 97. W. Schadewaldt, Der A ufbau des pindarischen Epinikion (Halle, 1928), p . 301 ss.

6. Ainsi H. Schultz, De elocutionis pindaricae colore epico (Diss. Gottingen, 1905), p. 57 ss. H. Buss, De Bacchylide Hom eri imitatore (Diss. Giessen, 1913), p. 38 s. A. L. K eith, p. 80. F. Dornseiiï, Pindars Stil, p. 66. T. H oey, Fusion in P indar (Harv. Stud, in Class. Phil. 70, 1965), p. 243, 247.

7. Voir W. B. Stanford, Greek metaphor, p. 33. F. Dornseilï, P indars Stil, loo. cit.

8. Voir à ce propos L. Manuwald, p. 8 ss. W . B. Stanford [Greek metaphor, p. 34) parle à ce propos de « kaleidoscopic effect» ; de même, à propos des m éta­phores qui se succèdent, A. L. K eith, loc. cit. : « This rapid transition did not arise from confusion of thought hut rather from the kaleidoscopic nature o f P indar’s mind. »

9. Voir F. Dornseiff, Pindars Stil, p. 67 s. W. Theiler, D ie zivei Zcitstufen im P indars S til und Verse (Schrift. d. Konigs. gel. Gesellsch. 4, Halle, 1941), p. 261. U n tel procédé est d’autant pms admissible que I’une des métaphores a pu se

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est empruntée à l’univers sensible, le mélange des métaphores n ’a pas seulement une importance esthétique, mais philosophique et religieuse, car il correspond à la vision d’un monde aux éléments constamment mêlés —· ainsi le divin et l’humain — ou en perpé­tuelle transformation’·.

L e s im a g e s m a r i t i m e s

Les odes de Pindare constituent une si inépuisable réserve d’images qu’il ne pouvait être question d’en entreprendre une étude exhaus­tive : il nous a paru préférable, pour donner aux textes le commen­taire qu’ils méritaient, de choisir dans ce vaste ensemble un domaine bien précis, propre à éclairer de la façon la plus suggestive l’art et la pensée du poète. Or, à la réflexion, aucun ne nous a semblé plus significatif que celui des images maritimes.

Dans un pays en contact aussi étroit avec la mer, chez un peuple en conséquence aussi averti de toutes ses réalités — qu’il s’agisse de la pratique de la voile, du commerce, de la pêche ou de l’expé­rience des vents et des tempêtes — il était impossible que cette in­timité de la terre et de l’eau, de l’homme et de la nature, n ’ait pas de répercussions sur la langue même ; aussi n ’est-il pas étonnant que le Grec présente, en particulier dans sa poésie, un très riche Vocabulaire maritime utilisé à des fins symboliques : si les images empruntées à la nature servent en général à syrnboliser les destinées humaines^, celles de la mer répondent plus particulièrement à une expérience commune et sont enracinées dans la langue de tous les jours ®.

Pindare ne fait pas exception : même si par ses origines ce n ’est pas un homme de mer, même si ses voyages ne lui ont en définitive appris que peu de choses sur ses humeurs et ses colères, il n ’en a pas moins reçu en héritage tout un vocabulaire maritime qui lui est apparu apte à exprimer certaines réalités esthétiques, morales, poli­tiques ou religieuses. En outre, s’il n ’est pas marin lui-même, il

décolorer ; il y a donc dans cette succession de métaphores moins de hardiesse qp’il n ’y paraît à première vue ; voir A. L. Keith, p. 79 s. L. Manuwald, loc. cit. E. Thummer, Pindar. D ie Isthmischen Gedichte (Heidelberg, 1968-1969), II, p. 131.

1. Voir à ce propos T. Hoey, p. 237 ss.2. Voir sur ce point S. G. Rieger, Die Bildersprache des Sophokles (Diss. Bres­

lau, 1934), p. 138.3. Voir H . Mielke, D ie Bildersprache des Aischylos (Diss. Breslau, 1934), p. 78.

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écrit souvent pour des citoyens d’Égine, de Rhodes ou de Corinthe, grands armateurs et navigateurs avisés, pour lesquels aucune idée n ’était plus facile à concevoir que si elle s’exprimait par le biais d’une image empruntée au domaine qu’ils connaissaient le mieux Pour ces raisons, la poésie de Pindare apparaît particulièrement riche en images maritimes : « Seeluft weht überhaupt », dit F. Dornseiff^.

Mais sous quel aspect y apparaît la mer? Élément capricieux et instable, tan tô t amical, tan tô t hostile, elle se prête par ses change­ments même à une grande diversité de symboles^; toutefois, c’est à, ses emportements et à ses fureurs que les Grecs ont été le plus sensibles, et à travers toute la littérature, dans les genres les plus divers, l’accent est mis sur les dangers qu’elle recèle et la peur qu’elle inspire*. Ainsi Homère, Od. VIII 138-139 : ού γάρ έγώ γέ τί φημι κα- κώτερον όίλλο θαλάσσης | όίνδρα γε συγχεϋαι. Hésiode, Travaux 687 : δεινόν 8’ έστί θανεϊν μετά κύμασιν. Antiphane, frg. 100 a Ε, 1 : δύστηνος δστις ζη θαλάττιον βίον. frg. 101 Ε : έν γη πένεσθαι κρεϊττον ή πλουτοϋντα πλεϊν. Platon, Gorg. 467 D : χίς γάρ βούλεται πλεϊν τε καΐ κινδυνεύειν καΐ πράγματ’ χει,ν ; Démosthène XXXVII, 54 πλέων καΐ κινδυνεύων, etc.

Ce sentiment de peur éprouvé par les Grecs devant la mer a tou t naturellement connu des répercussions dans le domaine du langage figuré, où les images de la vague, des vents changeants ou contraires, de la tempête, du naufrage, sont beaucoup plus fréquentes que celles du calme ou du vent favorable. La remarque vaut pour Pindare qui, comme le dit M. Yourcenar, a toujours aimé « les images tirées des écueils, des courants, des innombrables périls de la navigation entre les îles de VArchipel^ »; et A. L. Keith, de la même façon, re­marque que chez lui « the qualities of the sea employed are those suggesting its terror and the great obstacles to be overcome in traversing it^ ». Mais

1. Voir à propos du début de la IV® Pythique (p. 181) les remarques deB. L. Gildersleeve, Pindar. The O lym pian and Pythian Odes (New York, 1890), p. 282 ; à propos des odes adressées aux Ëginètes, de J. B. Bury, The Nemean Odes of P indar (London, 1890), p. 81 ; e t plus généralement, de G. KuMmann, De poetae et poem atis Graecorum appellationibus (Diss. Marburg, 1906), p. 21.

2. F. Dornseiiî, Pindars Stil, p. 65 ; voir aussi O. Goram, P indari transla- tiones et imagines (Philologus 14, 1859), p. 268. J. Kahlmeyer, p. 15. Assez cu­rieusement, U. von Wilamowitz-Mollendorf, dans son Pindaros (Berlin, 1922), juge ses images maritimes fort rares ; p . 12 : « in seiner Sprache fehlen die M eta- phern und Bilder aus dem Leben des Meeres und der Schiffahrt fast gànzlich ».

3. Voir J. Kahlmeyer, p . 16. W. C. Greene, The sea in the greek poets (North Amer. R ev. 1914, 2), p. 427 ss. 433 ss.

4. Voir H. Knorringa, Emporos. D ata on trade and trader in greek literature from Homer to Aristotle (Diss. Utrecht, 1926), p. 32 ss.

5. M. Yourcenar, Pindare (Paris, 1931), p. 264.6. A. L. Keith, p. 97.

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elle s’impose également pour la tragédie, et c’est en cela qu’il nous a paru impossible d’étudier les images maritimes chez Pindare sans des références constantes aux trois tragiques.

Pindare célèbre des triomphes, alors que la tragédie pressent ou déplore des désastres ; toutefois, plus encore que cette différence, pourtant fondamentale, ce sont les identités qui frappent quand on compare les deux groupes d ’œuvres. Ressemblances formelles en premier lieu : tout comme le lyrisme, la tragédie s’accommode mal de la comparaison, surtout de type h o m é riq u esu r laquelle la méta­phore a l’avantage de la rapidité et de l’intensité ; quand excep­tionnellement ce type de comparaison s’y rencontre, c’est en général dans les parties lyriques ce qui est naturel, puisqu’il y a en somme contradiction entre la comparaison, qui est statique, et le dialogue, qui est dynamique, orienté vers un but, et où le mot est surbordonné à l’action*. Ressemblances aussi dans les conceptions politiques, philosophiques ou religieuses, dans la vision d ’une existence sous la dépendance des dieux, dominée par des crises et des combats, d’un monde en perpétuelle évolution, où le sentiment du bonheur présent ne parvient pas à dissiper l’angoisse d’un futur incer­tain.

Cette étude se propose donc en définitive pour but un examen attentif des images maritimes de Pindare, dans les odes triomphales comme dans les fragments, en double liaison d’une part avec l’épopée et les lyriques antérieurs au v® siècle —■ cette analyse de l’évolution chronologique des images étant le seul moyen propre à mettre en lumière l’originalité du poète dans sa façon de renouveler la matière qui lui a été léguée —■ d’autre part, avec les écrivains de son siècle, qu’il s’agisse des lyriques comme Simonide et Bacchylide ou des trois tragiques — ces rapprochements visant à replacer Pindare dans son époque et à souligner les ressemblances qui, dans le do-

1. Voir, à propos de Sophocle, les remarques de S. G. Rieger, p. 136 ss., et de F. R . Earp, The style o f Sophocles (Cambridge, 1944), p. 96, et, plus généra­lem ent à propos de la tragédie, celles de W . Hôrmann, Gleichnis und Metapher in der griechischen Tragodie (Diss. München, 1934), p. 3 ss.

2. Voir à ce propos R. F. Goheen, The imagery of Sophocles' Antigone (Prin­ceton, 1951), p. 110.

3. Ainsi Soph., Traeh. 112-119. A nt. 582-593. Oed. Col. 1240-1248. Eur., Or. 340- 345 ; mais il figure aussi parfois dans le dialogue : Eur., Tro. 688-696. Héracl. 427- 432. C’est là une survivance archaïque (voir W . Hôrmann, p. 15 ss. H. Frânkel, D ie homerischen Gleichnisse, p. 4) ; toutefois, l ’étude de ces passages permettra d ’apercevoir combien ils s ’éloignent de la comparaison homérique (voir p. 265 ss.).

4. Voir W. Hôrmann, p. 3 ss.

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maine des procédés d ’expression comme dans celui de la conception de l’homme et de l’existence, l’unissent à ses contemporaias Si limité qu’il paraisse au départ, un tel sujet n ’en rayonne pas moins dans un grand nombre de directions — tan t l ’emploi des images chez Piadare est riche et complexe — et touche à des domaines qui tous contribuent à la connaissance de divers aspects du poète : sur un plan purement « technique », il permet d’apprécier l’utilisation et l’ordonnance des mots, la succession des idées, le rapport de l’image et de l’objet, et donc le fonctionnement même de la pensée du lyrique ; à l’intérieur d ’une ode donnée, la place des images et, en conséquence, la structure du poème et la façon dont le mythe s’y insère ; sur un plan esthétique, la conception que se fait le poète de la création littéraire et du rôle qui lui échoit en propre ; enfin, plus généralement, les idées qui sont les siennes concernant le gou­vernement des cités, le rôle prééminent du destin et des dieux — bref, la place qui selon lui revient à l’homme dans l’univers.

1. On se référera égalem ent à la comédie, notam m ent à Aristophane ; mais chez ce dernier le processus de création des images est si particulier que pouj l ’unité de cet ouvrage on a préféré ne retenir que celles où il reprend ou parodie les élém ents hérités du lyrisme et de la tragédie.

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PREMIÈRE PARTIE

LE NAVIRE

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L’image du voyage sur mer est à, I’origine de toutes les autres images maritimes ; car, si Γοη conçoit la vie comme un voyage, tous les autres détails métaphoriques s’ordonïient logiquemeïit selon une perspective d’ensemble : l’adversité peut être représentée par le vent contraire, le malheur par la Vague ou la tempête, la sérénité par le calme plat, la fin des épreuves ou de la vie elle-même par l’ar­rivée à, la côte ou au port^.

Cette image est relativement tardive en grec, en tout cas très postérieure à Homère^ : en fait, dans l’état actuel de ïios oonnais- simces, elle semble bieïi être de l’invention de Pindare, qui lui a donïié uïi développement et un éclat singuliers. Or, une telle image peut apparaître sous deux aspects fort différents, et complémen­taires : elle peut être suggérée soit grâce au vocabulaire concernant les diverses parties du navire et la vie de l’équipage, soit par les termes qui ont tra it à la nature, et aux grandes forces des vents et des vagues ; autrement dit : servent à l’évoquer ou bien les élé­ments sur lesquels l’homme a prise, et qu’il gouverne (aviroïi, voile, aïicre, gouvernail, etc...), ou ceux qui, au contraire, gouvernent l’honxme, et contre lesquels il ne peut rien.

L’objet de cette première partie correspond au premier domaine délimité ci-dessus, étant entendu que la distinction entre les deux est loin d ’être toujours établie dans les textes : aussi trouvera-t-on dans cette partie de brèves incursions dans le domaine de la nature ; on n ’a pas cru, de fait, pouvoir dissocier, dans la VI® Olympique, l’image de l’ancre de celle de la nuit de tempête (v. 101)®, comme dans la IV® Néméenne (v. 36-38) et la II® Pythiqne (v. 79-80), les images du débarquement et du filet de celle de la mer*.

L’ensemble est donc constitué d’une série de chapitres où les termes sont essentiellement analysés pour leur rapport avec la no-

1. Sur ce thème, voir C. Bonner, Desired haven [Harv. Theol. Rev., 34, 1941), p. 49 s. Cette conception de la vie à l ’image d’un voyage sur mer est constante en ^ e c ; l ’image évoquée, dans le frg. 568 (lyr.) de Sophocle, par le v . 4, βίου βραχύν Ισθμόν, est unique, où la vie apparaît comme une étroite bande de terre entre les deux abîmes de l ’éternité.

2. Voir H. Frânkel, D ie homerischen Gleichnisse, p. 113.3. Voir p. 62 ss.4. Voir respectivem ent p. 92 ss. e t 158 ss.

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tion de mouvement : ainsi sont évoquées successivement l’image du navire, celle du matelot qui s’embarque, manœuvre l’aviron, la voile, jette l’ancre — et ce dans le cadre géographiquement défini de la Méditerranée, symbole du monde connu pour les Grecs de l’époque : images du pays des Hyperboréens, des colonnes d’Hé- raklès, du Phase et du Nil —■ celle de l’homme enfin qui touche terre au terme de sa traversée^. L’usage métaphorique des termes techniques vaut, selon le contexte, sur le plan purement « profes­sionnel » (ce qui constitue la plus grande originalité de Pindare) ou sur le plan de considérations plus vastes sur l’existence humaine dans son ensemble^ : ce « passager », c’est tan tô t le poète lui-même, tantôt le destinataire de l’ode, tantôt, plus généralement, l’homme. L’image du pilote et du gouvernail, liée elle aussi à, la notion de mouvement, nous a paru mériter ensuite, en raison de son ampleur, des développements particuliers. Enfin ont été groupées un certain nombre d’images nautiques isolées, qui présentent cette particularité d’être relativement statiques : image du fond de cale, de la cargai­son du liège et du filet.

Mais l’image du voyage sur mer ne représente pas un domaine isolé daüs l’œuvre de Pindare ; elle se rattache au contraire, sur le plan esthétique, à, une conception d’ensemble de la poésie dont elle ne constitue qu’une manifestation parmi d’autres. On ne peut donc se faire uïie idée exacte de son importance qu’en se livrant à, une étude préliminaire des différentes images où se reflète cette concep­tion.

1. Sur ces divers aspects, voir G. Lieberg, Seefahrt und Werk. Untersuchungen zu einer Metapher der antiken, besonders der lateinischen Literatur [Giorn. Ital. d. F ilo l, 21, 1969), p. 211. A propos de cette dernière image, précisons que κατα- βαίνειν, dans Ném. IV 38, n ’est pas sur le même plan que άναβαίνειν, έπιβαίνει,ν ou έμβαίνειν dans Pyth. II 62, Ném. III 20 et X I 44 : alors que ces derniers suggèrent l’image d’un passager qui embarque à bord d’un navire (p. 39 ss.), καταβαίνειν impose celle d’un nageur qui sort de l ’eau (p. 95 ss.).

2. Sur cette double fonction de la métaphore, voir M. Bernhard, P indars Denken in Bildern : Vom Wesen der Metapher (Diss. Tubingen, 1956), p. 6 ; G. Sou- tar, Nature in Greek poetry (London, 1939), p. 96.

3. Cette dernière est liée chez Pindare au thèm e du voyage ; il n ’en reste pas moins qu’en eux-mêmes des termes comme έμπολή, φόρτος, e tc ..., désignent des éléments inertes à bord du navire.

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AVANT-PROPOS

- P o é s i e e t m o u v e m e n t ; l ’i m a g e d u v o y a g e

Pour Pindare, la poésie est avant tout mouvement ; ses odes, comme il le dit dans la II® Isthmique, il ne les a pas faites pour qu’elles restent en place : V. 45 : έπεί τοι | ούκ έλινύσοντας αυτούς έργασάμαν^. Cette conception d’un poème que l’inspiration anime et meut irré­sistiblement se traduit par des images d ’une cohérence et d ’une iasistance exceptionnelles : image du javelot que lance le poète avec le double souci de dépasser ses rivaux et de ne pas excéder les limites permises {01. X III 93-95. Pyth. I 43-45. Ném. VII 70-72,IX 55. Isthm. II 35), image des flèches qu’il doit décocher droit au but {01. I 112, II 91-100, IX 5-123. Ném. I 19, VI 26-27^ Isthm.V 46-47) ; parfois même ce ne sont pas les poèmes, mais les cou­ronnes du vainqueur qui sont comparées à des traits {Pyth. VIII 57, XI 14) : nulle idée d ’hostilité dans ces métaphores, seulement celle d’un élan irrésistible. Il en va de même pour l’image du vol : le poète vole {Ném. VII 76) ; l’hymne est ailé {Isthm. V 63 : πτερόεντα) ; le vainqueur est porté par les ailes de ses exploits {Pyth. V III 90)® ou des Piérides {Isthm. I 64-65). L’étendue de ces vols est quelquefois définie : ainsi, les témoignages rendus par le poète volent parmi les hommes {Isthm. IV 9)®, et la gloire qu’ils dispensent se répand sur terre et sur mer {Ném. VI 48-49 : πέτεται 8’ επί τε χθόνα καΐ θαλάσσας τηλόθεν | ονυμ’ αύτών ; Isthm. IV 41-42 : έπΙ χθόνα καΐ διά πόντον βέβακεν | έργμάτων άκτίς καλών évocation qui figure également dans la IX® Olym-

1. Voir aussi Ném. V 1-4 (p. 153 ss.).2. Sur les images dont se sert en général Pindare pour caractériser son art,

on lira notam m ent A. L. Keith, p. 83 ss. ; K. Svoboda, Les idées de Pindare sur la poésie [Aegyptus, 32, 1952), p. 109 s.

3. Voir p. 12 s.4. Voir p. 181.5. Voir aussi Pyth. V III 34, V 114.6. Voir p. 199.7. Voir p. 245 s.8. Voir p. 74, p. 199, n. 1. Voir aussi Théogn., v . 237-239 : σοΙ μέν έγώ πτέρ’

έδωκα, σύν οΐς έπ άπείρονα πόντον | πωτήσγ] καΐ γην πάσαν άειρόμενος | ρτ)δίως. La mer apparaît également dans l ’évocation du vol de l ’aigle {Ném. V 21 : καΐ πέραν πόντοιο πάλλοντ’ αίετοί. Voir p. 156), lui aussi sym bole d ’élan [Pyth, II 50, V 111,

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pique avec le double détail plus précis du cheval et du navire (v. 23-24 : καΐ άγάνορος ίππου | θαΛσον καΐ ναός ύποτττέρου)

Mais l’image la plus fréquente, et qui conduit directement à celle du voyage sur mer — tant par la communauté de traits qui les unit que par la façon dont Pindare les associe —· est celle du chemin, du voyage sur terre, avec son complément, l’image du char des Muses On ne peut ici aiHrm,er l’originalité du poète : il hérite en fait d’im symbole que non seulement ses devanciers ont connu, mais qui appartient en commun au vieux fonds des langues indo- européennes et se retrouve notamment dans la langue védicpie^. Dans ce domaine primitif, c’est peut-être dans les voyages des poètes —■ chamans par exemple — qu’il faut chercher l’origine de cette identification entre le voyage et le chant ; mais à cette explication purement géographique de l’image doit s’en ajouter une autre, in­tellectuelle celle-là, qui suppose que la genèse de l’œuvre s’accomplit comme un cheminement, d ’un point de départ à, un point d’arrivée : cette conception de la création littéraire conduirait alors à reconsi­dérer la signification de certains termes tels que προ- οίμιον, qui serait autre chose que πρό- λογος, et désignerait la partie du poème précédant le « Voyage » proprement dit, οΐμος [Hymn. horn. IV 451 : ol- μος άοιδής®. Pirld., 01. IX 46 ; έπέων... οίμον. Pyth. IV 248 : καί τινα | οΐμον ϊβαμι βραχύν) ®.

Chez Pindare, l’image a des emplois d’une richesse et d’une com-

JVém. III 80-82) ; pour l ’image du vol de l ’abeille (P ÿtk X 53-54, X I 41-45), voir Appendice, p. 326 s.

1. Pour l ’ensemble du passage (v. 21-26), voir p. 13.2. Sur l ’image du chemin, l ’ouvrage essentiel est celui de O. Becker, B as B ild

des Weges und verivandte Vorstellungen in frühgriechischen Denken [Hermes E in- zelschriften, 4 ,1937 , p. 1-323), qui sera m aintes fois cité pa,r la suite. Sur les images du chemin et du char des Muses chez Pindare, voir G. Kuhlmann, p . 24 ss. ;O. Goram, p. 175 ss., p. 481 ss. ; G. M. Bowra, Pindar, p. 252 ss., e t aussi A. L. Keith, p. 99. ; P. Dornseiff, Pindars Stil, p. 58. Toutes deux sont égalem ent fam i­lières à Bacchylide ; voir pour la première Odes V 31-33 (p. 73, n. 5). IX 47-48, X 51-52 (p. 48). Dithyrambe X IX 1-2 ; e t pour la seconde Odes V 176-178 (p. 48), X 51-52 (p. 48) ; voir à ce propos E. D. Townsend, Baeehylides and lyric style (Diss. Bryn Mawr, 1956), p. 134 ss. ; une im itation de Pindare par Bacchylide paraît d’ailleurs probable : voir W. K. Prentice, De Bacchylide P indari artis socio et imitatore (Diss. Halle, 1900), p. 21 ss.

3. Voir à ce propos M. Durante, Epea pteroenta. L a parola corne « cammino » in im magini greche e vediche (Rendic. d. class, de Scienze mor,, stor. e filol. d. accad. d. Lincei, 13, 1958), p. 3 ss., et, pour une étude plus générale des rap­ports entre le langage imagé des deux langues, W . W üst, Dichtersprachliche Zusammenhànge zivischen Veda und Pindar, Festschrift F. Altheim, Berlin, 1969, p. 24 ss.

4. Voir K. Meuli, Scythica [Hermes, 70, 1936), p. 172 s.5. Voir aussi Od. V III 73-479, 481.6. Voir p. 25 s.

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plexité particulières : si le « 'Voyage » a parfois pour point de départ le vainqueur ou sa vüle, parce qu’ils inspirent au poète le désir de les célébrer (Ném. I 5 : σέθεν άδυεπής | ΰμνος όρμδίται) OU que la gloire qui en résulte pour eux porte au loin leur nom, {01. III 10 : [Πίσα] τδς &πο I θεόμοροι νίσοντ’ επ’ άνθρώπους άοιδαί) , le nxouvement inverse est plus fréquent, qui caractérise l’élan portant le poète à célébrer le vainqueur (01. IX 46 ; γειρ’ έπέων σφιν οΐμον λιγύν ; Pyth. VII 14 ; άγονη 8έ με πέντε μεν Ί<ίθ|μοϊ νϊκαΐ κτλ.)^ et, de façon plus profonde, le processus de créatioïi poétique, où il a pour guide les dieux, la Muse et sa propre σοφία ® : il y met surtout l’accent sur la facilité qu’il a de glorifier l’athlète victorieux {Isthm. II 33-34 : ού γάρπάγος, oûSè προσάν|της ά κέλευθος γίνεται, | ζΐ τις ενδόξων ές άν|δρών όίγοι. τιμάς Έλικωνιάδων) OU sa p a tr ie {Ném. VII 51 : όδόν κυρίαν λόγων), su r la d iv e r s ité d es V oies q u i s ’o iîr e n t à lu i {Ném. VI 45-46 : πλατεϊαι | πάντοθεν λογίοισίν έντί πρόσοδοι | νασον εύκλεα τάνδε κοσ| μεϊν ; Isthm. IV 1 : έβτι μοι θεών 2κατι | μυρία παντ^ κέλευθος)* OU q u e p e u v e n t SU ivre les h o m m e s se lo n leu r g é n ie p ro p re {01. IX 105-106 : έντί γάρ &λλαι | όδών όδοί περαίτεραι, μία δ’ ούχ όίπαντας όίμμε θρέψει μελέτα ; Ném. I 25-26 : τέχ- ναι δ’ έτέρων 2τεραι · | χρή δ’ έν εύθείαις όδοϊς στεί|χοντα μάρνασθαι φυα), sursa résolution enfin de trouver des voies nouvelles {01. I 111 : έπί- κουρον ευρών όδον λόγων) qui permettent de le distinguer de ses devan­ciers® : ainsi, dans Péan VII b (frg. 52 h SN), s’affirme la volonté de ne pas emprunter la route ouverte par Homère (v. 11 : Όμηρου [δέ μή τρι]πτ6ν κατ’ άμαξιτόν) et de trouVer Une Voie conforme à la pro­fondeur de son génie (v. 20 : βαθεϊαν... αοφίαζ όδόν)®. Mais le passage le plus riche d’enseignements est celui de la IV® Pythique, où le poète, conscient d’avoir consacré à, l’expédition des Argonautes des déve­loppements suffisants, juge le moment venu de prendre un « rac­courci » pour y mettre fin : v. 247-248 : μακρά μοι νεϊσθαι κατ’ άμαξιτόν ·

1. Voir aussi Isthm. V I 22-23 (p. 85) ; sur ce thèm e de la diffusion de la gloire traduit par l ’image du voyage sur mer {Ném. V 1-4), voir p. 153 ss.

2. De là la métaphore des portes qui s ’ouvrent devant lui dans 01. VI 27 : χρή τοίνυν πύλας ΰ|μνων άναπιτνάμεν αύταϊς (voir ρ. 12), et dans le II® Dithyrambe, V. 3-4 : διαπέπ[τ]α[νται δέ vüv ίροϊς] πύλαι κύ|κλοισι νέαι.

3. Voir à ce propos J. de Haes, Pindaros poetische praktijk in de Oden aan Hieron en de Kyreensche Liederen (Diss. Leuven, 1943), p. 116.

4. Ces deux passages sont commentés respectivem ent p. 244 ss. et p. 73 s., p. 198 s.

5. Voir P. A. Bernardini, Linguaggio e programma poetico in Pindaro [Quad. Urh. d. Cuit. Class., 4, 1967), p. 87 s. ; au contraire, dans Ném. VI 53-54 : καΐ | ταϋτα μέν παλαιότεροι | όδον άμαξιτόν εδρον · έπο|μαι δέ καΐ αυτός ϊχων μελέταν (voir ρ. 245), le poète su it le même chemin que ses prédécesseurs.

6. Voir H. Mâhler, p. 95 s. ; sur l ’emploi de βαθύς chez Pindare, voir p. 296 s. ; expression quasi semblable dans le IX® Péan, v . 4 : σοφίας όδόν ; la route désigne parfois aussi un mode particulier de chant (frg. 69 : Δωρίαν κέλευθον ΰμνων), ou même l ’absence de chant (frg. 58, 3 : σιγάς όδοί).

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ώρα I γάρ συνάτττει · καί τινα | οϊμον ϊσαμι βραχύν · πολ|λοϊσι 8’ άγημαι σοφίας έτέροις ; il y a là, une volonté de concision qui est l’une des constantes de l’esthétique de Pindare^, et l’image du chemin, qui la traduit ici, a de ce fait une fonction analogue à celle que remplissent sou­vent dans les odes les métaphores maritimes par lesquelles le lyrique rompt brutalement le cours d’tin récit mythique^.

L’image du char des Muses® exprime chez Pitidare des réalités du même ordre ; elle est en germe dès Hésiode {Travaux 659 : &)θα με τ6 πρώτον λίγυρής έπέβησαν άοιδής SC. Μοϋσαι) et Alcman (frg. 1 D, 92-93 : τφ τε γάρ σηραφόρφ | [αύ]τώς ε[πεται] μέγ’ [ιίίρμα]) ; elle figure également chez Ghoérilos (frg. 1 NK, 4-5 : ούδέ τοι έ'σται | πάντη παπ- ταίνοντα νεοζυγές άρμα πελάσβαι) ; Simonide quant à lui parle du char de la Victoire (frg. 79 D, 4 : εύδόξου Νίκης άγλαόν άρμ’ έπέβης)®; mais ce sont les présocratiques qui présentent à cet égard le plus de res­semblances avec Pindare, Empédocle (frg. 3 DK, 5 πέμπε παρ’ Ευσεβίης έλάουσ’ εύήνιον αρμα SC. Μοϋσα) et sTirtout Parménide, dont le célèbre prologue (frg. 1 DK, 1-5 : ίπποι χαί με φέρουβι,ν, δβον τ’ έπΙ θυμός ίκάνοι, | πέμπον, έπεί μ’ ές όδον βήσαν πολύφημον δγουσαί | δαίμονες, ή κατά πάντ’ άστη φέρει, είδότα φώτα · | τη φερόμην · τη γάρ με πολύφραστοι, φέρον ϊττποι | άρμα τι- ταίνουσαι, κοϋραι δ’ όδόν ήγεμόνευον) oiïre de si frappantes analogies avec les V. 22-28 de la VI® Olympique que l’on a pu se demander si les deux passages ne s’inspiraient pas d’une source conxmune ®. Chez Piri- dare, l’image est parfois à peine suggérée grâce à l’emploi d’un terme comme αμαξιτός (Pyth. IV 247. Ném. VI 54), άγειν {Pyth. VII 14, X 66. Isthm. II 34), έλδν (Isthm. V 38) ou ζευγνύναι·^ {Ném. I 8; Isthm.I 6, VII 19)®, mais le véhicule de son inspiration poétique apparaît le plus souvent en pleine lumière : άρμα Πιερίδων {Pyth. X 65), άρμα |

. 1. Voir p. 47, n. 6.2. Voir p. 46 ss. L’image du chemin revêt égalem ent chez Pindare une signi­

fication plus générale : chemin de la vertu {01. VI 73, Hyporch. IV 2-3), de la sagesse {01. V II 46, 91), de la justice {Pyth. V 14, Parth. II 68), de la sincérité {Ném. V III 36), de la vérité {Pyth. III 103), de la ruse {Pyth. II 85) ; chemin de la gloire {Pyth. V 116, V III 35, X 12, Ném. VI 15, Isthm. Y 2B) ; chemin de la vie {Pyth. IV 141, Ném. II 6, Isthm. IV 5, Péan VI 116-117, Éloge IV 6), où se fait sentir parfois l ’action des dieux {01. V III 14, Pyth. IX 45, 67-68).

3. Voir M. Durante, p. 10 s.4. Sur ce passage, voir p. 102.5. Voir à ce propos les remarques de U. von W ilamowitz-M ôllendorf, Sappho

und Simonides (Berlin, 1913), p. 138, n. 2.6. Voir sur cette question M. Durante, p. 11 ; C. M. Bowra, Problème in Greek

poetry (Oxford, 1953), p. 42 ; H. Frânkel, Wege und Formen frühgriechischen Denkens (München, 1955), p. 158 ; O. Falter, Der Dichter und sein Gott bei den Griechen und Rom.ern (Diss. Würzburg, 1934), p. 80.

7. Voir Pyth. II 12 : [δταν] καταζευγνύη | σθένος ϊττπιον ; X 65 : τόδ’ ^ζευξεν άρμα Πιερίδων τετράορον (voir ρ . 70).

8. Pour Isthm. V II 17-19, voir p. 238 s. Pour φέρειν suggérant l ’image du char, voir p. 35 s.

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Mowâ[v {Péan VII b, 13-14) ou Μοι]σαϊον (Isthm. VIII 62), Λύδιον άρμα (frg. 84), δίφρον Μοιβδν {01. IX 81 ; Isthm. II 2), ou encore δχημ’ άοιδδν {Éloge V 1). E t cette image, comme celle du chemin, sym­bolise l’élan tout puissant qui l’anime dans son œuvre créatrice : « der Wagen ist gleichsam auch ein Bild von dem inneren Aufschwung, der Begeisterung und Erhebnng des Dichters, seiner όρμή

Cet avant-propos, si peu de rapport qu’il ait à, première vue avec l’élément marin, nous a paru indispensable dans la mesure où il permet de dégager un certain nombre de caractéristiques qui toutes se retrouvent dans l’image du voyage sur mer.

A. —· Le poème, pour parvenir à son destinataire, doit parcourir un certain trajet ; de fait, les odes de Pindare s’adressent à des vain­queurs qui géographiquement se répartissent de façon très diverse dans le bassin méditerranéen : si la Xle Pythiqne, les III®, IV® et VII® Isthmiques sont écrites pour des compatriotes du poète thé- bain, si un certain nonabre d’autres ne sont pas destinées à, dépasser les frontières de la Grèce continentale (Acharnes : II® Néméenne ; Ar­gos : X® Néméenne ; Athènes : Vil® Pythique ; Gorinthe : XIII® Olym­pique ; Locres : X® et XI® Olympiques ; Oponte : IX® Olym­pique ; Orchomène : XIV® Olympique ; Pelitinée : X® Pythique), la plupart en revanche auront à traverser les mers pour parvenir à leurs destinataires qu’ils soient insulaires (d’Ëgiae : VIII® Olym­pique, VIII® Pythique, III®, IV®, V®, VI®, VII® et VIII® Néméènnes, V®, VI® et VIII® Isthmiques-, de Rhodes : VII® Olympique·, de Té- nédos : XI® Néméenne) ou citoyens des villes lointaines d’Afrique du Nord (Gyrène : IV®, V® et IX® Pythiques) ou de Sicile (Agrigente : II® et III® Olympiques, VI® et XII® Pythiques, II® Isthmique ; Gama- rine : IV® et V® Olympiques ; E tna : I ® Pythique, F® et IX® Néméennes ; Himère : XII® Olympique ; Syracuse : l'"® et VI® Olympiques, II® et III® Pythiques). L’ode triomphale est donc une voyageuse, et ainsi, l’image du voyage sur mer repose avant tout sur des fonde­ments proprement géographiques

1. O. Falter, p. 24. Voir aussi n. 11, ainsi que H. Mahler, p. 92, n. 1. L’image a son équivalent en védique : voir W. W üst, p. 32 s.

2. Mais même parmi les précédentes certaines emprunteront la voie maritime, le bateau étant à l ’époque le moyen de transport par excellence : voir G. Lieberg, p. 212.

3. Voir G. Lieberg, loc. cit. La question de savoir si c’est réellement, ou seule­ment par l ’imagination, que le poète s ’associe à ces voyages est diiBcile à résoudre : comme dans bien des cas, nous ne connaissons pas les déplacements de Pindare, il est vain de vouloir trancher si certains verbes représentant le poète en mou­vem ent — 2βαν ou βάν {01. X III 97, Ném. IV 74, VI 58) ; κατέβαν {01. V II 13) ; ϊμολον {01. X IV 19, Isthm. V 21) ; ήλθον {01. IX 83, Isthm. VI 57, Péan VI 9) ; ήλυθον {Parth. II 51) ; άμφέπεσον {01. X 98) ; ϊπεμψαν {01. IV 3) ; πορευθέντα {Dithyr.

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2 8 l ’ im a g e d u v o y a g e

B. — La notion de voyage connaît des prolongements sur un plan où la réalité matérielle n ’est plus seule en cause, mais se trouve déjà, concurrencée par le symbole : car la ville du vainqueur célé­bré ne marque pas le terme du parcours entrepris par l’ode ; de là, elle s’élance à nouveau pour diffuser dans le monde entier la gloire de celui qui l’in s p ir a ; et dans l’évocation de cette phase suprême du voyage Pindare a par deux fois associé l’élément marin à l’élé­ment terrestre : Ném. V I 48-49 : πέτεται S’ έπί τε χθόνα καί I διά θαλάβσας τηλόθεν δνυμ.’ αυτών ; Isthm. IV 41-42 : έπΙ χθόνα καΐ διά πόντον βέβακεν | έργμάτων άκτίς καλών ; de la même façon il les a rapprochés dans le domaine figuré, passant sans transition d ’une image terrestre à une image maritime {Pyth. X I 38-40® ; Ném. V I 53-57 )* ou inversement d’une image maritime à une image terrestre {Ném. V I 32-34)®.

G. — Enfin, sur tin plan proprement abstrait, la poésie est mou­vement, car le poème, en s’accomplissant, chemine d ’un point de départ vers le but final qu’il s’est fixé ; mais, dans ce « parcours » qu’est l’acte de création artistique, le poète se doit de contrôler l’élan qui l’anime et qui risquerait de le porter en dehors des limites permises par les lois de l’ode, ceci valant notamment pour le traite­ment du mythe®. E t si l’image du voyage sur terre n ’a en général pas d’autre fonction que de représenter la puissance de l’élan qui meut son inspiration, celle du voyage sur mer, tout en faisant une large place à cette idée, la nuance par celle des dangers qui guettent le poète au cours de son œuvre créatrice’.

Chaque passage de Pindare développant, dans le cadre de la Mé­diterranée, l’image du voyage sur mer, exige donc qu’on tienne

IV 8) ; έρχομαι {01. V 19, Pyth. II 3) ; κωμάυομεν (Ném. IX 1) — correspondent à des voyages véritables, ou si ce ne sont pas plutôt des formules de convention indiquant que Pindare, s ’associant intim em ent aux Muses et à son poème, se transporte par la pensée au lieu où celui-ci se célèbre, et s ’y voit présent : voir à ce propos les remarques de O. Becker, Das B ild des Weges, p. 80 s. ; F. Dornseifî, Pindars Stil, p. 64 ; C. M. Bowra, Pindar, p. 360. La prudence commande donc, quand aucun autre témoignage ne vient les appuyer, de ne tirer de ces verbes aucune conclusion biographique : voir D. C. Young, Three Odes o f P indar [Mnem., Suppl. 9, 1968), p. 45, n. 2. Il y aura lieu de revenir sur cette question lorsqu’il s ’agira d’un terme marin comme κατέβαν {01. V II 13) : voir p. 91 s. ; pour Pyth. II 3, voir p. 39, n. 2, p. 91.

1. Voir G. Lieberg, loc. cit.2. Pour ces deux passages, voir respectivem ent p. 23, 74, 199, n. 1 e t 245 ;

pour Isthm. VI 22-23, voir p. 85.3. Voir p. 33 s., p. 183 s.4. Voir p. 244 ss.5. Voir p. 37 s.6. Voir Pyth. IV 247-248 (p. 25 s.).7. Voir à ce propos O. Becker, Das B ild des Weges, loc. cit.

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compte des réalités géographiques qui l’expliquent, de ces deux mouvements inverses et successifs du trajet du poème et du trajet de la gloire, mais surtout de l’attitude du lyrique face à son art et face au monde. Car ses conceptions esthétiques ne sont pas seules en cause ici ; et de même que l’image du chemia vaut à la fois dans le domaine de la poésie et dans celui, plus vaste, des réalités mo­rales^, de même l’image du voyage sur mer traduit à la fois les con­ceptions du poète — telles qu’elles viennent d ’être brièvement dé­finies — et celles du philosophe, qui se représente lui aussi comme une traversée la vie du vainqueur et, plus généralement, à travers elle, celle de l’homme. Seule la référence à ces deux domaines de l’esthétique et de l’éthique, qui apparaissent chez Pindare tantôt séparément, tan tô t conjointement, permet de donner à, l’image du voyage sa dimension véritable.

1. Voir p. 26, n. 2.

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CHAPITRE PREMIER

LE NAVIKE

Les Grecs oïit volontiers donné aux différentes parties du navire des noms empruntés à, l ’anatomie du corps humain : pour eux, un navire a des entrailles, des mains et des pieds des joues, un front, des oreilles, e tc ...^ ; il a aussi des yeux, et cela véritablement, puis­qu’on avait coutume d’en peindre à, sa proue pour lui permettre d’éviter les dangers de sa route : le meilleur exemple de ce genre de personnification est l’évocation, par Eschyle, de la proue qui regarde et qui écoute, Suppl. 716-718 : καΐ πρώρα πρόσθεν 6μμααί βλέπουσ’ όδόν, I οϊακος Ιθυντηρος ύβτάτου νεώς | ... κλύουσα. Et, par UQ procédé inverse de celui qui représentait un navire à l’image d’une personne, la poé­sie a représenté une personne à l’image d’uii navire. Alcée le pre­mier a utilisé ce procédé, dans un curieux fragment, d ’un pathétique très personnel, où une courtisane âgée, usée par l’amour, apparaît comme un vieux navire fatigué par les tempêtes et qui souhaite con­naître enfin le repos sur un écueü^ : frg. 46 b D, 3-6 : καΐ κύματιπλαγεϊοτ[αν άλιρρόθφ] | δμβρφ μάχεσθαι. χε[ίμιχτί τ’ άγρίφ] | φαϊσ’ ούδέν Εμέρρη[ν, άφάντφ] | 8’ ^ρματι τυτΓτομ[έναν ράγημεν]. Théognis y reCOUrt de SOn CÔté, soit pour dépeindre l’infidèle comme un bateau naufragé (v. 1361 :ναϋς πέτρη προσέκυρβας έμης φιλότητος άμαρτών κτλ.)^, SOit poUr se repré­senter lui-même, après une rupture, comme un bâtim ent qui gagne

1. Pour l ’emploi de χεϊρες et πόδες à propos d’un navire, voir p. 443, n. 6.2. Sur ce type de vocabulaire, voir A. Gartault, L a trière athénienne : étude

d ’archéologie navale (Paris, 1881), p. 37 ss., p. 66 ss. ; F. Fischer, Über technische Metaphern im Griechisehen m it besonderer Berücksichtigung des Seeivesens und der Baukunst (Diss. Erlangen, 1899), p. 13 ss.

3. On a parfois, bien à tort, donné à ce fragment une signification politique : ainsi G. Coppola, Su Alceo d i M itilene [Aegyptus, 4 ,1923), p. 287 s. ; G. Theander, Lesbiaca (Eranos, 41, 1943), p. 161 s., qui y vo it la continuation du frg. 119 D, où il s ’agit bien du « vaisseau de la cité » (voir p. 106) ; contre cette interpré­tation, on lira J. Trumpf, Studien zur griechisehen L yrik (Diss. Kôln, 1958), p. 70, e t surtout la brillante démonstration de D. Page, Sappho and Alcaeus (Oxford, 1955), p . 194 s. Le lyrism e monodique est pauvre en métaphores ; toute­fois dans la poésie de Lesbos la métaphore exprime des réalités d’ordre amou­reux : voir M. Bernhard, p. 7.

4. Les V. 1361-1862 sont comm entés p. 313.

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le large (v. 970 : vüv 8’ ήδη νηϋς &Q’ έκάς διέχω) . Mais c’est surtout dans la tragédie que l’image du navire en détresse trouve sa justifi­cation, et permet de faire mieux ressentir le pathétique de la si­tuation d’un personnage impuissant ou déchu ; on en trouvera de nonixbreux exemples dans la suite de cette étude, mais quelques- uns, particulièrement caractéristiques, méritent d’être cités dès main­tenant, comme ceux du Prométhée enchaîné, où le Titan et lo apparaissent comme deux vaisseaux battus de la tempête, dont l’un est au mouillage (562-563 lyr. : τίνα φώ λεύσσειν | τόνδε χαλινοϊς έν πετρίνοισιν | χειμαζόμενον ; 965 ; ές τάοδε βαυτόν πημονάς καθώρμίσας ; 1015-1016 : [βκέψαι 8’] οΐός ϋζ χει,μών καΐ κακών τρικυμία | Μπεισ’ δφυκτος), tandis que l’autre dérive au gré des vents (838 : παλιμπλάγκτοίσι: χει- μάζη 8ρ6μοις ; 883 : 2ξω δε δρόμου φέρομαι κτλ.) Également significatifs sont chez Euripide les passages, surtout lyriques, où l’image du navire exprime l’intensité de la détresse : ainsi de Polymestor aveuglé, comparé à un navire sans voiles ; Héc. 1080-1082 lyr. :πα, <ίτώ, κάμψω, | ναϋς δπως ποντίοις πείσμασιν λίνόκρονον | φάρος στέλλων ® ;d’Hermione jetée à la côte comme une barque sans gouvernail; Andr. 854-855 lyr. : ίλιπες êXnveç, & πάτερ, έπακτίαν | [ώσεί] μονάδ’ έρημον οΰσαν ένάλου κώ πας^; d’Hécube secouée par les vagues du désespoir; Tro. 116-118 lyr. : ώς μοι πόθος είλίξαι | καΐ διαδοϋναι νώτον όίκανθάν τ ’ | εις άμφοτέρους τοίχους μελέων®; d’Héraklès enfin, dont la déchéance pro­gressive est traduite par de saisissantes variations sur l’image du navire : sauveur de sa famille, il est le vaisseau qui remorque ses enfants comme des barques fragües : Hér. 631-632 : &ξω λαβών γε τούσδ’ έφολκίδας χεροΐν, | ναϋς δ’ ώς έφέλξω ; mais, devenu leur meurtrier, ce n ’est plus qu’une épave condamnée à, l’immobilité (v. 1094-1095 τΐ δέσμοις ναϋς δπως ώρμισμένος® | νεανίαν θώρακα καί βραχίονα [ήμαι] κτλ.)

1. Pour l ’image de l ’écueil dans le fragment d’Alcée et les deux passages de Théognis, voir p. S13 s.

2. Pour l ’image de la tem pête dans le Prométhée, voir p. 279 s. ; pour celle du mouillage (v. 965 : καθώρμισας), p. 66, n. 3 ; sur τρικυμία (v. 1015), p. 269 ; enfin pour une étude des v. 883-886 voir p. 176 s. et p. 249 s. Sur cette présen­tation nautique des deux personnages, voir J. Dumortier, Les images dans la poésie d ’Eschyle (Thèse, Paris, 1935), p. 43 S.

3. Pour l ’image de la voile qu’on cargue (v. 1082 : «ίτέλλων), voir p. 52 ss.4. Voir à propos de ce texte les remarques de W. Breitenbach, Untersuchungen

zur Sprache der euripideischen L yrik (Tübinger Beitrage 20. Greifswald 1934), p. 145 s. ; il y a entre cette barque immobilisée et celle dont les v . 861-865 (lyr.) évoqpient le m ouvem ent toute la différence qui sépare la réalité de l ’espérance : voir H. Delulle, Les répétitions d ’images chez E uripide (Thèse, Louvain, 1911), p. 39, n. 3 ; pour κώττη (v. 855), voir p. 103, n. 1 ; sur l ’image de la barque à la côte, p 309 ss.

5. L’image était préparée dès les v. 102-104 : voir p. 268, et H. Delulle, loc. cit. ; sur l ’ensemble des images maritimes de ce stasimon, voir p. 323.

6. L’expression a été reprise par Aristophane [Thesm. 1106) ; il est vrai que

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avant de partir à son tour à la remorque de Thésée : v. 1424 : Θηαίεϊ πανώλεις έφόμεσθ’ έφολκίδες : il y a dans cette répétition de l’image une manière originale et forte de souligner tout ce qu’une métaphore ou une comparaison peut contenir de puissance esthé­tique et pathétique^.

Chez Pindare, l’image du navire a ce caractère distinctif qu’elle exprime avant tout des réalités d’ordre poétique, et que l’accent y est mis de façon constante sur l’idée de mouvement. On la ren­contre trois fois appliquée au poète lui-même : dans la XI® Pythique (y . 39 b-40) et la III® Néméenne (v. 27), à l’issue du mythe ; dans la X lIIe Olympique (v. 49), au commencement du mythe. Cette situation n ’est pas le fait du hasard : si l’on se réfère aux images de la route et du char, qui ont tan t de points communs avec celle du Voyage sur mer, il apparaît en effet que celles-ci se placent le plus souvent soit au début de l’ode {Ném. I 5, 7, 8. Isthm. I 6, II 2, IV 1), soit au début du mythe {01. I I I 10, VI 22-28, IX 47. Ném.VI 45-46. Isthm. V 38), soit à la fin de ce mythe {01. IX 81. Pyth.IV 247-248. Ném. VI 53-54, VII 51. Isthm. V III 62)3; autrement dit, elles coïncident avec un point de départ ou avec uîi point de rupture dans le développement Il n ’en va pas autrement de l’image

les Thesmophories, comme les Grenouilles, visent à la parodie littéraire et que les personnages y sont souvent des contrefaçons de personnages tragiques ; aussi y parle-t-on à tout instant la langue de la tragédie d ’Euripide. Voir A. M. Komor- nicka, Métaphores, personnifications et comparaisons dans l ’œuvre d ’Aristophane [Archiw. F ilo l, 10, 1964), p. 107, p. 109.

1. Sur l ’image de la remorque dans Héraklès, voir E. Schwartz, De metaphoris e m ari et re n ava lipetitis quaestiones Euripideae (Diss. Kiel, 1878), p . 22 ; E. E. Pot, De maritieme Beeldspraak bij Euripides (Diss. Utrecht, 1943), p. 30 ; K. Pauer, D ie Bildersprache des E uripides (Diss. Breslau, 1935), p. 122.S. ; H. Disep, p. 121 ; W. Elliger, p. 135.

2. Voir H. Delulle, p. 39 s.3. Le m ythe peut en certains cas n ’être qu’un embryon de récit m ythique,

comme dans les III® et VI® Néméennes (voir p. 80 et p. 245) ; on laisse de côté les poèmes dont l ’état actuel de m utilation ne permet plus de discerner la struc­ture d’ensemble.

4. Voir H. Disep, p. 66 s. F; Schwenn (Der junge Pindar, Greifswald, 1939, p. 17, n. 32) note que l ’image du char peut en outre jouer le rôle d’élém ent déco­ratif. Dans la V® Ode de Bacchylide les deux images se répondent aux deux extré­m ités du m ythe d’Héraklès (v. 31-33 : τώς νϋν καΐ [έ]μοΙ μυρία πάντο(; κέλευθος | ύμετέ- ραν άρετάν ύμνεϊν, et V. 176-178 : λευκώλενεΚαλλιόπα, | στδίσον εύποίητον όίρμα | αύτοϋ) ; celle du char (v. 176-178), qui prolonge et lim ite à la fois celle des mille chemins (v. 31-33), représente l ’autre face de l ’idée de m ouvem ent et ramène brutalement dupassé mythique à l ’actualité ; voir à ce propos H. Kriegler, Untersuchungenzuden optischen und akustischen Daten der hakchylideischen Dichtung (Diss. W ien, 1963), p. 246 ; R. L. W ind, Bacchylides’ Odes S, 17 and 18 : A study in po in t of view (Diss. U niv. o f Iowa, 1964), p. 41 s. ; J. Stern, The imagery of Bacchylides’ Ode 5 [Greek, Rom. and B yz. Stud., 8, 1967), p. 39 s. ; R. Führer, Formproblem-Untersu- chungen zu den Reden in der friihgriechischen L yrik [Zetemata, 44, München, 1967),

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du Voyage sur mer, qui, dans la mesure où la navigation est sym­bole de mouvement, a pour fonction de donner au cours de l’ode une direction précise, ou de l’inflécliir dans une direction nouvelle ; elle est donc utilisée soit pour aborder un développement, soit au contraire pour le rompre, et permet ainsi, en particulier, d’intro­duire le récit mythique ou d’y mettre fîn’ .

Dans la XI® Pythique, Pindare, traitant le mythe des Atrides (v. 17-37), s’intertompt brusquement :

ήρ’, ώ φίλοι, κατ’ άμευ- σιπόρους τριόδους έδινήθην,

όρθάν κέλευθον ιών τό πριν ; ή μέ τις άνεμος έξω πλόου έβαλεν, ώς οτ’ όίκατον έναλίαν ;

V. 38-40.

« mes amis, me suis-je égaré dans des carrefours où les voies se confondent, alors que je suivais auparavant la bonne route? ou quelque vent m'a-t-il jeté hors de ma course, comme une barque sur la mer^?y>

Le retour à l’éloge du Vainqueur se trouve ainsi assuré par une double image : celle du char qui quitte la piste, celle du navire qui s’égare®, et le passage du domaine de la terre à celui de la mer se fait grâce à l’emploi de έδινήθην (v. 38)^, et surtout de κέλευθον (v. 39), qui est ambigu et, en suggérant les « routes de la mer » {Pyth. IV 195 πόν­του κελεύθους ; V 89 : άλός βαθεϊαν κέλευθον), anticipe déjà SUT l’image maritime®. Celle-ci apparaît sous la forme non d’une métaphore, comme il arrive le plus souvent, mais d’ime comparaison, à, vrai dire fort brève, avec la barque (v. 40 : ώς δτ’ ακατον) ; l’image, en fait, est contenue implicitement dans la première proposition, grâce à l’emploi de άνεμος et de πλόου (v. 39 b), et la subordonnée n ’a pour fonction q;ue de la préciser et de l ’éclairer, avec une vivacité que renforce l’ellipse®.

Le choix de όίκατος n ’est pas fortuit ; ce mot, qui désigne « une

p. 59 ; M. R. Lefkowitz, Bacchylides' Ode 5, im itation and originality [Harv. Stud, in Class. P h il , 73, 1969), p. 88 ; sur les v. 31-33, voir aussi p. 73, n. 5 ; sur les V. 176-178, p. 48.

1. Voir à ce propos O. Becker, D as B ild des Weges, p . 71 s. ; M. Bernhard, p. 35 ; G. Lieberg, p. 213.

2. Pour le commentaire des v. 41-45, voir Appendice, p. 325 ss.3. On trouve une succession semblable dans le Prométhée d’Eschyle (v. 883-884

lyr.) ; voir p. 176 s., p. 184.4. Voir l ’emploi de δίν ■) dans les Euménides (v. 559 lyr.), p. 323.5. Voir à ce propos A. Kam bylis, D ie Dichterweihe und ihre Symholik (Diss.

Kiel, 1959), p. 81, n. 42, p. 150 ; voir aussi S. Bitrem, Varia [Symb. OsL, 30, 1953), p. 109.

6. Sur cette forme de la comparaison, voir L. Manuwald, p. 29 s. ; G. Lieberg, p. 212.

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barque de petites dimensions, d'une marche rapide^ », suggère ici la légèreté de l’esquif, à, la merci du moindre vent ; Théognis en avait déjà fait le synibole d’une femme volage, rebelle au gouvernail comme à l’ancre (v. 458-459 : ού γάρ ττηδαλίω πείθεται ώς άκατος, | oùS’ όίγκυραι έχουσΐΜ)2; Euripide reprendra le terme dans un stasimon d’Oresie (v. 340-345) pour dépeindre la fragilité de la vie humaine en proie aux tempêtes de l’adversité®.

Le symbolisme de άκατος reste toutefois subordonné à celui de πλόου (v. 39 b) qui, prolongeant le κέλευθον du v. 39, situe la barque dans la perspective plus générale du cours de l’ode, de ce trajet qu’effec­tue le poète avec le souci de ne pas s’écarter trop longuement de l’éloge du vainqueur, en accordant par exemple une importance injustifiée au mythe, et ce sous l’effet du « coup de vent » d’une ins­piration passagère*.

C’est encore cette ligne de conduite que représente πλόος dans la III® Néméenne, également à l’issue d’un mythe, ou plutôt d’une ébauche de mythe ; celui des voyages d’Héraklès, dont l’évocation est amenée par la mention des colonnes « que le héros a dressées comme témoins illustres du terme de ses navigations^ » : v. 23 : ήρως θεός άς ϊθηκε | ναυτιλίας έσχάτας | μάρτυρας κλυτάς ; c’est que tout Voyage a Ses limites, et Héraklès a atteint là un point qui l’oblige au retour : V. 25-26 : όπ^ πόμπινον κατ| έβαινε νόστου τέλος ; et c’est alors que Pin- dare se reprend :

Θυμέ, τίνα πρός άλλοδαπάν άκραν έμον ιτλόον παραμείβεαι ’,Αίακφ σέ φαμι γένει τε Μοϊσαν φέρειν.

V. 27-28.

« Ô mon cœur, vers quel promontoire inconnu diriges-tu ma course? C'est à Éaque, je l'affirme, et à sa race quHl faut porter la Muse. »

L’apostrophe s’adresse ici non plus aux φίλοι (Pyth. XI 38), mais à θυμός,, ce qui est un fait courant en dehors de Pindare (Archil, fr. 67 a D, 1. Théogn. 695, 877, 1029, etc.) aussi bien que chez lui {01. II 98. Éloge IV, 1 ; V III, 4)®; le poète invoque également ψυχή {Pyth. I II 61)’, ήτορ {01. I 4), στόμα {01. IX 36), et lorsqu’il le fait,

1. A. Cartault, p. 201. Voir aussi Ar., Cav. 762.2. Voir à ce propos J. Kahlmeyer, p. 22 ; K. D ietel, p. 54 ; pour l ’image de

l ’ancre, voir p. 58 ; pour celle du gouvernail, p . 104.3. Voir p. 267 s. ; pour l ’emploi de όίκατος dans Ném. V 1-4, voir p. 153 ss.4. Sur ce problème du m ythe, voir p. 46 ss. ; l ’image du « coup de vent » sera

commentée p. 183 ss.5. Sur l ’ensemble du passage (v. 19-28) et la signification de l ’image des co­

lonnes d’Héraklès, voir p. 79 ss.6. Voir p. 145.7. Voir p. 145 ss.

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c’est en général pour mettre fin à un développement ou en aborder un nouveau^. S’il semble s’adresser à, lui-même, le «moi» qu’il apos­trophe n ’en apparaît pas moins comme extérieur à lui^ ; c’est le cas ici, où θυμέ et έμόν πλόον (v. 27) sont nettement distingués : le poète, dirait-on, sent que, dominée par l’inspiration, une partie de lui-même lui échappe, et il tente de lui imposer son contrôle pour éviter que l’ode s’égare en dehors des voies traditionnelles. Mais alors que dans la XI® Pythique les dangers étaient laissés dans le vague (v. 39 b ίξω πλόου), ils sont ici évoqués avec plus de précision par èUpxv (v. 27), qui suggère une côte rocheuse, avec tous les risques de naufrage que cela implique® : ce que redoute le poète, c’est donc la rencontre brutale avec l’écueil, comme dans la X® Pythique^ où l’image est explicite^; aussi la correction parfois proposée de άκραν en άκτάν, terme imprécis®, est à rejeter, car elle affaiblirait le texte en atténuant l’idée de danger®.

Si d’ailleurs l’image de la III® Néméenne est plus évocatrice que celle de la XI® Pythique, avec, à l’arrière-plan, cette présence de la côte qui lui confère une évidente intensité dramatique, c’est que Pindare est encore sous l’impression des Voyages d ’Héraklès, et des pays qu’il a longés ; comme les siens, les voyages de la Muse coraportent leurs risques, et comme le héros, le poète doit à un mo­ment renoncer à pousser plus avant

Reste à élucider le rapport qui sur le plan imagé unit ces vers à l’affirmation finale du v. 28 : Αίακω σέ φαμι γένει τε Μοϊσαν φέρειν. J. Β. Bury® voit dans φέρειν la métaphore de la cargaison entreposée à bord du vaisseau de la poésie et que celui-ci « porte » à son des­tinataire®; on pourrait tout aussi bien penser à l’image du char des Muses — ce qui ramènerait l’évocation de la sphère maritime à la sphère terrestre, par un procédé inverse à celui de Pyth. XI 38- 40 — compte tenu surtout de l’expression suivante (v. 31-32 : ποτί| φορον δέ κόσμον έλαβες κτλ.) qui rappelle le V. 81 de la IX® Olym­pique, où Pindare se dépeint πρόβφορος έν Μοισάν δίφρφ. Mais ce se-

1. Voir à ce propos K. Svoboda, p. 113 ; C. M. Bowra, Pindar, p. 362 ; A. Kam- bylis, Anredeformen bei P indar [Mélanges Vourveris, A thènes, 1964), p. 166.

2. Voir A. Kam bylis, p. 165 s.3. Voir Horn., Od. IX 283-285 : νηα μήν κατέαξε Ποσειδάων ένοσίχθων, | προς

πέτρησι. βαλών ύμής έπ'ι πείρχσί γαίης, | άκρη προσπελάσας.4. Pyth. X 52, voir p. 312 s. ; et là encore l ’image clôt un mythe.5. Voir p. 225 ss. le commentaire du V® Éloge (v. 6-7).6. Voir à ce propos H, Erbse, Pindars dritte nemeische Ode [Hermes, 97, 1969),

p. 279.7. Ou même faire demi-tour [Ném. IV 70-72. Voir p. 45 s., p. 81 ss.).8. J. B. Bury, The Nemean Odes of P indar, p. 51 s.9. Sur cette image, voir p. 151 ss.10. Voir p. 26 s. et, en particulier, Parménide, frg. 1 D K , v. 1, 3, 4.

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rait sans aucun doute une erreur que de donner une Valeur imagée trop précise à φέρειν ou à πρόσφορος ; ce sont là des termes vagues, auxquels Pindare recourt souvent pour désigner l’offrande de son poème au destinataire ; ainsi de φέρειν γλώσσαν (01. IX 42), αγγελίαν (01. XIV 22), κόμπον (Isikm. I 44), μίτραν (JVém. VIII 15. Istkm.V 62) et de πρόσφορος, appliqué à κόμπος (Ném. VIII 48), μισθός (Ném. VII 63) ou àotSà (Ném. IX 7. Parth. I I 49). Il serait dès lors imprudent de prétendre, devant une utilisation aussi large de termes aussi incolores, que le poète, en les employant, avait à l’esprit une image déterminée^.

Le dernier passage où Pindare s’identifie à un navire appartient à la XIII® Olympique, et se situe au moment où le poète prend en quelque sorte le départ pour célébrer les gloires mythiques de Go- rinthe.

Il s’y présente comme ϊδιος έν κοινω σταλείς (ν. 49). La nature de l ’image a été diversement appréciée : alors que F. Mezger y Voit la métaphore d’une cargaison privée (la louange de la famille du vainqueur) entreposée à bord du vaisseau de la cité (cette louange étant chantée lors des fêtes publiques)^, et que, de même, Pindare manifeste là, selon A. Groiset, son intention d’ « embarquer... Γéloge personnel du héros sur le navire qui porte la gloire de sa race et de sa patrie^ Ά, l’expression suggère aux yeux de G. A. M. Fennell^ et de G. M. Bowra® l’image d’un voyageur entreprenant avec ses moyens personnels un voyage d’intérêt public. On peut plutôt penser à un navire : au milieu de la flotte officielle — comprenons : de la joie qui règne dans toute la cité —■ le poète est eïi quelque sorte ίδιό- στολος®, il vogue pour son propre compte, dans une direction qu’il a personnellement choisie. L’image, comme assez souvent chez Pin­dare, est à peine suggérée, et c’est ϊδιος... σταλείς qui permet de définir par contraste κοινω, qui, à lui seul, n ’appellerait aucune représentation concrète ; quant à l’interprétation qu’on vient d’en donner, elle paraît à la fois conforme à un sens fréquent de (ίτέλλειν

1. Pour l ’emploi de φέρειν dans Pyth. II 3, voir p. 39, p. 91.2. F. Mezger, Pindars Siegeslieder (Leipzig, 1880), p. 454 s.3. A. Croiset, p. 113.4. C. A. M. Fenaell, Pindar's O lym pian and Pyth ian Odes (Cambridge, 1893),

p. 131.5. C. M. Bovsra, Pindar, p. 360 : « a private man sent on a common task ».6. Quoique dans un contexte très different, la métaphore est à rapprocher

d’un passage de VAlceste d’Euripide, où un enfant privé de sa mère apparaît comme une barque voguant seule : v. 406-407 lyr. : νέος εγώ, πάτερ, λείπομαι φίλας | μ ο νό σ τ ο λ ό ς τε ματρός. Inversement, chez Sophocle, Antigone et Ismène sont représentées comme δ ισ τ ό λ ο υ ς | ... άδελφάς [Oed. Col. 1055-1056 lyr.).

7. Au sens d’ « envoyer sur mer » (voir Thuc. V II 20) ; pour στόλος au sens de « trajet sur mer i>, voir Pind., Pyth. V III 98 (p. 133 s.).

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et propre à faire sentir la Volonté d’indépendance qui s’y aiFirme, comme en d’antres passages d’une ode singulièrement dépourvue d’enthousiasme pour la cité à. célébrer^.

Mais si l’on tient compte que l’expression Ι’δως έν κοινω σταλείς se situe dans un passage de transition, on peut définir l’antithèse Ιδιος-κοινω non plus par l’opposition d’un individu et d’une collec­tivité, mais plus largement en fonction des divers thèmes qui se succèdent dans l’ode, et du mouvement d’ensemble de celle-ci : dans ce préambule au mythe, Pindare se prépare à passer de Γΐ'δων —· c’est-à-dire de l’éloge personnel du vainqueur — au κοινόν —■ c’est-à-dire aux exemples mythiques et à la louange de la cité entière

Cet emploi de ί'διος dans une image maritime et à l’un des pôles d ’une antithèse figure également dans un passage d’une autre ode, dont on ne peut poux cette raison séparer Fétude de celle du v. 49 de la XIII® Olympique, tan t les deux groupes imagés s’éclairent mutuellement : il s’agit de la VI® Néméenne, où Pindare glorifie la famille des Bassides :

παλαίφατος γενεά, ϊδια ναυστολέοντες έπι.-

κώμια, Πιερίδων άρόταις δυνατοί παρέχειν ττολύν ύ­

μνον.V. 32-34.

« race célèbre depuis longtemps, et qui fait à présent voguer ses propres louanges, capable de fournir aux laboureurs des Piérides maint sujet de chant ».

On ne peut manquer d’être frappé en premier lieu par la ressem­blance entre ϊδιος... σταλείς {01. X III 49) et ϊδια ναυστολέοντες {Ném.VI 32) ; comme dans la XIII® Olympique, l’image est en effet celle du navire, et elle est ici particulièrement justifiée en raison des rap.ports qu’ont avec la mer les Bassides, célèbres armatexu’s d’Égine® : c’est pourquoi la célébrité qu’ils viennent d’acquérir aux jeux est conçue en termes de commerce; les titres de gloire appar­tenant désormais à la famille victorieuse se trouvent confondus avec la flotte qui assure son renom sur les mers, et c’est par un raccourci

1. Voir à ce propos G. Méautis [Pindare le dorien, N euchâtel, 1962) qui, à défaut d’avoir vu l ’image, a du moins bien saisi le ton du passage (p. 393).

2. Voir U. von W ilam owifz, Pindaros, p. 371 ; H. Bischoff, Gnomen Pindars (Diss. Halle, 1936), p. 81 ; en outre, à l ’occasion de la victoire d’un Corinthien, c’est à toute la Grèce qu’il s ’adresse, en exaltant Eunomia, Diké, Eiréné (v. 7-10). Voir à ce propos G. Coppola, Introduzione a Pindaro (Roma, 1931), p. 175.

3. Voir H. Knorringa, p. 16 s. ; H. Disep, p. 103 ; d’ailleurs l ’image précédente appartient aussi au domaine de la mer (v. 28-29, voir p. 181 ss.).

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caractéristique de l’art du lyrique^ que les Bassides sont représentés en train de diriger sur mer leurs louanges comme de véritables na­vires. En aucun cas, il ne saurait s’agir ici de l’image de la cargaison, que les armateurs dépêcheraient au poète pour que celui-ci y trouve la matière de ses chants^ — παρέχειν (v. 34) pourrait sans doute, à la rigueur, désigner la « marchandise » ainsi offerte^, mais le mot se trouve en dehors de l’image, maritime, à, l’intérieur de celle qui lui fait suite (v. 33-34) et ramène l’évocation dans le domaine te r­restre^; si Pindare avait voulu suggérer cette image de la cargaison, il n’aurait pas employé ναυστολεΐν, qui suppose toujours, dans le domaine figuré, la métaphore du navire qu’on dirige : Eut., Suppl. 473-474 : κυμάτων ατερ ττόλιν | σήν ναυστολήσεις. Iph. Taur. 599 : ό ναυσ- τολών γάρ είμ’ εγώ τάς συμφοράς®.

Cependant, la parenté du passage avec 01. X III 49 va plus loin qu’une simple ressemblance dans l’image ; car de même que dans l’ode précédente ϊδιος désigne l’éloge du seul Xénophon par oppo­sition à, κοινω, qui embrasse toutes les gloires mythiques de Gorinthe— l’antithèse ϊδιος-κοινω correspondant en somme à une opposition entre le présent et le passé (cf. V. 50 : παλαιγόνων) — de même ici fôia est en contraste avec παλαίφατος (v. 32 ) : à la célébrité de ses ancêtres, qui appartient au passé (παλαίφατος), la victoire d’Alcimidas, célé­brée dans la VI® Néméenne, ajoute im titre de gloire qui appartient en propre (ÏSta) à la génération présente®. Ce contraste entre le passé et le présent joue un rôle essentiel dans la composition d’en­semble de la VI® Néméenne’ ·, d’une façon plus générale, la pré­sence d ’une image maritime au passage de l’un à, l’autre est im in­dice éloquent de la valeur dynamique que Pindare lui attache, et de la manière dont une réalité appartenant au temps est rendue chez lui par im mouvement situé dans l’espace®.

1. Voir Isthm. II 39-40, p. 54.2. Comme le croit H. Jurenka, Pindars sechste nemeisches Siegeslied [Philo-

logus, 58, 1899), p. 359 ; le rapprochement avec Bacchylide (Dithyrambe X VI 1-4, voir p. 155) a ’est de ce fait pas justifié.

3. Quoique une expression comme μοϊσαν παρέχων [Péan IV 24) ne suggère aucunement une telle image.

4. Pour l ’image des « laboureurs des P iérides », voir aussi 01. IX 27, Pyth. V I 2-3.5. Ces deux passages [Suppl. 473-475, Iph . Taur. 599-600) sont comm entés

respectivem ent p. 65, n. 2 et p. 264 ; pour ' κυστολεϊν em ployé au figuré intransi­tivem ent, voir Eur., frg. 821 N , 2 : εί μή μακράν δή διά πόνων έναυστόλουν ; dans le frg. 127 Ρ de Sophocle — ϊπποισίν ή κύμβαισι ναυστολεϊς χθόνα;— ναυστολεϊς a une valeur figurée si l ’on traduit ίππος par « cheval », littérale si ΐητπος désigne un vaisseau marchand phénicien, ainsi nomm é d ’après sa figure de proue (Stra- bon II, 3-4) : voir C. Torr, Ancient Ships (Chicago, 1914), p. 113.

6. Voir H. Jurenka, p. 357.7. Voir p. 244 ss. le commentaire des v. 55-56.8. Voir sur ce point p. 247.

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CHAPITRE II

L’EMBARQUEMENT

Dans la II® Pythiqne, dédiée à Hiéron, Pindare s’adresse au vain­queur en ces termes :

Εύανθέα 8’ άναβάβομαι στόλον άμφ’ άρετ^ κελαδέων.

V. 62.

« en célébrant ta valeur, je vais m'embarquer sur un navire à la proue fleurie. »

De ce vers, comme de l’emploi au v. 3 de φέρων , on a parfois conclu que άναβάσομαι était à interpréter ici littéralement, et que Pindare s’était rendu en personne à Syracuse à l’occasion de la vic­toire de Hiéron ; une telle interprétation est contredite non point tan t par la mention au v. 67 de Γ « envoi » de l’ode à son destinataire ®— car s’il est vrai que φέρων (v. 3) et πέμπεται (v. 68) s’excluent, rien n ’indique lequel des deux termes est métaphorique, et lequel ne l’est pas^ —· que par le rapport établi au v. 62 entre άναβάσομαι et κελαδέων : cette coïncidence entre les deux actions, entre les deux verbes, le figuré et le littéral, que l’on retrouve dans la III® Néméenne (v. 66 : τόν ΰμνος εβαλεν | όπΐ νέων έπίχώριον χάρμα κελαδέων), témoigne assez que l’embarquement n ’a rien de réel, et que le poète met le pied à bord non pas d’un vaisseau en partance pour la Sicile, mais de celui que représente l’ode elle-même : célébrer Hiéron, c’est pro­prement s’embarquer®.

1. Sur l ’image du passager qui s ’embarque au début de la V® Néméenne (v. 1-4), voir p. 153 ss.

2. V. 3 : ΰμμιν τόδε ταν λιπαραν άπό Θηβδν φέρων | μέλος έρχομαι ; pour ϊρχομαι voir ρ. 27, η. 3, ρ. 91.

3. V. 68 : τόδε μεν κατά Φοίνισσαν έμπολάν | μέλος ύπέρ πολι,άς άλός πέμπεται, voir ρ. 151 SS.

4. J. F. Oafes, Pindar's second Pythian Ode [Amer. Journ. P hil., 84, 1963), p. 388, croit résoudre la contradiction en concluant que le poème est envoyé (v. 68) et que le poète l ’accompagne (v. 3, v. 62).

5. Voir à ce propos R. B Grimm, Pindar's second P yth ian Ode (Diss. Prince­ton, 1959), p. 61 ; άναβαίνειν a, de même, une valeur métaphorique — mais un sens différent — dans les évocations de la tour [Isthm. V 45) et du rempart (frg. 90, 1-2).

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Pindare en fait ne nomme pas le navire, et parle seulement de sa « proue » ; c’est là, tm sens fort courant de στόλος (Eschl., Pers. 408. Soph., Phil. 343, etc...), et qui nous a paru ici tout à fait adéquat. La signification de « voyage^ », que lui donnent parfois les com­mentateurs, est bien sûr admissible, la composition de l’ode pouvant se concevoir comme un voyage « fleuri », c’est-à-dire heureux ; « Durch die « blumenbekrântze Fahrt » m rd das Schaffen des Liedes versinn- hildlicht » . Mais le sens de « proue » convient mieux au caractère concret de l’évocation : le mouvement de montée suggéré par άνά y gagne en vivacité^, et le détail des fleurs qui ornent l’avant du navire — symbole des éloges dont se pare l’ode — répond ainsi à celui des couronnes dont s’orne Syracuse en l’honneur de son sou­verain : V. 58 : πρύτανι κύριε πολλδν μέν εύβτεφάνων άγυι|άν ; le parallé­lisme entre εύανθέα (ν. 62) et εύστεφάνων (ν. 58)^ est intentionnel : les rues de la cité honorent Hiéron, et Pindare, debout à la proue du vaisseau de l’ode, dominant son poème, honore aussi le prince®.

C’est au vainqueur, et non plus au poète, que l’image s’applique dans la I lle Néméenne, à cet Aristocléïdés, fils d’Aristophane, à qui Pindare reconnaît le mérite d ’avoir pratiqué « les vertus les plus éminentes ».

άνορέαις ύπερτάταις έπέβα παϊς Άριστοφάνεος.

V. 20.

Le Grec dit qu’il s’y est « embarqué » (έπέβα), et cette image du vais­seau symbolique qui porte le jeune vainqueur est appelée ici par l’évocation suivante®, qui atténue l’éloge en soulignant l’impossi­bilité où il est de voguer au delà des colonnes d’Héraklès : v. 21- 22 : ούκέτι προτέρω | άβάταν άλα κιόνων | ΰπερ Ήρακλέος πέραν εύμαρές ; le double tableau s’ordonne donc selon une perspective verticale

1. Voir Pyth. V III 98, p. 133 s.2. 0 . Werner, Pindar. Siegesgesànge und Fragmente {München, 1967), p. 517;

de même schol. 113 D (DR II, p. 50) : εύανθέα · το 8έ εύανθή στόλον, ή μεταφορά άπό των πλεόντων ήδέως. Si στόλος désignait ici le voyage, le terme serait évidem m ent à rapprocher de σταλείς {01. X III 49, voir p. 36 s.).

3. Mais άναβαίνειν στόλον peut difficilement se rendre en français avec la conci­sion, du grec ; on est inévitablem ent amené à faire apparaître dans la traduction un « navire » qui chez Pindare n ’est qu’en partie suggéré.

4. Voir Isthm. V II 50 : εύανθέα... στέφανον.5. Voir à ce propos R. B . Grimm, p. 177.6. A lui seul en effet έπέβα n ’a rien d ’évocateur. On peut supposer que, lorsque

Pindare affu-me : « j ’a i trouvé l ’occasion de maint développement », πολλών έπέβαν καιρόν [Ném. I 18), il pensait peut-être au voyage de la Muse qui le conduit à « aborder » (voir Pros. I 14) un thèm e ; mais ce n ’est là qu’une hypothèse : rien dans le contexte ne vient, comme dans la III® Néméenne, donner au verbe une coloration précise. Dans 01. I I 105, enfin, έπέβα a sim plem ent le sens d ’« attaquer ».

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(v. 20 : ύττερτάταις, έπέβα), puis horizontale (v. 23 : έσχάτας)!, destinée à, suggérer successivement l’effort accompli et les limites inévitables du bonheur qui en résulte Mais, en dépit de ce que laisserait sup­poser l’ordre du texte, l’image des colonnes d’Héraklès (v. 22-23) n ’est pas le prolongement de celle contenue en έπέβα (v. 2 0 ) : c’est elle bien plutôt qui, constituant un élément fondamental de la pensée de Piadare, est à, l’origine de l’image de l’embarquement et l’explique : le point de départ de ce voyage n ’a de raison d’être que par son terme

Enfin, la conclusion de la XI® Néméenne suppose elle aussi l’image de rembarquement, mais cette fois sur un plan très général, où le vainqueur et le poète s’effacent devant l’ensemile de l’humanité : à άναβάσομαι {Pyth. II 62), à έπέβα {Ném. I I I 20) se substitue ici έμβαίνομεν.

Tô S’ έκ Διός άνθρώ- ποις σαφές ούχ εττεταί.

τέκμαρ · άλλ’ εμπαν μεγαλανορίαις έμβαίνομεν, έργα τε πολλά μενοινών-

τες · δέδεται γάρ άναιδεϊ έλπίδι γυϊα · προμαθεί-

ας δ” άπόκεινται ροαί.V. 43-47.

« Zeus ne donne aux hommes aucun signe certain; néanmoins nous nous embarquons^ dans de grandes ambitions, avec mille projets en tête : car Γespérance effrontée nous tient enchaînés; mais les courants de la prévoyance se dérobent à nous. »

Deux thèmes sont développés dans ce passage, celui de l’espé­rance, qui occupe la section centrale (v. 44-46), et celui de l’incer­titude, qui l’encadre (v. 43-44, 47), chacim d’eux étant exprimé par uïie image : ici encore, comme έπέβα dans Ném. I II 20, έμβαί­νομεν pourrait difficilement, à lui seul, imposer ]a vision du naA'-ire et de ses passagers et c’est son contexte qui précise et enrichit l’évocation : le point de départ du tableau se situe au V. 43 grâce

1. Voir p. 34.2. Sur ce principe de composition, voir H. Disep, p. 94.3. Sur l ’ensemble du texte (v. 19-28), sa structure et sa signification, de même

que sur l ’emploi de έσχατος (v. 23), voir p. 79 ss. On a déjà noté (p. 35) que la m ention des colonnes d’Héraklès, en entraînant celle des voyages du héros, est à l ’origine de la métaphore maritime d’interruption des v. 27-28.

4. έμβαίνομεν équivaut, en fait, à πλέομεν έμβεβηκότες ; dans la X® Pythique, έμβαίνειν a égalem ent une valeur figurée, mais en liaison avec l ’image de la piste ; V. 13 : TÔ δέ συγγενές έμβέβακεν ϊχνεσιν πατρός.

5. C. A. Μ. Fennell (P indar’s Nemean and Isthm ian Odes, Cambridge, 1883, p. 125) suggère, d’ailleurs sans grande conviction, que δέδεται (v. 46) appartient

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à l’emploi de τέκμαρ, qui suggère un astre propre à, guider les mate­lots ; mais la foïiction essentielle dans l’ensemble revient à, l’image des « courants de la prévoyance » (v. 47), qui confère a posteriori une netteté singulière à. l’évocation de passagers embarqués pour le voyage de la vie, et que leur ignorance condamne à, errer en aveugles, loin des courants favorables^.

Tel qu’il se présente, le passage est révélateur de la conception que se fait le lyrique de l’existe&ce humaine : si l’incertitude et l’es­pérance sont ici en présence, non seulement elles ne sont pas aux yeux du poète en opposition l’une avec l’autre — car les contrastes qu’on découvre dans le texte (v. 44 : άλλά, v. 47 : δέ) valent uniquement entre les deux domaines d’une réalité en quelque sorte « extérieure » à l’homme (v. 43 : 2πεται, v. 47 : άπόκεινται) et d’une réalité propre­ment psychologique (v. 44 ; έμβαίνομεν)® — mais elles se renforcent mutuellement : l’homme, laissé par les dieux dans une ignorance complète de ce qui l’attend (V. 43), contribue aussi à, son propre aveuglement, en se laissant entraîner par l’espérance, puissance d’illusion et d’égarement, à poursuivre des ambitions démesurées, sans rapport avec sa nature, par essence limitée*; έλπίς a donc une valeur purement « négative » (v. 46 : άναιδεϊ), eïi quoi elle s’insère tout naturellement au sein de cette conclusion placée sous le signe de l’impossible (v. 43 : ούχ 8πεται, v. 47 : άπόκεινται), et qui s’achève précisément sur une mise en garde contre la folie de nourrir des désirs irréalisables (v. 49 : άπροσίκ-των 8’ ερώτων | όξύτεραι μανίαι)®. Que dès la X IP Olympique —■ qui date de 480, et donc antérieure de près de vingt-cinq ans à, la XI® Néméenne —· on trouve également en présence le double thème de l’espérance et de l’aveuglement, et là, encore dans un contexte maritime (v. 5-9)®, montre bien que le « pessimisme résigné’’ » de ces réflexions sur la condition de l ’homme,

ax^ssi à la sphère nautique et évoc(ue l ’image d’un esclave enchaîné à son aviron : c’est là une vue anachroniciue.

1. La lune est appelée τέκμωρ dans un Hym ne homérique (X X X II, 13 : τέκμωρ δέ βροτοϊς καΐ σήμα τέτυκται).

2. Pour ροαί (ν. 47), voir ρ . 256 ss.3. Sur la structure de l ’ensemble, voir H . A. Gartner, Untersuchungen zur

Gedankenfolge in den SiegesUeder P indars (Diss. Heidelberg, 1959), p. 91.4. Sur ce thème, voir p. 83 s.5. Sur le thèm e de l ’ignorance et de l ’espoir trompeur dans la fin de l ’ode,

voir H . G. Gerhardt, Zeus in den pindarisehen E pinikien (Diss. Frankfurt, 1959), p. 14, p. 64 ; G. J. de Vries, Het feest van Aristagoras. Een ode van P indarus [Her- meneus, 36, 1964-1965), p. 155 s. Sur l ’aspect « négatif » de έλπίς, voir à propos de Soph., A nt. 615-617 lyr. (p. 129), les remarques de S. G. Shucard, The use of gnomes in Sophocles poetry (Diss. U niv. o f Illinois, 1968), p. 96 s., p. 109, n. 81 ; mais ces remarques ont une portée plus générale.

6. Voir p. 127 ss.7. L’expression est de J. B. Bury, The Nemean Odes o f P indar, p. 226.

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jouet des dieux et de son propre cœur, n’est pas le propre des der­nières aûnées du poète, mais a caractérisé son attitude de façon per­manente.

Reste que si les tableaux précédents s’imposent à, l’imagination, c’est bien plus grâce aux détails du contexte —■ Pyth. II 62 : εύανθέα... στόλον; Ném. III 21-22 : image des colonnes d’Héraklès ; Ném. XI 47 : προμαθεί|ας... ροαί ■—■ que par l ’emploi des verbes άναβαίνειν, έπιβαίνειν OU έμβαίνειν ; ce SOnt là des termes qui, comme κατα- βαίνειν^, ont une valeur imagée assez faible. Pindare présente d’ail­leurs cette caractéristique générale que cbez lui les Verbes sont sou­vent dépourvus d’éclat et de couleur, et constituent l ’élémeùt le plus faible de la pbrase^.

1. Pour ce verbe, voir p. 90 ss.2. Ce phénom ène a retenu l ’attention des comm entateurs : voir à propos de

ce qu’il appelle les « farblose Zeitworter » les remarques de F. Dornseilï, Pindars Stil, p. 94 ss. ; voir aussi H . Disep, p. 56, et, pour καταβαίνειν, S. L. R adt, Pindars zweiter und sechster P aian (Diss. Amsterdam, 1958), p. 42.

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CHAPITRE III

L’AVIRON

Le mythe de la X® Pythique, celui de Persée au pays des Hyper- boréens, est encadré par deux images maritimes : aux v. 27-31 , la métaphore du voyage introduit le récit mythique au v. 51, celle de l’aviron y met fin :

κώπαν σχάσον, ταχύ 8’ άγ­κυραν ερεισον χθονί

πρφραθε, χοιράδος αλκαρ πέτρας.V. 51-52.

« arrête Vaviron, détache vite Vancre de la proue, et jette la au fond, pour te protéger contre la roche à fleur d'eau. »

L’ode étant conçue comme un navire en marche, « arrêter l’aviron » revient à, couper court au mythe pour aborder à, nouveau l’éloge du vainqueur^; le verbe qui suggère ici l’arrêt du mouvement est un terme technique, σχάζειν, qui désigne au propre l’action de « cesser la nage » : Eur., Tro. 810-811 : lyr. πλάταν | έσχασε ποντόπορον. Il est à l’origine de nombreuses métaphores, qui appartiennent visible­ment à tous les styles : ainsi Pind., Ném. IV 63-64 : ττϋρ δέ παγκρατέςθρασυμα|χάνων τε λεόντων | δνυχας όξυτάτους άκμάν | τε δεινοτάτων σχάσαις δδόντων ; Bacchyl., Dithyr. XVII 120-121 : οϊαισιν έν φροντίσω Κνώσιον I Ισχασεν στραταγέταν ; EUT., Phén. 4 5 4 ; σχάσον δέ δεινόν δμμακαί θυμοϋ τινοάς ® ; 960 : γηρυν Άφθογγον σχάσας^.

L’image qu’impose κώπαν σχάσον (ν. 51) est donc celle du « poète- matelot », comme dans le célèbre passage des Cavaliers d’Aristophane, où l’apprentissage poétique est défini par toute une série de termes qui évoquent les différents degrés de responsabilité à bord du navire, le poète étant successivement conçu conime un simple rameur, puis comme l’homme de proue, enfin comme le pilote : v. 542-544 : έρέτηνχρήναι | πρώτα γενέσθαι πρίν τιηδαλίοις έπιχεφεϊν, | κ^τ’ εντεύθεν πρφρατεϋσαι καΐ

1. Voir ρ . 68 SS.2. C’est donc la place de l ’image qui en éclaire la signification ; voir G. Lieberg,

p. 213.3. Pour θυμοϋ ττνοάς voir p . 172, p. 285.4. Voir aussi Ar., Nuées 107 ; P lat, com ., frg. 32 E.

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τούς άνέμους διαθρήσαι, | κ^τα κυβερνάν αύτόν έαυτφ^. Avec celui de la X® Py- thique, ce texte est le seul où l’image de l’aviron exprime des réalités d’ordre technique, en rapport avec le thème de l’inspiration poétique^.

La métaphore de l’ancre, qui lui succède, n ’apporte aucun élé­ment nouveau sur le plan des idées ; elle a seulement pour fonction de mettre en lumière, avec plus de netteté encore, l’urgence qu’il y a à, eïi finir avec le myth.e pour éviter que l’ode aille εξω πλόου {Pyth. XI 39 h) se briser sur l’écueil d’une fantaisie passagère*; et la douile injonction, péremptoirement exprimée par ΰχάσον et έ'ρεισον (v. 51), constitue en quelque sorte la réponse aux questions que s’adressait le poète dans la Xle Pythique (v. 38-40) et la III^ Né- méenne (v. 27-28).

Elle figure de façon tout aussi impérative au terme du second mythe de la IV® Néméenne, dans une image où Pindare s’encourage non seulement à, arrêter sa barcpie, mais encore à la ramener en ar­rière :

άπότρεπε αδτις Εύρώπαν ποτί χέρ-

σον ϊντεα ναός ·

1. Pour πρφρατεϋσαι (ν. 543) voir ρ . 119 s. ; pour l ’image du pilote, p. 101 ss. L’image se poursuit chez Aristophane par celle des « onze avirons », qui désigaent les d ix doigts et la langue, au m om ent des acclam ations du public, v. 546 : αϊρεσθ’ αύτφ πολύ τό ρόθιον, παραπέμψατ’ Ιφ’ ενδεκα κώπαις ; de même la langue est comparée à un aviron dans le frg. 4 D de D enys de Chalcidicjue, où ce détail entraîne celui des « rameurs des M uses », v. 2-5 : τόν τε γάρ άρχαϊον τηλεδαπόν τε φίλον | είρεσίτ] γλώσσης άποπέμψομεν ές μέγαν αϊνον | τοϋδ’ έπΙ συμποσίου · δεξιότης τε λόγου | Φαίακας Μουσών έρέτας έπΙ σέλματα πέμπει. Voir à ce propos I. Waern, ΓΗ Σ ΟΣΤΒΑ. The kenning in pre-Christian greek poetry (Diss. Uppsala, 1951), p. 95 s. Dans la X® Pindare pourrait à juste titre se prétendre Μούσας έρέτης ; mais le frg. 4 de D enys dépeint un banquet, ce qui le situe sur un plan très différent de celui de Pindare ; pour les représentations nautiques de ban­quets, voir p. 227 s., p. 311.

2. L’image de l ’aviron est fréquente dans la tragédie ; mais comme à une exception près (Eschl., A g. 1618, p. 117), κώπη n ’y figure pas, et qu’en outre elle n ’y a aucun rapport avec le domaine des réalités d’ordre esthétique et de leurs exigences telles que les définit la X® Pythique, on les passe délibérément sous silence ; sur l’image de l ’aviron chez Eschyle [Pro. 885-886), voir p. 249 s. Chez Euripide, κώπη désigne le gouvernail dans A ndr. 855 (p. 31) et H ipp . 1221 (p. 103).

3. U. von W ilam owitz, Pindaros, p. 470, juge l ’ensemble surchargé ; G. Priese- mann, Ausdruck und Gegenstand bei P indar (Diss. Gottingen, 1950), p. 79, mal inspiré comme chaque fois qu’il analyse l ’art de Pindare, estime de son côté qu’une seule image aurait suffi à exprimer la pensée de l ’auteur ; pour un comm en­taire plus exact de la succession des images, voir H . Disep, p. 104.

4. χοιράδος... πέτρας rappelle le πρός... άκραν de Ném. III 27; sur l ’image de l ’ancre, voir p. 60 s. ; sur celle de l ’écueil, p. 312 s. ; sur les v . 53-54, voir Ap­pendice, p. 326 s. ; sur ce problème du mythe, voir p. 46 ss.

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46 l ’a v i r o n

άπορα γάρ λόγον Αίακοϋ παίδων ràv απαντά μοι διελθεϊν.

V. 70-72.

« ramène ton navire^ vers VEurope, vers le continent; il ni’est impossible de poursuivre jusqu'au bout le mythe des fils d'Éaque. »

Le détail géographique (v. ,70 Εύρώπαν) s’explique ici par la men­tion au vers précédent de la limite constituée par le détroit de Gadès (v. 69 : Γαδείρων τδ προς ζόφον ού | περατόν), et que les Éacides dans leur gloire ont atteinte ; de même que les héros célébrés ne doivent pas aspirer à, aller au delà, de même le poète ne doit pas pousser plus avant le récit de leurs exploits^ : il faut regagner les rivages connus, et Εύρώπαν ποτί χέρ|βον (v. 70) Constitue l’antithèse rassu­rante de πρός άλλοδαπάν | δκραν {Ném. I l l 27). A bord du vaisseau de l’ode triomphale, Pindare ne précise pas ici, comme dans la X® Pythique (v. 51-52), quel rôle exact il s’assigne : ce peut être celui du rameur, comme dans l’ode précédente, ou encore celui du pilote « délia simbolica nave, sulla quale viaggia per i luminosi mari del mito » ® ; mais, si le geste est cette fois laissé dans l’ombre, l’intention qui l’anime est tout aussi évidente.

Nous disposons donc de quatre textes — Pyth. XI 38-40, Ném.I I I 27-28, Pyth. X 51-52 et Ném. IV 70-72 — tous situés à la fin d’un mythe et liés à, la question de l’opportunité ou non de pour­suivre ce récit. Le moment semble venu, dans ces conditions, de se demaiider si Pindare craint véritablement de s’égarer dans ces mythes ou si ces questions qu’il se pose, ces injonctions qu’il s’adresse ne sont pas plutôt de simples Variations, au demeurant fort bril­lantes, sur des formules de transition purement rhétoriques.

Ces formules ont été souvent analysées^, et l’on en a parfois tiré argument contre Pindare, pour décréter qu’aux yeux du poète Μ ­

ι . L ittéralem ent : « l’appareil de ton navire » ; la périphrase έ'ντεα ναός équi­vaut à νηα. Voir schol. 112 B (DR III, p. 84) : ίντεα γάρ ναός περιφραστικώς άντί τοϋ ναϋν είπε ; de même dans 01. V II 12 : παμφώνοισί τ’ έν ίντεσι,ν αύλών est l ’éijui- valent de παμφώνοισί τ έν αύλοϊσιν.

2. Siir l ’ensemble du passage (v. 69-72) et sur le parallélisme qui s ’y établit entre le célébré et le célébrant, voir p . 81 ss.

3. La formule est de F. Guglielmino, Quel che Pindaro sentiva d i sé [Atene e Roma, 8, 1927), p. 44.

4. Voir en particulier A. Lesky, p. 210 s. ; F. Dornseifî, Pindars Stil, p. 115 ; R . Nierhaus, p. 113 ; E. Thummer, Pindar. D ie Isthmischen Gedichte, I, p . 127 ; C. M. Bowra, Pindar, p. 15, p. 315 ; J. H. F inley, P indar and Aeschylus (Harvard, 1955), p. 26, et plus spécialem ent à propos des X® et XI® Pythiques O. Schroder, P indars Pythien (Leipzig-Berlin, 1922), p. 105 ; J. de Haes, Pindaros. Puthische Oden (Brugge, 1945), p. 98, n. 1, p. 102, n. 4 ; E. W üst, P indar als geschichtschrei- bender Dichter (Diss. Tübingen, 1967), p. 14 s. ; P. A. Bernardini, p. 83, p. 87.

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même l’ode triomphale est constituée d’éléments disparates et ne sam'ait prétendre à, une unité quelconque^ ou, plus fréquemment, que le mythe est mal choisi ou trop longuement traité : ainsi, ceux qui jugent le mythe des Atrides peu justifié dans la XI® Pythique^ ont vu dans les questions que se pose Püidare aux v. 38-403 yjjg manière d’aveu, propre à. confirmer leurs suspicions. Mais la XI® Py- thique n ’est pas un cas isolé, puisque les mêmes métaphores d’in­terruption reparaissent dans trois autres odes, et il serait proprement incroyable qu’à quatre reprises le poète ait pris conscience d’une défaillance de son art et l’ait publié aussi hautement.

En réalité, Pindare est parfaitement conscient du καφός et des limites qu’ü ne doit pas dépasser ; jamais il ne perd de vue la raison d’être de l’ode, qui est de louer le Vainqueur, et jamais il ne se laisse entraîner par l’inspiration du moment au point de s’en écarter*; tout au plus peut-on dire qu’il est sensible, notamment dans la XI® Pythique, au danger qu’il y aurait à, aller au delà^, mais il sait toujours s’arrêter à temps®, et ne manque pas de le faire remar­quer. Ne soyons pas plus dupes qu’il ne l’est lui-même de ces ques­tions et de ces apostrophes : elles sont de pure forme^ et nous ré­vèlent un virtuose qui, feignant de se laisser emporter par une fan­taisie passagère, pour revenir ensuite aux réalités contemporaines en simulant l’inquiétude ou la confusion, s’amuse, non sans humour, de sa propre virtuosité®.

Ce type de transition était-il connu avant Pindare de la lyrique chorale? et les images analysées plus haut ne sont-elles que des

1. A insi G. Perrofta, Pindaro (Roma, 1959), p. 49.2. Par exem ple U . von, W ilam owitz, Pindaros, p. 261, n. 2 ; W. Schadewaldt,

Der A ufbau des pindarischen E pinikion , p. 284, n. 5 ; O. Becker, Oas B ild des Wegés, p. 72 ; A. Kam bylis, D ie Dichterweihe und ihre Symbolik, p. 150 ; G. Lie- berg, p. 210 ; G. Perrotta, Pindaro, p. 129. C. M. Bowra [Pindar, Pythian X I, Class. Quart., 30, 1936, p. 139 s.) justifie le m ythe par la situation politique en Béotie et l ’action militaire qu’y m enait Athènes en 454, ce qui le conduit à donner à l ’ode une date très postérieure à celle cpii lui est habituellement assignée (474).

3. Voir p. 33 ss.4. Contrairement à ce qu’assurent F. Schwenn, p. 50 s., et E. Thummer,

Pindar. D ie Isthmisehen Gedichte, I, p. 112.5. Voir D. C. Young, p. 5 ; B. A. van Groningen, La composition littéraire ar­

chaïque grecque (Amsterdam, 1958), p. 361.6. Témoin les nombreux passages où il vante les mérites de la brièveté :

01. X III 42, 98 ; Pyth. I 82 ; V III 30-32 ; IX 76-78 ; Ném. IV 34 ; V II 52-53 ; X 4, 19-20, 46 ; Isthm. I 60-62 ; V I 56-59. Aussi la formulation de P. A. Bernar- dini, selon qui les métaphores d’interruption concrétisent « Vinvito ad affrontare un nuovo tema o il rimprovero per aver oltrepassato la m isura » (p. 87), est-elle inexacte dans sa seconde partie.

7. Voir O. Schroder, Pindars Pythien, p. 97 ; O. Becker, Das B ild des Weges, p. 71 ; K. D ietel, p. 130 ; H . A. Gârtner, p. 80 ; D. G. Young, p. 5, n. 2.

8. Voir à ce propos les remarques très fines de G. Norwood, Pindar, p. 80 s.

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variations sur des formules déjà en usage? L’état de mutilation dans lequel nous sont parvenus les textes des lyriques ne permet pas d’apprécier la part d’invention personnelle qui dans ce domaine revient exactement au poète^ ; tout au plus pouVons-nous, pour tenter de dégager son originalité, nous référer à Bacchylide, qui recourt également à ces métaphores d’interruption : l’image du char (jui s’égare {Ode X 51-52 ; τί μακράν γ[λ]ώ[β]σαν ίθύσας έλαύνω | έκτός όδοϋ ;) rappelle jusque dans l’interrogation celle de la XI® \Py- thique (v. 38-39 : ήρ’, & φίλοι, κατ’ άμευ| σιπόρους τριόδους έ8ινήθψ, ) ορθάν κέλευθον Εών | τό πριν;)®, et celle du char qui s’arrête (Ode V 176- 178 : λευκώλενε Καλλιόπα, | στάσον εύποίητον άρμα | αύτοϋ)® n ’est pas sans évoquer le brusque arrêt de Pÿtk. X 51-52* et de JVe'm. IV 70®. Mais les ressemblances formelles sont ici moins révélatrices que la différence de conception de la poésie : tandis que chez Bacchylide l’invocation adressée à Calliope par l’impératif στάσον (V 177) tra ­duit une soumission entière du poète à la Muse qui l’inspire®, le même impératif chez Pindare [Pyth. X 51 ; σχάσον, ερεισον, Ném. IV 70 άπότρεπε) sert à, poser une question que le lyrique s’adresse à lui- même, et révèle la pleine conscience qu’il a de son intervention active sur la matière qu’elle lui présente, et sa volonté, au moment où son inspiration tendrait à l’entraîner trop loin, d ’ « y imprimer la marque de son « moi » pour montrer qu'il domine ces apparents ca­prices

1. Voir sur ce point G. Lieberg, p. 209, p. 213.2. Voir p. 33, p. 184.3. Voir p. 24, n. 2.4. Voir p. 44 s.5. Voir p . 45 s.6. Voir sur ce point O. Falter, p. 24, n. 11, p. 49.7. É. des Places, Le pronom chez Pindare (Études et comm ., 3, Paris, 1947),

p. 11 ; de ce point de vue, cf. aussi φαμί [Ném. III 28) et μοι (Ném. IV 72) ; sur cette intervention personnelle du poète à un m om ent décisif de l ’ode, notam ­m ent au début ou à la fin du m ythe, voir É. des Places, Le pronom chez Pindare, p. 10 ; W . Schadewaldt, D er A ufbau des pindarischen E pinikion , p. 294, n. 2, p. 300, n. 6 ; P. A. Bernardini, p. 91 ; sur la différence qui en cela le sépare de Bacchylide, voir H . Kriegler, p. 246, n. 2 ; enfin, sur la question de la relative indépendance du poète à l ’égard de la Muse, voir G. Lieberg, p. 211 : « so führt unsere M etaphorik zum K ern von P indars Selbstçerstàndnis als Dichter. Von der M use nàmlich fühlt er sich ganz abhàngig ». Il y aura lieu de revenir sur cette idée pour la nuancer (p. 180).

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CHAPITRE IV

LA VOILE

L’image de la voile apparaît quatre fois chez Pindare, pour ex­primer des réalités d ’ordre poétique [Ném. V 50-52), ou familier (Isthm. II 39-40), ou politique {Pyth. I 91), ou pour traduire des considérations morales d’ordre très général {Pyth. IV 292). Quoique située dans des domaines très différents, l’image nous a paru de­voir, pour l’unité de l’exposé, être traitée comme un to u t; mais comme elle est le plus souvent solidaire de celle du vent, les remarques du présent chapitre seront inévitablement incomplètes et devront être reprises dans la deuxième partie de cet ouvrage.

Des deux termes usuels dont dispose le grec pour désigner la voile — ■ ίστίον et λαϊφος — seul le premier est utilisé par Pindare avec des valeurs figurées^; le poète l’emploie indifféremment au singulier {Pyth. I 91. Isthm. II 39-40) et au pluriel {Pyth. IV 292. Ném. V 50-52), ce qui est courant en grec, le pluriel s’expliquant peut-être par le fait que la voile est formée de plusieurs « laizes » d’étoffe cousues ensemble^, et n ’apparaît pas, dans ces conditions, comme une pièce unique^.

V® Néméenne εΐ Sè Θεμίστιον ικειςώστ’ άείδειν, μηκέτι. ρίγει ■ δίδου

φωνάν, άνά 8’ ιστία τεϊ-νον πρ6ς ζυγόν καρχασίου.

V. 50-52.

« si tu viens chanter Themistios, n’aie plus d'hésitation : donne de la voix, hisse la voile jusqu'à la vergue de hune. »

Gomme nombre d’images maritimes de Pindare, celle-ci se situe à un point de rupture dans le développement, celui où, le mythe

1. Pour λαΐφος em ployé métaphoriquement, voir Eschl., Eum. 556 (p. 54, n. 6) ; Eur., M éd. 524 fp. 53, n. 4) ; Or. 342 (p. 129, p. 267) ; Rhés. 313 (p. 285, n. 2) ; pour ίβτίον chez Eur., A ndr. 554, voir p. 55, n. 5 ; pour φάρος [Héc. 1082), p. 31, p. 52.

2. Voir L. Casson, The ancient mariners (New York, 1959), p. 37 ; C. Torr, p. 80. Cela apparaît clairement sui· un navire athénien de 600 avant J.-C. que reproduit (pl. 3, flg. 13) ce dernier ouvrage.

3. Mais, dans Pyth. IV 292, le pluriel a une tout autre signification : voir p. 57.

4

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achevé, le poète passe (v. 50) de l’éloge du vainqueur, Pythéas d ’Égine (v. 40-49), à, celui de son grand-père maternel Thémistios (v. 50-55)’·. C’est à, coup sûr le nom de ce dernier qui explique avant tout l’allusion à la voile : U y a entre Θεμ- ίστιον et ίστίον des res­semblances particulièrement frappantes, notamment dans une poésie chantée* ; de là ce jeu de mots et de sons entre le nom du person­nage célébré et la pièce du gréement — procédé dont Pindare offre maint exemple, et qui paraît bien être un fait de langue archaïque®. Mais l’image de la voile trouve ici une justification plus profonde : car elle est de celles propres à être appréciées d’un citoyen d’Égine, où l’on était si expert en navigation^; pour cette raison la méta­phore nautique n ’est pas isolée dans l’ode, qui s’ouvre précisément sur l’évocation du navire en partance (v. 3-4 : άλλ’ έπΙ πάσας | όλκάθος Iv τ ίχκάτφ, γλυκεΓ άοιδά, | στεϊχ’ άπ’ Αίγινας κτλ.)® et O Ù la mer parait encore avant le mythe (v. 21 : καΐ πέραν πόντοω πάλλοντ’ αίετοί)®, tou­jours en liaison avec les réalités de la poésie.

Il y aura lieu de revenir sur l’ensemble des métaphores de l’ode et sur leur signification ; pour le moment, il ne s’agit (jue de définir avec le plus d’exactitude possible l’image des v. 50-52. On a parfois cru que dans ce passage la double apostrophe SiSou (v. 51) et άνα- τεΐνον (v. 52) s’adressait au chant, à Γάοώά représentée aux v. 3-4 comme un passager en partance, et q;u’on inviterait ici à. hisser les voiles du vaisseau qui va l’emporter®; cette interprétation a certes l’avantage, en plaçant les deux métaphores des v. 3-4 et des v. 50-52 dans le prolongement exact l’une de l’autre, de donner une grande cohérence au langage imagé de l’ode. Cependant, pour des raisons qui seront définies plus bas®, il nous a paru plus probable que le poète s’adressait ici à lui-même^® : à bord de ce vaisseau qu’est la poésie, la mission que s’assigne Pindare n ’est plus de s’embarquer {Pyth. II 62)’· ni de manier l’aviron [Pyth. X 51-52)’·*, mais de ma-

1. Voir à ce propos H. A. Gârtneï·, p . 116 ; sur ces transitions du présent au passé, ou inversem ent, voir p. 245 ss.

2. Voir G. Fraccaroli, Le Odi d i Pindaro (Verona, 1894), p. 144 ; L. Cerrato, Pindaro. Le Odi (Torino, 1914), p . 420.

3. Voir sur ce point G. M. Bo-wra, Pindar, p. 211 ss. ; W . B. Stanford, A m bi­gu ity in Greek literature (Oxford, 1939), p. 129 s.

4. Voir p . 15 s., p. 333.5. Voir p. 153 ss.6. Voir p. 156 s.7. Voir p. 155 s.8. Interprétation de G. Coppola, Introduzione a Pindaro, p. 154 ; E. Roma-

ξΐΐοΜ, Pindaro. Le Odi e i frammenti (Firenze, 1921), p. 332 ; G. Lieberg, p. 210.9. Voir p. 182, n. 3.10. Voir à ce propos Μ. R. Lefko'witz, ΤΩ ΚΑΙ ΕΓΩ The first person in P indar

[Harv. Stud, in Class. Phil., 67, 1963), p. 201.11. P . 39 s.12. P. 44 s.

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nœuvrer la voile, et à, cet égard c’est le premier impératif qui éclaire le second : SÎSou | φωνάν (v. 51) évoque en effet le souffle du poète— et par-là, même de la Muse qui l’inspire^ — et c’est précisément ce souffle que vont recevoir les voiles une fois tendues (v. 52 : άνά 8’ Ιστία τεϊ|νον)^ et qui condiiira ainsi la barque à bon port. Mais si l’image des voiles est explicite, celle du vent est à peine suggérée ; elle se dégage, en fait, de πρός ζυγδν καρχασίου (v. 52) ; καρχήσιον désigne en effet la « hune », poste de la vigie, située à la partie supé­rieure du mât ® : c’est là que se trouve le point d’attache de la vergue (jui porte la voile, lorsqu’on hisse celle-ci au plus haut, là où le vent est le plus vif « hisser la voile à la vergue de hune », c’est donc la mettre dans uïie positioïi où elle puisse recevoir à plein le souffle du chant, ce que Pindare appelle ailleurs οδρον ΰμνων {Pyth. I V 3)®.

Le passage est éclairé par celui de la I*·® Pythique, où le poète conseille à Hiéron de livrer sa voile au vent, comme un pilote : V. 91 : έξίει S’ ώσπερ κυβερνάτας άνήρ | Ed-tiov άνεμόεν. Sans doute n ’est-il plus question ici du thème de l’inspiration poétique, mais de celui de la générosité que le peuple d’E tna attend de son prince ® ; toutefois, l’adjectif άνεμόεν, à valeur co n sécu tiv e— littéralement : « déploie la voile de sorte que le vent Vemplisse » —· localise ίστίον au même titre (jue πρός ζυγόν καρχασίου dans Ném. V 52 ; dans les deux cas, ü convient de hisser la voile à l’extrémité du mât, pour utiliser au mieux le vent qui souffle.

C’est encore de générosité qu’il s’agit dans la II® Isthmique, où Pindare glorifie l’hospitalité de Xénocrate d’Agrigente ®.

καΐ θεών δαϊτας προσέ-πτυκτο πάσας · ούδέ ποτε ξενίαν

1. Sur l ’équivalence qui s ’établit dans une certaine mesure entre le poète et la Muse, voir p. 178 ss. ; sur l ’image du « vent de l ’inspiration », p. 182.

2. δε (v. 52) n ’introduit aucune opposition, et il n ’y a pas « rupture » entre 8i8ou et άνατεϊνον, comme le pense M. Bernhard, p. 33.

3. Schol. 94 D (DR III, p. 99) : καρχήσιόν φησι xh δκρον τοϋ ίστοϋ ; voir aussiC. Torr, pl. 1, fig. 6.

4. Une autre scholie, qui définit καρχήσιον comme le point d’attache le plus élevé de la vergue sur le m ât — το άνώτατον τής κεραίας — montre bien le sens de la manœuvre ; schol. 94 A [loc. cit.) : τούτφ (sc. καρχήσιον) τό ίστίον προσανατεί- νουσιν δταν θέλωσι δαψιλεϊ τφ άνέμφ χρήσθαι οΰριοδρομοϋντες.

5. Voir ρ . 181.6. Voir à ce propos Κ. H . Kaiser, D as B ild des Steuermannes in der antiken

Literatur (Diss. Erlangen, 1954), p. 35 ; l ’image fait suite à celle du gouvernail, sym bole de justice (v. 86). Sur ces deux métaphores et plus généralement sur l ’idéal politique de Pindare dans la I*·® Pythique, voir p. 111 ss.

7. Voir K. H. Kaiser, p. 34.8. Siu· le thème de la générosité dans l ’ode, voir C. Pavese, ΧΡΗΜΑΤΑ,

X PH M A T’ A N H P ed il motivo délia liberalita nella seconda Istm ica d i Pindaro [Quad. Urb. d. Cuit. Class., 2, 1966), p. 107 ss.

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οδρος έμτηιεύσαις ύπέστειλ’Εστίον άμφί τράπεζαν.

V. 38-40.

« ίί célébrait sans relâche les festins en Vhonneur des dieux ; et jamais le vent qui soufflait autour de sa table hospitalière ne Vobligea à car- guer ses voiles. »

Ces vers, et ceux qui leur succèdent^, ont été en général peu ap­préciés de la critique, surtout italienne. G. Perrotta, fort sévère pour Piiidare, qu’il accuse de pratiquer, dans les parties encomias- tiques de l’ode, un style obscur, pompeux, surchargé d’ornements, en trouve dans ce passage un exemple caractéfistique : « questo è cattivo gusto che nulla pua giustificare tanto e barocca Vimmagine, ridicola la pompa dei particolari ornamentali^ » ; il blâme la façon dont τράπεζαν (v. 40) interrompt brutalement l’expression méta­phorique οδρος... ίστίον (v. 39-40) et détruit l’unité de la repré­sentation et voit dans cette oscillation entre le sens propre et le sens figuré un « inescusabile difetto d’arte^ ». E. Romagnoli, quant à lui, témoigne au poète une condescendante indulgence : « Fa un po' ridere, ma è immaginoso^ ».

Une image aussi décriée mérite sans doute qu’on l’examine de près pour tenter d’en dégager la signification et la tonalité, mais il convient auparavant d’analyser le terme technique ύποστέλλειν (v. 39).

Lorsque le vent était trop fort, et qu’il fallait réduire la voilure, les marins grecs avaient le choix entre deux procédés.

Le premier consistait à carguer partiellement la voile sur la vergue : « la voile se retroussait par plis, à la façon des stores^ » : στέλλειν ou συστέλλειν. L’image est fréquente chez Euripide, qui fait de la Voile réduite le symbole de la crainte {Iph. Taur. 295-296 : ήμεϊς δέ συσ- ταλέντες, ώς θανούμενοι., | σιγτί καθήμεθ’. Bacch. 608-609 : πότερά σοι, ■KDippricsiai. I φράσω τά κεΐθεν ή λόγον στειλώμεθα) ; de la défaite et de l ’humiliation {Hér. 1417 : πώς οδν εμ’ εΐπας οτί συνέσταλμαι χακοΐς ; frg. 716 Ν, 3-4 τά τοι μέγιστα πολλάκις θεός | τάπειν’ ίθηκε καΐ συνέσ- τειλεν πάλιν. Héc. 1080-1082 lyT. ; στώ, π2 καμψω, | ναϋς όπως ποντίους πείσμασιν λινόκρονον | φάρος στέλλων ; TrO. 108-109 lyï. : ώ πολύς δγκος

1. V. 41-42 (voir ρ. 85 ss.).2. G. Perrotta, Pindaro, p. 136.3. De même H . Disep, p. 80.4. P. 137 ; même reproche à l ’adresse de 01. V I 22-28 (voir p. 12), où les mules

de Phintis se trouvent brusquement attelées au char des Muses.5. E. Romagnoli, p. 74.6. J. Vars, L ’art nautique dans l ’A ntiquité (Paris, 1887), p. 87 ; sur l ’usage des

cargues (τέρθριοι, Àr. Cav. 440, voir p. 53), voir L. Casson, p. 37.7. Cf. Or. 607 (p. 54).

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συστελλόμενος J προγόνων, ώς ούδέν ôép’ ήσθα) ; dans Ces deUX derniers passages le verbe a une valeur très imagée, puisqu’il évoque dans le premier cas la cécité de Polymestor, aussi incapable de se guider sans ses yeux qu’un vaisseau sans ses voiles et que dans le second il s’insère dans un stasimon particulièrement riche en métaphores nautiques, qui toutes ont pour fonction de souligner la déchéance de la -vieille Hécube^. L’image de la voile est d’ailleurs quasi inexis­tante chez Eschyle et Sophocle®, et, alors qu’Euripide se borne en général à reprendre, en les enrichissant, les métaphores dont ceux-ci lui donnent le modèle, il témoigne ici d’un souci réel d ’innover^. Aristophane bien sûr n ’a pas manqué de le parodier sw ce point : ainsi dans les Cavaliers, pour donner moins de prise au « vent de la colère » de Gléon, le charcutier « cargue ses saucisses » (v. 432-433 : έγώ δέσυσ-ιείλας γε τούς άλλαντας εϊτ’ άφήσω | κατά κϋμ’ έμαυτόν οΰριον), q u i t t e àdéfaire ensuite les cargues lorsque l’adversaire s’apaise (v. 440- 441 τούς τερθρίους παρίει · | τό ττνεϋμ’ ελαττον γίγνεται) ® ; et dans les Grenouilles, c’est devant sa propre colère qu’Eschyle doit ré­duire sa voilure pouï· faire bonne contenance face à Euripide : v. 998- 1003 lyr. : μή προς οργήν άντΛέξεις, | άλλα συστείλας άκροισι. | χρώμενος τοϊς ίστίοις, | εϊτα μάλλον μάλλον αξεις | καΐ φυλάξεις, ήνίκ’ αν τό | τινεϋμα λεϊον καΐ καθεστηκός λάβης ®.

1. Voir ρ. 31.2. Voir V. 102-104, ν . 116-118, ν . 136-137. Sur ces répétitions d’images, voir

p. 31 s., et H . Delulle, p. 39 s.3: Voir cependant Eschl., Eum. 556 (p. 54, n. 6) ; Soph., Él. 335 (p. 54).4. Voir sur ce point K. Pauer, p. 121, p. 160 ; dans Médée, sous le vent de co­

lère que souffle son épouse, Jason se compare à un pilote avisé qui doit de toute urgence réduire la voilure, v. 523-525 : άλλ’ ώστε ναός κεδνόν οίακοστρόφον | ακροισι, λαίφους κρασπέδοις ύπεκδραμεϊν | τήν σήν στόμαργον, ώ γύναι, γλωσσαλγίαν. L’image de la voile est amenée ici par l ’allusion précédente de Médée à Argo (v. 475 ss.) — on peut d’ailleurs considérer que le voyage d’Argo est à l ’origine de toutes les images nautiques de la tragédie : voir sur ce point E. M. Blaiklock, The nautical imagery of E uripides’ Medea [Class. Phil., 50, 1955), p. 234 — ; mais alors que toutes les métaphores em ployées par l ’héroïne (à l ’exception de celle des v. 768-770) ont une valeur essentiellem ent tragique, celle qu’utilise ici Jason se situe, par son caractère à la fois sophistiqué et parodique (cf. Eschl., Sept. 62), très loin d’elles : rien ne montre m ieux l ’abîme qui sépare les deux personnages et l ’im possibilité où ils sont de se comprendre ; voir à ce propos E. M. Blaiklock, p. 236.

5. L’affrontement est tout entier décrit en termes de tem pête et de navigation voir W. Holôhr, De metaphoris Aristophaneis (Diss. Marburg, 1923), p. 7 ss.H. J. Newiger, M etapher und Allegoric. Studien zu Aristophanes (München, 1957) p. 27 ss. ; J. Taillardat, Les images d'Aristophane (Thèse, Paris, 1962), p. 180 ss. sur le mélange de termes imagés et non imagés (cf. v . 432 : συστείλας... τούς άλλάν τας), voir Η. J. Newiger, p. 29 ; sur la parodie chez Aristophane des images ma ritimes héritées de la tragédie, voir A. Lesky, p. 236.

6. Voir W. Holôhr, p. 27 : « furor igitur quo Aeschylus excanduit cum tempes- tate comparatur, lingua cum nave tempestati subjecta » ; sur l ’image du « vent de

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Le second moyen de réduire la voilure était d ’amener la vergue avec la voile à la moitié du mât ou à son tiers inférieur ; « on sous­trayait ainsi la voile au vent soufflant plus frais dans le haut de la mâture^ » : ύποστέλλειν ou ύ φ ίεσ θ α ι^ . Ges deux termes, qui évoquent uiie manœuvre différente de celle que décrit συστέλλεϊν, n ’en ont pas moins une valeur symbolique toute proche : ils traduisent le fait de « céder », d ’era « rabattre » en paroles ou en actes ® ; ύποστέλλειν n ’a pas grande valeur imagée daïis VOreste d’Euripide (v. 607 : έττεί θρασύνη κούχ ύποστέλλη λ ό γφ )^ ; par contre, ύφίεσθαι se rattache cheZ Sophocle à l’image plus générale du voyage de la vie® {Él. 335 : vüv S’ έν κακοϊς μοι πλεϊν ύφειμένη δοκεϊ — Ghrysothémis réduisant la voi- lure® pour se soustraire aux tempêtes du malheur —) et dans les Grenouilles d’Aristophane à celle de la bourrasque c[ue déchaîne sur Euripide sa trop célèbre « fiole » (v. 1220-1221 : ύφέσθαι μοι δοκεϊ · )τό ληκύθιον γάρ roüro ττνευσεϊται πολύ)

C’est donc ύποστέλλειν que Piïidare a choisi pour évoquer la voi­lure réduite, et l’itnage porte la marque de sa technique incisive et rapide : car, au lieu de dire que le mariïi cargue sa voüe en raison du vent, il use d’uiie expression infiniment plus vive, où c’est le vent lui-même qui cargue la voile®.

'Τποστέλλειν une fois défini, la question essentielle demeure ce­pendant celle de la valeur figurée de οΰρος, et par contre-coup de ίστίον. Il faut pour cela partir du groupe ξενίαν... άμφί τράπεζαν (v. 39-40) : de même que la 1 ® Olympique évoque les jeux qui diver­tissent les convives de Hiéron autour de la table du prince — v. 16 ; oî«

la colère » (cf. Ar. Cav. 441, τηιεΰμ’, Gren. 1003, τυνεϋμα), voir p. 177, n. 2 ; pour les emplois en prose de συστέλλειν , voir P lat., Lys. 210 E ; Lois 691 E ; Thuc. V III 4 ; Isocr, V III 85.

1. J. Vars, p. 92 ; comparer à la position de la voile dans Ném. V 50-52 (p. 51).2. Cf. ArcML, frg. 56 a D, 2 : π]ολλ6ν 8’ ιστίων ύφώμεθα.3. Sur ce sens en prose, voir Dém. I 16.X X I 70 ; mais ce n’est le plus souvent

qu’une formule au sens d’ « abréger » (Plat., A pol. 24 A ; Isocr. V I 89. V III 41. IX 39 ; Dém. IV 51 .X IX 156).

4. Cf. Bacch. 608-609 (p. 52).5. Sur ce thèm e, voir p. 265 ss.6. L’image est d’autant plus naturelle que dans le domaine des sentim ents

ύφίεσθαι s ’emploie au sens de océder». Un passage des Euménides d’Eschyle évoqpie égalem ent la voile qui s ’abaisse, v . 555-557 lyr. : [τόν άντίτολμον δέ φαμι] βιαίως ξύνχρόνίρκαθήσειν I λαϊφος, δ-ταν λάβη πόνος | θραυομένας κεραίας ; l ’expression καθήσειν λαϊφος (ν. 555-556) a évidem m ent une valeur sarcastique : il n ’est pas question ici d’une manœuvre (cf. v . 555, βιαίως) puisque la vergue se brise (v. 557 ; θραυομένας κεραίας) ; mais la chute de la voile est le sym bole de l ’échec du pirate. Sur l ’en­semble du passage (v. 550-565), voir p. 322 s. ; sur l ’utilisation par Eschyle des métaphores nautiques pour traduire la lu tte de l ’homme contre les dieux et sa défaite, voir A. Lesky, p. 235.

7. Pour τυνεϊν, voir p. 170 ss.8. Voir à ce propos F. Mezger, p. 190.

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παίζομεν φίλαν | όίνδρες άμφί θαμά τράπεζαν — I’expression de la II® Isthmique suggère eUe aussi le rassemblement des hôtes autour de la table de Xénocrate : ξενίαν (v. 39) implique la présence des ξεϊνοι, et l’ensemble ξενίαν | οδρος έμττνεύσαις... | ... άμφί τράπεζαν (v. 39- 40) équivaut à ξείνων οδρος έμπνεύσαις κτλ. ; ce Vent (οΰρος), c’est donc ici l’afflux des convives, auquel Xénocrate doit faire face comme un marin : car, de même qu’un matelot aventureux conserve au mépris de toute prudence sa voile largement déployée, même si le vent y souffle fort, de même Xénocrate, loin de toute mesqui­nerie, pratique toujours, si considérable que soit le nombre des arri­vants, une hospitalité généreuse, sans songer à, la restreindre^. La voile bien gonflée par le vent symbolise ici la générosité du person­nage, comme dans Iîi pe Pythique (v. 91) ίΰτίον άνεμόεν représente celle de Hiéron^; ce derïiier a bien sûr des obligations politiques qui font que la métaphore de la voile, quand elle s’applique à lui, ne se situe pas sur le même plan que dans le cas de Xénocrate : U n ’en demeure pas moins que les deux images sont étonnamment proches, et qu’en « croisant » 01. I 16 : οΐα παίζομεν φίλαν | άίνδρες άμφί θαμά τράπεζαν et Pyth. I 91 : έξίει 8’ ώσπερ κυβερνάτας άνήρ | ίστίον άνεμόεν, οη créerait une expression fort semblable à celle de Isthm. I I 39-40 : ούδέ ποτε ξενίαν ( οδρος έμττνεύσαις ύπέστειλ’ | ίβτίον άμφί τράπεζαν

Cette présentation de Xénocrate sous les traits d ’un marin se poursuit aux v. 41-42 par l’évocation des voyages qui le mènent jusqu’au Phase et jusqu’au Nil — cette seconde image suggérant l’exceptionnelle qualité de l’accueil qu’U réserve à tous^.

On conçoit que le passage ait pu déconcerter ; ce qui y est parti­culièrement remarquable, c’est la souveraine désinvolture avec la­quelle Pindare y pratique le mélange des genres, unissant dans une même vision vocabulaire noble (οδρος, έμτινεύσαις, ίστίον)® et termes familiers (τράπεζαν), passant sans transition du domaine imagé au

1. Sur cette présentation nautique de Xénocrate, voir L. Manuwald, p. 22. E. Thummer [Pindar. D ie Isthmisehen Gedichte, II) a une formule heureuse pour définir ce marin « der den Ansturm der Gàste m it vollen Segeln auffangen soil » (p. 50). B. Romagnoli pour sa part fausse l ’image en disant que Xénocrate ne craint pas le manque de vent (p. 74) ; c’est bien plutôt l ’excès de vent qu’il ne redoute pas.

2. Voir p . 111 ss. ; cf. aussi v . 90 : μή κάμνε λίαν δαπάναις.3. Nous construisons οδρος έμτηιεύσαις άμφί τράτιεζαν, άμφί τράπεζαν dépendant

du verbe comme, dans 01. I 16, de παίζομεν. L. R. Farnell {A critical commentary to the works of P indar, London, 1932) construit ίστίον άμφί τράπεζαν et en conclut (p. 346) que ίστίον désigne la nappe de Xénocrate ; l ’hypothèse ne mérite pas d’être retenue.

4. Voir p. 85 ss.5. Pour l ’alliance de ces trois termes em ployés au figuré voir Eur., A ndr.

554-555 : πρώτον μέν οδν κατ’ οδρον ώσπερ ίατίοις | έμτηιεύσομαι ττ)δ’.

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domaine de la réalité^ et des choses maritimes à celles de la terre. Dans ce tableau où tout détonne, il y a certainement beaucoup d’humour^ ; il y a aussi un sens de l’équivoque auquel le poète n ’a guère habitué son public, et dont on ne retrouve l’équivalent que dans certaines représentations nautiques de banquets de la comédie attique

L’image de la voile est par contre pleine de gravité à la fin de la IV® Pythique. C’est que les circonstances sont sérieuses, et qu’il s’agit d’obtenir d’Arcésilas le rappel à Gyrène de Damophile, na­guère compromis dans un complot oligarchique et, pour cette rai­son, condamné au bannissement par le souverain*. La prière en faveur de l’exilé occupe toute la dernière triade de l’ode (v. 277- 300), et après une brève évocation de Zeus délivrant les Titans (V. 291 : λϋσε δέ Ζεύς άφθιτος Τι|τάνας) le poète enchaîne :

Έ ν 8è χρόνω μεταβολαΐ λήξαντος οΰρου ιστίων.

V. 292.

(( avec le temps^, quand le vent tombe, on change de voiles. »

Il est probable que l’image nautique s’explique en premier lieu par le souvenir du voyage accompli par Damophile loin des rivages de Gyrénaïque, de même que c’est le départ d’Agésias pour la Sicile qui a inspiré au poète, dans la VI® Olympique, la double métaphore des V. 101-102 et des v. 103-104®. On peut également interpréter les deux détails du vent et des voiles en relation avec les circonstances présentes : c’est un conseil de clémence que Pindare adresse au souverain, celui-ci devant, à, l’exemple de Zeus, mettre fin à son ressentiment ; c’est aussi, plus largement, une invitation à, s’adapter aux circonstances, à, savoir, quand les temps changent (λήξαντος

1. Dans 01. VI 22-28 (voir p. 12, p. 26, p. 52, n. 4), l ’audace est aussi grande, mais le procédé inverse : le poète passe du réel —· char de Phintis —■ au m éta­phorique — char des Muses.

2. Voir à ce propos le commentaire de H . Frânkel, Dichtung und Philosophie des frühen Griechentuins, p. 629.

3. Voir en particulier Épicrate, frg. 10 E (cité p. 227) ; voir aussi p. 311.4. Sur ces faits, voir C. Gaspar, E ssai de chronologie pindarique (Bruxelles,

1900), p . 147 ; R. Lattimore, Pindar's fourth Pythian ode [Class. Weekly, 42, 1948), p. 22 s. ; F . Chamoux, Cyrène sous la monarchie des Battiades (Thèse, Paris, 1952), p. 173, p . 187, p. 196 ss. ; E. L. Bundy, Studia pindarica, II (Univ. of California Publ. in Class. Phil., 18, Berkeley, 1962), p. 51.

5. Sur l ’importance de la notion de tem ps dans l ’image du vent qui change, voir p. 207.

6. Voir p. 62 ss. ; on pourrait en dire autant, pour le tableau liminaire de la XII® Olympique, (v. 1-6), du voyage d’Ergotélès à Himère (voir p. 122 ss.).

7. Voir F. Ghamoux, p . 194.

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οΰρου), changer lui aussi d’attitude (μεταβολαΐ Εστιών), de même qu’un marin avisé modifie sa voilure selon la force du Vent’· ■— et l’on ne peut qu’admirer ici l ’art de traduire dans la phrase, par un rythme qui défaille et progressivement perd le souffle — mots de quatre, trois et deux syllabes : μεταβολαί — λήξαντος — οΰρου — la lente agonie de la brise. L’image est donc, en l’occurrence, un artifice « diplomatique » destiné à voiler ce que la requête pourrait avoir de trop hardi si elle était directement présentée®.

Mais elle a en définitive une signification beaucoup plus générale : conscient que tout change, et que nul aujourd’hui ne peut dire ce que sera le lendemain, Pindare a vu dans les images maritimes— image du vent : Isihm. IV 6. Pyth. III 105. 01. VII 94-95^ ; image de la vague : 01. X II 5-6^, II 37-38®, les deux se combinant parfois : Istkm. V III 14-15, III 19® — le moyen le plus propre à traduire l’instabilité des choses humaines Tel est bien le cas dans la conclu­sion de cette IV® Pythiqne : aux yeux du poète, le spectacle des vicissitudes de Gyrène n ’est qu’une manifestation entre bien d’autres de cette loi qui veut que tous les hommes, dans la traversée de la vie, aient tô t ou tard à changer de voiles. Et cette conviction s’ex­prime dans une phrase d ’une superbe imprécision, où l’emploi des pluriels μεταβολαί e+ ιστίων (ce dernier rejeté avec emphase en tête d’antistrophe), en « agrandissant l'expression d'une manière toute ly­rique^ », élargit le tableau marin aux dimensions d’une méditation générale sur la destinée.

1. Nous pensons que les deux parties de l ’image s ’appliquent au seul Arcésilas. K. H. Kaiser (p. 37) comprend pour sa part que Damopliile pourra changer de voiles quand cessera le vent de la colère du roi; mais οδρος (voir p. 181 ss., p. 185 ss.) conviendrait mal à l ’expression d’une image aussi violente que celle du « vent de la colère ».

2. Sur ces vertus « adoucissantes » de l ’image, voir aussi p. 316.3. Ces trois textes sont commentés p. 198 ss.4. Voir p. 127 ss.5. Voir p. 252 ss.6. Sur ces deux textes voir p. 192 ss.7. Sur ce thèm e chez Pindare, voir p. 191 ss.8. La formule est de A. Croiset, p. 397 ; sur cet emploi du pluriel chez Pindare,

voir aussi G. Nebel, P indar und die Delphik (Stuttgart, 1961), p. 167.

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CHAPITRE V

L’ANCRE

L’époque homérique n ’a pas connu l’usage de l’ancre : on utili­sait alors de grosses pierres, nommées εύναί {II. I 436, XIV 77. Od. XV 498, etc...), qui, de fait, assurent le sommeil du bateau^. Le terme άγκυρα, qui désigne l’ancre^, apparaît pour la première fois et avec une valeur figurée chez Théognis v. 458-459 : ού γάρ ττηδαλίφ πείθεται ώς άκατος | ούδ* δγκυραι χουοιν. Le pluriel a ici une Valeur sarcastique : une seule ancre devrait suffire à Γδκατος, mais la jeune épouse dont il est question^ est si volage que plusieurs ancres sont impuissantes à l’immobiliser Au v® siècle toutefois, dans le lyrisme comme dans la poésie dramatique, le terme a plus de gravité : il représente le symbole de la sécurité®, et à l’arrière-plaïi de la plu­part de ses emplois se perçoit l’idée des dangers contre lesquels il assure ou des épreuves auxquelles il met fin. Il y a lieu cependant de nuancer cette valeur symbolique de άγκυρα : car si une barque de petites dimensions peut se contenter d’une ancre, les bateaux de plus fort tonnage en portent couramment deux, l’une à la proue, l’autre à la poupe’ ; ces différences matérielles ont eu leur contre-

1. Nous considérons que dans les Choéphores d’Eschyle (v. 315-317 lyr. : τί σοι | φάμενος ή τί ρέξας | τύχοιμ’ âv εκαθεν ούρίσας | 2νθα σ’ ίχουσιν εύναί ;) εύναί fv. 317) désigne non pas la couche funèbre d’Agamemnon, mais, m étaphoriquement, les ancres qui retiennent le roi dans l ’univers des morts : voir l ’image fréc[uente du « hâcre de la mort » (Soph., A nt. 1284 lyr. ; Bur., Hér. 760 lyr., e tc ...) e t à ce propos les remarques de C. Bonner, p. 51 ss. ; d’ailleurs, dans la suite des Choéphores (v. 722-724 lyr., p. 226), la tombe d’Agamemnon est représentée comme le ri­vage auquel il accoste après la traversée de la vie.

2. Voir C. Torr, p. 174.3. L’emploi de άγκυραι est douteux au v. 9 du frg. 46 a D d’Alcée ; il faut sans

doute lire άγκονναι.4. Voir p. 34.5. Voir à ce propos les remarques de K. D ietel, p. 134 ; sur ττηδάλιον (v. 458),

voir p. 104 et n. 2.6. H ésychius : άγκυραι · μεταφορικώς αΐ άσφάλειαι.7. Voir C. ΤοΓΓ, p. 72 ; c ’était le cas des navires de guerre athéniens : la seconde

de ces ancres, qu’on n’utilisait qu’en cas d’extrêm e nécessité, était nommée « ancre sacrée » (Plut., M or. 815 D ; Luc., Ju pp. trag. 51 : άγκυρα Ιερά; P lut., Mor. 812 C : σκεύος ίερόν) ; « jeter Vancre sacrée », c ’est, au figuré, recourir à des moyens d’urgence, dans une situation particulièrement grave (Plut., Coriol. 32,

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coup dans le domaine imagé, et la signification métaphorique de l ’ancre s’en est trouvée diversifiée : alors qu’une seule ancre sym­bolise un salut précaire^, les deux ancres sont devenues l’image quasi- proverbiale d’un appui particulièrement sûr.

D’une façon très concrète et directement sentie, l’aïicre désigne, notamment chez les tragiques, une personne sur qui reposent toutes les espérances d ’un être plus faible : un enfant pour des parents dans la détresse, un mari pour une épouse ; ainsi Sopb,., frg. 619 : άλλ’ είσι μητρί παϊδες δγκυραι βίου; Eur., frg. 866 Ν : άλλ’ ήδε μ’ έξέσωσεν, ήδε μοί τρόφος, | μήτηρ, άδελφή, δμωίς, άγκυρα στέγης ; Hél. 277-279 : άγκυρα δ’ ή μου τάς τύχας ώχει μόνη, | — πόίιν ποθ’ ήξει,ν καί μ’ άπαλλάξειν κακών — | οδτος τέθνηκεν, οδτος ούκέτ’ εστι δή. —■ l’ancre unique à laquelle « te ­nait^ » le destin d’Hélène étant l’espoir de revoir Ménélas (v. 278) ; mais c’est Ménélas lui-même qui finit par s’identifier (v. 279) à ce symbole de salut®, de même que dans Hécube Polydore repré­sente pour sa mère la dernière ancre qui retient sa demeure ; v. 80 (lyr.) μόνος (s. e. παΐς) οϊκων άγκυρ’ &τ’ έμών*. La métaphore a connu par la suite une certaine faveur, et dans les genres les plus divers : Hérond. I 41-42 : καΐ 8ρη πρός όίλλον · νηϋς μιής επ’ άγκύρης | ούκ άβφαλής όρμεϋσα ; Héliod. IV 19 : Χαρίκλεια μόνη παραψυχή καΐ ώς είπεϊν

1 ; voir ρ . 60, n. 5 ; Luc., Fugit. 13). Certains navires de commerce possédaient plus de deux ancres : voir C. Torr, loc. cit. ; sur l ’image des trois ancres, voir Eur., frg. 774 N {p. 60, n. 5).

1. Sur l ’image de l ’ancre qui cède, voir trag. frg. anon. 379 N : εϊκει γάρήδη θυμός oùS’ ίτ άντέχει | θινώδες ώς άγχίσχρον άγκύρας σάλφ ; le ν. 505 de VAgamemnon d’Eschyle — πολλών ραγεισών ελπίδων μιας τυχών — évoque plutôt (contraire­m ent à ce que pense A. L. K eith, p. 130) des amarres qui se brisent.

2. Dans ce vers, άγκυρα impose l ’image de l ’ancre ; mais l ’expression όχεϊσθαι έπί, suivie du génitif d’un terme comme ρώμη ou έλπίς, implique-t-elle la même im age? Voir Eur., Or. 68-69 : ώς τά γ ’ όίλλ’ έπ’ ασθενούς | ρώμης όχούμεθ’ ; Ar., Cav. 1244 : λεπτή τις έλπίς έστ’ έφ’ ής όχούμεθα ; frg. 150 Ε, 11 ; ώς σφόδρ’ έπί λεπτών ελπίδων όχεΐσθ’ άρα ; P lat., Lois 699 Β : έπΙ δέ της έλπίδος όχούμενοι ταύτης. II est certain que l ’expression έπ’ άγκύρας όχεΐσθαι n ’est pas attestée, et que δχεϊσθαι peut être en rapport avec des objets très divers, tels (jue σχεδία (Plat., Phéd. 85 D ; έπΙ τούτου — sc. λόγου —■ όχούμενον ώσττερ έπί σχεδίας κινδυνεύοντα δια- πλεϋσαι τόν βίον), άρμα, etc. On peut donc conclure que dans les exem ples cités ci-dessus, όχεϊσθαι έπί forme un tout, sans grande valeur imagée, et qui n’appelle en soi aucune représentation précise ; voir sur ce point H. Disep, p . 152 s.

3. Sur ce glissem ent, voir H . Disep, p. 145.4. Voir à propos de ce passage E. E. Pot, p. 36 ; K. Pauer, p. 125. Antigone

et Ismène sont sem blablem ent les ancres sur lesquelles s ’appuie Œdipe : Soph., Œd. Col. 147 lyr. : κάπί σμικροΐς μέγας ώρμουν. Telle est l ’image que même sans le secours de άγκυρα suggèrent όρμεϊν — chez Sophocle comme chez Démosthène : X V III 281 : ούκ έπΙ τής αύτης όρμεϊ τοϊς πολλοΐς (cf. έπ’ άγκύρας όρμεϊν : Hérond. I 41-42, ρ. 59 ; Dém. LVI 44, ρ. 60, η. 1 ; P lut., Sol. 19, 2, p. 60) — et όρμίζειν (Eur., Phén. 846 : όρμίσαι... πόδα) ou όρμίζεσθαι (Eur., Hér. 203 : μη ’κ τύχης ώρμισ- μένος).

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άγκυρα; Épict., frg. 30 S : οΰτε ναϋν εξ ένός άγκυρίου ουτε βίον έκ μιας έλπίδος όρμισθέον.

L’image des deux ancres’· quant à elle vaut principalement dans le domaine politique^ et évoque le « vaisseau de la cïté^ »; on la ren­contre chez Euripide, dans le frg. 774 N : ναϋν τοι μί’ αγκυρ’ ούχ όμως σφζειν φιλεϊ | ώς τρεις άφέντι · προβτάτης θ’ άπλοϋς πόλει | σφαλερός, ύπών δε κόίλλοςού κακόν πέλει. La signification politique de l’image est ici sou­lignée par la forme même de la comparaison paratactique^ (v. 1 : μί’ όίγκυρ’, V. 2 : προστάτης θ’ άπλοϋς —· ν. 1 : ναϋν, ν. 2 : πόλει), et le rapport y est adroitement établi entre le littéral et le figuré par l’emploi d’un terme comme ύπών (v. 3) qui évoque à la fois le soutien du chef d’É tat et, de façon très imagée, la position de l’ancre au-dessous du vaisseau; il est remarquable enfin que, si le poète fait successivement allusion à une ancre (v. 1) et à, trois ancres (v. 2), c’est cependant l’image des deux ancres (v. 3 : κάλλος) qui semble bien avoir surtout retenu son attention. De même Plutarqua re­présente l’Ecclésia et la Boulé comme les deux ancres propres, aux yeux de Solon, à protéger Athènes de la houle : Sol. 19, 2 : οίόμενος έπΙ δυσΙ βουλαΐς ώσπερ άγκύραις όρμοϋσαν ήτταν έν σάλφ την πόλιν ^εσθαι

Chez Pindare, qui l’emploie par trois fois, la métaphore de l’ancre est toujours liée, quoique sur des plans très différents, à l’image du voyage sur mer ; toujours aussi elle s’associe à l’idée d’épreuve ou de danger. C’est ainsi que dans la Pythique l’évocation du matelot qui jette l’ancre ■—■ v. 51-52 : ταχύ 8’ άγ|κυραν ερεισον χθονί I πρώραθε® ■—-tire toute sa valeur dramatique de l’apparition soudaine de la roche à fleur d’eau, χοφάδος... πέτρας (v. 52)’. Le geste est vif, et rendu avec expressivité moins par ταχύ (v. 51) que par πρώραθε (v. 52) qui, rejeté en tê te du vers suivant, traduit de façon par­ticulièrement heureuse la promptitude du jet® : cette précipitation

1. Voir Dém. LVI 44 : μηδ’ έπΙ δυοϊν άγκύραιν όρμεϊν αυτούς έατε.2. Voir cependant Soph., Œd. Col. 147 (p. 59, n, 4).3. Sur cette image voir p. 104 ss.4. On trouvera de ce type de comparaison d’autres exemples p. 120, p. 190,

p. 191.5. Voir aussi Plut., Coriol. 32,1 : καθάπερ έν χειμώνι πολλω καΐ κλύδωνι της πόλεως

άρασα τήν ιεράν άφήκεν (s. e. βουλή) ; pour σάλος et κλύδων, voir p. 260 SB. ; pour χειμών, p. 282 ss. A propos de cette signification politique de l’image des deux ancres, signalons que le frg. 210 P de Sophocle présente le terme άγκυρα au plu­riel : col. III, V. 64 : άγ]κυρών ïn ; cf. v. 54 : 2]ρρηξεν νότος ; le texte est trop mu­tilé pour qu’on puisse en tirer des conclusions assurées ; A. G. Pearson [The frag­ments of Sophocles, Amsterdam, 1963) en propose l’interprétation suivante, p. 157 ; « while Eurypylus lived, our city was like a ship securely moored ; but now a fierce gale has broken the cable ».

6. Voir p. 44 s.7. Sur cette image, voir p. 312 s.8. Sur la disposition des termes dans ces vers, voir S. Lauer, Zur Wortstellung

hei Pindar (Diss. Winterthur, 1959), p. 24.

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témoigne de la gravité du péril et de l’urgence qu’il y a à s’en écar­ter.

Mais les périls connus par l’ode ne sont pas les plus gtaves ; d’autres épreuves attendent l’homme dans le voyage de la vie, dont il peut néanmoins espérer triompher avec l’aide des dieux. L’exemple de Phylacidas d’Égine, célébré dans la VI® Isthmique, est à cet égard l’occasion pour Pindare d ’une réflexion générale d’où se dégage clairement le sens figuré de άγκυρα, symbole de paix et de sérénité.

εί γάρ τις άνθρώπων δαπάνα τε χαρείς καΐ πόνω πράσσει θεοδμάτους άρετάς, σύν τέ οί δαίμων φυτεύει

δόξαν έπήρατον, έσχατιαϊς ήδη πρός ολβου βάλλετ’ άγκυραν θεότιμος έών.

V. 10-13.

« si un homme se plaît à la dépense et à Veffort et exerce la valeur que les dieux ont mise en lui, si la divinité pour lui fait croître une gloire enviable, c'est aux rivages suprêmes du bonheur que désormais il jette Vancre : il a la faveur des dieux ».

L’expreission έσχατιαϊς... προς ολβου (v. 13) désigne allusivement les colonnes d’Héraklès, où la tradition mythique situait la ναυτιλία έσχάτα {Ném. III 23)^ du héros, et qui sont aux yeux de Pindare le symbole du succès suprême et des limites propres à toute entre­prise humaine^; l’ancre leur est ici associée dans la mesure où le groupe βάλλετ άγκυραν (v. 13) permet de se figurer le terme de ce «voyage » au cours duquel Phylacidas a connu l’épreuve (v. 11 : πόνω), mais qui, grâce aux dieux et à son άρετή (v. 11), assure sa gloire et son bonheur^. Quoique orientée Vers des considérations plus quo­tidiennes, l’expression βάλλεσθαι άγκυραν a Une valeur métaphorique en définitive assez semblable dans le frg. 213 E de Philémon, où l’auteur vante la sécurité qui résulte pour l’homme de la pratique d’un métier : v. 9-10 καν μέν 6ρμισθγί τις ήμών εις λιμένα τον [της] τέχ­νης, J εβάλετ’ άγκυραν καθάψας άσφαλείας εϊνεκα*. Et c’est encore le

1. Voir p. 34, p. 79 ss.2. Sur ia signification des colonnes d’Héraklès, voir p. 72 ss.3. Voir à ce propos E. Thummer, Pindar. Die Isthmischen Gedichte, II, p. 102 ;

sur l’importance de la notion d’άpετή et de gloire dans l’image du voyage sur mer et des colonnes d’Héraklès, voir p. 75 s.

4. Les vers qui suivent expriment, toujours avec un vocabulaire marin, l’hypo­thèse inverse ; v. 11-12 : αν δ’ απαίδευτος τύχη τις ττνεύματος φορούμενος, | τής άπο- ρίας εις τό γήρας ούκ ’έχει σωτηρίαν. L’opposition άπορίας (ν. 12) άσφαλείας (ν. 10) revient à peu de chose près à celle établie par Pindare dans la VI® Isthmique entre πόνφ (v. 11) et ολβου (v. 13). On notera que chez Philémon l’image de l’ancre s’accompagne de celle du port ; cette dernière est inconnue de Pindare : faut-il y voir un signe de pessimisme du lyrique, convaincu que le bonheur ne dure pas? Pour καθάψας {Phil., frg. 210, 10), voir p. 74 s.

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repos après l’effort que suggère μεθιέναι όέγκυραν dans un passage d’Éscliyle — Cho. 661-662 : ώρα 8” έμπόρους μεθιέναι | άγκυραν έν δόμοισι ττανδόκοις ξένων — ■ OÙ, selon Un procédé caractéristique du poète, l’image a essentiellenxent pour support le sens ambigu d ’un mot, ici έμπορος (v. 661), qui désigne tan tô t un voyageur sur terre^— ce qui est le cas d’Oreste —■ et tan tô t le passager d’un navire (Hom., Od. II 319, XXIV 300, etc.) : c’est ce second sens qui, pré­valant dans l’imagination d ’Eschyle, entraîne l’expression μεθιέναι άγκυραν et permet le passage de la réalité à l’image

La VI® Olympique présente également l’image de l’ancre ; mais la menace des dangers s’y faisant plus nettement sentir que dans la X® Pythique et la VI® Isthmique, c’est au symbole des deux ancres que recourt cette fois Pindare.

ΆγαθαΙ δε πέλοντ’ έν χειμερίου νυκτί θοας έκ ναός άπεσκίμ-

φθαι δύ’ άγκυραι.V. 101-102.

« Ü est bon que dans une nuit de tempête deux ancres soient jetées du rapide navire. »

L’ode est adressée à, Agésias, un des lieutetiants de Hiéron, origi­naire de Syracuse, mais également rattaché, du côté maternel, à la ville de Stymphale en Arcadie ; c’est à coup sûr cette double ap­partenance, ce double lien, qui a eh premier lieu imposé à, Pindare l’image des deux ancres® : au cas où l’xme d’entre elles céderait, où Agésias üe pourrait trouver refuge dans l’une de ses deux patries, il lui reste cependant l’appui de l’autre*. Il peut sans doute paraître étonnant qu’un navire à l’ancre soit appelé « rapide » : en fait, si θοοίς... να6ς (v. 101) est Une locution épique transposée telle cpielle par Pindare®, et que l’on retrouve par ailleurs chez lui {Pyth. IV 25, V 88. Ném. VII 28. frg. 96, 5), θοας n ’est pas ici une simple épithète ornementale : l’adjectif a pour fonction de créer un contraste dra-

1. Sens courant de έμπορος dans la tragédie ; voir H. Knorringa, p. 30.2. Sur ce procédé de création d’images, voir W. Headiam, Metaphor, with a

note on transference of epithets {Class. Rev., 16, 1902), p. 436 ss. ; W. B. Stanford, Aeschylus in his style, p. 76 S. ; O. Smith, Some observations on the structure of imagery in Aeschylus (Class, et Mediaev., 26, 1965), p. 33 s. ; voir infra, p. 176 s., p. 178 s.

3. Par ailleurs le chiffre « deux » joue un grand rôle dans l’ensemble du poème (v. 45-46, V. 58-59, v. 65, v. 81, v. 93) ; voir sur ce point les remarques de G. Nor­wood, Pindar, p. 129.

4. Voir F. Dornseiff, Pindars Olympische Hymnen (Leipzig, 1937), p. 33 ; M. F. Galiano, Pindaro. Olimpicas (Madrid, 1944), p. 209 ; G. Perrotta, Pindaro,'ç. 226.

5. Cf. Hom., II. XIV 410 ; X X III 317, etc... ; sur ces emprunts littéraux à la langue de l’épopée, voir H. Schultz, p. 31 ss.

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matique entre l’évocation du voyage de la vie, où le vaisseau est soumis à la violence des vents et des courants, et celle du brusque arrêt ·— v. 101 : άπεσκίμ] φθαι — que justifie l’urgence des périls

Ces périls sont suggérés au v. 101 par le groupe χειμερί( | νυκτί ; il est vrai que le mauvais temps en Grèce survient souvent pendant la nuit (Théogn. 671-672 vüv φερόμεσθα... I ... νύκτα διά δνοφερήν . Eschl., Ag. 653 : έν νυκτί δυσκύμαντα δ’ όρώρει κακά 3. Bacctyl., Ode X III 124-140) et que pour les navigateurs la nuit est élément de trouble et d’angoisse (Eschl., Suppl. 769-770 : φιλεϊ | ώδϊνα τίκτειν νύξ κυβερνήττ) σοφω) ; mais l’expression doit naturellement s’inter­préter ici au figuré®, et en liaison avec l’image des deux ancres. L ’ode datant vraisemblablement de 468, on peut voir dans χειμερίί | νυκτί une allusion à la situation incertaine de Syracuse dans les dernières années du règne de Hiéron ; le souverain ressentait de plus en plus gravement les atteintes de la maladie et appréhendait à coup sûr les conséquences que sa mort entraînerait pour sa dynas­tie ; Agésias, de son côté, dont l’impopularité auprès du peuple était notoire, avait tout à craindre d’une telle disparition®. Il est donc certain que les événements de l’époque donnent de χειμερί()! | νυκτί une explication possible ; mais l’erreur serait de s’en tenir à une interprétation aussi étroite : quand on sait que Hiéron est mort en 466, et qu’Agésias a péri la même année au cours des émeutes qui ont accompagné le changement de règne, il est évidemment facile, une fois les événements survenus, de prêter à Pindare d’éton- nantes facultés de prophète ·—· et un certain manque de tact — et d ’assurer qu’il avait effectivement prévu la mort du prince·^ et celle de son lieutenant®. On voit le danger d’une pareille critique, qui pourrait, selon les circonstances, donner d’un texte suffisamment vague les interprétations les plus diverses ® ; or, même si Piadare était informé de la situation politique à Syracuse et s’il s’en est préoccupé, ce qui est tout à fait vraisemblable, même si dans ces conditions la métaphore des deux ancres et de la nuit de tempête a pour origine un état de faits précis, ces faits ne sont qu’un point

1. Voir G. M. Bowra, Pindar, p. 218 ; sur θοός appliqué métaphoriquement à des combats, voir p. 125 s.

2. Voir p. 108.3. Voir p. 270, p. 287.4. Voir p . 305 SB.5. Sur les emplois métaphoriques de χειμών, voir p. 278 ss.6. Sur ces faits, voir en particulier G. Gaspar, p. 138 s. ; G. Méautis, p. 200.7. Voir G. Coppola, Introduzione a Pindaro, p. 139.8. Voir L. Wolde, Pindar. Die Diehtungen und Fragmente (Leipzig, 1942),

p. 267, n. 39 ; O. Warner, p. 513.9. On verra la même erreur se reproduire à propos de 01. VII 94-95 (voir

p. 204 s.).

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de départ : ils donnent le branle à l’iniagination, éveillent la réflexion du poète qui, d ’un large coup d ’œil, saisit d’emblée derrière eux une réalité beaucoup plus vaste : celle des vicissitudes de l’existence humaine. Aussi est-ce avec une volontaire imprécision qu’ü évoque ces dangers : car, pour toucher, par delà Agésias, l’ensemble de son auditoire, pour les lui faire plus intensément ressentir, U fallait les situer dans un contexte proprement universel^.

Que Pindare n ’ait pas seulement songé à, la situation de Syracuse et aux risques réels qu’elle comportait, on en a d’ailleurs la preuve' dans le fait que la vision n ’est pas délibérément pessimiste : témoin l’ordre des mots, très significatif à cet égard, puisque les termes qui symbolisent la sécurité — ■ v. 101-102 ; άγαθαί... δύ’ αγκυραι — semblent, en encadrant le χειμερία | νυκτί du v. 101, limiter les périls suggérés par ces derniers ; témoin aussi la prière à Poséidon qui, prolongeant la métaphore maritime des v. 101-102, achève l’ode sur une note d ’espoir :

Δέσποτα ποντομέδων, εύ- θύν δέ πλόον καμάτων

έκτος έόντα SiSot.V. 103-104.

« souverain de la mer, accorde-lui une navigation qui le mène droit loin des épreuves. »

L’ode a été chantée à Stymphale, d’où Agésias se préparait à repartir pour la Sicile ; la « navigation » à laquelle le poète fait allusion semble donc de prime abord désigner ce voyage qui doit ramener le vainqueur, avec le poème, dans sa patrie^ : de là l’invocation à Poséidon, auquel on avait coutume de s’adresser avant le départ d’un bateau pour que le dieu le guide favorablement au cours de sa traversée®; cependant, si Pindare n ’avait eu en tê te que le voyage réel d ’Agésias, il n ’aurait pas employé une expression telle que καμάτων | έκτος —· V. 104 : « loin des épreuves » —■ puisque la cité que le vainqueur s’apprête à regagner est précisément celle où les diffi­cultés l’attendent : on doit donc comprendre l’expression dans son ensemble comme métaphorique^ — et prolongeant l’image du vais­seau dans la nuit de tempête des v. 101-102® — sans se dissimuler

1. Voir G. Fraccaroli, p. 239; C. M. Bowra, Pindar, p. 264.2. Voir schol. 177 A (DR I, p. 195) : μέλλει γάρ ό Άγησίας είς Συρακούσας

πέμπει,ν τόν ΰμνον πλοΐ.3. Voir sur ce point E. S. Mac Cartney, Greek and Roman weaiher-lore of the sea

[Class. Weekly, 27, 1933-1934), p. 29.4. Voir schol. 177 B (loc. cit.) : τινές δέ τήν διαγωγήν τοϋ βίου πλοϋν φαβι ποιεϊσθαι.5. Voir sur ce point G. Cessi, L ’esegesi artistica ed i motivi genetici degli Epinici

di Pindaro [Atti del r. Inst. Venet., 83, 1923-1924), p. 616.

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néanmoins que c’est très probablement ce voyage au sens littéral qui est à l’origine du voyage au sens figuré’· : la réalité et l’image ne font qu’un, et de même que le thème du voyage vaut sur deux plans de même l’intervention de Poséidon est sentie à la fois du point de vue mythologique et symbolique ; ce que Pindare attend de lui, c’est que dans le voyage de la vie il guide la barque du des­tin d’Agésias έκ χειμερίας νυκτός ; c’est lui qui pareillement a su, dans la VII® Isthmique, rendre la sérénité au poète et aux citoyens de Thèbes après la tempête de la guerre (v. 38 : εύδίαν... | ... έκ χειμ,ώ- νος) ® ; et c’est encore sa protection bienveillante que Pindare in­voque par deux fois — Isthm. I 32, IV 39 —■ dans des Vers situés à proximité immédiate de deux évocations où les malheurs de la guerre et l’apaisement qui leur succède sont traduits par un voca­bulaire symbolique fort proche de celui de la VI® Olympique : Isthm. I 36 : ναυαγίαις, 40 : εύαμερίας*. IV 18 : μετά χειμέριον | ... ζόφον®.

L’image du « dieu-püote » est ici en germe®, et, s’il subsistait en­core des doutes sur la valeur figurée des termes caractérisant le rôle de Poséidon, il suffirait de se reporter à la fin de la Vlll® Pythique, où l’invocation à la divinité protectrice d ’Égine s’exprime eh des termes étonnamment semblables : v. 98 : Αίγινα φίλα μάτερ, έλευθέρω στόλφ | πόλιν τάνδε κόμιζε^; même situation à l’extrême fin de l’ode, même majesté dans le déroulement de la prière, qui met en tê te le nom ou le titre de la divinité invoquée {01. VI 103 : δέσποτα ποντο- μέδων ; Pyth. VIII 98 : Αϊγινα φίλα μάτερ), finit sur le geste qu’on en attend ÇOl. VI 104 : δίδοί ; Pyth. VIIT 98 : κόμιζε) et place au centre,

1. D ’ailleurs n’est-ce pas ce voyage imminent d’Agésias qui a contribué à imposer également l’image des v. 101-102 à l’esprit de Pindare?

2. De même dans Iphigénie en Tauride Pylade affirme sa résolution de mourir en même temps qu’Oreste, puisqu’il a « n a v i^ é » avec lui ; v. 675 : xoivf) τ’ έπλευσα, δεϊ με καΐ κοινή θανεϊν ; ^πλευβα est ambigu : c’est en bateau que les deux hommes sont parvenus ensemble en Tauride, mais leur solidarité a un sens plus profond, car elle vaut aussi pour le voyage de la vie ; voir les paroles d’Oreste v. 599-600 : ό ναυστολών γάρ είμ’ εγώ τάς συμφοράς · | οΰτος δέ συμπλεϊ των έμων μόχθων χάριν ; voir là-dessus Ε. Schwartz, p. 30 ; pour συμπλεϊν — ou l’adjectif σύμπλους — symbolisant la communauté de sort, voir Soph., Ant. 541 ; Eur., Hér. 1225 ; voir aussi Eschl., Sept 602-604 — pour κοινόπλους, Eur., frg. 852 N, 5. Enfin sur la locution figée δεύτερος πλους, voir Mén., frg. 241 E ; Plat., Phil. 19 G ; Phéd. 99 D ; Pol. 300 G ; Arist., Éth. Nie. 1109 A ; Pol. 1284 B, etc.

3. Voir p. 299 s.4. Voir p. 315 ss.5. Voir p. 301 s.6. Voir p. 121 ss. ; on peut à cet égard rapprocher le εύθύν de 01. VI 103 du

εΰθυνε de Ol. X III 28 (p. 185 s.) ; sur l ’image du voyage qui s’effectue tout droit, voir O. Becker, Dos Bild des Weges, p. 62 ss., p. 85 ss. ; sur celle du voyage de la vie, ihid., p. 196.

7. Passage commenté p. 133 s.

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avec emphase, la faveur demandée {01. VI 103-104 ; εύθύν πλόον; Pyth. VIII 98 : έλευθέρω σΐόλφ)^; et dans les deux passages l’espoir d ’un bonheur à Venir s’exprime par l’image du voyage sur mer ; 01. VI 104 : πλόον; Pyth. VIII 98 : στόλω .

L’image de l’ancre est donc courante à l’époque de Pindare ; l’usage qu’il en fait n ’en est pas moins original. Car pour lui l’ancre n ’est pas un symbole inerte, mais au contraire lié à l’action, au geste, et en conséquence toujours rattaché à un verbe qui en souligne la mobilité : έ'ρεισον {Pyth. X 51), βάλλεται {Isthm. VI 13), άπεσκίμφθαι {01. VI 101) ; toujours aussi l’image s’inscrit dans celle, plus géné­rale, du voyage : il s’agit bien sûr de voyages fort divers, celui de la poésie (X® Pythique), celui de la victoire (VI® Isthmique), celui de la vie (VI® Olympique) ; en outre, le navire n ’y est pas toujours évoqué au même moment : dans la VI® Isthmique, il touche au terme du voyage ; dans la X® Pythique et la VI® Olympique, c’est en cours de trajet qu’il doit jeter l’ancre pour se garantir de l’écueil ou de la tempête qui l’ont surpris Mais dans les trois cas l’espoir ou la certitude de la réussite sont liés à, une même croyance dans l’inter­vention favorable de la divinité : de la Muse, guide de tous les ins­tants (X® Pythique), de Poséidon (VI® Olympique), du δαίμων enfin de la VI® Isthmique (v. 12), grâce à qui l’homme est θεότιμος.

1. Sur la forme de ces invocations, voir A. Kambylis, Anredeformen bei P in ­dar, p. 105.

2. Pour οτόλος au sens de « proue » (Pyth. II 62), voir p. 39 s.3. C’est q[ue le mouillage n’est pas toujours à l’abri des fureurs de la mer, ni

gage d’une tranquillité parfaite : témoin les exemples du Prométhée cités p. 31, notamment le v. 965 : ές τάσδε σαυτάν πημονάς καθώρμισας ; la métaphore du « chan­gement de mouillage » — μεθορμίζεσθαι — n’est pas plus réconfortante dans Médée, V. 257-258 : ού μητέρ’, ούκ αδελφόν, ούχΙ συγγενή | μεθορμίσασθαι τήβδ’ ίχουβοί βυμ- φορδς ; V. 441-443 lyr. : βοΐ δ’ οΰτε πατρός δόμοι, | δύστανε, μεθορμίσασθαι | μόχθων πάρα ; comme la plupart des images maritimes de cette tragédie, celle-ci est essen­tiellement «négative » et a pour fonction d’exprimer la détresse de l ’héroïne et son im­puissance à triompher des maux qiii l ’accablent ; voir p. 270 et E. M. Blaiklock, p. 235 s. ; sur μεθορμίζειν, voir Eur., Bacch. 931 ; Aie. 797-798 (p. 227, n. 5).

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L e s l i m i t e s d u m o n d e m é d i t e r r a n é e n

A l’époque de Pindare, les rivages du bassin méditerranéen re­présentent les limites du monde exploré^ : au delà, des colonnes d’Hé- raklès, au delà du Phase et du Nil commence l’inconnu, et le pays des Hyperboréens reste un symbole de mystère. Les allusions à ces réalités géographiques ne manquent pas dans ses odes, mais on ne doit pas les considérer uniquement comme des documents sur l’extension de la colonisation et du commerce grecs de son temps ® : aux yeux du poète, ces éléments n ’ont pas d’iatérêt en eux-mêmes ; ils sont, en fait, un moyen qui lui permet d ’exprimer des valeurs esthétiques et morales, notamment le thème des limites à ne dé­passer dans aucun domaine®.

Le symbole des colonnes d’Héraklès apparaît dans cinq odes— VI® et IV® Isthmiqués, III® Olympique, III® et IV® Néméennes — celui du pays des Hyperboréens dans la X® Pythique, celui du Phase et du Nil dans la II® Isthmique. En se référant à la chronologie tra ­ditionnelle :

X® Pythique 498 VI® Isthmique 484 IV® Isthmique 478 III® Olympique 476 III® Néméenne 475 IV® Néméenne 473 III® Isthmique 470

on se rend compte qu’à l’exception de la X® Pythique les odes où figurent ces symboles sont relativement groupées dans le temps, et que c’est notamment dans la décade 480-470, si féconde pour la création chez Pindare, que le thème des limites de l’homme semble s’être avec le plus de force imposé à son imagination.

1. Sur les tentatives d’exploration faites alors en dehors de la Méditerranée, voir L. Casson, p. 129 ss.

2. Voir R. G. Jebb, Pindar [Journ. Hell. Stud., 3, 1882), p. 168 ; H. Knor- ringa, p. 17.

3. Voir à ce propos H. Frânkel, Dichtung und Philosophie des frühen Griechen- iums, p. 629, et plus particulièrement sur cette valeur « intérieure » plus que « géographique » des colonnes d’Héraklès, H. Disep, p. 81 ; G. Nebel, p. 250 : « die Saülen sind méhr als ein geographischer Ort, sie ragen im Herzen eines jeden von uns empor ».

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CHAPITRE VI

LE PAYS DES HYPERBORÉENS

La partie centrale de la X® Pythique est occupée par le récit du voyage de Persée au pays des Hyperboréens. Le mythe s’interrompt, comme on l’a vu^, sur la triple image de l’aviron, de l’ancre et de l’écueU. Mais c’est également une image maritime qui l’introduit et, en assurant ainsi la transition, permet de l’intégrer à l’ensemble du poème En fait, les deux groupes métaphoriques ne sont pas, à première vue, sur le même plan : l’image d’interruption a une Valeur esthétique, et traduit des considérations sur la conduite du développement de l’ode ; l’image d’introduction a une valeur morale et renferme une exhortation au vainqueur ;

ό χάλκεος ούρανός oü ποτ’ άμβατός αύτω · δσαις δέ βροτ6ν έθνος άγλαΐαις

άπτόμεσθα, περαίνει, πρδς έσχατον πλόον · ναυσΙ δ’ οδτε πέζος ιών [κεν] εΰροις ές 'Τπερβορέων άγώνα θαυμαστάν όδόν · παρ’ οΐς ποτε Ilepcfeùç έδαίσατο λαγέτας κτλ.

V. 27-31.

«Le ciel d ’airain'^ demeure à jamais inaccessible au vainqueur; mais, si, appartenant à notre race mortelle, il atteint la gloire, alors il par­vient aux limites les plus lointaines de la navigation; on ne saurait pourtant, ni en bateau ni à pied, trouver la voie merveilleuse qui con­duit aux fêtes des Hyperboréens ; c’est auprès d'eux que jadis Persée, chef des peuples, prit part à des festins, etc. »

L’ensemble donne une curieuse impression d’incohérence ; il mé­rite une étude d’autant plus attentive que l’ode est une œuvre d ’ex­trême jeunesse et constitue un exemple caractéristique de la « pre­mière manière » de l’auteur.

1. P. 44 s., p. 60 s., voir aussi p. 312 s.2. Voir M. Bernhard, p. 24, p. 35.3. Voir M. Bernhard, p. 11 ss., p. 24 ; il y aura lieu toutefois de nuancer cette

distinction : voir p. 70.4. Voir Ném. VI 3-4 : ô δέ | χάλκεος ασφαλές αΙέν εδος | μένει ουρανός ; Isthm.

VII 44 : χαλκόπεδον θεών 2δραν.

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Les V. 27-30 se présentent sous la forme d’uiie succession tripar­t i te ’·.

Ils conxmencent par l’évocation d ’un bonheur que l’homme ne peut atteindre — v. 27 : o8 ποτ’ άμβατός —· et qui est celui des dieux.

Le vers suivant introduit en opposition (v. 28 ; 8έ) l’idée d’une félicité qui se trouve, elle, à, la portée du genre humain ; il ne s’agit plus seulement du père du vainqueur, lui-même ancien vaincfueur, désigné au vers précédent par αύτω et sujet de περαίνει (v. 28), mais de l’humanité entière, y compris le poète : le pluriel άπτόμεσθα {y. 28) témoigne de cet élargissement de la perspective et de la façon dont Pindare sait, dans une réflexion générale, s’associer étroitement à, son auditoire^. Mais ne nous y trompons pas : si δέ marque une opposition entre le bonheur inaccessible (v. 27 ; oü ποτ’ άμβατός) et celui qui nous est permis (v. 28 : άτττόμεσθα), ce dernier n ’en est pas moins restreint, comme l’indiquettt et βροτόν έθνος (v. 28) et les termes métaphoriques qui se complètent mutuellement en suggé­rant le voyage de la vie (v. 28 : ττερα£νει, y. 29 : πλόον), mais aussi ses limites (v. 28 : έ'σχατον) ; sur le plan imagé, ils répondent également au [ούκ] άμβατός du V. 27, et ainsi ce double tableau du bonheur est fondé, comme dans la III® Néméenne (V. 20-23)®, sur un vocabulaire indiquant un mouvement vertical d’ascension, puis horizontal de parcours. Le dernier terme — v. 29 : πλόον — de ce groupe est isolé des autres mots et rejeté dans le vers suivant, c’est-à-dire là où se trouve ναυσί qu’il contient déjà implicitement*.

Reliée à la phrase précédente grâce à l’emploi de deux mots ap­partenant à la même sphère, πλόον et ναυσί (v. 29), la dernière phase de révocation, en s’opposant par un nouveau δέ à la réalité affirmée par περαίνει κτλ., reprend sous forme négative (V. 2 9 : οΰτε) l’idée déjà exprimée de manière semblable au v. 27 (oü ποτ’) : ici encore il s’agit d’un bonheur —■ celui des Hyperboréens — que l’homme ne peut atteindre®, mais ce thème est maintenant exprimé de façon plus générale par la seconde personne indéfinie (v. 29 : εΰροις), et avec im vocabulaire suggérant familièrement les moyens de transport traditionnels sur terre — πέζος — et sur mer — ναυσί®; la négation

1. Sur la structure de ce passage, voir B. Thummer, Pindar. Die Isthmischen Gedichte, I, p. 74.

2. Voir M. R. Lefkowitz, ΤΩ KAI ΕΓΩ. The first person in Pindar, p. 197.3. Voir p. 40 s.4. Voir à ce propos S. Lauer, p. 20.5. Sur cette double limitation, voir B. Wüst, p. 35 ; L. Bieler, Die Sage von

Perseus und das 10. Pythische Gedicht Pindars [Wien. Stud., 49, 1931), p. 119, p. 127.' 6. Voir à ce propos Μ. R. Lefkowitz, ΤΩ ΚΑΙ ΕΓΩ. The first person in Pindar, p. 198 s.; J. H. Barkhuizen, Une note sur Pindare, P y th. X 28-31 [Acta Class., 12, 1969), p. 170.

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suggère toutefois qu’il en existe d ’autres, tels que la voie des airs, et en cela elle prépare directement le récit mythique du Voyage de Persée^ : le mythe s’ouvre précisément au v. 31, selon un procédé de composition fort courant chez Pindare, qui est l’emploi du re­la tif^ — παρ’ οΐς — souvent accompagné du ποτέ dit « légendaire® ».

L’ensemhle se présente donc de la façon suivante : a) des consi­dérations sur le bonheur de l’honume — v. 27-28 : ό χάλκεος... άπτό- μειίθα — ; h) exprimées par un vocabulaire maritime — v. 28-29 : περαίνει... πλόον —■; c) ce vocabulaire suggère certaines formes de voyage — v. 29-30 : ναυσί... όδόν —■; d) celles-ci à, leur tour en suggèrent d’autres qui nous introduisent dans la légende propre­ment dite — V . 31 ss. : παρ’ οΐς κτλ. Il y a lieu toutefois de se de­mander si l’allusion au pays des Hyperboréens vaut seulement à propos de Persée : car, pour évoquer (v. 31-48) son voyage, Pindare doit aussi s’y transporter par la pensée et ναυοί, ainsi que πέζος (v. 29), indiquent dans cette perspective les moyens traditionnels par opposition à la mobilité de l’imagination poétique, qui seule permet d’atteindre la fabuleuse région. L’image serait alors à rap­procher de celle du char des Muses du v. 65 : τόδ’ ζευξεν δρμα Πιερίδων τετράορον , et aurait également un lien avec la triple métaphore des V. 51-52® : si Pindare s’exhorte à « arrêter Vaviron » et à « jeter Vancre », c’est qu’il a conscience du risque qu’il court d’aller trop loin dans le domaine de l’imaginaire, au delà de Γίσχατον πλόον ; précisons cependant qu’au début du mythe l’accent est mis unicpuement sur le trajet de la poésie, alors qu’à la fin il s’agit plutôt de l’aptitude du poète à le contrôler®.

Quoi qu’il en soit, c’est bien la métaphore maritime qui, dans les V. 27-31, par une série de ruptures successives, conduit au mythe, et le voyage en tan t que symbole (v. 29 : πλόον) devient un voyage géographiquement défini (v. 31 : παρ’ οΐς... έδαίβατο κτλ.)^ Ces tran ­sitions sont abruptes, et il y a quelque maladresse dans la façon dont le poète joue sur le thème du voyage dans le triple domaine du symbole, de la réalité matérielle et du mythe ; on aurait tort pourtant de vouloir atténuer ces rudesses® : elles sont caractéris-

1. Voir J. H. Barkhuizen, loc. cit.2. Voir sur ce poiat L. Illig, Zur Form der pîndarîschen Erzâhlung (Berlin,

1932), p. 32 s. ; É. des Places, Le pronom chez Pindare, p; 48 ss. ; R. Führer, p. 82 s.3. Voir É. des Places, p. 105.4. Voir p. 26 s.5. P. 44 s., p. 60 s., p. 312 s.6. Voir à ce propos E. Wüst, p. 35 ; M. R. Lefkowitz, ΤΩ KAI ΕΓΩ. The first

person in Pindar, p. 197, p. 198 s.7. Voir sur ce point 0 . Becker, Das Bild des Weges, p. 60 s. ; L. Illig, p. 89 ;

F. Schwenn, p. 39 ss. ; H. A. Gartner, p. 78 s. ; M. Bernhard, p. 11 ss., p. 24.8. Comme tente de le faire L. Manuwald, p. 55.

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tiques de la manière heurtée, parfois chaotique, de Pindare, et si on les perçoit avec une netteté particulière dans les œuvres de jeu­nesse, les odes plus tardives en offrent de leur côté plus d’un exemple. Les ressemblances vont plus loin : car dès cette X® Pythique, avec une surprenante maturité, le poète a mis en place tout le « matériel » métaphorique que l’on retrouvera par la sidte sans changement : non seulement πλόος (v. 29), qui figure chez lui dans des registres très divers — Pyth. XI 39 fai. Ném. III 272. 01. VI 1043 _ ^^ais plus spécialement certains termes indiquant le tra jet (v. 28 : περαίνει), la limite (v. 28 : έσχατον), l’atteinte (v. 28 : άπτόμεβθα)^; et dès cette date également s’exprime une conception de la vie qui ne variera plus, d’une condition mortelle par essence limitée et d’un bonheur défini tan t par ce qu’il est que par ce qu’il n ’est pas : refuser (v. 27 : o5 ποτε) les chimères d’un paradis auquel seuls accèdent les dieux, refuser (v. 29 : οδτε) la fiction d ’un univers héroïque auquel le poète toutefois peut rêver, et employer nos forces à atteindre des buts qui soient à notre portée (v. 28 : άγλαίαις όίπτεσθαι) en cherchant dans ce domaine à aller aussi loin que possible, πρός έσχατον πλόον (v. 28-29).

Peu importe en définitive que Pindare ait choisi ici le voyage de Persée de préférence à. celui d’Héraklès® : seul le symbole compte, et pour lui ces deux voyages mythiques ont en commun ce trait, qu’ils représentent tm degré au-dessus de l’humanité®.

1. Voir p. 33 s.2. Voir p. 34 s.3. Voir p. 64 ss. ; pour l’emploi de πλεϊν dans Isthm. II 52, voir p. 85 ss.4. Sur les parentés de vocabulaire des sept passages étudiés dans les cha­

pitres V I, V II et V III, voir le tableau des p. 88-89.5. Selon L. Bieler (p. 126 s.), le choix de ce mythe a été dicté par des raisons

d’opportunité, le Thessalien Hippocléas, auijuel est adressée la X® Pythique, passant pour descendre de Persée. Et pour l’introduire il n ’y avait sans doute pas de meilleur moyen que d’évoquer le pays des Hyperboréens ; voir J. Sandys, The odes of Pindar (London, 1919), p. 291, η. 2.

6. Voir à ce propos K. Fehr, Die Mythen hei Pindar (Diss. Zurich, 1936), p. 119 s. ; sur la signification du pays des Hyperboréens dans Isthm. VI 22-23, voir p. 73 ; sur le voyage d’Héraklés au pays des Hyperboréens dans la III® Olym· pique (v. 16, v. 31-33), voir p. 72.

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CHAPITRE VII

LES COLONNES D’HÉRAKLÈS

Deux textes chez Pindare nous ont conservé le souvenir des navi­gations d’Héraklès : dans la IV® Isthmique, le héros accède à ΓOlympe « après avoir exploré toute la terre, les abîmes vertigineux de la mer écu- mante et pacifié la route des navigateurs » v. 56-57 : γαίας τε πάσας |καΐ βαθύκρημνον πολιας άλός έξευρών θέναρ, j ναυτιλίαισί τε πορθμόν άμερώοαις ;et dans la III® Néméenne sont plus précisément évoqués les voyages c(ui l’ont mené jusqu’à la limite occidentale du monde, où tout finit (v. 23-27 )^ . Cette conception d’un Héraklès pionnier de la navigation et explorateur du monde connu explique la valeur symbolique des colonnes d’Héraklès chez Piadare. Il est par ail­leurs à noter que les cinq odes où paraît cette image comportent toutes, et dans des positions d’une suprenante symétrie, des allu­sions à des voyages d’Héraklès : à Troie — Isthm. VI 27 ss. ; Ném. IV 25 ss. — ; en Libye — Isthm. IV 51 ss.® —■; au pays des Hyper- boréens — 01. III 31 ss. — ; vers l’ouest —■ Ném. III 23 ss. — ; le thème du voyage vaut donc sur le double plan du mythe et du symbole, l’un justifiant l’autre^. On ne doit pas sous-estimer, enfin, le rôle qu’y joue la réalité : le voyage de Pindare en Sicile a eu lieu en 476 , et peut expliquer dans une certaine mesure l’importance de l’image du trajet vers l’ouest dans les odes de cette année et des années suivantes®.

L’image fait une fugitive apparition dans la VI® Isthmique, où le vainqueur Phylacidas est représenté comme « jetant Vancre aux rivages suprêmes du bonheur, par la grâce des dieux » v. 13 : έσχατιαϊς ήδη πρός 6λβου | βάλλετ’ άγκυραν θεότιμος έών. Les COlonnes d’Héra­klès ne sont pas directement nommées ici, mais leur présence est impliquée par l’image de l’ancre qu’on jette, qui suggère le terme

1. Voir p. 79 ss.2. Voir à ce propos K. Fehr, p. 40 ; L. Wolde, p. 320, n. 9.3. Voir aussi v. 56-57.4. Voir sur ce point, à propos de la III® Olympique, les remarques de G. P. Se­

gal, God and man in Pindar’s first and third Olympian Odes {Haro. Stud, in Class. P h il, 68, 1964), p. 244 s.

5. Voir la chronologie p. 67.

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d’un long trajet Le bonheur auquel touche le « navigateur » est celui que lui a procuré la victoire, comme à Hippocléas dans la X® Py- thique : tous deux ont atteint dans ce domaine la limite suprême, έσχατον {Pyth. X 28), έοχατιαϊς {Isthm. V I 13). Mais les analogies Vont plus loin puisque, quand reparait dans la VI® Isthmique le thème de la gloire des Ëacides, c’est encore au pays des Hyper- boréens que Pindare songe pour en suggérer le rayonnement — v. 22- 23 ; μυρίαι 8’ έργων : καλών τέ|τμηνθ’ έκατόμπεδοι έν σχερφ κέλευθοι, | καΐ πέραν Νείλοιο παγαν | καΐ 8t’ 'Τπερβορέους, « ÇOS exploits se SO nt ou­vert mille voies larges de cent pieds^ qui vous mènent sans interruption au delà des sources du N iP et parm i les Hyperhoréens » — à cette dif­férence près que, par une hyperbole dont le poète est peu coutumier, cette limite se trouve ici dépassée : v. 2 3 ; πέραν... παγδν et Si’ 'Τπερ­βορέους au lieu de ές 'Τπερβορέων άγώνα [Pyth. X 30).

Mais c’est seulement dans la IV® Isthmique que le détail des co­lonnes d’Héraklès trouve son plein développement symbolique, avant de reparaître, dans la suite de l’ode, sous forme mythologique*.

άνορέαις δ’ έσχάταισιν οϊκοθεν βτάλαισιν άτττονθ’ Ήρακλείαις.ΚαΙ μηκέτι μακροτέραν

οπεύδειν άρετάν.V. 11-13.

« par leur valeur extrême, les Cléonymides, partis de chez eux, touchent aux colonnes d'Héraklès. Qu’ils ne cherchent pas à pousser plus loin le mérite. »

L’évocation n ’est ici que le dernier élément d’un réseau méta­phorique complexe, qui occupe les v. 1 à 13 de l’ode : elle ne peut donc être analysée isolément. Le poème s’ouvre en effet sur l’image des mille chemins qui s’offrent à, Pindare pour célébrer la famille du vainqueur Mélissos v. 1-3 : &τι μοι θεών ëxari | μυρία παντα κέλευ- θος I ... I ύμετέρας άρετάς ΰμνφ διώκειν®; à cette métaphore initiale

1. Voir p. 61.2. Sur l’image du chemin, voir p. 24 ss.3. Sur le Nil, voir p. 85 ss.4. V. 56-57 (voir p. 72). ^5. Dans la V« Ode de Bacchylide figure aussi cette image, v. 31-33 : τώς vOv καΐ

[Ι]μοΙ μυρία πάντςι κέλευθος | ύμετέραν άρετάν | ύμνεϊν (voir ρ. 24, η. 2). La ressemblance avec Pindare est si frappante qu’on a parfois cru à un plagiat de la part dé Bacchylide ; J. B. Bury, quant à lui, voit {Two literary compliments. Class. Rev., 19,1905, p. 10) dans le καΐ [έ]μοί du v. 31 une allusion à Isthm. I V 1-3, et une sorte d’hommage à Pindare, appelé avant lui à composer une ode olym­pique pour Hiéron. Mieux vaut ne considérer l’image que comme une formule traditionnelle, utilisée séparément par les deux lyriques : voir à ce propos W. K. Prentice, p. 46 s. ; U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 336 ; O. Becker, Dos Bild

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fait suite directement celle, plus générale, du chemin de la vie — v. 4-5 : αΐσι [sc. άρετάς] Κλεονυμί8αι θάλλοντες αίεί | σύν θεφ θνατόν 8ιέρχον|ται βιότου τέλος — qui est reprise et nuancée par un troisième groupe, où s’exprime l’idée de la diversité des destinées, et ce grâce à un vocabulaire anticipant déjà sur le contexte maritime des v. 11-13, à l’image du vent, v. 6 : όίλλοτε S’ άλλοΐος οδρος I πάντας άνθρώπους έπαΐσσων ελαύνει^. Ainsi se trouve assuré le passage à l’évocation finale : de l’image du voyage terrestre —■ v. 1 : κέλευθος, v. 5 : διέρχον­ται — la transition se fait, grâce à οδρος (v. 6), à l’image du voyage sur mer — v. 11-13 : άνορέαις S’ έσχάταισιν κτλ. — ■, le thème de la gloire valant dans les deux domaines et aux deux extrémités du préambule : si le vent du destin conduit diversement les hommes, celui de la gloire dispensée par la poésie (v. 1-3) a du moins poussé les Cléonymides jusqu’à l’extrême limite du possible (v. 11-13)^. E t dans un ultime tableau Pindare a de nouveau réuni les deux éléments, terre et mer, comme témoins de la pérennité de leurs ex­ploits, V. 41-42 : καΐ πάγ|καρπόν έπΙ χθόνα καΐ 8ιά πόντον βέβακεν | έργ- μάτων άκτίς καλών άσβεστος αίεί

Les V. 11-13 occupent donc dans l’ode une position privilégiée ; ce sont eux qui développent avec le plus d’ampleur le thème du voyage. Pour suggérer la longueur du trajet, Pindare y a rapproché les termes qui en évoquent le point de départ —■ v. 12 ; οϊκοθεν — et le point d’arrivée — v. 12 : στάλαισιν Ήρακλείαις —■ ; ces deux ex­trêmes, toutefois, sont laissés dans ime relative imprécision, et l’on peut se demander, de même, si απτονθ’ (v. 12) fait véritablement image. Dans la VI® Isthmique, la métaphore des colonnes d’Héra- klès est appelée par celle de l’ancre (v. 13)®; dans le frg. 213 E de Philémon, έβάλετ άγκυραν (v. 10) est lié à καθάψας ; enfin, Diodore

des Weges, p. 76 ; W. Schadewaldt, Der Aufbau des pindarischen Epinikion, p. 281 ; E. Thummer, Pindar. Die Isthmischen Gedichte, II, p. 65 ; J. Stem, The imagery of Bacchylides’ Ode 5, p. 39, n. 16. Au demeurant, les différences sont plus révélatrices que les ressemblances ; tandis que chez Pindare l’image n’est qu’un point de départ qui s ’élargit en considérations de plus en plus générales, Bacchylide maintient constamment le thème en liaison étroite avec Hiéron et sa victoire présente : voir R. L. Wind, p. 20 ss., p. 119 ss. ; M. R. Lefkowitz, Bacchylides' Ode 5, imitation and originality, p. 17 ss. Dans la IV® Isthmique enfin, διώκειν (v. 3) prolonge l’image du chemin (voir p. 79) ; le verbe employé par Bacchylide, ύμνεϊν (v. 33), est en comparaison bien plat.

1. Sur l’image du vent, voir p. 198 ss.2. C’est encore un détail de mouvement qui dépeint l’extension de leur gloire

dans le monde aux v. 9-10 : ôdoa 8’ έπ’ άνθρώπους &ηται | μαρτύρια κτλ. ; il y a peut-être dans l’image du vol (voir p. 199) un souvenir de l’image du vent. Sur tout ce début, voir M. Bernhard, p. 15.

3. Voir p. 23, p. 28, p. 199, n. 1.4. Sur la signification, de οϊκοθεν, voir p. 77 s.5. Voir p. 61.

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de Sicile emploie άπτεσθαι pour des passagers qui touchent terre ( IV 48, 7 : δταν της γης άψωνται). Est-ce à, dire que Pindare, en utili­sant ce verbe, a eu à l ’esprit la représentation précise d’un vais­seau qui jette l’ancre au terme de sa traversée? C’est peu probable : les verbes ont généralement chez lui une valeur imagée assez faible’·, et l’expression etàxaww άπτονθ’ (v. 12) peut s’expliquer comme un simple prolongement du διέρχον|ται βιότου τέλος du v. 5, l’idée de « parvenir à », « toucher à », suffisant à, justifier cet emploi du verbe, qui n ’est guère plus évocateur que dans la locution τέλους άπτεσθαι^. Cette image du point d’arrivée, exprimée au v. 12 par άπτονθ’, se poursuit au vers suivant grâce à l’emploi de μακροτέραν : dans ce conseil de modération adressé aux Cléonymides — et dont on re­trouvera souvent la forme négative^ — l ’adjectif qualifie im mérite qui pousserait trop avant, c’est-à-dire au delà de la limite tradi­tionnellement prescrite.

Indépendamment du terme du voyage, figuré par les colonnes d’Héraklès, l’accent est mis, dans ces vers de la IV® Isthmique, sur les moyens d ’accomplir ce trajet, com m e l ’indiquent les termes placés au premier plan : άνορέαις 8’ έσχάταισιν (v. 11). Le thème des άνορέαι figure également dans la III® Néméenne, où il est dit d ’Aristocléïdès qu’il a « mis le pied à bord des vertus les plus éminentes » : άνορέαις ύττερτάταις έπέβα (v. 20) * ; ces vertus sont donc représentées comme la barque qui permet à l’athlète victorieux d ’atteindre les colonnes d’Héraklès (v. 21-22), et l’exemple est éclairant pour le rôle assigné à άνορεάις au v. 11 de la IV® Isthmique : car ici le datif instrumental indique bien que les vertus sont encore considérées comme le « moyen de transport » à bord duquel navigue le vainqueur pour parvenir à son but, les termes άνορέαις άπτονθ’ (v. 11-12) étant dans le même rapport, pour les colonnes d’Héraklès, que ναυσΐ ιών {Pyth. X 29) pour le pays des Hyperboréens. Mais si ces vertus sont qualifiées de ύπέρταται dans la III® Néméenne (v. 20), parce que c’est surtout l’eiîort de Γ « embarquement » que Pitidare veut y sou­ligner, ici elles sont appelées ίσχαχαι (v. 11) parce cpi’il s’agit à pré­sent de montrer ce qu’elles permettent d’atteindre, et l’éloignement du but recherché : en cela l’image des colonnes d’Héraklès est pré­sente dès έσχάταισιν, avant même d’être développée par στάλαισιν®.

1. Voir p. 43, p. 91.2. Cf. Plat., Banquet 211 C. Voir à ce propos E. Thummer, Pindar. Die Isth-

mischen Gedichte, I, p. 140.3. Voir p. 83 s.4. Voir p. 40 s.5. Voir sur ce point R. F. Renehan {Conscious ambiguities in Pindar and

Bacchylides, Greek, Rom. and Byz. Stud., 10, 1969, p. 224 s.), qui a bien déter­miné la valeur « extensive » de l’adjectif, par opposition à des qualificatifs tels que ύπατος ou ΰψιστος.

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Telle qu’elle se préseïite, la IV® Isthmique permet, à, la lumière de la X® Pyihique et de la VI® Isthmique^ d’apprécier avec quelle cohérence s’exprime la philosophie de Pindare : pour connaître le succès, l’homme, nous dit-il, doit se fier avant tout à, sa valeur propre— άνορέαις : Isthm. IV 11, cf. Ném. I I I 2 0 —■; à son mérite — άρετ^ : Pyth. X 23, άρετάς ; Isihm. V I 11, IV 3, άρετάν ; Isthm. IV 13^ — ; il peut aussi compter sur l’intervention bienveillante des dieux— Pyth. X 21 : Ικ θεών, θεός. Isthm. VI 11 : θεοδμάτους, 12 : δαίμων, 13 ; θεότιμος ; Isthm. IV 1 : θεών 2κατι, 5 : σύν θεφ. Alors la gloire lui est accessible : Isthm. VI 12 : δόξαν Ιττήρατον; Isthm. IV 11 : άπλέτου δόξας ; Pyth. X 28 : άγλαΐαις ; mais il ne convient pas pour autant qu’il oublie les limites de sa condition mortelle : Pyth. X 28 : βροτόν Ιθνος ; Isthm. IV 5 : θνατόν... τέλος.

Ces conseils de modération, c’est à. Théron qu’il les adresse dans les tout derniers vers de la III® Olympique :

vOv Sh πρός εσχατιάν Θή- ρων άρεταϊίϊιν ΐκάνων απτεται

οϊκοθεν Ήρακλέος στά­λάν. Τ{) πόρσω δ’ έστί σοφοϊς άβατον

κάσόφοίς. 0(5 νιν διώξω · κείνος εΐην.V. 43-45.

« et voici que par son mérite Théron vient de chez lui toucher au but su­prême des colonnes d'Héraklès. Plus loin la voie est inaccessible tant à Vélite qu'au commun des mortels. Je ne pousserai pas au delà : ce serait une folie. »

L’impression première, à, la lecture de ces vers, est que Pindare s’est contenté de démarquer la IV® Isthmique et de transposer ici pour Théron ce qu’il avait déjà exprimé pour Mélissos : même im­portance accordée à l’idée de mérite {Isthm. IV 11 : άνορέαις ; 01. III 43 : άρεταϊ^ίν) ; même élan, qui porte le vainqueur de chez lui (οϊκοθεν : Isthm. IV 12. 01. III 44) à ce but qui est la limite suprême {isthm. IV 11 : έσχάταιβιν. 01. I I I 43 : εσχατιάν) ; même verbe indi­quant l’arrêt du mouvement {Isthm. IV 12 : άπτονθ’. 01. I I I 4 3 : ται). Toutefois, certaines différences apparaissent à, la fois dans la précision des images et dans le domaine des rapports du poète avec le destinataire de l’ode.

L’image du voyage se présente en effet avec des traits mieux marqués que dans l’ode précédente, puisqu’elle ne se traduit plus seulement par l’allusion au point de départ —· v. 4 4 : οϊκοθεν —· et

1. Piadare n ’oublie pas non plus de rappeler discrètement les réalités finan­cières qui assurent les triomphes : Isthm. VI 10 : Sanâvcf τε χαρείς ; IV 29 δαπάνςι χαϊρον.

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au point d’arrivée — v. 4 4 : οταλάν —■ mais aussi par un terme sug­gérant la distance qui sépare ces deux extrêmes : Ικάνων (v. 43). Gomme il ne fait aucun doute qu’en l’employant Pindare avait en tê te l’idée de trajet, le moment semble venu de se demander ce que représente exactement οϊκοθεν, tan t dans la IV® Isthmiqué (v. 12) que dans la III® Olympique (v. 44). L’adverbe est parfois utilisé par Pindare pour indiquer l’origine, sans idée de mouvement : pour évoquer un foyer ou une demeure {01. V I I 3. Pyth. V I I I 51), une ville natale {Péan IV 32), une patrie {Ném. V I I 51) ; mais il peut aussi avoir ime valeur purement locale, qualifier le départ d’Argos des sept chefs {Ném. I X 19), celui d’Agésias, quittant en Stymphale une patrie {01. V I 99 : οϊκοθεν) pour en trouver une autre (v. 99 : οϊκαδε) à Syracuse^. C’est cette valeur locale, et de mouvement, qu’il con­vient de donner, mais au figuré, à οϊκοθεν, dans la IV® Isthmiqué et la III® Olympique, et les autres explications sont à rejeter : on ne peut en effet lui accorder une signification « intérieure », comme font certaines scholies, qui glosent le terme par 8ώ των οικείων άρετών (Schol. 79 A, D R I , p. 126) ou par ταϊς οίκείαις δέ άρεταϊς (Schol. 18 Β , D R I I I , p. 227) ; si tel était le cas, les deux textes seraient pléonastiques et sans relief, puisque l’idée de valeur y est déjà sou­lignée par άνορέαις {Isthm. I V 11) et άρεταϊ^ιν {01. I I I 43) ; et J . B. Bury, qui adopte cette interprétation, affirme assez curieusement, à propos de la IV® Isthmiqué, que οϊκοθεν « moderates and mitigates the strong metaphor » et le traduit par « without leaving home h->, ce qui reviendrait à dire, comme l’observe judicieusement G. Norwood, que, dans le cas de la III® Olympique, où ίκάνων (v. 43) rènd sans équivoque possible l’idée de trajet, Théron a atteint les colonnes d’Héraklès sans y aller®. La seule explication possible, en fait, est que οϊκοθεν a une signification purement locale, et que le terme, en indiquant « the starting place of the path of his glory », sert à ren­forcer la notion d’étendue du trajet® : avant de s’illustrer aux jeux,

1. Sur le voyage d’Agésias, voir p. 64 s. ; l’emploi de οϊκοθεν dans Ném. III 31 sera étudié p. 80, n. 7.

2. J. B. Bury, The Isthmian Odes of Pindar, p. 65 ; G. Priesemana, p. 23, com­met la même erreur, qui consiste à distinguer dans ces passages deux registres, l ’un abstrait, défini par οϊκοθεν, l’autre imagé, défini par tous les autres termes. En fait, l’expressivité de ces deux textes provient précisément de ce que tous les mots valent sur le même plan et s’y renforcent.

3. G. Norwood, Pindarica (Class. Quart., 9, 1915), p. 2 ; mais il n’est guère mieux inspiré en rendant οϊκοθεν — qu’il rapproche de πατρόθεν, μητρόθεν — par « 'on the homeward side ».

4. L. R. Farnell {A critical commentary to the works of Pindar, p. 29), (jui déna­ture l’image en parlant de « path of... glory », mais traduit bien οϊκοθεν : « from his own home » [he. cit.) ; voir aussi p. 350.

5. Voir B. L. Gildersleeve, Pindar. The Olympian and Pythian Odes, p. 161 ; E. Thummer, Pindar. Die Isthmischen Gedichte, II, p. 66.

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Théron — com m e les G léonym ides — se tro u v e οϊκοι, sa ren om m ée n ’excèd e pas les lim ites de sa p atr ie ; m ais grâce à son άρετή, il s ’élo igne p rogressivem en t d e ces é tro ite s fron tières pour a tte in d re a u x con fins du m ond e, o ù to u c h e à, p résen t sa g lo ire^ ; les tro is term es οϊκοθεν- ίκάνων-απτεται (v. 43-44) Suggèrent donc ic i avec u n e précision a c­crue les étap es su ccessives de ce v o y a g e .

L’image du voyage est également plus sensible dans la réflexion finale : alors que dans la IV® Isthmique c’est μακροτέραν seulement (v. 13) qui suggère un trajet poursuivi trop avant ici c’est une expression entière, τό πόρσω 8’ έστί σοφοϊς ίίβατον I κάσόφοις (ν. 44- 45), et qui rappelle l’évocation, dans la I IP Néméenne, de la « mer inaccessible » qui s’étend au delà des colonnes d’Héraklès — v. 21-22 : ούκέτι προτέρω | άβάταν άλα κιόνων | ΰπερ Ήρακλέος περάν εύμαρέςLe rapprochement de αβατον {01. I l l 44) et άβάτα'· {Ném. I l l 21) confère à l’avertissement de la III^ Olympique une force dramatique absente de l’ode aux Gléonymides en ce qu’il fait surgir, au delà des frontières rassurantes d’un univers exploré, qui finit à στάλάν (v. 44), la menace d’un inconnu immense et indéfinissable. Dans la III® Olympique — comme dans la F® Olympique, adressée, elle, à Hiéron — la tâche du vainqueur consiste donc à savoir où s’arrêter et où commence l’interdit ; cependant, l’avertissement, exprimé ici par tine troisième personne — v. 44 : τ6 πόρσω δ’ έβτί... άβατον — demeure moins brutal que celui de la Olympique, où l’impératif accentue encore les périls — V. 113-114 : τό S’ ϊ|σχατον κορυφοϋται I βαβιλεϋοίι. Μηκέτι πά|πταινε πόρσιον, « c'est pOUr les Tois que Sô dressent les grandeurs suprêmes. Ne porte plus tes regards au delà » .

Si donc la III® Olympique enrichit et précise la vision de la IV® Isth­mique, elle innove aussi sur le plan des rapports entre le poète et le vainqueur : tandis que le v. 13 — καί μηκέτι μακροτέραν | σπεύδείν άρετάν — de l’ode précédente s’adresse uniquement aux Gléony­mides, ici le passage de la troisième — v. 43 : όίπτεται — à la première personne — ■ v. 45 : διώξω — indique que Pindare s’associe aux res­ponsabilités de Théron, et que c’est pour lui également qu’il envisage la possibilité ou non d’aller « au delà ; songe-t-il aux limites dans

1. Voir schol. 18 C (DR III, p. 227) : αί S’ άνδρεϊαι υμών καΐ Iv οΐ'κφ διαφαίνον- ται κα'ι μέχρι των Ηρακλείων στηλών διϊκνοϋνται.

2. Voir ρ. 75.3. Voir ρ. 79 ES.4. Voir à ce propos C. P. Segal, God and man in Pindar's first and third Olym­

pian Odes, p. 239 S. L’image des colonnes d’Héraklès figure-t-elle encore ici? κορυφοϋται (v. 113) peut sans doute suggérer les σταλαί, mais la suite montre que Pindare a plutôt songé à des cimes de montagne, v. 115 : εϊη σέ τε τοϋτον ΰ|ψοϋ χρόνον πατεϊν. II n’en reste pas moins que la présence de έσχατον (v. 113) et de πόρσιον (v. 114) crée avec les textes précédents une analogie troublante.

5. Voir C. P. Segal, p. 242 ; F. Dornseifï, Pindars Olympische Hymnen, p. 77.

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lesquelles il doit maintenir son poème, et la réflexion anticipe-t-elle sur la question de Ném. III 27 — θυμέ, τίνα πρδς άλλοδα^άν I όίκραν κτλ. 1 et sur l’exhortation de Ném. IV 70 — άπότρεπε | αδτις Εύρώ- παν κτλ. 2? Assigne-t-il au poète la mission de communiquer aux hommes la beauté qui leur est accessible dans le monde®? ou plus simplement souhaite-t-il, comme semble bien l’indiquer la fin de la F® Olympique, que sa gloire, à lui aussi, s’étende aussi loin, mais pas plus, que celle des vainqueurs qu’il célèbre*? L’important est le refus catégorique qu’il oppose à cette tentation du dépassement ; s’il s’accorde toute licence de « suivre par son chant » les vertus des Gléonymides — Isthm. IV 3 : ύμετέρας άρετάς υμνφ διώκειν — et d’aller aussi loin qu’elles, en aucun cas il ne doit « poursuivre au delà » — 01. III 45 : τό πόρσω® διώκειν.

Il a déjà été fait allusion à la III® Néméenne, pour deux de ses images — v. 20®, 27-28’ — placées aux deux extrémités d’un groupe qu’il convient à présent d’étudier dans son ensemble ;

Et δ’ έών καλός έ'ρδων τ’ έοικότα μορφ^ άνορέαις ύπερτάταις έπέβα

παΐς Άριστοφάνεος, οΰκέτι, προτέρω άβάταν όίλα κιόνων

ΰπερ Ήρακλέος περδν εύμαρές, ήρως θεός &ς ϊθηκε ναυτιλίας έσχάτας μάρτυρας κλυτάς · δάμασε δέ

Θήρας έν πελάγεϊ ύπερόχους, ίδίςο τ’ έρεύνασε τεναγέων ροάς, όπ^ πόμπινον κατ­

έβαινε νόστου τέλος, καΐ γαν φράδασσε. Θυμέ, τίνα πρός άλλοδαπάν ακραν έμον πλόον παραμείβεαι ;Αίακφ σε φαμί γένει τε Μοϊσαν φέρειν.

V. 19-28.

« si avec sa beauté et ses exploits dignes d'elle le fils d'Aristophane s'est

Le passage se fait par le biais de σοφοϊς {v. 44), par quoi Pindare désigne souvent les poètes, et lui-même (voir p. 209 ss.) ; dans la X® Pythique, άπτόμεσθα (v. 28) suggère une semblable association du poète avec le vainqueur (voir p. 68 ss.).

1. Voir p. 34 s.2. Voir p. 45 s.3. C. P. Segal, loc. cit.4. 01. I 115b-116 : έμέ τε [s. e. εϊη] τοΰσάδε νικαφόροις | όμιλεϊν σοφίοι: καθ’

"Ελ|λανας έόντα παντά.5. νιν = το πόρσω.6. Voir ρ. 40 s.7. Voir p. 34 s.

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embarqué à bord des vertus les plus éminentes, il n’est pas possible de pousser plus avant, jusqu'à la mer inaccessible, au delà des colonnes d'Héraklès, que le héros, ce dieu^, dressa comme témoins illustres du terme de ses navigations; il avait dompté les monstres de la mer, et exploré tout seul les courants des bas-fonds, jusqu'à ce qu’il eût atteint le point qui lui montrait le chemin du retour; il avait marqué les li­mites de la terre. 0 mon cœur, vers quel promontoire inconnu diriges-tu ma course? C’est à Éaque, je l’affirme, et à sa race qu’il faut porter la Muse. »

L’évocation se déroule en trois phases successives : elle concerne tout d’abord le vainqueur Aristocléïdès, représenté comme un pas­sager qui s’embarque pour la plus heureuse des navigations (v. 19- 2 0 ) ^ ; toutefois, les limites de ce bonheur se trouvent d’emblée sug­gérées par si (v. 19), qui anticipe sur les interdictions suivantes ; car, aux v. 21-22 , aux termes suggérant le mouvement, la progres­sion —■ V. 21 : προτέρω®, V. 22 : ΰπερ —■ répondent d’autres termes qui les restreignent : v. 21 : ούκέτι, άβάταν*. Gomme dans les deux odes précédentes, le voyage est donc suggéré par son commencement (v. 20 : έπέβα) et son terme (v. 21-22 : ούκέτι περάν ύπέρ... au lieu de απτεσθαι πρός... : 01. I l l 43), mais le point de vue prend une am­pleur nouvelle : alors que l’image s’appliquait précédemment aux Gléonymides —· Isthm. IV 12 : όίπτονθ’ — puis à Théron — 01. III 43 : όίπτεται — ici rien n ’indique que la réflexion des v. 21-22 concerne seulement la personne d’Aristocléïdès : Pindare ne dit pas ούκέτι εύμαρές οί, mais simplement ούκέτι εΰμαρές. C’est qu’à ses yeux cette vérité est valable pour tous, et que par delà le voyage de la victoire, qui mène au triomphe, le poète songe au voyage de la vie, qui mène au bonheur®. Il pense certainement aussi au voyage de la poésie, car, après l’embryon de récit mythique que la mention des κιόνων... Ήρακλέος (v. 21-22) fait surgir au début de la seconde triade®, le poète se reprend brusquement à l’idée que la digression risque de l’entraîner trop loin de son sujet, l’éloge des Éacides·^;

1. Sur ήρως θεός (v. 23), voir P. Maas, ΗΡΩΣ ΘΕΟΣ [Mus. H eh., 11,1954), p. 199.

2. Voir p. 40 s.3. Cf. 01. III 44 : τα πόρσω ; I 114 : πόρβιον.4. Cf. Isthm. IV 13 : μηκέτι ; 01. I 114 : μηκέτι ; III 44 ; άβατον.5. Voir sur ce point G. Fraccaroli, p. 541 s. ; O. Becker, Das Bild des Weges,

p. 60, et aussi C. P. Segal, God and man in Pindar’s first and third Olympian Odes, p. 248, « The symbol of the victory is unambiguously the symbol of life »; mais la réflexion convient mieux à la III® Néméenne qu’à la III® Olympique.

6. Sur ce mythe, voir K. Fehr, p. 11, n. 3. H. Erbse, p. 276, a souligné la pré­cision inhabituelle avec laquelle y sont représentées les colonnes d’Héraklès, ordinairement à peine suggérées.

7. Voir à ce propos E. Thummer, Die Religiositât Pindars (Innsbruck, 1957),

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mais l’habileté de Pindare tient ici au fait que c’est précisément de cette digression qu’il tire des éléments valables pour lui-même : les dangers courus par le héros, les côtes lointaines qu’il a entrevues lui suggèrent l’image des périls qui guettent la Muse, le risque de faire naufrage contre un promontoire inconnu (v. 27 : προς άλλοδαπάν | άκραν) ; et le retour auquel Héraklès a dû finir par se résoudre (v. 25- 26 όπ^ πόμπινον κατ| έβαινε νόστου τέλος) lui démontre la nécessité pour lui aussi de mettre un terme à son voyage’·.

Les colonnes d’Héraklès jouent donc ici un rôle particulièrement complexe : envisagées en premier lieu d’un point de vue symbolique à propos du vainqueur et plus généralement de l’homme (v. 19-22), dans ses rapports ensuite avec la mythologie traditionnelle (v. 23- 26), elles sont de nouveau considérées pour le symbole qu’elles re­présentent aux V. 27-28, mais cette fois en liaison avec les obligations du poète Ce triple thème de la limite atteinte successivement par Aristocléïdès, par Héraklès et par Pindare assure une fusion par­faite du symbole et du mythe, et l’ensemble du texte consacre de surcroît, avec une netteté plus grande que dans la III® Olympique, à la fois le caractère « exemplaire » du voyage de la victoire (v. 19- 20), à travers lequel se profile le voyage de la vie (v. 21-22), et l’iden­tité des devoirs de l’athlète victorieux (v. 19-22) et du poète (v. 27- 28), tenus tous deux de respecter, chacun dans son domaine, le même impératif de restriction ; que cette exigence convienne tout autant à, sa propre tâche qu’à l’attitude du vainqueur, Pindare semble n ’avoir fait que l’entrevoir dans l’ode précédente ; il en prend à présent une conscience plus aiguë, et la IV® Néméenne de son côté traduit un équilibre aussi scrupuleux entre les deux significations, éthique et esthétique, de l’image.

Comme cela arrive souvent chez Pindare^, cette image se pré­sente à l’issue du mythe, consacré en l’occurrence aux hauts faits

p. 114 ; de là le développement (v . 32 ss.) d’un nouveau récit mythique, embras­sant les exploits des Bacides Télamon et Achille, et donc plus en rapport avec la personne de l ’Éginète Aristocléïdés. L’exhortation du v. 31, οϊκοθεν μάτευε, s ’explique précisément par le souci de traiter un mythe mieux justifié que celui d’Héraklès : c’est dans la patrie même du vainqueur qu’il faut en chercher la matière.

1. Sur les v. 27-28, voir p. 34 s.2. Sur cette structure générale, voir G. Perrotta, Pindaro, p. 50 s. ; H. Disep,

p. 94.3. Voir p. 46 ss., p. 329 s. Les y. 27-28 de la III® Néméenne en sont, entre autres,

un exemple, à ceci près que dans cette ode la métaphore nautique interrompt le mythe d’Héraklès pour permettre de passer à celui des Éacides, tandis qu’ici c’est au dit mythe des Éacides qu’elle met fln ; sur la fonction de l’image des V. 36-38 par rapport au mythe précédent, voir p. 100 s.

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des Éacides (v. 44-68) ; estimant stifiisaiits les développements qu’il leur a accordés, le poète s’interrompt brusquement :

Γαδείρων τό πρός ζόφον ού περατόν· άπότρεπε

αδτις Εύρώπαν ποτί χέρ- σον εντεα ναός ·

άπορα γάρ λόγον Αΐακοϋ παίδων τον άπαντά μοι διελθεϊν.

V. 69-72.

« du côté de Gadès sont les ténèbres, on ne peut les franchir ; ramène ton navire vers VEurope, vers le continent : il m'est impossible de pour­suivre jusqu'au bout le mythe des fils d'Éaque. »

On a déjà souligné cet arrêt soudain qui traduit chez Pindare le refus d’aller plus loin dans la description mythique’· ; mais ce qui est le plus frappant, c’est encore l’ambiguïté des vers 69-70, qui conviennent aussi exactement au vainqueux qu’au poète ; nulle détermination de personne dans la constatation initiale — v. 69 : Γαδείρων τό προς ζόφον où | περατόν — ; quant à, l’impératif άπότρεπε (v. 70), s’il évoque en premier lieu le geste du poète à bord du vais­seau de l’ode il peut aussi bien être interprété comme l’expression d ’un conseil de modération adressé à Timasarque^, qui, parvenu à, la gloire suprême — le détroit de Gadès, appelé dans le frg. 256 SN πύλας Γαδεφίδας, n ’étant ici qu’une variante des colonnes d ’Héra- klès^ —■ doit avoir la sagesse de s’arrêter là. Tous les termes peuvent donc s’interpréter de deux façons différentes : il est impossible pour le poète de pousser plus avant le mythe des Éacides, et il doit y couper court pour revenir au présent ; il est impossible pour les Éacides d’aller plus loin dans la voie de la célébrité®. Par là, comme dans la III® Néméenne, le cours du poème se confond avec celui de la victoire et plus généralement avec le cours de la vie®. E t l’on peut voir de cette identification une preuve supplémentaire dans les V . 71-72 où, exprimant son intention de ne pas épuiser le sujet, Pindare recourt à un vocabulaire métaphorique qui prolonge l’image du voyage, par l’emploi de διελθεϊν (v. 72), qui joue ici le même rôle que διώκειν dans la IV® Isthmique (v. 3) et la III® Olympique

1. Cf. Pyth. X 51 : κώπαν σχάΛον (voir p. 44 s.).2. Voir G. Maloney, Sur l’unité de la quatrième Néméenne de Pindare [Phoenix,

18, 1964), p. 177.3. Voir M. Bernhard, p. 52.4. Voir K. Fehr, p. 51, n. 66.5. Voir sur ce point K. Fehr, p. 51 ; K. Dietel, p. 129.6. Voir H. Gundert, Pindar und sein Dichterberuf (Frankfurt, 1935), p. 71.

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(v. 45)^, et surtout de απορα (v. 71), qui fait écho au ού περατόν du V. 69^ et équivaut au αβατον de OZ. III 44.

L’image des colonnes d’Héraklès se trouve donc au premier plan de bien des odes de Pindare, et cette présence obsédante indique assez l’importance des préoccupations qu’elle traduit : sur le plan esthétique, le souci de maîtriser l’élan de son inspiration et d’éviter ■une fantaisie excessive, pour demeurer dans les limites qui sont celles prescrites par les lois de l’ode triomphale, à l’écart de l’écueil— Pyth. X 52 — comme des rivages inconnus — Ném. III 27 — ; sur le plan moral, celui de rappeler à l’homme les limites inévitables de ses ressources naturelles, et de son bonheur, et les régions qui lui demeurent interdites : « sie^ dienen meist dazu, bildhaft die Grenze menschlichen Glücks anzugeben und ihr dos nicht mehr Erreichbare gegenüberzustellen^ ».

En cela, l’image et les conseils de modération qui lui sont souvent liés sont à rattacher, plus généralement, à l’attitude du poète devant la vie et aux réflexions que la nature de l’homme lui inspire, et où l’on peut recotinaître au passage les thèmes et les termes® qui lui sont chers : ne porter ses regards que sur ce qui est accessible : Pyth. I I I 21-23 : εστι δέ φϋλον έν άνθρώ|ποισι ματαιότκτον, | δστις αισχύνων επι­χώρια παπταίνει τά πόρώω ®, | μεταμώνια θηρεύων άκράντοις έλπίσιν 5 Isthin, VII 43- 4 4 : τά μακρά 8’ εϊ τις | παπταίνει, βραχύς έξικέ| σθαι χαλκόπεδον θεών έδραν ; conserver en toutes choses la mesure et l’à propos : Pyth. II 3 4 ; χρή δέ κατ’ αύτον αί|εΙ παντος όρδν μέτρον ; V III 78 : μέτρφ κατάβαιν’ ; ne jamais oublier sa condition mortelle : Pyth. III 59-60 ; χρή τά έοι-κότα πάρ | δαιμόνων μαστευέμεν θναταϊς φρασίν | γνόντα τό πάρ ποδός, οϊας είμέν αϊσας; Ném. XI 15 : θνατά μεμνάσθω περιστέλλων μέλη; Isthm. V 16 : θνατά θνατοϊσι πρέπει ; et ne jamais commettre la folie de vouloir s’égaler aux dieux : 01. V 25 : μή ματεύ|στ) θεός γενέσθαι; Isthm. V 14 :μή μάτευε Ζεύς γενέσθαι

1. Voir ρ. 79 ; à ceci près que dans ces deux odes Pindare refuse d’aller au delà, alors qu’ici la matière est si riche qu’il se sent impuissant à aller jusqu’au bout.

2. Voir O. Becker, Das Bild des Weges, p. 121, n. 44, p. 155.3. Sc. : les colonnes d’Héraklès.4. G. Frener, Kontrast und Antithese bei Pindar (Diss. Innsbruck, 1969), p. 35.

Sur ce symbole, voir aussi p. 35 ss., p. 104, ainsi que H. Gundert, Pindar und sein Dichterberuf, p. 71 ; Der alte Pindar {Mnem. Th.. Wiegand, München, 1938), p. 12 ; H. Bischoiï, p. 97 ; G. Coppola, Introduzione a Pindaro,'^. 112 ; C.M.Bowra, Pindar, p. 253 s. ; A. Lesky, p. 211, p. 322, n. 283 ; O. Becker, Das Bild des Weges, p. 59 s. Ces remarques valent également, bien sûr, pour le détroit de Gadès (IV® Né- méenne) et le pays des Hyperboréens (X® Pythique).

5. Sur les parentés de vocabulaire entre les évocations des colonnes d’Héraklès, celle du pays des Hyperboréens et celle du Phase et du Nil, voir p. 88-89.

6. Cf. 01. I 114 ; μηκέτι πάΙτυταινε πόρσιον.7. Sur le thème des limites de l’homme chez Pindare, voir W. Theiler, p. 267 ;

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Tel est le contexte général dans lequel se situe l’image des co­lonnes d’Héraklès, qui traduit les deux aspects complémentaires de la sagesse de Pûidare : aspirer à, la gloire et au bonheur, mais aussi prendre conscience de leurs limites. E t ce n ’est pas un hasard si, dans les évocations qui précèdent, à l’élan qui porte l’homme vers ce but suprême répond souvent un brusque arrêt, où se trahit la crainte de la démesure, de l’inconnu, du mystère^ : μηκέτι... σπεύ- δειν Çlsthm. IV 13), άβατον {01. I l l 44), ούκέτ!,... περδίν, άβάταν (Ném.I l l 21-22), ού περατόν {Ném. IV 69). Il ne faut pas pour autant juger cette philosophie étriquée et mesquine : car si le poète manifeste sa volonté d ’obéir à un impératif de limitation — qui est de respecter la condition mortelle et plus généralement l’ordre établi dans le monde — on peut néanmoins discerner chez lui, notamment dans la III® Olympique, la tentation d’aller au delà, et de donner plus d ’ampleur aux aspirations de l’homme^; et si, au terme de cette sorte d’hésitation, il y renonce, ce n ’est pas d’un cœur résigné, mais avec sérénité et lucidité qu’il accepte ses limites®; au demeurant, on aurait to rt de ne voir, dans les conseils qu’il donne, que des exhor­tations purement négatives à se restreindre : ce sont tout autant des éloges qu’il adresse au vainqueur pour tout ce qu’il a déjà su atteindre^.

H. Strohm, Tyche. Zur Schicksalsauffassung bei Pindar und den frühgriechischen Dichtern (Stuttgart, 1944), p. 71 s.

1. Voir sur ce point P. Arnaldi, Struttura e poesia nelV odi di Pindaro (Napoli, 1943), p. 45.

2. Voir C. P. Segal, God and man in Pindar’s -first and third Olympian Odes, p. 248.

3. Sur cette attitude de l’homme à la fin de la période archaïque, voir G. P. Se­gal, Nature and the world of man in Greek literature (Arion, 2, 1963), p. 29.

4. Voir à ce propos B. Thummer, Pindar. Die Isthmischen Gediehte, II, p. 67.

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CHAPITRE VIII

LE PHASE ET LE NIL

Glorifiant dans la II® Isthmique la générosité de Xénocrate, Pin- dare l’avait comparé (v. 39-40) à un marin recevant à pleines voües l’afflux de ses invités’·; l’image nautique se poursuit aux v. 41-42 par le tableau de ses Voyages jusqu’au Phase et au Nil :

άλλ’ έπέρα ποτί μέν Φάσιν θερείαις, έν δέ χειμωνι πλέων Νείλου πρός άκτάν.

V. 41-42.

« il allait jusqu'au Phase en été, et en hiver voguait jusqu'aux rivages du N il ».

A première vue, les deux expressions ποτί Φάσιν (v. 41) et Νείλου πρός άκτάν (v. 42) suggèrent les limites de la navigation et semblent définir métaphoriquement le cadre dans lequel s’exerce une hospi­talité aussi largement étendue que les voyages du marin le plus aventureux^. Gomme les colonnes d’Héraklès à l’ouest®, Φάσις et Νείλος sont utilisés en grec pour traduire symboliquement l’idée d’un terme éloigné et difficilement accessible : ainsi Pind., Isthm. VI 22-23 : μυρίαι 8’ ^ργων καλών τέ|τμηνθ’ έκατόμπεδοι έν σχερφ κέλευθοι, | καΐ πέραν Νείλοιο παγάν | καΐ 8ι’ 'Τπερβορέους ; Bacchyl., Ode IX 40-41 : τοϋ κ[λέος π]άσαν χθόνα | ήλθε[ν καΐ] έπ’ έ'σχατα Νείλου ; Euï*., Andr. 650- 651 : ήν χρήν σ’ έλαύνειν τήνδ’ ύπέρ Νείλου ροάς | ύπέρ τε Φάσιν ; et un texte anonyme de tragique définit le Phase comme « la limite su­prême que peuvent atteindre les vaisseaux » : frg. 559 N : εις ®5tftv, gv0a ναυσίν έσχατος δρόμος. Les similitudes d’expression aidant —· πλέων (v. 42) rappelle le πλόον de Pyth. X 29, έπέρα (v. 41) le περαίνει de Pyth. X 28, le περΧν de Ném. I I I 22 et le περατόν de Ném. IV 69 —■ Pindare semble avoir voulu signifier que, par le grand nombre de

1. Voir p. 51 ss.2. Ainsi comprennent J. Sandys, p. 453, n. 2 ; L. Cerrato, p. 525 ; M. Merello,

Le Odi di Pindaro (Genova, 1933), p. 191, n. 13 ; L. Wolde, p. 345, n. 9.8. Platon associe dans le Phédon les colonnes d’Héraklès au Phase, 109 A :

μέχρι Ηρακλείων στηλών άπό Φάσιδος ; cf. aussi Eur., Ηίρρ. 1053 : πέραν γε Πόντου τερμόνων τ’ ’Ατλαντικών.

4. Sur ce passage, voir p. 73.

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ses convives, Xénocrate a atteint Γέ'σχατον πλόον dans le domaine de l’hospitalité, comme avant lui Hippocléas, Mélissos, Théron, Aristocléïdés et Timasarque l’avaient atteint dans celui des hon­neurs.

Toutefois ce serait oublier que l’évocation de la II® Isthmique a une autre dimension, inconnue des textes précédents, et qui seule permet de lui donner sa signification exacte : la notion de temps, de saison, soulignée par le couple θερείαις (v. 41) et χειμώνι (v. 42). En eux-mêmes, ces deux termes suggèrent ici non point deux saisons séparées, mais le déroulement d’un cycle complet, et par contre­coup le caractère ininterrompu de l’hospitalité de Xénocrate^ ; mais leur importance n ’est pas tan t dans leur valeur propre que dans leurs rapports avec les deux termes géographiques ; et, de fait, les deux groupes ποτί Φασιν θερείαις (v. 41) et έν χειμώνι Νείλου προς άκτάν (ν. 42) imposent l’image d’un marin qui cherche non pas à aller le plus loin possible dans différentes directions, mais à voguer dans les parages où il est assxiré de trouver, selon la saison, les meilleures conditions de navigation. Entre le Phase et le Nil la différence n ’est donc pas de distance, mais de climat^, et la précision est d’impor­tance quand on la transpose dans le domaine figuré : car voguer en été dans des lieux où le temps est frais, et en hiver jusqu’à, des pays de climat chaud ® — ce qui revient à rechercher en toutes sai­sons l’agrément du voyage — consiste, dans le contexte d’hospitalité défini plus haut, à, assurer en toutes circonstances le confort de sa demeure^ ; et ce n ’est pas le nomibre des convives que suggère l’image — les V. 39-40 y suffisent — mais la qualité de l’accueil qui leur est ré­servé, tel qu’ils pouvaient l’attendre du luxe d’Agrigente

On voit avec quelle habileté Pindare joue ici sur les deux registres du temps et de l’espace, et comment l’un détermine la fonction de l’autre : en elles-mêmes, les deux notations temporelles —' θερείαις (v. 41) et χειμώνι (v. 42) — modifient l’image de la navigation en

1. Voir à ce propos H. Bischoiî, p. 97 ; E. Thummer, Pindar. Die Isthmischen Gedichte, II, p. 51.

2. Voir E. Romagnoli, p. 74; A. T. Deas, Pindar, Isthmian II , 41-42 [Class. Rev., 41, 1927), p. 212.

3. L’emploi au v. 42 de Νείλου est une métonymie, et l’expression Νείλου πρδς άκτάν signiüe simplement « jusqu'aux rivages de VEgypte » ; il n’y a donc pas lieu de suspecter άκτάν, et de le corriger, comme le fait A. T. Deas [loc. cit.), en αύγάς ; pour άκτή, voir p. 225 ss.

4. Voir schol. 61 A (DR III, p. 221) : οδτω γάρ εδ πρός τούς καιρούς ήρμοστο, καθάπερ οί έν μέν τφ θέρει πρός τά χειμερινά ωθούμενοι, τφ δέ χειμώνι πρός τά θερινά.

5. Voir A. T. Deas, loc. cit.

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substituant la notion de continuité à celle d’éloignement et par leur rapport avec ποτί Φδίσιν (v. 41) et Νείλου πρός άκτάν (v. 42) elles font sxirgir de surcroît l’idée d’une heureuse utilisation des oppor­tunités — tous détails qui complètent et la métaphore de la barque aux voiles bien gonflées et le portrait de Xénocrate des v. 39-40.

1. Faute d’avoir vu l ’importance de l’idée de temps dans ces deux vers, C. A. M. Fennell [Pindar's Nemean and Isthmian Odes, p. 144) justifie la référence au Phase par le fait que Pindare avait déjà utilisé symjjoliquement les colonnes d’Héraklès dans l ’ode adressée à Théron. En fait, Pindare ne répugne pas aux redites (voir p. 88-89) ; mais ici le symbole n’était pas du tout du même ordre.

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L ’h o m m e e t s e s l i m i t e s : l a f i n d u v o y a g e

Le tableau ci-dessous est destiné, à l’issue de l’étude des sept textes qui précèdent (p. 68 ss.), à mettre en lumière, suivant l’ordre chronologiqTie, et mieux que ne l’ont pu faire des renvois occasion­nels, l’insistance et la cohérence exceptionnelles des éléments qui constituent chez Pindare l’image du voyage, les mots-clés étant soulignés à cet effet et répartis sous les rubriques suivEintes ;

1 '— idée de départ2 — idée de trajet3 — idée d’arrivée4 — désignation du point d’arrivée5 — idée de limite6 — idée de l’interdiction d’aller au delà.

Pyth. X 28-29 :'àtiaic, Se βροτόν Μνος άγλα'ίαις | άπτόμεσθα®, περαίνει^ πρ6ς έσχατον® πλόον. ^

Istkm. VI 13 :έσχατιαϊς® ήδη πρός δλβου | βάλλετ^ όίγκυραν.®

Isthm. IV 12-13 :άνορέαις 8’ έσχάταισι,ν® | οϊκοθεν^ στάλαισιν* άπτονθ’® Ήρακλείαις.

01. III 43-45 :νϋν δε πρός εσχατιάν® Θή|ρων άρεταϊσιν ίκάνων^ απτεται^ | οϊκοθεν^ Ήρακλέος στα |λάν^ . Τό πόρσω δ’ έστί σοφοϊς άβατον® | κάσόφοις.

Ném. III 21-23 :ούκέτι προτέρω | άβάταν® άλα κιόνων^ | ΰπερ Ήρακλέος πέραν® εύμα-

ρές, I ήρως θεός &ς έθηκε | ναυτιλίας έσχάτας® | μάρτυρας κλυτάς.

JVém. IV 69-72 :Γαδείρω ν* τό πρός ζόφον ού | περατόν® ' άπότρεπε | αδτις Εύρώπαν ποτί χέρ|σον 2ντεα ναός· | δπορα® γάρ λόγον Αιακού | παίδων τόν άπαντά μοι διελθεϊν.

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Isthm. II 41-42 :άλλ’ έπέρα^ ποτί μεν Φάσιν^ θερείαις, | έν δέ χειμώνι πλέων® Νείλου πρός άκτάν*.

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CHAPITRE IX

LE DÉBARQUEMENT

De καταβαίνειν Pindare fait un usage fréquent, et le verbe se ren­contre chez lui pour exprimer la notion de mouvement, avec des nuances assez diverses. Il exprime souvent un mouvement de des­cente : d’un char {Ném. VI 51), d’une montagne {01. IX 43), d’une berge dans un fleuve {01. VI 58), de l’intérieur d’un pays vers le littoral {Pyth. IV 188), de la surface de la terre dans le royaume des morts {Pyth. III 11) ; dans le contexte des jeux, il évoque la des­cente de l’athlète dans l’arène {Pyth. XI 49 : Πυθοϊ τε γυμνόν επί | στάδιον καταβάντες). Mais le terme n’est pas toujours aussi précis, et sa valeur imagée n ’est guère perceptible dans certains de ses em­plois, où il traduit simplement l’idée d ’ « arriver », qu’il s’agisse de l’arrivée du poète à la fête {Péan VI 14-15 : κατέβαν στεφάνων | καΐ θαλιδν τροφόν άλσος Άπόλ| λωνος ; 60-61 : άγώνα Λοξίηο καταβάντ’ | εύρύν έν θεών ξενίς:) OU de tout autre mouvement {Pyth. IV 55 : Πύθιον ναόν καταβάντα) ; et Ce sens se retrouve également dans des registres plus abstraits, comme dans Péan II 33-34 : μόχθος ήσυχίαν φέρει | καιρφ καταβαίνων — les épreuves de la guerre, « arrivant » à, propos, ap­portent la tranquillité au vainqueur^. Le point d’arrivée étant par­fois plus nettement senti, καταβαίνειν peut aussi signifier « parve­nir à», « atteindre », comme dans Ném. III 25-26 : xat|έβαινε νόστου τέλος, OU « arriver à ses fins », « toucher au but » : Pyth. VIII 78 : μέτρω κατάβαιν’ ; Ném. III 41-42 : ψεφεννος άνήρ | άλλοτ’ άλλα ττνέων οΰ ποτ’ άτρεκέϊ | κατέβα ποδί. : le personnage ici évoqué est incapable, tant ses aspirations varient, de « parvenir à ses fins d’une démarche assurée ; κατέβα (v. 42) y a plus de relief que dans les exemples pré­cédents, car, outre le sens de « parvenir à un résultat », il exprime

1. S. L. Radt, p. 41, y joint Pyth. III 73 et 01. VII 13 ; mais dans ces deux derniers exemples, καταβαίνειν a une valeur nautique ; voir p. 91 s.

2. Pour ήσυχίαν (v. 33), voir p. 221, n. 7, p. 299, n. 1.3. Pour τινέων (v. 42), voir p. 173.4. O. Becker, Das Bild des Weges, p. 66, n. 44 : « zu Ende gehen ». Voir aussi

S. L. Radt, p. 41 ; E. Thummer, Die Religiositât Pindars, p. 108 ; W. Marg, Der Charakter in der Sprache der frühgriechischen Dichtung (Diss. Würzburg, 1938), p. 84.

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aussi la signification purement littérale de « marcher », et ce grâce à l’emploi de ποδί’ .

Il semble donc que dans la plupart de ses emplois καταβαίνειν soit, comme bien d’autres verbes chez Pindare, un terme vague et peu apte en lui-même à faire naître des représentations précises^. Restent trois passages^ où le verbe est lié à un contexte maritime et évoque l’action de débarquer ; Pyih. IV 22, III 73, 01. VII 13 ; dans les deux derniers il s’applique à Pindare lui-même, qui regrette de n ’avoir pu débarquer à Syracuse pour apporter à Hiéroh la double offrande de la santé et des hymnes {Pyih. III 73-76), et qui en d’autres temps a débarqué à Rhodes en compagnie de Diagoras, 01. VII 13 : σύνΔιαγόρΐ): κατέβαν.

Gomme on ignore si Pindare s’est véritablement rendu dans l’ile pour la célébration de son ode, il est tout à fait hasardeux de con­clure de l’emploi de κατέβαν ou qu’il y est allé en personne^, ou au contraire que ce voyage doit être entendu au figuré ® ; certains te­nants de la seconde interprétation® ont cru en trouver la confir­mation dans l’emploi de πέμπων au v. 8, où le poète dit qu’il « envoie aux athlètes vainqueurs le nectar limpide., don des Muses » — v. 8-9 :καΐ έγώ νέκταρ χυτόν, Μοι,|σάν δόσιν, άεθλοφόροις | άνδράσι,ν πέμπων κτλ. ■—■; mais de telles formules sont à utiliser avec prudence, et l’exemple de la II® Pythique, le plus caractéristique à cet égard, prouve assez qu’il est impossible d’en tirer des conclusions biographiques certaines, puisque l’ode renferme deux notations de mouvement proprement contradictoires, celle du v. 3, où le poème est « apporté » par son auteur — τό8ε... φέρων | μέλος έρχομαι — ■ et Celle du V. 68, OÙ le même poème est « envoyé » — τόδε... | μέλος... πέμπεται·^. Dans ces condi­tions, rien n ’interdit, que ce soit pour κατέβαν dans la VII® Olym-

1. Avec beaucoup d’ingéniosité, J. B. Bury [The Nemean Odes of Pindar, p. 54) suppose ici un double jeu de mots sur κατέβα au sens de « marcher » et de « débarquer » et sur ποδί au sens de « pied » et d’ « écoute » ; il y aurait donc image nautique, le personnage étant comparé à un matelot qui ne peut ni manœuvrer la voile ni toucher terre comme il faudrait. Mais οίί ποτ’ άτρεκέϊ | κατέβα ποδί ne peut supporter une telle interprétation ; sur πούς au sens d’ « écoute », voir p. 142.

2. Voir pour καταβαίνειν S. L. Radt, p. 42, et, plus généralement, dans le pré­sent ouvrage, p. 43, p. 75.

3. Pour Ném. IV 36-38, voir p. 92 ss.4. G. Méautis, p. 406 ; M. Yourcenar, p. 239 ; W. Mullen, Place in Pindar

(Arion, 6, 1967), p. 481 ; G. Gaspar, p. 146, etc.5. G. A. M. Fennell, Pindar's Olympian and Pythian Odes, p. 76 ; M, F. Ga-

liano, p. 212 ; L. Cerrato, p. 84 ; L. Traverso-E. Grassi, Pindaro. Odi e frammenti (Firenze, 1956), p. 493 ; L. Wolde, p. 268, n. 1 ; P. Von der Miihll, Weiterepinda- rische Notizen [Mus. Helv., 20, 1963), p. 197, etc.

6. Ainsi U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 363, n. 1 ; E. Thummer, Die Reli- giositat Pindars, p. 62, n. 2.

7. Sur ce problème, voir p. 39 s. ; pour le commentaire du v. 68, voir p. 151 ss.

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pique ou pour έπιστείχοντα dans Isthm. VI 21 — τάνδ’ έπιστείχοντα νάσον — OU, de façon plus générale, en présence d’un verbe de mou­vement à la première personne, d’y voir une allusion à un voyage réel, comme rien n ’empêche non plus de conclure que Pindare s’iden­tifie à son ode et s’imagine présent à la célébration de la fete^.

Si la sagesse commande, dans un cas pareil, de ne pas prendre p a r t i i l n ’est pas d ’une extrême importance que la question de­meure en suspens, car κατέβαν est ici un terme isolé et l’interprétation qu’on en donne, quelle qu’elle soit, ne modifie pas celle du contexte ; elle est capitale en revanche, et exige d’être nettement tranchée quand il s’agit de la IV® Néméenne, où καταβαίνειν n ’est qu’un élé­ment entre d’autres d’une suite complexe de termes marins, et où l’explication qu’on propose pour un mot a inévitablement des ré­percussions sur celle des autres mots qui lui sont liés.

’Έμπα, κεϊπερ ® &χει βαθεΐ- α ποντώς όίλμα

μέσσον, άντίτειν’ έπιβου- XÎCf. · σφόδρα δόξομεν

δαΐων ύπέρΐεροι έν φάει καταβαΐνειν. *

V. 36-38.

Le passage est fort difficile et a donné lieu, notamment pour le groupe κεϊπερ... έπιβουλίφ (v. 36-37), à d’âpres controverses. C’est pourquoi il nous est apparu que, pour avoir du problème une vue d ’ensemble assez claire, la meilleure méthode était sans doute de grouper et de résumer les principales prises de position, et d’en étu­dier successivement le détail.

A. — Tous les termes sont ici à interpréter littéralement.Cette position a été défendue en particulier par G. Fraccaroli®,

U. von Wilamowitz®, G. Norwood^, L. R. Farnell®, et c’est ce dernier

1. Voir à ce propos p. 27, n. 3.2. Comme font G. Fraccaroli, p. 248 ; F. Arnaldi, p. 110 ; voir aussi D. C. Young,

p. 45, n. 2.3. Dans son article ΚΑΙΠΕΡ (Hermes, 83, 1955), F. Schweidweiler maintient

ici la forme καίπερ et considère l’emploi de l’indicatif εχει comme une exception à la règle du participe (p. 223) ; on a préféré adopter la correction κεϊπερ, qui a un fondement grammatical plus sûr.

4. Ce texte est traduit après discussion p. 99 s.5. G. Fraccaroli, p. 556, n. 2.6. U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 400 ss.7. G. Norwood, Pindar, p. 270, n. 57.8. L. R. Farnell, A critical commentary to the works of Pindar, p. 266 s.

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qui a donné à son argumentation le plus d’ampleur et de mordant : l’expression ίχει βαθεϊ|α ποντώς άλμα | μέσσον (v. 36-37) Signifie d’après lui que la mer tient le poète séparé d’Égiïie, patrie de Timasarque, destinataire de l’ode —■ μέσσον (v. 37) devant être entendu au sens adverbial (έ'χειν μέσσον : « être dans l’intervalle ») ou considéré comme un accusatif neutre (τό μέσσον) dépendant de ίχειν au sens de « rem­p lir », « occuper » — ; d’autre part, καταβαίνειν (v. 38) n ’a aucune va­leur maritime, et signifie non « débarquer », mais « entrer en compé­tition », évoquant le moment, glorieux pour Pindare, où son ode sera célébrée. L’ensemble du passage exprime donc en opposition une double idée : celle de l’éloignement d’Égine — et du préjudice qu’il cause au poète en permettant aux adversaires qu’il y a de donner libre cours à leurs calomnies — et celle du triomphe qu’il finira mal­gré tout par connaître^.

Les objections à cette interprétation ne manquent pas : l’expli­cation donnée à εχει βαθεϊα κτλ., outre qu’elle est grammaticalement peu convaincante, suppose aussi, sur le plan stylistique, que pour exprimer les réalités les plus simples Pindare doit recourir à des lo­cutions singulièrement ampoulées ; on n ’aboutit en outre, dans cette perspective, à aucun sens satisfaisant pour άντίτειν’ έπιβουλίςο (v. 37), que les commentateurs traduisent tan tô t par « résiste aux attaques » (alors que nul attaquant n ’a été nommé), « résiste de propos délibéré », « tiens-toi à ton projet », etc. ; enfin le sens donné à καταβαίνειν est injustifiable ; jamais en effet καταβαίνειν à lui seul n ’a la valeur tech­nique d’ « entrer en compétition », « engager le combat » : ainsi dans Pyth. XI 49® c’est le complément στάδιον qui introduit l’idée de concours, et dans Péan VI 60-61^ άγώνα ne désigne pas une compé­tition, mais un lieu de rassemblement ; cependant c’est encore dans la IV® Néméenne que ce sens d’ « engager le combat » est le plus indé­fendable, puisque les v. 37-38 y indiquent au contraire le résultat d’une lutte victorieuse®.

B. — Les termes ont une valeur figurée qui s'explique par la proximitédu mythe d'Héraklès.La IV« Néméenne comporte deux mythes, celui d’Héraklès (v. 25 ss.),

celui des Éacides (v. 44 ss.), et l’on a vu que ce dernier s’interrompt

1. Voir schol. 58 G (DR III, p. 74) : εΐ καΐ πολύ τό μέσον ίχει διάστημα ή της Αίγίνης θάλασσα προς τάς Θήβας, έπείγου καΐ άντίτεινε ταϊς των εχθρών έπιβουλίαις.

2. Non seulement ici, mais aussi pour Pyth. VIII 67 ; Ném. III 41-42 ; Péan VI 60-61 ; voir aussi M. R. Lefkowitz, ΤΩ KAI ΕΓΩ. The first person in Pindar, p. 217.

3. Voir p. 90.4. Voir p. 90.5. Voir à ce propos S. L. Radt, p. 40.

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brusquement au v. 70 par une métaphore nautique où le poète s’en- courage à ramener son navire vers des rivages plus proches ; or l’image des V. 36-38 se situe elle aussi à l’issue du récit mythique ; bien mieux, à la suite d’un vers où le poète, dans une formule qui lui est familière^, s’exhorte à la brièveté : v. 34 : rà μακρά 8’ έξενέπειν έρύκει με τεθμός | ώραί τ έττειγόμεναι Cette similitude dans la posi­tion des deux images maritimes de l’ode a conduit certains critiques à conclure que, comme celle des v. 69-72, l’image des v. 36-38 avait pour fonction d’interrompïe le mythe, et que les termes qu’elle renferme étaient à interpréter au figuré, en liaison avec ce mythe. Ainsi G. Maloney : « L'effort qu'il fait pour ne pas se laisser entraîner— s. e. : dans cette digression — lui rappelle le sursaut d ’un homme perdu en mer qui refuse de se laisser couler à pic^ »; on trouve les mêmes conclusions chez L. Traverso-E. Grassi®, ainsi que chez J. B. Bury®, aux yeux de qui, en outre, le βαθεϊα... άλμα du v. 36 représente les profondeurs de l’imagination où le poète risque de se perdre, et fait écho au φρενός... βαθείας du v. 8 : ô τι κε σύν χαρί-ρων τύχοι | γλώσσα φρενός έξέλοι βαθείας.

En fait, depuis Homère, βαθύς exprime couramment, en compo­sition ou non, des réalités proprement intellectuelles (II. XIX 125 : φρένα... βαθεϊαν ; Sol. frg. 23 D, 1 ; Pind., Ném. VII 1 : βαθύφρων ;III 53 : βαθυμήτης ; Eschl., Pers. 141-142 lyr. : φροντίδα ... I ... βαθύβου- λον, etc.), et il ne faudrait pas croire que dans chacun de ses emplois l’adjectif suggère au poète l’image des profondeurs marines : c’est un terme courant, peu chargé en lui-même de pouvoir évocateur, et que seule la puissante imagination d’Eschyle est parvenue à vivifier, dans ces vers des Suppliantes où le roi Pélasgos se voit sous l’aspect d’un plongeur qui va chercher au fond de ses pensées le salut de sa cité, V. 407-409 : 8εϊ τοι βαθείας φροντίδας σωτηρίου, | δίκην κολυμβητηρος, ές βυθόν μολεϊν | δεδορκός δμμα μηδ’ άγαν φνωμένον ; mais si βαθύς appelle ici la représentation du gouffre marin — la dimension de l’abîme étant appliquée métaphoriquement à la pensée de l ’homme pour en suggérer l’intensité — c’est moins par sa valeur propre que grâce aux prolongements imagés que lui donnent la comparaison δίκην κολυμβητηρος (v. 408) et le détail de mouvement ές βυθόν μολεΐν

1. Voir p. 45 s.2. Voir p. 47, a. 6.3. La formule rappelle celle de la IV« Pythique, à la fin du mythe des Argo­

nautes ; V. 247 : μακρά μοιΙ νεϊσθαι κατ’ άμαξιτόν · ώρα | γάρ συνάπτει ; voir ρ. 25 S.4. G. Maloney, ρ. 177.5. L. Traverso-B. Grassi, p. 517.6. J. B. Bury, The Nemean Odes of Pindar, p. 72. Voir aussi schol. 58 B {DR III,

p. 74) ; καΐ εί τό μέσον ^χω της ιστορίας καΐ μεσοπορώ κατά τήν διήγησιν, δμως άνθέξομαι.

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(v. 408)^ ; dans la IV® Néméenne au contraire, le βαθείας du v. 8 est isolé de tout contexte maritime, et il serait arbitraire d’y voir une préfiguration du βαθεϊα du v. 36®.

A cette réserve près, il faut néanmoins admettre que l’interpré­tation qui vient d’être donnée des v. 36-38 ne manque pas de force : elle a notamment le mérite de donner à, la structure du poème une séduisante cohérence, avec ses deux mythes interrompus chacun par la métaphore nautique, celle des v. 36-38 jouant, à l’issue du mythe d ’Héraklès, le même rôle que, dans la I IP Néméenne^ au terme d’un mythe lui aussi consacré à Héraklès (v. 23-26), l’image du v. 27 ; θυμέ, τίνα προς άλλοδαπάν j ιϊκραν κτλ®. Cependant, Une telle explication ne rend absolument pas compte de άντίτειν’ έπιβουλίο: (v. 37) ; il y a en effet dans άντίτεινε une idée de raidissement, et dans έπιβουλίί)! d’hostilité, d’attaque concertée, que rien dans le mythe précédent ne justifie, et qui de surcroît fait défaut à toutes les mé­taphores nautiques d’interruption déjà étudiées : que ce soit dans Pyth. XI 39 b-40, Ném. I l l 27-28, Pyth. X 51-52 ou Ném. IV 69-72^ jamais la résistance opposée à la tentation de poursuivre le mythe ne s’exprime avec une aussi âpre violence qu’ici. Car ici c’est vérita­blement d’un combat qu’il s’agit, et seules les réalités de la polémique permettent de donner du passage une explication satisfaisante.

G. — Les termes ont une valeur figurée, qui s'explique non par le mythe,mais par les nécessités de la polémique.L’œuvre et la personne même de Pindare n ’ont pas été sans sus-

1. Voir sur ce passage la belle analyse de B. Saell, Oie Entdeckung des Geistes. Studien zur Entstehung des europâischen Denkens bei den Griechen (Hamburg, 1948), p. 32 ss., p. 115 ss. Voir aussi H. Mielke, p. 62 ; J. G. Hansen, Bildhafte Sprache des Aischylos : See und Schiffahrt in metaphorischen Verwendung (Diss. Kiel, 1955), p. 73 ss. ; W. B. Stanford, Aeschylus in his style, p. 24. Sur ce procédé, chez Eschyle, de création d’images par apposition, grâce à quoi un terme inco­lore est vivifié par les détails qui suivent, voir O. Smith, p. 18 ss. ; on en trou­vera d’autres exemples p. 115, p. 262, p. 291, p. 320 s. ; l’image a ici pour fonc­tion de décrire un état d’esprit : sur les différentes fonctions de la métaphore eschyléenne, voir F. R. Earp, The style of Aeschylus (Cambridge, 1948), p. 107 ss., qui distingue trois étapes successives : la métaphore sert à évoquer : a) un objet ; h) l ’impression que produit cet objet sur l’esprit ; c) un état d’esprit ; elle devient, de descriptive, dramatique et émotionnelle ; mais les exemples donnés, en parti­culier pour les Suppliantes, ne sont pas toujours absolument convaincants. Sur la comparaison avec le plongeur chez Homère, voir II. X II 385-386 ; XVI 742-743 ; sur les transformations qu’y a apportées Eschyle, voir W. Elliger, p. 40.

2. Pour des remarques plus complètes sur l’emploi de βαθύς chez Pindare, voir p. 296 s.

3. Telle est la vue d’ensemble de la IV® Néméenne que définit G. Maloney, p. 175 ; pour Ném. III 27-28, voir p. 34 s.

4. Voir respectivement p. 33 s., p. 34 s., p. 44 s., p. 45 s.

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citer des critiques, particulièrement dans les deux pays auxquels il a consacré le plus grand nombre de poèmes, Égine et la Sicile : la II® Pytliique le montre soucieux de se défendre auprès de Hiéron contre les calomnies dont il avait été l’objet^, et la VII® Néméenne est tout entière une réponse aux critiques que la présentation du mythe de Néoptolème dans le VI® Péan avait fait naître à Égiae^. Face à des adversaires d’autant plus enclins à l’attaquer que sa popularité était plus grande, Pindare n ’était pas homme à se taire, et la II® Py- thique témoigne de la vigueur de ses ripostes^.

Dans le cas de la IV® Néméenne, les critiques auxquelles répond le poète visaient peut-être spécialement le Dithyrambe qu’il avait composé pour Athènes en 474® ; peut-être avaient-elles une portée plus générale, et lui reprochait-on sa manière de traiter les récits mythiques^ ; quoi qu’il en soit, l’essentiel ici est la façon dont il décrit le combat qui l’oppose à ses ennemis : il se représente comme tin nageur® qui se débat dans une mer profonde — v. 36 : βαθεϊα... άλμα — celle-ci symbolisant la foule des rivaux qui le critiquent — ou, si l’on préfère, les critiques elles-mêmes, car en l’occurrence l’homme et l’action ne font qu’un — et tentent par tous leâ moyens de « cou­ler » sa popularité®. E t pour dépeindre l’hostilité de l’élément marin, Pindare recourt hardiment à une métaphore empruntée au domaine de la lutte, εχει... μέσσον (v. 36-37), qui vient s’imbriquer étroite­ment dans l’image maritime : la mer le tient « à bras le corps », et l’expression suggère une prise très forte, comme chez Aristophane, Ach. 571 lyr. : έγώ γάρ εχομαι. μέσος ; NuéeS 1047 : εύθύς γάρ σε μέσον ’έχω λαβών άφυκτον. On n ’a donc pas affaire ici à l’image unique, et qui serait effectivement grotesque·^, d’un homme immergé « à mi-corps »■— βαθεϊα indique assez clairement que ce sens de μέσος est impos­sible — mais à une double vision, dont les éléments sont inextrica­blement confondus : celle du nageur en détresse et celle du lutteur

1. Pyth. II 79-80, voir p. 158 ss.2. Voir p. 209, n. 9.3. Telle est l’opinion de C. Gaspar, p. 118.4. M. R. Lefkowitz, ΤΩ KAI ΕΓΩ. The first person in Pindar, p. 217.5. Non comme une barque, ainsi que le pense A. L. Keith (p. 98), qui a par

ailleurs bien analysé le passage.6. Pour cette interprétation, voir C. A. M. Fennell, Pindar's Nemean and Isth­

mian Odes, p. 39 ; F. Arnaldi, p. 13 ; C. M. BoAvra, Pindar, p. 273 ; voir aussi J. Du- mortier, p. 54, n. 1 : « I d la mer perf.de symbolise les ennemis du poète, comme, dans les Sept, Varmée assiégeante » ; toutefois les différences sont considérables : chez Pindare l’image est moins intensément « vue », plus infellectuelle, que celle d’Eschyle ; voir p. 115 ss. ; G. Maloney (p. 177, n. 9) envisage, mais sans la re­tenir, cette interprétation de βαθεϊα ίχλμα,

7. C’est un des arguments de L. R. Farnell [lac. cit.) contre l’interprétation figurée de εχει μέσσον.

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qui tente d’esquiver la prise de son adversaire^. E t dans cette pers­pective άντίτειν’ έπιβουλίς: (v. 37) s’explique parfaitement : si déses­pérée que soit sa position, le lutteur, dans un ultime sursaut, se raidit et s’encourage à résister aux forces hostiles qui de tous côtés l’as­saillent et menacent de le submerger ; la violence de cette attaque concertée — έπί —■ n ’a d’égale que celle de la risposte —■ άντί —· et l’on voit par là toute la différence qui sépare la dramatique exhorta­tion exprimée par άντίτεινε des simples conseils de mesure que tra ­duisent σχάβον {Pyth. X 51) ou άπότρεπε (Ném. IV 70).

Cette interprétation paraît devoir être confirmée par deux autres textes de Pindare.

Dans un passage de violente polémique de la I P Pythique (v. 79- 80), on retrouve, dans l’évocation de la lutte qui oppose le poète à ceux qui l’ont calomnié auprès de Hiéron, la même tension farouche entre les deux éléments ennemis : il s’agit à présent du liège, flottant à la surface de l’eau, et qui représente Pindare, et du filet, qui tente de l’entraîner au fond, et symbolise les manœuvres hypocrites de ses adversaires pour essayer de le perdre ; mais, comme dans la IV® Néméenne, « les allusions à Veau... sont reliées à des concepts de profondeur — βαθεϊα : Ném. IV 3 6 ; βαθύν : Pyth. II 79 — et ici encore ces profondeurs symbolisent les forces nuisibles qui menacent le poète ; cependant, tandis que dans la II® Pythique l’image est do­minée par l’affirmation triomphale de la supériorité sur l’ennemi, Pindare s’y proclamant a hors d'atteinte de la mer» — v. 80 : άβάπτιβτος... όίλμας —· la IV® Néméeunc souligne au contraire combien sa position est précaire : la mer le « tient » — εχει... άλμα 3.

Quant à la présence de l’image du lutteur, elle surprendra moins si l’on songe que Pindare se considère volontiers comme un com­battant, qui a un but à atteindre, des difficultés à vaincre, et même assez souvent un adversaire à surpasser^; mais elle s’explique ici, plus précisément, par la spécialité de l’athlète célébré dans la IV® Né- méenne : c’est en effet à la lutte que Timasarque a triomphé, et cette réalité a orienté l’imagination de Pindare en lui suggérant l’emploi, pour dépeindre ses propres épreuves, d’un vocabulaire qui était en premier lieu celui de la compétition®. De cette façon de transposer

1. Voir sur ce point A. L. Keith, p. 98.2. G. Maloney, p. 176.3. Les V. 79-80 de la II® Pythique sont commentés p. 158 ss.4. Voir à ce propos K. Freeman, Pindar, the technique and function of poetry

[Greece and Rome, 8, 1939), p. 155 ; P. B. Katz, The nature and function of P in­dar’s poetic persona in Nemean V II and Pythian I I (Diss. Columbia Univ., 1969), p. 27 ; sur les métaphores empruntées à la compétition chez Pindare, voir, outre l’article de K. Freeman (p. 152 ss.), F. Dornseiff, Pindars Stil, p. 58 ; T. Hoey, p. 251.

5. De là la présence, à la fin de l’ode, de termes évoquant la poésie en termes1

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aux réalités de la poésie un terme, une expression techjiiqüe em­pruntés au domaine spécifique du vainqueur, et de les intégrer avec hardiesse à une image maritime, on trouve un autre exemple dans la XIII® Olympique, où, célébrant le coureur Xénophon, Pindare évoque sa propre tâche en mêlant dans une expression imique l’image de la nage et celle de la course à pied : v. 114 : κούφοισιν έκνεΰσαι. ποσίν^. L’image de la IV® Néméenne suppose une confusion aussi audacieuse entre un élément marin et un élément terrestre, entre le domaine de la compétition et celui de la poésie ; la vision d ’vm homme que la mer « tient à bras le corps » peut être jugée hétérogène et peu propre à faire naître une représentation cohérente; son unité, en fait, pro­vient uniquement du thème de la lutte et des risques qu’elle comporte.

Ce thème du combat, ainsi que l’image qui lui est liée, vont trouver leur prolongement dans les v. 37-38 : βφόδρα δόξομεν | δαίων ύπέρτεροι έν I φάει καταβαίνειν, OÙ l’on est inévitablement conduit à interpréter καταβαίνείν sur le double plan de l’idée et de la métaphore : par sa constance, le lutteur « atteint au but » q;ü’ü s’est fixé — contrairement au personnage évoqué dans la III® Néméenne, que son instabilité empêche de parvenir à ses fins, v. 41-42 : δλλοτ’ aoaœ τηιέων o(5 ποτ’ ά-τρεκέί | κατέβα ποδί^ — et le nageur, au terme d’une traversée difiicüe, finit par « toucher terre »®; le corps à corps si dramatiquement décrit par Μχει... μέσσον (v. 36-37) n ’est plus évoqué que dans son heureuse issue, celle de la victoire — v. 38 : δαΐων ύπέρτεροι^ — une victoire à laquelle Pindare associe la famille entière des Théandrides, comme l’indique le pluriel δόξομεν ® ; et aux convulsions de l’élément marin succède la vision apaisée d’une rive hospitalière et lumineuse.

de combat, v. 93-95 : oïov αΙνέωνκεΜελη|σίαν ίριδα στρέφοι | ρήματα πλέκων, άπά- λαι|στος έν λόγφ έλκει,ν, | μαλακά μέν φρονέων έσλοϊς, | -τραχύς δέ παλιγκότοις έφεδρος. Voir sur ce passage Μ. R. Lefkowitz, ΤΩ ΚΑΙ ΕΓΩ. The first person in Pindar, p. 218, n. 94.

1. Pour ce passage, voir p. 229 ss.2. Voir p. 90.3. Certains commentateurs ne s ’attachent qu’à l’un de ces deux aspects de

καταβαίνειν — ainsi S. L. Radt, p. 41, qiii traduit par « toucher au but » — ou hé­sitent entre les deux — ainsi G. Maloney, p . 175, n. 7 — :en fait, il est essentiel de maintenir cette double signification du verbe. L’image du débarquement figure chez Euripide avec le substantif έκβασις, Méd. 278-279 : έχθροί γάρ έξι,άσι πάντα δή κάλων, | κούκ ίσην άτης εύπροσοιστός &<βασις. L’expression άτης... ϊκβασις rappelle la métaphore du « vaisseau du malheur » dans Iph. Taur. 599 (voir p. 38, p. 65, n. 2) ; sur la valeur des images maritimes dans Médée, voir p. 270.

4. On peut rapprocher de cet emploi en composition de ύπέρ, celui de la II® Py- thique, où la préposition indique la même idée de supériorité, v. 80 : ύπέρ 2ρκος. Voir p. 158 ss.

5. Voir à ce propos G. Maloney, p. 180 s. ; on a déjà vu des exemples de cette manière qu’a Pindare de faire cause commune avec le vainqueur et sa famille ; voir p. 78 ss. ; voir en particulier Pyth. X 28, άπτόμεσθα.

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Gomme καταβαίνειν, έν φάει (v. 38) vaut à la fois sur le plan imagé et sur celui des idées : car si cette précision apportée au verbe se justifie en premier lieu, ainsi que le souligne G. A. M. FennelF, par la nécessité pour le nageur de voir clair au moment où il aborde, elle répond aussi à, des nécessités plus profondes : symbole de salut dans l’épopée homérique la lumière est constamment associée dans la poésie de Piadare à, la notion de mérite, et de la gloire qui en résulte —· qu’il s’agisse de celle du poète, de celle du vainqueur ou de sa cité, bref, de tous ceux qui, par la suprématie des dons que les dieux ou la Muse ont mis en eux, ou par la grâce du chant qui les célèbre, se distinguent du commun des hommes® —■ et finit par représenter à, ses yeux tous ce qui est éminent^. Έν φάει renforce donc ici l’idée de la victoire remportée sur les ennemis, en faisant apparaître le poète dans cette lumière qui symbolise la gloire de son génie®, enfin reconnu de tous en dépit des intrigues : par là Püidare s’oppose orgueilleuse­ment, dans la certitude de son proche triomphe, au ψεφεννος άνήρ de Ném. III 41-42® comme à l’envieux que cette même IV® Néméenne représente roulant dans Vombre ses vains desseins — v. 39-40 : φθονερά S’ όέλλος άνήρ βλέπων | γνώμαν κενεάν σκότω κυλίνδει —· condamnés tous deux sans recours aux ténèbres de la médiocrité.

L’ensemble peut donc se traduire comme suit : « Eh bien, même si

1. C. A. M. Fennell, Pindar’s Nemean and Isthmian Odes, p. 105.2. Voir II. VI 6 ; V III 282 ; XI 797 ; XV 741 ; XVI 39.95 ; XVII 615 ; XVIII

102 ; X X I 538. Od. XVI 23 ; XVII 41, etc. ; Voir sur ce point H. Seyffert, p. 86.3. Voir φάος : 01. IV 10 ; V 14 ; X 23. Pyth. I l l 76 ; IV 270 ; V I 14. Ném. I l l 85.

Isthm. II 17 ; VI 63. Hyporch. I l l 6 ; φαεννός : Pyth. V 56 ; φέγγος : 01. II 62- Pyth. VIII 97 ; IX 90. Ném. I l l 64 ; IV 13 ; IX 42. Péan II 68 ; λάμπειν ou έπΛάμ. πειν : 01. I 23. Isthm. I 22 ; IV 23 ; frg. 52, 1 ; frg. 102, 3 ; λαμπρός : Ném. VIII 34 ; φλέγειν ou έπιφλέγειν : 01. IX 22. Pyth. V 45 ; XI 45. Ném. VI 38 ; X 3 ; Péan II 67 ; άκτίς : Pyth. IV 255 ; XI 48. Isthm. IV 42 ; voir aussi 01. VI 4. Isthm. IV 43 ; sur l’importance du thème de la lumière chez Pindare, voir G. Perrotta, Pindaro, p. 102 s. ; H. Mahler, p. 100 ; M. R. Lefkowitz, ΤΩ KAI ΕΓΩ. The first person in Pindar, p. 203, n. 58 ; E. L. Bundy, Hesychia in Pindar (Diss. Univ. of Cali­fornia, Berkeley, 1954), p. 66 ss. ; at, de façon plus générale Μ. Treu, Licht und Leuchtendes in der archaischen griechischen Poesie [Stud. Gener., 18, 1965), p. 95 ; D. Tarrant, Greek metaphors of light [Class. Quart., 54, 1960), p. 182 ; R. Bult- mann, Zur Geschichte der Lichtsymbolik im Altertum [Philologus, 97, 1948), p. 10. On reviendra sur ce thème à propos de εύδία. Voir p. 290 ss.

4. Voir G. Perrotta, p. 104.5. Il y a bien sûr d’autres façons de « lire » h φάει : on pourrait penser au sens

homérique de φάος et à la lumière du salut après les dangers courus ; ou à la lu­mière de la tranquillité après les épreuves (cf. Hyporch. III 5, p. 292 s.) ; le texte peut aussi suggérer une action qui se fait « au grand jour », en opposition avec les manœuvres hypocrites des adversaires (cf. le filet dans la II® Pythique).

6. Sur ce passage et la, double équivalence qu’il suppose entre la lumière et le génie, les ténèbres et le didactisme, voir R, Bultmann, p. 19 ; D. Tarrant, p. 182 s. ; O. Becker, Das Bild des Weges, p. 62 ; W. Marg, p. 84, p. 87.

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la mer profonde te^ tient à bras le corps, résiste à ses attaques : on nous verra sans doute, vainqueurs de nos ennemis, aborder en pleine lumière au terme des épreuves^. »

Une interprétation qui s’efforce de le juger en le situant dans le domaine de la polémique parvient à, en donner ime analyse cohé­rente, et révélatrice, sur le plan stylistique, de la manière de Pin- dare. Il ne convient pas pour autant d’en conclure qu’on peut se passer de toute référence au mythe qui précède ; car la difficulté la plus réelle —· si heureusement résolue dans l’interprétation citée p. 93 ss., et récusée pour les raisons déjà exposées —■ demeure dans notre hypothèse la place de l’image par rapport au mythe. On peut néanmoins en avancer l’explication suivante : comme, selon toute vraisemblance, les critiques dont Pindare était l’objet concernaient son traitement du récit mythique, jugé trop long ou mal rattaché au reste du poème, il est naturel que ce soit précisément en traitant un mythe peu en rapport avec Égine — celui d’Héraklès ; v. 25 ss. — qu’il a songé à ces reproches et décidé de ne pas les justifier ; c’est pourquoi, prétextant que les lois de l’ode et la proximité de la fête limitent ses libertés (v. 34-35), il renonce à ce mythe pour traiter —· V. 44 ss. — celui des Éacides, non qu’il craigne — comme dans Pyth. XI 39 b-40, Ném. III 27-28, Pyth. X 51-52 ou Ném. IV 70-72 — que l’élan de son inspiration l’entraîne trop loin, mais parce qu’il a conscience que la tâche la plus urgente consiste pour le moment —■ voir le présent άντίτεινε, V. 37 — à faire face aux attaques et à les désarmer par le choix d’un mythe plus approprié ; et qu’ensuite, c’est le temps lui-même qui se chargera de faire justice de ces cri­tiques et de consacrer son génie : de ce point de vue le futur δόξομεν (v. 38) anticipe sur la belle profession de foi des v. 41-43, où se mani­feste une entière confiance dans le jugement de la postérité : έμοί 8’ όποίαν άρε-τάν | Ιδωκε πότμος όίναξ, | εδ οΐδ’ δτί χρόνος έρ|πων πεπρωμέναν τελέοει.

1. L’ellipse de σέ avec 'έχει n’a rien d’alarmant. Voir L. R. Farnell, loc. cit.2. On a préféré traduire un peu longuement καταβαίνειν pour tenter d’en sou­

ligner la double valeur.

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CHAPITRE X

LE GOUVERNAIL, LE PILOTE

On aborde ici l’étude d’un groupe de métaphores et comparaisons d’une importance extrême dans la poésie grecque, et qui figurent souvent chez Pindare. Si l’image du voyage sur mer est à l’arrière-plan de la plupart d’entre elles, elles méritent néanmoins d’être examinées à part, puisque à une exception près^ le lyrique ne les utilise jamais— contrairement à ce qu’il faisait dans les textes déjà étudiés — pour évoquer sa propre tâche. En outre, alors que, dans les différents chapitres où était développée l’image du voyage sur mer en relation avec les réalités de la poésie, il était malaisé, en l’absence quasi totale de points de référence, de dégager l’originalité de Pindare, ici au contraire il hérite d ’une longue tradition, qui permet d’apprécier avec exactitude la part d’invention personnelle qui lui revient.

Il nous paraît nécessaire enfin de faire deux remarques prélimi­naires. Les termes οϊαξ et πηδάλιον, qui désignent le gouvernail, κυβερ­νήτης et κυβερνάν, qui désignent le pilote et son action, expriment des réalités si proches qu’une étude de ces mots considérés successi­vement aurait exposé à de fâcheuses redites : aussi a-t-on préféré les regrouper en fonction des domaines où ils ont une valeur méta­phorique — « roi-pilote », « dieu-pilote », « pilote intérieur^ ». Il con­vient d’autre part de distinguer entre emploi technique et emploi figuré : techniquement, οϊαξ et πηδάλιον ne s’appliquent pas à la même partie du gouvernail, et tandis que ττη8άλιον, que l’on rencontre généralement au pluriel®, désigne une paire de larges avirons situés à la poupe du navire, un de chaque côté^, et qui plongent dans l’eau

1. Ném. VI 55-56. Voir p. 141 ss.2. L’autorité du roi s’exerce dans sa cité, celle du dieu ea général dans le

inonde ; mais il peut arriver qu’elle se fasse sentir également dans le cadre d’une ville : Pind., Fÿik. IV 272-274 (p. 113 ss.) ; VIII 98 (p. 133 s.) ; Bacchyl·, Ode X III 183-186 (p. 137) ; pour la commodité de l’exposé, on a préféré tenir compte uniquement, dans la répartition des différentes sections de ce chapitre, de la personne des dirigeants et non du cadre où ils dirigent.

3. Ar., Cap. 542 : πηδαλίοις (voir p. 44). Pind., frg. 40 SN : δίδυμον... ττηδάλϊον (voir p. 124).

4. Voir G. Torr, p. 74. Hérodote souligne comme un fait insolite la pratique des Égyptiens de construire des bateaux pourvus d’un seul gouvernail : II 96 : πηδά-

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—■ c’est-à-dire le « gouvernail » proprement dit —· οϊαξ désigne la « barre » qui permet au pilote d’avoir prise sur eux^. Mais ni Pindare ni les tragiques ne sont des techniciens : seules les valeurs figurées les intéressent, et c’est pourquoi ils n ’hésitent pas à faire ά’οϊαξ et de ττηδάλιον de véritables synonymes dans l’expression d’un symbole unique, celui de l’autorité.

C’est en effet l’idée du contrôle efficace d’une autorité apte à diri­ger que suggèrent les termes comme οϊαξ ou κυβερνήτης, et ce, par transposition, dans des domaines qui n ’ont rien de maritime. Ainsi, dans le Parthénéion, Alcman appelle successivement la coryphée σηραφόρω et κυβερνάτα : frg. 1 D 92-95 : τφ τε γάρ σηραφόρφ | [αύ]τώς ε[πεται] μέγ’ [όίρμα] | τφ κυβερνάτς: θέ χρή | κήν ναι μόλ’ [αίέν] ώκα... ; en comparant les jeunes filles à des chevaux attelés, puis à des bateaux, il est possible qu’Alcman se soit souvenu des vers de VOdyssée où Homère présente les bateaux comme les « chevaux de la mer » : Od. IV 708-709 : νηών ώκυπόρων... αί θ’ άλός ϊπποί | άνδράσι γίνονται ; οη aurait alors affaire ici à une véritable inversion de la métaphore homérique, la transposition se faisant de la terre à la mer et non plus de la mer à la terre mais ce qui est sûr, c’est que, dans cette double compa­raison, le lyrique a été sensible à l’analogie entre la conduite du char et celle du vaisseau, aux ressemblances d’attitude du cocher qui tient les rênes, et du pilote qui tient la barre et l’écoute^. Par un procédé analogue à celui d’Alcman, Bacchylide, dans sa V® Ode, substitue à, l’image homérique du bateau obéissant à son pilote comme un cheval celle du cheval obéissant à, son cocher comme un bateau V. 46-47 : ριπά γάρ ϊβος βορέα | δν κυβερνήταν φυλάσΰων (sc. πώλος) κτλ. le cheval est donc ici proprement le « bateau de la terre », mais l’emploi de φυλάττειν (v. 47), qui appartient en général à la sphère nautique®, implique assez curieusement un transfert au cheval de l’activité de surveillance propre au pilote : le cheval dirige tout en se laissant diriger ®.

λιον δέ ëv ποιεΰνται. C’est précisément la réalité du double gouvernail qui est chez Euripide à l’origine des développements de Andr. 479-483 : voir à ce propos K. H. Kaiser, p. 56 ; W. Blliger, p. 107.

1. La distinction est nettement établie dès ΓAntiquité : voir Eustathe 1533, 46.2. Sur l’image du char, voir p. 26 s.3. Voir K. H. Kaiser, p. 15, p. 40 ; on sait aussi que Poséidon était parfois

représenté comme un cheval ; voir K. H. Kaiser, p. 16.4. Sur les rapports et l’interaction des deux domaines, voir K. H. Kaiser,

p. 182 ss. ; H. Disep, p. 180 ss.5. Voir p. 116 et n. 7 ; voir aussi K. H. Kaiser, p. 46.6. Voir K. H. Kaiser, p. 40 ; de même chez Eschyle, Suppl. 716-718 (p. 30),

la proue obéit à la poupe et en même temps cherche sa route. Le v. 46 de VOde de Bacchylide, en comparant le cheval au souffle du Borée, suggère de son côté une course rapide ; on a vu par ailleurs à propos de l’image de la route (v. 31-33,

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La tragédie s’est également montrée sensible à, cette analogie entre le char et le vaisseau : dans le récit de Théramène {H ipp., v. 1217 ss.), Hippolyte sur son char est comparé avec insistance au pilote d ’un navire en perdition : v. 1221 : δλκει 8è κώττην ώστε ναυβάτης άνήρΙ ; V. 1224 : ναυκλήρου χερός ; ν. 1227 : [εί μέν] χων οίακας εύθύνοι δρόμον ; dans ce dernier vers, tous les termes sont à double entente et valent aussi bien pour le pilote que pour le cocher, que ce soit οϊακκς qui, outre son sens nautique, désigne parfois aussi les anneaux du joug où passent les rênes ou εύθύνοι et δρόμον qui évoquent selon le contexte la direction et la course d’un char ou d’un vaisseau®. Mais, si saisissante que soit l’évocation sur le plan visuel, elle a ici une signi­fication beaucoup plus profonde : car la tragédie à^Hippolyte est fondée sur une opposition constante de la terre —■ symbole d’ordre —■ et de la mer — symbole des forces destructrices de la passion et du malheur* — et toute l’action du drame peut être suivie en liaison avec la progression de l ’élément marin, qui submerge Phèdre, puis Thésée, et finit par atteindre Hippolyte® ; ici la scène se situe à l’in­quiétante lisière des deux éléments, sur ce point de la côte où vient précisément de déferler la vague monstrueuse : la répétition des termes nautiques implique donc qu’Hippolyte n ’est plus véritable­ment sur terre, que tout pour lui est devenu mer, c’est-à-dire malheur ; la réalité et l’image sont entièrement confondues®.

Il s’en faut néanmoins de beaucoup que, dans les emplois où l’image du gouvernail ou du pilote suggère, dans un registre terrestre, l’idée de direction, il s’agisse toujours des réalités techniques de la conduite des chars : οϊαξ ou κυβερνήτης peuvent de façon plus générale symbo­liser soit l’activité de surveillance qu’on exerce dans la conduite de son existence — Archil., frg. 128 B : [δυσμενείς φυλάσσομαι ( ώς κυβερ­νήτης] άμυδρήν χοιράδ’ έξαλεύμενος ; Théogn. 575-576 : τόν γ ’ εχθρόν άλεϋμαι. | ώστε κυβερνήτης χοιράδας είναλίας^ — soit le rôle que joue un guide, un conseiller, auprès d’une personne plus faible ou moins expérimentée ; c’est ainsi que, dans la IV® Isthmique, Pindare loue

p. 73, n. 5) et du char (v. 176-178, p. 48) que l’ode entière est placée sous le signe du mouvement; voir J. Stern, The imagery of Bacchylides’ Ode 5, p. 38 s.

1. κώτπ) ne désigne pas ici l’aviron, comme le pense K. H. Kaiser (p. 58 s.), mais le gouvernail, ainsi que dans Andr. 855 (voir p. 31) ; l’image du rameur ne ferait que brouiller l’évocation.

2. Cf. Hom., II. X X IV 269.3. Pour εόθύνειν, voir p. 119, n. 1 ; pour δρόμος, p. 176, n. 8.4. Sur cette signification de la mer dans Hippolyte, voir le magistral article

de G. P. Segal, The tragedy of Hippolytus : The waters of Ocean and the untouched meadow [Harv. Stud, in Class. Phil., 70, 1965), p. 120 s.

5. Voir p. 148, p. 218 s.6. Voir C. P. Segal, p. 143 ; sur l’image du char qui fait naufrage, voir p. 310 s.7. Sur l’image de la roche à fleur d’eau dans ces deux textes, voir p. 313.

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le jeune Mélisses d’avoir « obéi aux conseils avisés du pilote qui diri­geait sa barque », V. 72-73 : κυβερνατηρος οΙακοστρόφου | γνώμιχ πεπιθών πολυβού|λω — c’est-à-dire à, son maître Orséas, qui a su habilement diriger son apprentissage de lu tteur; de même chez Euripide, Oreste appelle Pylade le « gouvernail de son pied », Or. 795 : έ'ρπε νυν οϊαξ ποδός μοι ; et l’image est encore très proche dans H ypsipyle, frg. 63 BD, 7-8 :ώΰπερει. νεώς σ[άλφ | πλαγκτης κυβερνήτην σε λ]α[μ]βάνω σοφόν^.

Mais ce ne sont là, que des emplois somme toute restreints de ces termes, qui sont généralement réservés à, la représentation des formes de commandement les plus hautes et les plus respectables. C’est que les Grecs connaissent les responsabilités du κυβερνήτης à bord : simple matelot à l’origine, que son expérience a tô t fait de placer au gouvernail, il est devenu pour le capitaine un véritable second qui l’aide de ses conseils, le remplace même, et sait toujours prendre la barre dans les circonstances critiques ® ; c’est lui en fait qui incarne dans le navire l’exécutif, l’autorité agissante, et d’Homère à Platon les témoignages ne manquent pas de l’estime où on le tient, ainsi que ses qualités de réflexion et de sang-froid^ ; voilà pourquoi des termes comme κυβερνήτης OU l’un de ses synonymes se prêtent à la repré­sentation des pouvoirs les plus éminents dans la cité comme dans le monde : comparer à des pilotes les rois et les dieux, ce n ’est en rien les diminuer®.

Le « ROI-PILOTE », LE « VAISSEAU DE LA CITÉ ».

Par son unité, son aspect fermé, son isolement en temps de guerre dans un monde hostile, par les responsabilités communes de ses citoyens face aux dangers, la cité s’apparente étroitement au vais­seau®. Aussi l’image du « vaisseau de la cité » est-elle remarquable

1. Voir à ce propos K. H. Kaiser, p. 58 ; E. E. Pot, p. 33.2. Voir aussi Théoga. 458 (cité p. 34) ; Mén., Gnôm. 99 E ; 887 E.3. Voir sur ce point A. Cartault, p. 229 ; K. H. Kaiser, p. 5 ; L. Casson, p. 95,

ainsi que le texte d’Aristopliane [Ca,v. 542-544) cité p. 44 s. ; sur la fonction inter­médiaire du πρφρεύς, voir p. 119 s.

4. Voir Hom., II. X X III 316-317 : μήτι 8’ αδτε κυβερνήτης ένί οϊνοττι πόντω | νηα θοήν ιθύνει έρεχθομένην άνέμοισι ; Plat., Gorg. 511 C-E. L’accentest mis engénéral sur l ’habileté requise par sa tâche, et l’on remarquera, dans les exemples qui vont suivre, l’insistance de qualificatifs tels que σοφός, κέδνος, έσθλός, etc. ; cf. aussi Pind., Isthm. IV 73 : πολυβούλω. Le seul texte qui fasse exception est un passage de VÉpinomis (976 A) où Platon souligne au contraire l’impuissance du κυβερνήτης à prévoir le temps.

5. Voir à ce propos W. Hermann, p. 40 ; H. Mielke, p. 60 s., p. 141.6. Voir A. Lesky, p. 231 ; F. R. Adrados, Origen del tema de la nave del estado

en un papiro de Arquiloco [Aegyptus, 35, 1955), p. 206 ss. ; W. Hermann, loc. cit. ; D. van Nés, Die maritime Bildersprache des Aischylos (Diss. Groningen, 1963), p. 71 s.

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dans la littérature grecque par sa fréquence ; une scholie d’Aristo­phane^ le note : άεΐ οί ποιηταί τάς πόλεις τοΐς πλοίοις παραβάλλουσι ; et Platon de son côté range l’image du pilote au nombre de celles αΐς άναγκαϊον άπεικάζειν άεΐ τούς βασιλικούς αρχοντας^. Mais si l’image a fini par devenir, pour reprendre la formule de D. Page, « le plus commun des lieux communs^ », on doit pour l’apprécier à sa juste valeur dans les commencements du lyrisme faire abstraction des siècles de clichés qui se sont interposés entre ses origines et nous, et qui risqueraient d’en masquer la fraîcheur et la spontanéité primi­tives.

Déjà, certaines comparaisons de VIliade font apparaître l’image du vaisseau en détresse : ainsi, au chant XV, v. 624-629^; v. 381-384 :oi 8’ ώς τε μέγα κϋμα θαλάσσης εύρυπόροιο | νηός ύπέρ τοίχων καταβήσεται, όττπότ’ έπείγτ) | ΐς άνέμου · ή γάρ τε μάλιστά γε κύματ’ όφέλλει · | ώς Τρώες μεγάλη ΐαχη κατά τεϊχος εβαινον. Toutefois, dans ces deux exemples, le navire reste au second plan, et sa seule raison d’être est qu’il permet de mieux me­surer le déchaînement des éléments ; en outre, la comparaison a la fonction essentiellement descriptive de souligner l’acharnement du combat, elle est dénuée de toute implication politique®.

Cette signification politique de l’image apparaît pour la première fois chez Archiloque — frg. 56 D : Γλαϋχ’ δρα · βαθύς γάρ ήδη κύμασιν τα­ράσσεται I πόντος, άμφί 8’ όίκρα Γυρέων όρθον ϊσταται νέφος, | σήμα χειμώνος · κιχάνει 8’ έξ άελπτίης φόβος. On remarquera que dans ce fragment seule est évoquée la menace de la tempête, et qu’il n ’y a nulle allusion au vaisseau lui-même ; celui-ci apparaît toutefois dans le frg. 56 a D, qui lui fait suite® : au v. 1 : [βαθεϊ φέρο]νται νήες [έ]μ πόντω θοαί, ainsi que dans le v. 2 : π]ολλόν 8’ ιστίων ύφώμεθα, qui montre l’équipage contraint de réduire la v o i l e D e quel équipage, de quel vaisseau,

1. Guêpes 29; voir p. 120.2. Plat., Pol. 297 E ; voir aussi Démétr., De eloc. 78 : εοικεν άλλήλοις στρατη­

γός, κυβερνήτης, ηνίοχος · πάντες γάρ οδτοι άρχοντές εΐσιν · ασφαλώς ούν έρεϊ καί ό τον στρατηγόν κυβερνήτην λέγων τής πόλεως, καί άνάπαλιν δ τόν κυβερνήτην άρχοντα τής νεώς.

3. D. Page, ρ. 182, η. 1.4. Cité ρ. 9.5. Sur les v. 381-384, voir W. Moog, Naturgleichnisse und Naturschüderungen

bei Homer [Zeitschr. f. angetv. Psychot., 6, 1912), p. 128 ; H. Frankel, Die home- rischen Gleichnisse, p. 6 s. ; J. Kahlmeyer, p. 1 ; A. Lesky, p. 231 ; sur la valeur également psychologique de la comparaison des v. 624-629, voir p. 9. Dans son étude de l’évolution chronologique de la comparaison homérique, H. Frankel note, p. 31, que dans l ’Iliade la mer est d’abord vue de la côte, puis (comme dans les deux exemples ci-dessus) de l’intérieur du bateau.

6. Sur la parenté très probable des deux fragments et leur appartenance à la même œuvre, voir F. R. Adrados, p. 208 s.

7. Pour ύφίεσθαι, voir p. 54.

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de quelle tempête s’agit-il? Le texte évoque le moment où le corps expéditionnaire de Paros, commandé par Glaucos et comprenant Àrcliiloque, s’apprête à partir pour Thasos combattre lesThraces ; le vaisseau est donc un élément réel de l’expédition, mais la compa­raison de la guerre qui menace avec une tempête imminente^ indique qu’ü représente aussi, plus largement, le symbole de la cause de Paros : ainsi la réalité ou, si l’on préfère, l’actualité, se confond avec l’allé­gorie®. Mais il ne faudrait pas chercher ici xm équilibre parfait entre l’élément littéral et l’élément figuré : car l’expérience immédiate, personnelle, de l’homme de guerre l’emporte assurément sur les préoccupations esthétiques de l’homme de lettres ; elle seule, et non quelque imagination de poète, explique le réalisme de ces détails multiples, saisis dans leur violence et leur désordre originels^.

On en pourrait dire autant, dans une certaiae mesure, de deux fragments d’Alcée, lui aussi insulaire, et donc naturellement porté à, évoquer les faits contemporains en termes de marine®; il s’agit du frg. 46 a D, dans lequel le Mytilénien décrit les vagues qui assaillent son vaisseau, la tempête qui l’emporte, l’eau qui l’envahit et les dommages dont souffre son gréement : v. 1-9 : άσυ[ν]νέτημι των άνέμων στάσιν · | τό μεν γάρ Μνθεν κϋμα κυλίνδεταο, | τδ 8’ 2νθεν · όίμμες δ’ δν τό μέσ- σον I ναί φορήμ[μ]εθα σύν μελαίνι? | χειμώνι μοχθέντες μεγάλφ μάλα · | πέρ μέν γάρ άντλος Ιβτοπέδαν ϊχζι, \ λαϊφος δέ παν ζάδηλον ήδη | καΐ λάκιδες μεγάλαι κατ’αύτό · I χόλαισο 8’ άγκονναι κτλ. ; et, dans le frg. 119 D, Une vague à nouveau fond sur le vaisseau : v. 1-3 : τδ 8’ αδτε κϋμα τώ προτέρω ’νέμω I στείχει, παρέξει δ’ όέμμι πόνον πολύν | όίντλην, έπεί κε ναός μβς: κτλ.

On a parfois mis en doute la valeur figurée de ces tableaux®, et cela se comprend, car la précision concrète des détails et leur multi­plicité tendraient à faire croire — notamment dans le frg. 46 —■ qu’on a affaire à une véritable tempête^. En fait, il s’agit pour le

1. Voir sur ces faits F. R. Adrados, p. 209 ; F. Lasserre, Les épodes d’Archiloque (Paris, 1950), p. 218.

2. Voir HéracL, Allég. hom. V 3 ; ’Αρχίλοχος... έν τοϊς Θρί^κικοϊς άπειλημμένος δεινοϊς τάν πόλεμον εΐκάζει θαλαττίφ κλύδωνι. ; sur l’image de la tempête (v. 3) comme symbole de la guerre, voir p. 282 ss. ; sur la vague (v. 1), p. 260 ss.

3. Voir à ce propos F. R. Adrados, loc. cit. ; F. J. Cuartero, La metâfora de la nave, de Arquiloco a Esquilo [Bolet, d. Inst. d. Estud. Hell., 2, 1968), p. 41 S.

4. Voir F. Lasserre, p. 217 s. ; cela explique qu’on ait parfois refusé à ce passage toute valeur figurée : ainsi K. Dietel, p. 72 s.

5. HéracL, Allég. hom. V 9 : εν ταϊς άλληγορίαις ό νησιώτης θαλαττεύει. Voir aussi Η. Eisenberger, Der Mythos in der àolischen Lyrik (Diss. Frankfurt, 1956), p. 56.

6. Ainsi G. Kaibel, Alkaios (RE I 2), 1504.7. HéracL, Allég. hom. V 7 : τίς ούκ âv ευθύς έκ τής προτρεχούσης περί τόν

πόντον είκασίας άνδρών πλωιζομένων θαλάττιον είναι νομίσειε φόβον; άλλ’ ούχ οΰτως 2χει · Μύρσιλος γάρ ό δηλούμενός έστι καί τυραννική κατά Μυτιληναίων έγειρομένη σύστασις.

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poète d’évoquer les luttes qui opposent son parti à celui du tyran Myrsilos^, mais il ne cherche pas à donner à son tableau une colo­ration politique ni à suggérer une impression d’ensemble : en emprun­tan t à la réalité qui l’entoure toute une série de détails fort précis, il procède, surtout dans le premier fragment, par accumulation de notations fragmentaires — le vent, la vague, la tempête, l’eau de mer, les déchirures de la voile, le bris des vergues — destinées à traduire l’émotion du narrateur, et qui, pour cette raison, contraire­ment à, ce qui se passe dans l’épopée homérique, où chaque détail a la même place, se succèdent ici selon un rythme de plus en plus rapide Le navire n ’est pas chez Alcée une allégorie, mais une image poétique, jaillie spontanément d ’une imagination orientée vers les réalités maritimes, et qui peint selon sa fantaisie, non selon la logique, avec une vivacité de touche quasi « impressionniste », loin de tout intellectualisme*. La pire erreur serait dans ces conditions de la juger en tenant compte de la logique, d’essayer par exemple d’éta­blir uft parallèle entre la réalité politique et les différents éléments du tableau®, alors que visiblement il n ’y a aucune correspondance entre eux et que dès le départ l’image de la tempête et du vaisseau prend une indépendance quasi absolue par rapport à ce qu’elle sym­bolise®.

Gomme chez Archiloque, le caractère vivant de l’évocation ré­sulte donc de la part d’expérience personnelle qui y intervient Cependant, l’évolution de l’image est déjà perceptible : alors que dans le frg. 56 c’est un véritable navire qui impose à l’esprit d’Archi- loque l’image du « vaisseau de la cité », il n ’y a rien de tel chez Alcée ; et tandis que le texte d’Archiloque vise la guerre menée par l’en­semble d ’une cité — considérée, de ce fait, comme faisant un tout au même titre qu’un vaisseau sur la mer — contre des puissances extérieures, il s’agit au contraire, dans les deux fragments d’Alcée, de luttes internes, le vaisseau ne représentant plus la cité elle-même,

1. HéracL, Allég. hom. V 5-9.2. Voir sur ce point G. Maurach, Schilderungen in der archaischen Lyrik [Hermes,

96, 1968), p. 18; H. Frâakel, Eine Stileigenheit der frühgriechischen Literatur (Gottingen, 1924), p. 76.

3. G. Maurach, p. 19, parle justement à ce propos de « Temposteigerung »; voir aussi K. Dietel, p. 98.

4. Sur cet aspect du style d’Alcée, voir les excellentes remarques de G. Perrotta, Alceo [Atene e Roma, 3® s., 4, 1936), p. 230, p. 241.

5. Comme le fait à propos du frg. 119 J. Trumpf [Studien zur griechischen Lyrik, p. 49) qui voit dans l’eau difficile à vider (v. 2-3) le symbole de la tyrannie qui, une fois en place, refuse de se laisser expulser.

6. Voir F. J. Guartèro, p. 42 s.7. Voir J. Trumpf, p. 48.

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mais un groupe à, l’intérieur de celle-ci^ : ainsi l’image a perdu quelque peu de sa cohérence primitive^.

Chez Théognis, la métaphore du vaisseau en détresse atteint, dans les v. 671-680, les dimensions d ’une véritable allégorie : vüvφερόμεσθα καθ’ Εστία λευκά βαλόντες | Μηλιού έκ πόντου νύκτα 8ώ δνοφερήν ’ | άντλεϊν 8’ ούκ έθέλουσιν · υπερβάλλει δέ θάλαβσα | άμφοτέρων τοίχων · ή μάλα τις χαλεπώς | σφζεται · οΪ 8’ 2ρδουσι · κυβερνήτην μέν έπαυσαν [ έσθλόν, 8 τις φυλακήν εϊχεν έπίσ- ταμένως · | χρήματα 8’ άρπάζουσι βίη, κόσμος 8’ άπόλωλεν, | δασμός 8’ ούκέτ’ ϊσος γίνεται ές τό μέσον · | φορτηγοί 8’ βίρχουσι, κακοί 8’ άγαθών καθύπερθεν · | δειμαίνω, μή πως ναϋν κατά κϋμα πίη. E t pour qu’il ne subsiste aucun doute sur la signification morale et didactique de ce tableau ®, l’auteur conclut en définissant l’intention qui a présidé à, son élaboration : V. 681 : ταϋτά μοι ήνίχθω κεκρυμμένα τοϊς άγαθοΐσιν.

Si, extérieurement, sa technique procède comme celle d’Alcée, par accumulation — la tempête (v. 671-672), la mer qui déferle (v. 673- 674), les luttes à bord (v. 675-679), et de nouveau la menace de la mer (v. 680) — et si, une fois encore, la scène est vue de l’intérieur du bateau, les différences sont toutefois plus notables. Alcée en effet se montre surtout attentif au déchaînement de l’ouragan, au lieu que Théognis se soucie avant tout de transposer dans le domaine nautique un certain nombre de réalités politiques, qui n ’en demeure­ront pas moins aisément accessibles à son auditoire ; il devient donc possible ici d’établir un rapport entre les différents éléments de la métaphore et les divers aspects de la réalité —· la lutte de classes à Mégare* — et cette volonté de maintenir clairement l’évocation sur un plan proprement politique se traduit par la rareté des notations pittoresques, cpii risqueraient de brouiller l’allégorie ®, et par l’impor­tance toute nouvelle accordée à, l’équipage : pour la première fois est nommé le pilote — κυβερνήτην, v. 675 — qui représente non un

1. Voir sur ce point F. R. Adrados, p. 210 ; H. Musurillo, Symbol and myth in ancient poetry (New York, 1961), p. 53 s. J. Trumpf, p. 48, souligne à juste titre l ’ambiguïté de στάσις (frg. 46, 1) qui, tout en s’appliquant aux vents, évoque aussi une atmosphère de guerre civile.

2. Sur les deux fragments d’Alcée on consultera plus généralement J. Kahl- meyer, p. 39 s. ; A. Lesky, p. 194 ss. ; H. Eisenberger, p. 55 ss. ; D. Page, p. 182 ss. ; C. M. Bowra, Greek lyric poetry (Oxford, 1961), p. 152 ss. Il y aura lieu d’y re­venir lorsque seront étudiées les images de la vague (p. 260 ss.) et de la tem­pête (p. 282 ss.).

3. Sur cette fonction de l’allégorie, voir W. B. Stanford, Greek metaphor, p. 23.4. Voir à ce propos H. Frânkel, Dichtung und Philosophie des frühen Griechen-

tums, p. 523 ; F. J. Cuartero, p. 43 ; H. Eisenberger, p. 72 ; on trouvera plus précisément chez B. A. van Groningen [Théognis, Amsterdam, 1966, p. 266) une étude des termes qui dans ce passage conviennent aussi bien à la vie de la cité qu’à celle du vaisseau ; voir p. 150.

5. Voir K. Dietel, p. 31.

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homme, mais le parti aristocratique^, les άγαθοί du v. 679, par oppo­sition au parti populaire, aux κακοί (v. 679), qui, tenus au v. 673 dans l’injurieux anonymat d’une masse indisciplinée®, se voient attribuer par la suite la qualification méprisante de φορτηγοί (v. 679)®.

Un moindre engagement dans les luttes, une connaissance à coup sûr moins profonde des réalités de la mer, l’évolution de l’image aussi, tout cela contribue sans doute à expliquer que d’Archiloque à Théognis la métaphore du vaisseau dans la tempête ait perdu de sa véhémence et de sa force émotionnelle, et gagné au contraire en clarté dans ses intentions politiques et en équilibre dans les rap­ports entre les éléments littéral et figuré. Mais, paradoxalement, c’est chez Théognis que l’image retrouve uue unité que la technique d’Alcée lui avait fait perdre : si chez le poète de Mégare comme chez celui de Mytüène elle évoque des luttes intérieures de classe, Théognis a eu du moins l’habileté de représenter son parti non comme un vais­seau, mais comme une fraction de son équipage, redonnant ainsi toute sa cohérence à, l’image primitive d’Archiloque.

On retrouve enfin, mais avec moins d’ampleur, cette image du vaisseau aux v. 855-856, où la ville de Mégare est comparée à un navire qui donne de la bande et vogue dans des eaux dangereuses :πολλάκι δή πόλις ήδε δι.’ ηγεμόνων κακότητα | ώσπερ κεκλιμένη ναΟς παρά γηνεδραμεν .

Tel est donc l’héritage que transmet à Pindare la poésie lyrique et élégiaque® : d’elle, et de Théognis en particulier, il se montre sur le plan politique tout à fait tributaire, utilisant l’image du pilote pour définir, comme ce dernier, son idéal aristocratique ; mais dans le domaine de la création poétique, son originalité éclate : alors que chez ses prédécesseurs la métaphore s’ordonne en vastes tableaux, parcourus d’une vie et d’un mouvement intenses, embrassant dans un ample coup d’œil l’ensemble complexe du navire et des forces qui s’opposent à lui, dahs les odes de Pindare elle se réduit à, une simple

1. Voir K. H. Kaiser, p. 18 s.2. Pour άντλεϊν, voir p. 144.3. Pour φορτηγός, voir p. 150. II est à peine besoin de souligner que les deux

termes antithétiques άγαθοί et κακοί sont dénués de toute implication morale et valent seulement sur le plan des luttes politiques et sociales ; voir sur ce pointG. M. Bowra, Early greek elegists (Cambridge, Mass., 1935), p. 147 ss. ; P. S. Hasler, Untersuchungen zu Théognis (Diss. Bern, 1959), p. 122.

4. Ce passage est commenté p. 150, p. 314 ; sur l’image du pilote chez Théo­gnis, qui vaut tantôt dans le domaine personnel (v. 575-576, p. 103) tantôt dans le domaine politic[ue (v. 675), et qui est implicite aux v. 855-856, voir K. H. Kai­ser, p. 18 ss.

5. On ne retient pas l’hypothèse de F. Stâhelin (Der Solonische Rat der Vierhun- dert, Hermes, 68,1933, p. 345) selon laquelle Solon aurait lui aussi, dans un poème perdu, exploité l’image du « vaisseau de la cité ». L’auteur en voit une preuve— combien fragile — dans l’expression dont use Plutarque [Sol. 19, 2), voir p. 60.

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épure, qui ne retient de toute la réalité qu’un geste, luie silhouette, un détail de gréement, et charge cet élément privilégié d’une profonde valeur symbolique. On doit sans doute préciser que l’image du « vais­seau de la cité » était devenue à son époque un lien commun, et qu’il était donc inutile de la faire apparaître autrement que dans un de ses détails^; mais l’explication est insuffisante, et cette stylisation de l’image est trop caractéristique de la manière pindarique pour qu’on voie seulement, dans le cas qui nous occupe, une conséquence fortuite de l’évolution chronologique^.

La première apparition de l’image se situe dans la X® Pythique.

έν 8’ άγαθοίσι κεϊνται πατρώϊαι κεδναΙ πολίων κυβερνάσιες.

V. 71-72.

« C’est entre les mains des nobles que se trouve le sage gouvernement des villes, transmis par les ancêtres. »

Cette profession de foi aristocratique, où άγαθοϊσι (v. 71) a le même sens que chez Théognis (v. 679- v. 681)®, est mise en valeur par sa place à l’extrême fin de l’ode, dont elle prolonge les résonances à, l’infini*; tout contribue ici à, souligner la solennité de la réflexion, que ce soit le rythme, d’une majestueuse ampleur, de ce sujet qui occupe la totalité du v. 72, et où les termes, d’une longueur à peu près égale, semblent n ’avoir pour fonction que de faire attendre et de mettre en valeur le mot le plus important, et le plus long, rejeté en fin de vers — κυβερνάσιες® — que ce soit les sonorités, avec leurs ré­pétitions de finales — κεϊνται. — πατρώϊαι, — κεδναί — et le martèlement des κ et des π qui alternent en tê te des cinq derniers termes®. Dans toute sa gravité, cette réflexion est bien la conclusion du thème qui parcourt l’ensemble du poème : la glorification de la maison des Aleuades ; de ce point de vue, κυβερνάσιες (v. 72) est à, rattacher à tous les termes qui, dans l’ode, évoquent le règne de la famille, au γένος... βασιλεύει du V. 2, aU φέροντι νόμον du V . 70 : Ces rappels, CeS échos, qui ont une fonction unificatrice dans le poème’, présentent

1. Voir F. J. Cuartero, p. 43.2. Sur ce caractère de l ’image du pilote, voir A. L. Keith, p. 98 ; pour des

remar(jnes plus générales, voir L. Illig, p. 101.3. Sur ce sens de άγαθός chez Pindare, voir J. Gerlach, ANHP ΑΓΑΘΟΣ (Diss.

München, 1932), p. 23 s. ; E. Wüst, p. 17.4. Sur cette place de l’image dans l’ode de Pindare, voir aussi p. 196 s., p. 202 ss.5. Sur le rythme et la place des mots dans cette ultime image, voir S. Lauer,

p. 26.6. Ce type d’allitération est assez fréquent dans les passages de caractère

gnomique ; voir sur ce point W. Stockert, Klangfiguren und Wortresponsionen bei Pindar (Diss. Wien, 1969), p. 9.

7. Voir B. A. van Groningen, La composition littéraire archaïque grecque, p. 348 ;

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en outre l’intérêt de définir avec insistance un idéal politique qui ne se dénaentira jamais.

De fait, on retrouve l’inxage du pilote dans la Γ’'® Pythique, dédiée à Hiéron ; elle y figure par deux fois, ici encore à la fin de l’ode, dans une série de conseils adressés au prince :

νώμα δικαίφττηδαλίίρ στρατόν.

V. 86.

« Dirige ton peuple avec le gouvernail de la justice. »έξίει 8’ ώσπερ κυβερνάτας άνήρ ίστίον άνεμόεν.

V. 91.

« Livre ta voile au vent, comme un pilote. »

La pe Pythique a été composée à l’occasion de la fondation par Hiéron de la ville d’Etna^ : la cité nouvelle est ici présentée comme uïi navire qui amorce une traversée, et par là s’explique l’insistance des exhortations que Pindare adresse à, son « pilote^ ». L’image du navire, explicite dès le v. 86, était en fait préparée depuis bien long­temps ; aux V . 33-34 figure en effet une image maritime, à première vue énigmatique ; ναυσιφορήτοις 8’ | άνδράσι πρώτα χάρις | ες πλόον άρχο- μένοις πομπαΐον έλθεϊν οδρον, « quand les hommes s'embarquent, le pre­mier bienfait qu’ils demandent pour le début de leur voyage est que souffle un vent favorable » ; et Pindare conclut que c’est là, un heureux présage pour leur retour (v. 35). La portée de cette réflexion ne s’ex­plique que par les Vers suivants, où le poète forme des vœux pour le bonheur futur et la gloire d’Etna (v. 36-38) : l’image a donc, à n ’en pas douter, une valeur essentiellement politique® et l’on peut sup­poser que Pindare songeait déjà au « vaisseau de la cité », et même voir dans l’allusion au vent (v. 34 : οδρον) une préfiguration au άνε- μόεν du V . 91.

on trouvera d’autres exemples de répétitioas de termes dans cette ode analysés par F. Schwenn, p. 48, p. 57 ; L. Illig, p. 92, n. 2 ; comme on pouvait s’y attendre, les principes de la « Ringkomposition », fait essentiellement archaïque, ne sont jamais si manifestes chez Pindare que dans cette ode d’extrême jeunesse.

1. Voir à ce propos C. Gaspar, p. 129 ss. ; C. M. Bowra-H. T. Wade-Gery, Pindar’s Pythian Odes (London, 1928), p. 63 ; U. von Wilamowitz, Hieron und Pindaros (Sitzungsb. d. Konigl. Preuss. Akad. d. Wissensch., 8,1901), p. 1273 ss. ; J. Trumpf, Stadtgründung und Drachenkampf (Exkurse zu Pindar, Pythien I ) , Hermes, 86, 1958, p. 131 s.

2. Voir G. Méautis, p. 163.3. Voir sur ce point J. de Haes, Pindaros poetische praktijk in de Oden aan

Hieron en de Kyreensche Liederen, p. 132 s. ; P. Von der Mühll, Weiterepindarische Notizen (Mus. Helv., 25, 1968), p. 230 ; E. Thummer [Die Religiositdt Pindars, p. 85) a le tort de la situer sur un plan personnel.

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En ce qui concerne la double image des v. 86 et 91, il est remar­quable que Pindare n ’ait retenu des deux détails techniques du gouvernail et de la voile que leurs possibilités symboliques, leur apti­tude à, exprimer des réalités d’ordre politique et moral. Toute la fin de l’ode, en fait, est consacrée à la définition d’un régime politique idéal, où s’équilibrent harmonieusement les droits du monarque et ceux du peuple, et à, l ’énumération des qualités nécessaires au chef d’É tat pour assurer son autorité (v. 81 ss.)^ ; dans cet ensemble figurent la justice et la générosité, chacune symbolisée par un élément nautique. C’est le gouvernail qui représente la première, comme l’in­dique le rapprochement δικαίφ-ττηδαλίω (v. 86) — la qualité de justice étant transférée du gouvernant à l’iastrument du gouvernement ; par contre, au v. 91, le symbolisme de ίστίον n ’est pas explicite à l’intérieur de l’image proprement dite, mais il se dégage du vers pré­cédent (v. 90 : μή κάμνε λίαν δαπάναις), qu’il illustre de façon frappante : la voile bien tendue pour recevoir le vent traduit, comme dans Isthm. Π 39-40 l’idée d’une générosité sans cesse en éveil. Or, cette seconde image apparaît non sous la forme d’une métaphore, aiasi qu’au V. 86, mais d’une comparaison, d’ailleurs fort brève : ώσπερ κυβερνάτας άνήρ. La différence s’explique : car si l’action du pilote se confond à ce point avec le gouvernail que la mention de l’un dispense de nom­mer l’autre, elle n ’est pas obligatoirement liée au maniement de la voile, dont d’autres peuvent se charger ; si Pindare juge donc à propos de souligner que Hiéron doit se montrer généreux, ώσπερ κυβερνάτας άνήρ, c’est pour signifier que ses devoirs sont avant tout politiques —· contrairement à. ceux de Xénocrate qui agit à titre privé — et que c’est comme « pilote », noii comme simple « matelot », qu’il doit les accomplir à, bord d’Etna®.

L’évocation de ce pilote manœuvrant à la fois le gouvernail et la

1. Voir F. Klingner, Das erste Pythische Gedicht Pindars [Die Antike, II, 1935), p. 63 ; E. Kirsten, Ein politisches Programm in Pindars erstem Pythischen Gedicht (Rhein. Mus. f. Philol, 90, 1941), p. 58 ss. ; H. Guadert, Der alte Pindar, p. 11 ; et, plus généralement, W. Nauhardt, Bas Bild des Herrschers in der griechischen Diohtung (Berlin, 1940), p. 35 ss.

2. Voir K. H. Kaiser, p. 34 ; cf. aussi Eschl., Sept S : οϊακανωμών (voir p. 115) ;O. Ginevri-Blasi {Una nuova interpretazione di due versi délia P itia I di Pindaro, Bollett. d. Filol. Class., 22, 1916, p. 252) estime que les conseils des v. 86 ss. s ’adressent non à Hiéron, mais au poète lui-même, et traduit le v. 86 par « com- porte-toi honnêtement envers le peuple de Hiéron » — « tiens-lui un langage vrai » ; cf. V. 86-87 : άψευδεϊ. C’est là de toute évidence un contre-sens sur l ’ensemble du passage.

3. Voir p. 51 ss.4. Voir p. 55.5. Voir H. Disep, p. 47. L’explication de K. H. Kaiser (p. 34), selon laquelle

ώιίπερ (v. 91) a pour fonction d’atténuer l’audace de l’image de la voile, ne pré­sente guère d’intérêt.

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voile nous ramène à, l’image d’un bateau de petite taille, et à, l’idée d ’une ville qui n ’a pas encore acquis d’importance^. Telle qu’elle se présente, elle est significative de la manière de Pindare, dont la fai­blesse à concevoir les notions abstraites explique l’incapacité de les exprimer autrement que par des symboles : « sois juste », « sois gé­néreux » sont des locutions qui n ’ont pour lui aucun sens ; pour qu’elles lui « parlent », il leur faut le truchement de l’image, et l’élément gno- mique (cf. v. 90) est impuissant sans le secours immédiat de l’élément imagé

La métaphore du pilote reparaît dans la IV® Pythique, cette fois au moyen d’un biais fort curieux :

'Pî Swv μέν γάρ πόλιν σεϊ- σαι καΐ άφαυροτέροις ·

άλλ’ ΙπΙ χώρας αδτις 2σσαι δυστιαλές 8ή γίνεται, έξαπίνας

εΐ μή θεός άγεμόνεσσι κυβερνατήρ γένηται.V. 272-274.

« II est facile d'ébranler une cité : même les plus faibles en sont capables ; mais la remettre sur pied est à coup sûr une tâche malaisée, à moins que sans tarder la divinité ne vienne aider ses dirigeants à titre de pilote. »

Le passage se présente sous forme de deux sections, très diffé­rentes pour la réalité qu’elles évoquent, et qui se succèdent sans transition : jusqu’à, γίνεται (v. 273), les termes suggèrent l’image d’un édifice jeté à, bas, et l’expression πόλιν σεϊ|σαι (v. 272) est à rapprocher de Soph., 583 lyr. : οΐς γάρ αν σεισθη θεόθεν δόμος®; Or, à, partirde έξαπίνας (v. 273), on passe brutalement de l’image de la maison à, celle du bateau : κυβερνατήρ (v. 274). B. L. Gildersleeve constate avec quelque effarement : « The house suddenly floats'^ ». En fait Pindare nous a déjà habitués à, des ruptures tout aussi abruptes, et il ne s’agit ici que d’un exemple, parmi bien d’autres, de la désinvolture avec laquelle il passe d’un registre terrestre à un registre maritime, ou inversement®. La comparaison avec un autre passage de Sophocle est à cet égard éclairante pour l’originalité du lyrique : Ant. 162-163 :τά μέν δή πόλεος άσφαλώς θεοί | πολλω σάλφ ύείβχντες ώρθωσαν πάλιν ; iciencore il s’agit d’uïie cité éprouvée, qui finit par retrouver son

1. Voir K. H. Kaiser, p. 34 s. Dans les bâtiments primitifs, de taille modeste, le pilote s ’occupe couramment de l’un et de l ’autre : voir L. Gasson, p. 38.

2. Sur ces rapports chez Pindare entre la gnâmé et l ’image, voir H. Disep, p. 50.3. Sur l’ensemble des v. 582-593, voir p. 265 s.4. B. L. Gildersleeve, Pindar. The Olympian and Pythian Odes, p. 302. G. Nor­

wood [Pindar, p. 97) juge de son côté une telle brusquerie difficilement suppor­table.

5. Voir p. 33 s., p. 37 s., p. 244 ss., p. 325 ss.

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équilibre : τά πόλεος σείβαντες (Ant. 162-163) rappelle πόλιν σεϊσαι {Pyth. IV 272), ώρθωσαν πάλιν {A n t. 163) exprime la même idée que έπΐ χώρας αδτις εσσαι {Pyth. IV 273) ; mais la présence de πολλφ οτάλφ auprès de σε^αντες {Ant. 163) montre assez que chez le tragique l’imagé est celle, unique et parfaitement cohérente, d’un vaisseau secoué par la houle

Indépendamment de cette particularité formelle, qui méritait d’être soulignée, le texte de Pindare exige qu’on définisse le rôle joué dans la cité par le κυβερνατήρ. Quand il fait allusion aux difiicultés connues par une cité, Pindare songe sans doute aux troubles passés de Gyrène, et à la conspiration dans laquelle Damophile s’était trouvé compromis ; d’ailleurs le v. 276 nomme directement la ville : τλάθι τάς εύδαίμονος άμφί Κυρά]νας θέμεν σπουδάν όίπασαν. Or, dans le rétablisse­ment de l’ordre, Arcésilas a naturellement joué un rôle, mais l’appui de la divinité n ’a pas été, aux yeux du poète, d’une importance né­gligeable : dans la V® Pythique, écrite la même anhée, Pindare, évo­quant la « tempête » qui a éprouvé Gyrène^, loue le souverain de l’avoir réprimée grâce à la faveur des dieux : v. 5 : ώ θεόμορ’ Άρκεσίλα ; ce sont les dieux, insiste-t-il, qui ont assuré son pouvoir : v. 13 : θεόσ- δοτον δύναμιν. G’est précisément cette aide de la divinité qui est sou­lignée au V . 274 de la IV® Pythique, mais de façon plus imagée, grâce à la métaphore du pilote^. K. H. Kaiser y voit une métaphore double, celle du roi qui, tout en gouvernant sa cité, est aussi gouverné par la divinité, et qui apparaît à la fois comme pilote — par rapport à ses sujets — et comme Vaisseau — par rapport au dieu qui le dirige®. Nous préférons considérer l’image du v. 274 comme unique : le « vais­seau de la cité », gouverné en temps habituel par son souverain, reçoit à son bord, dans les circonstances critiques, la personne d’un autre pilote qui vient « seconder » le premier ® ; l’action de l’homme et celle du dieu sont mises sur le même plan, toutes deux s’exercent dans le cadre de la villa en danger.

Arcésilas joue donc à Gyrène le même rôle que Hiéron à Etna ■— l’image du pilote de la IV® Pythique se situe elle aussi dans im con­texte parénétique (v. 270 ss.) — à ceci près que l’idéal aristocratique défini dans la P® —· et la X® —■ Pythique semblait n ’avoir conscience

1. Mais l’image sophocléenne n ’a pas toujours une telle unité : voir Œd. roi 22-24 (p. 263 s.). Sur l’image du « vaisseau de la cité » dans Antigone, voir p. 117 s. ; sur βάλος (v. 163), p. 264.

2. Voir p. 56 s.3. Pyth. V 10-11, voir p. 300 ss.4. Cette parenté entre Pyth. IV 274 et le début de l’ode suivante a été bien

mise en lumière par E. Thummer, Die Religiositàt Pindars, p. 81.5. K. H. Kaiser, p. 38.6. On entend « second » également au sens nautique.

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d’aucun péril qui pût le menacer, alors qu’ici l’expérience des troubles passés substitue à la vision sereine d’un pilote, capable par sa seule action d’assurer la sécurité à, bord, le rappel un peu inquiet de la nécessité où peut se trouver le gouvernaiit de devoir le salut de son navire à une autorité autre que la sienne : par cette vision fugitive des périls encourus, la IV® Pythique ébauche un thème qui va trouver dans la tragédie son plein développement^.

Chez Eschyle, l’image du « vaisseau de la cité » occupe, en fait, toute la première partie des Sept contre Thèbes, et jamais la vision d ’une ville assiégée par des armées ennemies n ’a donné lieu à des développements métaphoriques d’une pareille ampleur et d’une telle cohérence^.

Deux séries de métaphores s’y ordonnent parallèlement. Thèbes sous la direction d’Étéocle apparaît au poète comme un vaisseau aux ordres de son pilote, admirable de lucidité, d’énergie, de sang-froid ® : c’est lui qui, à la poupe du vaisseau, tient le gouvernail avec une vigilance de tous les instants, V. 2 -3 : οστις φυλάσσει πράγος έν πρύμνη πόλεως, | οϊακα νωμών βλέφαρα μή κοιμών ΰττκω ; lui qu’on invite, devant l’imminence des dangers, à prendre les mesures qu’il jugera néces­saires à la sauvegarde de son bâtiment, V. 62-63 : σύ S’ ώστε ναος κεδνός οΐακοστρόφος | φράξαι πόλισμα κτλ. ; V. 652 : σύ 8’ αύτος γνώθι ναυκληρεϊν πόλιν ; c’est encore lui qui reproche durement aux Thébaines de cou­rir de la poupe à la proue comme un équipage épouvanté, v. 2 08-210 :6 ναύτης âpa μή ‘ς πρώραν φυγών | πρύμνηθεν ηύρεν μηχανήν σωτηρίας, | νεώς καμούσης ποντίφ πρδς κύματι ;

Face à cette ville représentée comme un vaisseau en péril, et que seule préserve encore l’autorité de son pilote, les armées assiégeantes

1. Pour iVéw. XI 5, voir p. 119, n. 1, p. 284 ; pour Pî/îA. VIII 98, voir p. 133 s. La métaphore du « vaisseau de la cité » figure également chez Pindare, quoiqu’au- cua terme ne l ’évoque expressément, dans les images du calme {Péan II 50-52, p. 292 ; Hyporch. III 5-8, p. 292 ss.), du calme après la tempête {01. X II 11- 13 ; Isthm. VII 37-38 ; Pyth. V 10-11, p. 295 ss.) et du naufrage [Isthm. I 36- 40, p. 315 ss.).

2. Sur cette vaste image, voir notamment W. B. Stanford, Aeschylus in his style, p. 96 ss. ; B. L. Hughes, The dramatic use of imagery in Aeschylus (Diss. Bryn Mawr, 1955), p. 71 ss. ; K. H. Kaiser, p. 46 ss. ; J. G. Hansen, p. 27 ss. ;O. Hiltbrunner, Wiederholungs-und Motivtechnik bei AischyUs (Bern, 1950), p. 50.

3. Sur la conception du pouvoir qui se dégage du personnage d’Étéocle, voirH. Pfeufer, Die Gnomik in der Tragodie des Aisehylos (Diss. München, 1940), p. 12, p. 14 s. ; G. M. Kirkwood, Eteocles oiakostrophos [Phoenix, 23,1969), p. 19 ss., et plus généralement W. Nauhardt, p. 49 ss.

4. On reconnaît là la technique de création d’images par « apposition », le v. 3 enrichissant de détails concrets la brève métaphore du v. 2 — qui reparaît d’ail­leurs aux V. 760-671 ; voir O. Smith, p. 18 s. ; mais il n’est pas certain du tout que πρύμνη πόλεως soit, comme il TafTirme (lac. cit.), une « fossilized nautical image ».

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apparaissent à l’image de vagues qui déferlent sans cesse, soulevées par les « vents d'Arès^ », V. 63· 64 : φράξαι πέλισμα πρίν καταιγίσαι ττνοάς j ’Άρεως · βο? γάρ κϋμα χερσαϊον στρατού ; V . 114-115 lyr. : κϋμα περί πτόλιν ίοχμολόφων άνδρών | καχλάζει πνοαίς ’Άρεος όρόμενον^; V . 758-761 lyr. : κακών 8’ ώσπερ θάλασσα κϋμ’ άγει, | τδ μεν πίτνον, ϋΧλο 8’ άείρει | τρίχαλον, δ καί περί πρύμ|ναν πόλεως καχλάζει®. Et quand la victoire de Thèbes est assurée, l’image est encore celle d’un vaisseau, mais qui a triomphé de l ’assaut des flots, v. 795-796 : πόλις 8’ έν eùSlqc τε καί κλυδωνίοι) j πολλαϊσί πληγαϊς δντλον ούκ έδέξατο^; V . 1076-1078 lyr. ; μή άνατραττηναι (s. e. π6λιν) μηδ’ άλλοδαπφ | κύματι φωτών | κατακλυσθηνα[ τά μάλιστα

On peut remarquer à quel point pour Eschyle la réalité et l’image se confondent : car dans toute cette partie du drame la cité et le vaisseau sont deux éléments non pas juxtaposés, mais proprement identifiés ®, comme en témoigne l’ambiguïté du Vocabulaire : le φυλάσσει du V. 2 qualifie aussi bien l’action du chef d’É tat que celle du pilote’ ; des termes tels que σέλ μ α τα (v. 32) ou φ ρά ξα ι (v. 6 3 ; v. 798) évoquent l’équipement ou l’organisation d’une ville comme ceux d’un navire ; et σ τέγε ιν OU ά π ο σ τέγε ιν (v. 2 1 6 ; V . 2 3 4 lyr. ; V . 797) suggèrent la résis­tance opposée à la fois par les remparts à, la masse ennemie et par la coque du vaisseau à l’eau de mer®. Mais, si étonnantes que soient les qualités purement visuelles de l’évocation, on aurait tort de s’en tenir à la seule description d ’une citadelle assiégée : car, au delà de cette peinture dramatique des événements, l’image du « vaisseau de la cité » a aussi, et plus profondément, pour fonction de traduire l’idée de la malédiction qui pèse sur la maison de Laïos et les deux

1. Sur l’image du « çent de la guerre », voir p. 284; sur celle de la vague, p. 262 s.

2. Cf. aussi V. 343-344 lyr. : μαινόμενος 8’ έπιτινεϊ... | ... ’Άρης, et, pour δρόμενον, V. 86-87 lyr. : όρόμενον | κακόν άλεύσατε.

3. L’image de la vague se trouve aussi au v. 80 lyr. : ρεΐ πολύς 88ε λεώς πρόδρο­μος Ιππότας ; mais il s ’agit ici d’ua torreat de montagae (v. 85 lyr. ; ΰδατος όρο­τύπου) ; les V. 212-213 lyr. évoquent, eux, une avalanche.

4. Pour εύδία (v. 795), voir p. 291 ; pour ίίντλος (v. 796), p. 144 ; la remarque faite (p. 115, n. 4) à propos des v. 2-3 vaudrait également pour κακών... θάλασσα (v. 758) et εύδία (v. 795), qui reçoivent tous deux aux vers suivants l’appoint de nombreux détails évocateurs; voir O. Smith, p. 18 s., p. 22.

5. Pour κατακλυσθηναι (v. 1078), voir p. 244.6. Voir H. Disep, p. 116, et plus généralement W. B. Stanford, Aeschylus in

his style, p. 99 s.7. Voir F. J. Cuartero, p. 43 ; pour φυλάττειν — ou un terme de la même fa­

mille — appliqué à l’action du pilote, voir Théogn. 676 : [κυβερνήτην] 6 τις φυλακήν εΐχεν ; Bacchyl., Ode V 47 ; φυλάσσων ; Eur., Hél. 1578 : οΙάκων φύλαξ ; Plat., Pol. 297 A ; Lois 758 A.

8. Sur la double valeur de tous ces termes, voir F. J. Cuartero, p. 44 s. ; B. L. Hughes, p. 75 s.

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fils d’Œdipe ; au delà, de la réalité matérielle, I’image a des implica­tions dynastiques, et aussi religieuses et morales^.

La métaphore du püote se rencontre par ailleurs dans l’œuTre d’Eschyle : à, la fin à-'Agamemnon, Égisthe se présente comme le nouveau pilote qui dirige les destinées de la demeure des Atrides, et plus généralement d’Argos, ravalant le coryphée au rang de simple rameur, V . 1617-1618 : σύ ταϋτα φωνεϊς νερτέρίί προσήμενος κώτητ), | κρα- τούντων των έπΙ ζυγφ δορός ; et dans les Euménides un chef d’É tat est appelé successivement πρυμνήτης άναξ (v. 16) et SvSpa πρυμνήτην (v. 765)®. Mais c’est dans les Suppliantes qu’on trouve les deux em­plois les plus intéressants de l’image ; aux v. 176-177, Danaos, dé­finissant le rôle de pilote avisé qu’il a Joué auprès de ses filles pen­dant la traversée d’Égypte à, ArgOS —■ ξύν φρονοϋντι 8’ ήκετε | πιστφ γέροντι τφδε ναυκλήρφ πατρί —· les invite ensuite à, lui témoigner, une fois sur terre, une confiance égale, v. 178-179 : καΐ τάπΙ χέρσου νϋν προ- μηθίαν λαβών | αινώ φυλάξαι τ&μ’ ’έτο} δελτουμένας κτλ. ; le terme qui aretenu l’attention du poète au v. 177 est évidemment ναυκλήρίΰ ; em­ployé tout d’abord au sens littéral (v. 176-177), il doit être entendu dans les v. 178-179 — quoiqu’il n ’y soit pas exprimé —· au figuré ; car pour le vieux roi il se confond avec l’idée de ses responsabilités —■ passées (v. 176-177), présentes et à, venir (v. 178-179) —· et son intention est d’être dorénavant pour les Danaïdes un « pilote sur terre^ ». A la même sphère symbolique appartient l’image du v. 34 4 : αίδοϋ σύ πρύμναν πόλεος ώδ’ έστεμμένην ; le détail de la « poupe de la cité » traduit ici encore le thème de la responsabilité du « roi-pilote » —■ cette fois Pélasgos —■ mais il correspond en outre, sans doute, à, un élément de mise en scène : comme les Suppliantes ont été jouées au même endroit que les Sept, le dispositif scénique qui avait servi à représenter dans cette pièce le « vaisseau de la cité » a dû imposer à l’esprit d’Eschyle le souvenir de la « poupe » des v. 2 et 760-761 ®.

Dans l’œuvre de Sophocle, l’image du « vaisseau de la cité » n ’est jamais si fréquente que dans les tragédies du cycle thébain, ce qui est un indice irréfutable du retentissement qu’avait eu dans les ima­ginations l’immense métaphore des Sept. Dans Antigone^, le sou-

1. Voir p. 213 ss.2. Sur ce passage, voir B. L. Hughes, p. 129 ; pour κώπη (v. 1618), voir p. 44 ss. ;

pour ζυγω (v. 1618), p. 120.3. Sur l’image du vaisseau dans VOrestie, voir p. 286 ss.4. Sur ce passage de la mer à la terre et du littéral au figuré, voir H. F. Johan­

sen, Some features of sentence-structure in Aeschylus’ Suppliants {Class, et Me- diaev., 15, 1954), p. 31.

5. Voir sur ce point D. van Nes, p. 88 s. ; pour l’image de la barque aux v. 438- 441, voir p. 320 s.

6. Les faits évoqués par cette pièce sont postérieurs à l’action d'Œ dipe Roi,

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venir est encore vivace des vents (v. 135-137 lyr.) des vagues (v. 162- 163) et de la tempête (v. 670) ® qui ont secoué la ville, et si l’on excepte les V. 540-541, et la longue comparaisoïi des V. 582-593 — tous pas­sages qui évoquent le voyage de la vie^ —· les images nautiques ont une valeur essentiellement politique : elles y servent à définir le gouvernement d ’Œdipe —■ v. 167 : ήνίκ’ Οίδίπους ώρθου πόλιν — et sur­tout de Cféon, qui les utilise pour exprimer une conception du pou­voir fondameïitalement conservatrice® ; v. 178-179 ; δστις πάσαν εύθύνων πόλιν | μή των άριστων άτττεται βουλευμάτων ; V. 189-190 : ήδ’ ΙστΙν (s. e. πόλις) ή σφζουσα καΐ ταύτης επι | πλέοντες ορθής τούς φίλους ποιούμεθα®.Mais pour avoir ignoré les dieux Gréon a mal rempli son devoir de chef d’État, et l’image du vaisseau est retournée contre lui succes­sivement par Hémon — v. 715-717 : αυτως 8έ ναός δστις έγκρατής πόδα | τείνας ύπείκει μηδέν, ύπτίοις κάτω | στρέψας τό λοιπόν σέλμασιν ναυτίλλεται — ' et par Tirésias — v. 994 : δι’ ορθής τήνδ’ έναυκλήρεις πόλιν®. Et l’aboutissement logique de cette désastreuse navigation est le « port de la mort » évoqué au v. 1284 (lyr.). Dans Œ dipe roi, Thèbes connaît encore les atteintes des vagues (v. 22-24)® et de la tempête (v. 101)’·®, et l’action de son roi se traduit encore par l’image du pilote, qui parcourt l’ensemble de la tragédie : v. 51 : άλλ’ άσφαλείο: τήνδ’ άνόρθωσον πόλιν ; V. 104 : πρΙν σέ τήνδ’ άπευθύνειν πόλιν ; ν . 922-923 : ώς νυν όκνοϋ- μεν πάντες έκπεπληγμένον | κείνον βλέποντες ώς κυβερνήτην νεώς^^. A vraidire, la métaphore se situe ici sur deux plans distincts, puisque Œdipe conduit non seulement le vaisseau de la cité dans la tempête, mais aussi sa destinée vers un terme effroyable ; comme dans Antigone, tout s’achève dans le havre sinistre prophétisé par Tirésias (v. 420- 423), et l’image du pilote, symbole de l’autorité établie d ’Œdipe,

mais pour l’étude de l’image σα a tenu compte de la chronologie des deux tra­gédies dans la carrière de Sophocle.

1. P. 284.2. P. 113 s., p. 264.3. P. 284.4. Voir p. 265 s.5. Voir à ce propos R. F. Goheen, The imagery of Sophocles' Antigone, p. 46 ;

S. C. Shucard, p. 207 ss. ; H. Musurillo, Symbol and myth in ancient poetry, p. 81.6. Pour la valeur nautique de σφζειν (v. 189), voir p. 126 s.7. Sur ce passage et le sens de πούς (v. 715), voir p. 142.8. Sur cette utilisation contre Gréon de son image favorite, voir R. F. Goheen,

p. 48 s.9. Voir p. 263 s.10. Voir p. 281.11. Sur l’action d’Œdipe comparée à celle d’un vent favorable (v. 694-696 lyr.),

voir p. 188.12. Sur ce double aspect de la métaphore du pilote, voir H. Musurillo, Sunken

imagery in Sophocles’ Œdipus {Amer. Journ. Phil., 78, 1957), p. 42 ; B. M. W. Knox, Œdipus at Thebes (New Haven, 1957), p. 116.

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et d’une suprématie intellectuelle qui a fini par causer sa perte, débouche sur des visions de désordre et de mort^.

Dans Ajax, la métaphore du « vaisseau de la cité » fait une fugitive apparition, et l’évocation du navire qui sombre y traduit de la part de Ménélas une conscience aiguë des dangers qui menacent un E tat où l’individu ne se soumet pas entièrement à la collectivité, v. 1082- 1083 : ταύτην νόμιζε τήν πόλιν χρόνφ ποτέ [ έξ ούριων δραμοϋσαν εις βυθόν πεσεΐν^. On peut citer encore le frg. 524 P, dans lequel un chef est appelé « homme de proue », v. 1 : πρφράτης στρατού ; le terme πρφράτης— ou πρωρεύς® —· désigne à bord du navire « celui qui de Vavant... observe la route, les fonds, les vents, les amers et les astres; il commu­nique ses observations au pilote pour que celui-ci puisse diriger le navire en conséquence^ » : ce n ’est donc pour le pilote qu’un subordonné,

1. Sur les images nautiques dans la pièce, leur signification et leur orchestra­tion, voir H. Musurillo, Sunken imagery in Sophocles' Œdipus, p. 40 ss., p. 51 ; B. M. W. Knox, p. 112 ss. ; P. W. Harsh, Implicit and explicit in the CEdipus Tyrannus [Amer. Journ. Phil., 79, 1958), p. 244 s. ; G. P. Segal, Nature and the world of man in greek literature, p. 37.

Concernant l’image du « vaisseau de la cité », deux séries de termes, précédem­ment rencontrés, demandent une brève étude. Il s ’agit en premier lieu d ’èpdôç et des termes apparentés, qui appE^raissent d’une certaine ambiguïté : l’image peut être en effet celle d’un vaisseau qu’on dirige soit en ligne droite [Ant. 167 : ώρθου ; 994 : 8i’ ορθής), soit en évitant qu’il gîte — cf. Théogn. 855 : κεκλιμένη ναϋς— comme Créon s’en vante [Ant. 189-190), alors qu’Hémon lui reproche au con­traire de l’avoir fait chavirer {v. 715-717) ; à ce second sens de όρθός appartiennent aussi Œd. roi 51 — Œdipe a eu pour mission de redresser la barque — et Ant. 163 ; voir aussi Pind., Istkm. V 48 : όρθωθεϊσα (p. 284) ; Plat., Pol. 301 D ; Dém. X IX 250 ; sur cette double va,Ieur de όρθός et όρθοϋν, voir K. H. Kaiser, p. 53 s. ; R. F. Goheen, p. 45, n. 17. Compte tenu du sens nautique de φυλάττειν (p. 116, n. 7), on peut donc affirmer que Pindare songe à l’image du vaisseau lorsqu’il écrit au début de la XI® Néméenne que les compagnons d’Aristagoras « main­tiennent droite Ténédos », v. 5 : όρ|θάν φυλάσσοισιν Τένεδον. Voir aussi p. 283 s. Quant à εύθύνειν, άπευθύνειν, etc. {Ant. 178 ; Œd. roi 104), ces termes qualifient aussi bien la conduite des chars — Hom., II. XI 525 ; Ar., Ois. 1739 lyr. ; Isocr. I 32, etc. — que des vaisseaux — Hom., II. XX III 317 ; Eschl., Suppl. 717 ; Eur,, Cycl. 15, etc. —· et ce sans grande valeur imagée, mais seulement avec l ’idée de « mener droit » : voir K. Dietel, p. 153 ; ce sont donc tout le contraire de « termes techniques » réservés à l’action du pilote, comme l’affirme K. H. Kaiser, p. 17, et un vers de VOdyssée montre bien que ces mots ne sont aucunement spécialisés dans ce sens : XII 152 : τήν δ’ [sc. v%] άνεμός τε κυβερνήτης τ’ ίθυνε; cependant le thème du commaademeiit est à ce point solidaire, dans l’esprit des Grecs, de l’image du pilote, qu’on peut sans grwid risque d’erreur admettre l ’existence de cette dernière dans les passages de Sophocle cités ci-dessus ainsi que chez Eschyle ■— Pers. 764 : σκη1tτρo «ύθυγτήριον; 773 : Κύρου δέ παϊς... ϊθυνε στρα­τόν — et Euripide — Hio. 9 ; Xaàv βύθύνων δορί. Εύθύνειν peut enfin qualifier l ’action du vent (cf. Hom., O i. X I I 152) ; sur cette image, voir p. 181 ss., p. 185 ss.

2. Voir S. C. Shucard, p. 204 s. ; sur οδρος, οΰριος, etc. (v. 1083), p. 213 ss.3. Cf. Ar., Cav. 543 : πρφρατεϋσαι (p. 44).4. J. Rougé, πρφρεύς [Rev. P h il, 39,1965), p. 92 ; voir aussi K. H. Kaiser, p. 192 ;

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120 LE « ROI-PILOTE ))

mais Sophocle n ’a été sensible ici qu’à, l ’éminence de sa position et à l ’étendue de ses responsabilités, et il en fait, au figuré, un véri­table équivalent du κυβερνήττ]?^.

Chez Euripide enfin, l’image du « pilote de la cité » est sans grand relief, excepté dans les Suppliantes, où elle apparaît en liaison avec celle du vaisseau dans la tem pête : v. 268-269® ; v. 473-474 : κυμάτων (ϊτερ πόλιν | σήν ναυστολήσεις ® ; V. 879-880 : ouSèv αίτια πόλις | κακώς κλύουσα διά κυβερνήτην κακόν ; οπ la retrouve dans deux textes, de Ion et des Phéniciennes, où elle est amenée par ζυγόν, term e qui désigne, dans le vaisseau primitif, un pe tit pont situé à, l ’arrière du navire et réservé au pilote*, et qui symbolise en conséquence l’autorité souveraine dans la cité ® : Ion 595 : ές τό πρώτον πόλεος όρμηθείς ζυγόν ; Phén. 74- 75 : έπεί δ’ Ιπΐ ζυγοϊς | καθέζετ’ άρχής ; deux Comparaisons paratactiques enfin la suggèrent : frg. 194 N, 3-4 : έγώ γάρ οΰτε ναυτίλον φιλώ | τολμώντα λίαν ουτε προστάτην χθονός ; frg. 774 Ν ®.

La métaphore du « vaisseau de la cité » et de son pilote a donc joui dans le lyrisme et la tragédie d ’ime faveur particulière, et un indice de sa popularité est l’ardeur d ’Aristophane à la railler, dans les Ca­valiers (v. 4 3 4 ) les Grenouilles (v. 3 6 1 , v. 704 ) ®, et surtout les Guêpes ; nulle part en effet ne se manifeste mieux le génie parodique du poète que dans ce v. 29 où il n ’est plus question du « vaisseau dé la cité »— ναϋς — mais seulement d’une « barque » — σκάφος — ; περί της πόλεως γάρ έστι του σκάφους όλου ; car chez Aristophane, comme le souligne J. Taillardat, « aucune (s. e. ; des m étaphores nautiques) n’est ori­ginale en elle-même : les tragiques en offrent souvent le modèle. M ais ce qui est Vinvention propre du comique, c’est d’avoir comme restreint la portée de ces images^ ».

L. Casson, p. 95 ; ses fonctions sont définies par Xénophon (Êcon. VIII, 14) ; et Plutarque s ’y réfère symboliquement dans une réflexion sur la situation des gouvernants dans leur cité [Agis 1, 2).

1. Dans le frg. 210 P (col. III, v. 64-65), l’image du « vaisseau de la cité » n’est pas certaine (voir p. 60, n. 5).

2. Voir p. 285, n. 2 ; pour Rhésos, v. 241-243 et v. 312-313, voir p. 264 et p. 285, n. 2.

3. Pour ναυστολεϊν (v. 474), voir p. 38 ; pour les v. 473-475, voir p. 264.4. Voir L. Casson, p. 37.5. Comme chez Eschyle, Ag. 1618, voir p. 117.6. Cité p. 60 ; pour Or. 706-707, voir p. 142.7. Voir p. 148, n. 7.8. Voir p. 285, n. 2, p. 264, n. 7.9. J. Taillardat, Les images d ’Aristophane, p. 80 s. La métaphore de la « barque

de la cité » se prolonge au v, 30 par celle de la « quille » — c’est-à-dire du « fond » —

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L e « DIEU-PILOTE »

L’idée d ’un dieu conçu comme guide dans un voyage dangereux est aussi ancienne qu’Homère : Od. IX 142 : ëv9« καταπλέομεν, καί τις θεός ήγεμόνευεν. Est-ce à, dire que l ’épopée homérique a connu la mé­taphore du « pilote du monde »? La question s’est posée à, propos de l’épithète ύψίζυγος, parfois appliquée à Zeus dans VIliade (IV 166 ; V II 69, etc.)^ ; comme ζυγόν désigne l’endroit où se tient le pilote à, la poupe du navire^, au-dessus — cf. ύψι- — du reste de l’équipage, on en a parfois conclu, dès l’Antiquité, que ύψίζυγος impliquait l’image du « dieu-pilote »; ainsi une scholie aux v. 74-75 des Phéni­ciennes d ’Euripide® : μετενήνοχεν άπό των κυβερνητών· τοιοϋτόν εστι καΐ τό παρ’ 'Ομήρω α Ζεύς ύψίζυγος » · έπΙ γάρ τοϋ ύψίστου ζυγοϋ καθήμενος ό κυβερνήτης περιφέρει τούς οϊακας. Mais l ’emploi d ’une telle métaphore dans l ’épopée resterait si isolé qu’on est Justifié à, m ettre en doute cette interprétation et à réserver son opinion^.

En fait, l’image cosmique du « vaisseau du monde » et de son pilote est proprement philosophique : on la rencontre souvent chez les préso­cratiques —· Héracl., frg. 64 D K ; Parm., frg. 12 DK, 3 ; Empéd., frg. 98 DK, 3 ; PhüoL, frg. 12 D K ; frg. 21 D K ; Diog. ApolL, frg. 5 DK — parfois chez Platon — Criti. 109 G ; Pol. 272 E® ; mais elle demeure to u t à, fait étrangère à la poésie, où la m étaphore du « dieu- pilote » —■ symbole de la toute-puissance de la divinité — s’est simple-

de l’affaire qui la concerne ; λέγε νυν άνύσας τ ι τήν τ ρ ό π ιν τοϋ πράγματος. Sur cette image chez Aristophane, voir aussi W. Gerlach, Staat und Staatssehiff [Gymna­sium , 48, 1937), p. 132 s.

Par ailleurs les prosateurs y recourent fréquemment : Thuc. VI 10 ; Plat. Euthyd. 291 D (qui se réfère explicitement à Eschyle, Sept 2-3, voir p. 115) ; Pol. 296 E ; 297 A ; 297 E (cité p. 105) ; 301 D ; 302 A ; 304 A ; Rép. 488 A ; 489 A ; 551 G ; Lois 758 A (voir p. 264, n. 7) ; Xén. Anab. V 8, 20 ; Cyr. IV 1, 15 ; VIII 8,1 ; Mémor. III 9, 11 ; Isocr. VIII 95 ; Lys. VI 49 (sur ces deux textes, voir p. 264, n. 7) ; Dém. IX 69 ; X IX 250 ; Eschn. III 158 ; Plut. Sol. 19, 2 ; Coriol. 32, 1 ; A gis 1, 2 (voir pour ces trois passages p. 60, p. 60, n. 5, p. 119, n. 4) ; Pol. VI 34, 3-7 : sur l ’image du naufrage dans ce texte, voir p. 321, n. 5.

1. Voir aussi Bacchyl., Ode I 155-156; XI 2-3.2. Voir p. 117, p. 120.3. Cités p. 120.4. H. Frankel {Die homerischen Gleichnisse,'p. 113, n. 2) juge l’image très mal­

aisée à définir et suggère celle de la balance. L’épithète εΰρύζυγος, appliquée également à Zeus par Pindare (frg. 14 SN), n ’est pas plus claire. Signalons enfin que l ’évocation d’un Zeus siégeant au-dessus de tous (Eschl., Suppl. 595-597 lyr.) n’implique pas forcément l’image du pilote.

5. Voir p. 136, n. 8.

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ment développée en rapport avec le thèm e de la destinée de l’homme et l’image du « voyage de la vie''· ».

Dans le lyrisme, l’mi des exemples les plus remarquables figure au début de la XII® Olympique de Pindare, écrite en 470 pour le Grétois Ergotélès, dans — et à la suite de — l’invocation liminaire à Tyché^ :

ΛΙσσομαι, παΧ Ζψος ’Ελευθερίου,'Ιμέραν εΰρυσθενέ’ άμφιπόλει, σώ-

τειρα Τύχα.Τΐν γάρ έν πόντφ κυβερνώντας θοαί

, ναες, έν χέρσφ τε λαιψηροί πόλεμοι κάγοραί βουλαφόροι. Α ϊ γε μέν άνδρών πόλλ’ άνω, τά 8’ αδ κάτω ψεύ­

δη μεταμώνια τάμνοι- σαι κυλίνδοντ’ ελπίδες.

V. 1-6.

« Je t'en supplie, fille de Zeus Libérateur, protège la puissante Himère, Tyché salutaire ! Car c'est toi qui gouvernes sur mer la course des navires, et sur terre Vélan des guerres et la sagesse des assemblées. Cependant, les espérances des hommes tantôt s'élèvent, tantôt s'abaissent, et, ballottées par les flots, fendent de leur proue une mer de vaines illusions. »

Il n ’est pas inutile de rappeler l’arrière-plan historique de l’ode : Ergotélès, à la suite de troubles civils survenus en Crète, a été contraint de quitter son pays nata l et s’est établi à, Himère, en Sicile ; de là il est venu en Grèce, où il a à plusieurs reprises triom phé aux jeux. Mais il n ’a pu participer à ces épreuves sportives qu’une fois la paix rétablie à, Himère : car, après la mort de Théron en 472, la cité avait subi la tyrannie de son fils Thrasydée, et la guerre n ’avait pas tardé à éclater entre le nouveau souverain et Hiéron, une guerre qui se solda par la victoire de ce dernier, et au term e de laquelle Himère connut une relative indépendance^.

1. Voir à ce propos H. Strohm, p. 16, n,. 6, p. 33 ; G. Bouaer, p. 49, n. 2 ; W. Elli- ger, p. 111.

2. Sur la place de ces invocations aux abstractions divinisées ou aux dieux, qui sont particulièrement fréquentes au début et à la fin des odes, voir A. Kam- bylis, Anredeformen bei Pindar, p. 180 ss.

3. Sur ces faits, voir Diod. Sic. XI 48 ss. Voir aussi G. Gaspar, p. 122 ss. ;G. Fraccaroli, p. 312 ; U. von Wilamowitz, Hieron und Pindaros, p. 1283 ; F. Dorn- seifï, Pindar, übersetzt und erlaütert (Leipzig, 1921), p. 153; E. Thummer, Die Religiositdt Pindars, p. 91 s. ; D. E. Gerber, The idea of Fate in the poetry o f Pindar (Diss. Toronto, 1959), p. 154; S. G. Kapsomenos, Un prétendant de la monarchie àCnossos dans la poésie de Pindare : la 12^ ode Olympique pour Ergotélès, vainqueur au dolique (Cret. Chron., 15-16 (1), 1961-1962), p. 252 ss. ; G. M. Bowra, Pindar, p. 128 s. ; E. L. Bundy, Studia pindarica, p. 51 s.

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Dans l’article qu’il a consacré à la XII^ Olympique'^, S. G. Kap- somenos estime que l’invocation des v. 1 ss. n ’est pas adressée à, Tyché, mais à, Hésychia — comme dans la V ille Pythique^ ; il se fonde pour l’affirmer sur une inscription qui mentionne effectivement une tou t autre divinité que Tyché®, et à, partir de là, l’auteur étaye sa démonstration sur un double argument, de fond et de forme*; le premier est que l’idée de paix convient mieux au tex te que celle de « Fortune » : c’est en effet le retour au calme et à la paix qui, après les guerres civiles ta n t de Crète que de Sicile, a permis l’épanouisse­ment des qualités d ’Ergotélès et son triomphe, et il est naturel, dans ces conditions, que le poète souhaite, en ce début d’ode, voir se per­pétuer cet é ta t de choses, dans l’intérêt de la cité comme dans celui du vainqueur ; le second se fonde sur les analogies d ’expression qu’on peut relever entre la XII® Olympique et deux autres poèmes de Pin- dare où il est question d ’Hésychia : dans le III® Hyporchème, Hésy­chia est opposée à la discorde, source de guerres civiles (v. 5-8 :το κοινόν τις άστών έν εύδία | τώεΙς ερευνασάτω | μεγαλάνορος Ήβυχίας τό φαιδρόν φάος, | στάσιν άπό πραπίδος έπίκοτον άνελών) ® ; or, la XII® Olym­pique mentionne elle aussi les troubles civils qui ont chassé Ergotélès de sa cité (v. 16 : εΐ μή στάσις άντιάνει| pœ Κνωσίας σ’ άμερσε πάτρας) ; d ’autre part, la divinité de la XII® Olympique gouverne les guerres et les assemblées (v. 4-5 : πόλεμοι | κάγοραί βουλαφόροι), de même qu’Hésychia, dans la VIII® Pythique, « tient les clés souveraines des assemblées et des guerres » (v. 3-4 : βουλδν τε καΐ πολέμων [ εχοισα κλαϊδας ύπερτάτας) ; dans les deux odes enfin on retrouve le thème du renversement des prévisions humaines {01. X II 10-11 : πολλά 8’ άνθρώποις παρά γνώμαν επεσεν, | ^μπαλιν μέν τέρψιος κτλ. ; Pyth. V III 92 : έν δ’ όλίγφ βροτών | τό τερττνον αΰξεται κτλ.) et l’expreSsion de vœ ux pour le maintien de la liberté dans la patrie du vainqueur {01. X II 1 : ’Ελευθερίου; Pyth. V III 98 : έλευθέρφ στόλω)®.

Cette argum entation, à première vue impressionnante, peut néan­moins être aisément réfutée. Concernant le second argument, la m ultitude des points de convergence entre les deux odes et YHypor- chème ne constitue pas un élément de grand poids, parce qu’il s’agit en réalité d ’expressions et d’idées de caractère imprécis ou très géné­ral, chez Pindare ou même en dehors de son œuvre : rien n ’est plus vague dans la XII® Olympique et la VIII® Pythique que l’allusion

1. Voir p. 122, n. 3.2. Pyth. VIII 1 ss. Voir p. 220 ss.3. Inscr. B (DR I, p. 349 s.) : διό πρ6ς τήν Ειρήνην άποτείνεται έν τω προοιμίφ

ώς αίτίαν γενομένην τω νικηφόρφ τής νίκης.4. Ρ. 272 SS.5. Voir ρ. 292 SS.6. Voir ρ. 133 S.

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aux guerres et aux assemblées’·, rien n ’est moins original que l’image d ’ime divinité souveraine^; et pourquoi croire que tou te mention de la discorde doive être obligatoirement liée au « personnage » d ’Hé- sychia? Le thèm e de la rapidité avec laquelle les événements con­trarient les prévisions des hommes figure, lui, dans toute l ’œuvre de Pindare, ou peu s’en fau t^ ; et quant aux vœ ux pour la liberté d ’une ville, c’est proprement un lieu commun de la poésie grecque^. L ’argument de fond n ’est guère plus solide, et la présence de Tyché est tou t à fait justifiée au début de la XII® Olympique, placé sous le signe de la mer ; car Tyché et la mer sont liées dans la mythologie : dans la Théogonie d ’Hésiode, Tyché est une nym phe marine, fille d ’Océaïl et de Thétis, V. 360 : Εύδώρη τε Τύχη τε καΐ Άμφιρώ Ώκυρόη τε ; or Himère et Ergotélès sont tous deux en rapport avec l’élément marin, la première par la bataille navale rem portée sur Garthage, le second par son voyage de Crète en Sicile, et de Sicile en Grèce®. En outre, l’action souveraine de Tyché sur le destin des cités et des hommes est traditionnellem ent symbolisée par l ’a ttribu t spécifique du gouvernail®, comme en témoigne le frg. 40 SN de Pindare, qui m ontre la divinité « manœuvrant le double gouvernail », δίδυμον στρέ- φοισα πηδάλιον — · ce qui est une séduisante façon de transposer une réalité m atérielle’ dans le domaine figuré pour suggérer q;ue Tyché apporte aux hommes tan tô t des joies et tan tô t des peines®; or, dans la XII® Olympique, sa puissance est représentée par le même détail nautique (v. 3 : τ ίν ... κυβερνώνται), et c’est encore par référence à, Tyché, et aux changements dont elle affecte la vie des hommes, qu’on peut le mieux apprécier le sort d ’Himère, qui, après les vicissitudes de la guerre, a trouvé stabilité et prospérité, et d ’Ergotélès, qui, à la suite de vicissitudes semblables, a obtenu —· entre autres —■ une -victoire olympique®.

Mieux vaut donc considérer les vues de S. G. Kapsomenos comme

1. Voir — à propos de la VIII® Pythique — E. L. Buady, Hesychia in Pindar, p. 169.

2. On la retrouve, avec le détail des clés, dans la IX® Pythique, à propos de Peithô (v. 39) ; elle figure également chez Parméaide pour Diké, frg. 14 DK : των δε Δίκη πολύττοινος ίχζι κληϊδας άμοίβούς.

3. Voir ρ. 191 ss.4. Voir à ce propos E. Kienzle, Der Lobpreis von Stàdten und Landern in der

alteren grieehischen Dichtung (Diss. Basel, 1936), p. 85.5. Voir D. E. Gerber, The idea of Fate in the poetry o f Pindar, p. 155.6. Voir W. H. Roscher, Ausfiirliches Lexikon der grieehischen und romisehen

Mythologie (Leipzig, 1884), V, p. 1342.7. Sur le double gouvernail, voir p. 101 s.8. D. E. Gerber, The idea o f Fate in the poetry o f Pindar, p. 164.9. Voir sur ce point l’excellent commentaire de D. E. Gerber, p. 155.

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une ingénietise erreur^ et revenir aux conceptions traditionnelles, selon qui l’invocation initiale est bien adressée à Tyché.

On a parfois cherché, derrière la succession des termes qui défi­nissent aux V. 3-5 les domaines où s’exerce l’action souveraine de Tyché, à retrouver des allusions précises à, la réalité historique de 470 ; ainsi νδες (v. 4) viserait la pratique du commerce à Himère, πόλεμοι (v. 4) la victoire remportée sur les Carthaginois, et άγοραί (v. 5) le gouvernement pacifique qui succéda à la tyrannie de Thra- sydée^. Mais, si forte qu’ait été l ’impression laissée par ces événe­ments dans l’esprit de Pindare, il est préférable de conserver à, cette énumération — où, selon une technique propre à l’auteur, le rôle éminent revient au dernier terme® — sa valeur générale ; Tyché règne sur tous les domaines où il y a du danger, où il y a lutte, soit contre les éléments (v. 4 : νδες), soit entre les hommes (v. 4 : πόλε­μοι ; V. 4 ; άγοραί)

Le Verbe qui caractérise la puissance de la divinité est κυβερνώνται (v. 3), qui est utilisé tou t d’abord au sens propre, comme l’indique έν πόντω ; mais la réalité ne tarde pas à céder le pas au symbole, et le glissement de έν πόντφ à έν χέρσω (v. 4) consacre le passage du littéral au figuré : de véritable pilote, Tyché devient le pilote m éta­phorique des guerres et des assemblées®. Cependant, le symbole une fois mis en place est constitué d ’éléments appartenant à, la réalité qui l’a inspiré, et c’est en termes de marine que sont é'voquées les guerres : car le parallélisme d ’expression θοαΐ νδες (v. 3-4), λαιψηροί

1. Il est curieux que l’auteur n’ait pas été sensible a,u fait que l ’inscription (citée p. 123, n. 3) parle de Ειρήνη, non de Ησυχία ; la différence est pourtant consi­dérable : voir p. 221 ss. ; on peut d’autre part regretter que S. G. Kapsomenos ait tendance à modifier les textes en fonction de ses points de vue, et non ses points de vue en fonction des textes ; cela le conduit à de graves altérations, tout à fait arbitraires, du début du poème : ainsi v. 2 : 'Ιμέραν, εύρυσθενές, άμφιπόλει] σών, Ήβυχία ; ν . 5-6 : κέρδη μεταμώνι’ έλαύνοι|σαι, au lieu de ψεύ|δη κτλ.

2. Ainsi Μ. Ρ. Galiano, ρ. 301 ; G. Perrotta, Pindaro, p. 289.3. Voir sur ce point H. Frânkel, Eine Stileigenheit der frühgriechischen Lite-

ratur, p. 95.4. Voir H. Strohm, p. 36 ; 0 . Becker, Pindars Olympische Ode vom Glück {Die

Antike, 16, 1940), p. 45; H. Bischoff y voit, lui (p. 111), une simple variante de l ’expression κατά γην καΐ κατά θάλατταν.

5. Voir Κ. Η. Kaiser, ρ. 35 s. ; Η. Α. Gartner, ρ. 67 ; Μ. F. Galiano, ρ. 301. Même mouvement au début de la V® Isthmique, où, selon le même rythme ter- na,ire, des épreuves sur mer et sur terre sont placées sous le patronage de Théia, mais sans que Pindare recoure cette fois à la métaphore du pilote, v. 5-8 : καΐ γάρ έριζόμεναι | νδες έν π όντφ καΐ [ύφ’] άρμασιν 'ίπποι | διά τέαν, ώνασσα, τιμάν | ώκυδινήτοιςένάμίλ|λαισιθαυμα(ϊταΙπέλονται· | ëv τ’ άγω νίοις άέθλοισι ποθεινόν | κλέος ϊπραξεν κτλ ; on peut ég£^lement citer le pseudo-Phocylide, qui associe à l ’image du pilote trois détails, dont deux terrestres et le dernier maritime, Gnôm. 131 : άγρούς καΐ πόλιας σοφίη καί νηα κυβερνδ.

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πόλεμοι (v. 4) indique avec certitude que Pindare, en décrivant les conflits, pensait encore aux vaisseaux’· ; l’idée de rapidité^ s’exprime ici et là de semblable façon et, dans les deux cas, les périls sont aussi graves, et aussi justifiée la vigilance requise du « pilote ». Cette pré­sentation nauticfue des combats est confirmée par un passage de la VIII® Pythique, où Pindare glorifie Égine d ’aVoir nourri des héros éminents « dam les épreuves où ils ont triomphé et les combats rapides », V. 26-27 : νικαφόροις έν άέ|θλοις... καΐ θοαϊς | . . . έν μάχαις ; si le poète applique ici aux luttes une épithète qui depuis Homère évoque t r a ­ditionnellement les navires, c’est pour rappeler, avec une émouvante discrétion, l’époque glorieuse où cette lie, m aintenant déchue et dépourvue de flotte®, avait la maîtrise des mers, et où la suprématie de ses marins et de ses pilotes consacrait son triom phe à Salamine^. Si différent que soit le contexte historique de la XII® Olympique, l’image du vaisseau se dégage tou t aussi nettem ent de κυβερνώνται... / . . . λαιφηροι πόλεμοι (v. 3-4)®.

Mais l’image de la divinité-pilote ne se trad u it pas seulement, dans ce début de l’ode, par le κυβερνώνται du V. 3 ; un autre term e y con­tribue, que l’on a souvent mal interprété : σώτειρα (v. 2). Tyché étant représentée comme « fille de Zeus » (v. 1 : παϊ Ζηνός), certains commentateurs en ont conclu que Pindare appliquait ici à. l’enfant une épithète qu’il réserve généralement au père, à, Ζεύς σωτήρ — 01. V 1 7 ; Isthm. VI 8 ; Hymne I 15® — ; pour d’autres, σώτειρα et σωτήρ répondent chez Pindare à, des préoccupations politiques et reflètent une attitude résolument conservatrice : ce qu’il s’agit de m aintenir en place — σώζειν —■ c’est le gouvernement par excellence, c’est-à- dire le régime aristocratique, en l’occurrence celui de Hiéron ; on y a vu encore une qualification occasionnelle de Tyché qui, repré­sentant indifféremment les aspects heureux ou malheureux de la

1. Voir J. H. Finley, Pindar and Aeschylus, p. 149 ; G. Méautis, p. 360.2. Θοός est homérique (voir p. 62, n. 5, les remarques à propos de Pind., 01. VI

101-102) ; λαιψηρός également : cf. II. X X I 264, 278, etc.3. Sur ces faits, voir p. 134, p. 221.4. Voir Isthm. V 48-50, p. 283 s.5. Sur cette parenté d’images entre les deux odes, voir G. Méautis, loc. cit.

O. Becker [Pindars Olympische Ode vom Glück, p. 45) pense plutôt, dans un cas comme dans l’autre, à l’image de la « tempête de la guerre » ; cette image est fré­quente (voir p. 282 ss.), mais elle serait incompatible ici avec la notion de gou­vernement et la métaphore du pilote.

6. Ainsi O. Schroder, Die Religion Pindars [Neue Jahrb. f. d. Mass. Altertum, 51, 1923), p. 142 ; H. Strohm, p. 14 ss. ; E. G. Berry, The history and development o f the concept of Θ Ε ΙΑ Μ Ο ΙΡ Α and Θ Ε ΙΑ Τ Τ Χ Η down to and including Plato (Diss. Chicago, 1940), p. 16. On trouve également l’épithète σώτεφα appliquée à Thémis [01. VIII 22) et à Eunomia [01. IX 16).

7. Ainsi G. Janni, Σ Ω Τ Ε ΙΡ Α e Σ Ω Τ Η Ρ inP indaro [Stud. Urh., 39, 1965), p. 107 ss.

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destinée humaine^, se manifeste dans le cas d ’Ergotélès et d ’Himère sous un Jour favorable^. La véritable explication n ’est pas là ; en fait, σφζειν et les termes apparentés sont fréquemment liés en grec à l’image du pilote, dont la vigilance est un gage de salut pour le vaisseau et son équipage : P lat., Gorg. 511 D : έάν μέν έξ Αίγίνης δεϋρο βώοη [s. e. κυβερνήτης]; ΡοΙ. 296 Ε : ώβπερ ό κυβερνήτης... σφζει τούς συνναύτας κτλ. ; Loïs 961 Ε : σωτηρία πλοίων [s. e. νοϋς] ; Mén., frg. 482 Ε, 4-5 ; τοϋτ’ έβτΐ [τάνθρώπων] το κυβερνών καΐ βτρέφον | καΐ (ϊφζον ; Épich., frg. 256 Κ : ό λόγος άνθρώπους κυβερν^ κατά τρόπον σώζει [τ’ άεί]^, etc. Il est donc permis de supposer que la conception de Tyché à l’image d ’un pilote était présente à l ’esprit de Pindare dès cette invocation à, σώ|τεψα Τύχα, avant même que κυβερνώνται l’exprime pleinement au vers suivant : avec cette double notation, la vision est tou t à, fait semblable à celle du dieu qui dans la tem pête a pris la barre du vaisseau d’Agamemnon et l’a sauvé du désastre : EscbJ., Ag. 663-664 : θεός τις, ούκ άνθρωπος, ο ϊα κος θ ιγώ ν ’ | Τ ύχη δέ Σ ω τήρ ναϋν θέλουσ’ έφέζετο*.

L ’action d e T y ch é , d ans ces v . 3-5, s ’exerce d ans d ivers dom aines d on t la su ccession tra d u it un m ou vem en t de l ’extérieur — la n a v i­ga tion , les guerres — vers l ’in térieu r — les assem b lées où la réflexion s ’im p ose : βουλαφόροι, V. 5®; et ce son t p récisém en t des réa lités p sy ­ch o log iq u es q ue le secon d v o le t du ta b le a u (v. 5-6) est chargé d ’é v o ­quer : le th è m e de l ’espérance. Ic i encore la fusion des d eu x registres, lit té r a l et figuré, est n o ta b le , et p lus encore l ’am pleur de la réflex ion ; car, s i la p résen ce du v a issea u s ’y exp liq u e en prem ier lieu par le sou ven ir du V oyage d ’ex il d ’E rgoté lès, d e C rète en S icile, ce n ’est là q u ’un p o in t de d ép art pour u n e im ag in ation p ortée à généraliser et tou jou rs p ro m p te à saisir derrière l ’ob jet l ’im m en sité de ses p o s­sib ilités sym b oliq u es : le n a v ire d ’E rgoté lès d ev ien t le v a issea u des espéran ces h u m ain es e t le v o y a g e d ’ex il la traversée de la vie®.

1. Voir p. 131 ss.2. Voir D. E. Gerber, The idea o f Fate in the poetry o f Pindar, p. 157.3. Voir K. H. Kaiser, p. 54 ; pour Platon, Lois 961 E, voir p. 305, n. 7 ; pour

les deux passages de Ménandre et d’Épicharme, p. 137 s. et p. 140 ; pour σφζειν dans un contexte marin mais sans référence au pilote, voir Phil., frg. 28 E, 8 ; frg. 213 B, 4 ; ajoutons que Pindare appelle Médée ναι σώτειραν Άργοϊ [01. X III 54) et que chez Sophocle,(.4rei. 189, voir p. 118) σφζειν est appliqué au vaisseau, au lieu de l’être au pilote ; voir sur ce point K. H. Kaiser, loc. cit. ; R. F. Goheen, p. 45, n. 17.

4. Le masculin σωτήρ indique dans le texte d’Eschyle qu’on s ’y trouve à mi- chemin entre la Τύχα σώτειρα de Pindare et l’abstrait τύχη τω σωτηρι de Sophocle {Œd. roi 80-81). Voir E. G. Berry, p. 21 ; sur τυχεϊν σωτηρίας (Eschl., Cho. 203), voir p. 288. Sur ce que la littérature chrétienne doit à l’image de la divinité assise à la barre, voir G. Bonner, p. 64 ss.

5. Voir sur ce point O. Becker, Pindars Olympische Ode vom Glück, p. 40 ss.6. Voir A. Lesky, p. 209 ; H. Strohm, p. 17 ; O. Becker, Dos B ild des Weges,

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Toutefois, la rupture est ne tte avec ce qui précède : elle est con­sacrée par le γε du v. 5, qui suggère qu’en dépit de l’influence parfois salutaire, mais toujours réfléchie, de Tyché sur la destinée de l’hom me’·, la vie intérieure de celui-ci n ’est que désordre et instabilité.

Deux termes ont ici pour fonction de dépeindre en mouvement le vaisseau des espérances : τάμνοισαι, qui évoque la proue fendant la surface de la mer®, et κυλίνδονται, qui corrige cette idée d’élan, de progression, en suggérant la violence des vagues qui le soulèvent, puis l’abaissent®; entre κυβερνωνται (v. 3) et κυλίνδονται (v. 6), il y a tou te la différence qui sépare l’activité réfléchie du pilote de l’agitation désordonnée d ’un navire livré à lui-même*. Le verbe κυλίνδεβθαο, qui décrit souvent le mouvement des vagues — Hom., I l X I 307 ; Od. V 296 ; IX 147 ; XIV 315 ; Aie., frg. 46 a D, 2 ; Pind., Isthm. I I I 19® —-et par contre-coup celui du navire qu’elles animent —’Comme c’est le cas ici — ou du nageur qui s’y trouve plongé (Théogn. 619)®, est plus généralement employé par Pindare pour traduire l’irrégularité et la force destructrice des éléments naturels (Pytk. I 24 ; IV 209), et exprime parfois aussi chez lui une idée de néant et d ’ab­surdité {Pyth. I I 23)’ ; on doit ten ir compte de toutes ces nuances pour apprécier la valeur du term e dans la XII® Olympique : car ce que le poète a voulu y souligner, c’est non seulement la violence désordonnée du sentiment, mais aussi sa stérilité. Κυλίνδεσθαι reçoit à cet effet l’appui de to u t son contexte : car ce qui contribue à sug­gérer l’instabUité et l’incertitude aveugle des espérances, c’est aussi

p. 99. On a déjà vu une semblable utilisation du voyage de Damophile [Pyth. IV 292, p. 56 s.) et d’Agésias [01. VI 101-102, 103-104, p. 62 ss.).

1. J. Sandys, p. 120, a bien défini cette valeur du mot de liaison.2. Voir Bacchyl., Dithyr. XVII 4 : Κρητικών τάμνε πέλαγος; cf. aussi Pind.,

Pyth. III 68 : Ίονίαν ΐάμνων θάλασσαν.3. H. Strohm, p. 17, parle des « chaotische Rollen der Meereswogen ». W. J. Ver-

denius (ΑΝΩ Κ Α Ι ΚΑΤΩ, Mnem., ί s., 17,1964, p. 387) estime que κυλίνδεσθαι ne se réfère pas à un mouvement de montée et de descente, mais à un mouvement horizontal, et qu’en conséquence et κάτω (v. 5) doivent être traduits non pas par « de haut en has », mais par « de ci de là » ; mais les exemples qu’il cite à l’appui sont le plus souvent sans valeur pour notre texte ; en outre, le mouvement de montée et de descente est trop familier au lyrique dans l’expression du thème des variations de la destinée pour qu’il ne le traduise pas ici encore. Yo\v Pyth. II 89 : [θεός] δς άνέχει, τότε μέν τά κείνων κτλ. VIII 92-93 : έν δ’ όλίγφ βροτών | τό τερττνόν αΰξεται · οΰΐτω δέ καΐ πίτνει, χάμαι κτλ. ; Voir sür ce point G. Frener, p. 84, n. 16.

4. Voir, sur cette opposition, M. F. Galiano, p. 302 ; E. Thummer, Die Reli- giositàt Pindars, p. 92 et n. 3.

5. Sur κυλίνδεσθαι, pour qualifier le mouvement de la vague, voir p. 196 s.6. Voir p. 265, n. 2 ; ou encore des objets qu’elles roulent : Hom., Od. I 162 ;

Soph., A nt. 590 lyr. (voir p. 265).7. Sur cette valeur de κυλίνδεσθαι, voir H. Strohm, p. 17, n. 6.

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l ’irrégularité rythm ique des V. 5 - 6 le prodigieux écart entre l ’ar­ticle (al ; V. 5) et le nom qu’il détermine (ελπίδες : v. 6)^, l’emploi de μεταμώνια enfin, qui tradu it la vanité des illusions, et que Pin- dare a sans doute possible senti dans ses rapports étymologiques avec άνεμος ; cette présence du vent complète mais en même temps éclaire le tableau de la mer en mouvement * : c’est le vent, symbole de l ’instable, de l ’ülusoire®, qui règne en m aître sur le coeur et l ’exis­tence des mortels.

Chez Sophocle, c’est également sur l ’arrière-plan d ’une mer hou­leuse que s’exprime le thèm e pessimiste de l’incertitude des espé­rances — Ant. 615-617 lyr. : ά γάρ 8ή πολύπλαγκτος έλ|πίς πολλοϊς μέν δνασις άνδρών, ] πολλοϊς δ’ άπάτα κουφονόων ερώτων — représentées ici encore comme des vaisseaux ballottés par les vagues, le ά πολύ- πλαγκτος έλπίς (v. 615-616) du tragique étant l’équivalent du a l... κυλίνδοντ’ ελπίδες (v. 5-6) de la X I P Olympique^', c’est aussi à la vision de la XII® Olympique que nous ramène ce passage d’un sta- simon d'Oreste où Euripide a exprimé par une image maritime ses croyances dans l’instabilité des choses humaines, v. 340-345 ; ό μέ-γας ολβος ού μόνιμος έν βροτοϊς, | κατολοφύρομαι κατολοφύρομαι · | άνά δέ λαϊφος ώς | τις άκατου θοδς τινάξας δαίμων | κατεκλυσεν δεινών πόνων ώς πόντου | λάβροις όλεθρίοιεην έν κύμασιν ; même présence, ici et là, du navire [Or. 3 4 3 ; άκατου θοδς ; 01. X II 3 -4 : θοαΐ νδες) sur la mer {Or. 3 4 4 : πόντου ; 01. X II 3 : έν πόντω) en proie aux vagues (Or. 3 4 5 : κύμαβιν ; 01. X II 6 : κυλίνδονται) ; et c’est d’une hardiesse toute « pindarique » (jue témoigne le tragique dans sa façon de dépeindre les bouleversements de la destinée, qve ce soit par la brutalité de la tmèse des v. 3 4 2 -3 4 3 — άνά... | . .. τινάξας ·—■ ou par la distance qui, dans ce même v,. 3 4 3 , sépare τις de son substantif δαίμων

1. Pour une analyse du rythme de ces vers, voir G. Norwood, Pindar, p. 106, p. 242, n. 24.

2. De ce phénomène la poésie de Pindare offre peu d’exemples ; de tels écarts se rencontrent en général au cours d’invocations dans lesquelles le poète fait attendre longuement le verbe qui exprime la faveur demandée aux dieux ou aux hommes : ainsi κόμισον [01. II 13-17) ; δέξαι [Pyth. XII 1-8), etc.

3. Voir 0 . Becker, Pindars Olympische Ode vont Glüek, p. 45 ; schol. 8 (DR I, p. 351) : μεταμώνια · άντί τοϋ μετέωρα αιρόμενα.

4. Certains y voient une influence d’Héraclite ; ainsi K. H. Kaiser, p. 37 .5. Voir p. 191 ss.6. Cette valeur maritime de l’expression de Sophocle est confirmée par la

présence symbolique de la mer dans la première strophe de ce stasimon (v. 582- 593 ; voir p. 265 ss.) ; R. F. Goheen (p. 44, n. 15) a été le premier à suggérer ce rapprochement entre Sophocle et Pindare ; sur la valeur négative de έλπίς dans ce passage, et la contradiction entre l’espoir et la prévoyance, voir S. C. Shucard, p. 96 S;, p. 109, n. 81. Pour πολύπλαγκτος, voir Eur., H yps., frg. 63 BD, 7-8 : νεώς... [ πλαγκτης.

7. Sur l’image des vagues (v. 345), voir p. 267 s. ; sur λαϊφος (v. 342), voir p. 49 ; sur δκατος (v. 343), voir p. 33 s.

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Les V. 5-6 de la XII® Olympique supposent donc une -vision rela­tivem ent pessimiste d.e la condition humaine : même si l’on y perçoit parfois l’influence favorable de la divinité, l’existence de l ’homme reste dominée par des forces qui l ’égarent, dans son propre cœur comme au-dessus de lui ; l’une de ces puissances trompeuses est ici celle de l’espérance, étroitem ent associée à celle de l’illusion, de l’aVeuglement — v. 6 ; ψεύδη ; une autre, l’ignorance où les dieux tiennent les hommes de leur avenir. De ce point de vue, l ’idée d ’in- certitud.e qui se dégage de l ’évocation du voyage (v. 5-6) est encore aggravée par les considérations générales sur la destinée des v. 7-9 :σύμβολον 8’ οΰ πώ τις έπιχθονίων | πιστόν άμφί πράξιος έσσομένας εύρ|εν θεόθεν · I των 8έ μελλόντων τετύφλωνται φρα8αί, « et jam ais un mortel ri’a encore obtenu des dieux de signe certain concernant des événements futurs : nos pensées d ’avenir sont aveugles ». On songe évidemment à la fin de la XI® Néméenne (v. 43-47)^, où s’expriment les mêmes conceptions, et en termes analogues : dans les deux od.es en effet l’espérance est dénoncée comme une force essentiellement négative, cause éternelle d ’aveuglement — Ném. X I 46 : άναιδεΐ | έλπίδι ;01. X II 5-6 : ψεύδη, έλπίδες ; de plus, la divinité laisse l’homme dans l’ignorance de ce qui l ’a ttend — Ném. X I 43 et 01. X II 7-8 : σαφές...τέκμαρ — σύμβολον... πιστόν ; έκ Διός — θεόθεν; άνθρώποις — έπιχθο- νίων ; la conclusion ne peut être, dans ces conditions, qu’un véri­table aveu d’impuissance, semblable jusque dans son rythm e et la sonorité de ses finales® : Ném. X I 47 : προμαθείας δ’ άπόκεινται ροαί^; 01. X II 9 : των δέ μελλόντων τετύφλωνται φραδαί. Sur le plan de l’ex- pression, enfin, la philosophie de Pindare est liée dans les deux odes à une évocation maritime, et plus précisément à l’image du voyage : la XI® Néméenne suggère les raisons qui ont incité les passagers de la vie à l ’entreprendre®, la XII® Olympique souligne l’incertitude de son déroulement.

Ce voyage, un poème de jeunesse, le V® Éloge, le dépeint également, qui décrit des convives « nageant », sous l’empire de l’ivresse, « vers une rive mensongère », v. 7 : πάντες νέομεν ψευδή πρός άκτάν ® ; le voyage n ’est plus considéré ici dans son point de départ (XI® N é­méenne) n i dans son parcours (XII® Olympique), mais dans son but ; άκτάν. Cependant, l ’idée d ’aveuglement y a une importance tou t aussi considérable, et ψευδή πρός άκτάν répond exactement au ψεύδη

1. Ce δέ (v. 7), bien loin de traduire une opposition avec le μέν du v. 5, ne fait au contraire que le renforcer.

2. Voir p. 41 ss.3. Voir à ce propos W. Stockert, p. 83.4. Pour ροαί, voir p. 256 s.5. Sur le thème de l’ambition et l ’image de l’embarquement (v. 44), voir p. 41 ss.6. Sur les v. 6-7, voir p. 225 ss.

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τάμνοισαι de 01. X II 5-6 ; ces répétitions, ces échos dans trois poèmes d ’époque et de caractère fort différents m ontrent bien les liens pro­fonds et durables qui unissent chez le lyrique le thèm e de l’illusion et l ’image du voyage sur mer^.

Une analyse du début de la XII^ Olympique ne serait pas complète sans ime étude du rôle que joue Tyché aux yeux du poète en tan t qu’abstraction personnifiée et, en conséquence, de la conception qu’il se fait du destin.

Incapable de concevoir des idées abstraites, Pindare recourt vo­lontiers, pour se les rendre plus accessibles, à. la divinisation de no­tions telles que Justice, Vertu, Loi, Fortune, e tc ...^ ; mais il ne se contente pas d ’une simple transposition : chez lui elles acquièrent une réalité, une « épaisseur » quasi humaines, et se trouvent douées d ’une vie intense ; leur existence, en fait, se confond proprement avec leur action, comme le note justem ent H. Frânkel : « Ihr Dasein erschopft sich fast vollig in ihrem Wirken^ » ; dans la XII® Olympique, Tyché gouverne ; Hésychia, dans la VIII® Pythique, précipite l’inso­lence dans les flots (v. 10-11)^. Grâce à, cette création de figures « neither wholly human nor wholly divine^ », on aboutit à la vision d ’un monde sans rupture entre les hommes et les dieux, où les abs­tractions divinisées constituent au tan t de puissances intermédiaires ; les hommes demeurent entièrement soumis à, leur action, et celle-ci reste de son côté déterminée par la volonté des dieux. La période archaïque, de fait, place l ’homme sous l’étroite dépendance de la divinité, et la fréquence avec laquelle se tradu it cette conception chez Pindare en est tou t à fait représentative : tou t se produit, à, ses yeux, τύχ( θαίμονος® {01. V III 66), κατά δαίμονα (01. IX 29), έκ

1. Voir à ce propos O. Becker, Das B ild des Weges, p. 98 s. La III® Pythique relie elle aussi le thème de l’espérance à l’idée de vaaité ; v. 21-23 : έ'στι 8έ φϋλον έν άνθρώ|ποισι ματαιότατον, | οοίτις αισχύνων επιχώρια παπταίνει τά π6ρσω, 1 μεταμώνια θηρεύων άκράντοις έλπίσιν.

2. Voir A. L. Keith, p. 86 ss. ; C. M. Bowra, Pindar, p. 85, p. 104 ; L. R. Far- nell, A critical commentary to the works o f Pindar, p. 467 ; F. Dornseiff, Pindars Stil, p. 51 ; W. Theiler, p. 262 ss. ; E. Thummer, Die Religiositat Pindars, p. 42. Cette pratique n ’est d’ailleurs pas propre à Pindare : voir K. H. Kaiser, p. 30 ; sur les abstractions personnifiées chez Bacchylide (cf. Ode X III 183-186, p. 137), voir E. D. Townsend, p. 130 ss.

3. Ή. Frânkel, Pindars Religion [Die Antike, 3, 1927), p. 59; voir aussi p. 62 et également G. Rudberg, Z u Pindaros’ Religion [Eranos, 43, 1945), p. 328;H. Meyer, Hymnische Stilelemente in der friihgriechischen Dichtung (Diss. Koln, 1933), p. 58.

4. Voir p. 220 ss.5. La formule est de E. L. Bundy, à propos de Hésychia [Hésychia in Pindar,

p. 142) ; sur cette place dans le monde des abstractions divinisées, voir aussi E. G. Berry, p. 14 ; L. Petersen, Zur Geschichte der Personifikation in griechischer Dichtung und bildender K unst (Würzburg, 1939), p. 29.

6. τύχι? est ici purement abstrait, contrairement à la Τύχα de 01. XII 2 ; dire.

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θεοϋ {01. X I 10), έκ θεών {Pyth. I 41) ; to u t dépend de la divinité, non des hommes : Pyth. V III 76 ; τά S’ ούκ hz άνδράσι κεϊ|τ«ι, δαίμων δέ παρίσχει ; ce sont les dieux qui favorisent l’accomplissement de toutes choses {01. V III 14 : πολλαΐ 8’ δδοί | σύν θεοϊς εύπραγίας ; Pyth. IX 67-68 : ώκεϊα δ’ έττει,γομένων ^δη θεών | πρδξις δδοί τε βρα- χεϊαι)^ en les conduisant du commencement à la fin, selon leur es­pérance : Pyth. X 10-11 : γλυκύ S’ ανθρώπων τέλος άρ(χά τε δαίμονας ορνύντος αΰξεται ; 01. X III 82 : τελεϊ δε θεών δύναμις ; 104 : έν θεφ γε μέν I τέλος ; Ném. X 30 : [Ζεϋ πάτερ] παν δέ τέλος | έν τίν έργων ; Pyth. II 49 : θεός άπαν έπΙ έλπίδεσσι τέκμαρ άνύεται.. E t si la présence d ’un θεάς επίτροπος {01. I 106) peut être un réconfort pour l ’homme, mieux vaut pour lui ne pas entrer en conflit avec les forces qui le dom iaent : Pyth. II 88 : χρή δέ | πρός θεον ούκ έρίζειν^.

Dans cette perspective générale de l’action que les dieux exercent en tou te lucidité sur l’ensemble des hommes, l’intervention de Tyché s’éclaire d ’un jour nouveau : pour Pindare, le destin, qu’il affecte les individus ou les communautés®, n ’est pas une force inconstante et aveugle, mais au contraire un pouvoir réfléchi et conscient, ten ­dant à un but déterminé*. Cette puissance souveraine, comme celle des dieux eux-mêmes, dont elle émane, n ’est pas délibérément hos­tile, loin de là,® : elle renferme en elle to u t ce qui peut échoir à l’homme d ’heureux comme de malheureux, elle est, pour reprendre l ’expres­sion de H. Frânkel, « Unglück, und Glück, und mehr Glück^ »; sans

dans ces conditions, que le début de la XII® Olympique signifie seulement qu’Er- gotélès a triomphé τύχο; θεού, ou τύχα Ζηνός (voir D. E. Gerber, The idea of Fate in the poetry o f Pindar, p. 232, n. 301), revient à y passer sous silence l ’élément proprement imagé.

1. Sur l’image de la route, voir p. 24 ss.2. Sur cette soumission de l ’homme aux dieux, voir H. Strohm, p. 21 ss. ;

E. G. Berry, p. 14 ; D. E. Gerber, The idea o f Fate in the poetry o f Pindar, p. 154 ss. ;B. Thummer, Die Religiositat Pindars, p. 91 ss. ; G. Norwood, Pindar, p. 59 ;C. M. Bowra, Pindar, p. 87.

3. Ce double aspect a été souligné par H. Frânkel, Pindars Religion, p. 61 ; dans la XII® Olympique, Tyché gouverne le sort et d’Himère et d’Brgotélès.

4. Voir E. Thummer, b ie Religiositat Pindars, p. 92, p. 93 s. ; L. Petersen, p. 28 ; E. Werba, Die Rolle und Bedeutung des Sàngers bei Homer, Hesiod und Pindar p is s . Wien, 1940), p. 98.

5. Voir E. G. Berry, p. 16 ; D. E. Gerber, The idea o f Fate in the poetry o f P in ­dar, p. 209.

6. H. Frânkel, Dichtung und Philosophie des frühen Griechentums, p. 557 ; sur cette ambiguïté du destin chez Pindare, voir aussi D. E. Gerber, The idea o f Fate in the poetry o f Pindar, p. 157 ; E. Thummer, Die Religiositat Pindars p. 93 s. ; la définition que donne ce dernier de Tyché [Pindar. Die Isthmischen Gediehte I, p. 71) — « der Gottin des Sehicksals und des Glücks » — est moins satisfaisante. Précisons enfin que la divinisation de Tyché n’implique nullement qu’elle ait eu un culte à Himère — voir U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 306;H. Strohm, p. 36, n. 23 ; E. G. Berry, p. 15 ; D. E. Gerber, The idea o f Fate in the poetry o f Pindar, p. 155 ; K, Ziegler, Tyche {RE VII 2), 1691.

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doute cette succession de prospérités et d ’épreuves demeure-t-elle arbitraire aux yeux de l’homme^, mais il est vain pour Pindare d ’y chercher une explication : à, bord du Vaisseau des destinées, l’équi­page reste soumis à, cette mystérieuse loi d ’alternance, dont il subit les effets, mais qu’il est condamné à, ne jamais comprendre.

Le verbe κυβερνάν, réservé pour les hommes au gouvernement des aristocrates^, qualifiant dans la XII® Olympique l’autorité de Ty- ché, puissance divinisée, trouve sa consécration suprême dans l ’évo­cation du pouvoir des dieux®; déjà, l’image du « dieu-pilote » est suggérée à, la fin de la VI® Olympique dans la prière adressée à Po­séidon pour qu’il accorde à Agésias « une navigation qui le mène droit loin des épreuves », V. 103-104 : εύ|θύν 8έ πλόον καμάτων I έκτος έόντα δίδοι^; elle figure aussi aux derniers vers de la VIII® Pythique —■ quoique aucun term e technique ne l’y exprime véritablement —■ dans l’invocation à Égine, divinité éponyme de l’ile et de la cité®.

Αίγινα φίλα μδτερ, έλευθέρφ στόλφ ττόλιν τάνδε κόμιζε.

V. 98.

« Égine, mère chérie, jais que cette ville puisse à Vavenir voguer libre­ment. »

La divinité est ici conçue, ainsi que Poséidon daiis la VI® Olym­pique, comme un pilote dont l ’action bienveillante doit assurer à qui il protège une heureuse navigation au cours du voyage de la vie. L ’image m aritime est moins apparente dans la VIII® Pythique, puisque au lieu de πλόον {01. VI 104) c’est seulement στόλφ ® qui l’in­dique ; on peut néanmoins l’adm ettre sans difficulté ’’, compte tenu de l’idée de tra je t sur mer qu’exprime souvent στέλλειν — c’est le cas dans la métaphore nautique de 01. X II I 49, où Pindare appa­raît comme un navire faisant route isolément : ϊδιος έν κοινφ στα­λείς® — et eu égard aux étonnantes ressemblances formelles que présentent les derniers vers de la VIII® Pythique avec les v. 103-104 de la VI® Olympique, où l’image n ’est pas douteuse®. D’autre part, le caractère dram atique des événements contemporains de la VIII® P y­thique justifiait sans aucun doute que Pindare présentât l ’interven-

1. Voir H. Bischoff, p. 111.2. Voir p. 110 ss.3. Voir E. Thummer, Die Religiositat Pindars, p. 92, n. 3.4. Voir p. 64 ss.5. Voir sur ce point H. Meyer, p. 57.6. Sur στόλος au sens de « proue » {Pyth. II 62), voir p. 39 s.7. Voir G. Fraccaroli, p. 463, a. 1.8. Voir p. 36 s.9. Sur la parenté des deux passages, voir p. 65 s.

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tion d’Égine dans les destinées de sa cité comme celle d’un pilote atten tif à, sa sauvegarde^ : 446 m arquait peut-être pour l ’île la fin d ’une longue période d ’humiliation, qui avait débuté en 457, quand Thèbes avait été battue par Athènes à, Œ nophyta^ ; dix ans plus ta rd Athènes à, son tour était défaite à, Coronée^, et la paix conclue en 446 avec Sparte pouvait faire naître au cœur des Éginètes l ’es­poir de recouvrer leur liberté*; de là, sans doute cette note d ’espé­rance qui se perçoit parfois à la fin de la VIII® Pythique —· d ’une tristesse par aüleurs si poignante — et dans la prière adressée ici à ËgÎQe®. Mais le vœ u même a quelque chose de dérisoire : cette île pour laquelle il a toujours eu une prédilection, « il Vavait connue maîtresse incontestée de la mer et maintenant c’est pour sa liberté qu'il en est réduit à prier les dieux^ ! »; dans cette vision où l ’on peut sen­tir , comme aux v. 26-27^, un souvenir ému de l’époque glorieuse où sa flotte sillonnait le golfe Saronique, c’est encore la mélancolie et l’incertitude qui dominent : la vigilance d ’Ëgine n ’est pas seule requise pour assurer, en cette époque troublée, la liberté de sa cité ; il y faut aussi celle de ses héros et de Zeus : v. 99-100 : Δί | καΐ κρέοντι ούν ΑΙακφ | Πηλεϊ τε κάγαθφ Τελαμώνι βύν τ’ Άχιλλεϊ® ; en d’autres termes, elle doit compter pour survivre sur la protection d ’Hésychia, in­carnation de la volonté de Zeus®.

C’est, de fait, le pouvoir de Zeus lui-même qu’évoque l’image du pilote dans la V® Pythique ; située encore à l’extrême fin du poème, elle en tire une semblable solennité.

Διός TOI νόος μέγας κυβερν^Βαίμον’ άνδρών φίλων.

V. 122.

« le vaste esprit de Zeus gouverne le destin des hommes qui lui sont chers ».

Il est fait allusion dans la IV® Pythique au rôle de pilote que peut,

1. Sur les événements qui ont pu déterminer l’image du pilote dans 01. VI 103-104, voip p. 63.

2. Voir G. Gaspar, p. 161.3. Voir G. Gaspar, p. 165 ; U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 439 ; O. Schroder,

Proben einer Pindarinterpretation [Jakresb. d. Philol. Vereins, 44, 1918), p. 191.4. Voir G. Gaspar, p. 166 s. ; É. des Places, Pindare et Platon (Paris, 1949),

p. 34 ; G. M. Bowra-H. T. Wade-Gery, Pindar’s Pythian Odes, p. 143 s. ; J. Nemec, Pindar. Pythia V I I I (Eos, 45, 1951), p. 33, p. 38 s.

5. Sur le thème de l’espérance dans la V ille Pythique, voir H. Gundert, Der alte Pindar, p. 9, p. 13.

6. G. Gaspar, p. 169.7. Voir p. 126.8. Cette énumération contredit l’opinion de 0 . Schrôder {loe. cit.), selon qui

Pindare s’adresse moins à la divinité qu’aux citoyens d’Égine.9. Sur l’invocation à Hésychia des v. 1 ss., voir p. 220 ss.

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le cas échéant, jouer un dieu auprès des dirigeants d’une cité, v. 274 : θεός... κυβερνατήρ ; de même, au début de la V® Pythique, c’est avec l’aide d ’un dieu (v. 5, V. 13) qu’Arcésilas a calmé la « tem pête » à Gyrène^. L’image du « dieu-pilote » se situe ici dans cette lignée, mais avec ime acception plus vaste : ce n ’est plus seulement la cité qu’il gouverne, mais le destin®. Δαίμων y désigne le sort personnel de l’homme tou t entier situé entre les mains de la divinité, et l’image suppose donc une triple identification : celle de Zeus à un pilote, celle du destin à, un vaisseau, celle de l’homme à un passager^, la transition de κυβέρνα à, δαίμονα puis à άνδρων traduisant ici une croyance en la toute-puissance des dieux sur l’humanité® qui s’ex­prime dans la XII® Olympique par une semblable dégression de κυβερνώνται (v. 3) à άνδρών (v. 5). L’image d ’un Zeus gouvernant le destin des hommes est à, rapprocher, par ailleurs, de celle où le même dieu « dirige favorablement le vent du destin de Xénophon » : 01. X III 28 : Ξενοφώντος εδθυνε δαίμονος οδρον®.

Toutefois, les significations de δαίμων sont d’une telle am pleur’ que le term e se prête à des variations considérables dans le domaine du symbole : si le δαίμων en ta n t que destin apparaît dans l’exemple qui précède à, l’image d ’un Vaisseau soumis à l ’autorité de Zeus®, le δαίμων en ta n t que divinité est ailleurs représenté par la métaphore du pilote, que ce soit chez Parménide — frg. 12 DK, 3 : έν δέ μέσφ τούτων δαίμων ή πάντα κυβερνήί —■ 0U les tragiques : ainsi Eschl., Ag. 182- 183 lyr. : δαιμόνων... I σέλμα σεμνάν ήμένων®; Soph., frg. 314 P, 73 : θεοί Τύχη [κ]αΙ δαϊμον ίθυντήριε — δαίμων étant mis sur le même plan que Τύχηΐ®. Cette présentation du δαίμων relève en fait de l’image plus vaste du dieu au gouvernail, bien connue de la tragédie’· , notam ment

1. Voir p. 114 s., p. 300 ss.2. Voir à ce propos K. H. Kaiser, p. 39 ; άνδρών φίλων peut être considéré comme

un véritable pluriel, ou comme un pluriel « allusif » désignaat ici encore Arcésilas.3. Cette idée est peut-être d’origine pythagoricienne ou orphique. Voir A. Croi-

set, p. 189, n. 1, p. 194 ; C. M. Bowra, Pindar, p. 89 ; mais on ne doit pas, avec Γ». E. Gerber (The idea o f Fate in the poetry o f Pindar, p. 104), traduire δαίμων par « spirit ». « Daimon », remarque-t-il {loc. cit.), « is moving close to the « self », to the belief that man's ήθος is his daimon ». Voir aussi p. 120 ; c’est là, en fait, une conception propre à la philosophie et à la sophistique : Pindare quant à lui voit les choses de façon beaucoup plus « extérieure », et moins intellectuelle : voir H. Strohm, p. 49 ss. ; H. Frankel, Pindars Religion, p. 56 s.

4. Voir sur ce point K. H. Kaiser, p. 39.5. Voir H. G. Gerhardt, p. 63 ; E. Thummer, Die Religiositat Pindars, p. 97 s.6. Voir p. 185 s.7. Voir à ce propos G. M. Bowra, Pindar, p. 174 s.8. Ou, parfois, à l’image d’un vent, voir p. 185 s.9. οέλμα (v. 183) est un synonyme de ζυγόν (voir p. 120). Hésychius : σέλματα ·

τά ζυγά της νεώς.10. Voir aussi Anaxandr., frg. 4 B, 5-6 : τόν γάρ οϊακα στρέφει | δαίμων έκάστφ.11. Cf. trag. frg. anon. 39 N : ίφορος οίάκων.

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d ’Eschyle qui, pour évoquer ce pouvoir, choisit, de préférence au term e courant κυβερνήτης, des composés rares du type οίακονόμος ou οίακοστρόφος’ , qui étaient peut-être des néologismes^ : dans Pro- méthée οίακονόμος tradu it l’idée du pouvoir autoritaire et encore rude de Zeus, nouveau pilote de l’Oiympe ; y . 149 lyr. ; νέοι γάρ οΐα|κονόμοι κρατοϋσ’ Όλύμπου®; et dans un registre plus abstrait, proche en somme de la philosophie présocratique, οίακοβτρόφος y exprime l’empire des Moires et des Érinnyes sur le destia : V. 515 : τίς oùv ανάγκης έστΐν οίακοστρόφος ; Agamemnon eûfin présente une évocation de Diké gouvernant tou te chose jusqu’à son term e, qui préfigure le tableau du naufrage des v. 1007-1014® : v. 781 lyr. : παν S’ έπΙ τέρμα νωμα (s. e. Δίκα)®. Sophocle quant à lui tradu it par l’image du pilote l’autorité souveraine d ’Athéna sur Ulysse : A /. 35 : ση κυβερνώμαι χερί ; mais alors que Ja divinité apparaît, dans les textes précédents, gouvernant des communautés ou la destinée de l’hum anité entière’, ici pour la première fois c’est un homme seul qui représente le Vaisseau sur lequel s’exerce son pouvoir®.

Si l’existence humaine est régie par différentes catégories de « pi­lotes » ·—· hommes, abstractions douées d ’une vie propre, dieux véri­tables — les limites entre celles-ci sont cependant loin d ’être n e t­tem ent définies, et l’on se heurte ici à une difficulté d ’importance, en raison précisément de la nature de ces abstractions personnifiées : car, lorsqu’un poète parle du pouvoir d”Apετή ou de Δίκη, les conçoit-il comme des êtres divinisés ou comme des réalités psychologiques®?

1. Cf. Sept 62 (p. 115).2. Voir sur ce point K. H. Kaiser, p. 45 ; D. van Nés, p. 123.3. νέοι οίακονόμοι est un pluriel allusif : voir K. H. Kaiser, loc. cit. ; car en fait

c’est bien de Zeus (ju’il s’agit, v. 150 :νεόχμοις δέδήνόμοις Ζεύς | άθέτως κρατύνει une telle brutalité ne s’explique que par le manque d’expérience du « pilote » au contraire, Ag. 182-183 suggère un pouvoir qui n ’est ni violent ni aveugle voir là-dessus Ή. Pfeufer, p. 21 ; B. L. Hughes, p. 131 ; K. H. Kaiser, p. 51 J. A. Schuursma, De poetica vocabulorum abusione apud Aeschylum (Diss. Amster­dam, 1932), p. 15.

4. Voir K. Ή. Kaiser, p. 45.5. Voir p. 322 s. ; sur le rapport entre les deux passages, voir B. L. Hughes,

p. 126.6. On rapprochera νωμά de Sept 3 : οϊακα νωμών (voir p. 115).7. Voir aussi Hermod. frg. 1 PG, 4 : θεάς 8έ πάντας έν κινδύνοις θνατούς κυβερν^ ;

la seule exception apparente est 01. VI 103-104 (voir p. 64 ss.) ; mais s^u-delà d’Agésias Pindare y pense aussi à Syracuse.

8. Voir K. H. Kaiser, p. 52. L’image du « pilote divin » est fréquente chez Pla­ton : outre Criti. 109 G et Pol. 272 E — qui l’associent à celle du « vaisseau du m onde»— on peut citer Tim . 42 E, Banq. 186 E, 197 B, 197 E, Rép. 573 D, 590 D, Lois 709 B, 905 E, 906 E.

9. La question se poserait de la même façon pour Ant. I 13 : δίκη Sè κυβερνή- σειεν. ; de même ’Έρως est à la fois amour et dieu de l’amour dans les exemples du Banquet cités n. 8 et dans Rép. 573 D.

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Doit-on employer la majuscule ou la minuscule? L’image se situe-t-elle au-dessus de l’homme ou à, l’intérieur de l’homme^? Un tex te de Ménandre témoigne de cette ambiguïté fondamentale des termes : frg. 482 E, 2-5 : άλλ’ ô -της τύχης | — εϊτ’ έ(ϊτΙ τοϋτο τηιεϋμα θεϊον είτε νους •—- I τοϋτ’ έστί [τάνθρώπων] τό κυβερνών καΐ στρέφον | καΐ σφζον ·, et l’on perçoit clairement, dans cette définition de Τύχη, l’hésitation (v. 3 : εϊτε... είτε) entre une localisation externe (πνεϋμα θεϊον) et interne (νοΰς). Cette équivoque est encore aggravée par l’aisance avec laquelle les Grecs m ettent sur le même plan des termes qui se situent pour nous à des niveaux de signification bien différents : dans Rép. 590 D, les compléments de κυβερνώμενον sont θείου et φρονίμου ; daiis Lois 705 B, θεός, τύχη et καιρός sont évoqués con­jointem ent comme gouvernants des affaires humaines.

C’est là, tm problème assez grave qui, indépendamment de la propension de chaque écrivain à s’exprimer p lutôt en images ou p lutôt en concepts^, ne peut être résolu de façon satisfaisante que par référence au contexte, à la réalité gouvernée ; quand Bacchylide fait d ”Apετά le pilote de la cité — Ode X III, v. 183-186 : [Άρετά]...σύν Εύ|κλείο! Sè φιλοστεφ[άν(ρ | πόλιν κυβερν , | Ευνομία τε σαόφρων — οη peut adm ettre qu’il la voit sous l’aspect de la diviaité®; mais lorsque Pindare (frg. 91)* montre Ελπίς gouvernant l’esprit de l’homme, il songe à, l’espérance non seulement en ta n t que force divine, mais aussi en tan t que sentiment.

Il y a donc lieu d ’envisager la métaphore du pilote sous un tro i­sième aspect : celui du « pilote intérieur ».

Le « PILOTE IN T É R IE U R ))

Dans le fragment 91 de Pindare est évoquée la toute-puissance d ”EXniç sur les hommes.

’Ελπίς, â μάλιβτα θνα- τών πολύβτροφον γνώ- μαν κυβερνά.

V. 4-6.

« L'Espérance^ qui gouverne souverainement Vesprit inconstant des mor­tels. »

1. Sur ces difficultés, voir G. Rudberg, p. 329; K. H. Kaiser, p. 32; E. L. Bundy, Hesychia in Pindar, p. 15 : « it is often difficult to decide whether a concept is personified or not ».

2. L’évolution chronologique y a également une certaine importance, car c’est avec le temps que la façon d’envisager ces questions s’intellectualise : on imagine mal Homère en proie aux perplexités de Ménandre.

3. Voir K. H. Kaiser, p. 42.4. Cité p. 137.

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Le term e im portant est ici πολύστροφον (v. 5), et ce à, un double titre . Apparenté à, βτρέφειν, il se rattache aux diverses expressions qui concernent le maniement du gouvernail, au οΐρέφοιβα πηδάλιον du frg. 40 SN^, à, 1’οϊακα (ίτρέφεϊ d ’Anaxandride (frg. 4 E, 5)^, à Γοίακο(ϊτρ6φος d ’Esch,yle {Pro. 515) ® : avant même que κυβερν? (v. 6) l ’exprime véritablement, l’image de l ’espérance-pilote est donc évi­dente dès l’emploi de πολύστροφον. L ’adjectif, en outre, en indiquant que l ’esprit peut se laisser séduire et trom per^, tradu it une idée de mobilité, d ’inconstance, qui nous ramène directement à, la m édita­tion désabusée de la XII® Olympique (v. 5-6)®; et si le détaü nau­tique a changé —· l’espérance, de vaisseau, étant devenue püote — le scepticisme est dans les deux cas aussi profond sur les aptitudes de l’homme à. connaître la vérité. L’espérance est sentie ici à, la fois comme un élément intérieur, solidaire du domaine spirituel où le sentiment est éprouvé, et — l’image elle-même l’indique —■ comme une réalité indépendante de l’esprit, et pour ainsi dire extérieure à lui®.

De cette ambivalence le lyrisme offre d’autres exemples, à, propos de notions telles que celles de Sagesse ou de Persuasion : ainsi Ar­chil., frg. 51 D (p. IV B, 21) : Σωφροσύνας οϊακα ; Gerc., frg. 2 a D, 6-7 :οδτο[ς] έν άτρεμίς: τάν ναϋν ’Έρωτος | σώφρονι πηδαλίφ Πειθοϋς κυβερνη 13 : οϊακι Πειθοϋς. Le même procédé reparaît chez Bacchylide dans l’invocation à, Glio de VOde X II, v. 1-3 : ώσεί κυβερνήτας «οφός, ύμ- νοάνασ] σ’ εΰθυνε Εϋλειοϊ | νϋν φρένας άμετέρας κτλ. ’ : car là, encore le rôle de Glio est double ; c’est à, la fois la déesse sous le patronage de laquelle il se place pour que, telle un pilote — l’image est exprimée deux fois, par la comparaison initiale et par la métaphore incluse dans εΰθυνε (v. 2)® — elle guide favorablement l’ode vers Égine, où celle-ci doit être célébrée®; mais elle représente en même temps le phénomène proprement intérieur de l’inspiration qui anime le poète’·®.

1. Voir p. 124.2. Voir p. 135, n. 10.3. Voir p. 136.4. Voir K. H. Kaiser, p. 32.5. Voir p. 127 ss.6. Sur cette manière d’extérioriser des éléments psychologiques, voir p. 173 ss.,

p. 183 s.7. Sur cette invocation, voir H. Meyer, p. 61 et n. 53 ; O. Falter, p. 47.8. Voir sur ce point K. H. Kaiser, p. 41 ; pour εόθύνειν, voir p. 119, n. 1.9. La fonction de Glio n’est donc pas tant religieuse — comme l’affirme K. H.

Kauser, îoc. cit. — que « professionnelle ».10. Chez Pindare, la Muse n ’est pas pilote, mais déesse du vent (p. 180 ss.) ;

toutefois, comme il s’agit dans chaque cas de maintenir le cap du « navire » dans une direction déterminée, son rôle est en définitive assez semblable chez les deux lyriques. Voir à ce propos G. Lieberg, p. 211, n. 13 bis.

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Ces divers exemples m ontrent bien le caractère équivoque, aux yeux des Grecs, de ces réalités que nous sentons comme exclusive­ment internes ; mais il est dans le lyrisme et la tragédie d ’autres cas où la métaphore du püote, évoquée en général dans ses deux élé­ments complémentaires — gouvernant et gouverné — appartient sans ambiguïté à ce domaine intérieur : lorsque c’est l’organe, et non plus le sentiment, qui se trouve évoqué, et que la représentation se fait non seulement psychologique mais physiologique ; et de même que l ’image du « roi-pilote » et du « dieu-pilote » exprime l’idée d ’un ordre, d ’une hiérarchie dans l’univers qui entoure l’homme, de même celle du « pilote intérieur » suggère de son côté une organisation dans cet univers qu’est l’homme.

Les détaüs de l’image sont fort divers : tan tô t l’homme lui-même gouverne son esprit, sa raison, ou s’en sert pour gouverner ce qui l ’entoure : Eschl., Ag. 8 0 2 lyr. : [ούδ’] εδ πραπίδων οϊακα νέμων ; BacchyL, Ode X IV 1 0 -1 1 : δς τά] πάρ χειράς κυβέρνα|βεν δι]καΕαισι. φρέ- νεσσιν ; tan tô t il gouverne — ou non — les sentiments que son cœur éprouve : Bacchyl., Dithyr. X V II 2 1 -2 3 : όσιον ούκέη τεδν | ic(ù κυβερνάς φρένων | θ[υμόν] ; tan tô t enfin c’est l’esprit qui gouverne le cœur : Eschl., Pers. 7 6 7 : φρένες γάρ aùtoG θυμόν φακοστρόφουν ; frg. 2 9 6 Μ, 1 3 -1 4 lyr. ; καΐ γάρ] σφιν εύθύν[ει μ]έν[ος | φρήν μελα]γχίτων. Mais, en dépit de ces variations de détaü, la notion essentielle de­meure la même : celle d ’uïie suprém atie de la réflexion sur l’impul­sion, de l’élément intellectuel, raisonnable, sur l’élément passionnel, le premier étant représenté par πραπίδων (Eschl., Ag. 8 0 2 ), φρένεσσιν (Bacchyl., Ode X IV 1 1 ), φρένες (Eschl., Pers. 7 6 7 ), φρήν (frg. 2 9 6 , 1 4 ), le second par φρενών et θυμόν (Bacchyl., Dithyr. XV II 2 2 -2 3 ) , θυμόν (Eschl., Pers. 76 7 ) et μένος (frg. 2 9 6 , 13 ).

Deux remarques s’imposent à, ce propos : on ne peut tou t d ’abord m anquer d ’être frappé par l ’évolution du sens de certains termes, tels que θυμός qui, désignant les sentiments dans Bacchyl., Dithyr. X V II 23, s’élargit pour évoquer dans Eschl., Pers. 767 le siège de ces sentiments ; le cas de φρένες est encore plus caractéristique, puisque le mot désigne successivement le siège des passions (Bacchyl., Dithyr. X V II 22) et celui de la réflexion (Bacchyl., Ode X IV 11 ; EscU., Pers. 767 ; frg. 296, 14) : des emplois aussi contradictoires ne s’expliquent que par l’ampleur d ’une évolution qui va d ’un sens purement physiologique à, un sens « émotif », puis proprement in­tellectuel®. D’autre part, la diversité des images est elle aussi no-

1. Sur la valeur de πραπίδες comme équivalent de φρένες, voir K. H. Kaiser, p. 50.

2. Sur cette extension du sens de θυμός, voir R. B. Onians, The origins o f European thought (Cambridge, 1951), p. 44 ss.

3. Voir à ce propos R. B. Onians, p. 24 ss.

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table ; dans certains cas, c’est l’homme qui apparaît comme un pi­lote : de sa raison (Eschl., Ag. 802), de ses sentiments (Bacchyl., Dithyr. X V II 23), ce qui conduit à. se représenter πραπίδων dans le premier cas, et θυμόν dans le second, comme les bateaux qu’il dirige’· ; ailleurs, encore pilote, il utilise pour cette tâche son esprit (Bacchyl., Ode X IV 11 ), et φρένεσσιν joue alors le rôle de gouvernail ; enfin, quand l ’esprit lui-même est pilote (Eschl., Pers. 767, frg. 296, 14), c’est le cœur — θυμόν ou μένος — qui occupe par rapport à, φρένες ou φρήν la position du bateau^.

Tous ces emplois de la métaphore du pilote sont abstraits : ils évoquent les préoccupations de la philosophie présocratique — Hé- racL, frg. 41 DK : είναι γάρ Sv το σοφόν, έπίστασθαι γνώμην, ότέη έκυβέρνησε πάντα διά πάντων ; de Platon, avec l ’image du voüç pilote — Phil. 28 D : voCv καΐ φρόνησίν τινα. . . διακυβερναν [τά σύμπαντα] ; Phèdr. 247 G : ψυχής κυβερνήτη μόνφ... νφ^ — et du « gouvernail de la pensée » — Clit. 408 B : τά ττηδάλια της διανοίας ; d ’Aristote — Probl. 964 B : κυβερνωμένης δέ της διανοίας ; celles de la Comédie également : Êpich., frg. 256 K : ô λόγος άνθρώπους κυβερν? κατά τρόπον (ϊφζει [τ’ άεί] ; Mén., frg. 1100 Ε : αν καλών ^χη τις βώμα καΐ ψυχήν κακήν, | καλήν ίχει ναϋν καΐ κυβερνήτην κακόν^. On ne Saurait en tou t cas retenir, dans ce domaine, un exemple d ’Eschyle parfois interprété comme supposant l’image du « pilote de la reconnaissance » gouvernant le cœur : Suppl. 989-990 ; εύπρυμνή φρενός I χάριν®; il vau t mieux lire

1. Le contexte joue peut-être ici un certain rôle ; car Agamemnon est aussi le pilote de la flotte grecque, et dans le Dithyrambe de Bacchylide l’expression vise Minos, dont les attaches avec la mer sont bien connues : voir K. H. Kai­ser, p. 42.

2. Sur ces difîérentes positions de φρένες et πραπίδες par rapport à l ’idée de gouverner, voir K. H. Kaiser, p. 49 s. (pour Eschyle) et p. 43 (pour Bacchylide) ; mais si les remarques de l’auteur sont justes pour la XII® (voir p. 138) et la XIV® Odes, φρένες y jouant respectivement le rôle de bateau (XII 3) et de gou­vernail (XIV 11), on ne peut les admettre pour le X Y l l^ Dithyrambe. K. H. Kai­ser estime en effet que l’idée d’un θυμόν dirigé ίσω φρένων (v. 22-23) implique l’image d’un bateau dirigé dans la mer ; φρένες en fait ne peut aucunement jouer ce rôle, et la locution n ’est qu’une variante de l’homérique ένΙ φρεσΙ θυμός (Od. XV 165, XVI 73, X X 38 ; II. VIII 202, X 232, X X I 386, X X IV 321, etc.). Κ. H. Kaiser le remarque lui-même (p. 41) sans paraître se rendre compte du caractère contra­dictoire de ses positions : car si l’expression de Bacchylide n’est qu’une reprise d’une locution aussi stéréotypée, elle exclut fatalement toute image : voir R. B. Onians, p. 40, n. 1. Sur θυμός conçu comme un, vent depuis l’épopée homérique, voir p. 170 ss. Sur l’emploi d’un vocabulaire épique dans toute cette partie du Dithyrambe, voir J. Stern, The structure o f Bacehylides' Ode 17 [Rev. belge Phil. Hist., 45, 1967), p. 44 ; sur l’image du pilote chez Bacchylide, voir aussi E. D. Townsend, p. 129 s.

3. Voir aussi Lois 861 E : νους σωτηρία πλοίων ',Ale. I I 147 A ; Rép. 573 D, 590 D, 591 E.

4. Voir aussi Antiphan., frg. 40 E, 8.5. K. H. Kaiser, p. 45 s.

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έκ πρύμνης φρενός e t com prendre « une reconnaissance qui vient du fond du cœur », l ’exp ression é ta n t l ’ex a c t sy n o n y m e de Ag. 805 lyr . :ούκ άπ’ ίίκρκς φρενός^.

A l’image du pilote et du gouvernail se rattache sans doute chez Pindare un passage de la VI® Néméenne :

τό 8è πάρ ποδί ναάς έλισ- βόμενον αίεΙ κυμάΐων

λέγεται παντί μάλιστα δονεϊν θυμόν

V. 55-56.

II est q u estion ic i d ’u n e v a g u e q u i rou le πάρ ποδί ναός (v . 55). Si la sign ifica tion d ’en sem b le d e ces vers n e fa it aucun d o u te et s i le sy m b o lism e d e la v a g u e se la isse a isém en t p ercevoir il n ’en v a pas d e m êm e p our le sens à donner à ποδί (v . 55), term e q u i i ie se re­tro u v e p as p ar a illeurs ch ez P in d are avec u n e valeur figutée dans le d om ain e n a u tiq u e .

Qu’y désigne exactement πούς? Pour certains, τό πάρ ποδί est à, rapprocher des locutions pindariques πάρ ποδί {01. I 74), πάρ ποδός {Pyth. I l l 60 ; X 62), προ ποδός {Isthm. V III 13), qui indiquent la proximité ; r i πάρ ποδί ναός serait alors à traduire par « près du na­vire^ ». Mais cette interprétation est manifestement impossible : dans les quatre textes cités en référence l ’expression forme en effet un tou t, dans lequel ποδί ou ποδός n ’est déterminé par aucun com­plément , et signifie à elle seule « près de lui », « près de soi » ; ici au contraire un complément au génitif, ναός (v. 55), dépend de ποδί, preuve que πούς désigne bien une partie du navire ou de son grée­ment.

D’autres parlent du « pied du navire^ », ce qui ne signifie stricte­ment rien ; d ’autres encore, plus soucieux d ’exactitude technique, de son étrave ou de son étam bot ®, ou encore de sa quille ; mais, outre que πούς n ’est jamais a ttesté avec l’une de ces significations,

1. Voir à ce propos P. J. Johansen, p. 4, n. 7. Un fragment de Sophocle semble impliquer l’image du « gouvernail de la réflexion » : frg. 869 P : πολλών χαλινών ίργον οίάκων θ’ άμα. Sur l ’image du gouvernail, voir aussi Hérond. II 99-100.

2. Ce texte est traduit p. 244.3. Voir p. 244 ss.4. J. Sandys, p. 375 et n. 1 ; H. Jurenka, Pindars sechste nemeisches Siegeslied,

p. 358 ; L. Wolde, p. 146 ; D. van Nés, p. 141.5. E. Romagnoli, p. 412 ; L. Traverso-B. Grassi, p. 287 ; H. Bischofî, p. 107 ;

O. Werner, p. 255.6. M. Bernhard, p. 87 ; W. Mullen, p. 490.7. M. Merello, p. 156 ; L. R. Farnell, A critical commentary to the works of

Pindar, p. 285 ; C. M. Boivra, Pindar, p. 344.

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on imagine mal, dans la dernière hypothèse, ce que pourrait être « une. vagué proche dé la quille ».

Dès lors le choix se lim ite à, deux possibilités : πούς ne peut dé­signer que l’écoute’· ou le gouvernail

On nomme « écoute » le cordage qui rattache à, l’arrière ® du navire les deux extrémités inférieures de la voüe, et perm et ainsi au pi­lote d ’orienter et de « border » cette dernière selon la direction et la force du ven t* ; une écoute trop tendue par forte brise risque de faire chavirer le bateau, et ce détail est par deux fois utilisé m éta­phoriquement dans la tragédie pour symboliser une intransigeance qui risque d’être fatale au « vaisseau de la cité » : Soph., Ant. 715- 717 : αδτως δέ ναός ôeriç εγκρατής πόδα | τείνας ύπείκει μηδέν, ΰπχίοις κάτω ] βτρέφας τό λοιπόν σέλμασιν ναυτίλλδται® ; Eur., Or. 706-707 : καΐ ναϋς γάρ ένταθεϊσα πρός βίαν ποδί | ^βαψεν, ίστη δ’ αδθις, ήν χαλ^ πόδα ® ; chez Aristophane, πούς est employé à, des fins parodiques : devant la violence du vent que souffle Gléon, le charcutier est in­vité en termes pressants à, relâcher un peu l ’écoute pour éviter la catastrophe : Cav. 436-437 : άθρει καΐ τοϋ ποδός παρίεί · I ώς οδτος ήδη καίκίας ή συκοφαντίας πνεϊ^. Mais tous ces textes présentent à proximité de πούς un détail technique prouvant qu’il s’agit bien d ’un cordage : Soph., Ant. 716 : τείνας ύπείκεο; Eur., Or. 706 : έντα- θεϊσα, 707 : χαλ^ ; trag., frg. anon. 413 N , 2 : χαλάσαι ; Ar., Cav. 436 : παρίει; Épicr., frg. 10 E, 5 ; χάλα; chez Pindare en revanche, bien loin qu’une telle précision confirme ce sens du term e, le seul autre élément appartenant à, la sphère maritime —· κυμάτων ; v. 55 —· semble devoir le démentir : car ici encore il est difficile de se repré­senter « une vague -proche de Vécoute ».

1. G. Fraccaroli, p. 580, n. 1 ; G. Perrotta, Pindaro, p. 143 ; G. A. M. Fennell, Pindar's Nemean and Isthmian Odes, p. 64. W. Headlam, p. 436, admet dans une certaine mesure cette signification ; il y aurait ici contamination entre la locution figée xàp ποδός et πούς au sens d’ « écoute i>, ce dernier sens étant à la base de tout le développement métaphorique sur le bateau et la vague ; sur la création de métaphores à partir du sens équivoque d’un mot, voir p. 62, p. 176 s. et 184, p. 178 s. ; sur l’interprétation nautique que donne J. B. Bury (The Nemean Odes of Pindar, p. 54) du ποδί de Ném. III 42, voir p. 91, n. 1.

2. F. Arnaldi, p. 54 ; G. Méautis, p. 329.3. G. A. M. Fennell [lac. cit.], qui traduit πούς par « écoute », précise « près du

πρίρρεύς », rendant ainsi son interprétation inintelligible ; pour πρφρεύς, voir p. 119 s.

4. Voir J. Vars, p. 85 ; A. Kôster, Das antike Seewesen (Berlin, 1923), p. 76.5. Sur ce passage et la valeur politique des images nautiques dans Antigone,

voir p. 117 s. ; voir aussi S. G. Rieger, p. 189.6. Sur la forme de ces deux images, voir W. Hermann, p. 7 s. ; pour πούς,

voir aussi trag. frg. anon. 413 N : μικρόν δέ ποδός | χαλάσαι μεγάλη κύματος άλκη.7. Pour l’image de la voile dans les Cavaliers, voir p. 53 s. ; pour celle du « vent

de la colère », p. 177, n. 2, et J. Taillardàt, Les images d'Aristophane, p. 180 ss. Sur l ’emploi de πούς chez Épicrate (frg. 10 B, 5), voir p. 227.

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On se trouve donc réduit à, l’ultime hypothèse, celle du gouver­nail : schol. 94 A (DR III , p. 113) : πούς μέν νεώς rb ττηδάλιον ; de fait, le gouvernaü est à, proprement parler le « pied » du navire, qui lui perm et de se diriger. C’est bien le gouvernail que désigne πούς chez Homère : Od. X 32-33 : αίεΙ γάρ πόδα νηάς ένώμων, ούδέ τφ άλλω | δώχ’ έτάρων’·, l ’expression πόδα... ένώμων (V. 32) étant trop proche du οϊακα νωμων d ’Eschyle {Sept 3) pour qu’il subsiste un doute à, cet égard ; de même Antiphon nomme le pilote ô ποδοχών (frg. 96 DK)®, et c’est encore le gouvernaü, mais au figuré cette fois, que le même verbe ποδοχεϊν suggère au v. 656 lyr. des Perses d’Eschyle — στρα­τόν εδ ποδούχει —· qui ramène à la vision du « roi-pilote^ »; dans la VI® Néméenne enfin, ce sens de « gouvernail » est à la réflexion le plus propre à, donner tme représentation satisfaisante du tableau : l’image est en effet celle du « vaisseau de la poésie », comme dans d ’autres passages de Pindare, notam m ent Ném. IV 70 , où l’on re­trouve le mot ναός*; et à bord de ce vaisseau, quoi de plus naturel que de voir le poète se représenter comme un püote? Déjà la IV® Né- méénne le suggère, où Piüdare s’exhorte à modifier le cap de son navire : V. 7 0 : άπότρεπε I αύτις Βΰρώπαν κτλ. * ; ici aussi la métaphore serait to u t à, fait en rapport avec les éléments du contexte : car « la vague qui déferle^ près du gouvernail » ne peut troubler personne plus profondément que celui qui se trouve à la barre, à l’endroit du navire qu’elle risque précisément de submerger ; et si le λέγεται du V. 56 peut se référer à une expression proverbiale chez les gens de mer, la vérité qu’il exprime vaut avant to u t pour le poète qui, abandonnant l’évocation des gloires du passé, éprouve à présent au fond du cœur la joie bouleversante de célébrer la tou te récente victoir’e d ’Alcimidas®.

1. πόδα est parfois traduit par « écoute » au v. 32 ; la confusiou est rendue pos­sible par le fait que dans le navire primitif le pilote manœuvre à la fois le gou­vernail et la voile. Voir L. Casson, p. 38.

2. Ou peut remarquer que dans l’énumération qu’il fait des périphrases propres à qualifier le κυβερνήτης, et où il cite Antiphon, jamais Pollux ne se réfère à un détail nautique autre que celui du gouvernail. I 98 : καλείσθω δέ κυβερνήτης δ έπΙ οΙάκων καθήμενος, ό της νεώς ήγέμων, ό των ναυτών άρχων, ό έπΙ τοϊς οϊαξι έστώς, καΐ κατ’ Άντιφώντα ό ποδοχών, ή μάλλον κατ’ έμέ ό ποδηγών.

3. Voir ρ. 104 ss.4. Voir p. 45 s.5. Pour έλισβόμενον (v. 55), p. 243 s., p. 245.6. Sur la signification de κυμάτων (v. 55) et la place de ce passage dans l’ode,

voir p. 244 ss. ; signalons l’emploi au pluriel de πούς au sens d’ « aviron » chez Timothée : Pers. 101-102 : δρείους | πόδας ναός ; voir aussi trag. frg. anon. 244 N : δρείοις ποσί ; au V. 7 des Perses, les mêmes avirons sont appelés les « mains » du navire : [χε]ΐρας έλα[τίνα]ς. Sur ces deux passages de Timothée, voir I. Waern, p. 51, p. 98.

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CHAPITRE X I

LE FOND DE CALE

’Αντλία désigne en grec le « fond de cale » (Soph., Phil. 482 ; Ar., Cav. 434)^, c ’est-à-dire l’endroit du navire où s’accumule l’eau de mer, αντλος (Eur., Tro. 691)^; άντλεϊν et ses composés caractérisent en conséquence le geste du m atelot qui vide cette eau pour alléger son bâtim ent. Le verbe άντλεΐν apparaît au figuré dans deux textes où il est question du « vaisseau de la cité » : dans le frg. 119 D d ’Alcée, V. 2-3 ; τταρέξει S’ άμμι πόνον πολύν | αντλην (s. e. κϋμα) et chez Théo- gnis, dans l’allégorie des v. 671-680, v. 673 : άντλεϊν 8’ ούκ έθέλου- σιν — l’expression visant, dans ce deuxième exemple, l’indiscipline des démocrates de Mégare^. Le substantif άντλος figure dans le même contexte politique, encore chez Alcée, frg. 46 a D, 6 : πέρ μέν γάρ άντλος ΐστοπέδαν εχει, et dans les Sept d ’Eschyle : Thébes, après avoir triomphé de l’assaut des armées argiennes, est représentée comme un navire qui n ’a pas fait eau : v. 796 : αντλον ούκ έδέξατο®.

A partir de cette notation concrète, άντλεΐν et ses composés se sont orientés vers la représentation, dans les genres littéraires les plus différents, des réalités les plus diverses, avec en commun tou te ­fois l’idée initiale de « vider », « épuiser », « dissiper » ou, pour έπαν- τλεϊν ou καταντλεϊν, l’idée inverse de « vider sur », « submerger ». Quelques exemples empruntés à, la poésie dram atique témoignent de la diversité de ces emplois, du concret à, l’abstrait® : Eur., Rhés. 417- 418 : ενθ’ αίμαrί)pδς πέλανος ές γαϊαν Σκύθης [ ήντλεϊτο λόγχγ) Θρήξ τε συμμιγής φ όνος; Or. 1641-1642 : ώς άπαντλοϊεν χθονός | ΰβρισμα θνητών άφθονου πληρώματος ; Soph., El. 1290-1291 ; πατρφαν κτήσιν Αϊγισθος δόμων I άντλεϊ ; Eur., frg. 899 Ν, 4 : σοφούς έπαντλών άνδρΙ μη σοφφ λ ό γο υ ς; com., frg. anon. 661 a E : σφοδροϊς κατηντλησθαι. λόγοις·^.

1. Voir ρ. 148, η. 7.2. Pour l’emploi de όίντλος chez Eur., Héracl. 165-168, et Héc. 1025-1026,

voir p. 223 s.3. Voir p. 106, p. 261.4. Voir p. 108.5. Voir p. 161, p. 262, p. 291.6. L’expression κύλικας άντλεΐν — ou καταντλεϊν —■ « vider des coupes », s’ex­

plique dans la comédie attique (Phérécr., frg. 108 E, 30-31 ; Alex., frg. 95 B, 2-3) par l’identification des coupes à des navires. Voir p. 311.

7. Voir aussi Ar., Guêpes 482-483 : όταν ξυνήγορος | ταύτά ταϋτά σοι καταντλη.

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C’est précisément à, un term e purement abstrait qu’est associé άντλεϊν dans la I l le Pythique de Pindare ;

μή, φίλα ψυχά, βίον αθάνατονσπεϋδε, τάν δ’ έμπρακτον αντλεί μαχανάν.

V. 61-62.

« n'aspire pas, ô mon âme, à une vie immortelle, mais épuise les res­sources du possible. »

On a déjà rencontré de ces passages où le poète s’adresse à, θυμός ou à, ήτορ : ces apostrophes se situent en général à uïi moment de l ’ode où il met fm à un développement, ou en aborde un nouveau^. De fait, celle-ci se place à, l’issue du m ythe où sont évoqués la mort de Goronis et le châtim ent d ’Asclépios (v. 8-58) : la première a com­mis l’erreur de dédaigner ce qui était à sa portée pour nourrir de vaines chimères (v. 20 : άλλά τοι | ηρατο τών άπεόντων, | οΐα καΐ πολλοί πάθον), le second d ’outrepasser, par goût de l’argent, les limites per­mises à sa science. Le m ythe apparaît ainsi comme tine mise en garde contre la folie des ambitions excessives — v. 21-22 : φΰλον έν άνθρώ-] ποισι ματαιότατον, | δστις αίβχύνων επιχώρια παπταίνει τά πόρσω κτλ. —■ et une invitation à prendre uiie exacte conscience des limites de la condition humaine : telle est l’idée qu’expriment à la fm du récit m ythique les V. 59-60, qui précèdent directement l’apostrophe àψυχά : χρή τά έοικότα πάρ | δαιμόνων μαστευέμεν θναταις φρασίν | γνόντα τό πάρ ποδός, οϊας εΐμέν αϊσας®.

L’invitatioïl à ne point porter trop loin ses aspirations (v. 61-62) est donc en rapport avec la leçon du m ythe ; elle est, plus largement, représentative d ’un aspect im portant de l’ode, que l’on pourrait nommer, avec A. Barigazzi, « il canto delV impossibilità^ », et dont l’unité réside précisément dans le thèm e de la limitation®. C’est à lui-même que le poète applique ici cette règle de modération ® —■ comme dans le VIII® Éloge, v. 3-4 : μή πρεσβυτέραν άριθμοϋ I δίωκε, θυμέ, πρδξιν, dont l’expression, étonnamment proche, recouvre en fait des réalités plus sentimentales qu’intellectuelles ■—· et μαχανάν

1. Voir p. 34 s.2. Voir p. 83.3. Voir p. 83.4. A. Barigazzi, L ’unità delV Epinicio pindarico (Atene e Roma, 2, 1, 1952),

p. 131.5. Sur ce thème da,ns l’ode, voir A. Barigazzi, p. 130 ss., qui a peut-être trop

insisté sur l’aspect « fermé » du poème ; D. G. Young, p. 44 s., et p. 116 s., le ta­bleau intitulé « the theme o f the near and the far i>.

6. Schol. 109 (DR II, p. 77) : ό λόγος πρός εαυτόν. Voir aussi U. von Wilamowitz, Hieron und Pindaros, p. 1299 ; L. Wolde, p. 292, n. 15 ; M. R. Lefkowitz, ΤΩ K AI ΕΓΩ. The first person in Pindar, p. 220 ; É. des Places, Le pronom chez Pindare, p. 19, p. 105, n. 2 ; G. Méautis, p. 143.

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(v. 62) y désigne ses facultés personnelles, de même qu’à, la fm de l’ode (v. 109) et dans Pyth. V III 34^ ; toutefois, l’avis vaut aussi, indirectement, pour la personne de Hiéron^, à qui le poème est adressé : on reconnaît là le penchant de Pindare à associer dans une réflexion unique sa propre personne et celle du destinataire de l’ode ; dans la X® Pythique, le pluriel άπτόμεσθα (v. 28) témoigne déjà de cette conscience d’une vérité valable pour l’un et pour l’autre®, et le fait a,pparalt avec un relief encore plus remarquable dans l’évo­cation des colonnes d ’Héraklès et l’interdiction de les dépasser (01. I II 43-45; Ném. I I I 19-28, IV 69-72)4.

Mais l’originalité de la III® Pythique provient de l’ordre même où sont évoqués le domaine in terdit et celui qui est à la portée de l’homme : dans les odes où figurent à titre de symbole les colonnes d ’Héraklès, l’inaccessible se situe à la suite du permis et ainsi le limite : Isthm. IV 12-13 : or&kouaiv άπτονθ’. . . | καΐ μηκέτι.... | σπεύδειν ; 01. I l l 43- 45 : προς έσχατίαν... | . . . απτεται · | . . . | ...ου νιν διώξω; Ném. I I I 20- 21 : [εί] έπέβα | . . . ούκέτι προτέρω ; mais ici c’est l’interdiction qui intervient tou t d ’abord (v. 61-62 : μ ή ... | σπεύδε), et l’évocation antithétique des réalités permises (v. 62 : τάν 8’ έμπρακτον όίντλει κτλ.), survenant en dernier lieu, suggère au contraire une libération, un épanouissement. Si la philosophie de Pindare est en général moins étriquée dans ce domaine qu’il ne pourrait sembler®, c’est néanmoins avec une insistance particulière que l’accent est mis ici sur l’am ­pleur des ressources dont disposent le poète et l’homme, et sur la nécessité de n ’en rien négliger ; il faut peut-être voir là le signe d ’une Volonté —■ manifeste dans tou te cette ode adressée à un malade — de réconfort et de consolation.

Tout aussi notable est l’utilisation du vocabulaire : la rencontre δντλει-μαχανάν (v. 62) est un exemple privilégié de la coïncidence chez Pindare entre l’univers des objets et celui des abstractions, de cet « incessant échange entre Vidée et la forme, entre le sensible et Vintelligible^ »; mais ces deux éléments n ’ont pas une importance égale : le détail matériel, όίντλει, qui a pour fonction de traduire l’idée

1. Le terme désigne dans Ném. VII 22 les facultés poétiques d’Homère ; il évoque parfois aussi plus largement les aptitudes intellectuelles [Pyth. I 41, VIII 75).

2. Voir F. Arnaldi, p. 95 ; mais il est manifestement absurde de penser que φίλα ψυχά s’applique uniquement à Hiéron. Voir C. A. M. Fennell, Pindar’s Olym­p ian and Pythian Odes, p. 180.

3. Voir p. 68 ss. ; sur les analogies entre les deux passages, voir M. R. Lefko- witz, loc. cit.

4. Voir p. 76 ss.5. Voir p. 84.6. A. Croiset, p. 394.

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a b stra ite , μαχανάν, lu i dem eu re su bordon né, et l ’im age n ’est q u ’im m o y en , sou m is à la p en sée e t con tra in t de la servir^.

Ces em p lo is de άντλεϊν e t des term es ap paren tés n e v o n t p as sans q uelqu e d isp ara te ; ce qui fa it d ans la p lu p art des cas leur u n ité profond e, d ans la p oésie lyr iq u e e t d ram atiq u e, c ’est leur association avec l ’id ée d e m alheur : le m arin écopan t l ’eau qui en v a h it son n a ­v ire sy m b o lise l ’h om m e en b u tte a u x assau ts in cessa n ts d e la fa ta ­lité , et con d am n é à s ’a cq u itter ju sq u ’au b o u t des ép reuves qui frappent son ex iste n c e^ ; au ssi άντλεϊν e t ses com p osés son t-ils en général liés à des su b sta n tifs évoq u an t la d étresse : τύχη, πόνος, συμφορά, κα- κόν, etc .

L’accent est parfois mis sur l’idée de répétition, comme si l ’on voulait suggérer le renouvellement de ces épreuves par l’image du choc incessant de la vague : Eschl., Cho. 748 : τά μέν γάρ άλλα τλη- μόνως ήντλουν κακά ; Eur., Suppl. 838-839 : ήνίκ’ έξήντλεις στρατφ | γόους ; Cycl. 10 : καί νϋν εκείνων μείζον’ έξαντλώ πόνον ; Méd. 78-79 : εΐ κακον προσοίβομεν | νέον παλαιφ, πρίν τόδ’ έξηντληκέναι ; Ιοη 927-928 : κακών γάρ άρτι κϋμ’ ύπεξαντλών φρενί, | πρύμνηθεν αίρει μ’ άλλο βών λόγων υπο^ ; Diph., frg. 107 Ε , 2 : iv άγαθόν ύποχεάσα —- SC. Τύχη — τρί’ έπαντλεϊ κακά.

M ais la n o tio n de durée est p lu s fréq u en te , le déferlem en t des vagu es à bord é ta n t c e t te fois con sid éré en re la tio n avec l ’am pleur des tâ ch es q u ’il im p ose au « m arin » : c ’est a in si que dans la IV® Py- thique D am op h ile (f souhaite revoir sa patrie après avoir épuisé la terrible infortune » d e l ’ex il* , v . 293-294 : άλλ’ εύχεται ούλομέναν νοϋ|σον 8ί.αντλήσαι,ς ποτέ | οίκον ίδεϊν ; e t d ans ce secon d asp ect de l ’im age l ’id ée d ’efîort ou de souffrance est liée so it à u n e p ériode d éterm in ée — · p assée , p résen te o u à, ven ir — de la v ie , so it p lus gén éralem ent au cours de la v ie en tière : A ie ., frg. 305 LP, 11-14 : ώς | έκ θαλάσσης άντλο[ϋ]ντες | άνέκλειπτον πόλε[μο]ν Ι|ξετε®; E sch l., Pro. 83-84 ; τί σοι I οΐοί τε θνητοί τώνδ’ άπαντλησαι πόνων ; 375 : εγώ δέ τήν παρούσαν άντλήσω τύχην ; E u r., Hér. 1373 : μακράς διαντλοϋσ’ έν δόμοις οίκουρίας ; Cycl. 110 : τοναύ-

1. Voir sur ce point Κ. Dietel, p. 152 ; plus généralement, sur ces contacts chez Pindare entre les domaines abstrait et concret, voir W. Schadewaldt, D erA ufbau des pindarischen Epinikion, p. 299, p. 326 ; G. M. Bowra, Pindar, p. 226 ; M. Your- cenar, p. 158.

2. Voir W. Breitenbach, p. 148 : « Dos Ringen m it der Not des Lehens wird gern verglichen mit dem K am pf des Schiffers gegen dos eindringende Leokwasser ». Voir aussi sur ce point G. Bonner, p. 50 ; H. Mielke, p. 58 ; E. Schwartz, p. 43 ;E. E. Pot, p. 61.

3. Voir p. 148.4. Sur l’exil de Damophile, voir p. 56 ; J. Sandys, p. 231, pense à tort que

διαντλήσαις suggère l’image de la coupe qu’on vide.5. Cf. Plat., Ménéx. 241 E : διηντλήθη ô πόλεμος.

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τον δαίμον* εξαντλείς έμοέ J 282 ! πόνον τον δεινδν έξηντληκότες ; Ιο π 1 9 9 -2 0 0 lyr. : κοινούς... πόνους | Δίφ παιδί συναντλεϊ ; Andr. 1 2 1 6 -1 2 1 7 lyr. : οΰκ εχων πέρας κακών | διαντλήσω πόνους ές “Αιδαν ; Η ίρρ. 7 6 7 -7 6 8 lyr. : χα ­λεπά δ’ ύπέραντλος οδίία | συμφορά ; 8 9 8 : ξένην έπ’ αίαν λυπρδν άντλήσει βιόν ; frg. 4 5 4 Ν, 2 -3 : άλλά μυρίαι I τόν αύτόν έξήντλησαν ώς έγώ βίον ; Méll., frg. 7 4 Ε, 2 -3 : βίον | ώς οίκτράν έξαντλοϋσιν ; Antiph., frg. 6 8 Ε : οΰ- τως άπαντλήσας τον ολον βίον.

Dans la p lupart de ces exemples, qui appartiennent à tous les styles, la ntiétaphore n ’est pas fortement sentie, à moins de recevoir l ’appui d’un autre term e dans le contexte ; c’est précisément ce qui lui confère un certain relief dans H ipp. 767-768 et 898, et Ion 927- 928. Concernant la première tragédie, on a déjà eu l ’occasion de noter que la mer et le malheur s’y confondent, et que tou te l’action peut être suivie en liaison avec la progression de l ’élément marin ; or, dans le cas de Phèdre, ce malheur dont elle ressentait aupara­vant les atteintes comme un navire b a ttu de la tem pête — v. 315 : αλλγ) 8’ έν τύχγ) χειμάζομαι® — s’est à Ce poûit aggravé que le navire est m aintenant submergé, ύπέραντλος (v. 767) ; et le passage de ύπέραντλος —■ Phèdre — à αντλήσει (v. 898) — Hippolyte — tradu it l’extension progressive aux autres personnages de ces forces de des­truction®. Quant à, Ion, l ’image exprimée par ύπεξαντλών (v. 927) y acquiert une vigueur singulière grâce à, la double évocation de la vague de malheurs — v. 927 : κακών... κϋμ[α]® — et de la poupe — v. 928 : πρύμνηθεν —- que soulève la suivante : avec la même valeur plastique que dans Aie. 353-354 : άλλ’ όμως βάρος | ψυχής άπαντλοίην όίν, mais un mouvement plus dram atique, le cœur en proie aux cha­grins y apparaît comme un navire, avec la charge d ’eau qui l ’appe­santit

1. Ces deux exemples d’Hippolyte soat commentés infra, p. 148.2. Voir p. 103, p. 218 s., p. 311.3. Sur cette image, voir p. 278 ss.4. On rapprochera cet emploi de ύπέραντλος du frg. 46 a D d’Alcée, v. 6 {p. 106) :

περ... αντλος... ^χει = αντλος ύπερέχει.5. Voir à ce propos C. P. Segal, The tragedy o f Hippolytus, p. 133 s., p. 136 ;

pour le personnage de Thésée (v. 822-824), voir p. 218 s.6. Sur cette image, voir p. 271.7. Pour un commentaire de Ion 927-928, voir K. Pauer, p. 122 ; E. E. Pot,

p. 63 ; pour Ion 927-928 et Aie. 353-354, voir aussi B. Meissner, Mythisches und Rationales in der Psychologie der euripideisehen Tragodie (Diss. Gottingen, 1951), p. 116, n. 2 ; ces passages répondent fort mal à l’appréciation générale de H. De- lulle, p. 25 : « L'image, chez Euripide, ne peint pas, elle évoque. 1> Signalons enfin l’hypothèse très plausible de J. Taillardat [Les images d ’Aristophane, p. 181) à propos de l’emploi de άντλία dans Cav. 434, την άντλίαν φυλάξω : « peut-être l ’expression est-elle à double entente, l ’esclave donnant à penser que si l’affaire tourne mal, il soutiendra son compagnon et saura subir toutes les rigueurs du sort avec courage : il peut y avoir ici une parodie du tragique άντλεϊν i>.

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CHAPITRE XII

LA CARGAISON

Dans un stasimon des Euménides, un bateau pirate, lourd de m ar­chandises acquises frauduleusement (v. 554 ; τά πόλλ’ [(2γοντ]α παντό- φυρτ’ άνευ δίκας), se fracasse sur l’écueil de la Justice (v. 564 : έ'ρματι... Δίκας) et som ire misérablement ; un autre bateau, évoqué dans Agamemnon, touche lui aussi l’écueil (v. 1008 lyr. : επαιβεν όίφαντον ερμα), mais Cette fois le naufrage est évité, car l’équipage a eu la sagesse de jeter par-dessus bord une partie de la cargaison (v. 1009- 1 0 1 1 )^ ; ce tableau se retrouve dans les Sept, v. 767-770 lyr. : τά8’ όλοά πενομένους παρέρχεται, | πρόπρυμνα 8’ έκβολάν φέρει | άνδρών άλφησταν | δλβος δγαν παχυνθείς. Tous ces navires appartiennent bien sûr au domaine de l’allégorie, et derrière eux se profile le vaisseau des destinées humaines au cours du voyage de la vie^ ; la cargaison est to u t aussi symbolique, qui représente aux yeux du poète une prospérité dont l’excès même — Ag. 1013 : πλημονάς γέμων δγαν ; Sept 770 : δλβος άγαν παχυνθείς —■ est dangereux et attire imman­quablement les coups du sort.

Si l’image de la cargaison est ici destinée à traduire des concep­tions très générales sur l ’existence humaine et l’ordre établi dans l ’univers, un pareil emploi demeure exceptionnel ; car, dans l ’en­semble des réalités maritimes, celles du commerce ne sont pas parmi les plus nobles : les buts mercantiles de la navigation commerciale, le caractère prosaïque des marchandises entreposées à fond de cale et manipulées par les membres les moins qualifiés de l ’équipage font que la poésie lyrique et dram atique a généralement dédaigné les métaphores em,pruntées à ce domaine, et que, quand elle y re-

1. Les deux passages (Eum. 550-565 et Ag. 1007-1014) sont cités intégrale­ment et commentés avec l’image de l’écueil, p. 322 s.

2. C’est avec une insistance particulière qu’Eschyle a, dans le passage d’Aga- memnon, confondu la demeure et le vaisseau (v. 1012 : ούκ 28υ πρόπας δόμος, v. 1014 : ούδ’ έπόντισε σκάφος) ; de même χρημάτων (ν. 1009) est à double entente et vise à la fois la fortune de la maison et la cargaison du navire — voir aussi à ce propos p. 322 ; une semblable confusion est à la base de Suppl. 443-445, où l’ambigu χρημάτων (v. 443) est repris par γόμον (v. 444) qui, lui, appartient sans équivoque à la sphère maritime : καΐ χρημάτων μέν έκ δόμων πορθουμένων | άτης γε μείζω, χοΛ μετεμπλήοαι γόμον, | γένοιτ’ αν δλλα κτησίου Διάς χάριν.

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court, c’est presque toujours avec des intentions péjoratives ou dans un registre familier^.

Lorsque ces images « commerciales » figurent en relation avec la métaphore du « vaisseau de la cité », on peut dans chaque cas y per­cevoir des intentions critiques non déguisées : ainsi Théognis re­présente la ville de Mégare comme un navire qui, par la faute des chefs du parti démocratique, vogue le long du rivage en donnant de la bande, V. 8 5 5 -8 5 6 : πολλάκι 8ή πόλις ήδε St’ ήγεμόνων κακότητα | ώσπερ κεκλιμένη ναϋς παρά γην ^δραμεν^. LeS deUX détaÜS maritimes sont symboliques ; le navire, longeant les écüeils de la côte®, se trouve dans des eaux dangereuses, ce qui revient à, dire que ses diri­geants mènent une mauvaise politique extérieure ; et s’il donne de la bande, c’est que sa cargaison est mal arrimée, et que leur poli­tique intérieure ne vaut pas mieux. Dans l’allégorie des v. 6 7 1 - 6 8 0 ^ , les chefs des démocrates sont encore visés, cette fois par l’em­ploi de φορτηγοί, V. 6 7 9 : φορτηγοί 8’ αρχουσι, κακοί S’ άγαθων καθύπερθεν ; le term e φορτηγός, qui désigne au propre un m atelot chargé de la manipulation des marchandises®, est appliqué ici par dérision à ces « marchands enrichis qui dans les villes, supplantent Vancienne aristocratie terrienne^ », et qui sont représentés dans leur empres­sement à, faire main basse sur la « cargaison » : v. 6 7 7 : χρήματα 8’ άρπάζουσι βί|) — l ’emploi du mot χρήματα, qui n ’a aucune valeur tech­nique dans le domaine du commerce maritime, s’expliquant par le fait que l’auteur pense aussi aux finances de l’É t a f . E t la présen­tation de Priam n ’est pas plus flatteuse dans un curieux fragment d ’Eschyle où le souverain apparaît sous les tra its d ’un marchand de pacotille : frg. 2 4 5 M : [ούκ δνδρα βκηπτοϋχον], άλλά ναυβάτην | φορ­τηγών, δβτις ρώπον έξάγει χθονός.

Si l’on quitte la sphère politique, les rares emplois des métaphores commerciales appartiennent au style familier, comme dans ce pas­sage des Trachiniennes de Sophocle — tou t entier d ’une rare ver­deur de ton — où Déjanire recevant sa rivale se compare à un com­merçant qui embarque une marchandise destinée à causer sa ruine : V. 536-538 : κόρην γάρ, οΐμαι 8’ ούκέτ’, άλλ’ έζευγμένην | παρειβδέ-

1. Sur le discrédit où les tragiques tiennent le commerce et les commerçants, voir H. Knorringa, p. 30 s.

2. Sur ce passage, voir p. 109.3. Sur l’image de l’écueil, voir p. 314.4. Voir p. 108 s.5. Voir H. Knorringa, p. 115 s.6. B. A. van Groningen, Théognis, p. 266 s.7. Voir B. A. van Groningen, loc. cit., chez qui l’on trouvera une étude des

termes convenant dans les v. 671-680 à la fois à la ville et au navire ; de même chez Eschyle χρήματα (Ag. 1009 lyr., Suppl. 443) désigne la cargaison du navire et la prospérité de la maison ; voir p. 149, n. 2.

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δεγμαι, φόρτον ώστε ναυτίλος, | λωβητόν έμπόλημα της έμης φρενός^ ; demême chez Euripide il est question d ’une « cargaison de mauvaises nouvelles »,'mais il est significatif que ces mots se trouvent dans la bouche d’un serviteur ; Iph. Taur. 1 3 0 6 : πάρειμι, καινών φόρτον άγγέλλων κακών

Pindare, que les considérations quotidiennes et matérielles in té­ressent peu^, n ’en a pas moins employé par deux fois l’image de la cargaison^, mais avec des intentions très particulières : pour évo­quer le prix qu’il a ttache à, ses odes. Cette image est explicite dans la II® Pythique, moins directement apparente dans la V® Néméenne.

Le début de la II® Pythique fait allusion à, l’offrande à, Hiéron d ’un poème, qui est précisément l’ode en question : v. 3 : ΰμμι,ν τόδε ταν λιπαραν άπο Θήβαν φέρων | μέλος έ'ρχομαι ; mais Οη a VU qu’il ne faut pas prendre φέρων ni έρχομαι à la lettre, et que le voyage du poète est purem ent symbolique : v. 6 2 : εύανθέα δ’ άναβάσομαι οτόλον κτλ.®. En fait, l’ode a été envoyée à Hiéron sans que Pindare l’ac­compagne, et c’est à ce voyage du poème que se réfère le V. 68 :

τόδε μεν ® κατά Φοίνισσαν έμπολάν μέλος υπέρ πολιάς άλος πέμπεται.

V. 68.

« je f envoie ce poème, comme une marchandise phénicienne, à travers la mer écumante. »

C’est assurément la comparaison κατά Φοίνισσαν έμπολάν qui pré­sente ici le plus de difficultés. É tan t donné la réputation des Phé­niciens dans la pratique du c o m m e rc e o n a parfois ten té d ’in ter­préter l’allusion à. la « marchandise phénicienne » en se référant aux

1. Voir sur ce passage S. G. Rieger, p. 112 ; A. Lindner, Die Metaphern bei Sophokles (Diss. Leipzig, 1957), p. 133 ; pour l’alliance φόρτον (v. 537)-έμπόλημα (v. 538), voir Ant. 1036 : έξημπόλημαι. κάκπεφόρτισμαι πάλαι ; cf. aussi 1063 ; sur les images empruntées au commerce dans Antigone, voir R. F. Goheen, p. 14 ss. ;S. C. Shucard, p. 229 ss. ; pour έμπολδν, voir aussi Eschl., Eum. 631-632.

2. Voir aussi le composé αύτόφορτος (Eschl., Cho. 675 ; Soph., frg. 261 P) et les remarques de D. van Nés, p. 157 s., et A. C. Pearson, The fragments o f So­phocles, p. 189.

3. Voir H. Frânkel, Dichtung und Philosophie des frühen Grieohentums, p. 626.4. Sur la prétendue image de la cargaison dans Ném. III 28 et VI 34, voir p. 35

et p. 38.5. Sur cette question, voir p. 39 s.6. La question de savoir si μέν (v. 68) sert à opposer τόδε... / μέλος au Καστόρειον

du V. 69, ou seulement le verbe πέμπεται à l’impératif άθρησον (v. 70) —■ autrement dit : si Pindare parle ici de deux poèmes distincts ou d’un poème unique — n’a jamais été résolue de façon satisfaisante ; au demeurant elle ne concerne pas l ’image maritime du v. 68.

7. Voir H. Knorringa, p. 19 s.

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réalités financières qu’implique la composition d’un poème : les scholies la comprennent en général comme l’indice que l’ode a été composée pour Hiéron m oyennant salaire : schol. 125 A (DR II,p. 51) : κατά Φοίνισσαν έμπολάν otov έπΙ κέρδει καΐ πράβει · τοϋτο δέ είπεη»... παρόσον μισθού συντέταχε τψ 'Ιέρωνί τδ έγκώμιον ; 125 Β {loc. cit.) : κατά την των Φοινίκων εμπορίαν, άντί τοϋ λαβών παρά ΰοϋ μιβθόν. Mais si cette allusion répond vraim ent à, des considérations d ’ordre financier, rien n ’empêche d ’en tirer des conclusions stricte­ment opposées aux précédentes ; ainsi, dans son commentaire de la II® Pythique, G. M. Bow ra’ pense que la comparaison s’éclaire par la représentation qu’Homère fait des Phéniciens et de leur habi­tude d ’arriver sans être attendus et de disposer leurs marchandises pour les vendre sans qu’on les y a it invités ; de même Pindare, estime-t-il, n ’a a ttendu aucune « commande » de Hiéron pour com­poser son ode ; celle-ci est une offrande spontanée de sa part, fait insolite qui s’explique par un sentiment très vif de mécontentement dû à la préférence accordée par Hiéron à, Bacchylide pour la célé­bration de sa victoire olympique®.

Ces deux interprétations, en fait, ne peuvent être retenues, car outre qu’ici κατά Φοίνισοαν Ιμπολάν est assez vague pour conférer à l’une et à, l’autre un égal degré de vraisemblance, ce qui les con­damne toutes deux^, Pindare n ’a pas coutume d ’évoquer à, propos de son art les réalités matérielles du κέρδος : il le tien t en trop haute estime pour cela, et to u t le début de la II® Isthmique est un éloquent témoignage du mépris qu’il nourrit à l ’égard de la Μοϊσα... φιλοκερ-| δής (λ:. 6). Il faut donc donner à la comparaison de Pyih. II 68 un sens plus large, eu égard aux analogies que l’ode de Pindare présente à plus d ’un titre avec une marchandise phénicienne : comme elle, elle vient de loin ; comme elle, c’est sur mer qu’elle voyage pour parvenir à son destinataire ; comme elle enfin, elle apparaît à celui qui la « transporte » comme une oeuvre d’art, d ’une valeur inesti-

1. G. M. Bowra, Pindar, Pythian I I [Harv. Stud, in Class. Phil., 48, 1937), p. 1 ss.

2. Sur ce point voir aussi Hérod. IV 196.3. G. Μ. Bowra, p. 18 ; sur les circonstances de la composition de la II® Py-

thique et la rivalité avec Bacchylide, voir p. 1 ss.4. R. W. B. Burton, Pindar's Pythian Odes (Oxford, 1962), p. 122 : « it is not

possible to decide... whether the poem is a free offering, an uncommissioned ode which Pindar displays to Hieron... or whether it is... merchandise ordered by the king and now being delivered ». Ajoutons que si G. Μ. Bowra cite Homère, il ne se réfère à aucun texte en particulier ; celui qui convient le mieux à sa description est sans doute Od. XV 403 ss. ; mais la présentation qui y est faite des Phéniciens leur est si nettement défavorable (cf. v. 416 ; τρώκται) qu’on n’imagine pas Pin­dare s’identifiant à eux ; sur ce passage de VOdyssée, voir H. Knorringa, p. 2 s.

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mable^, élaborée jusque dans son détail, et chargée de toute la somp­tuosité, de tou t l’éclat de l’Orient^. L’image n ’est pas isolée : elle se rattache à celle du v. 62, où Pindare se représente à la proue du vaisseau de la poésie ® ; c’est du même vaisseau qu’il s’agit ici, mais considéré à présent pour les richesses qu’il tient enfermées au plus profond de lui. E t la référence à, Φοίνιβίαν Ιμπολάν suggère, par delà la conscience qu’a le poète de ce que son ode a de précieux, son es­poir de voir Hiéron se montrer lui aussi sensible aux beautés qu’elle recèle

Dans la Ve Néméenne figurent également ces considérations du poète sur son art :

Ούκ άνδριαντοποιός είμ’, ώστ’ έλινύβοντα έργά- ζεσθαι άγάλματ’ έπ’ αύτάς βαθμίδος

έσταότ’ · άλλ’ έπ'ι πάσας όλκάδος εν τ’ άκάτω, γλυκεΓ άοιδά,

στεϊχ’ άπ’ Αίγινας κτλ.V. 1-4.

« Je ne suis pas un statuaire ; je ne fais pas de figures destinées à res­ter immobiles sur leur socle; non, que le premier vaisseau de trans­port, la première barque en partance, ô ma douce chanson, f emmène loin d'É gine... »

L’opposition qui s’instaure ici entre l’art du statuaire et celui du poète vaut essentiellement sur deux registres : à, l’aspect figé de la statue répond la mobilité de l’ode qui, comme le dit Pindare dans la II® Isthmique, n ’a pas été faite pour demeurer en place®; et à, la fragilité de la pierre s’oppose l’éternité du verbe®. L’invoca­tion du V. 3 à, γλυκεΓ άοιδά est significative à, cet égard de l’attitude

1. Sur ces divers aspects de l’ode exprimés par la comparaison, du v. 68, voirH. Kaorringa, p. 19 s. ; K. Dietel, p. 125 ; R. E. Grimm, p. 197 ; P. B. Katz, p. 66.

2. Oa peut à cet égard en rapprocher l’oiïraade de la « mitre lydienne toute brodée d ’harmonies » de Ném. VIII 14-15 : φέρων | Λυδίαν μίτραν καναχα|8ά πε- ποικιλμέναν.

3. Voir p. 39 s.4. Voir J. F. Oates, p. 388. M. Yourcenar, p. 211, commet à propos de cette

image une erreur totale en considérant l’emploi de έμπολάν comme une allusion au butin de guerre des Carthaginois : « L ’image des trésors emportés à fond de cale par les pirates de Carthage était bien à sa place dans une ode commandée par ce grand tueur de Puniques » ; sur la victoire remportée en 480 par Gélon et ses frères sur Carthage, voir G. Gaspar, p. 71 s.

5. Isthm. II 45 : έπεί rot | ούκ έλινύσοντας αύτούς έργασάμαν. Voir p. 23.6. Sur cette double opposition, voir H, Frânkel, Dichtung und Philosophie des

frühen Griechentums, p. 394, n. 5 ; C. Cessi, p. 273 s. ; R. C. Jebb, p. 176 s. ; W. Kraus, Die Auffassung des Dichterberufs im frühen Griechentums (Wien. Stud., 68, 1955), p. 83.

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du poète face à soii œuvre ; car le verbe qu’il emploie, στεϊχε (v. 4), ne suggère pas, comme on l’a parfois c ru ’·, que l’ode va être confiée à des voyageurs qui la diffuseront dans le monde : c’est l’ode elle- même qui est personnifiée et qui apparaît comme un voyageur sur le point de s’embarquer ; l ’artiste conçoit son œuVre comme une réalité vivante, douée d ’une existence propre, qui, une fois née, échappe littéralem ent à son créateur®.

Pour définir la conception qu’il se fait de sa poésie, Pindare u ti­lise un vocabulaire nautique, ce qui se conçoit fort bien dans une ode adressée à, un citoyen d ’Égine*; deux term es sont ici à, consi­dérer de près : όλκάδος et άκάτω (v. 3). "Ακατος, qui désigne une barque légère, a évidemment pour fonction de suggérer la prom ptitude avec laquelle la gloire du vainqueur va se répandre au loin ; de ce point de vue le term e se situe sur le même plan que le ναός de01. IX 24, où l’accent est également mis sur la notion de rapidité : V. 23-25 : καΐ άγάνορος ϊητπου | θασσον καί ναός ύποτττέρου παντα | άγγελίαν πέμφω ταύταν®; Pindare avait déjà, employé άκατος pour symboliser les réalités de la création poétique {Pyth. X I 40) ; mais alors que άκατος désignait dans cette ode le poète lui-même, à la merci des coups de vent de l ’inspiration, il représente ici le véhicule du poème®.

Entre όλκάδος et άκάτφ, il y a bien sûr une différence de taille, comme le soulignent en général les traductions ’ ; mais il y a surtout une différence dans l ’image suggérée : car, si Pindare fait ici allusion à un vaisseau marchand, n ’est-ce pas parce cfue — n ’ayant pas en­core en tê te l ’image du passager, qu’exprimera plus ta rd (v. 4)

1. Ainsi J. Saadys, p. 49.2. Voir M. Bernhard, p. 30 s. ; M. R. Lefkowitz, ΤΩ K A I ΕΓΩ. The -firstperson

in Pindar, p. 199, n. 51.3. Voir T. B. L. Webster, Greek theories o f art and literature down to 400 B. C.

(Class. Quart; 33,1939), p. 176 ss. L’auteur discerne dans le génie grec une double tendance contradictoire : « the enlivening o f the formal and the formalizing o f the living (p. 179) ; la définition s’appliquerait parfaitement ici : l ’ode, dont les élé­ments proviennent du monde extérieur, repart dans le monde. Sur les invoca­tions à άοιδά, voir A. Kambylis, Anredeformen bei Pindar, p. 166 s.

4. Certains y voient un hommage à la marine de l ’île : ainsi U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 171 ; M. Untersteiner, La formazione poetiea di Pindaro (Messina, 1951), p. 105, n. 3.

5. Voir p. 24 ; on rapprochera άγ'/’ελίαν... ταύταν (v. 25) de Ném. V 4 ; διαγγέλλοισ’ ότι κτλ ; sur le thème de la diffusion de la gloire, voir W. Schadewaldt,i)er^M/6aM des pindarischen Epinikion, p. 274 ; H. Glundert, Pindar und sein Dichterberuf, p. 127, n. 217.

6. Pour Pyth. XI 39 b-40, et la définition de άκατος, voir p. 33 s. ; sur cette différence d’emploi du terme, voir aussi A. Kambylis, Die Dichterweihe und ihre Symbolik, p. 151.

7. W. Schadewaldt, Der A ufbau des pindarischen Epinikion, p. 274 : « Kahne », « Nachen »; G. Coppola, Introduzione a Pindaro, p. 65 ; <i nave », « harca»', 3. B. Bury, The Nemean Odes o f Pindar, p. 84 : « large argosy », « small craft », etc.

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στεϊχε — ■ il considère son ode comme une cargaison de prix, qu’il s’apprête à confier à, la mer? Telle semble bien être la justification de l’emploi de όλκάς, que la poésie lyrique et tragique évite d ’utili­ser en raison du caractère prosaïque et familier des réalités que le term e évoque^, mais qu’on retrouve chez Bacchylide avec une va­leur tou te semblable : Dithyr. XVI 1-4 : έπεί | όλκ]άδ’ 2πεμψεν έμοί χρυσέαν | Πιερ]ιάθεν ε[όθ]ρονος [0]ύρανία, | πολυφ]άτων γέμουσαν ΰμνων. Là, encore, comme dans la II^ Pythiqne, l’image est celle des trésors enfermés dans le vaisseau de la poésie ; toutefois, ces évocations se situent à, trois moments différents de la création artistique : chez Bacchylide, les ΰμνοι qui remplissent le vaisseau m archand envoyé par Uranie représentent les thèmes poétiques qui affluent à, l’esprit de l’auteur et qu’il n ’a pas encore développés ; dans la I P Pythique ces thèmes sont déjà, élaborés et la cargaison quitte le poète pour parvenir à, son destiaataire ; dans la Néméenne enfin, la précieuse « marchandise » a été inventoriée par celui qui l’a commandée et repart sur les mers pour assurer son renom

Une étude du tableau initial de la V® Néméenne^ avec sa double évocation du passager qui s’embarque et de la cargaison entreposée à bord du vaisseau, ne peut cependant se faire qu’en liaison avec celle des autres images de l’ode qui visent le domaine de la création littéraire : car ce sont elles qui assurent l’unité du poème.

L’ode, on l’a déjà vu, s’achève par une métaphore nautique où le poète s’exhorte à, diriger dans les voiles du Vaisseau de la poésie le vent d ’une inspiration qui le conduira à, bon port (v. 50-52)®. Même si ces deux apostrophes —■ v. 50-52, v. 3-4 — s’adressent l ’une au poète, l’autre à άοιδά, la présence de la mer en chacune d ’elles et la référence à des navires en mouvement ne les en ap­parentent pas moins très étroitem ent ; de plus, leur situation à chaque extrém ité du poème accentue l’unité de celui-ci, son aspect « fermé* ». Mais dans le cours de l’ode figurent d’autres éléments imagés, dont la valeur symbolique et la place sont également signi­ficatives : ainsi, au mometit d ’aborder le m ythe (v. 22-39), l’enthou­siasme que ressent le poète devant la tâche qui lui incombe lui sug­gère la double image du sauteur qui se prépare à bondir —■ v. 19-

1. Voir p. 149 s. ; le seul emploi figuré de όλκάς chez les tragiques figure précisé­ment dans un drame satyrique. Eur., Cycl. 505-506 lyr. : σκάφος όλκάς ώς γεμισθείς | ποτί σέλμα γαστρός άκρας ; ce n ’est pas un exemple de style noble : le Cyclope repu se compare crûment à un bateau marchand rempli du fond de cale au ras du pont.

2. Sur ce double mouvement, du poète au destinataire de l’ode, et de celui-ci au reste du monde, voir p. 27 s.

3. Voir p. 180 s., p. 49 ss.4. Voir sur ce point G. Lieberg, p. 213 ; F. Martinazzoli, Pindaro in Pindaro

(Atene e Roma, 44, 1942), p. 160.

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20 : μακρά μοι | αΰτόθεν όίλμαθ’ ύποσκά| πτοι τις · &χω γονάτων έλαφρόνόρμάν —· et des aigles que leur élan porte au delà des mers — V. 21 :καί πέραν πόντοιο πάλλοντ’ αΕετοί^.

Quatre images sous-tendent donc l ’ensemble du poème, parm i les­quelles trois se réfèrent à, la mer (v. 3-4, v. 21, v. 50-52) ; toutes se placent au point précis où le poète aborde un développement (v. 3- 4) ou met fin à, un développement pour se consacrer à, un autre (v. 19- 20, V. 21, V. 50-52) : toutes suggèrent donc la vigueur de l ’élan, l’in­tensité du mouvement qui parcourt l’ode et l’anime : στεΐχε (v. 4), άλματα (v. 20), πάλλονται (V. 21), άνατεϊνον (v. 52) ; mais au delà, de ce cas particulier, elles définissent plus généralement les pouvoirs que Pindare reconnaît à sa poésie : car de même que dans la X® Py- thique le poète oppose aux moyens traditionnels (v. 29 : ναυοί, πέζος) la mobilité de l ’imagination qui seule perm et d’atteindre le pays des Hyperboréens 2, de même ici ce sont encore des images de mer et de distance qui suggèrent la vivacité de ses facultés et l’aptitude qu’il a à évoquer grâce à elles les réalités les plus lointaines, πέραν πόντοιο (v. 21)®. Toutefois, l’évocation initiale de la V® Néméenne ajoute à cette idée celle, al)Sente de la X® Pythique, de la gloire im­médiate — V. 3 : άκάτφ — qui en résulte pour ceux que sa poésie touche de sa grâce, et du prix — ibid. : όλκάδος — que lui-même y attache*.

1. Voir p. 23, n. 8.2. Voir p. 68 ss.3. Sur cet aspect de la poésie de Pindare telle qu’elle se définit d’après la

V® Néméenne, voir F. Martinazzoli, p. 160, p. 166 s. ; M. R. Lefkowitz, ΤΩ KAI ΕΓΩ. The first person in Pindar, p. 199 s.

4. Voir M. R. Lefkowifz, p. 201.

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CHAPITRE XIII

LE FILET ET LE LIÈGE

Dans la poésie du v® siècle, l’image du filet —· symbole de piège — est essentiellement représentée chez les tragiques ; Eschyle en par­ticulier en a fait une utilisation saisissante dans VOrestie, pour re­présenter la fatalité qui pèse sur deux générations d ’Atrides : celle à laquelle succombe Agamemnon {Ag. 1115-1116 lyr., 1375, 1382- 1383; Cho. 492 , 999-1000)^, celle à laquelle finit par échapper Oreste {Eum. 112-113, 147 lyr.). Mais si l’on a la certitude qu’un term e comme le rare γάγγαμον — Eschl., Ag. 360-361 lyr. : μέγα δουλείας I γάγγαμον άτης παναλώτου — évoque les réalités de la pêche, et qu’in­versement άρκυς — Eschl., Ag. 1116; Cho. 1000; Eum. 147; Eur., Cycl. 196; Méd. 1278 lyr., etc. — et άρκύστατα — Eschl., Ag. 1375; Eum. 112 ; Soph., Él. 1476, etc. — supposent celles de la chasse, on ne peut dans ce domaine tirer aucune conclusion assurée de l’em­ploi de δίκτυον — Ibyc., frg. 7 D, 3-4; Eschl., Ag. 1115; Cho. 999; Pro. 1078-1079 lyr. ; Soph., frg. 932 P, 3, etc. — ou de άμφίβληβτρον— Soph., Track. 1052 ; il semble que dans la p lupart des cas les tragiques ont pensé à la prise d ’un gibier p lu tôt qu’à celle d ’un pois­son, et que, dans le cas contraire, ils précisent le term e par un com­plément qui le situe dans le registre maritime, comme le fait Es­chyle, A g . 1382-1383 : όίπεφον άμφίβληβτρον, ώσπερ ιχθύων, | περιστι- χίζω2.

L ’image proprement maritime du filet soutenu par le liège à la surface de l’eau est par contre tou t à, fait exceptionnelle® : on la

1. Pour le personnage d’Agamemnon, l’image s’explique en premier lieu par l ’existence du funeste manteau dont Clytemnestre enveloppe son époux.

2. On peut donc admettre que άμφίβληστρον désigne un filet de pêche également dans les Choéphores, V. 492 : μέμνησο δ’ άμφίβληστρον ώς έκαίνισαν. Sur l’image du filet dans la tragédie, voir W. Hermann, p. 42 ss. ; chez Eschyle, J. Dumortier, p. 71 ss. ; H. Mielke, p. 92 s. ; O. Hiltbrunner, p. 61 ; W. B. Stanford, Aeschylus in his style, p. 98 s. ; B. L. Hughes, p. 93 ss. ; A. Lebeck, Image and idea in the Agamemnon o f Aeschylus (Diss. Columbia Univ., 1963), p. 90 ss. ; chez Sophocle,A. Lindner, p. 75, p. 191. Ces commentateurs inclinent tous à penser qu’il s’agit là de scènes de chasse ; voir les titres donnés à certaines études citées ci-dessus : « la hête prise au piège » (J. Dumortier) ; « hunting and the net » (A. Lebeck). Pour ëpyioç, voir p. 159.

3. Voir K. Dietel, p. 132 ; W. Hermann, p. 80.

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rencontre seulement chez Eschyle {Cho. 505-507)^, et, chez Pindare, dans la II® Pythiqm .

L’ode a été composée dans des circonstances qui n ’iacitaient pas le poète à la sérénité : non seulement Hiéron lui avait préféré Bac- chylide pour la célébration d ’une victoire olympique^, mais sa po­pularité était à la cour de Syracuse l ’objet d ’attaques incessantes, et qu’il n ’ignorait pas®; de fait, tou te la dernière partie du poème (v. 76-96) est dirigée contre cette « peste irrémédiable que sont les semeurs de calomnies », v. 76 : δμαχον κακόν... δια|βολιδν ύποψάτιες. Pindare a conscience toutefois que ceux-ci ne tireront aucun profit de leurs manœuvres, v. 78 : κέρδει δέ τί μάλα τοϋτο κερδαλέον τελέθει ; et, pour mieux dépeindre la vanité de leurs efforts et affermir la cer­titude qu’il a de sa propre supériorité, il recourt alors à, une compa­raison empruntée au domaine de la pêche.

ατε γάρ ένάλιον πόνον έχοίσας βαθύν σκευας έτέρας, ά§άπτιβχ6ς εΕμι, φελλός

ώς ύπέρ ερκος, δλμας.V. 79-80.

« de même, alors que le reste de Vappareil est en proie dans Veau à de profonds efforts, moi je surnage, comme le liège au-dessus du filet; la mer ne m'atteint pas. »

Avant tou t commentaire, deux détails demandent à être élucidés : le βαθύν du V. 79, et, au v. 80, le rattachem ent de όίλμας à, έρκος ouà, άβάτΓΤίστος.

Concernant le premier, la leçon des manuscrits — βαθύ — n ’est pas acceptable : car, s’il s’agit d ’un adjectif neutre, il ne peut être rapporté qu’à, ερκος (v. 80), ce qui est manifestement impossible ; et au sens adverbial βαθύ n ’est jamais a ttesté comme équivalent de βαθέως^. DeUx corrections ont donc été proposées ; celle de U. Von Wilamowitz — βυθοϊ®; celle de T. Bergk — βαθύν — adoptée par 0 . Schroder®. Cette dernière est évidemment la plus séduisante, l’adjectif βαθύς étant souvent utilisé par Pindare avec une valeur

1. Voir p. 161.2. Voir p. 152.3. Sur tous ces faits, voir P. Von der Mühll, Ber Anlass zur zweiten Pythie P in ­

dars [Mus. Helv., 15, 1958), p. 217.4. R. E. Grimm, p. 242, juge cet emploi de βαθύ insolite mais l’admet cepen­

dant, estimant que la singularité même du terme est un moyen pour Pindare d’attirer l’attention sur la place où il relègue ses ennemis ; l ’emploi de βαθύ au sens de βαθέως serait d’après lui légitimé par l’équivalence ήδύ-ήδέως ; mais dans une expression comme ήδύ γελάν (Horn., II. II 270), ήδύ suppose en fait l ’ellipse de γέλασμα. Ici il n ’y a rien de tel.

5. U. von Wilamowitz, Hieron und Pindaros, p. 1314.6. Voir 0 . Schroder, Pindars Pythien, p. 23.

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figurée^ : si on le rapporte ici à, πόνον, l’expression πόνον βαθύν cons­titu e en quelque sorte une métaphore au sein même de la compa­raison, où l ’intensité de l’effort soutenu par le filet est suggérée par un term e qui, au propre, convient aux dimensions de l ’abîme marin.

La seconde difficulté concerne άλμας (v. 80), que le scholiaste, ainsi que certains commentateurs, fait dépendre de ίρχος entendu au sens de « mur », « enceinte » : « je suis comme le liège au-dessus de Ven- ceinte de la mer » — qui l ’encercle sans le submerger^. De fait, c’est cette signification que 2ρκος a le plus souvent chez Pindare {Pyth. V 113 ; Ném. X 37 ; Péan VI 85), et cette interprétation semble être confirmée par un Vers du premier Dithyrambe où il est question de la « noire enceinte de la mer » ; v. 16 : μέλαν ερκος άλμας. Cependant, même s’il est vrai que ερκος est attesté au sens de « filet » surtout au pluriel — Pind., Ném. ΓΠ 52 : δολίων Θ’ έρκέων; Eschl., Ag. 1611 :ίδόντα τοϋτον της Δίκης έν ερκεβιν ; Soph., Aj. 6 0 : είβέβαλλον είς ερκη κ ακ ά ; ÉI. 8 3 8 -8 3 9 lyr. : χρυσοδέτοις έρ|κεσι κρυφθέντα γυναι-| κών ; Eur., Él. 1 5 4 -1 5 5 lyr. : όλόμενον δολίοις βρόχων I ερκεβιν ; Bacch. 9 5 7 -9 5 8 : όρνιθας ώς | λέκτρων ^χεσθαι φιλτάτοις έν ερκεσι,ν — le singulier, quoique plus rare, se rencontre aussi avec cette valeur : daïis VOdyssée, ερκος désigne des filets à oiseaux — X X II 4 6 9 — et le singulier se retrouve chez Euripide, cette fois au figuré : Méd. 9 8 7 lyr. : τοΐον είς ερκος πεσεϊται. On peut donc légitimement admettre que έρκος est eiuployé dans la II® Pythique au seiis de « fiUt », par opposition à φελλός (v. 8 0 ), le liège, et que άλμας se rattache à άβάπ- τιστος — « hors d'atteinte de la mer » — les deux termes étant dans le même rapport que ceux des expressions άγνώτα Θηρών (Pind., Pyth. IX 5 9 ), άχαλκος άβπίδων (Soph., Œd. roi 1 90 ), άπεπλος φαρέων (Eur., Phén. 3 2 4 ) , etc.®.

Seule d ’ailleurs cette opposition entre le filet, qui est immergé, et le liège, qui surnage, est propre à donner de ce passage une exacte représentation^. De fait, la présence même du terme de comparai-

1. Voir p. 296 s.2. Schol. 147 (DR II, p. 57) : 2ρκος · τη της θαλάσσης êmça.\isÎcf, ότι τη έαυτής

έπιφανεία περιτειχίζεται ; voir aussi Ο. Schroder, loc. cit. ; U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 291, n. 2 ; R. E. Grimm, p. 246.

3. Une dernière remarque s’impose concernant l ’établissement du texte : ύπέρ étant parfaitement attesté avec l’accusatif, sans idée de mouvement, il n ’y a pas lieu de corriger, comme on l’a fait parfois, είμι (v. 80) en είμι ; voir U. von Wilamowitz, Hieron und Pindaros, p. 1314; R. E. Grimm, p. 247.

4. Signalons à titre de curiosité l’étonnante interprétation de R. E. Grimm (p. 239 s., p. 244 ss.) qui comprend πόνος (v. 79) au sens de « naufrage » (cf. Bsch.1., Eum. 556 ; Hérod. VII 190) et voit dans le groupe άτε γάρ... είμι l’image d’un vaisseau — celui des ennemis du poète, <ίκευή (v. 80) désignant le gréement d’un navire, et par extension le navire lui-même — qui sombre, alors que celui de Pindare reste à la surface comme un liège ; Pindare aurait encore présente à

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son oc-re (v. 79), qui relie étroitement l ’ensemble aux considérations précédentes sur le rôle funeste joué par les intrigants et la stérilité de leurs manœuvres (v. 76 ss.), conduit à interpréter l ’évocation maritime des V. 79-80 en termes de polémique et d’inégalité dans la lutte. Deux éléments sont ici aux prises, dont l’identité est par­faitement claire : le liège, qui, dans une brève comparaison — φελλός | ώς ; V. 80^ —■ représente le poète lui-même, et le filet, qui symbolise ses ennemis dans leurs efforts pour l ’entraîner au fond^; Pindare les désigne à deux reprises par σκευδς έτέρας et par ερκος (v. 80)®, en soulignant à chaque fois, par βαθύν (v. 79) et par ύπέρ (v. 80), la position d’infériorité dans laquelle ils se trouvent : la situation privilégiée du liège par rapport au filet tradu it à, ses yeux les avan­tages de la droiture sur les vains efforts de l’hypocrisie^.

Mais dans cette lu tte intervient un troisième élément, animé d’in­tentions hostiles à l ’égard du poète et qui se fait ici l’allié de ses adversaires : la mer, άλμας (v. 80). Le tex te est à cet égard signifi­catif dans la disposition même des termes, puisque le groupe άβάπτισ- τός εΐμι, φελλός j ώς (v. 80), qui concerne Pindare, apparaît littérale­ment « cerné » par les expressions désignant les forces ennemies, σκευδς έτέρας (v. 79) et ύπέρ ερκος, άλμας (V. 80), et qUe le rappro­chement au V. 80 de ερκος et de δλμας semble suggérer une compli­cité du filet et de la mer. "Αλμας symbolise de tou te évidence la mer de calomnies qui est pour ainsi dire le « milieu naturel » de ces in­trigants, et où ils ten ten t en vain d ’engloutir le poète®. De même, dans la IV® Néméenne (v. 36-38), la mer joue un rôle analogue de force hostile®, mais, alors que la position de Pindare y est fort pré­caire — ■ V. 36-37 : εχει όίλμα μέβσον — et que la victoire n ’y est en­visagée qu’à titre d’éventualité — v. 37 : δόξομεν — ici c’est l’exul-

l ’esprit l’image de la marchandise phénicienne (v. 68 ; voir p. 151 ss.), mais s’iden­tifierait maintenant au vaisseau qui la transporte. Il est évident que le texte des V. 79-80 ne supporte aucunement une interprétation de ce type.

1. Du point de vue formel, le passage présente donc la singularité d’être fondé sur une comparaison d’ensemble (άτε, v. 79) à l’intérieur de laquelle s ’ajoute une comparaison réduite (ώς, v. 80). Voir à ce propos R. E. Grimm, p. 239.

2. J. F. Oates (p. 383) commet l’erreur de considérer le filet comme le symbole des voies cachées que Pindare ne néglige pas d’emprunter à l’occasion ; mais le fllet n’a manifestement rien à voir avec le poète.

3. G. Priesemann (p. 77) juge que la comparaison est incomplète, et que les ennemis ne sont pas nommés ; il est vrai que Pindare est à leur sujet moins expli­cite que quand il parle de lui-même, mais leur identification n ’en est pas moins fort aisée.

4. Voir G. A. M. Fennell, Pindar’s Olympian and Pythian Odes, p. 169.5. E. Thummer [Pindar. Die Isihmischen Gedichte I , p. 89) a, à ce propos, une

formule heureuse : les ennemis, dit-il, sont des filets « die iin Trüben fischen » ; voir aussi à ce propos J. de Haes, Puthische Oden, p. 43, n. 4.

6. Voir p. 95 ss.

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ta tion du triom phe présent qui s’exprime dans άβάπτκττός εΐμι άλμας (v. 80).

L ’expression des V. 79-80, avec ses deux détails du filet et du liège, présente certaines ressemblances avec un tex te d’Eschyle, dans le­quel les enfants qui préservent de l ’oubli la réputation de leur père disparu sont comparés à, des lièges qui retiennent le filet et l ’empêchent de sombrer : Cho. 505-507 : παΐδες γάρ άνδρΙ κληδόνες σωτήριοι | θανόντι · φελλοί δ’ ώς άγουσι δίκτυον, | τόν έκ βυθοϋ κλωστήρα βφζοντες λίνου. Les différences sont cependant significatives ; d’un point de Vue formel, si φελλοί ώς {Cho. 506) semble suggérer le même type de comparaison que φελλός ώς chez Piadare, le domaine de la réalité et celui du symbole se trouvent plus étroitement confondus chez Eschyle que dans la II® Pythique, car dans le tex te de Pindare ώς m aintient précisément un certain écart entre la personne du poète et l’objet qui la représente, alors que dans les Choéphores cette dif­férence est abolie par le fait que la personne elle-même — V. 505 : παΐδες — devient sujet de l’expression imagée —■ V. 506 ; όίγουσι δίκτυον . E t surtout l ’idée exprimée est proprement inversée : chez Eschyle, le liège retient le filet, et la tension, qui symbolise une action favorable®, s’exerce de bas en h a u t; chez Pindare, le filet ten te d ’envoyer le liège par le fond, et la tension, qui symbolise une action néfaste, s’exerce dans le sens contraire, de haut en bas^. On ne peut d ’ailleurs exclure la possibilité que l ’expression σκευάς έτέρας {Pyth. II 80) englobe à la fois le filet et les plombs ; si tel était le cas, la comparaison de Pindare se situerait plus près du frg. 840 P de Sophocle — μολυβδίς ώοτε δίκτυον κατέοπαοεν — que du tex te des Choéphores. Mais rien n ’est moias sûr, et telle qu’elle se présente, l’évocation de la II® Pythique ferait sans doute sourire un professionnel, ta n t le rôle cpi’y joue le filet est peu en rapport avec les réalités de la pêche. Toutefois, l’incongruité même du t a ­bleau est révélatrice : elle tradu it bien la propension du poète à sa-

1. Voir sur ce point O. Smith, p. 58 s. ; sur la dissolution progressive chez Eschyle de la comparaison homérique, qui établit une nette distinction entre Villustrans et Yillustrandum (voir p. 11, p. 177 s.), voir O. Smith, p. 53 ss. ; un autre exemple caractéristique de cette technique d’Eschyle est Ag. 1178-1183 (voir p. 178 s.) ; sur la composition « en anneau » dans Cho. 505-507 (v. 505 : σωτήριοι ; V. 507 ; σφζοντες), voir O. Smith, loc. cit., A. L. Keith, p. 109 ; sur ce texte, voir aussi H. Pfeufer, p. 40. B. L. Hughes (p. 136) y voit l’inversion de l’image du « filet de mort i> qui domine Agamemnon et les Choéphores (voir p. 157 et n. 2).

2. J. G. Hansen (p. 97) considère l’image comme une variante de celle de l ’ancre (voir p. 58 ss.) ; cette interprétation a été justement réfutée par D. van Nés (p. 165) : le liège figure le souvenir attaché à un mort, alors que l’ancre sym ­bolise la sécurité d’un être encore en vie ; voir cependant Cho. 315-317 (p. 58, n. 1).

3. Voir sur ce point À. L. Keith, p. 119 s. ; W. Elliger, p. 44.

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crifier la stricte exactitude du détaü technique -à, la Valeur symbo­lique de l ’objet représenté et à ne s’intéresser à l ’univers matériel qu’en fonction des possibilités de transposition qu’il présente dans le domaine des réalités intérieures^.

Le ton enfin de cette image appelle une dernière remarque, va­lable également pour tou te la conclusion de l’ode (v. 76-96) ; car la violence du sentiment qui s’y manifeste a parfois déconcerté la critique^, incapable d ’accorder cette explosion de joie vengeresse à, l’idée qu’elle se faisait généralement d ’un Pindare préservé des pas­sions humaines et vivant dans une sereine ignorance des conflits ; aussi certains se sont-ils refusés à adm ettre que le poète ait pu y parler en son propre nom, et B. L. Gildersleeve le premier a supposé dans les v. 76 ss. l ’existence d ’un dialogue opposant Pindare à un personnage fictif, apôtre d’une morale cynique, et qui prononcerait précisément les v. 79-80®. L’hypothèse n ’a guère eu de faveur : rien n ’indique, en fait, la présence d ’un tel dialogue, et l’on peut sans difficulté adm ettre que c’est bien le poète qui s’exprime ici^.

Au demeurant le ton est moins insolite qu’il ne pourrait y paraître : car la IV® Néméenne elle aussi nous m ontre un poète farouchement engagé dans la lu tte, et bien décidé à ne pas se laisser « couler® »; dans le cas de la II® Pythique^ est-on même véritablem ent fondé à lui attribuer une pareille virulence, en le représentant comme un homme résolu à employer tous les moyens et à rendre coup pour coup afin de parvenir à la victoire®, et en le plaçant pour cette raison sous le patronage d ’Archiloque·^? En réalité, dans la II® Py- thique elle-même, il afiirme sans ambages le peu d’affinités qu’il se sent avec l’agressivité du poète de Paros ® ; et s’il se compare ici

1. Voir à ce propos les remarques de J. de Haes, Pindaros poetische praktijk in de Oden aan Hieron en de Kyreensche Liederen, p. 129.

2. Voir L. R. Farnell, A critical commentary to the works o f Pindar, p. 133 ;C. M. Bowra, Pindar, p. 259.

3. B. L. Gildersleeve, Pindar. The Olympian and Pythian Odes, p. 255 s.4. Seiil L. R. Farnell (p. 131 s.) adopte cette hypothèse du dialogue ; les autres

critiques la récusent : voir en particulier R. W. B. Burton, p. 128 ; R. E. Grimm, p. 214 ; L. Woodbury, The epilogue o f P indar’s second Pythian [Trans, and Proc. o f the Amer. Phil. Ass., 76, 1945), p. 25 s. La meilleure mise au point concernant cette question du dialogue se trouve chez C. M. Bowra, Pindar, Pythian I I , p. 23 ss.

5. Ném. IV 36-38, voir p. 95 ss.6. Ainsi R. E. Grimm, p. 213.7. Voir à ce propos P. B. Katz (p. 67 ss.), cpii discerne sans doute à tort une

forte influence d’Archiloque sur le vocabulaire et le ton de la II® Pythique dans sa dernière partie. Les ressemblances entre Pindare et Archiloque sont rares, et parfois trompeuses : ainsi Isthm. IV 48, qui rappelle assez le frg. 66 D, est en fait une maxime qui vaut avant tout pour la lutte.

8. Pyth. II 53-55.

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au liège, prenons garde que le liège n ’agit pas : il se contente de laisser le filet s’épuiser en vains efforts ; de même Pindare, si affecté qu’il soit par les attaques dont il est l ’objet, se refuse à employer les procédés de ses adversaires : il les laisse dire, conscient que sa droiture et l’éminence de son génie sont encore sa plus sûre défense. L ’âpreté du passage provient moiïis, en définitive, des intentions polémiques du poète que de la certitude quasi insultante qu’il a de sa supériorité.

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DEUXIÈME PARTIE

LA NATURE

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Une étude des valeurs expressives du vocabulaire maritime se présente sous des aspects différents selon qu’on analyse les termes techniques désignant les diverses parties du navire et de son gréement ou ceux qui caractérisent les forces « extérieures » du vent, des vagues et de la tem pête.

En premier lieu, la valeur même des termes se modifie profondé­ment quand on passe d ’vm domaine à, l’autre : alors que les détaüs techniques de l’aviron, de l’ancre, du gouvernail, etc., traduisent avant tou t un ordre, une organisation, liés à une réflexion lucide —· qu’il s’agisse de réalités politiques, religieuses, intellectuelles, etc. — les images empruntées à la nature — aux vents changeants, à la mer houleuse, à la tourm ente — expriment au contraire une idée de désordre et symbolisent la brusque irruption en l’homme de forces proprement incontrôlables : dans le domaine psycholo­gique, ces éléments représentent les élans et les impulsions qui animent notre vie intérieure ; dans celui des considérations générales sur l ’existence humaine, ils illustrent l ’aspect imprévisible et chan­geant, souvent brutal, rarem ent favorable, de la destinée^. Cette seconde partie est donc elle aussi fondée sur l’image du voyage sur mer, mais, alors que la première n ’y envisageait que les éléments soumis à l ’action de l ’homme, celle-ci n ’en retient que les éléments dont l’action domine l’homme.

Une autre différence concerne l’exacte délimitation des termes : si κώττη, αγκυρα, πηδάλιον, etc., impliquent à, coup sûr une référence à, la mer, il n ’y a pas de certitude semblable pour κϋμα, encore moins pour όίνεμος. Si l’on considère l’image de la vague, rien n ’indique a priori —■ ta n t les Grecs ont le sentiment de l’unité de l’eau — qu’un poète a pensé, en utilisant κϋμα, à, la vague de la mer p lutôt

1. Voir sur ce point G. Soutar, Nature in Greek poetry, p. 134; H. Strohm, p. 62 ; H. Frâakel, Dichtung und Philosophie des frühen Griechentums, p. 596, n. 2 ; O. Becker, Das B ild des Weges, p. 184 ; K. Dietel, p. 140 ; J. Duchemin, Pindare poète et prophète (Paris, 1955), p. 261.

2. Voir sur ce point 0 . Becker, Das B ild des Weges, p. 31. Voir aussi infra, p. 217 s. ; le début des Sept d’Eschyle est à cet égard tout à fait caractéristique, où les armées assaillantes sont successivement représentées comme les vagues d’un fleuve (v. 80 lyr.), d’un torrent (v. 84-85 lyr.) et de la mer (v. 114-115 lyr.) ; voir p. 116, 262.

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qu’à celle d ’un torrent. E t avec les term es désignant le vent, on se trouve sur un terrain encore moins sûr : car qui prouve que l’em­ploi de δνεμος suppose à chaque fois l’image de la mer que le vent creuse ou du navire qu’il entraîne? Il y a des cas où cette référence à, la mer est explicite d ’autres où l’on doit de tou te évidence la sous-entendre pour une juste appréciation de l’image®, mais les textes demeurent parfois assez vagues pour qu’il apparaisse aussi plausible d ’y supposer qüe d ’y nier la présence d ’une image m ari­tim e Compte tenu toutefois de la propension des Grecs à, penser en termes marins, on a, dans cette seconde partie, considéré, non sans quelque arbitraire, que, toutes les fois que le contexte ne s’op­pose pas de tou te évidence à ime telle interprétation, l ’image de la vague et celle du vent appartiennent à, l’ensemble des images maritimes.

Cela nous conduit à, quelques remarques concernant la méthode suivie par ailleurs.

L’image du vent est étudiée en premier lieu, car c’est l ’action du vent qui est à, l’origine des bouleversements de la mer ; l’image de la mer, quant à elle, est considérée dans son double aspect : étendue— la mer proprement dite —· et mouvement — la vague ; l ’image de la tem pête et celle, antithétique, du calme sont traitées en der­nier lieu, car dans la p lupart des cas des term es comme χείμών ou son contraire εΰδΕα impliquent des références à la fois au vent et à, la mer®.

Comme, d ’autre part, les mots analysés dans chacune de ces sec­tions ont des sens souvent fort voisins, il ne pouvait être question d ’étudier successivement άνεμος, οΰρος, «üpa, etc., é tan t donné les re­dites qu’une telle méthode n ’aurait pas m anqué d ’entraîner ; on a préféré, dans ces conditions, les regrouper en fonction des thèmes qu’ils expriment : vent constant, vent inconstant, vent du malheur, etc. C’est également eu égard à l’unité de chaque thèm e qu’on a inclus dans le commentaire certains term es que Pindare n ’utilise pourtant pas au figuré : l’ensemble du vocabulaire évoquant la mer,

1. Pind., Pyth. XI 39 b-40 ; ή μέ τις άνεμος πλόου | ^βαλεν, ώς βτ’ άκατον έναλίαν ; voir ρ. 33 s., ρ. 183 S.

2. Pind., Pyth. I l l 105 : άλλοτε δ’ άλλοϊαι ττνοαΐ | ύψιπεταν άνέμων ; voir ρ. 200 ss.3. Soph., Ant. 929-930 lyr. : έτι των αύτών άνέμων αύταί | ψυχής ^ιπαΐ τήνδε γ’

^χουσιν ; voir ρ. 172, η. 7.4. Celle-ci soulève chez Pindare des questions particulièrement délicates, et

qu’il est parfois difficile de trancher ; voir p. 235 ss.5. Sur l’image de l’écueil et du naufrage et les raisons qui ont incité à la rat­

tacher à celle de la tempête, voir p. 320, n. 1.

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la vague, la tem pête, forme ün to u t d ’une telle cohérence qu’il nous a paru que l ’étude de πέλαγος, de κϋμα et de χειμών —· qui figurent chez lui —■ n ’aurait pas été complète sans celle de πόντος ou de θάλαβσα, de κλύδων ou de σάλος, et de χεϊμα — qu’il ignore.

Une catégorie déterminée de termes appelle enfin une brève re­m arque : ceux qui évoquent les bruits de la mer, le fracas des vagues qui se brisent, βρέμειν et ροθεϊν. Si primitivement la valeur marine de ces termes est incontestable^, ils n ’ont pas tardé à trouver des emplois figurés dans lesquels le rapport avec l’élément d ’origine n ’est plus véritablement senti ; ainsi, βρέμειν — ou βρέμεσθαι —■ évoque des bruits de bataille (Eur., Héracl. 382 ; Phén. 113), ou le grondement de voix (Aie., frg. 130 LP, 33-36; Pind., Pyth. X I 30; Eschl., Eum. 977-978 lyr. ; Sept 348-350 lyr., 377-378 ; Soph., frg. 314 P, 278; Eur., Hér. 962, etc.) ou d’instrum ents (Eur., Bacch. 162 lyr., etc.), parfois des deux : Pind., Ném. X I 7-8 : λύρα δέ | σφι βρέμε- ται καΐ άοιδά.; ρόθος, quant à lui, aÎQsi que ροθεϊν ou ρόθιον, est en­core plus limité dans les descriptions de murmures ou de cris confus ou hostiles (Hés., Travaux 220; Eschl., Pers. 406; Soph., Ant. 259, 290; Eur., Andr. 1096, etc.)®. La fréquence et l ’uniformité de ces emplois figurés témoignent assez de la décoloration de ces termes, qui ne sont manifestement plus sentis comme appartenant à la sphère maritime : c’est pourquoi on les a délibérément exclus de cette seconde partie®.

1. Pour βρέμειν (βρέμεσθαι) dépeignant le grondement des vagues, voir Hom.,II. II 210, IV 425 ; Eur., Tro. 83, etc. ; ρόθιος et les termes apparentés désignent le même bruit : voir Hom., Od. Y 412 ; Eut., Iph. Taur. 1133, etc.

2. Parfois la seule notion perceptible est celle de bruit ou de cri, sans nuance particulière : Pind., frg. dout. 1,16-17 : πολύν ρ6θ[ο]ν ί'εσαν άπό στομ[άτων | [Έ]λείθυιά τε καΐ Λάχεσις ; Soph., frg. 210 P, col. I l l , v. 66 ; Ion, frg. 45 N, etc. Dans Eschl., Pers. 462, ρόθος désigne le bruit des avirons qui frappent l’eau ; έξ ένός ρόθου est en fait l ’équivalent de ένΙ πιτύλφ (v. 975 lyr.), au sens de « d’un seul coup ». . 3. Pour le neutre pluriel ^όθια au sens de « brisants », « vagues déferlantes », voir p. 239 s., le commentaire à Pind., Péan VI 128-129.

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CHAPITRE PREMIER

LE VENT

Le v e n t c o m m e s y m b o l e d ’u n é t a t d ’e s p r i t , d ’u n e é m o t i o n ,d ’u n e INSPIRA TIO N .

L’image du vent telle qu’elle apparaît dans la poésie grecque pour symboliser un éta t d ’esprit, une émotion, ime inspiration, ne peut se comprendre qu’à p a rtir d ’une certaine conception que se font les Grecs de la vie intérieure, et dont l ’épopée homérique est le plus éloquent témoignage.

On a déjà eu l ’occasion de constater qu’Homère associe volon­tiers, dans l’expression M φρεσΙ θυμός, θυμός, le sentim ent, à φρένες, le cœur où ce sentiment est éprouvé^ ; en fait, φρένες désigne prim i­tivem ent les poumons et θυμός l ’air qu’ils contiennent, et par ex­tension le souffle de la respiration et de la vie^ : dans les φρένες, le θυμός <( vole » comme le souffle d ’un vent®. Mais ce mouvement du souffle vital s’associe plus largement, aux yeux des Grecs, à celui des sentiments et des pensées qui animent la vie intérieure de l ’homme : le θυμός est, comme le dit R. B. Onians, « the breath that is conscious­ness variable^ dynamic, coming and going, changing as feeling changes and, we may add, as thought changes^ ». G’est lui qui est à l’origine de ses actions, qui détermine ses impulsions ® et, ainsi, il est tou t à fait compréhensible que dans ses accès de courage et d’énergie le personnage homérique soit représenté comme « respirant » ou « soufflant » ce courage qui est pour ainsi dire diffus dans soq être® :II. III 8 : μένεα ττνείοντες ; Od. X X II 2 0 3 : μένος ττνείοντες. Otl passe ainsi de la notion purement physiologique de « respiration » à celle de Γ « inspiration » que l’on trouve en soi, et qu’on « souffle ».

1. Voir p. 140, n. 2.2. Voir à ce propos R. B. Oaians, p. 24 ss., p. 44 ; pour des exemples chez

Homère de ce sens primitif de θυμός, voir p. 45.3. II. X X I 386 ; voir p. 171.4. R. B. Onians, p. 50.5. R. B. Onians, p. 31 : « thinking, feeling, impelling to action ».6. Voir R. B. Onians, p. 50.

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Mais Homère est loin de coOcevoir rhom m e so as la dépendance de sa seule volonté ; à bien des manifestations de sa vie intérieure, il reconnaît l ’action des dieux, et un soudain accès de courage, une impulsion, une résolution lui apparaissent comme un signe de leur intervention 1 : les dieux « soufflent » aux hommes des sentiments de résolution et de hardiesse — · II. X 4 6 2 : ^μττνευσε μένος ; Od. X X I V 5 2 0 : ^μτινευβε μένος μέγα ; I X 38 1 : θάρσος ένέττνευσεν μέγα — ■, ils leur « soufflent » aussi des avis, des pensées : II. I 2 9 7 ; I V 3 9 ; Od. I 2 9 4 ; X I 1 4 6 , etc.^. Ainsi se trouve établi, comme précédemment, le pas­sage de la notion de « respiration » à, celle d ’ « inspiration », mais il s’agit cette fois d ’inspiration divine^.

Ces conceptions, toutefois, ne se traduisent pas seulement dans l ’épopée homérique par l’emploi de τινεϊν ou de έμττνεϊν, mais aussi par de vastes comparaisons empruntées à la nature, et dont les plus caractéristiques sont II. X I V 16 -21 et I X 4 - 8 ^ Dans la pre­mière, l’état d ’âme de Nestor, au moment où il hésite encore sur la décision à prendre, est représenté par l’image d ’une lame sourde qui, pour rouler dans une direction déterminée, attend la venue d ’un vent : X I V 16 -21 : ώς S’ δτε πορφύρη πέλαγος μέγα κύματι κωφφ, | όσσό- μενον λιγέων ανέμων λαιψηρά κέλευθα, | αΰτως, ούδ’ άρα τε προκυλίνδεται ούδετέρωσε, | πρίν τινα κεκριμένον καταβημέναι έκ Δώς οδρον, | ώς ό γέρων ώρμαινε δαϊζόμενος κατά θυμόν | διχθάδι’ κτλ. E t dans la seconde les es­prits des Achéens en proie à deux tentations opposées sont com­parés à une mer où s’affrontent deux Vents contraires : I X 4 -8 :ώς δ’ όίνεμοι δύο πόντον όρίνετον Ιχθυόεντα, | Βορέης καΐ Ζέφυρος, τώ τε Θρήκηθεν δητον, | έλθόντ’ εξαπίνης · δμυδις δέ τε κϋμα κελαινόν | κορθύεται, πολλόν δε παρ’ έξ άλα φϋκος εχευεν · | ώς έδαΐζετο θυμός ένΙ στήθεσσιν ’Αχαιών. AlorS qu’au chant I I I (v. 8)® le souffle constant du vent — ττνείοντες — traduit une volonté tendue sans relâche vers un but, ici c’est au contraire l’indécision et la perplexité — X I V 2 0 : ώς... δαϊζόμενος ; I X 8 : ώς έδαΐζετο — ■ que symbolisent l’image du vent hésitant et celle des vents contraires ; il en va de même en X X I 3 8 6 : δίχα δέ σφιν ένΙ φρεσΙ θυμός άητο, OÙ le θυμός apparaît dans sa conception primitive,

1. R. B. Onians, p. 51.2. R. B. Onians, p. 56.3. Voir R. B. Onians, p. 50. Dans les deux cas, la notion d’ « inspiration »

est ambiguë : que l ’homme la reçoive de lui-même ou des dieux, ce n’est là, semble-t-il, qu’une transposition de Γ « inspiration » au sens physiologique du terme : celle qu’il prend avant d’agir ; voir R. B. Onians, p. 51.

4. Voir aussi VII 4-7 ; pour une étude des comparaisons empruntées au vent dans VIliade, voir H. Frânkel, Die homerischen Gleichnisse, p. 19 ss. ; O. Becker, Das B ild des Weges, p. 169 ss. ; O. von Weber, p. 75 ss. ; I. Schudoma, Naturer- scheinungen und Naturgesohehen bei Homer. Untersuohungen über ihre dichterische Funktion in der Ilias (Diss. Tubingen, 1961), p. 118 ss.

5. Voir p. 170.

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«soufflant » —· άηΐο, cf. IX 5 ; — dans deux directions oppo­sées — δ£χα, cf. XIV 21 : διχθάδι’.

Cette représentation par le vent des impulsions parfois mal dé­finies qui animent la vie intérieure de l ’homme^ trad u it une fonc­tion du langage imagé assez particulière dans VIliade : la plupart des comparaisons de ce poème, en effet, m ettent en rapport des éléments appartenant tous deux au domaine concret — ainsi de l’illustration d ’une scène de bataüle par une scène de tempête® — alors qu’ici c’est une réalité proprement abstraite — l’éta t d ’âme des Achéens — qui est définie par le détail concret — Zéphyr et Borée ; cette façon de rendre sensibles, grâce à la comparaison, les événements de l’âme, ses sentiments, ses émotions, autrem ent dit de suggérer une réalité intangible au moyen d ’un élément imagé, est un phénomène relativem ent rare dans Ylliade^, plus courant dans VOdyssée^. Il ne restera plus aux tragiques et à Pindare qu’à rendre encore plus étroits ces rapports entre les deux domaines, jusqu’à les confondre.

L ’héritage d ’Homère se manifeste en premier lieu, chez eux, par des emplois de πνεϊν et de ses composés où l’idée prim itive de souffle demeure encore perceptible : ainsi Pind., 01. V III 70; Pyth. X 44; Eschl., Ag. 1206, 1235-1236; Cho. 952 lyr. ; Enm. 840-8416; Soph., Ant. 135-137 lyr. ; Eur., Iph. Taur. 288, 1317 ; Phén. 454, 789-790 lyr., 794-795 ly r.; Bacch. 6 2 0 — les term es servant comme chez Homère à suggérer ta n tô t les inspirations, les sentiments de l ’homme, ta n tô t les influences des dieux. S’agissant de certaines divinités, il est d ’ailleurs malaisé d ’apercevoir les limites qui séparent ces deux

1. Pour άηται (Eschl., Cho. 391), voir p. 175 s.2. H. Frânkel [Die homerischen Gleichnisse, p. 19) défiait le vent comme

« Erregung, Stimmung, Entschluss ». Voir aussi p. 20, Dichtung und Philosophie des frühen Griechentums, p. 555, n. 3, et I. Schudoma, p. 120 ; « konnte man die W inde meist nur als unbestimmte Impulse verstehen ».

3. Voir p. 258 s.4. Voir A. L. Keith, p. 16 ; R. B. Onians, p. 46 ; H. Frânkel, Die homerischen

Gleichnisse, p. 111. Il semble d’ailleurs que ce soit l’élément abstrait qui re­tienne de plus en plus l’attention d’Homère ; voir H. Frânkel, loe. cit. ; J. G. Han­sen, p. 78 s. ; dans II. XIV 16-21 (p. 171), l’élément extérieur — la mer et le vent — est subordonné à la représentation de l’état d’âme, on pourrait même dire sacrifié, tant l’évocation de la nature est matériellement inexacte. VoirH. Frânkel, p. 19 ; pour la fonction psychologique de II. XV 624-629, voir p. 9.

5. Voir p. 285 s. et les remarques de H. Seyiïert, p. 37, p. 54.6. Pour Eum . 137, voir p. 288.7. Parfois, au lieu de τινεϊν ou de τηιεϋμα, ce sont des termes désignant le vent

sans équivoque possible qui sont appliqués par transposition aux mouvements intérieurs de l’âme : ainsi όίνεμος (Soph., A nt. 929-930 lyr.), αΰρα (Eut., Suppl. 1029-1030 lyr., 1048), έπουρίζειν (Eur., Andr. 611) ; sur l’image du vent dans Antigone et les Phéniciennes, voir p. 284 s.

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domaines^ : si dans VAgamemnon d ’Eschyle, v. 1235-1236 : αβπονδόν τ’ ’Άρη I φίλοις τηιέουσαν, ’Άρη (ν. 1235) désigne des sentiments belli­queux et situe TTvéourfav (v. 1236) dans le domaine intérieur, dans les Sept^ v. 343-344 lyr. : μαινόμενος 8’ έπιττνεΐ... I ... ’Άρης, ’Άρης (ν. 344) désigne le dieu de la guerre et situe έπιττνεΐ (v. 343) dans le domaine extérieur des tem pêtes du destin^; même ambiguïté cbez Euripide, Ipà. A ni. 69 : δτου πνοαΐ φέροιεν Αφροδίτης φίλαι, OU dans le frag­ment anonyme de tragique 187 N : διβσά νεύματα τηιεϊς, ’Έρως. Comme, d ’autre part, le sens des termes a évolué depuis l’époque homérique, on observe dans le vocabulaire certains flottements : chez Euripide, Bacch. 620 : θυμόν έκττνέων, θυμός, le Sentiment, « est soufflé », alors que chez Eschyle Sept 52-53 ; σιδηρόφρων γάρ θυμός... I ëTWet, θυμός, le cœur, « souffle ». Enfin, dans bien des cas, la valeur originelle de Tweïv s’est affaiblie en grec au point de ne plus traduire, de façon assez Vague, que l ’idée d ’ « aspiration » : Püid., 01. X 92-93 ; Pyih. XI 30; Ném. I I I 42®; Eur., Andr. 189,327, etc. Néanmoins, cer­taines évocations d ’Eschyle et de Pindare supposent une représen­tation très imagée, profondément sentie, du vent qui souffle.

L’insistance avec laquelle Eschyle recourt dans les Suppliantes à des images empruntées au vent tient à la fois à, la réalité — le sou­venir de la traversée tou te récente des Danaïdes — et au mythe de lo — la légende de la conception d ’Épaphos par Γέπίττνοια de Zeus*. Le poète joue ici sur l ’ambiguïté des termes inimoia., επι- ττνεϊν, qui désignent ta n tô t le souffle des vents (Hom., II. V 697- 698 ; Od. IX 139 ; Hérod. I II 26) et tan tô t l’inspiration divine (Plat., Lois 811 G ; Phèdr. 265 B) : dès lors l’image oscille, grâce à de sa­vantes modulations du sens propre au sens figuré, entre ses trois aspects : souffle, vent, tempête®. Ce que les Danaïdes attendent de la terre d ’Argos, c’est qu’elle les accueille avec un « souffle de clé­mence », V. 28-30 lyr. : δέξαιθ’ ικέτην I τόν θηλυγενή στόλον αίδοίφ | τινεύματι. χώρας, et τηιεύματι (V. 30) évoqUe à la fois le sentiment qu’elles espèrent inspirer aux Argiens et le vent qui conduit leur destin ® ; à l’image de cette brise favorable répond celle de la tem pête qu’elles souhaitent aux Égyptiens, v. 34-37 lyr. : M a Sè λαίλαπι | χειμωνο-τύπφ, βροντή οτεροττη τ’ | όμβροφόροισίν τ’ άνέμοις, άγριας | άλός άντήσαντες

1. La même difficulté s’est rencontrée pour l’image du pilote, voir p. 136 s.2. Voir p. 213 ss.3. Sur JVém. III 41-42, voir p. 90.4. V. 17-19 lyr. : γένος ήμέτερον της οΕβτροδόνου | βοός έξ επαφής κάξ έπιπνοίας |

Δώς εύχόμενον τετέλεσται ; ν . 577 lyr. : θείαις έπιτηιοίαις.5. Sur le thème du vent dans la tragédie, voir O. Hiltbrunner, p. 17, p. 31,

et surtout R. D. Murray, The m otif o f lo in Aeschylus’ Suppliants (Princeton, 1958), p. 37 ss.

6. R. B. Onians, p. 54 : « breeze », « breath » ; R. D. Murray, p. 38.

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δλοιντο. Mais si jusqu’à présent Zeüs a su guider à, l ’écart des tourmentes la race que son souffle a créée — v. 136 lyr. : άχεί- ματόν μ’ επεμψε σύν τη/οαϊς — les Danaïdes n ’en redoutent pas moins les « (>enis incertains » que leur réserve l’avenir — v. 125 lyr. : δυσάγ- κριτοι τπιόοι^ — et plus précisément la tem pête de la colère d ’Héra, V. 165-166 lyr. : χαλεπού I γάρ έκ ττνεύματος εΐσι χειμών^. La dernière image de la pièce qui soit empruntée au vent unit dans un même term e ses diverses acceptions, v. 1044-1045 ]yr. ; φυγάδεσβιν 8’έπιττνοίας κακά τ’ άλγη | πολέμους θ’ αίματόεντας προφοβοϋμαι; έπιτη οίας(ν. 1044), qui désigne par ailleurs le souffle propice de Zeus (v. 18, V. 577), a ici pour la première fois, par son association avec άλγη et πολέμους. Une signification défavorable ; mais sa fonction, en fait, est d’unifier et de résumer les trois notions de souffle, de Vent et de tempête : ce que peuvent craindre les Danaïdes, c’est non seule­ment l’ouragan de la guerre, mais le souffle du vent en tant que symbole sexuel de création (cf. v. 17-19), c’est-â-dire le mariage avec les Égyptiens®.

Il y a une étonnante subtilité dans cette manière d’orchestrer le thème du vent sur le triple plan du mythe, du symbole et de la réalité ; cette dernière à vrai dire joue un rôle de tout premier plan dans la genèse des images d’autres tragédies ^ et dans VOrestie, c’est également la situation qui est dans Une certaiae mesure à l’origine de l’image. Si l’élément mythique en est absent, du moins le rapport est-il encore plus étroit que dans les Suppliantes entre le domaine extérieur du Vent et celui, intérieur, des sentiments®.

L’ambiguïté de πνεϊν et de ses composés y permet en effet au poète, notamment dans Agamemnon, de décrire l’état d’esprit, les aspirations des personnages en termes qui appartiennent aussi au domaine du vent ®, et l ’emploi du Vocabulaire vaut de cette façon sur deux plans, l’un proprement descriptif, l’autre métaphorique, entre lesquels s’établissent de saisissantes correspondances : les vents contraires qui bloquent la flotte grecque à Aulis, la tempête

1. Pour κϋμα (v. 126), voir p. 269.2. Voir R. D. Murray, p. 39 ; sur χειμών (v. 166), voir p. 286.3. Voir R. D. Murray, p. 41, p. 43, p. 68.4. Ainsi, dans les Perses, l ’image de la vague et de la mer de malheurs (p. 217,

p. 259 s., p. 269) ; dans Prométhée, celle de la tempête (p. 269, p. 279 s.).5. Sur le rôle joué par la réalité dans la création des images chez Eschyle,

voir F. R. Earp, The style o f Aeschylus, p. 69 ; D. van Nés, p. 35 ; E. Neustadt, Wort und Geschehen in Aischylos’ Agamemnon (Hermes 64, 1929), p. 259, n. 1.

6. Voir à ce propos R. B. Onians, p. 53 s. ; W. Headlam, p. 437 ; F. R. Earp, The style o f Aeschylus, p. 109 ; W. B. Stanford, Aeschylus in his style, p. 100 ; J. J. Peradotto, Some patterns o f nature imagery in the Oresteia (Amer. Journ. Phil. 85, 1964), p. 378 ; W. C. Scott, W ind imagery in the Oresteia (Trans, and Proc. of the Amer. Phil. Ass. 97, 1966), p. 461.

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qui l’assaille et la détruit partiellement, ont leur contrepartie dans le domaine figuré, qu’il s’agisse d ’évoquer les sentiments d ’Agamem- non ou les malheurs qui fondent sur sa demeure C’est ainsi que le roi est représenté au v. 187 (lyr.) comme έμπαίοις τύχαιαΐ συμ- ττνέων ; tan t qu’il se résigne à rester à, Aulis, il « souffle dans la même direction » que les vents contraires venus de Thrace — v. 148 lyr. ; άντιττνόους ; V. 192 lyr. : TTVoal 8’ άπό Στρυμόνος μολοϋσαι ; V. 654 : Θρήκιαι τινοαί — symbole de l ’adversité qui frappe les Grecs en condamnant leur expédition ; et lorsqu’il prend la décision de sacri­fier sa fille, c’est encore l’image du vent qui caractérise ison état d ’esprit, v. 219-220 lyr. : φρενος πνέων δυσσεβη τροπαίαν, | ανα -νον, άνίερον : cette décision qui modifie brusquement sa conduite appa­raît à l’image d ’une « saute de vent » — τροπαίαν : y. 219 — qui sym­bolise le passage de la raison à, la déraison ; d ’abord simple auxiliaire du vent, Agamemnon se confond ici avec lui et incarne sa force des­tructrice

Il y a donc ici identification entre le vent proprement dit, le vent du sort et le Vent de la volonté ou du sentiment : dans l’image des V. 219-220, le vent est dans Agamemnon, Agamemnon est le vent Mais il peut se faire aussi que le personnage éprouve le sentiment, pourtant intérieur, à la manière d ’une bourrasque venue du dehors : ce brutal assaut l’apparente alors à un navire. Dans les Choéphores, le coryphée, qui observait auparavant une conduite prudente, y renonce brusquement sous l ’empire de la colère, et cette colère mêlée de haine dont il ressent soudain les atteintes est décrite comme une rafale venue de l ’avant, et qui modifie le cap du vaisseau, v. 388- 392 lyr. : τί γάρ κεύ|θω φρενός οϊον έ'μπας | ποτδται, πάροιθεν δέ πρώρας | δριμύς αηται κραδίας [ θυμός, &γκοτον στύγος®; πάροιθεν... πρώρας (ν. 390)

1. Sur ces correspondances entre le vent extérieur et celui des sentiments du, roi, voir A. Lebeck, p. 56 et n. 3 ; J. J. Peradotto, p. 383 : « the weather ima­gery. .. is characterized by subtle modulation between the actual and the metaphoric. .. » ; W. C. Scott, p. 459 s., p. 468, p. 470. Sur l ’image de la tempête, voir p. 286 ss.

2. De même les courants changeants de l’Euripe symbolisent son indécision ; voir J. J. Peradotto, loc. cit.

3. Voir O. Becker, Das B ild des Weges, p. 173 s. Les v. 219-220 sont à rap­procher de Sept 705-708 lyr. (cités p. 190) ; φρενός... τροπαίαν [Ag. 219) rappelle λήματος... τροπαίι {Sept 706), τινέων {Ag. 219) θελεμωτέρφ | ττνεύματι {Sept 707- 708) ; mais dans les Sept il s’agit seulement du vent du destin. Voir p. 190, p. 213 ss.

4. Voir W. C. Scott, p. 464 ; l’auteur note à juste titre (p. 469 s.) que le vent est dans Agamemnon et les Choéphores synonyme de destruction ; il reparaît à chaque génération et implique à la fois les agents du destin — Agamemnon, Oreste — et ceux qui leur sont proches — Glytemnestre, Électre, Cassandre ; voir p. 286 ss.

5. Voir O. Becker, Das B ild des Weges, p. 172.6. O. Becker, loc. cit. : « Jetzt fàllt... dies πίκρον... στύγος m it dem entfachten

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impose ici avec une rare nette té l’image du navire, devant la proue duquel^ « vole » la colère comme un vent qui souffle : δηταο (v. 391, cf. Hom., II. X X I 386 : θυμός άητο ; IX 5 : όίητον)^, ποταται (v. 390) De même la peur « vole » devant le cœur dans Agamemnon, V. 975-977 ly r . : τίτττε μοι τόδ’ έμπέδως | δεϊμα προστατήριον | καρδίας τεραοκόπου ποτδται ; πρφρα ne figure pas ici, mais l ’évocation d ’en­semble est aussi suggestive, et le sentiment éprouvé dans tou te sa violence est ici encore représenté, par ποτάται (v. 977) et προστατή- ptov (v. 976), comme un vent*.

Tout aussi significatifs sont les termes auxquels Eschyle recourt dans Prométhée pour dépeindre la crise de démence qui frappe b ru ­talem ent lo ; cette dernière est en effet représentée comme un vais­seau b a ttu des vents, qui s’égare v. 838 : παλιμπλάγκτοιβι. χειμάζη δρόμοις®, et l ’image est reprise et développée quelques vers plus loin V. 883-884 lyr. : 8ξω δέ δρόμου φέρομαι λύσβης | ττνεύματι μάργω γλώββης άκρατής®. L’assaut de la démence est tradu it par deux images caractéristiques, appartenant à, des domaines très différents et qui se succèdent sans transition : celle du char qui quitte la piste — comme dans les CJioéphores, où elle évoque la folie d’Oreste, v. 1022-1024 :ώσπερ ξύν ΐπποις ήνιοστροφώ δρόμου | Ιξωτέρω · φέρουιϊΐ γάρ νικώμενον | φρένεςδύβαρκτοι — celle du navire qu’tm furieux coup de vent, le vent de la folie (v. 883-884 : λύσσης | τΛεύματι), empêche de ten ir son cap. Il semble que δρόμος et φέρεσθαι (v. 883) évoquent en eux- mêmes plutôt un char qu’un b a te a u ’ ; toutefois, ces termes sont ambigus et valent également sur mer®. C’est précisément leur carac-

Drang des innern Wollens ivie eine Bo von vorn ins Segel und kommt den bisher von der vernünftigen Vorsicht gebotenen Kurs, den Kurs des fügsamen Verhehlens. »

1. κραδίας (v. 391) dépend de θυμός (v. 392) et noa, comme le pense J. G. Han­sen (p. 86, n. 1), de πρφρας (v. 390).

2. Voir p. 171.3. R. B. Onians (p. 46) observe que pour Eschyle θυμός « was a matter o f breath » ;

mais les ressemblances avec Homère — II. X X I 386 : θυμός άητο ; Cho. 391-392 : άηται... | θυμός — ne doivent pas dissimuler que θυμός a dans notre passage le sens de « colère », et non plus de « sentiment » ; sur ces v. 388-392, voir aussi R. B. Onians, p. 54 ; H. Disep, p. 127.

4. Pour la localisation chez Eschyle du sentiment au voisinage du cœur, voir J. de Romilly, La crainte et l’angoisse dans le théâtre d ’Eschyle (Paris, 1958), p. 43 ; pour l’image que suggère ποτάται, p. 44. A propos de Ag. 976, W. Headlam (p. 437, n. 12) rapproche ingénieusement προστατήριον du substantif βτάσίς ap­pliqué aux vents et désignant la direction où ils soufflent, cf. Aie., frg. 46 a D, 1 ; άσυ[ν]νέτημι των άνέμων (ϊτάσιν (voir p. 106).

5. Pour χειμάζη, voir p. 279 s.6. Sur l’image des v. 885-886, voir p. 249 s.7. Voir Cho. 1022 : δρόμου ; 1023 : φέρουσι.8. Pour δρόμος, voir Théogn. 856 : ^δραμεν ; Eschl., Pro. 838 : δρόμοις ; Soph.,

A j. 1083 : δραμοϋοταν ; Eur., Hér. 95 : δρόμος ; pour l’emploi de δρόμον dans H ipp. 1227, voir p. 103 ; pour φέρεσθαι, voir Théogn. 671 ; φερόμεσθα ; Anacr.,

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tère équivoque qui permet, au moment où ττνεύματι (v. 884) leur donne une coloration précise, de passer brusquement de l’image terrestre à. l’image maritime^.

Cet ensenible de textes constitue un témoignage remarquable de l’usage qu’une imagination poétique pouvait faire de termes aussi décolorés que l ’étaient sans doute au v® siècle πνεϊν et les termes apparentés ; il révèle la tendance profonde du génie d ’Eschyle à transposer en notations concrètes les éléments abstraits de la vie intérieure et à prêter à l’univers des sentiments l’intensité de vie qui est celle de l’univers des objets®; et si dans ce domaine Homère lui a ouvert la voie^, ces deux mondes, quoique proches, n ’en de­m eurent pas moins chez le poète épique distincts l’un de l ’autre, en raison du procédé même de la comparaison®, alors que chez le

frg, 31 D : φορεϋμαι. ; Aie., frg. 46 a D, 4 ; φορήμ[μ]εθα ; Eschl., Sept 819 ; φορού- μενοι.

1. Certains voient là uniquement l’image du char : ainsi O. Becker, Dos Bild des Weges, p. 162 ; J. T. Lees, The metaphor in Aeschylus (Stud. B. L. Gilder- sleeve, Baltimore, 1902), p. 490 ; au contraire, H. Disep, p. 198 s. ; R. B. Onians, p. 54, n. 5 ; J. de Romilly, p. 36 ; sur l’ambiguïté de δρόμος et de φέρεσθαι, voir J. de Romilly, p. 38, n. 1 ; H. Disep, loc. cit. ; W. Headlam, p. 438. Sur la suc­cession chez Eschyle d’images appartenant à des domaines différents, voir W.B. Stanford, Aeschylus in his style, p. 94 s. Sur les ressemblances entre Eschl., Pro. 883-884, et Pind., Pyth. XI 38-40, voir p. 184.

2. La part d’invention personnelle est tout aussi grande, mais dans un re­gistre naturellement fort différent, chez Aristophane, pour évoquer le vent de la colère de Cléon, qu’il souffle sur le charcutier — Cav. 430-431 : ^ξειμι γάρ σοι λαμπρός ·ΐ5δη καΐ μέγας καθιείς, | όμοϋ ταράττων τήν τε γην καΐ τήν θάλατταν είκη ; 437 : οδτος ήδη καικίας ή συκοφαντίας ττνεϊ — mais qui parfois s’apaise —· 441 : xb τη/εϋμ’ 2λαττον γίγνεται ; au v. 692, ce vent soulève une lame sourde — ώθών κολόκυμα καΐ ταράττων καί κυκών (voirp. 271, η. 2) — mais au v. 760 c’est au tour du charcutier de souffler sa colère sur l’adversaire : δπως ëξει πολύς καΐ λαμπρός εΕς τόν ανδρα ; sur λαμπρός (ν. 430, V. 760) et πολύς (ν. 760) qualifiant un vent, voir p. 179, n. 1, et p. 201. Sur la représentation nautique de l’affrontement entre les deux personnages, voir p. 53 et n. 5 ; voir aussi A. Komornicka, cpii a bien souligné la fonction des images maritimes dans les Cavaliers, qui « ont pour but d’illustrer l’activité destructive et le caractère impétueux du démagogue » (p. 53 s.) ; voir aussi p. 57, n. 1, et p. 161 s. ; à propos de l’emploi de ταράττων (v. 431, V. 692), voir H. J. Newiger, p. 27 ss.

Même image du vent de la colère dans les Grenouilles (v. 998-1003 lyr. cités p. 53), où l ’on remarquera qu’Eschyle ressent sa propre colère du dehors, v. 1003 : [ήνίκ’ άν τό] | τηιεϋμα... λάβ^ς. Enfin, sur l’image du « vent de la colère » dans la Médée d’Euripide (v. 523-525), voir p. 53, n. 4.

3. Voir à ce propos A. L. Keith, p. 109 s. ; H. Pfeufer, p. 109 ; J. G. Hansen, p. 85 ; J. Seewald, Untersuchungen zu S til und Komposition der aischyleischen Tragodie (Greifsw. Beitr. f. Lit. u,ad Stilforsch. 14, Greifswald, 1936), p. 45 : « Aischylos... zwingt die râtselhaften Abgründe menschlichen Seelebens in feste, greifbare Formen. » Sur les fonctions de la métaphore eschyléenne, voir aussiF. R. Earp, The style o f Aeschylus, p. 107 ss. (voir p. 95, n. 1).

4. Voir p. 170 ss.5. Voir p. 9 s.

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tragique ils se trouvent, grâce à, l’emploi de la métaphore, propre­ment confondus.

Mais la représentation du « coup de vent » du sentiment, de l’émo­tion, de la crise, se rattache plus largement à, la conception que se font les Grecs d ’une autorité de la raison sur l ’être humain en tous points semblables à l ’action souveraine du pilote sur la conduite du vaisseau^; dans ce parcours en ligne droite, l’assaut des émo­tions et des sentiments, conçu comme une force venue de l’extérieur, se matérialise donc naturellem ent par l’image de la rafale qui dévoie le Vaisseau : « Das « Kurshalten », « Steuern » versinnlicht in echt grie- chischer A rt den « Weg der Vernunft », das φρονεϊν, ebenso (vie umge- kehrt der « Windstoss » gerade den « irrationalen » Drang des Affekts vertritt, der im Griechisehen so oft als eine « von aussen » andringende Macht empfunden wird^. » Il faut sans doute qu’une telle conception ait été profondément enracinée dans la pensée grecque pour qu’Héro- dote ait pu par deux fois exprimer l ’idée de folie en disant que le personnage qui en ressent les atteintes « vogue hors de son bon sens » ; I II 1 5 5 : κώς ούκ έξέπλωσας των φρένων σεωυτόν διαφθείρας ; VI 12 : παραφρονήβαντες καΐ έκπλώσαντες έκ τοϋ νόου

C’est encore l’image du vent qui caractérise l’inspiration propre­ment dite, celle du prophète et du poète. Ainsi, dans la IV® Pythique, Pindare fait, à, propos des prédictions de Médée, allusion aux paroles « que jadis la fille inspirée d ’Aiétès souffla de sa bouche immortelle », V. 11 : [2πος] ΑΕήτα τό ποτε ζαμ,ενής | παϊς άπέτη/ευσ’ αθανάτου στό­ματος ; l ’oracle contenu en elle s’exhale, sous l’empire du dieu, à la manière d ’un vent. Eschyle use d ’une image analogue, quoique infiniment plus développée, pour évoquer les malheurs que Cas- sandre se prépare à, dévoiler : Ag. 1 1 7 8 -1 1 8 3 : καΐ μήν ό χρησμός ούκέτ’έκ καλυμμάτων | &αται δεδορκώς νεογάμου νύμφης δίκην · | λαμπρός δ’ Ιοικεν ήλίου ττρος άντολάς | ττνέων έσάξειν, ώστε κύματος δίκην | κλύζειν προς αύγάς τοϋδε ττήματος πολύ | μεϊζον · φρενώσω δ’ ούκέτ’ έξ αινιγμάτων. Le don prophétique du personnage est représenté comme un vent, grâce à l ’emploi de λαμπρός (v. 1 1 8 0 ) ; en fait, λαμπρός exprime en premier lieu l ’idée de clarté, de lucidité, et reprend la comparai­son des V. 1 1 7 8 -1 1 7 9 pour suggérer que la prophétesse va cesser de s’exprimer à mots couverts ; toutefois, l’adjectif désigne souvent

1. Voir p. 137 ss.2. W. Schadewaldt, Der Kommos in Aischylos’ Choephoren (Hermes 67, 1932),

p. 333.3. Voir sur ces deux passages O. Becker, Dos B ild des Weges, p. 161 ; sur

l ’image du « chemin de la déraison », O. Becker, p. 156 ss. ; B. Meissner, p. 88 ss. ; l’expression έκπλεϋσαι των φρένων n’est pour le sens qu’une variante de έκστήναι των φρένων, mais elle traduit en outre l ’image du « coup de vent ».

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aussi un Vent violent^, et c’est précisément l ’ambiguïté du term e qui est à, l’origine du double développement métaphorique des v. 1180- 1183^ : de λαμπρός au sens de « clair » découlent les notations de lu­mière προς άντολάς (v. 1180) et πρός αύγάς (v. 1182) ; à, λαμπρός au sens de « violent » se rattachent au v. 1181 ττνέων et έσι ξειν, qui évoquent la force de ce vent®*. Le don de la prophétesse apparaît donc ici comme un vent qui souffle vers l’est et entraîne les vagues —' V. 1181 : κύματος δίκην — vers le soleil levant, ces vagues sym­bolisant les malheurs que l’oracle ne tardera plus à révéler — la m ort de Gassandre, celle d ’Agamemnon — et qui surgissent m ainte­nant à, la lumière après l’obscurité de ses premières paroles^. C’est dans ce passage de l’obscurité à la lumière que réside l’unité de cette extraordinaire vision, où, plus que jamais, la réalité et l’image se confondent

L’inspiration du poète est à, bien des égards semblable à celle du prophète, et Pindare, pour en souligner la puissance, recourt volon­tiers à, la métaphore du vent ® : ce vent, c’est celui des flûtes éoliennes —· Ném. I II 79 ; ΑΕολγί|βιν έν τινοαΐσιν αύλών — , les καλλφόοι,σι, ττ οαΐς qu’évoque la VI® Olympique (v. 83)’’; c’est celui de la lyre, qui fait frémir le dos de l’aigle comme les souffles du vent soulèvent la sur­face des flots : Pyth. I 9-10 : ό δέ κνώσσων | ύγρόν νώτον αίωρεϊ, τεαϊς

1. Voir Arist., Météor. 361 Β : τινεϋμα γίνεται, λαμπρόν ; Probl. 945 A, 947 A, etc. ; au figuré, Ar., Cav. 430 : εξειμι γάρ σοι λαμπρός ήδη καί μέγας καθιείς ; 760 : δπως &ξει πολύς καί λαμπρός εις τόν όίνδρα ; Dém. XXV 57 : πολύς παρ’ ύμϊν Κπνει καΐ λαμπρός.

2. Voir à ce propos W. B. Staaford, Aeschylus in his style, p. 77 ; 0 . Smith, p. 60 s. ; A. L. Keith, p. 105 ; A. Lebeck, p. 76 s. Δρόμου et φέρομαι jouent un rôle analogue, dans Pro. 883-884, pour la création métaphorique (p. 176 s.). Sur cet aspect du style d’Eschyle, voir W. Headlam, p. 436 ss. ; W. B. Stanford, p. 76 s.

3. Pour έσάξειν, voir p. 200, n. 1 ; de même aux v. 1215-1216 Gassandre « tour­noie » sous le coup de vent de l’inspiration, voir p. 287.

4. Pour le symbolisme de κύματος (v. 1181), voir p. 270 ; on voit par là que ττνεΐν ne vaut pas seulement dans le domaine de l’inspiration, mais se rattache plus largement à l’image de la tempête qui assaille la demeure des Atrides et menace même ceux qui en sont proches : voir p. 286 ss., et A. L. Keith, loc. cit.

5. Voir A. Lebeck, loc. cit. ; O. Smith, loc. cit. ; de fait, χρησμός (v. 1178) est ici sujet de l’expression imagée πνέων έσάξειν (v. 1181), de même que dans Cho. 505-507 παϊδες (v. 505) est sujet de άγουσι δίκτυον (v. 506) ; voir p. 161 ; le pas­sage présente avec celui des Choéphores la particularité supplémentaire d’être fondé sur le principe archaïque de la composition « en anneau » : Cho. 505 : σωτή­ριοι ; 507 : σφζοντες ; Ag. 1178 : ούκέτ’ έκ καλυμμάτων ; 1183 : ούκέτ’ έξ αινιγμάτων. Voir Ο. Smith, loc. cit. ; A. Lebeck, loc. cit. Enfin, sur les images employées par Gassandre dans cette scène, voir plus généralement H. Mielke, p. 155.

6. Gf. aussi Hés., Théog. 31-32 : ένέτινευσαν δέ μ’ άοιδήν | θέσπιν [s. e. Μοϋσαι].7. Sur 01. VI 82-83, voir p. 13 ; pour καλλιρόοισι, p. 239, n. 4.

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κατασχόμενος Mais Cette image ne peut être élucidée dans les principaux emplois qu’elle trouve chez lui sans une définition préalable des rapports du poète avec la Muse qui l ’inspire : on a Vu à, propos de Pyih. X 51 et de Ném. IV 70 que, contrairement à Bac- chylide, dont la souinission à, son inspiratrice est entière, Piïidare a conscience de l ’ importance de son intervention personnelle sur la matière poétique cpi’elle lui propose, et se reconnaît une certaine indépendance vis-à-vis d ’elle^. Toutefois, quand bien même il im­prime, grâce à sa σοφία, sa marque originale sur ce don que lui font les dieux par l ’ intermédiaire de la Muse, ce n ’en est pas moins elle qui parle encore par sa bouche : la foi dans la puissance créatrice de l ’esprit va de pair avec la croyance en la réalité d’un message divin, qu’ü a pour mission de délivrer aux hommes et ce double aspect, à la fois personnel, lié à, l ’esprit, et aussi divin, auquel il est sensible dans sa tâche, explique que sur le plan métaphorique il recourt aux mêmes images pour évoquer le souffle de l ’ inspiration qui l ’anime et celui qui anime la Muse.

C’est ainsi que dans la V® Néméenne il s’exhorte à « donner de la voix y> en l ’honneur de Thémistios et à « hisser la voile jusqu’à la vergue de hune », V. 51-52 : SiSou | φωνάν, άνά S’ Εστία τεϊ|νον πρός

ζυγόν καρχασίου*. Dans cette apostrophe, les deux impératifs sont sur le même plan, et SlSou φωνάν (v. 51) éclaire άνά δ’ ίστία τεϊνον

(v. 52) : si, à bord du vaisseau de la poésie, Piiidare doit hisser les voiles au plus haut, c’est précisément pour qu’elles reçoivent pleine­ment le souffle du poète, φωνάν. Mais ce souffle n’est que le symbole de l ’ inspiration divine qui l ’habite : c’est en définitive à la Μοϊσ’ άδύτη»οος (01. X I I I 22) qu’il revient de diriger le vent sans lequel la composition de l ’ode ne pourrait se faire, ce vent qu’elle souffle dans l ’esprit du poète pour que celui-ci, devenu ίμττνους, le trans­mette au destinataire de l ’ode®. E t l ’ image du vent vaut ici sur deux plans qui se confondent : le vent guidera Vers Égine l ’ode adres­sée à Pythéas ; le soufïle de l ’ inspiration conduira à bon port le vais­seau de la poésie®. Que Bacchylide conçoive la Muse à l ’ image d ’un

1. Poiu· piTüxi évoquant les souiïles du vent, voir Pind., JVém. I I I 59 ; Parih.II 40, et au figuré. Soph., Ant. 929-930 lyr. (p. 168, n. 3).

2. Voir p. 48.3. Sur ces deux aspects de la poésie de Pindare, voir W . Kraus, p. 87 ; J.

A . Davison, Pindar's conception o f poetry (Proc. of the Class. Ass. 33, 1936), p. 39.

4. Pour les V. 50-52 et l’image de la voile, voir p. 49 ss.5. Sur ce rôle de la Muse, voir L. R. Farnell, A critical commentary to the works

of Pindar, p. 149; G. Lieberg, p. 211 s. ; celui-ci récuse (p. 212, n. 18) le terme ^μτηιους, qu’il juge trop tardif, au sens d ’ « inspiré », pour convenir à Pindare. Mais la notion qu’il traduit n’en est pas moins fort courante à l ’époque clas­sique, comme le montre bien le Ion de Platon.

6. Voir à ce propos L. R. Farnell, lac. cit. ; G. M. Bowra, Pindar, p. 11.

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pilote — Ode X I I 1-3 : ώβεί κυβερνήτας σοφός, ύμνοάνα(ί|σ’ εΰθυνε

Κλειοϊ j νϋν φρένκς άμετέρκς κτλ. — alors que Pindare la Voit comme la déesse du veïit, n ’implique pas de différence dans le rôle que tous deux lui assignent : car dans les deux cas elle apparaît sous les traits d ’un guide dont l ’autorité: s’exerce favorablement sur le cours du poème, qu’elle dirige en ligne droite^.

C’est d ’ailleurs le verbe εύθύνειν (Bacchyl., Ode X I I 2 ) qu’em­ploie Pindare dans un passage de la V I® Néméenne où, passant sous silence son propre rôle de créateur, il met directement en présence la Muse et le destinataire de l ’ode :

εΰθυν’ έπΙ τούτον, όίγε, Μοϊσα, οδρον έπέων

εύκλεα.V . 28-29.

« dirige sur cette famille^, allons, Muse, le vent des hymnes qui donne la gloire. »

Les vers précédents renfermant une comparaison avec l ’archer qui tire droit au but — V. 26-27 : ελπομαΐ | μέγα εΙπών σκοπού άντα τυχεϊν | &τ άπο τόξου ίείς — · οη a parfois cru que εΰθυνε (v. 28) prolongeait l ’ image de l ’arc, alors que οδρον έπέων (v. 29) introduisait une nou­velle métaphore — « décoche le vent des hymnes^ » ; il n’est pas utile, en réalité, de supposer un rapport aussi étroit entre les v. 26-27 et 28-29 : si tant est que l ’image de l ’arc ait été encore présente à l ’es­prit de Pindare, il a pu n ’en retenir que l ’ idée d’un trajet droit et î ’ étendre à partir de οδρον au domaine de la mer pour souligner la puissance de l ’inspiration de la Muse*, de même que dans la IV® Py- thique il lui demande de « donner Vessor au vent des hymnes » — v. 3 : [δφρα] τ’ αΰξης οδρον ΰμνων — · l ’emploi de α8ξγ)ς suggérant que les possibilités de création artistique lui apparaissent à l ’ image d ’une brise diffuse dans l ’espace, à, laquelle l ’inspiration de la Muse donne une direction et une force nouvelles. L ’image de ce vent porteur de gloire était propre à être appréciée d’Alcimidas, et plus générale­ment de la famille des Bassides, qui pratiquait depuis longtemps le commerce à Égine ® ; de ce point de vue l ’expression est indisso-

1. Voir p. 138 ; pour εύθύνειν qualifiant l ’action du pilote, voir p. 119, n. 1.2. τούτον (v. 28) reprend οίκον (v. 25) ; il ne s’agit plus seulement des géné­

rations antérieures, mais de l ’ensemble de la maison. Voir E. Thummer, Pindar. Die Isthmischen Gedichte, I, p. 129.

3. Ainsi H. Disep, p. 105 s. ; sur l ’image de l ’arc, voir p. 23.4. G. Priesemann, p. 76, semble éprouver quelques difficultés à identifier

l ’image suggérée par εύθύνειν.5. Voir p. 37 ; on pourrait en dire autant de Pyth. IV 3 : car les Battiades

étaient eux aussi des navigateurs réputés. Voir B. L. Gildersleeve, Pindar. The Olympian and Pythian Odes, p. 282.

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ciable de la métaphore maritime du v. 32, où les titres de gloire que les armateurs se sont acquis aux jeux se confondent avec la flotte qui fait leur célébrité : ϊδια ναυστολέοντες έπι|κώμιαΐ. Cette évocation des louanges qui voguent comme de véritables vaisseaux est aiasi en préparation dès les v. 28-29 : εύκλεδ (v. 29) anticipe sur le thème de la gloire qu’exprime έπικώμια (v. 32), et la métaphore du « vent des hymnes » trouve dans celle des « vaisseaux » qui par­courent les mers un prolongement tout naturel : car c ’est aussi la poésie qui assure en tous lieux la gloire des Bassides.

Entre ces trois passages — Ném. V 51-52, V I 28-29, Pyth. IV 3 — · les analogies d ’expression sont tout à, fait révélatrices ; qu’il s’agisse de la ressemblance purement formelle entre les exhortations que le poète s’adresse — Ném. V 51 : SÎSou ; 52 : άνατεϊνον — et les invoca­tions qu’il adresse à, la Muse — Ném. V I 28 : εϊίθυνε ; Pyth. IV 3 : αυξγ)ς2 — . ou de la présence du thème du vent, dont le souflle pousse favorablement l ’athlète victorieux ou sa famille — Ném. V 51 : φωνάν ; V I 29 : οδρον έπέων ; Pyth. IV 3 : οδρον ΰμνων — c’est une véri­table égalité qui s’instaure ici entre le poète et la Muse®. On peut en conclure qu’aux yeux de Pindare l ’ élément proprement person­nel et l ’élément divin ont une égale importance dans la création artistique, ou que la tâche du poète lui apparaît d ’une noblesse et d ’une dignité qui l ’apparentent à, celle des dieux : de fait, c ’est à, l ’action de Zeus lui-même que s’applique dans la X III® Olympique l ’ image du vent qui pousse droit la barque, V. 28 : Ξενοφώντος εδθυνε θαίμονος οδρον même s’il s’agit ici du domaine du destin, et non plus de celui de la poésie, on ne peut qu’être frappé par les simili­tudes d ’expression : δίδου φωνάν — à propos de Pindare : Ném. V 51 — ; εΰθυν’ ... οδρον — à propos de la Muse : Ném. V I 28-29 — ■; εΰθυνε... οδρον — à, propos de Zeus : 01. Χ Γ ΙΙ 28 ; le poète s’est fait dieu

Le rapport qui s’établit dans la VI® Néméenne entre la poésie (v. 29 : έπέων) et la gloire {ibid. : εύκλεά) incite d ’ailleurs à penser

1. Voir p. 37 s.2. Sur ces invocations à la Muse, qui n’ont aucun caractère stéréotypé et

revêtent dans chaque poème une forme individuelle, voir 0. Falter, p. 22 ss. ; grâce au singulier, le rapport entre Pindare et la Muse y est plus personnel que dans l’épopée. Voir à ce propos H. Meyer, p. 62, n. 58 ; A. Kambylis, Anrede- formen bei Pindar, p. 153 s. : « Dos Verhàltnis Pindars zu den Musen ist per- sonlieher geivorden, der Singular individualisiert sie. »

3. C’est précisément eu égard à cette égalité entre Pindare et la Muse qu’on a considéré l’apostrophe de Ném. V 51-52 comme adressée par le poète à lui- même, et non pas à son ode (voir p. 50). Sur la parenté entre les images du vent de la Muse et du souffle du poète, voir E. Werba, p. 119.

4. Voir p. 185 s.5. Sur cet aspect de la tâche du poète, voir E. W erba, p. 112, p. 117.

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que pour Pindare l ’image du vent a une valeur autre que stricte­ment « professionnelle » et à reconsidérer l ’interprétation donnée de Ném. V 51-52. Car si l ’on admet l ’équivalence entre διδόναι φωνάν (v. 51) et εύθύνειν οδρον έπέων εύκλεα {Ném. V I 28-29), il apparaît bien que c’est non seulement le vent de la poésie, mais plus large­ment celui de la gloire — ■ dans la mesure où l ’une confère l ’autre — · que Thémistios, chanté dans la V® Néméenne, reçoit à, pleines voiles. E t ainsi, derrière l ’image du vaisseau de l ’ode conduit par le souffle du poète se devine celle, plus vaste, du vaisseau du destin conduit par le vent de la gloire’· : la métaphore du vent de l ’inspiration poétique se rattache donc, en fait, à, l ’image du voyage de la vie^.

Mais si l ’image qui se dégage de tous ces textes est celle d’un souffle dont l ’action propice s’exerce de façon durable sur le vais­seau de la poésie, qu’il pousse en ligne droite — Ném. V I 28 : εΰθυνε —■ il peut aussi arriver qu’au cours de cette traversée qu’est la composi­tion du poème se fassent sentir momentanément des vents qui me­nacent d ’égarer le navire.

Ainsi de l ’image maritime qui se situe dans la XI® Pythique à, l ’ issue du mythe des Atrides :

ή μέ τις άνεμος εξω πλόου εβαλεν, ώς δτ’ ακατον έναλίαν;

V. 39 b-40.

« OU quelque vent m'a-t-il jeté hors de ma course, comme une barque sur la mer^? »

Tant que le poète tient compte, dans la composition de son ode, de certaines obligations, comme celles de choisir un mythe appro­prié au sujet, ou de ne pas lui consacrer des développements exces­sifs, il mène sa barque dans une direction déterminée, κατά πλόον, pourrait-on dire ; mais s’il vient à céder à, l ’ inspiration du moment, à donner trop d’ampleur au récit mythique, dès lors l ’ode perd son cap, et le pilote prend conscience de la nécessité d ’un « coup de barre » pour la remettre dans la direction initiale^ : άνεμος (v. 39 b) sym­bolise donc la brusque irruption d ’une fantaisie passagère qui souffle sur l ’esprit du poète et le jette ίξω πλόου ; la « saute de vent » repré­sente la « saute d'inspiration^ ». I l est significatif que le terme figu-

1. Voir à ce propos M. Berahard, p. 33, et, plus généralement, sur le thème du « vent de la gloire », H. Frânkel, Dichtung und Philosophie des frühen Grie- chentums, p. 629 ; ailleurs la gloire donnée par la poésie est associée à l ’eau : Isthm. V I I 19 : κλυταΐς έπέων ροαϊ|σιν. Voir p. 238 s.

2. Voir A. Kambylis, Die Dichterweihe und ihre Symholik, p. 150 ; sur la pré­tendue image du « vent de la Muse i>, dans Pyth. X I 41-45, voir Appendice, p. 325 ss.

3. Sur l’ensemble du passage (v. 38-40), voir p. 33 ss.4. Voir sur ce point G. Lieberg, p. 211.5. Sur la question de savoir si Pindare craint réellement de s’égarer, voir

p. 46 ss.

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rant ici ne soit pas οδρος — qui traduit l ’idée d ’tm souffle favorable et régulier — mais άνεμος, qui suggère plutôt un vent capricieux ou violent ; de même εΰθυνε {Ném. V I 28) a fait place à ^βαλεν (v. 40) ; et tandis que dans la V® Néméenne l ’inspiration favorable est sentie comme Un Vent venu du fond de l ’être — V. 51 : φωνάν — ici ce Vent se fait sentir du dehors, ainsi que dans Cho. 388-392 et Pro. 883- 8841.

C’est que le phénomène de l ’inspiration, dans ce qu’il a, à, l ’oc­casion, d ’irrationnel, est senti comme étonnamment proche de ce­lui du sentiment ou de l ’émotion. En témoignent les ressemblances frappantes que présente le texte de Pindare avec ceux d ’Eschyle : le coup de vent de l ’inspiration, qui, dans la XI® Pythique, fait dé­vier la barque, se manifeste de la même façon que le souffle de colère qui, dans Cho. 388-392, frappant la proue du « navire », l ’oriente brusquement dans une direction nouvelle^; l ’analogie avec Pro. 883- 8843 est encore plus caractéristique : non seulement ίξω πλόου

{Pyth. X I 39 b) rappelle ^ξω δρόμου {Pro. 883)*, mais surtout l ’image maritime est amenée chez Pindare par im procédé semblable à celui dont use Eschyle : chez le tragique, le premier détail suggérant la crise de démence est en effet celui du char qui s’égare — ■ Pro. 883 : Ιξω 8έ δρόμου φέρομαι®; de même dans la XI® Pythique le détail du char qui quitte la piste est le premier à matérialiser la conscience qu’a le poète des caprices de son inspiration : v. 38-39 : ήρ’, ώ φίλοι,κατ’ άμευ|(ίΐ7Γ0ρους τριόδους έδινήθην, | όρθάν κέλευθον ιών | τό πρίν®; etde même que chez Eschyle c’est l ’ambiguïté d ’un nom (v. 883 : δρόμου) et d ’un verbe {ib id . : φέρομαι) qui permet de passer du do­maine terrestre à celui de la mer, dans lequel apparaît immédiate­ment l ’idée de souffle (v. 884 : ττνεύματι), chez Pindare encore c’est l ’ambiguïté d’un verbe (v. 38 : έδινήθην) et d ’un nom (v. 39 : κέλευθον) qui assure la transition du domaine de la terre à celui de la mer®, où l ’accent est également mis d’ emblée sur l ’ idée de souffle (v. 39 b :άνεμος).

Ainsi le souffle du vent symbolise dans le domaine de la vie inté­rieure aussi bien les aspirations de l ’homme dans ce qu’elles ont de déterminé que ses inspirations et ses sentiments dans ce qu’ils ont de désordonné et d ’incohérent. I l semble toutefois que les Grecs aient été plus généralement sensibles à, la violence du vent et à, son

1. Sur le même phénomène à propos de la vague, voir p. 247.2. Voir p. 175 s.3. Voir p. 176 s.4. Et aussi Hérod. I I I 155 : έξέπλωσας ; V I 12 ; έκπλώσαντες. Voir p. 178.5. Comme dans Cho. 1022-1024, voir p. 176.6. Voir p. 33.

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inconstance qu’à, sa stabilité^; aussi, dans l ’ image du voyage de la vie, les métaphores empruntées au vent sont-elles utilisées pour traduire ce que le sort de l ’homme a d’incertain ou de funeste, plu­tô t que ce qu’il a de stable et d ’assuré : l ’ image du vent constant est bien moins largement représentée que celles du vent variable et du vent contraire.

Le v e n t d u d e s t i n .

Le vent constant^.

L ’image du vent constant symbolise chez Pindare un destin exempt de vicissitudes ; à, ce déroulement favorable de la vie le poète re­connaît l ’action de deux puissances : celle des dieux, celle du temps®.

C’est ainsi que dans la X l I P Olympique Pindare forme des vœux pour que Zeus assure la prospérité de Gorinthe et le bonheur de Xénophon :

Ζεϋ πάτερ,[...] τόνδε λαόν άβλαβή νέμων

Ξενοφώντος είίθυνε δαίμονας οδρον.V. 26-28.

« Zeus père, épargne toute atteinte à ce peuple, et dirige le vent du des­tin de Xénophon. »

L. R. Farnell, jugeant fâcheuse la présence au v. 28 de deux gé­nitifs qui dépendent l ’un de l ’autre — Ξενοφώντος... δαίμονας —■ propose de rattacher Ξενοφώντος au λαόν du vers précédent, et de considérer ούραν (v. 28) comme un accusatif « de mesure » équiva­lant à κατ’ ούραν il traduit ; « dirige le peuple de Xénophon au gré du vent de son destin^. » L ’image serait alors celle du « dieu-pilote » et se situerait sur le même plan que celle de la V® Pythique, v. 122 : Διός roi νόος μέγας κυβερνά | δαίμαν’ άνδρών φίλων®. Mais l ’explication donnée de οδρον est bien hasardeuse, et aucun texte ne la confirme. En réalité, ούραν est complément de εΰθυνε^ : Zeus soufïle un vent favorable sur Xénophon de la même manière que Pindare dans la

1. Voir sur ce point J. V. Kopp, Dos physikalische Welthild der frühen grie- chischen Dichtung (Diss. Freiburg, Schweiz, 1939), p. 180; J. Duchemin, p. 261.

2. Sur l’image du vent constant dans Pind., Isthm. II 39-40, voir p. 51 ss.3. Voir H . A. Gârtner, p. 181.4. Sur cette expression, voir p. 213 ss.5. L. R. Farnell, A critical commentary to the works o f Pindar, p. 93.6. Voir p. 134 s., ainsi que Κ. Η . Kaiser, p. 39 ; elle rappellerait aussi, par

l ’allusion au peuple (v. 27 : λαόν), celle du dieu qui secourt les dirigeants des cités de Pyth. IV 272-274 ; voir p. 113 ss.

7. Voir O. Becker, Das Bild des Weges, p. 92.

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V® Néméenm (v. 51-52) et la Muse dans la VI® Néméenne (v. 28-29) ® soufflent un vent de gloire sur Pythéas (ou Thémistios) et Alcimi- das : les similitudes d ’expression entre εΰθυνε... οδρον {01. X I I I 28) et εΰθυν’... οδρον {Ném. V I 28-29) sont trop flagrantes pour laisser subsister un doute sur la nature de l ’image, qüi est bien celle du dieu du vent, et non point du « dieu-pilote ».

Cette différence entre les métaphores de la V® Pythique et de la X III® Olympique n ’exclut pas, toutefois, une stricte identité des conceptions concernant l ’ intervention des dieux dans la vie humaine : car dans l ’ode à, Xénophon se manifeste encore la croyance dans la toute-puissance de la divinité sur l ’homme®, et cette conviction se traduit à, nouveau par une dégression qui conduit de Zeus au sort personnel de l ’homme, puis à l ’homme lui-même : à Διός, δαί­μονα, άνδρών de Pyth. V 122^ répondent très exactement Ζεϋ, δαί­μονας, Ξενοφώντος de 01. X I I I 26-28 ; et le sort de l ’homme y est semblablement senti comme supérieur, et pour ainsi dire extérieur à lui-même®, ainsi que l ’ indiquent la métaphore du vaisseau (V® Py­thique) et celle du vent (X III® Olympique).

L ’image d ’une divinité conduisant l ’homme en droite ligne est d ’ailleurs au premier plan de la prière à Poséidon, à, la fin de la VI® Olympique (v. 103-104), et εύθύν... πλόον... SlSoi y exprime le même sentiment d ’espoir dans la bienveillance du dieu qtie εΰθυνε... οδρον dans la X III® Olympique^.

La métaphore du vent qui sotiffle tout droit reparaît lorsque Pin- dare veut suggérer l ’action favorable du temps sur le cours de la vie ou de la destinée ; mais alors que le dieu, quand il est associé à, cette image, souffle le vent, le temps est identifié au Vent lui-même.

Pyth. I 46 :εί γάρ ό πας χρόνος δλβον... | εύθύνοι.

« puisse tout le temps à venir conduire sa prospérité ».

Aux V. 36-38 de l ’ode Pindare avait déjà, formé, pour le bonheur et la gloire de la ville d ’Etna, des vœux qui étaient préparés par

1. Voir p. 180 s.2. Voir p. 181 s.3. Voir E. Thummer, Die Religiositat Pindars, p. 97 s. ; H. G. Gerhardt, p. 51.4. Voir p. 134 s.5. A propos de ce texte, D. E. Gerber (The idea o f Fate in the poetry o f Pindar,

p. 205) commet la même erreur que pour Pyth. V 122 en localisant δαίμων de façon trop « intérieure » : « When Pindar in 01. X I I I 28 prays that Zeus may grant a straight course to Xenophon’s daimon, he is expressing in mythical form the wish that Xenophon may himself prosper. » La conception du δαίμων chez Pindare n’est pas si proche, en fait, de celles des philosophes.

6. Sur 01. V I 103-104, voir p. 64 ss.7. Sur l ’image du « chemin du temps », voir 0. Becker, Das B ild des Weges,

p. 183 ss.

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l ’ image du vent : celui qu’on souhaite aux marins en partance dans l ’espoir que leur retour sera également heureux ; v. 33-34 : ναυσι-φορήτοις 8’ | άνδράσι πρώτα χάρις | ές πλόον άρχομένοις πομπαΐον έλθεϊν οδρον^.Au V. 46, il ne s’agit plus d’Etna, mais de son prince, Hiéron ; néanmoins, les deux évocations sont tout à fait semblables, tant par la métaphore du vent — v. 34 : ούρον ; v. 46 : εύθύνοι — ■ que par la référence à, l ’avenir — ■ v. 37 : λοιπόν ίβαεσθχι ; v. 46 : ό

πας χρόνος C’est que chez Pin dare le temps n ’est pas le passé : il est considéré comme une force agissante et durable, qui contient l ’avenir et lui donne réalité®, et ce double aspect de la notion de temps explique que χρόνος figure souvent dans les odes comme su­jet d ’un verbe d’action au futur ou à l ’optatif : Pyih. X I I 31-32 :έσται χρόνος | οδτος, ô καί τιν’ άζΚπζί% βαλών | 2μπαλιν γνώμας τδ μέν

δώβει, τό 8’ οδπω ; N ém . IV 43 : εδ οΐ8’ βτι χρόνος 2ρ|πων πεπρωμέναν

τελέσει ; 01. V I 97 : μή θράσ|σοι χρόνος δλβον έφέρπων ; V I I I 29 : ό 8’ έπαντέλλων χρόνος | τούτο πράβσων μή κάμοι ; Ném. V I I 68 : ό δέ λοι­πός ευφρων | ποτί χρόνος 2ρποι, etc. E t c’est précisément à cette con­ception d ’un temps agissant dans l ’avenir que se rattache l ’ image de la pe Pythiqne, v. 46, où la métaphore du vent constant qui souffle sur la destinée de Hiéron entraîne la représentation de δλβον comme un vaisseau : l ’image sera reprise aux v. 86 et 91, mais transposée sur le plan politique^.

Ce que l ’on a dit de χρόνος vaut également pour αιών, qui est lié chez Pindare à, la notion de temps dans un certain nombre de ses aspects ® ; le terme apparaît au début de la II® Néméenne au sein d ’une expression qui rappelle fort celle de Pyth. I 46 : Timodème, dit le poète, doit encore s’illustrer aux jeux, « s'il est vrai que le souffle propice de son destin le conduit tout droit dans la voie de ses pères, pour en faire l’orgueil d'Athènes la grande », v. 6-8 ; πατρίαν [ εϊπερ

καθ’ ό8όν viv εύθυπομπός | αΕών ταϊς μεγάλαις 8έδω|κε κόσμον Άθάναις.Sans doute l ’évocation se situe-t-elle à première vue sur terre :

πατρίαν | ...καθ’ όδόν (v. 6-7)®; cependant, Pindare ne répugne pas

1. Voir p. 111.2. Pour ce sens de πας (σύμττας, άπας) χρόνος, Voir 01. V I 57 ; Ném. I 69.3. Sur cet aspect du temps chez Piadare, voir H. Frânkel, Wege und Formen

frühgriechischen Denkens, p. 10 ss ;. D. E. Gerber, What time can do (Traius. aud Proc. of the Amer. Phil. Ass. 93, 1962), p. 30 ss. ; H. A. Gartner, p. 171 ; L. Petersen, p. 27 ; S. Accame {La concezione del tempo nelV età omerica ed ar- caica, Riv. d. Filol. e d’lstruz. Class. 39, 1961, p. 387 s.) fait quelques réserves sur cette interprétation des conceptions de Pindare ; à ses yeux ce sont les ad­jectifs et les participes qualifiant χρόνος qui lui donnent son sens de « temps à venir ». Mais leur fréquence est précisément un indice que pour Pindare χρόνος se prête tout particulièrement à cette expression du futur.

4. V. 91 : Ιστίον άνεμόεν. Sur ces v. 86 et 91, voir p. 111 ss.5. αιών sera étudié dans le détail à propos de Isthm. V I I I 14-15, p. 192 ss.6. Sur l ’image de la route, voir p. 24 ss.

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à mêler des métaphores appartenant à des domaines très différents’·, et il est certain ici que εύθυπομπός (v. 7) se rattache à la sphère mari­time et plus précisément à l ’ image du vent qui souffle droit : l ’exemple de 01. X I I I 28 et de Pyth. I 46 est là pour confirmer cette valeur de εύθυ-, et -πομπός, quant à lui, appartient à une famille de termes — · πέμπειν, πομπή, πομπαϊος, etc. — qui sont fréquemment appliqués au vent pour traduire son rôle de « guide », que ce soit chez Pindare (Pyth. IV 203 : σύν Νότου δ’ αΰραις... | ... πεμπόμενοι ; Ném. I l l 59 : θαλασσίαις ανέμων ριπαϊσι πεμφθείς ; V I I 29 : εύθυ|7ΐνόου Ζεφύροιο

πομπαί ; Pyth. I 34 : πομπαϊον... οδρον) OU chez d ’autres (Eschl., Pro. 132 lyr. : κραιπνοφόροι δέ μ’ έττεμψαν αδραι ; Eur., Phén. 1712 lyr. : ναυσίπομπον aüpœv, etc.). Cette interprétation de εύθυπομπός dans la I le Néméenne est corroborée par un passage de VŒdipe-roi de So­phocle, OÙ le rôle favorable exercé sur Thèbes par Œdipe est repré­senté non point par l ’image du pilote ® — métaphore courante dans cette tragédie® — mais, fait exceptionnel, par celle du vent qui souffle sur le « vaisseau de la cité », v. 694-696 lyr. : δς [sc. Οίδίπους]γ’ έμάν γαν φίλαν εν πόνοις άλύουοαν* | κατ’ όρθόν οΰρισας · | τπνϋν

δ’ εΰπομπος, εΐ δύνα, γενοϋ. Quand bien même l ’action du temps chez Pindare et celle du roi chez Sophocle ne s’exercent pas dans le même domaine, les convergences d’expression sont frappantes : l ’ idée du souffle qui guide le vaisseau est rendue dans ευπομπος ÇŒd.-roi 696) par la même racine que dans εύθυπομπός {Ném. I I 7) ; la direction du vent est pareillement évoquée par κατ’ όρθόν® {Œd.-roi 695) et par εύθυ- (Ném. I I 7) ; il n ’est pas, enfin, jusqu’à l ’emploi de οΰριβας

{Œd.-roi 695) qui ne rappelle celui de οδρον {01. Χ Γ ΙΙ 28).On peut assurément conclure que dans la II® Néméenne Pindare

songeait à l ’ image d’un vent soufflant de façon constante®, et cette image s’unit à celle de la route (v. 7 : καθ’ όδόν) pour suggérer l ’ idée d ’une destinée exempte de troubles'^. Mais à ce vent du destin gui­dant tout droit la barque de Timodème — ■ V. 7 ; εύθυπομπός ] αΙών — répond dans la V III® Isthmique le souffle du temps perfide qui boule­verse le cours de la vie, v. 14-15 : δόλιος γάρ αΙ|ών έπ’ άνδράβι κρέ- μαται, | έλίσσων βίου πόρον®. Et, de fait, l ’étude des textes qui pré-

1. Voir sur ce point p. 13 ss.2. Comme le pense K. H. Kaiser, p. 53.3. Voir p. 118 s.4. II n’y a aucune raison de corriger άλύουσαν en σαλεύουσαν ; l’image mari­

time aurait sans doute plus d’unité et de cohérence (cf. Œd.-roi 23 : [πόλις] ήδη σαλεύει), mais l ’exemple de Œd.-roi 22-24 (voir p. 263 s.) prouve précisément que Sophocle ne se préoccupe pas toujours de l ’unité de la représentation ; voirH. Disep, p. 213.

5. Cf. Plat., Lois 813 D : πάντα ήμϊν κατ’ όρθόν πλεϊ.6. Voir Ο. Becker, Das Bild des Weges, p. 92, n. 106.7. Sur l ’image du « chemin droit », voir O. Becker, p. 62 ss., p. 85 ss.8. Voir p. 192 ss. ; mais l ’image n’est pas exactement sur le même plan (p. 196).

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cèdent ne doit pas inciter à croire que l ’attitude de Pindare se si­gnale par une croyance optimiste en un destin que rien ne vient bouleverser. Bien au contraire : il est significatif q;ue le thème du destin favorable soit constamment exprimé cîiez lui par des for­mules suggérant une prière, τιη souhait, mais nullement une réalité ; de là les impératifs εΰθυνε {01. X I I I 28), εύθύν... πλόον... δίδοι {01.V I 103-104), l ’optatif εύθύνοι {Pyth. I 46) et, avec le seul indicatif que l ’on rencontre dans ce domaine, le εϊπερ d’atténuation de Ném. I I 7 ; inversement, l ’ image des vents perfides de la V III® Isthmique est rendue par un indicatif que rien n’adoucit : v. 14 : κρέμαται. C’est que nul plus que Pindare n’a été sensible au caractère chan­geant des destinées et — ■ quand même les circonstances présentes autorisent certaines espérances — à l ’ incertitude des lendemains^. Il est tout aussi révélateur que chez Eschyle l ’ image des vents cons­tants ne soit attestée qu’une fois ; encore est-ce pour mettre en évi­dence l ’aveuglement des hommes, à qui un bonheur passager donne l ’ illusion de devoir connaître à jamais les souffles d’un destin favo­rable ; Pers. 601-602 : 8ταν S’ ό δαίμων εύροη, πεποιθέναι | -rôv αύτόν αίεΐ δνεμον ούριεΐν ΐύχης^.

Le vent inconstant.

Chez les tragiques, un sentiment profondément éprouvé et « vécu » de l ’ instabilité des choses humaines se traduit par l ’insistance de l ’ image des vents changeants. Tantôt la métaphore exprime l ’idée d ’un destin dont le souffle cesse soudain de se montrer propice, comme c’est le cas dans VAjax de Sophocle pour la cité qui sombre après avoir connu des vents favorables : v. 1082-1083 : ταύτην νόμιζε

τήν πόλιν χρόνφ ποτέ | έξ ούριων δραμοϋσαν εις βυθόν πεβεϊν — ' le chan­gement de sort étant ici rendu grâce à la valeur d’antériorité de δραμοϋίίαν par rapport à πεβεϊν (v. 1083)®. Tantôt au contraire des personnages plongés dans la détresse souhaitent voir cesser un jour les tempêtes qui les assaillent ; Eschyle recourt pour cela à im terme qui désigne au propre une « saute de vent », τρόπαια, déjà, utilisé dans

1. Sur cet aspect de Pindare, voir J. Ή. Finley, Pindar and Aeschylus, p. 59 ss. ;0. Becker, Das B ild des Weges, p. 184; K. Dietel, p. 140.

2. A cette image optimiste du « vent du sort » (v. 602 : άνεμον... τύχης) s’oppose aux V. 599-600 celle de la « vague de malheurs », qui est au contraire, pour les personnages des Perses, une sinistre réalité — voir p. 259 s. ; pour ούρίζειν ap­pliqué au vent du sort, voir Plat., Aie. II 147 A : δσωπερ âv λαμπρότερον έπουρίση τό της τύχης κτλ. ; pour ούρίζειν, voir aussi Eschl., Cho. 316 lyr., 814 lyr.

3. Sur cette image du « vaisseau de la cité», voir p. 119 ; pour δραμοϋβαν (v. 1083), cf. Théogn. 856 : έδραμεν (p. 109) ; pour έξ ούριων δραμοϋσαν, cf. Ar., Lys. 550 : i t i γάρ vüv oSpta θεΐτε.

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Agamemnon pour symboliser les revirements du ro i’·, et qui repa­raît dans les Choéphores et les Sept avec une acception plus vaste, en liaison avec l ’image du vent du destin et de la tempête qui frappe ici la demeure des Atrides^, là. la ville de Thèbes® ; Cho. 775 : άλλ’ ει τροπαίαν Ζεύς κακών θήσει ποτέ ; Sept 705-708 lyr. : έπεί δαίμων | λήματος έν -rpoTOÎqc xpoviqc μεταλ|λακτός ϊσως âv ελθοι θελεμωτέρφ | τηιεύματι · νϋν 8’ &τι ζεϊ^ ; de même chez Euripide l ’image du vent sert à opposer la conscience des malheurs présents à, l ’espérance d’un bonheur prochain : Ion 1503-1509 lyr. : έλισσόμεΰθ’ έκεϊθεν |ενθάδε δυστυχίακίιν εύτυχίαις τε πάλιν, | μεθίσταται δέ ττνεύμα-τα. | Μενέτω · τά πάροιθεν αλις κακά · νϋν δέ | γένοιτό τις οδρος έκ κακών ® ; ΗέΤ. 95-96 : έτ’ αν γένοιτο, ώ θύγα-τερ, ούριος δρόμος ® | έκ των παρόντων τώνδ’ έμοί καΐ σοΙ κακών ; 101-102 ; κάμνουσι γάρ τοι καί βροτών αί ουμφοραί, | καΐ τυνεύματ’ άνέμων ούκ

άεΐ ^ώμην εχει^.Mais si l ’ idée de changement — ■ traduite soit par μεταλλακτός

(Eschl., Sept 706-707), soit par μεθίσταται (Eur., Ion 1505) — est liée dans bien des cas à, la notion de durée — Soph., Aj. 1082 ; χρόνφ ποτέ ; Eschl., Cho. n b : ποτέ ; Sept 706 : χρόνιοι: — ■ et exprime l ’espoir d ’tme évolution favorable® — ■ Eur., Ion 1509 : οδρος έκ κακών; Hér. 95-96 : οίίριος δρόμος I έκ... κακών — il est encore plus fréquent que l ’ image du vent soit en étroite relation avec le thème de l ’incerti­tude, de l ’ ignorance et de l ’appréhension que peuvent inspirer les retours de fortune dans leur imprévisible soudaiaeté® : ainsi dans

1. Ag. 219-220, voir p. 175.2. Voir p. 286 ss.3. L ’image est en rapport direct avec celle des « vents d'Arès », voir p. 284.4. Sur les ressemblances entre Ag. 219-220 et Sept 705-708, voir p. 175, n. 3.

O. Becker [Dos B ild des Weges, p. 173 s.) rapporte à tort λήματος (v. 708) à Étéocle, alors c[ue le terme vise δαίμων (v. 705).

5. Pour έλισσόμεσθα (v. 1503), voir p. 195 ; sur ce passage, voir E. G. Berry, p. 31, n. 3 ; G. Busch, Untersuchungen zum Wesen der τύχη in den Tragodien des Euripides (Diss. Heidelberg, 1937), p. 39.

6. ούριος δρόμος (v. 95) est à rapprocher de Soph., A j. 1083 : έξ ούριων δρα- μοϋσαν ; par ailleurs, l ’adjectif οδριος a chez Euripide peu de valeur imagée et signifie seulement « favorable » : voir Héracl. 822 ; Hél. 1588.

7. Sur ce passage, voir E. E. Pot, p. 5 ; sur ce type de comparaison paratac- tique — qu’on retrouve entre autres dans les frg. 194 N , 3-4 ; 304 N, 2-5 ; 774 N — voir W . Elliger, p. 106. L ’image de la remorque traduit elle aussi dans Héraklès le thème des revirements du sort ; voir p. 31 s.

8. Mais ici encore, comme chez Pindare (voir p. 189), les temps et les modes des verbes indiquent qu’il n ’existe dans ce domaine aucune certitude : Eschl., Cho. 775 : εΐ... θήσει ; Sept 707 : ϊσως âv ίλθοι ; Eur., Ion 1509 : γένοιτο; Hér. 95 : 2τ’ Sv γένοιτο.

9. Déjà chez Solon (frg. 1 D ) une longue comparaison met en rapport l ’action de Zeus avec celle du vent qui disperse les nuages (v. 17-25), et l’accent y est mis sur l ’idée de soudaineté — v. 17-18 : εξαπίνης δέ, | &στ’ άνεμος νεφέλας αΐψα διεσκέδαβεν κτλ. Sür ce type de comparaison dans le lyrisme, voir p. 10 ss. et p. 305 ss., à propos de Bacchyl., Ode X I I I 121-140.

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les Suppliantes d ’Eschyle les Danaïdes s’interrogent sur les « souffles incertains » qui poussent leurs destinées, v. 125 lyr. : δυοάγκριτοι Ttvôot ; et dans les Perses la pensée de la soudaine « saute de vent ■» inspire un effroi analogue, v. 158 : εΐ' τ ι μή δαίμων παλαώς νϋν μεθέστηκε

στρατφ ; 940-941 lyr. ; δαίμων γάρ οδ’ αΰ | μετάτροπος έπ’ έμοί^ J il en va de même chez Sophocle — frg. 646 P, 6 : δταν μεταστη (s. e. δαίμων) καΐ θεοΐς δοκη τάδε^ — et surtout chez Euripide, qui a éprouvé jus­qu’à l ’angoisse ce sentiment d’impuissance à prévoir les revirements du sort*, du μεταβαλλομένου δαίμονος {TrO. 101 lyr.)® OU du πνεύμα

μεταβαλόν {Hér. 216) ® ; car le destin des hommes varie au souffle du vent — frg. 153 N, 3-4 lyr. : νεύει βίοτος, νεύει δέ τύχα | κατά

τπίεϋμ’ άνέμων — et le temps l ’abaisse, puis l ’élève, comme un vais­seau ballotté par les vagues : frg. 304 N, 2-5 lyr. : θοαϊσι μέν ναυσΙπόρον ττνοαΐ κατά βένθος αλιον | ίθύνουοι · τύχας δέ θνητών | τό μέν μέγ’ είς ούδέν ό πολύς χρόνος | μεθίστησι, το δέ μεϊον αυξων'^.

Dans la poésie de Pindare, l ’image des vents inconstants présente par rapport à, la tragédie une double originalité : elle ne vise aucune­ment à, caractériser le sort d ’un individu ni même d ’un groupe— comme c’est le cas dans la plupart des exemples cités ci-dessus —■ mais vaut pour l ’ensemble de l ’humanité ; d ’autre part, si le vent est senti par Pindare comme d’origine divine — ainsi que le montre notamment la X III® Olympique, avec l ’ image de Zeus « soufflant » sur Xénophon un destin propice (v. 28)® — · il n ’en demeure pas moins « impersonnel » dans ses changements, ce en quoi le lyrique se différencie en particulier d ’Eschyle, pour qui les variations de son souffle restent liés à, l ’action des dieux®.

Le vent qui change est au premier plan de l ’ image par laquelle Pindare veut suggérer à Arcésilas, dans la IV® Pythique, qu’il est parfois nécessaire de savoir s’adapter aux circonstances, lorsque celles-ci viennent à se modifier :

Έ ν δέ χρόνφ1. Voir p. 174.2. Pour μεθέβτηκε qualifiant un vent qui change, voir μεθίσταται (Eur., Ion

1505) et μετεστάθτ) (Eur., Él. 1202) ; pour μετάτροπος, voir Eur., Él. 1147-1148 : μετάτροποι... | ...αδραι; Ar., Pa ix 944; cf. aussi μετατροπία (Pind., Pyth. X 21, p. 192, n. 6) et τρόπαια (Eschl., Ag. 219; Cho. 775; Sept 706).

3. Voir aussi Œd. Col. 612-613.4. Sur ce thème chez Euripide, voir E. G. Berry, p. 31 s.5. Pour les v. 102-104, voir p. 268.6. Voir aussi Ar., Thesm. 724 lyr. : ταχύ δέ μεταβαλοϋσ’ [s. e. Τύχη].7. Sur les rapports entre τύχη et l’image du vent, voir G. Busch, p. 21 ; l’évo­

cation du mouvement des vagues, dans ce fragment 304, n’est pas sans rappeler celle de Pind., 01. X I I 5-6 ; voir p. 128 ss.

8. Voir p. 185 ss.9. Ζεύς [Cho. 775), δαίμων (Sept 705 ; Pers. 158, 940) ; voirsur ce point 0. Becker,

Bas Bild des Weges, p. 186 s.

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μεταβολαΐ λήξαντος οΰρου

ίστίων.V . 292.

« avec le temps, quand le vent tombe, on change de voiles ».

I l n ’y a pas lieu de dissocier cette double métaphore en deux éléments dont l ’un conviendrait à Arcésilas — le roi devant mettre fin au « vent de sa colère » et pardonner à, Damophile ; λήξαντος οδρου’· — ■ et l ’autre à. Damophile lui-même — pour qui ce changement d’atti­tude du souverain entraînerait un changement de sort : μεταβολαΐ Ιβτίων^. Οδρος en effet ne figure jamais dans les textes pour traduire l ’image du « vent de la colère », et l ’on aboutit à, une interprétation plus satisfaisante en rapportant l ’ensemble de l ’image au person­nage d’Arcésüas : pilote avisé de Gyrène®, sa tâche consiste à, savoir « prendre le vent » et à, mener son navire en conséquence ; or la « tem ­pête » a été rude et justifiait sans doute les mesures les plus éner­giques ; mais à, présent que le souvenir s’en estompe et que les ra­fales évoquées dans la V® Pythique (v. 10-11)* font place à, un vent plus paisible (v. 292 : οΰρου), le pilote peut de nouveau voguer avec toute sa voilure. Sans doute le rôle politique d ’Arcésilas impose-t-il en premier lieu la vision du « vaisseau de la cité » ; l ’ image n ’en a pas moins ime valeur très générale et se relie plus largement au vaste thème du voyage de la vie®.

Mais si le temps — ■ v. 292 : χρόνφ — ■ peut amener en certaines circonstances une évolution propice, Pindare est plus encore sen­sible aux menaces que recèle l ’ avenir, menaces d’autant plus inqnié- tantes qu’elles ne sont pas précises et qu’ainsi toutes les appréhen­sions se justifient.

Tel est le cas de la V III® Isthmique^. L ’ode a été écrite au lende-

1. Pour λήγειν appliqué à un vent, voir aussi Soph., A j. 258 (p. 280) ; Bschl., Cho. 1075 (p. 288) ; Bacchyl., Ode X II I , v. 122, v. 128 (p. 306, n. 3).

2. Interprétation de K. H . Kaiser, p. 37 ; sur les faits, voir p. 56 s.3. Pyth. IV 272-274 ; voir p. 113 ss.4. Voir p. 300 ss.5. Voir p. 56 s.6. U n vers de la X® Pythique suppose peut-être l’image du vent inconstant ;

celui où, évoquant le bonheur des Aleuades, Pindare souhaite « qu’ils ne s'ex­posent pas aux retours de fortune dont nous menace la jalousie des dieux », v. 21 : μή φθονεραϊς έκ θεών | μετατροπίαις έπικύρβαιεν. En faveur d’une interprétation imagée de l ’expression, on peut invoquer la présence : a) de μετατροπίαις, terme apparenté à με-τάτροπος — qui qualifie chez Euripide {Él. 1147-1148) une saute de vent ; cf. aussi Eschl., Pers. 941 — et à τρόπαια également, lié au vent chez Eschyle {Ag. 219 ; Cho. 775 ; Sept 706) ; b) de έπικύρσαιεν : dans la XII® Olym­pique, on trouve en effet une allusion à « ceux qui ont été exposés aux tempêtes de l ’infortune », v. 11-12 : οί 8’ άνιαραϊς | άντικύρσαντες ζάλαις ; le parallélisme μετατροπίαις έπικύρσαιεν-άντικύρσαντες ζάλαις est peut-être l’indice que dans la X® Pythique elle aussi Pindare songeait au voyage de la vie et à la rencontre

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main de Salamine et de Platées, qui ont consacré la victoire de la Grèce, mais aussi l ’humiliation de Thèbes^. Ces événements tout récents ont profondément impressionné Pindare, partagé etitre son sentiment patriotique et l ’amour de sa ville natale, et cet état d ’âme complexe se reflète dans le ton du poème, où se mêlent le soulage­ment et l ’inquiétude La joie ressentie à la fin de la guerre lui ins­pire au début de l ’ode l ’ image de la pierre de Tantale, suspendue au-dessus des Grecs, et qu’un dieu a détournée, v. 10-11 : επειδήτόν ύπέρ κεφαλάς | γε Ταντάλου λίθον παρά τις | τρεψεν δμμι θεός, | άτόλματον 'Ελλάδι μόχθον ; et dans cette jole qu’U éprouve le poète se refuse à, considérer autre chose que le présent, v. 13 : τ6 8è προ ποδος άρειον άεΐ [οκοπεϊν] [ χρήμα παν ; l ’aVenir, de fait, peut encore faire surgir de pareilles épreuves :

δόλιος γάρ αι­ών έπ’ άνδράσι κρέμαται,

έλίσσων βίου πόρον.V . 14-15.

« car perfide est le temps qui pèse sur les hommes et trouble le cours de la vie ».

Chez Pindare, αιών apparaît avec une grande diversité d ’emplois®. I l peut désigner la vie de l ’homme dans sa durée et être synonyme de βίος : 01. I I 74 ; Pyth. I I I 86, IV 186, V 7, V I I I 97 ; Ném. IX 44 ; il peut aussi qualifier la vie en tant qu’élément fixe, déterminé à la naissance de l ’homme par le destin, et que rien ne peut modifier, exprimant en cela une notion très voisine de celle de μοϊρα* : 01. I I 11, IX 60; Ném. I I 7, X 59; Isthm. V I I 42®; il caractérise enfin, plus généralement, le temps conçu comme une force extérieure à la vie humaine, qui en détermine le déroulement, et ce à, l ’échelle

du vaisseau des destinées avec des vents soudain devenus contraires — pour le commentaire de 01. X I I 11-13, voir p. 295 ss. Contre cette interprétation de la X® Pythique, il y a le fait que Pindare : a) ne vise qu’une catégorie déter­minée de personnes (v. 5 : Άλεύα τε παϊδες) ; b) se réfère explicitement à une intervention des dieux (v. 21 : έκ θεών) — deux détails qui ne se rencontrent jamais par ailleurs dans l ’image du vent changeant. Le texte est énigmatique, et l ’on hésite à trancher.

1. Sur ces faits, voir C. Gaspar, p. 66 ss.2. Sur le ton de la VIII® Isthmique, voir J. H. Finley, Pindar and the Persian

invasion (Harv. Stud, in Glass. Phil. 63, 1958), p. 121, p. 126, p. 128.3. Voir à ce propos L. Petersen, p. 26 s., et surtout B. Degani, Α ΙΩ Ν da Omero

ad Aristotele (Padova, 1961), p. 46 ss.4. Voir E. Degani, p. 48 ; J. B. Bury, The Isthmian Odes o f Pindar, p. 33.5. Dans deux de ces exemples — 01. II 11 ; Ném. II 7 — αιών a la même va­

leur « active » que χρόνος. Voir H. Gundert, Pindar und sein Dichterberuf, p. 63 ; pour Ném. II 7, voir p. 187 s. ; pour χρόνος, p. 186 s.

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194 LE V E N T IN CO N S T A N T

de l ’humanité entière : tel est précisément le sens de αίών dans notre passage^, qui souligne nettement ce double aspect d ’une force qui s’exerce sur l ’homme en quelque sorte du dehors ■— v. 14 : κρέ- μαται; έπί^ — et qui concerne l ’humanité dans son ensemble — ibid. :άνδράβι.

Cette action de αιών sur la vie humaine est évoquée par deux termes successifs, κρέμαται (v. 14) et έλίσβων (v. 15).

I l ne fait aucun doute que κρέμαται soit un souvenir de l ’allusion des V . 10-11 à la pierre de Tantale^ — qui figure déjà chez Alcée, frg. 32 D , et chez Pindare lui-même : 01. I 57-57 b r άν | οί πατήρ

ΰπερ I κρέμασε καρτερδν αύτω λίθον — et dans ce Verbe se concentrent toutes les menaces qui pèsent sur la fragile existence de l ’homme ; de fait, l ’emploi de κρέμασθαι, ύπερκρέμασθαι,, etc., dans la poésie lyrique — · que ces termes soient liés ou non à, l ’ image précise de la pierre de Tantale — · répond toujours à l ’ iatention de mettre au premier plan le caractère hostile de la réalité évoquée : vieillesse (Mimn., frg. 5 D, 2-3; Théogn. 1021-1022), guerre (Archil., frg. 55 D), malheur (Théogn. 205-206), mort (Simonid., frg. 9 D, 3), etc. ; et chez Pindare l ’ image a toujours une signification défavorable :01. V I 74 : μώμος έξ άλ|λων κρέμαται; V I I 25 : άμφί δ’ άνθρώπων φρασίν

άμπλακίαι | άναρίθμητοί κρέμανται ; Isthm. I I 43 : φθονεραί θνα|τών

φρένας άμφικρέμανται έλπίδες. Jamais Cependant, que ce soit chez Pindare ou ses prédécesseurs, le verbe n’exprime l ’ idée d ’une me­nace aussi diffuse, aussi totale qu’au v. 14 de la V III® Isthmique : car l ’utilisation symbolique du détail mythique, qui valait aux V. 10-11 dans le domaine déterminé de la guerre, acquiert ici une dimension nouvelle, en englobant toutes les menaces latentes que le temps tient en réserve®.

Mais les virtualités d’action exprimées par κρέμαται (v. 14) cèdent le pas à l ’action elle-même grâce à l ’emploi de έλίββων (v. 15) : αίών

y devient tout autre chose que le poids inerte suggéré aux v. 10-11,

1. E. Degani, p. 49 : « una forza trascendente ed esterna alV uomo che agisce su tutto il genere umano, determinandone le gioie ed i dolori ».

2. Voir aussi Isthm. I I I 19, p. 196 s.3. H . Frankel, Wege und Formen frühgriechischen Denkens, p. 25, rapproche

la connexion de αίών et de έπί de la formation de l ’adjectif έπ- άμερος, où « έπί besagt, das der Tag « auf » uns ist ».

4. Voir E. Wüst, p. 208 ; H . Disep, p. 102 ; E. Thummer, Pindar. D ie Isth- mischen Gedichte, II, p. 130 ; J. B. Bury, The Isthmian Odes o f Pindar, p. 142 ; U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 198 ; F. Dornseifî, Pindars Stil, p. 67 ; H. Gun- dert, Pindar und sein Dichterberuf, p. 20, et, plus généralement, G. Coppola, Introduzione a Pindaro, p. 48 ss. Pour G. Norwood [Pindar, γ. 255, η. 54), κρέ- μαται à lui seul suffit à suggérer l’image d ’un vent qui « plane » au-dessus des hommes, et la référence à la pierre de Tantale ne s’impose pas.

5. Voir E. Degani, p. 50 s.

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et c’est véritablement d’une force personnifiée, animée d’intentions malfaisantes, qu’il s’agit à présent^.

La nature exacte de l ’ image incluse dans έλίσσων βίου πόρον (v. 15) a été diversement appréciée. Certains voient dans έλίσσων l ’ idée d’un changement de direction imposé par le temps au « chemin de la vie » : J. Sandys traduit par « that maketh crooked the path of life^ », J. H. Finley par « twisting lifers track^ » ; H. Disep, de son côté, rend πόρον par « Bahn^ ». G’est en fait l ’ interprétation de πόρον qui commande celle de έλίσσων. Or πόρος chez Pindare peut désigner une étendue marine — ainsi Ném. IV 53 : Ίόνιον πόρον — et c’est également un fait courant dans la poésie épique — Hom., Od. X I I 259 : πόρους άλός ; Hés., Théog. 292 ; πόρον Ώκεανοϊο — et drama­tique — ■ Eschl., Pro. 531 lyr. : παρ’ Ώκεανοϋ... πόρον ; Pers. 453 : έναλίων πόρων, etc. On peut dans ces conditions admettre que βίου

πόρον représente dans Isthm. V I I I 15 l ’équivalent figuré des « che­mins de la mer » ci-dessus évoqués, cette interprétation de πόρον étant confirmée par le fait que έλίσσεσθαι évoque souvent le mouvement des vagues — Pind., Ném. V I 55 : τό... έλισ|σόμενον... κυμάτων®; Hés., Théog. 791 ; Eschl., Pro. 138 lyr. — ou de tout ce qu’elles en­traînent — Pind., 01. X 9-10 : ψάφον έλισσομέναν ] όπ^ κϋμα κατακλύ(ϊ- σει«; Hom., II. X IX 11 ; Eut., Ion 1503 lyr.·^ — et qu’ainsi, à l ’ac­tif, έλίσσειν peut suggérer l ’action d’un vent qui « fait rouler » des vagues, qui bouleverse la surface de la mer. Le texte le plus éclai­rant qu’oïl puisse invoquer à, l ’appui de cette explication est le pas­sage de VIphigénie en Tauride où Euripide décrit les souffles des vents qui soulèvent l ’Euripe en Vagues incessantes, v. 6-7 : άμφί 8t-ναις ας θάμ’ Εΰρι,πος τιυκναϊς | αΰραις έλίσσων κυανέαν άλα στρέφει.

Le tableau de la V III® Isthmiqne est donc constitué de deux élé­ments qui sont en étroite relation : la vie de l ’homme dans ses jours

1. Sur cette personnification de αίών, voir H . Disep, p. 102 ; L. Petersen, p. 27. G. Lackeit {Aion : Zeit und Ewigkeit in Spraehe und Religion der Griechen. Diss. Kônigsberg, 1916) parle à ce propos (p. 83) de « Augensblickspersonifikation » et de « Schicksalsdàmon ».

2. J. Sandys, p. 501.3. J. H. Finley, Pindar and the Persian invasion, p. 125 ; de même E. L. Bundy,

Hesychia in Pindar, p. 53.4. H . Disep, p. 102 ; cf. aussi schol. 27 G (D R III, p. 271) : τόν τοϋ βίου πόρον,

τουτέστι. τήν οδόν τοϋ βίου.5. Voir ρ. 244 ss.6. Voir p. 240 ss. ; G. Goppola, Introduzione a Pindaro, p. 66, n. 1, indique

ce rapprochement avec Ném. V I 55 et 01. X 9-10, mais conclut à tort que ce sont ces deux passages qui sont à l’origine de l’image de Isthm. V I I I 15 ; en fait, ils traduisent des réalités d ’ordre purement poétique, et l’on ne doit pas les mettre sur le même plan que Isthm. V I I I 15.

7. Voir p. 190.

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de sérénité y est représentée comme une mer paisible^; le temps, avec toutes les circonstances dramatiques qu’il suscite à l ’occasion — ■ telles que la guerre, encore présente à, l ’esprit du poète, et tou­jours redoutable — · comme un vent qui hérisse de vagues — Eur., Iph. Taur. 7 : 6ίλα στρέφει — cette surface jusqu’alors calme et unie^. Il convient à, ce propos de bien marquer la différence qui, tant sur le plan de l ’ idée que sur celui de l ’expression poétique, sépare ce passage de Pyih. I 46 et de Ném. I I 6-8^ : car si dans ces deux textes l ’action du temps et du destin s’exerce également à la manière d ’un vent soufflant sur la vie de l ’homme, εύθύνοι {Pyth. I 46) et εύθυ- πομπός {Ném. I I 7) traduisent l ’idée d ’une direction précise donnée à l ’existence et supposent de toute évidence la métaphore du vais­seau, alors que dans la V III® Isthmiqué έλίίσων (v. 15) ne suggère aucunement un mouvement modifié dans sa direction, mais une étendue troublée dans sa surface, et l ’action du vent s’y exerce di­rectement sur la mer^.

La succession de métaphores qu’on trouve ici pour caractériser l ’action du temps a pour fonction, conune souvent chez Pindare, d ’éclairer une réalité de différents côtés pour mettre en lumière ses divers aspects : et tandis que κρέμαται (v. 14) traduit · l ’idée des menaces qui pèsent sur l ’homme, έλίσσων (v. 15) esjjrime celle des bouleversements qui en résultent dans son existence®.

Cette conception d’un temps dont l ’action irrégulière et capri­cieuse se signale par d ’éternelles alternances de hauts et de bas® est encore soulignée par une image maritime à, la fin de la III® Isth-

1. Voir εύδία, p. 290 ss.2. C’est ce qu’a vu une scholia (27 B, loc. cit.), qui paraphrase έλίσσων par

κυλίων. Voir aussi sur ce point G. Coppola, Introduzione a Pindaro, p. 66 ; J. B. Bury, The Isthmian Odes o f Pindar, p. 142 ; mais il est fort douteux que, comme l’indique ce dernier, αιών soit à rattacher au verbe άηναι « souffler ». Pour l ’identification de αιών à un vent inconstant, voir aussi Eur., H ipp. 1108-1110 lyr. : άλλα γάρ ίόλλοθεν άμείβεται, | μετά S’ ?σταται άνδράσιν αιών | πολυπλάνητος άεί. On rapprochera μετά 8’ ί'σταται αιών de Ion 1505 lyr. : μεθίβταται δέ ττνεύ- ματα; ÉI. 1202 lyr. ; μετεστάΟη.

3. Voir ρ. 186 ss.4. G. Norwood [Pindar, p. 255, n. 54) introduit précisément dans l ’image la

métaphore du vaisseau : « the wind overhead is fu ll o f cunning shifts that drive the life o f man upon a winding course ». E. Thummer, quant à lui [Pindar. D ie Isthmischen Gedichte, II, p. 131), complique inutilement le symbolisme de révocation en disant que « das Sehicksal als W ind oder wogendes Wasser erscheint, durch das das Leben des Menschen wie ein Kiesel umhergespüU wird ». Le « des­tin » n’est manifestement conçu ici que comme vent, et c’est la vie humaine qui apparaît à l ’image d’une mer houleuse ; le galet enfin vient tout droit de la X « Olympique (v. 9-10), mais il n’a dans ce poème rien à faire avec le thème du destin. Voir p. 240 ss.

5. Voir E. Thummer, loc. cit.6. Voir S. L. Radt, p. 33.

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mique, qui, après une brève évocation de la gloire des Gléonymides, s’achève sur une note d ’incertitude :

αΙών 8έ κυλινδομέναιςάμέραις &ΧΚ’ δλλοτ’ έξάλ-

λαξεν.V. 19,

« mais U temps, dans h déroulement des jours, fait sentir ses change­ments tantôt d’une façon, tantôt d'une autre ».

Gomme dans la V III® Isthmique, αΙών est considéré dans les bou­leversements qu’U entraîne dans la vie de l ’bomme, et la réflexion a ici encore im caractère général, traduit par l ’aoriste gnomique έξάλλαξεν ; l ’ image aussi est toute proche : elle suppose l ’ identifi­cation des jours qui se succèdent dans leur diversité à des vagues soumises à, un souffle inconstant^, et la vision suggérée par κυλιν- δομέναις nous ramène, par delà, la V I I I® Isthmique, à l ’évocation de la X II® Olympique : v. 6 : κυλίνδοντ έλττίδες®. Par l ’ insistance avec laquelle trois termes — &XK’ Άχκοτ’ έξάλλαξεν — ■ traduisent l ’idée d ’incertitude et d ’instabilité, elle anticipe également sur celle des vagues changeantes de 01. I I 37-38 : poaî δ’ άλλοτ’ άλλαι κτλ.

C’est que chez Pindare la formule όέλλοτ’ άλλος — avec ses nom­breuses variantes — est la plus propre à exprimer dans un contexte général l ’idée de la diversité des destinées et plus encore celle des changements qui peuveïit s’y produire ; elle parcourt son œuvre avec une insistance obsédante : 01. I 113, V I I 11, V I I I 13^, IX 105; Pyth. I I 85, I I I 51, V I I I 77, X 54, 60, X I 425 ; Ném. I 25, I I I 41- 426, lY 9 1 V I I 6, 55,.VriI 3 ; Isthm. I 47, V 52, frg. 10, 15, frg. 92,1 ’ ; mais, si dans le domaine imagé elle se rencontre une fois en liai­son avec la métaphore de la Vague®, elle s’accommode tout par­ticulièrement de celle du Vent, tant il est vrai que cette dernière est par excellence le symbole de l ’illusoire et de l ’instable et, dans ses trois emplois, avec οδρος {Isthm. IV 6), πνοή {Pyth. I I I 105)

1. Voir J. B. Bury, The Isthmian Odes of Pindar, p. 61 s. ; l’image de la « vague du temps » chez les tragicjues est différente à un double titre : χρόνος y est iden­tifié à l’élément marin, non au vent ; en outre, on ne peut y percevoir aucune idée d’irrégularité. Voir Eschl., Eum. 853 : ούπφρέων... χρόνος; Eur., frg. 594 N, 1-2 ; άενάφ | ρεύματι [s. e. χρόνου].

2. Voir p. 128 ss.3. Voir p. 252 ss.4. Voir p. 253.5. Voir Appendice, p. 325 ss. :6. Voir p. 90.7. Sur cette formule, voir O. Becker, Dos Bild des Weges, p. 93, n. 107 ; H. Gun-

dert, Pindar und sein Dichterberuf, p. 114, n. 69 ; H . Bischoft, p. 101 ; É. des Places, Le pronom chez Pindare, p. 97 s.

8. Voir p. 252 ss.

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et αΰρα {01. V I I 94-95), c ’est à des moments décisifs de l ’ode qu’elle illustre le thème de l ’iacertitude du sort.

La IV® Isthmiqne s’ouvre sur un ensemble d ’images d’une richesse extrême^ ; la première est celle des chemins de la poésie, que Pin- dare a toute licence d’emprunter pour célébrer le Vainqueur Mélis- SOS, V. 1-3 : ëan μοι θεών 2κατι | μυρία τταντ^ κέλευθος / ... / ύμετέρας

άρετάς ΰμνφ διώκειν ; cette image du chemin est immédiatement reprise, mais avec une signification plus large, pour évoquer le Voyage de la vie des Gléonymides, V. 4-5 : αϊσι [sc. άρετάς] Κλεονυμίδαι θάλ- λοντες αίεί | σύν θεφ θνατδν 8ιέρχον|ται βιότου τέλος. Et c’est SUr cette image élargie que s’articule brusquement l ’ image du vent :

άλλοτε 8’ άλλοϊος οδρος

πάντας άνθρώπους έπαΐσσων ελαύνει.V. 6.

« mais c'est tantôt un vent, tantôt un autre qui se lève pour pousser les hommes ».

Enfin, après des considérations sur la gloire des Gléonymides (v. 7-10), l ’antistrophe s’achève sur l ’évocation des colonnes d ’ Hé- raklès, limite suprême jusqu’où leur valeur les a portés, v. 11-13 :άνορέαις S’ έσχάταισιν [ οϊκοθεν στάλαισιν απτονθ’ Ήράκλείαις κτλ.

Dans cet ensemble métaphorique, l ’ image des Vents du v. 6 doit retenir l ’attention par sa place et sa signification, l ’une expliquant l ’autre.

-L’ image initiale du chemin (v. 1) traduit un point de vue rela­tivement limité : μοι ; avec διέρχονται (v. 5), qui suppose la même mé­taphore, le cadre de la réflexion s’élargit : Κλεονυμίδαι ; toutefois, l ’image demeure sur terre. L ’intrusion de οδρος (v. 6) va être déci­sive à un double titre : car l ’image du vent traduit maintenant des préoccupations de caractère proprement universel — πάντας άνθρώ­πους, cf. Isthm. V I I I 14 : έπ’ άνδράσι ; 01. I I 38 : ές άνδρας — · et en même temps substitue à, l ’élément terrestre l ’évocation d ’un trajet accompli sur mer. En cela non seulement elle prolonge et transpose l ’ image du chemin, mais elle prépare celle des colonnes d’ Héraklès et de la glorieuse « navigation » qui y a conduit les Gléonymides ; cette ultime image du trajet (v. 11-13), traduite par ίίπτονται (v. 12), constitue l ’équivalent marin de celle des V. 4-5, exprimée par. διέρχον­ται ; en outre, elle concerne à, nouveau (v. 7 : τοί μέν) les personnages précédemment évoqués (v. 4 : Κλεονυμίδαι). La métaphore du vent occupe donc ici une position centrale : elle assure la transition du

1. Sur l ’ensemble des v. 1-13, voir p. 73 ss.2. Sur ces vers et les v. 31-33 de VOde V de Bacchylide, voir p. 73, n. 5.

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domaine terrestre à, celui de la mer^ et marque le point culminant de la réflexion de Pindare, passé lequel i l oublie l ’ensemble de l ’hu­manité pour en revenir à. là famille du vainqueur selon un mouve­ment qu’on pourrait matérialiser de la façon suivante ·.

V. 6 : πάντας άνθρώπους-V. 4-5 : Κλεονυμίδαι V. 7-13 : τοί μέν

V. 1 : μοι

Ainsi replacée dans son contexte, la métaphore du vent acquiert son exacte signification. I l est évident que, dès l ’allusion des v. 1-3 à, la poésie, Pindare songe à la gloire qu’elle dispense : toutes deux sont ôonstamment liées chez lui, et la VI® Néméenne met en étroit rapport la notion de gloire et l ’image du vent : v. 29 ; οδρον έπέων εύκλεα C’est précisément ce vent de gloire qui « vole » dans le monde— Isthm. IV 9-10 ; έπ’ άνθρώπους άηται* μαρτύρια — et que la poésie saisit pour le « souffler » dans les voiles des Gléonymides, qui par­viennent ainsi à, la notoriété suprême, symbolisée par les colonnes d ’ Héraklès. Comme dans la V® Néméenne^, le vent de la gloire se confond donc avec le vent du destin, et cette identification amène la réflexion générale du V. 6 : car si les Gléonymides, poussés par le vent d ’une destinée favorable, sont parvenus aussi loin, tous les hommes ne peuvent prétendre à une navigation aussi propice; il est, pour reprendre les expressions de Pindare, différents ordres de grandeur ■— 01. I 113 : έπ’ âxxowi 8’ άλλοι μεγάλοι — des routes qui mènent plus loin que d’autres — 01. IX 105 : έντί γάρ άλλαι | όδων όδοί περαίτεραι — et la diversité de nos destins nous empêche d ’aspirer aux mêmes buts — Ném. V I I 6 : εϊργει δέ πότμω ζυγένθ’ | έτερον ετερα. Mais au delà, de cette constatation des différences qui séparent les destins des hommes, l ’ image de la IV® Isthmique im­plique un avertissement voilé à Mélissos sur le caractère éphémère de la gloire et la nécessité de jouir du présent dans la crainte d ’im avenir moins favorable : si les sautes de vent — άλλοτε δ’ άλλοΐος —■ sont \me réalité à laquelle nul ne peut se soustraire — πάντας ανθρώ­πους — Mélissos doit songer que les souffles propices qui l ’ont guidé

1. La suite de l’ode regroupe dans une vision d ’ensemble ces deux éléments, .V. 41-42 : και πάγ|καρπον έπΙ χθόνα κα'ι διά πόντον βέβακεν | έργμάτων άκτ'ις καλών άσβεστος αίεί. Voir ρ. 23.

2. Sur ce début, voir Μ. R. Lefkowitz, Bacchylides’ Ode 5, imitation and ori­ginality, p. 57 ss. ; l ’auteur a bien analysé l ’élargissement progressif de la ré­flexion, qu’elle compare à un « inverted cone » ; mais elle ne tient pas compte du mouvement inverse des v. 7 ss.

3. Voir p. 181 ss.4. Pour Sïj-rai à propos d’un vent, voir Eschl., Cho. 391, p. 175 s.5. Ném. V 51-52, voir p. 180 ss.

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jusqu’alors peuvent un jour lui faire d é f a u t : αΙών 8έ κυλινδομέναις 1 άμέραις ίίλλ’ αλλοτ’ έξάλλαξεν®.

Cette manière d ’exprimer au moyen d ’une seule image une réflexion de caractère général et d ’y condenser en quelque sorte le thème du destin®, acquiert un relief supplémentaire quand l ’ image se trouve à la fin du mythe, dont elle a pour fonction de souligner en quelques mots un aspect essentiel^. C’est ainsi que dans la III® Pythique sont évocfués le sort de Cadmos et de Pélée (v. 86-102) et la succession de joies et de peines que tous deux ont connue® ; et à l ’issue du mythe, recourant une fois de plus à, l ’image du chemin, Pindare en conclut que la sagesse est de jouir du bonheur présent, v. 103-104 : εΐ 8èvôci) τις èysi θνα|τών άλαΟείας οδόν, χρή προς μακάρων | τυγχάνοντ’ εδ

πασχέμεν. G’est alors que, par un procédé semblable à, celui souligné dans la IV® Isthmique^, l ’ image du chemin fait place à celle du tra · jet sur mer, et la métaphore du vent exprime l ’incertitude du len­demain :

"Αλλοτε S’ άλλοϊαι ττνοαί ύψιπεταν άνέμων.

V . 103.

« les vents qui soufflent dans les hauteurs viennent tantôt d'ici, tantôt de là ».

La portée générale de la réflexion, nettement indiquée par πάντας

άνθρώπους dans Isthm. IV 6, n ’est ici que suggérée par ύψιπετάν : si Pindare fait allusion aux « hauteurs » où soufflent ces vents, c ’est qu’il a encore présent à, l ’esprit le rang éminent occupé dans l ’uni­vers mythique par les héros de son récit ; qu’un Cadmos, qu’un Pélée soient en butte à l ’ inconstance du sort implique que le commun des mortels doit, à plus forte raison, s’incliner devant cette iaéluc- table réalité^.

1. Peut-être d’ailleurs έλαύνειν (Pind., Isthm. IV 6) implique-t-il une cons­tance moins grande dans le soufïle que εύθύνειν [01. X I I I 28 ; Pyth. 146, p. 185 ss.) ; pour έπαίσσων appliqué à un vent, cf. Eschl., Ag. 1181 : έσ·φξειν (p. 178 s.) ; Soph., A j. 258 : ι^ξας (p. 203) ; Eur., Hipp. 165 : ήξεν (p. 280) ; Ibyc., frg. 6 D, 9-10 ; άίσοων (p. 279), et les remarques de U. von Wilamowitz, Sappho und S i­monides, p. 124.

2. On considère l£ III® et la IV® Isthmiques comme deux poèmes distincts ; il y a néanmoins un rapport certain entre l’image du vent de Isthm. IV 6 et celle de Isthm. I I I 19 (voir p. 196 s.).

3. L ’expression est de M. Bernhard, p. 16. Voir aussi Ή. A. Gârtner, p. 128, n. 1.

4. Sur la position de 01. I I 37-38 entre deux mythes, voir p. 252 ss.5. Voir v. 95-97 : Διός 8έ χάριν | έκ προτέρων μεταμειψάμενοι καμάτων Ι|στασαν

όρθάν καρδίαν. Έν 8’ αδτε χρόνφ κτλ.6. Voir ρ. 198 ss.7. ύψιπετής ne peut guère signifier « le vent venu des dieux » (Ar., Pa ix 944-

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Mais ce qui est ici tout à fait particulier, c’est le prolongement que cette image du vent trouve dans la gnômé suivante^ :

"Ολβος ούκ ές μακρόν άνδρών έρχεται, δς πολύς εδ τ’ αν έπιβρίσαις 2πηται. ^

V. 106-107.

La valeur imagée de celle-ci, en fait, ne peut être définie que si l ’on revient au préalable sur l ’établissement du texte au v. 107. Pour parvenir à, une interprétation satisfaisante, il convient de con­server la leçon des manuscrits et de répartir les mots d ’une manière im peu différente de celle habituellement pratiquée : la leçon δς des manuscrits est en effet la seule possible, et la correction de0. Scbroeder en σαός n’aboutit qu’à rendre le vers inintelligible en y introduisant une métaphore médicale ; d ’autre part, E T T A N ne doit pas être scindé en εδτ’ éiv mais en εύ τ ib, l ’adverbe εδ étant mis ainsi par τε sur le même plan que l ’adjectif πολύς 3. Dès lors, le contenu métaphorique des deux vers apparaît tout à fait cohérent : l ’image est celle d’un Vent — celui de la prospérité — ■ puissant et favorable. La force de ce vent est indiquée par πολύς — Hérod.V I I 188 : χειμών τε μέγας καΐ πολλος άνεμος ; fig. Dém. X X V 57 : πολύς παρ’ ύμϊν τηιει καΐ λαμπρός ; Ατ., CaV. 760 : οπως εξει πολύς καΐ λαμπρός είς τον όίνδρα ; Gren. 1221 : ττνευβεϊται πολύ — et par έπιβρίσαις, qui suggère la pression qu’il exerce sur les voiles —■ Théophr., Vent. V 34 : γάρ αν έπιβρίση (sc. άνεμος)® — ; c’est aussi un vent propice : il souffle « bien » (εδ), c’est-à-dire « dans la bonne direction », ce que précise επηται : le vent « suit » le navire, qui le reçoit en poupe. Sans doute έπεσθαι est-il souvent utilisé par Pin- dare pour traduire l ’idée d ’un destin propice qui « suit » ou « accom­pagne » ceux qu’il favorise — Pyth. I I I 84 : τίν 8έ μοϊρ’ εύδαιμονίας έπεται ; V 55 : ό Βάττου δ’ έπεται παλαι.| ός όλβος ; 01. V I 72 : όλβος άμ’ 2σπετο ; V I I I 12 : φτινι σόν γέρας ίβ π ετ άγλαόν ; Ném. I 29 : συγ-

945 lyr. ; θεόθεν... | αΰρα ; trag., frg. anon. 303 Ν , 1 lyr. : θεόθεν... ττνέοντ’ οδρον) ; car l ’idée de l’intervention des dieux dans les changements de vents est étran­gère à Pindare : voir p. 191.

1. U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 284, a été le premier à l’entrevoir ; son opinion, qui n’a guère été partagée, a été récemment reprise par D. G. Young, p. 57 s.

2. Ces vers sont traduits p. 202.3. Pour τε reliant un adjectif et un adverbe, voir J. D. Denniston, The Greek

particles (Oxford, 1954), p. 497, n. 2.4. Pour λαμπρός, voir p. 179, n. 1.5. Dans II. V I I I 343 : μή ποτ’ εταδρία-η πόλεμος, έπιβρίση traduit peut-être

l ’image de Γ « ouragan de la guerre » (voir p. 282 ss.). Les commentateurs qui adoptent pour Pyth. I I I 107 la leçon σαός ou σώς voient dans έπιβρίσαις une métaphore médicale. Ainsi M. R. Lefkowitz, ΤΩ K A I ΕΓΩ. The first person in Pindar, p. 222.

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γενές οίς επεται j X 37-38 ; επεται δέ... j ... τιμά j Is th ïfl. I l l 4 ; μεγά- λαι 8’ άρέταί θνατοϊς Ιπονται^ — sans qu’on puisse raisonnablement supposer dans tous ces textes la métaphore du vent ; si elle se dé­gage des V. 106-107 de la Π Ρ Pythique, c ’est bien plus en raison de la convergence de multiples détails, qui se renforcent mutuel­lement, que de la valeur imagée de chacim d’eux ; mais elle n ’en est pas moins indiscutable, compte tenu du contexte et notamment de l ’ image du v. 105.

« Le vent de la prospérité ne dure pas longtemps pour les hommes, quand son souffle, se faisant puissamment sentir sur eux, lés pousse dans une bonne direction^ », dit Pindare, et la correspondance entre la gnômé et la métaphore précédente, entre όλβος (v. 106) et όίνεμος (v. 105), est évidente : car de même qu’un marin met à. profit le vent propice, sachant qu’il n ’est pas assuré d’en jouir longtemps —· v. 105 : όίλλοτε 8’ άλλοϊαι τη/οαί — de même l ’homme avisé doit tirer parti de la bonne fortune pendant qu’il l ’a — v. 104 : χρή πρός μακάρων | τυγχάνοντ’ εδ πασχέμεν — dans la pensée qu’un jour suffit à, l ’en priver. L ’idée qu’il faut savoir mettre à profit les circonstances opportunes était déjà présente dans l ’exhortation du v. 62 à, « épuiser les res­sources du possible » — · τάν 8’ έμπρακτον άντλει μαχανάν ® ; elle re­paraît ici avec sa valeur la plus générale, inspirée du mythe mais élargie aux dimensions de l ’humanité entière — v. 106 : άνδρών ; cf. Isthm. V I I I 14 : έπ’ άνδράσι. ; 01. I I 38 : ές ανδρας ; Isthm. IV 6 : πάντας ανθρώπους — ' dans une réflexion imagéè qui englobe la méta­phore du V. 105 et la gnômé des v. 106-107, et où l ’ image du vent est évoquée à la fois dans le peu de durée de ses souffles propices (v. 106 : ούκ ές μακρόν) et la brutalité de ses revirements (v. 105)®.

Mais jamais cette image n’est aussi frappante, et jamais les échos qu’elle éveille n ’ont autant de résonance que lorsqu’elle se situe à

1. Voir aussi Éloge I 6 : εσπετο δ’ άενάου πλούτου νέφος.2. D. C. Young, loc. cit. : « the good fortune o f men does not come for long, i f

it presses from behind heavily and well ».3. Voir aussi V. 109 : τόν 8’ άμφέποντ’ αίεΙ φρασίν | δαίμον’ άσκήσω κατ’ Ιμάν

θεραπεύων μαχανάν.4. Comme celle des v. 61-62 était inspirée du mythe de Coronis et d ’Asclé-

pios (v. 8-58, voir p. 145 ss.) ; il y a dans cet ensemble de deux récits mythiques (v. 8-58 et V. 86-102), suivi chacun, d’une image maritime (v. 61-62 et v. 105- 107), une étonnante symétrie ; voir p. 330 et n. 2.

5. En fait, la métaphore du v. 105 suit logiquement la gnômé des v. 106-107 et l ’illustre, la suite des idées étant : δλβος ούκ ές μακρόν άνδρών έρχεται. | όίλλοτε [γάρ] άλλοϊαι πνοαί κτλ. Solon développe une idée et une image analogues, quoique moins riches en détails que chez Pindare, frg. 5 D, 9-10 ; τίκτει γάρ κόρος ΰβριν, δταν πολύς όλβος έπηται | άνθρώποισιν ; pour un emploi de δλβος à proximité d ’une image maritime, voir Eur., Or. 340 lyr. (p. 129). Dans Pyth. I 46, enfin, δλβος apparaît non comme un vent {Pyth. I I I 106-107), mais comme un vais­seau ; voir p. 186 s.

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la fin de l ’ode comme c’est le cas dans la VII® Olympique, où elle succède à la vision de Rhodes en fête (v. 93) :

ένδέ μι^ μοίρί): χρόνου

όίλλοτ’ άλλοΐαι διαιθύσσοισιν αδραι.V. 94-95.

« mais en un espace de temps^ les sonfles de la brise s'élancent d'un côté, puis de Vautre ».

Le terme employé ici avec l ’expression δλλοτ’ άλλοϊος n’est plus οδρος ni ττνοή, mais αδρα. Αΰρα désigne au propre les souffles variables de la brise, mais parfois aussi un vent vif, voire violent comme le montrent les épithètes κραι,ττνοφόρος — ■ Eschl., Pro. 132 lyr.* — et σοβαρός — Ar., Paix 943 lyr. ® —■ qu’on lui applique, Le terme a de ce fait une signification double dans le domaine figuré ; il ex­prime l ’idée d ’un destin dont les souffles contraires se font sentir avec force : ainsi Hermod., frg. 1 PG, 5 : άντιττνεϊ δέ πολλάκις εύτυχίΐΐ δεινά τις αΰρα — ■ l ’image s’opposant à celle du v. 4, qui suggère une influence favorable du « dieu-pilote » sur la Vie humaine®; de même chez Euripide on discerne à l ’arrière-plan de la métaphore l ’ idée de malheur et de souffrance dans Hipp. 165 lyr. : δι’ έμάς ^ξέν’’ ποτε

νηδύος αδ’ αΰρα. Αδρα symbolise également, comme οδρος {Isthm. IV 6) et ττνοή {Pyth. I l l 105), le destin dans ce qu’il a d’impondérable et d ’inconstant® : ainsi dans VÉlectre d’Euripide, où le changement de sort qui affecte la demeure des Atrides à la mort d ’Égisthe et de Glytemnestre est comparé à une brusque saute de Vent, v. 1147- 1148 lyr. : άμοιβαί κακών · μετάτροποι 7τνέου|σιν αδραι δόμων®, la mé­taphore étant reprise peu après pour caractériser les revirements d ’Électre, en proie à des remords subits, et dont l ’état d’esprit change au gré du vent, v. 1201-1202 lyr. ; ττάλιν, πάλιν φρόνημα σόν I μετεατάθη πρός αΰραν^®.

C’est précisément cette idée d’inconstance que suggère l ’emploi de

1. Voir p. 110 les remarques à propos de Pÿtk. X 71-72, et pour Isthm. I I I 19, p. 196 s.

2. Sur cette traduction de έν... μι^ μοίρς: χρόνου, voir p. 204.3. Voir J. V . Kopp, p. 273 s.4. Voir p. 188.5. Voir p. 200, n. 7.6. Voir p. 136, n. 7.7. Pour ήξεν, voir p. 200, n. 1.8. Dans le fragment 1 d’Hermodote, l ’accent est d’ailleurs mis. d’embléé sur

l ’idée d’incertitude, v. 2-3 : τό δέ μέλλον άκριβώς | οΐδεν ούδείς θνατος φέρεται.9. Pour μετάτροπος, voir ρ. 191, η. 2 ; cette idée de bouleversement est ex­

primée par l ’image de la vague au v. 1155 lyr., voir p. 252.10. Ce n’est donc plus le vent lui-même qui change ; pour μετεστάθη, voir Eur.,

Ion 1505 : μεθίσταται ; pour αΰρα qualifiant une impulsion, voir Eur., Suppl.

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αδραι dans la V II® Olympique, en liaison avec άλλοτ’ άλλοϊαι (v. 95). Le verbe utilisé ici par Pindare pour évoquer la brise est θιαιθύσ- σειν, qui, comme tous les composés de αίθύσσειν, combine chez lui deux perceptions distinctes, celle de mouvement et celle de lumière’· ; mais c’est évidemment le mouvement qui se trouve au premier plan de l ’évocation des v. 94-95, et par delà, la vivacité des souffles Siai- θύσσοισιν traduit, comme έπαΐσσων dans Isthm. I V 6, leur prompti­tude à, changer. Cependant, une notation temporelle figure ici, qui manquait à, Isthm. I V 6 comme à, Pyih. I I I 105 : έν... μι? μοίρς: χρόνου. La plupart des. commentateurs insistent à, ce propos unique­ment sur la soudaineté du changement et traduisent par « en un seul instant^ » ; mais un te l sens ne peut être supporté par la pré­sence de αλλοτ άλλοϊαι : car comment concevoir des souffles qui, « en un seul instant », viennent de directions opposées? Moïpa sup­pose en réalité une certaine durée, et l ’accent, dans ces v. 94-95, est mis sur la brutalité des revirements, mais aussi sur la diversité des circonstances qui se rencontrent dans la vie de chacun, Iv μια μοίρη: pouvant être considéré comme l ’équivalent de έν μοίρι? ένάς άνθρώπου : dans une période déterminée du temps de nos vies, les souffles du vent sont tantôt propices, tantôt contraires

On a parfois tenté de chercher à la métaphore un sens précis, en fonction des événements politiques de l ’époque : c ’est ainsi que G. M. Bowra voit dans cette référence aux brises qui varient une allusion à un changement possible de régime à Rhodes^, et M. G. F. Llorens un avertissement quasi prophétique adressé à Diagoras, dont l ’un des fils devait périr peu après, exécuté par les Spartiates dans le Péloponnèse®. Ce type d’ interprétation des textes de Pin­dare n ’est pas exceptionnel, et l ’image des deux ancres et de la nuit de tempête à la fin de la VI® Olympique (v. 101-102) ® est un autre exemple de texte vague, que certains ont le tort de vouloir trop préciser et, ce qui est plus grave, en invoquant pour cela des événe­ments qui lui sont postérieurs : de fait, à, supposer que le poète ait eu des dons de visionnaire qui lui aient permis de prévoir dans un

1029-1030 lyr., 1048 (p. 172, n. 7) ; pour la valeur favorable de αίίρα dans Eur., Phén. 1712 lyr., voir p. 285.

1. Voir à ce propos W . B. Stanford, Ambiguity in Greek literature, p. 132 ss., et plus particulièrement p. 134.

2. Ainsi G. Fraccaroli, p. 263 ; U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 365 ; G. Méau- tis, p. 411, etc.

3. Voir D. G. Young, p. 98, qui traduit έν μια μοίρο χρόνου par « in one appor­tionment o f time » (p. 97).

4. C. M. Bowra, Pindar, p. 147.5. M. G. F. Llorens, Comentarios estéticos de la SeptimaOlimpiea (Helmantica 7,

1956), p. 376, n. 38. .6. Voir p. 62 ss.

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cas la mort de Hiéron et d ’Agésias, et dans l ’autre l ’avènement de la démocratie à Rhodes ou le deuil qui allait frapper Diagoras, peut-on admettre qu’il ait manqué de tact au point d ’y faire allusion, fût-ce à mots couverts^?

La réflexion en réalité a chez lui, comme toujours, un caractère tout à, fait général ; sensible comme il l ’est à, la succession de prospé­rités et d ’épreuves qui caractérise toute vie, il a pu voir dans le triomphe actuel de Diagoras un exemple représentatif de cette loi d ’alternance ; si la destinée du vainqueur — et plus largement celle de l ’homme —■ est aujourd’hui poussée par des vents propices, un temps peut venir où elle rencontrera des souffles contraires ; et l ’ image a, comme celle de la IV® Isthmique (v. 6) et surtout de la III® Pythique (v. 105 et v. 106-107), pour fonction de montrer à l ’homme la nécessité de jouir du bonheur présent, sachant que ni lui ni la gloire ne durent, ni même la vie, et que tous sont έπάμεροι .

I l est tout aussi éclairant de déterminer les rapports de l ’ image avec ce qui la précède, et la place cpii lui revient dans l ’ensemble du poème. Car on peut être surpris qu’une ode d’inspiration aussi optimiste, et qui repose tout entière sur l ’ idée d’une évolution favorable —· de l ’ombre vers la lumière, du mal vers le bien^ — s’achève sur une image si pleine d ’incertitude, où le poète a, selon l ’expression de W . Mullen, « dissolved the future into absolute vicis­situde^ ». On verra toutefois que, loin d ’introduire in extremis une idée nouvelle, la métaphore du vent constitue à bien des égards la conclusion logique des idées et des images qui dominent le reste de l ’ode.

Avec les images ou évocations qu’on rencontre dans les mythes, celle des Vents changeants aux v. 94-95 a ce trait commun d’être empruntée à, la nature : ainsi de la neige que répand Zeus —■ v. 33- 34 : ίνθα ποτέ βρέχε θεών | βασιλεύς ό μέγας χρυ|σέαις νιφάδεσσι πό-

1. Voir à ce propos D. G. Young, p. 98, n. 4.2. A cette interprétation « générale » de I’image finale se rallie la majorité

des commentateurs ; ainsi H . Jurenka, Pindars Diagoras-Lied und seine Erklàrer (Wien. Stud. 15,1895), p. 192 ; L. Cerrato, p. 95 ; M. Merello, p. 35, n. 17 ; G. Per- rotta, Pindaro, p. 243; G. Perrotta-R. Gelsomino, LeO di olimpiche diPindaro (Roma, 1941), p. 113, etc. L. R. Farnell {A critical commentary to the works o f Pindar, p. 58) y voit à juste titre une brillante variation sur \q « memento m ori».

3. Voir B. A. van Groningen, La composition littéraire archaïque grecque, p. 353 ss.

4. W . Mullen, p. 485. Il est significatif que G. Norwood, pai'ticulièrement sensible à l ’aspect « optimiste » de la VII® Olympique [Pindar, p. 141) — alors que J. H. Finley (Pindar and Aeschylus, p. 73) la voit sous un jour moins riant — passe précisément sous silence la métaphore des vents. M. G. F. Llorens, p. 376, a accordé une attention toute spéciale au contraste entre la réflexion finale et les nombreuses sentences qui parcourent l ’ensemble du poème.

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Xtv — · du nuage qu’il envoie — V. 49 : ξανθάν άγαγών νεφέλαν — et qui laisse échapper une pluie d’or — v. 50 : πολύν δσε χρυσόν ; ainsi de la naissance de Rhodes, décrite comme l ’épanouissement d’une fleur — v. 70 : βλάστε μέν Ιξ άλός ύγράς | νασος ; et ces éléments naturels, qu’ils soient utilisés métaphoriquement ou non, ont tous une valeur dynamicfue, sont tous liés à la notion de mouvement^ ; ainsi s’établit une double correspondance entre les détails apparte­nant au domaine de la nature (v. 33-34 : la neige ; v. 49 : le nuage ; V. 50 : la pluie ; v. 70 : la rose ; v. 94-95 : les vents) et entre les verbes impliquant mouvement, évolution, changement (v. 33 : βρέχε ; v. 49 : άγαγών ; V. 50 ; δσε ; V. 70 : βλάστε ; V. 95 : διαιθύσσοισιν) On peut estimer dès lors que les διαιθύσσοισαι αδραι du v. 95 représentent aux yeux de Pindare une force nécessaire à l ’équilibre de’ la Vie de l ’univers, à qui elle apporte tantôt les nuages et les tempêtes, tantôt le soleil et la lumière^, et que, compte tenu de toutes les allusions à, la nature qui la précèdent, l ’ image finale ne suggère aucun présage défavorable®. Toutefois, le symbole est ambigu, et l ’ idée de mouve­ment qui sous-tend les évocations des mythes conduit à, une inter­prétation moins rassurante : si l ’ image de la rose (v. 70) suppose une évolution qui va de la naissance à l ’épanouissement, celle des vents, qui lui succède, et qui évoque elle aussi uh mouvement au sein de la nature, implique, en suggérant le caractère passager de toutes choses, que ce cycle conduit aussi de l ’épanouissement à la mort®, et il est significatif que l ’image qui met l ’accent sur l ’as­pect négatif de cette évolution soit précisément celle sur laquelle s’achève le poème : on aboutit ainsi à la conclusion que, bien loin que les images précédentes adoucissent la métaphore finale’ , c ’est la métaphore finale qui modifie l ’esprit des évocations antérieures et en assombrit le climat, en les plaçant sous le signe de l ’éphémère

1. Voir aussi v. 45 : νέφος.2. Voir M. C. F. Llorens, p. 371.3. Ce rapport a été bien, dégagé par G. Lawall, The cup, the rose and the winds

in Pindar’s seventh Olympian (Riv. d. Filol. e d ’lstruz. Glass. 39, 1961), p. 44.4. Voir G. Lawall, loc. cit. ; c’est sans doute ce qui permet à W . B. Stanford

[Ambiguity in Greek literature, p. 135) d’écrire que même si διαιθύσσειν met ici l ’accent moins sur l’idée de lumière que sur celle de mouvement, « we may still detect a glint o f Pindaric φέγγος in those veering winds » ; D. C. Young (p. 99) force un, peu le rapport unissant ces divers éléments en introduisant une liaison étroite entre le vent, les nuages, la pluie et l ’éclosion de la rose.

5. Voir D. C. Young, loc. cit.6. Voir G. Lawall, loc. cit.7. D. C. Young, loc. cit.8. Il est tout à fait douteux que — comme l’indique G, Lawall, p. 37 — le

thème de l ’incertitude, exprimé aux v. 94-95 par l ’image du vent, soit déjà en préparation dans l ’expression des v. 11-12 : άλλοτε 8’ άλλον έποπτεύ|ει Χάρις : la ressemblance n’est qu’extérieure, et la première formule se situe sur un plan entièrement différent.

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L ’image du vent inconstant exprime ainsi chez Pindare, avec une rare insistance, la croyance en l ’ instabilité des destinées humaines. I l est notable que si l ’intervention des dieux dans la vie des hommes est parfois évoquée par la métaphore du vent, c’est celle du vent constant qui met en lumière l ’aspect réfléchi et conscient de cette action Mais aux changements du vent ils n’ont aucune part : ces virtualités de bien et de mal latentes dans le destin de chacun, c ’est le temps qui les réalise et les répartit selon une loi que l ’on peut reconnaître régie par un principe d’alternance, mais dont les dé­tails demeurent indiscernables. E t quand bien même il convient de distinguer, dans l ’ image du vent inconstant, entre les deux as­pects du temps, entre αιών, qui domine la vie humaine dans sa tota ­lité, et χρόνος, qui en est une partie, leur action n ’en est pas moins analogue : αιών trouble le cours de l ’existence — Isthm. V I I I 15 : έλίσ(ίων — et fait s’y succéder des jours dissemblables — Isthm. I I I 19; χρόνος l ’anime d’un rythme tantôt v if — Isthm. IV 6 ; Pyth. I I I 106 : οΰκ ές μακρόν^ — tantôt plus lent — 01. V I I 94 : έν... μι^ μο£ρ(>: χρόνου ; Pyth. IV 292 : έν... χρόνφ — toujours inégal et impré­visible.

Bans un univers en perpétuel changement, la seule certitude de Pindare est précisément que tout change®. Mais devant ces alter­nances de bonheurs et d ’épreuves, sans doute parce qu’il partage les croyances anciennes selon lesquelles pour un bien les mortels reçoivent deux maux^, il conçoit plus de raisons pour l ’homme heureux de craindre que pour le malheureux d ’espérer ; son œuvre entière, en fait, est dominée par l ’appréhension d’un avenir indéchif­frable et qu’ il devine souvent lourd de menaces : 01. I I 21 ss.®; X I I 7-13®; Pyth. V I I I 92-93 ; X 63 : τά S’ είς ένιαυτδν άτέκμαρτον προνοησαί ; X I I 28 SS. ; Ném. V I 6-7 : έφαμερίαν οόκ I είδότες [sC. ήμεϊς] ούδέ μετά νύκτας | όίμμε πότμος | οΐ'αν τι,ν’ εγραψε δραμεϊν ποτίστάθμαν; V I I 55-57; X I 43 ss.^ E t la V^ Pythique est un exemple caractéristique de sa conviction que « nul évite son lot de peines, nul ne pourra jamais l'éviter », v. 54 : πόνων δ’ ου τις άπόκλαρός έβτιν οΰτ’ έ'σεται.

1. Voir ρ . 185 S S .

2. Voir aussi 01. X I I I 13 : έν μικρφ... χρόνφ (ρ. 298).3. Cette certitude se traduit dans l’image du vent par l’emploi de l’indicatif :

κρέμαται {Isthm. V I I I 14), ελαύνει [Isthm. IV 6), έρχεται, [Pyth. I I I 106), διαιθύσ- σοισιν (01. V I I 95). L ’aoriste gnomique renforce la portée générale de la ré­flexion [Isthm. I I I 19 : έξάλλαξεν ; cf. 01. II 38 : ^βαν), à moins que ce ne soit encore la phrase nominale [Pyth. IV 292, I I I 105).

4. Voir Pyth. I I I 82.5. Voir p. 254 ss.6. Voir p. 130, p. 257, p. 295 s.7. Voir p. 41 ss., p. 256 s.

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Le vent du malheur^.

Pind., Ném. V I I : Σοφοί 8έ μέλλοντα τρίταϊον δνεμον Ιμαθον.

V. 17-18.

« les poètes connaissent le vent qui soufflera dans deux jours ».

Si la VU® Néméènne dans son ensemble passe pour l ’une des odes les plus difficiles de Pûidare, ces v. 17-18 ont tout particulièrement divisé la critique. La discussion qui va suivre a pour objet d ’élucider le sens de la métaphore incluse dans τριταϊον άνεμον (v. 17), avec d’autant plus de soin que l ’explication qu’on en donne a des réper­cussions sur celle de l ’ image de la Vague (v. 30-31), qui lui est de toute évidence liée^; mais on ne peut apprécier la valeur symbo­lique de άνεμον qu’en définissant auparavant le sens de σοφοί.

Certains commentateurs donnent à cfoçoi la signification très géné­rale de « gens avisés », « sages » : les sages, disent-ils, savent que la poésie est seule capable de leur donner la gloire future, aussi confient-ils aux poètes la mission de les célébrer®. Gomment comprendre άνεμον dans cette perspective? D ’après H. Frânkel, άνεμον désigne le « vent de la gloire. » — « dèr Ruhmwind » — qui, « soufflé » sur ces σοφοί pax la grâce de la poésie, éternisera à l ’avenir leur mémoire Mais cette interprétation de άνεμον est tout à, fait discutable : άνεμος — ou un synonyme — · ne peut en effet signifier à, lui seul « le vent de la gloire », et les exemples que donne H. Frânkel à titre de confirma­tion ne sont pas convaincants : dans Ném. V I 29 c’est un mot du contexte, εύκλεά, et non οδρον, qui exprime cette idée ® ; dans Pyth. I 91 — άνεμόεν — il n ’est nullement question de gloire ® ; enfin, dans 01. X I 1 άνέμων est employé au sens littéral D ’autres, qui entendent également σοφοί au sens de « sages », voient dans άνεμον une méta­phore infiniment plus pessimiste : les sages font appel aux poètes

1. Sur l ’équivalence συμφοραί = τινεύματ’ άνέμων (Eur., Hér. 101-102), voir p. 190 et n. 7.

2. Voir p. 271 ss.3. Sur cette interprétation de σοφοί, voir notamment J. B. Bury, The Nemean

Odes o f Pindar, p. 132 ; L. R. Farnell, A critical commentary to the works o f P in ­dar, p. 280 ; H . Gundert, Pindar und sein Dichterberuf, p. 126, n. 211 ; H. A . Gârt- ner, p. 128, n. 1 ; E. Tugendhat, Zur Rechifertigungsproblem in Pindars 7. Ne- meischen Gedicht (Hermes 88, 1960), p. 401, n. 5 ; G. Pavese, p. 110 ; F. Gianotti, La Nemea settima di Pindaro (Riv. d. Filol. 44, 1966), p. 391.

4. H . Frânkel, dans son compte rendu de l’ouvrage de W . Scliadewaldt [Der Aufbau des pindarischen Epinikion), in Gnomon 6, 1930, p. 11 s.

5. Voir p. 181 ss. ; voir aussi JVém. V 51-52 (p. 180 s.) et Pyth. IV 3 (p. 181).6. Voir p. I l l ss.7. 01. X I 1 : ΐστιν άνθρώποις άνέμων 8-ιε πλείστα | χρήσις ; ces objections ont

déjà été soulevées par G. Coppola, Introduzione a Pindaro, p. 56, n. 1, et D. E. Gerber, Pindar, Nemean V I I 31 (Amer. Journ. Phil. 84, 1963), p. 182 s.

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parce qu’ils se savent menacés par le Vent de l ’oubli^, ou par le Vent de la mort et qu’ils tiennent à assurer leur gloire au cours de leur vie ou par delà leur disparition®.

Mais σοφός est un terme que Pindare utilise souvent pour dési­gner le poète*, et la plupart des critiques estime que telle est ici la signification de <ϊοφοί® : les poètes, pense W . Schadewaldt, et Pin­dare tout spécialement, sont seuls capables de prévoir les désastres à, venir®, et B. L. Gildersleeve, qui défend un point de Vue iden­tique, mais avec uïi souci plus grand de l ’expression imagée, affirme que la métaphore des v. 17-18 suppose celle du vaisseau de la poésie et l ’assimilation des poètes à, des marins avisés qui prévoient le temps et savent éviter les risques’ — ceux-ci ne sont pas précisés, mais on peut penser au danger qu’il y a, à, l ’approche d ’une tem ­pête, à quitter le port ou à, trop charger son navire, ou à naviguer toutes voiles dehors ®. Quelle est dans ces conditions la nature exacte des malheurs imminents présagés par τριταϊον ίίνεμον? Gonvient-il de les interpréter en relation avec les réalités du métier de poète et y voir avec D. E. Gerber une allusion à l ’incompréhension qui guette la poésie®? Ne faut-il pas plutôt donner à ίίνεμον un sens très général et comprendre que le terme désigne le vent du malheur, de la mort, auquel le poète sait que dans la traversée de la vie tous les hommes sont tôt ou tard exposés, mais que son art permet de défier v ic­torieusement, en conférant à certains une gloire éternelle^®?

1. L. R. Fsg'nell, loo. cit.2. F. Gianotti, loc. cit.3. On reviendra sur cette dernière interprétation, p. 209 s.4. Sur σοφία chez Pindare et la double valeur, à la fois technique et morale,

du terme, voir G. M. Bowra, Pindar, p. 4 ss. ; J. A . Davison, p. 39 ; P. B. Katz, p. 35 ss.·; J. dé Haes, Pindaros poetische praktijk in de Oden aan Hieron en de Kyreensohe Liederen, p. 80 s. ; F. Gianotti, p. 389, n. 1 ; K. Svoboda, p. 108 ;H. Mahler, p. 94 s. ; B. Gladigow, Sophia und Kosmos. Untersuchungen zur Früh- geschichte von σοφός und σοφίη (Hildesheim, 1965), p. 39 ss.

5. Voir E. Thummer, Pindar. D ie Isthmischen Gedichte, I, p. 95, n. 77 ; L. Illig, p. 15, n. 2 ; U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 165 ; J. H. Finley, Date o f Paean 6 and Nemean 7 (Harv. Stud, in Class. Phil. 60, 1951), p. 76 ; C. P. Segal, Pindar’s seventh Nemean (Trans, and Proc. of the Amer. Phil. Ass. 98, 1967), p. 442 ; P. B. Katz, p. 44 ; D. E. Gerber, Pindar, Nemean V I I 31, p. 183 ss., et ceux cités dans les notes suivantes.

6. W . Schadewaldt, Der Aufbau des pindarischen Epinikion, p. 300.7. B. L. Gildersleeve, The seventh Nemean revisited (Amer. Journ. Phil. 31,

1910), p. 129, p. 134.8. Voir U. von Wilamowitz, Pindars siebentes nemeisches Gedicht (Sitzungs.

d. Kônigl. Preuss. Akad. d. Wissensch. 15, 1908), p. 334; F. Schwenn, p. 104; J. Sandys, p. 381 ss.

9. D. E. Gerber, Pindar, Nemean V I I 31, p. 184 ; il s’agirait en l ’occurrence du mauvais accueil fait par les Éginètes au VI® Péan, qui avait incité Pindare à écrire la VU® Néméenne à des fins apologétiques.

10. Voir J. H . Finley, Pindar and Aeschylus, p. 100 ; U . von Wilamowitz,14

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On retrouve là une interprétation déjà avancée par certains^, mais supposant ici un sens différent doiiné à σοφοί. Seul le contexte des V . 17-18 permet de décider du choix qui s’impose et d ’élucider l ’image de façon complète.

Une étude de la première partie de l ’ode (v. 1-30) indique en effet que Pindare s’y soucie essentiellement de définir les pouvoirs de la poésie : les « ondes des Muses » (v. 12 : ροαϊσι Mowâv) ont la vertu d’immortaliser ceux qu’elles touchent (v. 10-16), mais il est aussi une σοφία (v. 22) nuisible, qui trompe et abuse (v. 20-30).

Dans cette perspective d ’ensemble, l ’allusion du v. 17 aux σοφοί reprend donc le thème de l ’immortalité conférée par la poésie en liaison avec celui de l ’universalité de la mort ; sachant que tous sont exposés au trépas — V. 19-20 : άφνεός πενιχρός τε θανάτου πέρας | άμα νέονται — ■ les poètes ont conscience que seules leurs créations sont capables de résister à ces Vents contraires dont ils pressentent la menace ; cette possibilité de prévoyance que Pindare ménage ici peut surprendre de la part d’un auteur qui a si souvent affirmé par ailleurs sa croyance en l ’aVeuglement de l ’homme^ : toutefois, μα- θον (v. 18) ne suggère aucunement une vision de l ’avenir quasi prophétique, mais bien plutôt un savoir acquis par une expérience à la portée de chacun^.

Mais si les poètes connaissent les dangers de l ’avenir et y recherchent un remède dans la création artistique, ce ne doit pas être à n’importe quel prix, et l ’affirmation σοφοί... εμαθον (v. 17-18), que l ’on peut considérer comme la conclusion du développement des V. 10-16 sur la véritable σοφία, est suivie d ’une brève remarque qui introduit le développement des v. 20-30 sur la fausse σοφία : v. 18 : ούδ’ ύπό κέρδει βλάβεν, « {Les poètes connaissent le vent qui soufflera dans deux jours) et ne se laissent pas séduire par un avantage {immédiat)^ ». Les V. 20-30 éclairent le sens de κέρδει : en opposition à la σοφία définie aux v. 10-16, c’est une σοφία trompeuse — · V. 22 : ψεύδεσι — ■ qui se trouve à présent évoquée, celle qui « nous dupe en nous sédui-

loc. cit. ; E. Wüst, p. 151 ; E. Thummer, loc. cit. C. A. M. Fennell [Pindar’s Ne- mean and Isthmian Odes, p. 73 s.) adopte cette interprétation et estime que l ’affirmation vaut non seulement pour le poète, mais aussi pour le vainqueur Sogénès qui, prévoyant une mort inévitable, a mis à profit le présent pour éta­blir durablement sa gloire.

1. P. 209.2. Sur cette image, voir p. 236 s.3. Voir p. 207 s.4. Voir à ce propos E. Wüst, p. 149.5. Sur le sens de ces deux parties antithétiques et la situation des v. 17-18

entre elles, voir P. B. Katz, p. 45.6. Ce terme est ajouté pour une raison que la discussion suivante (p. 210 s.)

explique.

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sant par des fables », V. 22-23 : σοφία | Sè κλέπτει παράγοισα μύ|θθ!.ς — ■ celle dont Homère est aux yeux de Pindare le plus illustre représen­tant ; car le tort du poète épique est d ’avoir dans ses créations obéi à des préoccupations d ’art qui l ’ont entraîné à, embellir, donc à, dé­former ses personnages^. Pindare au contraire, qui se range au nombre des véritables σοφοί, se refuse à, l ’avantage immédiat que sa poésie pourrait connaître auprès d’un public crédule — v. 23-24 : τυφλόν S’ ’έχει | ήτορ όμιλος κτλ. — grâce à, une vision enjolivée des événements et des hommes : le souci d’immortaliser ceux qu’il chante va chez lui de pair avec celui d ’en présenter à, la postérité un por­trait véridique, que les mensonges de l ’art n ’aient pas entaché. Tels semblent bien être le rapport qui unit les deux parties de la réflexion des V. 17-18 et le véritable sens de κέρδει, qui Vaut dans le domaine de l ’intégrité morale, et n ’a rien à, faire avec des considérations d ’ordre financier

Les V . 17-18 se situent donc à un point de rupture dans le début de l ’ode : exprimant le thème de la mort inévitable, ils rassemblent les deux idées de la valeur immortalisante de la poésie, déjà, déve­loppée dans le passage qui précède (v. 10-16) et des dangers d’une σοφία trompeuse, qui va être développée dans le passage qui suit (v. 20-30), et la nature de ces considérations générales ne laisse au- ctin doute sur l ’identité des (ίοφοί du v. 17.

La valeur symbolique de άνεμον, quant à elle, est corroborée par l ’image des V. 30-31, qui clôt toute cette partie du poème, et où Pin­dare constate que « la vague de la mort vient également pour tous et fond sur celui qu’elle surprend comme sur celui qui Vattendait » : άλλά

1. L ’exemple donné est celui d’Ulysse (v. 21) ; voir là-dessus G. P. Segal, Pindar’s seventh Nemean, p. 442.

2. On pourrait bien sûr relier κέρδει à l’image maritime qui précède et en conclure que Pindare met sur le même plan le commerçant et le poète, qui peuvent tous deux, chacun dans son domaine, se laisser séduire ou non par divers types d ’avantages : voir G. P. Segal {Pindar’s seventh Nemean, p. 455), qui rapproche le V . 17 du V . 76 : ού τραχύς είμι καταθέμεν, OÙ se définit l’honnêteté du vrai σοφός, qui « paie sa dette ». Le danger serait néanmoins d’interpréter κέρδος sur un plan trop étroitement matériel — ainsi E. Thummer, loe. cit., selon qui le poète se différencie du prophète en ce qu’il n’envisage pas le profit, ou encore G. Pavese, loe. cit., qui, appliquant σοφοί aux sages, comprend que ceux-ci ne regardent pas à la dépense pour se faire célébrer : car tout ce début se situe sur un plan tout à fait différent de celui de la II® Isthmique, dont on l ’a parfois rap­proché, et il nous paraît inexact de faire de la σοφία... ούχ ύπό κέρδει βλαβεϊσα de Ném. V I I 17-18 l ’antithèse de la Μοϊσα... φιλοκερδής de Isthm. II 6. Signalons la valeur assez souvent « négative » de κέρδος chez Pindare : Pyth. I 92 ; Ném. V 17 et, en relation avec σοφία, Pyth. I I I 54 : άλλα κέρδει καί σοφία δέδεται ; voir G. P. Segal, p. 442. La XI® Néméenne enfin met en rapport la recherche du κέρ­δος (v. 48) et l’aveuglement (v. 47 : προμαθεί|ας 8’ άπόκεινται ροαί), alors que dans la VII® Néméenne la connaissance de l’avenir (έμαθον) va de pair avec le refus du κέρδος. Voir E. Wüst, loc. cit.

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xotvôv γάρ^ έρχεται | κϋμ’ 'AtSx, πέσε S’ ά8όκη|τον έν καί δοκέοντα. Les ressemblances entre les deux passages sont tout à fait frappantes. Parenté dans l ’ image en premier lieu : l ’ image de la vague est comme celle du vent empruntée à la nature, et toutes deux sont dans un rapport étroit ; car c’est le vent funeste pressenti au v. 17, άνεμον, qui fait se lever cette « vague de mort », κϋμ’ Άίδα, qui fond au v. 31 ; d ’un vers à, l ’autre, le climat s’est assombri : la menace des dangers implicitement contenue dans le μέλλοντα du v. 17 s’est faite ici réalité —■ V. 31 : πέσε — · et il ne s’agit plus d ’un avenir dont la pensée an­goisse, mais d ’un présent où surgit brusquement la certitude d ’un malheur immédiat. Parenté de thèmes également : le thème de l ’uni­versalité de la mort, rendu au v. 19 par άμα, qui indiquait la com­munauté de destinées des riches et des pauvres, est ici traduit par κοινόν (v. 30), qui suggère une égalité du même ordre entre Γάδόκητον

et le δοκέοντα (v. 31) ; le thème de l ’attente, qui lui est liée, est dé­fini dans les deux passages par un verbe indiquant le même type d’expérience : έ'μαθον (v. 18), δοκέοντα (v. 31) ; enfin, le thème de la gloire donneuse d ’immortalité — développé dans les v. 10-16 et qui, on l ’a Vu, était contenu dans l ’allusion au vent du v. 17 — · se retrouve ici, en opposition avec l ’ image de la vague, V. 32-33 : τι|μάδέ γίνεται | ών θεάς άβρόν αΰξει λόγον τεθνακότων | βοαθόον

Ainsi se découvrent entre les deux groupes imagés des v. 17-18 et 30-31 — · et leurs contextes immédiats — d’indiscutables affinités, qui confèrent à cette première partie de la VII® Néméenne une réelle unité dans l ’utilisation symbolique des éléments naturels : le vent et la vagüe s’unissent ici et se renforcent pour caractériser les forces hostiles auxquelles la poésie doit faire face dans le monde, et aux poaXei MowSv (v. 12), symbole de création féconde, s’opposent άνεμον

(v. 17) et κϋμα (v. 31), symboles de stérilité et de mort^.

En présence d’un texte aussi complexe que celui des V. 17-18, on risque fort de se laisser obnubiler par le contenu de l ’ image, sa signification, et d ’en oublier l ’ image elle-même, et ce qui a pu lui donner naissance ; on s’ intéresse à, άνεμον, et l ’on néglige τριταϊον, qui présente cependant un intérêt certain ; car pourquoi Pindare parle-t-il d’un Vent qui soufflera « dans deux jours »?

L ’explication est peut-être liée au Voyage qu’ il a fait en Sicile en 476; d ’après Strabon, en effet, les pêcheurs qui fréquentaient

1. Pour άλλά... γάρ, voir p. 274.2. Sur le sens adopté pour ces deux adjectifs, voir p. 272 ss.3. Ajoutons que dans les deux textes le caractère général de la réflexion est

exprimé par un aoriste gnomique : εμαθον (v. 18), πέσε (v. 31). Pour une étude de détail des v. 30-31, voir p. 271 ss.

4. On trouvera p. 275 ss. une étude de conclusion sur les images empruntées à l ’eau et au vont dans la VII® Néméenne et leur signification.

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les eaux de l ’île d ’ Héphaïstos (Vulcano) tiraient pour le temps à, venir de précieuses indications des différentes manifestations de son volcan : la nature de ses grondements, la direction des flammes et des fumées leur permettaient, dit le géographe, de connaître « le vent qui soufrerait deux jours plus tard » : V I 2, 10 : εκ τε δή της διαφο­ράς των β(3ΐ5μων καό έκ του ττόθεν αρχεται τά άναφυσήματα κκϊ αΐ φλόγες καΐ αί λιγνύες προσημαίνεσθαι καΐ τον εις ήμέραν τρίτην πάλιν μέλλοντα άνε­μον τηιεϊν. II est à peine besoin de souligner l ’extraordinaire res­semblance entre l ’ expression dont use Pindare — · Ném. V I I 17 : μέλλοντα τριταϊον όίνεμον — et celle qu’on trouve chez Strabon : τρίτην... μέλλοντα όίνεμον^. Elle suppose sans aucun doute une con­naissance commune de cette sorte de météorologie empirique, que les pêcheurs d ’ Héphaïstos n ’étaient certainement pas les seuls à pratiquer, mais qui devait être familière à tous les marins naviguant dans les parages d ’une région aussi riche en volcans que la Grande Grèce il est admissible, dans ces conditions, que Pindare, lors de son voyage ou de son séjour en Sicile, ait été mis au courant de ces procédés de prévision du temps — qui avaient peut-être cours aussi pour l ’Etna — et qu’ intéressé par le détail, il l ’ait retenu et utilisé quelques années plus tard dans la VII® Néméenne^, le jugeant parfaitement apte à, être transposé dans le domaine figuré pour y exprimer des réalités d ’ordre général^.

Cette métaphore du « vent du malheur », implicite dans la VII® Né- méenne, se développe avec éclat dans la tragédie d ’Eschyle ; ce vent, c ’est dans les Suppliantes le souffle de la jalousie d ’ Héra, qui ne cesse de croître et aboutira pour les Danaïdes à une véritable tempête, V. 165-166 lyr. : χαλεπού | γάρ έκ πνεύματος είσι χειμών®; mais nulle part l ’image n ’a un relief aussi saisissant que dans les Sept contre Thèbes] pour l ’ évoquer, Eschyle a recouru à un terme qui indique en général un vent favorable, οδρος®, et qui a ici en conséquence

1. Le rapprochement a été fait pour la première fois à notre connaissance par W . Ridgeway, Pindar, Nemean V I I 17 (Class. Rev. 1, 1887), p. 313.

2. Au demeurant, rien n’est si courant dans la vie des gens de mer, de quelque pays qu’ils soient, que cette attention accordée, en vue de la prévision du temps, aux signes que la nature adresse à l ’œil ou à l’oreille.

3. La date de la V ile Néméenne est impossible à fixer avec précision ; on s’accorde le plus souvent sur l ’année 467. C. Gaspar, quant à lui, remonte beau­coup plus haut, en se fondant sur des critères d’ordre stylistique parfaitement discutables (p. 36 s.).

4. Aratos parle aussi de tempêtes qui surviennent le troisième jour (Phénom. 767,1129-1131) ; mais ces textes sont infiniment moins suggestifs pour l ’inter­prétation de la VII® Néméenne que celui de Strabon.

5. Voir aussi frg. 273 M, 4 : παντ]ός κακοϋ γάρ τινεϋμα προ(ϊβ[άλλε]ι. δό[μοις ; pour χειμών [Suppl. 166), voir p. 286.

6. Voir Find., 01. X I I I 28 (p. 185 s.) ; Soph., Phil. 855 lyr. ; Track. 815-816; pour ούριος, voir Soph., A j. 1082-1083 (p. 189 s.) ; Eur., Hér. 95-96 (p. 190) ;

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un effet d’autant plus frappant dans la description des deuils qui frappent la cité d ’Œdipe ; aux v. 690-691 lyr. la descendance de Laïos dérive sur les eaux infernales comme la barque des morts— ϊτω κατ’ οδρον κϋμα Κωκυτοϋ λαχόν | Φοίβφ στυγηθέν παν τό Λαΐου

γένος le vent qui souffle sur elle — · κατ’ οδρον — ■ c’est celui des malédictions paternelles : v. 819 : πατρδς κατ’ εύχάς δυσπότμους φορού- μενοι^; et révocation fxmèbre ressurgit peu après avec une richesse nouvelle de détails picturaux : le vent qui pousse la barque est à présent celui des gémissements des pleureuses, dont les bras s’élèvent et s’abaissent avec la régularité des avirons : V. 854-860 lyr. : άλλαγόων, ώ φίλαι, κατ’ οδρον | έρέσσετ’ άμφί κρατί πόμπινον χεροϊν | πίτυλον, δς αίέν δι’ Άχέροντ’ αμείβεται | τάν δστολον μελάγκροκον θεωρίδα, | τάν άαίτιβή

’πόλλωνι, τάν άνάλιον, | πάνδοκον είς άφανή τε χέρσονToute la première partie de la tragédie, on l ’a vu, était dominée

par la grandiose image du « vaisseau de la cité » en proie à la tem ­pête, et les diverses métaphores dont elle était constituée se trou­vaient étroitement liées à la progression de l ’action^; mais aux V. 795-796, lorsque le combat a pris fin et que la paix dont jouit Thébes est représentée comme un calme plat succédant à la tour­mente®, l ’action proprement dite est achevée, et l ’image principale de la tragédie, celle du « vaisseau de la cité » et de son pilote, dis­paraît à partir du moment où Étéocle n ’est plus considéré comme le chef d ’État, mais comme le fils d ’Œdipe, objet de ses malédic-

pour ούρίζειν, EscM., Cho. 315-317 lyr. (p. 58, n. 1), 813-814 lyr. ; Soph., Œd.- roi 694-696 lyr. (p. 188) ; pour έπουρίζειν, Eur., Andr. 611 ; Ar., Thesm. 1226 lyr. ; Plat., Aie. II 147 A (p. 189, a. 2), et avec une valeur défavorable, EschL, Eum. 137 (p. 288) ; pour κατουρίζειν, Soph., Track. 828 lyr. ; pour ούριοστάτης, Bschl., Cho. 820-824 lyr. (p. 288).

1. Même fatalisme chez Sophocle, Trach. 467-468 : άλλά ταϋτα μέν | ρείτω κατ’ οδρον; κατ’ οδρον est employé au sens propre dans Eschl., Pers. 481.

2. οδρον reprend ici la fonction de εύχάς (v. 690) ; pour φορούμενοι, qui évoque une barque à la dérive, voir p. 176, n. 8.

3. On rapprochera l ’emploi de πίτυλος au v. 856, pour décrire des gestes de lamentation, de Pers. 1046 lyr. : ^ρεσσ’ έρεσσε καΐ στέναζε ; cf. aussi Eur., Tro. 1235-1236 lyr. : άρασσ’ άρασσε κρατα | πι ,ύλους διδοϋσα χεφός ; par contre, dans Ηίρρ. 1464 lyr. : πολλών δακρύων ϊσται πίτυλος, πίτυλος désigne la répétition non des gestes, mais des cérémonies de deuil. Sur les v. 854-860 des Sept et l’oppo­sition entre la barque des morts et la théorie sacrée de Délos, voir J. Seewald, p. 20 s. ; Ή. Disep, p. 128 ; W . B. Stanford, Aeschylus in his style, p. 97 s. I. Waern (p. 52, p. 89) y voit un exemple de « chain-kenning », c’est-à-dire de « kennings » liés l’un à l’autre en une succession qui finit par constituer une véritable allé­gorie. Voir aussi p. 311, à propos de Choérilos, frg. 8 N K .

4. Voir p. 115 ss.5. Voir p. 291, p. 262 s. ; F. J. Cuartero (p. 44 s.) voit dans cette métaphore

le sommet du « climax ascendente » de toute la première partie de la pièce, après quoi s’opère le mouvement de « descente » qui aboutit à l ’évocation funèbre des V. 854-860.

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l i o n s E n cela l ’ image des v. 854-860 est l ’indice que l ’action passée est vue sous un jour nouveau : de l ’ idée d’une citadelle assiégée par l ’ ennemi et d ’un État divisé par une guerre civile, on passe à celle d ’une famille que son destin a irrémédiablement vouée à l ’anéantis­sement^, des « vents d'Arès » qui soufflaient sur Thèbes — v. 63 : τινοάς ; V. 115 lyr. : ττνοαΐς ; v. 343 lyr. : έπιττνεϊ ® — aux Vents du destin qui éprouvent la dynastie de Laïos — ■ v. 708 : ττνεύματι·* — ■ et qui, pour la génération d’Étéocle, se confondent avec les vents du malheur — ■ v. 854 ; οδρον. L ’image du vent reflète donc cette évolution et cet élargissement des perspectives ; c’est elle qui unifie les différents aspects du drame®.

1. Voir D. van Nés, p. 86 s.2. Voir B. L. Hughes, p. 80, p. 87.3. Voir p. 115 s., p. 284 s.4. Voir p. 190.5. L ’emploi de οΰριος (Ar., Cav. 482-433 : άφήσω | ...έμαυτόν οΰριον) est peut-

être une parodie du tragique κατ’ οδρον. Le frg. 65 P de Sophocle, enfin, semble supposer l’image du « vent du malheur » : τά πολλά των δεινών, δναρ | τη/εύσαντα νυκτός, ήμέρας μαλάσσεται.

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CHAPITRE II

LA MER

Devant la mer, les Grecs ont eu le sentiment d ’une puissance tantôt hostile, tantôt amicale, et d’autant plus redoutable que ses revirements sont imprévisibles : dans la célèbre satire de Sémonide contre les femmes (frg. 7 D), l ’une de celles-ci, capricieuse et ins­table, est comparée à une mer qui passe brusquement du calme à l ’agitation, V. 37-40 ; ώσπερ θάλασσα πολλάκις μέν άτρεμής | δστηκ’ άττήμων χάρμα ναύτησιν μέγα | θέρεος έν ώρη, πολλάκις Sè μαίνεται | βαρυκτύποισι κύμασιν φορευμένη. Cependant, si CeS deUX aspectS de l ’élément marin ont retenu l ’attention des Grecs, ils se sont mon­trés plus souvent sensibles à ses emportements qu’à, sa sérénité^, et dans le langage figuré des termes comme θάλασσα, πέλαγος ou πόν­τος sont fréquemment associés, chez les lyriques et les tragiques, à, l ’ idée de malheur ; suggérant l ’ immensité et le mouvement, ils évoquent à la fois le long voyage de la vie et la lutte contre les maux innombrables qui se rencontrent au cours de cette traversée^.

L ’un des exemples les plus caractéristiques de cette confusion entre l ’ image de la mer et l ’idée du malheur se trouve chez Simo- nide, dans l ’admirable lamentation de Danaé (frg. 13 D), où la mère, livrée au vent sur les étendues marines avec le jeune Persée, con­jure son enfant de dormir et souhaite « que s'endorme la mer, que s'endorme son immense détresse », v. 18-19 : κέλομ’ , είδε, βρέφος, εύδέτω δέ πόντος, εύδέτω ] όίμετρον κακόν. Dans cette pathétique prière, le lyrique a porté à son point de perfection un procédé déjà sensible chez Homère®, et qui est d ’unir dans une même vision le monde extérieur des objets et l ’univers intérieur des âmes^; cette confusion

1. Voir à propos d’Eschyle les remarques do A. L. Keith, p. 128 s. ; H. Mielke, p. 152.

2. Voir O. Becker, Das Bild des Weges, p. 153 ; A. Lesky, p. 228. Aussi l’image de la mer est-elle souvent solidaire de celle de la vague et de celle de la tempête ; sur la mer comme symbole d’insensibilité, voir p. 265, n. 2.

3. Voir 11. IX 4-8, X IV 16-21, p. 171 s.4. Voir sur ce point O. Becker, Das Bild des Weges, p. 4 ; J. Kahlmeyer, p. 16,

p. 19; H. Frankel, Dichtung und Philosophie des frühen Grieehentums, p. 408; M. Treu, Vom Homer zur Lyrik (München, 1955), p. 304 ; W . J. K. F. Kegel, Simonides (Diss. Groningen, 1962), p. 42.

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résulte ici et de la répétition d ’ua verbe unique, είίδειν, qui vaut à la fois pour la mer et pour le malheur, et de l ’emploi, à propos de κακόν, d’un adjectif qui suggère l ’ immensité, δμετρον, et qui, à

proprement parler, conviendrait donc en premier lieu à πόντος

Il est à peine besoin de souligner à quel point le cadre de la scène a influé ici sur le choix de l ’expression imagée. C’est là un fait cou­rant chez Eschyle^, et tout à fait remarquable dans les Perses, où le souvenir de la récente catastrophe maritime donne une vigueur nouvelle à cette association entre la mer et le malheur. L ’image par­court la tragédie avec quelques variantes : aux v. 433-434 c’est une « mer de malheurs » qui submerge les vaincus : αίαϊ, κακών 8ή πέλαγος Μρρωγεν μέγα | Πέρσαις τε καΐ πρόπαντι βαρβάρων γένει ; 8U V. 465, un « abîme de malheurs », κακών... βάθος — mais, toute pro­fondeur étant à l ’origine conçue par les Grecs comme profondeur marine®, on peut voir ici dans βάθος un véritable synonyme de πέλα­γος^ ; aux V. 599-600 Atossa fait allusion à, la « vague de malheurs » κλύδων I κακών®; et au V. 712 enfin reparaît l ’image de κακών... βάθος. L ’image de la « mer de malheurs » se trouve également dans Promé- thée, en liaison avec celle, plus générale, de la tempête qui assaille le Titan et lo — V. 746 : δυσχείμερόν γε πέλαγος άτηράς δύης® — et dans les Sept, où Thèbes est représentée comme un vaisseau en dé­tresse, V. 758 lyr. : κακών δ’ ώσπερ θάλασσα κϋμ’ αγει, κτλ. Mais le traitement le plus élaboré de l ’ image figure dans les Suppliantes où, comme dans les Perses, la mer a joué un rôle de premier plan, en assurant la traversée de Danaos et de ses filles ; c’est le souvenir de cette traversée et la pensée des difficultés qui résultent pour lui de l ’arrivée des fugitives qui expliquent que Pélasgos recourt à, l ’ image de la mer pour évoquer l ’immensité de sa détresse : V. 469-471 : κακών δε πλήθος πόταμος ώς επέρχεται, | άτης δ’ άβυσσον πέλαγος

ού μάλ’ εΰπορον | τόδ’ έσβέβηκα, κούδαμοϋ λιμήν κακών. A vrai dire,

1. G. Perrotta ( I l lamenta di Danaë, Maïa 4, 1951, p. 116) remarque que ce passage se sigaale par l’absence d’images. A cela on peut répondre que le paral­lélisme entre κακόν et πόντος est en lui-même une image, et qiie l’emploi de άμετρον à propos de κακόν repose sur le principe de la transposition, donc de la <i méta­phore » au sens primitif du terme. Sur ces vers, on lira aussi H. Musurillo, Symbol and myth in ancient poetry, p. 59, et G. Christ, Simonidesstudien (Diss. Zurich, 1941), p. 50, qui a bien montré comment le pathétique y est souligné par la longueur croissante des membres de phrase.

2. Voir p. 173 s., p. 269 s., p. 279 s., p. 286 ss.3. Voir J. V. Kopp, p. 79.4. Voir à ce propos H. G. Edinger, Vocabulary and imagery in Aeschylus’

Persians (Diss. Princeton, 1960), p. 99, p. 134 ; κακόν est véritablement le mot- clé de la scène : voir Ή. G. Edinger, p. 98.

5. Voir p. 269.6. Voir p. 279 s.7. Sur les v. 758-761, voir p. 262.

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cette im age n ’est pas isolée : celle d u fleuve (v . 469 : πόταμος ώς) la précède, m ais, com m e les Grecs ont tou jou rs eu le sentim ent de

l ’un ité de l ’e a u ’·, il n ’y a pas ru p tu re entre les d eu x ; la seconde re ­présente un élargissem ent de la prem ière et corrige ce q u ’elle p o u r­ra it avo ir d ’iasu fïîsant ; et elle am ène à, son to u r une tro isièm e im age, celle d u port (v . 471 : λιμήν), (ju i reprend le thèm e du m alheu r in é ­v itab le^ .

La présence de l ’élément marin est également à, l ’arrière-plan de l ’évocation de la « mer de malheurs » dans VHippolyte d ’Euripide. L ’assaut de la mer, dans cette tragédie, symbolise les infortunes qui frappent successivement les différents personnages, et l ’emploi des métaphores maritimes y traduit le déferlement toujours plus violent des forces du mal dans la vie de l ’homme : Phèdre apparaît comme un navire ballotté — ■ v. 315 : χειμάζομαι — par des vagues qui ne tarderont pas à le submerger — v. 767-768 lyr. .' ύπέραντλος ; Hippolyte à son tour va être en butte à un destin aussi fimeste— V. 898 : άντλήσει* — et la mort qui l ’atteint sur le rivage de Tré- zène ne le trouve plus sur terre, mais déjà en proie à la violence des eaux (v. 1217 ss.)® ; toutefois, avant de frapper Hippolyte, la fatalité éprouve durement Thésée qui, à la mort de Phèdre, s’écrie, V. 822-824 : κακών S’ , & τάλας, πέλαγος εισορώ | τοβοϋτον ώστε μήποτ’ έκνεϋσαι πάλιν, | μηδ’ έκπεράσαι κϋμα τήσδε βυμφορας. Le malheur est ici évoqué à la fois dans l ’étendue de ses conséquences — ■ V. 822 : πέλαγος —· et la brutalité de son atteinte — v. 824 : κϋμα® — et son caractère irrémédiable par l ’emploi de μήποτ’ έκνεϋσαι (v. 823) et de μηδ’ έκπεράσαι (v. 824). Rien ne démontre mieux la maîtrise avec laquelle Euripide utilise le vocabulaire maritime à, des fins symbo­liques et l ’exceptionnelle cohérence des images : car déjà aux v. 469- 470 il était dit que Phèdre ne pourrait ft sortir à la nage » de l ’infor­tune où elle était tombée : ές 8έ τήν τύχην | πεβοϋσ’ δσην σύ πώς Sv έκνεϋσαι δοκεϊς ; et aux V. 677-678 lyr. ses épreuves étaient défi-

1. Voir O. Becker, Das Bild des Weges, p. 31 ; D. van Nés, p. 30, n. 3.2. Sur ce procédé de composition « en anneau » (v. 469 : κακών ; v. 471 : κακών),

voir p. 179, n. 5 ; sur les glissements successifs de πόταμος à πέλαγος et de πέλαγος à λιμήν, voir W . Elliger, p. 184 ; O, Smith, p. 21 s. ; sur l ’image du port chez les tragiques, voir en particulier E. E. Pot, p. 78 s. ; D. van Nés, p. 167 ss. ; sur les différentes images qui expriment dans les v. 466-473 le thème de la détresse, voir H . Mielke, p. 154. On a parfois cru que έσβέβηκα (v. 471) suggérait l ’image d’un homme qui perd pied ; mais le terme est très vague — cf. Soph., Œd. Col. 997 — et peut convenir au navigateur dont le bâtiment est en perdition.

8. Pour χειμάζεσθαι, voir p. 279 ; pour ύπέραντλος, p. 148.4. Voir p. 148.5. Voir p. 103.6. Voir p. 271.7. Voir à ce propos C. P. Segal, The tragedy o f Hippolytus, p. 127.

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mes, co m m e «. im possibles à fra n ch ir y> : -πά^οζ | ... δυσεκπέρατον. Le fait que Thésée emploie à présent les mêmes termes que PKèdre — cf. V, 470 : έκνεϋβαι et V. 823 : έκνεϋσαιΐ, v. 678 : δυσεκπέρατον et V. 824 : έκπερασαι — ■ indique l ’extension progressive jusqu’à lui des mêmes forces destructrices de la mer, c’est-à-dire du malheur^ ; en outre, l ’emploi de ββην — et non de οίαν — ■ au v. 470 pour qualifier l ’infor­tune de Phèdre — ■ emploi surprenant à première vue, car d ’ordi­naire on ne parle pas de la « d im ension » d ’une τύχη — ■ se révèle plei­nement significatif à la lumière des v. 822-824 ; il témoigne que l ’ image exprimée par πέλαγος... κακών se trouve déjà en germe aux v. 469-470, et qu’Euripide y pensait déjà à l ’ étendue de cette mer de malheurs. Et la tragédie s’achève sur une ultime vision de ce dé­ferlement hostile : v. 1338 : μάλιστα μέν νυν σοΐ τάδ’ ϊρρωγεν κακά, la présence de ^ρρωγεν prouvant que l ’image est bien la même que celle évoquée par Eschyle au v. 433 des Perses : κακών... πέλαγοςΜρρωγεν

Dans Héraklès, l ’ image de la « mer de malheurs » — ■ v. 1087 : κακών

δέ πέλαγος — est également liée à celle de la vague — ■ v. 1091 : κλύ- δωνι — qui désigne la terrible crise de démence à laquelle a suc­combé le héros il s’en faut de beaucoup, cependant, que πέλαγος

κακών ait dans tous ses emplois ime valeur imagée aussi nettement perceptible : dans les Suppliantes (v. 824 lyr.), l ’ image est isolée et sans grande vie, et les utilisations figurées de πέλαγος chez So­phocle témoignent de l ’effacement progressif de la métaphore ; si dans Œd. Col. 662-663 le poète a senti la nécessité de renforcer par πλώίίιμον un terme en voie de décoloration — φανήσεται | μακράν τδ

δεϋρο πέλαγος οΰδε πλώσιμον — · au V. 1746 lyr. de la même pièce πέλα­γος apparaît seul au sens de πέλαγος κακών — μέγ’ âpa πέλαγος έλάχε- τόν τι — et n ’est guère plus expressif que πλήθος. L ’image s’est dès la tragédie affaiblie, intellectualisée, et se trouve à la fin du v® siècle propre à l ’expression d ’idées abstraites (Plat., Pol. 273 D : [ίνα μή] είς τόν της άνομοιότητος δμετρον δντα πόντον δύη) et toute désignée pour servir des intentions parodiques : Plat., Prot. 338 A : μήτ’ αύΠρωταγόραν πάντα κάλων έκτείναντα, ουρία έφέντα, φεύγειν είς το πέλαγος

των λόγων, άποκρύφαντα γην ; Mén., frg. 65 Ε, 5-6 : νυν άληθινόν | είς

πέλαγος έμβαλεϊς πραγμάτων®.

Chez Pindare, la mer est plusieurs fois représentée comme un

1. Sur ce verbe, voir p. 229 ss.2. Voir G. P. Segal, p. 135.3. Cité p. 217. Voir G. P. Segal, loe. oit.it. Pour κλύδωνι, voir p. 250.5. L ’image de la mer dans Soph., Track. 112-119 ; Ant. 582-593 ; Œd. Col.

1240-1248 ; Bur., Or. 340-345 ; Hér. 861-863, sera étudiée avec celle de la vague ; dans Eur., Bacch. 902-905, avec celle de la tempête.

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élément hostile, et le terme δλμα se trouve utilisé à deux reprises dans révocation des combats qui opposent le poète à ses ennemis : dans la IV® Néméenne, la mer qui le « tient à bras le corps » — v. 36- 37 : t/z i βαθεϊ|α ποντιάς άλμα | μέβσον — · désigne Soit la foule des rivaux envieux qui essaient désespérément de le faire sombrer, soit les criticpies sous lesquelles üs tentent de le submerger ; et dans la II® Pythique, où les ennemis sont représentés paf le filet, άλμα symbolise les eaux troubles où ils pèchent, ou, si l ’on préfère, l ’abîme de calomnies où ils voudraient, mais en vain, l ’engloutir : v. 80 : άβάπηστός εΐμι... / ... αλμας^. Qes deux passages sont strictement parallèles ; tous deux valent dans le domaine de la polémique, tous deux suggèrent de la part de la mer autant d ’acharnement et d’ini­mitié.

Sur un plan beaucoup plus général, mais avec une signification tout aussi défavorable, άλς dans la 1 ® Isthmique figure dans un contexte de guerre et de ruine, pour évoquer la catastrophe de la seconde guerre médique, qui a vu le naufrage d ’Asôpôdore, έρεώό- μενον ναυαγίαις | έξ άμετρήτας άλός (ν. 36-37)

Indépendamment de ces trois passages, où elle se trouve liée et parfois subordonnée à, une autre image, celle de la mer apparaît encore chez Pindare dans la V III® Pythique et le V® Éloge, où elle exprime des idées philosophiques et morales, et dans la X III® Olym­pique, où elle n ’est que suggérée et traduit des réalités d’ordre poé­tique.

Le début de la V III® Pythique (v. 1-12) est occupé par une invo­cation à Hésychia, fille de D iké^; puissance essentiellement paci­fique (v. 6-7), elle sait à l ’occasion témoigner une extrême énergie contre quiconque se laisse inspirer par la haine (v. 8-9) :

τραχεία δυσμενέων ύπαντιάξαισα κράτει τι,Οεΐς ΰβριν έν όίντλω.

V. 10-11.

« tu t’opposes durement à la violence de Vennemi, et tu jettes Vinsolence dans l'abîme ».

Avant d ’élucider l ’ image que renferme έν όίντλφ (v. 11), il n ’est pas inutile de définir la nature et les pouvoirs d ’ Hésychia et, pour ce faire, de rappeler les circonstances de composition de l ’ode®.

1. Voir p. 95 ss.2. Voir p. 158 ss.3. Pour Isthm. I 36-40, voir p. 315 ss.4. Sur la prétendue invocation à Hésychia au début de la XII® Olympique,

voir p. 123 ss.5. Déjà mentionnées à propos du v. 98. Voir p. 134.

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Le poème, dédié à, l ’ Éginète Aristoménès, date de 446, année cru­ciale pour les relations entre Égine et Athènes ; depuis la défaite de Thèbes à, Œnophyta en 457, Égine était devenue la vassale de sa puissante voisine ; dix ans plus tard, pourtant, Athènes à son tour était battue à Goronée, et cet échec pouvait autoriser certaines espérances chez les insulaires’·. A la lumière de ces événements, on a parfois cru pouvoir interpréter le début de l ’ode, et en parti­culier l ’opposition aux v. 10-11 entre 'Ησυχία et ΰβριν, dans un sens politique : la rebellion de ϋβρις contre Ήβυχία, qui amène dans les vers suivants la double évocation mythique de Porphyrion (v. 12) et de Typhon (v. 16), serait une allusion au rôle joué en Grèce pen­dant ces dernières années par l ’ impérialisme athénien^, et la paix conclue en 446 avec Sparte apparaîtrait précisément aux yeux de Pindare comme une manifestation d’Ocuxia propre à humilier l ’or­gueil d ’Athènes®.

En réalité, ήσυχία chez Piadare n ’a jamais rien à faire dans le domaine des relations entre cités, et il n ’est pas possible d’inter­préter historiquement les premiers vers du poème*. Le terme ex­prime essentiellement l ’idée d ’un état d ’équUibre et de paix à, l ’in­térieur d’une cité®, comme le montre dans le ΓΙΙ® Hyporchème l ’op­position entre 'Ησυχία et στάσις, V. 5-8 : τό κοινόν τις άστών έν εύδία ( τιθείς έρευνασάτω | μεγαλάνορος Ησυχίας τό φαιδρόν φάος, | στάσιν άπό

πραπίδος έπίκοτον άνελών®, et suggère donc en premier lieu dans la V III® Pythique l ’ idée de relations pacifiques entre Aristoménès et ses concitoyens'^. Mais au delà de l ’esprit d ’amitié des citoyens,

1. Sur ces faits, voir G. Gaspar, p. 161, p. 166 s.2. Ainsi G. M. Bowra-H. T. Wade-Gery, Pindar's Pythian Odes, p. 143 ss. ;

G. Gaspar, p. 167 ; U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 443.3. Ainsi E. Schlesinger, Notas a la P itica V I I I de Pindaro (Anales d. Filol.

Glass. 7, 2, 1960), p. 50.4. Voir L. R. Farnell, A critical commentary to the works of Pindar, p. 129 ;

E. L. Bundy, Hesychia in Pindar, p. 169 s. ; E. Thummer, Pindar. D ie Isth- mischen Gedichte, I, p. 73.

5. Voir à ce propos H. Frankel, Dichtung und Philosophie des frühen Grie- chentums, p. 635 s. ; E. L. Bundy, p. 171 ; sur la différence entre ήσυχία et ειρήνη, voir E. L. Bundy, p. 55 ss.

6. Ge passage est commenté p. 292 ss. ; on rapprochera μεγαλάνορος (v. 7) de Pyth. V I I I 2 : μεγιστόπολι, et aussi 'Ησυχίαν φιλόπολιν {01. IV 16) de Pyth. V II I 1 : φιλόφρον 'Ησυχία. Sur ces analogies d’expression, voir E. L. Bundy, p. 7 ss.

7. Outre cette signification politique et sociale, ήσυχία vaut aussi dans le do­maine personnel : l ’état ά’ήσυχία couronne la fm des épreuves, et de même que dans le II® Péan ήσυχία désigne l’état de sérénité qui résulte d’une lutte victo­rieuse menée pour une juste cause — v. 31-34 : εί δέ τις άρκέων φίλοις | έχθροϊσι τραχύς ύπαντιάζει, | μόχθος ήσυχίαν φέρει | καιρω καταβαίνων — de même dans la V i l le Pythique Ήσυχία constitue la récompense de la victoire d’Aristoménès. Voir E .L . Bundy, p. 19, p. 21 ; ici encore les ressemblances sont frappantes : cf.

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c ’est également les dispositions bienveillantes des dieux qu’il ex­prime ; au delà de l ’harmonie dans la cité, l ’harmonie dans le monde : comme nombre d’autres abstractions personnifiées chez Pindàre, comme Tyché^, Hésychia représente l ’incarnation de la volonté des dieux et sa toute-puissance sur les destinées de l ’humanité en­tière®; elle répond à la conception d’un univers régi par des règles morales. E t quoique l ’aspect social et politique d ’ Hésychia ne soit pas négligeable dans le début de la V III® Pythique, c’est avant tout son aspect proprement cosmique qui y explique le caractère de son intervention ; car si les abstractions divinisées, comme on l ’a vu à propos de Tyché, sont en général douées chez Pindare d ’une exis­tence propre qui, en fait, se confond avec leur action, le cas parti­culier d ’Hésychia est à cet égard tout à fait singulier, puisque, par la violence qui lui est prêtée aux v. 8-9 de la V III® Pythique dans sa lutte contre les κακοί, il y a véritablement contradiction entre son nom et son action, que E. L. Bundy définit justement comme celle d ’une « creature of tremendous vital energy which she at times employs to fearful and destructive ends' ». Cette antinomie entre la personne d ’ Hésychia et certains de ses actes se justifie par la nature même de sa puissance cosmique : Hésychia est fille de Diké (v. 1-2) et son rôle est déterminé par une harmonie universelle dont le rythme est lié aux nécessités de la Justice ; à travers elle, c’est en fait la Justice qui agit, et qui témoigne d ’autant de douceur à, l ’égard des άγαθοί (v. 6-7) que de violence envers les κακοί (v. 8-9)® ; et l ’exal­tation insistante de sa force implique une condamnation solennelle de toute entreprise inspirée par la haine, et qui, tentant de s’exer­cer άνευ δίκας, viole en cela même l ’ordre établi dans le monde.

On vo it par là, à quel point une interprétation purement politique du début de Ja V III® Pythique en amoindrirait la portée : le rôle

Péan II 32 : έχθροϊσι τραχύς ύπαντιάζει, et Pyih. Y l l l 10 : τραχεία δυσμενέων | ύπαντιάξαισα κράτει ; Péan II 34 : καιρφ καταβαίνων et Pÿth. V I I I 7 : καιρφ σύν άτρεκεϊ. Ησυχία joue doac ici 1θ même rôle que εύδία dans 01. I 97. Voir p. 298 et 299, n. 1.

1. Voir E. L. Bundy, p. 157 ss., qui la définit comme « both a divine and a human, a cosmic and an ethical spirit » (p. 172) ; sur ce double aspect d ’Hésy­chia, voir aussi J. H. Finley, Pindar and Aeschylus, p. 168 ss. ; B. Schlesinger, p. 45 ss.

2. Voir p. 122 ss.3. Voir E. L. Bu,ndy, p. 143. G. Norwood [Pindar, p. 56) juge révolutionnaire

cette création de Hésychia, qui relègue au second plan Zeus et Apollon, divi­nités traditionnelles ; c’est ne pas voir que ces dieux sont présents dans Hésychia.

4. E. L. Bundy, Introd., p. 2 ; sur cette contradiction, voir aussi O. Schrôder, Proben einer Pindarinterpretation, p. 188 ; E. Schlesinger, p. 51 ; E. Thummer, Pindar. D ie Isthmischen Gedichte, I, p. 108 ; H . Frânkel, Dichtung und Philo­sophie des frühen Griechentums, p. 552.

5. Voir E. L. Bundy, p. 167, p. 173 ; sur ce double aspect de Diké, p. 86 ss.

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qu’y joue Ησυχία à l ’égard d ’ûêpiç répond chez Pindare à des con­ceptions d ’ordre tout à, fait général et qui dépassent très largement le contexte historique du poème ; la meilleure preuve en est l ’action toute semblable prêtée à Ευνομία, Δίκα et Είρήνα au début d’une ode derrière laquelle on chercherait en vain des préoccupations liées à la politicfue d ’Athènes, la X l l l e Olympique, qui montre ces trois divinités « prêtes à repousser VInsolence, mère effrontée du Dédain », V. 9-10 : έθέλοντι δ’ άλέξειν | "Τβριν, Κόρου ματέρα θρασύθυμον^. Mais ce qui est propre à la V III® Pythique, c’est le caractère imagé de l ’évo­cation, telle que la suggéré l ’expression τιθεϊς / ... h όίντλφ (v. 10- 11).

’Άντλος désigne communément l ’eau de mer qui, pénétrant à bord du vaisseau, s’accumule dans le fond de la cale^. Le terme figure dans deux passages qui mettent en scène le « vaisseau de la cité », le frg. 46 a D d’Alcée, où l ’eau de mer envahit l ’emplanture du mât— V. 6 ; πέρ μέν γάρ δντλος ίβτοπέδαν 'έχζι —- et les Sept d ’Eschyle, où Thèbes victorieuse est comparée à un navire qui n ’a pas fait eau '— V. 796 : ίίντλον ούκ έδέξατο^. La question se pose dès lors, à propos des v. 10-11 de la V III® Pythique, de savoir si άντλος y désigne l ’eau de mer en tant qu’élément encore extérieur au vaisseau, ou ayant déjà pénétré dans la cale. Dans les Héraclides d’Euripide, le mot se trouve dans une expression visant à suggérer des difficultés sans nombre : v. 165-166 et 168 : ή κακον λόγον ) κτ-ήβγι πρ6ς «στών, εΐ γέροντας οΰνεκα / ... / ... ές άντλον έμβήση πόδα ; il ne fait auCUn doute que άντλον (v. 168) désigne ici le fond de cale, compte tenu de ce que l ’on sait déjà des valeurs figurées de άντλεϊν : le person­nage évoqué dans ces vers s’expose à des désagréments sans cesse renouvelés, et qu’il sera condamné à endurer jusqu’au bout, comme un matelot écope l ’eau qui envahit son bâtiment^.

D ’après ce sens de άντλος, certains commentateurs comprennent que dans la V III® Pythique Ησυχία jette υβρις « à fond de cale^ » ; mais cette interprétation, qui suggère une simple humiliation, ne

1. Le rapprochement de 01. X I I I 9-10 avec Pyth. V I I I 10-11 montre bien, à propos de ΰβρις, le caractère arbitraire de la distribution des majuscules et des minuscules. En fait, on pourrait parfaitement écrire τιθεϊς | "Τβριν έν όίντλφ et faire de "Τβριν une abstraction personnifiée au même titre que Ησυχία ; mais comme le remarque E. L. Bundy (p. 15), « în Pindar it is often difficult to decide whether a concept is personified or not ». Sur les rapports entre ήσυχία et υβρις, voir aussi Pyth. X I 55-55 b : εϊ τις άκρον ελών | ήσυχα τε νεμόμενος αίνάν ΰβριν | άπέφυγεν. Le texte de Pindare rappelle enfin l’oracle de Bacis cité par Hérodote V I I I 77 : δία Δίκη σδέσσει κρατερόν κόρον, 'Ύδριος υιόν.

2. Voir ρ. 144 ; άντλος peut ainsi, dans certains cas, être considéré comme un synonyme de άντλία. Voir Hom., Od. X I I 411, X V 479.

3. Pour ces deux textes, voir p. 106, p. 261 et p. 116, p. 262.4. Voir p. 147 s.5. Ainsi O. Goram, p. 274 : « in sentina » ; C. Gaspar, p. 167.

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rend pas compte de l ’ idée singulièrement plus forte que veut ex­primer Pindare : Ήβυχία, en réalité, anéantit par son action cette puissance de mal, et il est infiniment plus probable que àvrXoç est employé ici comme synonyme de πέλαγος et comme symbole de ruine et de m ort’·; te l est précisément le sens de άντλος dans un autre passage d’Euripide, où l ’adjectif άλίμενος, qui lui est rapporté, indique que le poète songeait bien à l ’ immensité marine : Héc, 1025-1026 lyr. : άλΐμενόν τις ως είς ίίντλον ττεβών | λέχριος έκπεση φίλας καρδίας ; de même dans la V III® Pythique, Ησυχία précipite ΰβρις « da?is Vabime » ou, si l ’oïi veut, « par-dessus bord^ ». Car le sens de άντλος permet du même coup de définir l ’image incluse dans ·ηθεϊς : à bord du vaisseau des destinées humaines, ΰβρις représente un élé­ment de désordre, qui peut mettre en danger l ’équüibre du bâti­ment ; il appartient donc à Ησυχία de prendre sans hésiter les plus énergiques mesures en vue d ’assurer la sauvegarde de l ’équipage et de faire disparaître à jamais un passager dont l ’action compromet son rôle de pilote®.

Cette grandiose évocation, dont la majesté est encore soulignée par sa place au début de l ’ode n ’est pas sans rappeler l ’apparition de Τύχα dans les premiers vers de la X II® Olympique^ : ici et là,, même intervention attentive des puissances divinisées dans la destinée de l ’homme, même conception d ’un univers moralement gouverné ; et dans les deux odes également, une semblable atmosphère marine. Mais tandis que dans la X II® Olympique la mer n ’est symbole que de désordre, le climat de la V III® Pythique est plus sombre, et elle y représente la destruction et la mort : ΰβρις, puissance de mal, y est condamnée, au nom de Diké, à, l ’engloutissement au sein de l ’élé­ment marin, qui renferme en lui les forces du mal. La vision de l ’affrontement entre Ησυχία et ΰβρις, qui ouvre la V III® Pythique sur une note de farouche violence, trouve sa contrepartie à la fin de l ’ode dans celle, uji peu mélancolique mais paisible, d ’Égine gui­dant comme un bon pilote la cité qui porte son nom dans des eaux où sa liberté ait des chances d ’être préservée v. 98 : ΑΙ'γινα φίλα ματερ, ελευθέρφ C'CÔX<f> | πόλιν τάνδε κόμιζε®; toutefois, Si Cette navi­gation peut s’accomplir sous des auspices favorables, c ’est que l ’ordre

1. Voir p. 216 ss.2. Ce sens de όίντλος apparaît dans une scholie. Schol. 14 (D R II, p. 208) :

έν όίντλφ · τφ ΰδατι καΐ άφανείςι.3. L ’image du pilote ne figure pas ici, mais c’est en la sous-entendant qu’on

aboutit à l’interprétation la plus satisfaisante du passage.4. Sur cette place de l’invocation, voir A. Kambylis, Anredeformen bei P in ­

dar, p. 172 s., p. 173, n. 3, et plus généralement, p. 180 ss. Voir aussi H . Meyer, p. 64.

5. V. 1-6. Voir p. 122 ss.6. Voir p. 133 s.

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du monde est toujours respecté et que se font sentir encore, à Ëgine comme ailleurs, les effets durables de la vigilance ά’Ήσυχία.

Dans le V® Éloge, adressé à Thrasybule d ’Agrigente, la mer figure en rapport avec le thème de l ’illusion. Pindare y évoque l ’heure où, sous' l ’effet du vin, « les soucis qui fatiguent les hommes s’évadent de leur cœur », V. 5 : άνίκ’ άνθρώπων καματώδεες οϊχονται μέριμναι | στη- θέων έξω ; et comme le lyrique est incapable de s’en tenir à mie ex­pression aussi abstraite des réalités psychologiques, une image re­prend et illustre cette idée avec plus d ’ampleur :

πελάγει 8’Iv πολυχρύσοιο πλούτου

πάντες ïacf. νέομεν ψευδή προς άκτάν.V. 6-7.

« dans une mer de richesse infinie tous également nous nageons vers une rive mensongère ».

Trois termes dominent l ’évocation : πελάγει et άκτάν qui, situés à, ses deux extrémités, représentent la mer et la terre, et νέομεν, le seul détail dynamique du tableau, qu’il anime de la présence de l ’homme.

La métaphore d’une « mer de richesses » n ’est pas originale dans la poésie lyrique et dramatique : on la trouve chez Phœnix, frg. 3 D,2 ; χρυσίου πόντον ; chez Sophron, frg. 159 K : πόντος άγαθών et, dans la me­sure où, quand il songe à un abîme, c’est un abîme marin qui s’impose à l ’esprit d ’un Grec’·, on peut admettre la même image chez Bac- chylide. Ode I I I 82 : ζωάν βαθύπλουτον ; Eschyle, Sept 950 lyr. : πλού­τος άβυβσος ; frg. 16 M, 3 : βαθύπλουτο[ν ; Sophocle, Aj. 130 : μακροϋ πλούτου βάθει, etc. ; mais ce qui est original dans le texte de Pindare, c ’est la façon dont cette métaphore est prolongée et vivifiée par les autres détails, et en premier lieu par νέομεν : « le verbe prosaïque », remarque B. A. van Groningen, « serait évidemment πλέομεν. Mais, outre que Vimage est plus vivante, elle exprime avec beaucoup plus de force jusqu'à quel point les buveurs sont absorbés par leurs illusions. Le nageur est plus « engagé » que le navigateur^. » Ainsi νέομεν nuance la valeur de πελάγει, qui cesse d ’être une réalité indépendante de l ’homme pour devenir le cadre auquel sont liés de la façon la plus étroite les mouvements de sa vie intérieure.

C’est également dans ce registre qu’il faut situer άκτάν, qui dé­signe métaphoriquement le but ou le terme d’un voyage®, et ici

1. Voir p. 217.2. B. A. van Groningen, Pindare au banquet (Leiden, 1960), p. 94 ; on rap­

prochera cet emploi de νέομεν d’Eur., Cyel. 577 : ώς έξένευβα μόγις, où l’expres­sion concerne également un buveur. Pour έκνεϊν, voir p. 229 ss.

3. Voir Isthm. II 42 ; Νείλου πρός άκτάν. Voir p. 85 ss.

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encore une comparaison avec les emplois que trouve ce terme chez les poètes du v® siècle est propre à faire apparaître l ’originalité de Pindare. Chez Eschyle, la tombe d ’Agamemnon est représentée comme le rivage où le roi est venu aborder après la traversée de la vie : Cho. 722-724 lyr. : & πότνια χθών καΐ πότνι* άκτή | χώματος,, ή νυν έπΙ ναυάρχφ | σώματι κεϊσαι τφ ; chez Sophocle, c ’estencore au voyage de la vie que se relie l ’ image du rivage : chassées par la tempête qui secoue leur cité^, les Thébaines accourent de­mander protection aux dieux en abordant « au rivage de leurs autels » : Œd.-roi 183 lyr. : άκτάν παρά βώμιον ; parfois enfin c ’est l ’ être en proie aux assauts de l ’infortune qui apparaît comme un rivage frappé de plein fouet par les vagues : Soph., Ant. 593 lyr. : στόνφ βρέμουσιν άντιπλήγες άκταί ; Œd. Col. 1240-1241 lyr. ; παντόθεν βόρειος ώς τις άκτά I κυματοπλήξ κτλ.®. Or, si différents que soient les contextes de ces divers passages, tous ont en commun un certain nombre de traits que l ’on ne retrouve pas dans le V® Éloge ; dans les Choéphores et Œdipe-roi, le trajet des personnages trouve son terme à la côte ; Agamemnon touche terre — έπί : Cho. 723 — ainsi que les Thé- bain es — παρά : Œd.-roi 183 — ■ et l ’évocation a quelque chose d ’achevé, de « clos* » ; et dans Antigone et Œdipe à Colone, où le personnage est cette fois représenté par le rivage, les vagues qui symbolisent les forces du malheur viennent encore jusqu’à la côte, et l ’idée qui do­mine la vision est bien celle d’une jonction entre deux éléments qui ne sont mis en présence que pour s’affronter. Chez Pindare rien de tel ; la distance qui sépare άκτάν (v. 7) de πελάγει (v. 6) suggère au contraire que le nageur est encore bien loin de cette côte à la-

1. J. A . Schuursma, p. 46 : « qua re ejjicitur ut cogitatione nobis fingamus Aga- memnonem post longos per vitae mare errores ad hoc denique litus, quod est tumulus, navem appulisse ». Voir aussi p. 82 ; I’ideutification est facilitée par la présence de ναυάρχω (v. 723), qui rappelle le rôle joué sur mer par Agamemnon. Le motif d’ailleurs est complexe ; Eschyle a peut-être pensé aussi à la barque de Charon touchant la rive de l’Achéron — ’Αχέροντας άκτάν : Pind., Pyth. X I 21 ; Soph., Ant. 813 lyr. ; en outre, un tertre funéraire a le profil d’un cap ; sur ces diverses explications de l’image, voir H . Mielke, p. 59. Il y a un rapport possible avec celle des v. 315-317 lyr., où Agamemnon est représenté « ancré » dans la mort. Voir p. 58, n. 1.

2. V . 22-24, V. 101 (voir p. 263 s., p. 281) ; c’est A. Lindner (p. 113) qui rap­proche, sans doute à juste titre, l ’image de la tempête de celle du rivage.

3. Pour Ant. 582-593 et Œd. Col. 1240-1248, voir p. 265 ss.4. De même dans le frg. 8 N K de Choérilos (cité p. 227) le tableau s’achève

brutalement sur la vision du naufrage, v. 4 : πρός ΰβριος ^κβαλεν άκτάς. On pourrait en dire autant de l ’image suggérée par κέλσαι, Bschl., Pro. 183-184 lyr. : πά ποτε τώνδε πόνων | χρή σε τέρμα κέλ|βαντ’ έσιδεϊν ; Eur., H ipp. 139-140 lyr. : [θέλουσαν] κέλβαι ποτί τέρμα δύστανον. frg. 916 Ν , 4-7 lyr. : κούκ 8στιν δρος κείμενος ούδείς | είς δντινα χρή κέΧύαι θνητοϊς | πλήν δταν κρυερά Διόθεν | θα­νάτου πεμφθεϊσα τελευτή.

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quelle il aspire, et si νέομεν implicfae qu’il cherche à s’en rapprocher, πρός n’indique aucunement qu’il y parvient ; l ’é'vocation, au -vrai, n’a pas de fin, et l ’on ne conçoit pas que le mouvement qu’elle dé­crit doive un jour connaître un terme : devant les yeux, mais loin de lui, le nageur a toujours cette côte imprécise et comme voilée des brumes d ’une éternelle illusion. Bien loin de rendre tangibles— comme dans les textes des tragiques — les réalités du malheur ou de la mort, άκτάν est ici le symbole de l ’incertain, de l ’imaginaire^.

L ’illusion dont il s’agit ici est en fait celle de l ’ivresse, et en cela le texte de Pindare est à rapprocher de ceux où des scènes de ban­quets sont représentées à, l ’aide d’un vocabulaire nautique — le procédé s’expliquant avant tout par l ’habitude qu’avaient les Grecs de donner à leurs coupes des noms de navires^ : c’est ainsi que chez Ghoérilos des convives font naufrage, pour avoir trop sacrifié à D io­nysos, « sur lés rivages de la déraison », frg. 8 N K : χερσίν | δλβον εχω κύλικος τρύφος άμφίς έαγός, ( άνδρών δαιτυμόνων ναυάγιον, οΐά τε

πολλά I ττνεϋμα Διονύσοιο πρός Οβριός ^κβαλεν άκτάς®, et chez Denys de Ghalcidique ce sont encore les gestes des buveurs qui inspirent par deux fois leur identification à, des rameurs : frg, 4 D, 2-5^ ; frg. 5 D, 1-2 : KKÎ τινες ohov άγοντες èv εΙρεαία Διονύσου, | συμποσίου

ναϋται καΐ κυλικών έρέται®; dans la comédie attique l ’ image semble également répondre à une solide tradition : Xénarque, frg. 2 E : 5 : [φιάλη] άπώλεσε ναύτην καΐ κατεπόντισεν ; Épicrate, frg. 10 E : κατάβαλλε τάκάτια, και κιλίκια | αϊρου τά μείζω, κεύθύ τοϋ καρχησίου | όίνελκε την γραϋν, την νέαν τ ’ έπουρίσας | πλήρωσαν, εύτρετπ) τε τόν κοντδν ποιου I καΐ τούς κάλως &λυε καΐ χάλα πόδα®. Mais de tels rapproche­ments soulignent moins les parentés d ’inspiration que leurs diver-

1. άκτή n’est pas άκρα, et il serait fâcheux de corriger en άκτάν le άκραν de Ném.I I I 27, qui met l ’accent sur des riscpies précis de naufrage (voir p. 34 s.) ; de même le commentaire que fait B. A. van Groningen [Pindare au banquet, p. 95) de άκτάν dans le V® Éloge nous paraît insister à tort sur le caractère « concret » des buts auxquels aspirent les convives.

2. Voir p. 311.3. Sur ce texte, voir p. 311.4. Cité p. 45, n. 1.5. Sur ces deux fragments, voir I. Waern, p. 95 s. ; le double détail de l’avi­

ron (frg. 5, 1 ; είρεσία ; 2 : έρέται) s’explique par l ’analogie entre le mouvement régulier du rameur et le geste du buveur qui lève puis repose sa coupe ; ce détail entraîne, dans une image fort élaborée de YAlceste d’Euripide, celui du « change­ment de mouillage » qui fait passer le buveur d’un état d’esprit sombre et préoc­cupé à une humeur moins morose : v. 797-798 : τοϋ vüv σκυθρωπού καί ξυνεστώτος φρένων | μεθορμιεϊ σε πίτυλος έμπεσών σκύφου. Ces Vers sont caractéristiques d’une tendance d’Euripide à l’intellectualisation de la métaphore, au mélange de termes imagés et de termes purement abstraits. Voir H. Delulle, p. 26 ; E. Heitsch, Zur lyrischen Sprache des Euripides (Diss. Gottingen, 1955), p. 77.

6. Sur πούς (v. 5), voir p. 142.

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gences : car au lieu de chercher à, maintenir au premier plan cer­tains détails rappelant la réalité du banquet — · Ghoér., frg. 8, 2 ; κύλικος ; Denys, frg. 5, 2 : κυλικών; Xénarq., frg. 2, 5 : φιάλη; Épier., frg. 10, 1 : κιλικία — ·, au lieu de pratiquer comme Ghoérilos un Jeu savant de correspondances entre le tableau du festin et l ’image de la traversée sur mer, Pindare ménage à son évocation une marge d’imprécision telle que sans le secours du contexte rien ne permet­trait d ’apercevoir que la toute-puissante illusion n ’est autre ici que la griserie de l ’ivresse.

Une dernière confrontation permettra de mieux saisir encore le caractère de l ’évocation pindarique et sa singularité : dans le frg. 20 b SN, Bacchylide a lui aussi dépeint dans un tableau marin, les illusions du vin : V. 13-16 : χρυσφ S’ Ιλέφαντι τε μαρμαίρου^ιν οίκοι, | πυροφόροί Sè κατ’ αίγλάεντα πόντον | νδες ίςγουσιν άπ’ Αίγύπτου μέγισ- τον I πλούτον, (( le p o la is resp lend it d 'o r et d 'w o ire , et su r la m er brû lan te lés vaisseaux chargés de blé ram ènent d 'É g y p te la précieuse cargaison ». Eïi dépit de la similitude de cadre — ■ Pind., v. 6 : πελάγει ; Bacchyl., V. 14 : πόντον — · et de certains détails — Pind., v. 6 : πολυχρύσοιο ; Bacchyl., v. 13 : χρυβφ — ■ et malgré l ’ identité de thème — Pind., V. 6 : πλούτου; Bacchyl., V. 16 : πλούτον ■— l ’écart est flagrant : alors que la description de Bacchylide vaut avant tout par la précision concrète et la multiplicité des détails matériels, sur lesquels son at­tention se porte successivement avec une grande mobilité, alors que chez lux l ’évocation ne va pas au delà d’un certain nombre d ’effets visuels et reste au niveau du réel, la vision qui se dégage du texte de Pindare se signale au contraire par le refus de tout pittoresque : pas de détails précis, aucune notation de couleur à, l ’exception de celle qu’implique πολυχρύσοιο (v. 6), rien du faste un peu clinquant, et quasi oriental, qui éblouit dans les vers de Bacchylide ; c’est que, si la nature présente pour Pindare un intérêt certain, c’est moins en elle-même que pour les possibilités qu’il y vo it d ’exprimer des réalités morales ; ce n ’est pas en peintre, mais en philosophe qu’il la considère ; s’ il s’y montre attentif, c ’est que derrière chacun de ses éléments il perçoit une réalité plus profonde qu’il cherche à, ex­primer, et les apparences extérieures des choses ne sont pour lui qu’un point de départ, sur lequel son imagination prend appui pour tenter de saisir l ’ au-delà qu’il devine ; chez lui, la création se situe à un niveau intermédiaire entre le réel et l ’imaginaire, et la nature est présente, mais constamment dépassée®.

1. On admet généralement ici une imitation de Pindare par Bacchylide; voir B. A . van Groningen, Pindare au Banquet, p. 102 ; U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 319 ; G. M. Bowra, Pindar, p. 234 ss.

2. Sur cette différence entre les deux poètes, voir H . Frânkel, Dichtung und Philosophie des frühen Griechentums, p. 596 ; B. A. van Groningen, Pindare au banquet, p. 101 s. ; F. Dornseiff, Pindars Stil, p. 66 ; G. Perrotta, Pindaro, p. 76 ;

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Tel qu’il se présente, le passage est hautement s i^ iflc a tif de l ’art et de la pensée de Pindare. Que ce soit par la valeur expressive des allitérations — · par cette répétition des π qui donne à, la formulation une cadence et un poids propres à, frapper l ’auditoire^ — ou par l ’ampleur souveraine du rythme, dont le mouvement « peut se com­parer à celui de la haute mer aux vagues larges^ », il s’impose à l ’es­prit dans toute Ja gravité de sa réflexion. Les préoccupations d’ordre moral qu’il traduit, et qui font entièrement défaut à, tous les textes cités en référence, sont ici, comme toujours chez le lyrique, saisies dans leur aspect le plus général, le plus universel : v. 7 : πάντες foqt νέομεν. C’est proprement une méditation sur l ’homme que reflète l ’image maritime, et sur la facilité qu’il a de se laisser duper par la puissance de l ’illusion ; ses buts sont chimériques — v. 7 ; ψευδή πρός άκτάν — sa richesse même est imaginaire, et ψευδής pourrait tout aussi bien convenir à. πελάγει ; en cela le V® É loge est le proche parent de la X II^ Olympique, où une réflexion de caractère très général — · v. 5 : άνδρών — ■ est également traduite par l ’image du voyage sur mer et vise de la même manière nos facultés d ’illusion : au ψευδή πρός άκτάν du V® Éloge (v. 7) répond le ψβύ| δτ) μεταμώνια τάμνοι|σαι de la X II® Olympique (v. 5-6)®; et il est tout à fait révé­lateur du pessimisme de Pindare que, pour suggérer la soumission de l ’esprit humain à. des puissances qui l ’égarent, le poète ait em­ployé la même image, les mêmes mots, alors que pourtant les sen­timents qu’il dépeint sont conçue dans un cas sous l ’empire de l ’ivresse, et dans l ’autre en toute conscience et lucidité.

Symbole de ruine et de mort dans la V III® Pythique, symbole d’illusion dans le V® Éloge, la mer est dans la X III® Olympique le symbole des charges qui incombent au poète et dont il souhaite se libérer :

άλλά* κούφοοσον εκνεϋσαο ποσίν.V. 114.

« allons, sors de Veau d'un pied léger ».

Cette apostrophe que le poète s’adresse® au terme d’une ode où

B. Gentili, Bacchilide. Studi (Urbino, 1958), p. 118 ; H. Kriegler, p. 99, et plus généralemeat p. 217 ss. ; E. D. Townsead, p. 141.

1. Sur ce caractère allitérant des passages gaomiques, voir p. 110 et n. 6.2. B. A . van Groningen, Pindare au banquet, p. 102.3. Voir p. 127 ss. ; sur les rapports entre l’image du voyage et le thème de

l ’illusion, voir O. Becker, Das Bild des Weges, p. 98 s. B. A. van Groningen {P in ­dare au banquet, p. 94) remarque à juste titre que dans les deux textes « toute nuance de réprobation morale est absente » de l’emploi de ψευδής.

4. Sur l’établissement du texte, voir p. 230, n. 4, p. 340.5. D. Young {Notes on the text o f Pindar, Greek, Rom. and Byz. Stud. 7, 1966,

p. 20) rapporte à tort έκνεϋσαι à Xénophon.

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il a eu pour mission de célébrer Xénophon a été fort diversement comprise et a donné lieu à des commentaires parfois incongrus. La question qui se pose à son propos est double : quelle est l ’ image suggérée par έκνεϋσαι, et comment expliquer le rapport de ce verbe avec le groupe κούφοισιν... ποβίν?

Έκνεϊν désigne Faction de « sortir à. la nage » de l ’élément où l ’on se trouve plongé : dans VHippolyté d ’Euripide, l ’ infortune de Phèdre est telle qu’elle ne peut espérer en « sortir à la nage » v. 469-470 : ές δέ τήν τύχην | πεσοϋατ’ δβην σύ πώς αν έκνεϋσαι δοκεΐς ; et dans la suite de la tragédie Thésée renonce également à « sortir à la nage » de la « mer de malheurs » où il se vo it soudain englouti, v. 822-823 : πέλαγος είσορώ | τοσοϋτον ώβτε μήποτ’ έκνεϋσαι πάλιν^. A propos de la X III® Olympique, certains commentateurs estiment que l ’eau dont émerge Pindare une fois parvenu au terme de son poème est celle du fleuve — · ou du torrent — de la poésie^ ; mais il vaut mieux ad­mettre, compte tenu du contexte, qu’il s’agit bien plutôt de l ’eau de la mer : la X H I^ Olympique est adressée à un membre de la fa­mille des Oligaithides, qui avait gagné par toute la Grèce un nombre considérable de couronnes aux jeux ; si peu enclin qu’il se sente à en dresser le catalogue, Pindare n ’a pu se dispenser de faire allu­sion à, cette multitude de victoires, et toute la seconde triade de l ’ode est occupée par l ’énumération des triomphes passés (v. 2 4 -4 5 ),

qui s’achève sur -un véritable aveu d’impuissance : v. 45-46 b : ώς μάν οαφές | οΰκ αν είδείην λέγειν | ποντιαν ψάφων αριθμόν, « je ne sau­rais dénombrer avec exactitude les grains de sable de la mer^ » ; et le poète enchaîne en assurant que toute chose a sa mesure et qu’il faut tenir compte du καιρός ; v. 47-48 : ίπεται 8’ έν έκάστφ I μέτρον · νοήσαί δέ καιρός άριστος. A la fin du poème, Pindare revient sur cette énumération, mais avec la volonté bien arrêtée d ’être bref — ■ v. 98 : παύρω 2πει — et c ’est au terme de cette rapide revue, conclue sur un semblable refus de tout exposer en détail — ■ v. 112-113 : καΐ πάσαν κατά | Έλλάδ’ εύρήσεις ερευνών | μάσϋον’ ή ώς ίδέμεν — que le poète S’exhorte à « sortir de Veau ». I l est donc très probable que le grand nombre de victoires remportées par la famille des Oligaithides et l ’immensité de la tâche qui en résulterait pour qui voudrait n ’en rien oublier, lui a imposé l ’image de la mer — mer de triomphes, mer de difficultés — dont il aspire à émerger^, et cette interpréta-

1. Voir p. 218 ; le terme figure également dans Cycl. 577 : ώς έξένευβα μόγις (voir p. 225, n. 2) ; dans Iph. Taur. 1186 par contre, έξένευσας vient non point de έκνεϊν — comme le croit E. Schwartz, p. 21 — mais de έκνεύειν.

2. Ainsi L. R. Farnell, A critical commentary to the works o f Pindar, p. 101 ; M. F. Galiano, p. 306.

3. Pour cette image, voir aussi 01. II 108-110 ; Pyth. IX 46-48.4. Ainsi comprennent F. Mezger, p. 458 ; E. Romagnoli, p. 223 ; A. L. Keith,

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tion est d’autant plus naturelle qu’aux v. 45-46 b l ’allusion aux sables du rivage avait déjà orienté son imagination Vers un cadre maritime ; dans la pensée qu’il est en traiii de reprendre pied sur terre et d ’échapper à, l ’élément marin, symbole des lourdes tâches qu’il a dû affronter au cours de son ode, on sent un enthousiasme, une allégresse qui sont en complète opposition avec le ton contraint et guindé de la métaphore maritime du v. 49, où l ’inïàge du vaisseau en mission — ϊδιος έν κοινφ βταλείς — représentait aux yeux de Pindare le devoir qui lui incombait de chanter Xénophon^.

La difficulté la plus grave n ’est pas liée, toutefois, à l ’ identifica- tion de la métaphore que suppose έκνεϋσαι, mais à l ’élucidation du rapport qui l ’unit à κούφοισιν... ποσίν. Il y a en effet entre ce verbe, qui évoque la nage, et son complément, qui suggère plutôt la course à pied, une apparente discordance qui a provoqué dans la critique tui malaise évident ; κούφοισιν... ποσίν, dit-on, conviendrait mieux au coureur qu’au nageur, et έκδραμεΐν serait plus logique que έκνεϋ- σαι3; aussi corrige-t-on ce dernier : H. W . Garrod propose de lire Ιχνεϋσαι*, A . G. Pearson de faire venir έκνεϋσαι de έκνεύειν, non de έκνεϊν®. E t l ’on Voit la discussion s’orienter vers des considérations sportives et surgir au premier plan des préoccupations la grave ques­tion de savoir si la légèreté des pieds est ime qualité indispensable ou non au nageur ; H. Disep répond par l ’affirmative : « natürlich kann ein Schmmmer leichte Füsse hesitzen ® » ; A. G. Pearson quant à lui estime le plus sérieusement du monde que de vigoureux batte-

p. 98 ; B. L. Gildersleeve, Pindar. The Olympian and Pythian Odes, p. 326 ; G. Sou- tar, p. 97, etc. La conclusion de O. Goram, qui va dans le même sens (p. 272), mérite d’être étudiée à part, tant elle paraît séduisante. O. Goram propose de corriger, au v. 114, άλλά — qui est la leçon des manuscrits, très diversement modifiée par les commentateurs et éditeurs : écva (verbe), άνα (vocatif de άναξ), άνά, &γε, etc. — en άλα, et de placer la ponctuation à la suite de ce mot : v. 113- 114 : εύρήσεις έρευνών ( μάοσον’ ή ώς ίδέμεν [ άλα · κούφοκην έκνεϋίίαι ποσίν. Les fautes par gémination sont de fait assez fréquentes pour qu’on puisse conce­voir un copiste, abusé de surcroît par la ressemblance des majuscules, altérant en Α Λ Λ Α le texte primitif, qui portait Α Λ Α ; le remplacement de la longue de άλλά par la brève de άλα serait toléré à cette place dans le vers de l ’épode. On doit néanmoins renoncer à cette hypothèse — et conserver άλλά, qui donne un sens tout aussi satisfaisant que les autres corrections proposées — parce que la construction du groupe εύρήσεις... άλα, tel que le délimite O. Goram, est gram­maticalement impossible et ne donne aucun sens.

1. Voir p. 36 s.2. Voir M. F. Galiano, p. 326 ; G. Priesemann, p. 77.3. Voir H . Disep, p. 89. D. Young, loo. cit., qui rapporte d ’ailleurs hcvéjcou.

à Xénophon (voir p. 229, n. 5) ; cf. aussi schol. 163 A (D R I, p. 387) : έκνεϋσαι · άποδραμεϊν.

4. H . W . Garrod, Notes on Pindar (Class. Quart. 9, 1915), p. 134.5. A. G. Pearson, Pindarica (Class. Quart. 18, 1924), p. 151 s.6. H. Disep, lac. cit.

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ments de bras et de jambes lui sont sans doute iniîniment plus utiles^. De telles discussions seraient à coup sûr divertissantes, si elles n ’abou­tissaient à une véritable caricature de la critique de textes dont l ’in­térêt est manifestement ailleurs : car pourquoi Pindare a-t-il mêlé deux métaphores appartenant à des domaines aussi différents?

La première explication qui vient à l ’esprit est que κούφοισιν... ποσίν répond à, la conception qu’il se fait d ’une poésie animée d’un mouvement très v if et à l ’habitude qu’il a d ’exprimer des réalités poétiques par le vocabulaire de la compétition ; le passage serait alors à mettre sur le même plan que ceux où il décrit en termes de saut ou de course l ’élan qui l ’anime, comme dans Ném. V 19-20 :μακρά μοι | αύτόθεν αλμαθ’ ύποσκά| πτοι τις · εχω γονάτων έλαφρόν όρμάν

OU Pyth. V I I I 32-33 : το 8’ έν ποσί μοι τράχον | ϊτω τεόν χρέος ; mais les ressemblances les plus frappantes avec le v. 114 de la X l I I e Olym­pique sont celles que présente la V III® Néméenne, où Pindare, au moment d ’aborder le mythe d’A jax, se compare à un coureur aux pieds légers qui prend une profonde inspiration avant le départ, V. 19 : ίσταμαι δή ποσσΙ κούφοις, | άμττνέων τε πριν τι φάμεν^.

On ne doit pourtant pas en conclure qu’ici encore le poète consi­dère le mouvement de son ode comme celui d ’une course : car dans Ném. V 19-20, Pyth. V I I I 32-33 et Ném. V I I I 19 l ’ image de la course se situe dans le courant du poème, et plus précisément avant le récit mythique ; or, il serait difficilement concevable que dans la X III® Olympique Pindare s’exhorte à courir au moment précisément où le « parcours » touche à sa fm. La formule du v. 114 doit donc s’expliquer d ’une autre façon, et elle se justifie, en réalité, par la spécialité de l ’athlète auquel l ’ode est dédiée : Xénophon a obtenu l ’une de ses deux victoires à. la course, de même que Déinis dans la V III® Néméenne, et si Pindare utilise dans les deux odes, à. propos de sa poésie, des expressions semblables — ■ 01. X I I I 114 : κούφοισιν... ποσίν ; Ném. V I I I 19 : ποσσί κούφοις — · c’est potiT rappeler aux vain­queurs l ’épreuve où ils ont triomphé®. Car le poète aime tenir aux athlètes qu’il célèbre le langage le plus propre à, être compris d’eux : quand il s’adresse aux insulaires ou aux citoyens des villes de la côte, son vocabulaire est riche en images maritimes ® ; aux coureurs il

1. A. G. Pearson, loc. cit.2. Sur la poésie conçue comme mouvement, voir p. 23 ss. ; sur les emprunts

au, vocabulaire de la compétition, p. 97 et n. 4-5.3. Sur ce passage, voir p. 155 s.4. Voir à ce propos les remarques de T. Hoey, p. 251 s. ; la confusion entre

le parcours de la poésie et la course d’un homme — · ou d’un cheval : 01. I I I 3 — est facilitée par l ’ambiguïté de πούς, qui vaut aussi dans le domaine de la mé­trique.

5. Voir sur ce point M. F. Galiano, p. 326 ; G. Perrotta, Pindaro, p. 303.6. Voir p. 15 s., p. 333.

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parle en termes de course, aux luttews en termes de lutte. E t le passage qui permet d’éclairer de la façon la plus suggestive la con­clusion de la X III® Olympique est celui de la IV^ Néméenne — dé­diée à, Timasarque, vainqueur à, la lutte —- où Pindare évoque les assauts de la mer perfide en disant qu’elle le tient « à bras le corps » ;V. 36-37 : εχει βαθεΐ|α ποντιάς αλμα | μέσώονί. Dans les deUX caS, il s’agit pour le poète de décrire la tâche qui lui incombe ou les épreuves qu’il a connues, et pour les rendre accessibles à, autrui, il use d ’un langage métaphorique qui vaut sur un double plan : la métaphore maritime — Ném. IV 36 : βαθεϊ|α ποντιάς άλμα ; 01. X I I I 114 : έκνεϋ- σαι — s’adresse ici au citoyen d’Égine, là. au citoyen de Gorinthe, également familiers de la mer ; la métaphore sportive qui lui est indissolublement liée et l ’encadre — Ném. IV 36-37 : εχει... μέσσον ; 01. X I I I 114 : κούφοισι,ν... ποσίν — ■ s’adresse dans un cas au lut­teur dans l ’autre au coureur, également rompus au sport. Et au sein ou au terme d ’une vision faite d ’éléments hétérogènes, et dont le caractère composite se justifie par un souci d ’expressivité, le έκνεϋσαι de 01. X I I I 114 et le καταβαίνει,ν de Ném. IV 38 Se répondent dans l ’affirmation de l ’épreuve surmontée. Les deux tableaux ont pourtant un caractère très différent : alors que dans la IV® Néméenne la lutte avec la mer est évoquée dans toute sa violence, avec un mou­vement d ’une rare intensité dramatique, la formule de congé de la X III® Olympique se signale au contraire par une aimable désinvol­ture de ton ; il y a un humour presque irrévérencieux dans cette façon que le poète a de détourner à, son profit la vélocité de Xéno- phon et de se l ’attribuer pour en finir au plus vite avec son éloge, et pour émerger de cette mer de triomphes dont l ’immensité le con­fond.

1. Sur Ném. IV 36-38, voir p. 92 ss.2. Rien ne permet d ’aflirmer avec G. Priesemann (p. 77) que dans 01. X I I I

114 κούφοισιν ποσίν est l’élément premier de l’image ; on serait même enclin à penser que Pindare a songé d’abord à l’élément dont il émerge, et ensuite à la façon dont il en sort.

3. Dans toute la fm du poème (v. 93-95) les réalités de la poésie sont d’ail­leurs évoquées en termes de lutte. Voir p. 97, n. 5.

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C H A P IT R E I I I

L A V A G U E

L a v a g u e c o m m e s y m b o l e d ’ u n e i n s p i r a t i o n , d ’ u n e é m o t i o n ,

d ’ u n e c r i s e .

L ’image de la vague est fréquente chez Pindare dans le domaine de la création poétique ; mais, pour en apprécier l ’exacte signification, il convient auparavant de considérer le rôle qu’U accorde à, l ’eau, et plus généralement au liquide, dans la définition des réalités de son art.

La représentation de la parole à, l ’ image d’une eau courante est en fait aussi ancienne qu’ Homère : I I . I 249 : τοϋ καΐ άπό γλώοίσης

μέλιτος γλυκίων ρέεν αΰδή. Elle est constante dans la Théogonie d’ Hé- siode, où le vocabulaire évoquant l ’eau est associé à, la fois aux Muses et à ceux qu’elles inspirent : V. 5-6 : κα£ τε λοεσσάμεναι τέρενα χροά

ΙΙερμησσοϊο | ή 'Ίτπτου κρήνης ή Όλμειοϋ ζαθέοιο κτλ. [s. e. Μοϋσαι] ; V. 39- 40 : των δ’ ακάματος ρέει αύδή | έκ στομάτων ήδεϊα ; V. 83-84 : τ<ρ μέν

έπΙ γλώσσγ) γλυκερήν χείουβιν έέρσην^, | τοϋ 8’ ΐπ ζ έκ στόματος ρεϊ μείλιχα ;V. 97 : γλυκερή οί άπό Στόματος ρέει αύδή . Pindare se montre donc tr i­butaire de la tradition épique, et comme chez Hésiode on trouve dans sa poésie fréquemment associées à l ’eau les Muses® — ■ Ném. IV 1-5 ; ai 8è σοφαί | Μοίσαν θύγατρες άοι|δ«1 θέλξαν νιν άπτόμεναι. | Ούδέ θερμον ύδωρ τόβον | γε μαλθακά τεύχει | γυϊα, τόσσον ευλογία | φόρμιγγι συνάορος — OU les Charités ■—■ 01. X IV 1-3 : Καφισίων ύδάτων λαχοϊσαι | ταί τε ναίετε καλλίπωλον 2δραν, | ώ λιπαρας άοίδιμοι βασίλειαι | Χάριτες ’Ερχο­μένου I Pyth. X I I 26-27 : τοί παρά καλλιχόρφ ναί|οισι πόλει Χαρ£των | Καφισίδος έν τεμένει ; Isthm. V I 64 : τάν Ψαλυχιδάν δέ πάτραν Χαρίτων | όίρδοντι καλλίστί): δρόσφ^; et à, la source Hippokrène évoquée par Hé­siode (Théog. 6) répondent chez le lyrique les fontaines de Thèbes {01. V I 85-86S; Pyth. IX 87; Isthm. V I 74)« et de Delphes {PéanV I, 7-9).

1. Sur έέρσην, voir p. 275 ss.2. Voir à ce sujet E. Sittig, Hippokrene (R E V I I I 2), 1854. A. Kambylis,

Die Dichteriveihe und ihre Symbolik, p. 23 ss.3. Voir sur ce point C. M. Bowra, Pindar, p. 25 ; cf. aussi Simonid., frg. 26 D,

2 : Μοισάν καλλικόμων... άγνόν υδωρ.4. Voir infra, p. 235, l’image de la rosée.5. Voir infra, p. 235.6. Voir infra, p. 235.

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L ’apport personnel de Pindare dans ce registre métaphorique est néanmoins considérable, et l ’on ch,ercli,erait en vain tin poète chez qui les images empruntées à l ’eau aient autant de richesse et d ’éclat^ ; sa poésie est une source {Pyth. IV 299 : παγάν άμβροσίων μελέων)^, une rosée (Pyth. V 98-100 : μεγάλαν 8’ άρετάν ] δρόσφ μαλθακά | ρανθεϊ- σαν κώμων ύπό χεύμασίν®; Ném. I I I 78 : κφναμένα 8’ ϊερσ’ άμφέπει^;V I I I 40-42 : αΰξεται 8’ άρετά, χλωραϊς έέρσαις | ώς δτε δένδρεον ξ,ΰσζι, \ [έν] σοφοΐς άνδρών άερθεϊ(ϊ’ ( έν δικαίοις τε πρός ύγρόν αιθέρα ; Isthm. V I 64 : τάν Ψαλυχιδάν δέ πάτραν Χαρίτων | ίίρδοντί καλλίστα δρόσφ) un breuvage {Ném. I l l 79 : π6μ[α])β dont on a soif {Pyth. IX 103 : έμέ... άοιδάν j δίψαν άκειόμενον ; Ném. I l l 6-7 : διψη δέ πραγος 6ίλλο μέν άλλου, | άεθλο- νικία δέ μάλιστ’ άοιδάν φιλεϊ)' , qu’on boit {01. V I 85-86 ; τας [sc. Θήβαν] έρατεινόν ύδωρ | πίομαι) 0U dont οη abreuve {Isthm. V I 74 : πίσω σφε Δίρκας άγνόν ΰδωρ) ®, qu’on distille {Isthm. IV 75 : τερττνάν έπιστάζων χάριν), qu’on répand {01. X 98 : μέλιτι | εύάνορα πόλιν καταβρέχων ; Pyth. X 56 : δπ’ άμφί Πηνειόν γλυκεΐ|αν προχεόντων έμάν^®; V I I I 57 : ραίνω δέ καΐ δμνφ ; Isthm. V I 21 : τάνδ’ έπιστείχοντα νασον | ραινέμεν εύ- λογίαις)!!, qu’on verse en libation {Isthm. V I 9 : σπένδειν μελιφθόγγοις άοιδαϊς ; 01. V I 92 : γλυκύς κρατήρ άγαφθέγκτων άοιδάν ; Isthm. V I 2 : δεύτερον κρατήρα Μοισαίων μελέων j κίρναμεν ; 01. V I I 8 : νέκταρ χυτόν, Μοι|σαν 8όσιν) comme un précieux mélange, tel que celui évoqué dans la III® Néméenne, où s’unissent le miel, le lait et la rosée, V . 76-79 : έγώ τόδε τοι | πέμπω μεμειγμένον μέλι λευκφ | σύν γάλακτι, κιρναμένα δ’ 2ερσ’ άμφέπει, | πόμ’ αοίδιμόν Αίολη|σιν έν Twoatdiv αύλών '^

De ces évocations se dégage un certain nombre de traits com­muns caractérisant la conception que Pindare se fait de son art : si les épithètes y traduisent les qualités de fraîcheur — Ném. V I I I

1. Voir 01. 1 1 : άριστον μέν ΰδωρ ; I I I 42 : αριστεύει μέν ΰδωρ. Sur le symbolisme de l’eau chez Pindare, voir A. Kambylis, Die Dichterweihe und ihre Symholik, p. 113 ss. ; J. H . Finley, Pindar and Aeschylus, p. 52 ss.

2. Sur cette image, voir F. Dornseiff, Pindars Stil, p. 62 ; cf. aussi Empéd., frg. 3 D, 2.

3. Pour ραίνειν, voir aussi Pyth. V I I I 57 ; Isthm. V I 21 ; pour χεϋμα, Pyth. X 56 ; Isthm. V I I I 59.

4. Sur Ném. I l l 76-79, voir p. 235 ; pour έ'ερσα, voir Ném. V I I I 40 et p. 275 ss.5. Voir supra, p. 284, les références aux Charités.6. Sur cette image, voir F. Dornseilï, foc. cit.7. Voir aussi Parth. II 80-82, p. 236.8. Sur 01. V I 85-86 et Isthm. V I 74, voir aussi supra, p. 234.9. Voir aussi à ce propos l’étrange métaphore de la V® Isthmique, où le verbe

est appliqué au silence : v. 51 : άλλ’ δμως καύχαμα κατάβρεχε σιγά ; cf. aussi frg. 113.10. Voir aussi Isthm. V I I I 59 : έπι θρήνον τεπολύφαμον ίχεαν ; I 3 : Δαλος, έν S

κέχυμαι ; 01. V I I 8 : χυτόν.11. Voir aussi Pyth. V 100 : ρανθεϊοαν.12. Sur I’identificatioaTdu chant au miel, voir outre/siÆm. V I 9 et 01. X 98,

01. V I 21, X I 4 ; Ném. ΙΠ 4, V I I 12, X I 18 ; Isthm. II 3, 32, V 53 ; sur πνοαϊσιν (v. 79), voir p. 179.

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40 ; χλωραϊς — ■ d’éclat — ■ 01. V I 92 : άγαφθέγκτων — ■ et surtout de douceur et d ’harmonie — IV 299 : άμβροσίων; V 99 : μαλθακή; Isthm. IV 75 : -repTwàv; Pyth. X 56 ; γλυκεϊαν; Isthm. V I 9 : μελιφθόγ- γοίς ; 01. V I 92 : γλυκύς — qu’il reconnaît à sa poésie, l ’ essentiel de­meure sans doute l ’ idée de ses Vertus vivifiantes ; comme l ’eau aux plantes, elle donne la vie à tout ce qu’elle touche, fait éclore la va ­leur — · Pyth. V 98 : άρετάν ; Ném. V I I I 40 : άρετά — et éclater dans le monde la gloire de ceux qu’elle chante — ■ Ném. IV 5 : εύλογία ; Isthm. V I 21 ; εύλογίαις. Cette fécondité, qui l ’apparente à, l ’eau douce — ■ celle des pluies, des rosées ou des fleuves — l’oppose pax là, même à, l ’eau de mer, symbole de stérilité, parfois de désordre et de destruction^; le texte le plus significatif à cet égard est celui du II® Parthénée où Pindare conseille à. deux vainqueurs de s’abreu­ver, s’ils ont soif, à sa propre source, au lieu d ’aller boire l ’eau salée que dispense la poésie de ses rivaux : v. 80-82 : μή vüv νέκτα[ρ ίχοντ άπό I κρά]νας εμάς | διψώντ’ «[λλότριον ρόον] ] παρ’ άλμυρόν | οϊχεσθον^.Cette identification de la véritable poésie à de l ’eau douce est chez Pindare une donnée d ’une extrême importance, et dont on doit tenir compte dans l ’ interprétation de l ’ image de la vague : on peut a priori admettre que quand l ’accent y est mis sur la gloire qu’elle procure, ce n ’est pas à la vague de la mer que songe le lyrique, mais plutôt à celle qui anime le cours d’tin fleuve ou d ’un torrent.

L ’image se rencontre à deux reprises dans la VII® Néméenne. Elle trouve un premier emploi au début de l ’ode, au sein d’un bref développement (v. 10-16) consacré aux Vertus immortalisantes de la poésie et à la gloire qu’elle confère, v. 16 : κλυταϊς έπέων άοιδαϊς®.

εί δέ τύχη τις έ'ρδων, μελίφρον’ αιτίαν ^οαϊσι Moraâv ένέβαλε.

V. 12.

« si quelqu'un réussit Vexploit quHl tente c'est une matière douce comme le miêl^ qu'il jette dans les ondes des Muses »,

1. On trouve ce contraste dès VOdyssée. Voir V 441 : ποταμοϊο... στόμα καλ- λιρόοιο ; 322-323 : στόματος δ’ έξέπτυσεν δλμην ] πικρήυ ; il parcourt tout VH ip- polyte d’Euripide ; voir C. P. Segal, The tragedy o f Hippolytus, passim ; cf. aussi Plat., Phèdr. 243 D : επιθυμώ ποτίμω λόγφ οϊον άλμυράν άκοήν άττοκλύσασθαι. Sur cette opposition entre l’eau douce et l’eau salée, voir aussi C. P. Segal, Pindar’s seventh Nemean, p. 467 (à propos de Ném. V I I 77-79, voir p. 275 ss.).

2. Voir sur ce passage L. R. Farnell, A critical commentary to the works o f Pindar, p. 431. On rapprochera aussi de Ném. IV 36, où la « mer profonde » (βαθεΐα άλμα) représente les ennemis du poète ; voir p. 95 ss.

3. Voir p. 210 s.4. Voir p. 235 et n. 12. En fait, la qualité de douceur qu’implique l’adjectif

conviendrait mieux aux ondes de la poésie (^οαϊσι) c[u’au sujet (αιτίαν) qu’elles touchent. On doit également préciser que dans les composés du type μελιγήρυς,

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L ’expression μελίφρον’,.. ένέβαλε est à. première Vue déconcer­tante, en raison de l ’emploi d ’un vocabulaire hybride, à la fois in­tellectuel et imagé ; toutefois, l ’apparente discordance entre l ’abstrait αίτίαν et le groupe métaphorique ροαϊσι, Mowâv ένέβαλε — ■ qui sug­gère aux yeux de certains l ’ image d’uïie pierre jetée dans le coûts d’un fleuve’· — se résout si l ’on songe qu’en réalité le poète s’iden­tifie ici aux Muses et que ροαΐσι MowSv équivaut dans une certaine mesure à. νοϋς ; il y a peut-être là, une variation sur la formule pro­saïque έμβαλεϊν εις τόν voüv, et l ’ iïicohérence même de l ’ensemble est révélatrice de la manière dont l ’ image est parfois entièrement subordonnée chez le lyrique à, l ’ idée qu’elle sert à exprimer : ροαϊσι n ’est pas dans le cas présent considéré pour sa valeur imagée, mais comme un simple moyen d ’exprimer le processus intellectuel de création, de traduire la toute-puissance de l ’esprit sur la matière qu’on lui présente.

L ’image reparaît au v. 62 à propos de Théarion, père du vainqueur Sogénès :

δδατος ώτε ^οάς φίλον ές ανδρ’ άγων

κλέος έτήτυμον αίνέσω.V . 62,

« à un homme qui m'est cher f apporterai comme une onde la louange véridique de sa gloire ».

On peut voir dans ce nouvel emploi de οαί l ’application à un cas particulier de celui rencontré au v. 12 : le point de Vue est devenu plus personnel, tant concernant celui qu’on chante — φίλον... άνδρ’ a remplacé l ’indéfini τις — que celui qui chante — ■ l ’allusion aux Muses a fait place à la première personne αίνέσω ; en outre, la part d ’intervention active du poète sur la matière qui lui est offerte est encore plus nettement marquée par άγων que par ένέβαλε®; ce qui n’a pas changé, toutefois, c’est le rapport étroit entre l ’image de l ’eau (v. 12 : ροαΐβί ; v. 62 ; ^οάς) et le thème de la gloire, donneuse d ’immortalité (v. 16 ; κλυταϊς ; v. 62 : κλέος). Dans une ode d’ins­piration assez sombre, où les images maritimes expriment le plus souvent le thème de la mort qui menace — v. 17 : τριταϊον άνεμον* — ou qui surgit — V. 31 : κϋμ’ Άΐδα 5 — la double évocation symétrique des V. 12 et 62 apporte la réconfortante vision d’ime poésie capable

μελίφθογγος, μελίφρων, etc., l ’image iaitiale avait certainemeat fini par s’affai­blir et ne plus être très sentie.

1. Ainsi H . Schultz, p. 59 ; voir aussi A. Kambylis, Die Dichterweihe und ihre Symbolik, p. 153, n. 93.

2. Voir Ή. Disep, p. 78 s.3. Pour άγων, voir aussi p. 242.4. P. 208 ss.5. P. 271 ss.

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d ’en triompher, et de donner à, ceux qu’elle chante une vie éter­nelle : en cela le rôle de création féconde imparti à la Muse et au poète se situe sur le même plan que celui d ’ Ilythie, invoquée au début de l ’ode

Dans la VII® Isthmique, l ’ image est liée, comme au début de la VII® Néméenne, à des considérations sur l ’obscurité où demeureraient les hauts faits sans le secours de la poésie : Ném. V i l 13 : ταΐ μεγάλαι γάρ άλκαί | σκότον ττολύν ΰμ,νων ίχοντι 8ε6μεναι. IstJlM. V I I 16 : άλλά τταλαιά γάρ | εΰδει χάρις

άμ,νάμ,ονες 8έ βρότοι Ô τ ι μή σοφίας άωτον άκρον

κλυταϊς έπέων ροαϊ- ϋι\) έξίκηται ζυγέν.

V . 17-19.

« et les hommes oublient tout ce qui n'a pas touché Vart suprême des poètes, et qu’ils n’’ont pas attaché aux ondes des hymnes qui donnent la gloire ».

Le passage est difficile et a parfois été mal compris. G. A . M. Fen­nell vo it dans ^οαϊσιν ζυγέν (v. 19) l ’ image d’un arbre planté au bord de l ’eau J. B. Bury, quant à, lui, aboutit à force d ’ingéniosité à une interprétation proprement inintelligible® : &ωτον (v. 18) est à rattacher à la racine du Verbe άήναι « souffler », et cette métaphore du vent figure également dans όίκρον (v. 18) et Ιξίκηται (v. 19), qu’on doit respectivement rapprocher des épithètes homériques άκραής et ϊκμενος, toutes deux qualifiant les souffles du vent^; d ’autre part, ζυγέν (v. 19) rappelle les ζυγά du navire. Tout est donc ici image maritime ; le vaisseau de la poésie est poussé par la brise sur les courants de la gloire.

En réalité, jamais δωτος, que ce soit chez Pindare ou un autre, n ’a un rapport quelconque avec le vent : c’est un terme essentiel­lement abstrait et imprécis, qui n ’appelle aucune image et exprime seulement l ’ idée de supériorité, d ’excellence, en particulier dans le domaine de la musique et de la poésie {01. 1 15 ; Pyth. X 53 ; Isthm. I 52, V I I I 17, etc...)®. En outre, si un rapprochement s’impose à propos de ζυγέν (v. 19), c’est bien avec le ζεϋξαι de Ném. I 8 : έγ-|

κώμιον ζεϋξαι μέλος : comme dans la X® Pythique — · v . 65 : τόδ 2ζευξεν

1. A la suite du commentaire des v. 77-79, on trouvera une étude de conclu­sion sur les diverses images empruntées à la nature dans l’ode ; voir p. 275 ss.

2. G. A . M. Fennell, Pindar's Nemean and Isthmian Odes, p. 182.3. J. B. Bury, The Isthmian Odes o f Pindar, p. 127.4. Od. X IV 253 : άνέμφ άκράει ; I I 420 : ϊκμενον οδρον.5. Sur les emplois de άωτος chez Pindare, voir en particulier L. Manuwald,

p. 14 ss. ; F. Dornseifî, Pindars Stil, p. 94 s. ; H . Mâhler, p. 89, n. 3 ; G. M. Bowra, Pindar, p. 228.

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&ρμα Πιερίδων τετράορον — l ’image est Celle du « chor des Muses'^ », qui est toutefois moins aisée à identifier ici parce qu’elle se mêle à une image toute différente, celle des « ondes des hymnes^ ». Mais, si l ’on considérait que, comme dans Ném. V I I 12, ροαϊβίν (v. 19) est employé moins pour ce qu’il évoque que pour ce qu’il exprime, et si l ’on « effaçait » l ’image qu’il suggère en faisant de κλυταΐς έπέων poaïcriv un synonyme de κλυτοϊσιν έπεαιν, dès lors l ’ image du char surgirait avec une netteté particulière ; ce dont les hommes se sou­viennent, ce sont les événements qui vont — v. 19 : έξίκηται, cf. Ném. V I I 12 : ένέβαλε —■ jusqu’aux poètes et que ceux-ci « attellent » — . ζυγέν — à la poésie sur la voie de la gloire.

Une telle méthode serait cependant dommageable pour l ’appré­ciation de révocation dans son ensemble : car, si Pindare unit ici, selon un procédé courant chez lui, deux métaphores distinctes®, chacune y remplit un rôle déterminé, et tandis que ζυγέν suggère l ’élan de l ’iaspiration qui anime sa poésie, ροαϊσιν traduit l ’idée de sa fécondité et de son aptitude à, conférer la gloire^; par là, le κλυ- ταϊς de Isthm. V I I 19 répond au κλυταϊς de Ném. V I I 16 et au κλέος de Ném. V I I 62 et, dans un registre différent, au « cent glorieux des hymnes » —■ v. 29 ; οδρον έπέων ) εύκλεά — que la Muse, dans la VI® Né- méenne, dirige sur la famille des Bassides®.

L ’emploi de poai, dans tout ce qui précède, relie sans doute la poésie de Pindare à la notion de mouvement ; Ném. V I I 12 ένέβαλε, 62 : όίγων ; Isthm. V I I 19 : έξίκηται ; mais l ’accent y est mis bien plus sur le thème de ses vertus immortalisantes que sur l ’ idée de l ’élaïi qui l ’anime, et si dans la VII® Isthmique un terme suggère celui-ci, c ’est ζυγέν, non foaïtjtv. Par contre, lorsque le poète veut faire sen­tir, par une image empruntée à, l ’eau, la force avec laquelle un sujet s’impose à son esprit et entraîne son poème dans un mouvement irrésistible, ce n ’est pas à ροαί, mais à ρόθια ou à κΟμα ® qu’il recourt.

'Ρόθια, qui désigne les vagues au moment où elles se brisent avec

1. Sur cette image, voir p. 26 s. ; H . Disep (p. 66 s.) note que, comme dans beaucoup de ses emplois, elle se situe ici à un point de rupture dans le dévelop­pement : au moment où Pindare passe de l’évocation des gloires anciennes de Thèbes (v. 1-15) à celle du triomphe présent de Strepsiade (v. 20 s.). Cette place de l ’image dans un passage de transition du passé au présent — ou inver­sement — a déjà été remarquée à propos de 01. X I I I 49 (p. 36 ss.) ; Ném. V I 32-34 (p. 37 s.). V 50-52 (p. 49 s.) ; pour IVém. V I 55-56, voir p. 244 ss.

2. Voir à ce propos L. Manuwald, p. 15.3. Voir p. 13 ss.4. De même dans 01. V I 83 καλλιρόοισι τηιοαϊς exprime la double image du

souffle de l’inspiration (τινοαΐς) et du cours harmonieux de l’ode (καλλιρόούσι).5. Voir p. 181 s.6. Voir, à propos de l ’emploi de κϋμα dans 01. X 9-10, les remarques de G. van

Niekerk-Viljoen, Pindaros se tiende en elfde Olympiese Odes (Diss. Leiden, 1955), p. 49.

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fracas sur les rochers (Soph., Phil. 687-688 ly r ; E ur., Cycl. 17, frg. 773 N, 36 lyr., e tc .)’·, figure dans le VI® Peaw, o ù É g in e reço it (des vagues des chants » que lui adresse le poète : v. 128-129 ; àoiSSv | ρόθια. Par son am biguïté, le term e p eu t évoquer la vague aussi bien dans son m ouvem ent — celui qui a p o rté P indare à, célébrer l ’île — que dans ses b ru its — en l ’occurrence, les voix de ceux qui chan ten t le péan ; quoi qu ’il en soit, l ’im age est à coup sû r inspirée p ar la si­tu a tio n insulaire d ’Égine, b a ttu e des flots dans le golfe Saronique, b a ttu e des vagues que dirige vers elle l ’inspiration du poète ; la m é­tap h o re m aritim e, en outre, se tro u v e dans une strophe où les allu­sions à, la m er ne m anquen t pas : Égine « règne sur la mer dorienne », v. 123-124 : Δωριεϊ I μ[ε]8έοισα [πό]ντφ ; son destin fa it d ’elle la « sou­veraine des flottes », v. 130-131 : ναυπρύτανιν δαίμονα : la réalité géo­graphique et historique est donc à, l ’origine de la création m étapho­rique ®.

On peu t adm ettre un lien analogue en tre le dom aine de la réalité et celui du symbole dans la X® Olympique^ adressée à Agésidame, citoyen d ’une ville côtière, Locres Épizephyréenne. L ’ode, de l ’aveu m ême de P indare, n ’a été composée q u ’assez longtem ps après la victoire de son destinata ire^ : conscient de ce tte d e tte prolongée— V. 6-7 : &<αθεν γάρ έπελθών ô μέλλων χρόνος | έμόν καταίσχυνε βαθύ χρέος — le poète a du moins la certitude q u ’en s ’acq u ittan t de ses in térê ts il parv iendra à, désarm er la critique —■ v. 8-9 : ομως 8έ λϋσαι δυνατός ό|ξεϊαν έπιμομφάν τόκος θνα|τών — et ce tte idée est reprise aux vers suivants, mais enrichie de la paru re de l ’image :

vOv ψδφον έλισΰομέναν όπήό κϋμα κατακλύσσει ρέον.

V. 9-10.

« à présent la vague en passant peut submerger^ le galet qui roule ».Le passage est un des plus in téressants qui soient pour apprécier

la création des m étaphores chez P indare, e t le rôle que peu t y jouer

1. Sur les termes de la famille de ροθεϊν, voir p. 169.2. ρόθος, ροθεϊν, etc., sont en. effet souvent utlisés pour évoquer cris, gronde­

ments, ou simplement paroles (voir p. 169). Dans VIliade les murmures ou les clameurs des Achéens sont comparés au bruit des vagues qui déferlent sur le rivage (II 207-210, 394-397). Et chez Eschyle, Tydée, qui gronde comme la mer {Sept 377-378), envoie vers le ciel des paroles « bouillonnantes », v. 443 : κυμαίνοντ’ ’έπη ; κυμαίνοντα fait allusion à la fois au sentiment d’orgueil qui les soulève — ές οόρανόν | πέμπει — et au bruit qu’elles produisent.

3. Voir à ce propos R. F. Renehan, p. 225 s.4. Sur ce retard, voir G. Gaspar, p. 107 s.5. On considère, à la suite de F. Mezger (p. 427), vüv δπ^ comme l’ellipse de

vüv ίστιν δπ^, synonyme de νϋν ίστιν 6πως ; sur le problème de la construction des v. 9-12, voir G. van Niekerk-Viljoen, p. 52 ss.

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un m ot am bigu, comme ici ψάφον (v. 9), qui se trou've à. la base de to u t le développem ent imagé. Le te rm e v au t en prem ier lieu dans le dom aine du commerce : Locres é ta it une ville com m erçante ac­tiv e , et quand le poète parle de « dette » (v. 7 : χρέος) et d ’ « intérêts » (v. 8 : τόκος), il est assuré de se faire entendre de ceux à qui il s’adresse^ ; ψάφον se situe dans la m ême lignée et d é s i r e le caillou qui sert à com pter, rÎD.strument de calcul ; mais P indare a p u songer égale­m ent à l ’u tilisation de ψάφος dans les votes et à l ’idée de d e tte est ainsi venue se superposer celle de jugem ent, de blâm e, de condam ­nation : à χρέος (v. 7) répond έπιμομφάν (v. 8)^. Ce double aspect de ψάφος, à, la fois com m ercial e t judiciaire, n ’est p o u rtan t pas le seul qui ait re ten u l ’a tten tio n du poète ; car ψάφος est en prem ier lieu le galet qu ’on tro u v e dans les fleuves ou au bord de la m er ®, et c ’est cet au tre sens du term e qui a à son to u r appelé l ’im age de la vague* : de même q u ’une vague en tra îne avec elle le galet q u ’elle rencontre, e t le fait d ispara ître, de m êm e l ’ode enfin composée doit m ettre un te rm e à la d e tte et par là, à, to u t m otif de blâme®.

L a question se pose toutefois de savoir à quel ty p e de vague son­geait P indare. F . Dornseiff®, L. R. F a rn e ll’, G. M. Bowra® inclinent à penser qu ’il s ’agit de la vague d ’un torrent®, et M. B ernbard, qui adop te égalem ent ce tte in terp ré ta tion , vo it dans ψάφον les alluvions qui se sont déposées dans le lit du fleuve et que la vague chasse à présent avec d ’a u ta n t plus de force qu ’elle a été re tenue plus long­temps^®. D ’autres considèrent qu ’ü s’agit d ’une vague de la m er : ainsi les scbolies —· 13 A (D R I, p. 311) : παραβάλλει 8έ άλληγορών

1. Voir G. Fraccaroli, p. 292 s. ; G. van Niekerk-Viljoen, p. 51 ; pour une étude du vocabulaire commercial dans ce passage, voir E. Turolla, Simbolismà e poesia nelV E pinicio pindarico (Giorn. Ital. d. Filol. 9, 1956), p. 199 ss.

2. Sur cette équivalence, voir W. Schadewaldt, Der Aufbau des pindarischen E pinikion , p. 278, n. 1.

3. Cf. 01. X III 46 b : ποντιδν ψάφων ; voir p. 230.4. Sur cette ambiguïté de ψάφος et son rôle dans la genèse de la métaphore,

voir W. Hea:dlam, p. 436 ; E. Turolla, p. 200, n. 13 ; G. Perrotta, Pindaro, p. 278 ;G. van Niekerk-Viljoen, p. 51 s.

5. Sur cette double équivalence, voir G. van Niekerk-Viljoen, p. 48 s. ; F. Dorn- seifî, Pindars Olympische Hymnen, p. 83 ; L. Wolde, p. 276, n. 3. Si l’on admet l ’équivalence χρέος = ψάφον, le βαθύ du, v. 7 peut même être interprété comme une anticipation sur l’image des y. 9-10, l’idée de profondeur valant d’abord en relation avec la notion de temps, ensuite avec celle de lieu : la dette est « pro­fonde », le galet est au fond. Voir à ce propos E. Wüst, p. 261.

6. F. Dornseiff, Pindars Olympische Hymnen, loc. cit. ; P indars Stil, p. 62 ; Pindar, übersetzt und erlaütert, p. 94.

7. L. R. Farnell, A critical commentary to the works of P indar, p. 80.8. C. M. Bowra, Pindar, p. 19.9. Telle est l’image qui, chez Gratines, évoque la puissance de l’inspiration

poétique ; frg. 187 E, v. 1-3, v. 5 : άπαντα ταϋτα κατακλύσει ποιήμαιϊιν.10. Μ. Bernhard, p. 66.

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τφ της θαλάβσης ρεύματι. τήν έαυτοϋ δύναμιν ; 13 Μ (D R I, ρ. 312) : τό της θαλάσσης κΰμα — e t parm i les com m entateurs Ο. Goram^, G. A. M. F ennelP , J. H. Finley®. Une troisièm e hypothèse m érite un examen spécial : celle de G. Norwood, selon qui il y au ra it ici un souvenir de l ’évocation, au chan t X X I de VIliade, du jard in ier qui irrigue sa te rre : V . 257-262 : ώς S’ δτ’ άνήρ όχετηγός άττό κρήνης μελανύδρου | αμ φυτά καΐ κήπους ΰδατι, ρόον ήγεμονεύη | χερσί μάκελλαν 2χων, άμάρης έξ ^χματα βάλλων · | τοϋ μέν τε προρέοντος ύπο ψηφίδες οίπασαί | οχλεϋνται · τό δέ τ’ ώκα κατειβόμενον κελαρύζει | χώρω ένΙ προαλεϊ, φθάνει δέ τε τον άγοντα κτλ. Ψδίφον désignerait donC dans la X® Olympique les graviers (cf. II. X X I 2 6 0 : ψηφίδες) entraînés dans les canaux d ’irrigation p a r le courant {II. X X I 2 5 8 : ρόον) que dirige Γάνήρ όχετηγός, auquel s’identifiera it ici P indare. G. Norwood voit une raison supplém entaire de croire à, ce tte influence d ’Homère sur P indare dans le fa it que celui-ci, lors du récit qu ’il consacre plus loin à, la m ort d ’Augias, emploie le su b stan tif οχετός pour dépeindre F « abîme d ’infortune » où le ro i Voit sa cité brusquem ent plongée : V. 38-39 : βαθύν εις οχετόν δτας | ί'ζοισαν εάν πόλιν. C ette in terp ré­ta tio n est suivie p a r É. des Places ®, W . R. H ardie ® — qui rapproche de surcroît le άγοντα de II. X X I 262 du άγων de Ném. V II 6 2 ’ —■ et dans une certaine m esure p a r G. van Niekerk-Viljoen

L ’hypothèse de G. Norwood, en réalité , est difficilement défen­dable : si on laisse de côté les sim ilitudes de vocabulaire —■ II. X X I 258 : ρόον, 260 : προρέοντος ; 01. X 10 : ρέον ; II. X X I 260 : ψηφίδες ;01. X 9 ; ψαφον — qui n ’ont pas valeur de preuve absolue, l ’objection m ajeure tien t à une question de convenance en tre l ’image e t l ’idée ; com m ent adm ettre , en effet, que, pour suggérer l ’élan to u t-pu issan t d ’une inspiration que rien ne peu t arrê te r, P indare se soit référé à une scène où l ’eau ap p a ra ît dirigée, canalisée? Ne sent-on pas à cpiel po in t ce tte im age serait faible et im propre à dépeindre la vio­lence avec laquelle s ’impose à, son esprit le devoir de chan ter Agési- dam e? La ressem blance en tre όχετηγός {II. X X I 257) et οχετόν {01. X 38), q u an t à. elle, ne perm et pas de conclure à, une quelconque influence d ’Homère sur le m y the d ’Augias, puisque dans VIliade il

1. O. Goram, p. 272 s. Voir aussi infra, p. 243.2. C. A. M. Fennell, P indar’s O lym pian and Pythian Odes, p. H I. Voir aussi

infra, p. 243.3. J. H. Finley, P indar and Aeschylus, p. 120.4. G. Norwood, Pindar, p. 112.5. É. des Places, Pindare et Platon, p. 29 s.6. W. R. Hardie, M etaphor and allusive language in greek lyric poetry (Class.

Rev. 5, 1891), p. 193.7. Voir p. 237 s.8. G. van Niekerk-Viljoen (p. 50), qui rejette l’image du fleuve parce qu’il

la juge disproportionnée à celle d’un simple ψάφος.

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s’agit d ’un simple canal d ’irrigation, alors que chez P indare βαθύν suggère une to u te au tre dimension et δτας une signification to u te différente^ ; et à. supposer qu ’il y a it eu im itation d ’Homère par P in ­dare dans le m ythe, on ne sau rait en tire r argum ent pour les V. 9-10, qui n ’ont avec ce m y the aucun rapport.

Si l ’on re je tte l ’hypothèse de G. Norwood, on se tro u v e ram ené à un choix inévitable en tre l ’image du fleuve et celle de la m er. Il semble bien que ce soit à, ce tte dernière que P indare a songé, non seulem ent parce que, pour trad u ire la puissance, voire la violence, de l’inspiration, la vague m arine dans to u te son am pleur est un sym ­bole plus adéquat que la vague d ’un fleuve, mais aussi parce que Agésidame est citoyen d ’une ville de la côte et que P indare cherche tou jours dans ses odes à exprim er les réalités de son a rt dans le langage le plus propre à être en tendu de ceux pour qui il écrit Encore convient-il, à p a r tir du m om ent où l ’on adopte ce tte in te r­p ré ta tion , de ne pas raffiner sur l ’image et de ne pas la com pliquer en y in tro d u isan t des éléments dont elle peu t m anifestem ent se passer, comme le fait G. A. M. Fennell, qui voit dans ces V. 9-10 une allusion aux graviers qui se sont accumulés tand is que le vent soufflait dans une direction, e t qu ’une vague poussée p ar un vent contra ire balaie à présent comme le fait aussi 0 . Goram, aux yeux de qui l ’image d ’un galet laissé au sec p a r une vague et subm ergé p a r la su ivan te s ’explique p a r une représentation du tem ps à. l ’image de la m er^. Ce sont là des raiFmements qui ne contribuent qu ’à, obscurcir l ’évocation : eïi réalité , il n ’y a dans ces vers que la vision, d ’une grandiose sim plicité, d ’une h au te vague déferlant sur le rivage e t subm ergeant tous les galets qu ’elle tro u v e sur son passage®.

L ’image dans son ensemble a le m érite d ’être pleinem ent sugges­tiv e sur le p lan de l ’évocation visuelle et auditive, avec ses tro is verbes qui concourent à créer l ’impression d ’un m ouvem ent intense : έλί,Λσομέναν (v. 9), κατακλύβσει e t ρέον (v. 10) ; έλίβσεσθαι., qui dé­signe dans Ném. VI 55 : τό... έλ!.σ|σόμενον... κυμάτων le roulis de la vague elle-même®, dépeint p ar extension le m ouvem ent du galet

1. Voir sur ce point G. van Niekerk-Viljoen, p. 52, n. 86 ; A. L. Keith (p. 98) voit à tort dans οχετόν l’image d’un abîme marin.

2. Voir p. 15 s., p. 232 s., p. 333.3. G. A. M. Fennell, loc. cit.4. O. Goram, loc. cit. : « tempus cum m ari comparatur, cujus recessus hic ap­

parat ».5. On n’aura pas manqué d’être frappé par la diversité des traductions don­

nées à ψαφον : « alluvions », « graviers », « caillou » ou « galet ». C’est ce dernier sens qu’on a adopté ici, étant entendu que ψαφον doit être considéré comme un véri­table singulier quand Pindare l’emploie au sens figuré (voir p. 240 s.) et comme un singulier collectif quand il songe aux galets du rivage que la mer submerge.

6. Voir p. 244 ss. ; de même dans la VIII® Isthmique le temps creuse de vagues le cours paisible de la vie, v. 15 ; έλίσοίων βίου πόρον (voir p. 192 ss.).

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qu’elle en traîne dans son é lan ^ ; et κατακλύζειν quan t à, lui ajou te à l ’idée de rap id ité évoquée par ρέον celle de la violence du défer­lem ent — que suggère égalem ent, p a r les sonorités, la répétition du κ dans κϋμα κατακλύσσει^ — comme il arrive chaque fois que le term e figure dans un contex te m aritim e : Eschl., Sept 1076-1078 lyr. : μηδ’ άλλοδαπω ] κύματι φωτών | κατακλυσθήναι ® ; E ur., Or. 344-345 lyr. : κατέκλυσεν δεινών πόνων ώς πόντου | λάβροις όλεθρίοιβιν έν κύμασινMais la valeur descriptive des détails n ’exclut pas leur parfa ite con­venance aux idées qu’ils exprim ent : il y a dans la double correspon­dance qui u n it l ’image du galet à, l’idée de blâm e, et celle de la Vague au thèm e des pouvoirs de la poésie, un équilibre ra rem ent a tte in t en tre l ’élém ent im agé et l’élém ent in tellectuel ; si la n a tu re est ici, comme souvent ailleurs, sollicitée pour son ap titu d e à, trad u ire des réalités intérieures, elle ne leur est aucunem ent sacrifiée, e t la coïn­cidence est p arfa ite en tre l ’expérience in terne et le m onde extérieur des objets®.

C’est là, une caractéristique que l ’on re trouve dans la VI® Né- méenne, à, ceci près que la vague y est vue non plus de la côte, mais du bateau .

το δέ πάρ ποδί ναός έλισ- σόμενον αΐεΐ κυμάτων

λέγεται παντί μάλιβτα δονεϊν θυμόν.

V. 55-56.

« mais Ια vague qui roule auprès du gouvernail est celle qui, dit-on, cause toujours le plus de trouble au cœur ».

La m étaphore de la vague, qui est liée ici à celle du gouvernail®, ne peu t être appréciée avec exactitude que p a r référence au con­te x te ; de fa it, la dernière triad e de la VI® Néméenne p résente du point de vue des images quelques particu larités dignes d ’être sou­lignées. La prem ière strophe s’ouVre sur l ’image des larges chemins qui s ’offrent de tou tes p arts aux poètes désireux de célébrer Égine,

1. Ou, en d’autres passages, des êtres en proie à la « vague du malheur », voir Eur., Ion 1503 lyr. (p. 190). Sur les divers emplois littéraux de έλίσσεσθαι, voir p. 195.

2. Voir sur ce point W. Stockert, p. 7.3. Voir p. 116, p. 262.4. Sur les v . 340-345, voir p. 129, p. 267 s. ; voir aussi Archil., frg. 7 D, 3-4 ;

τοίους γάρ κατά κϋμα πολυφλοίσβοιο θαλάσσης | Ικλυσεν ; pour l’alliance de κατακλύ- ζειν et de ρεΐν, voir Bur., Tro. 994-996 : τήν Φρυγών πόλιν | χρυσφ ρέουσαν ήλπισας κατακλύσειν | δαπάναισιν ; cf. aussi, dans un contexte différent, Plat., Jiéj?. 473 C ; 492 C.

5. Voir à ce propos G. van Niekerk-Viljoen, p. 52 ; E. Turolla, p. 203.6. Sur ποδί {v. 55), voir p. 141 ss.

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pa trie du destinata ire de l ’ode Alcimidas : v. 45-46 : πλατεΐαί | παντόθεν λογίοισιν έντί πρόσοδοι | νασον εύκλεδ τάνδε κοίσμεϊν’ . G’est que les Éacides leur ont fourni une am ple m atière et, pour évoquer la gloire de ce tte illustre descendance, P indare recourt à, une seconde im age qui est encore liée à celle du chemin, mais qui l ’élargit en la prolon­geant sur m er : v . 48-49 : πέτεται. δ’ έπί τε χθόνα καΐ | διά θαλάσσας τηλόθεν | δνυμ’ αύτών Suit un em bryon de récit m ythique, re traçan t la lu tte d ’Achille et de Memnon, qui couvre la fin de la strophe et le débu t de l ’an tis trophe (v. 49-53), et à, l ’issue duquel P indare re ­v ient au thèm e de la célébration des Éacides p ar les anciens poètes, e t à, l ’image de la « foie carrossable » que ceux-ci ont suivie et que lui-m êm e em prunte à, son to u r : v. 53-54 ; καί | ταϋτα μεν τταλαιότεροι I οδόν άμαξιτόν εδρον. £πο| μαι 8έ καΐ αύτός ^χων μελέταν E t c’est p ré­cisém ent à ce tte évocation que fait su ite la double image de la vague e t du gouvernail*, p a r laquelle P indare aborde l ’éloge du vainqueur Alcimidas.

On reconnaît là certains traits famüiers au lyrique, et en premier lieu l’usage, à propos des réalités de son art, d’un vocabulaire méta­phorique mettant au premier plan la notion de mouvement : v. 48 : πέτεται ; v. 54 : έπομαι ; V . 55 : έλισσόμενον ; ce Vocabulaire se situe successivement dans le registre terrestre — v. 45 : πλατεϊαι | ... πρόσ­οδοι ; V . 54 : όδον άμαξιτόν — et dans celui de la mer — v. 55 : κυ­μάτων — et la manière abrupte dont Pindare passe ici de l ’évocation de la « (>oie carrossable » (v. 53-54) à celle des vagues (v. 55-56) n’est pas sans rappeler la transition de la XI® Pythique, où la crainte d’aller trop loin dans le mythe est traduite par l’image du char qui quitte la piste (v. 38-39 ; άμευσιπόρους τριόδους, ορθάν κέλευθον) avant d’être matérialisée par celle de la barque qui s’égare (v. 39 b- 40 : ή μέ τις άνεμος κτλ,)®. Enfin, les V. 48-49 ont dans le domaine imagé la fonction unificatrice de rassembler en une seule vision les deux éléments distincts dans l’ensemble du passage : c’est έπΙ χθόνα que se situent les πλατεϊαι πρόσοδοι et 1’όδόν άμαξιτόν, et c’est διά θαλάσσας que roulent les κύματα®.

L a place des images est égalem ent caractéristique : car dans les odes de P indare, les m étaphores — q u ’elles soient m aritim es ou non — se situen t le plus souvent à un point de ru p tu re dans le dé­veloppem ent, e t to u t particulièrem ent au début et à la fin du récit

1. Sur l’image du chemin, voir p. 24 ss.2. Voir p. 28.3. Voir p. 25, n. 5.4. Sur cet ensemble d’images, voir W. Mullen, p. 489 s.5. Sur Pyth. XI 38-40, voir p. 33 s., p. 183 s.6. Voir sur ce point H. Disep, p. 106.

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m ythique^. Or ici le m ythe très b ref d ’Achille et de M emnon (v. 49- 53) est in tro d u it p a r les deux images des chem ins (v. 45-46) et du « vol » de la gloire des Éacides (v. 48-49), e t clos p a r la seconde image du chem in (v. 53-54) ; l ’im age de la vague (v. 55-56) a égalem ent ime valeur dynam ique : elle sert à passer de l ’éloge des Éacides à. celui d ’Alcim idas^. C ette situ a tio n de l ’image, qui déterm ine sa fonction, perm et du m êm e coup de définir le sym bolism e de κϋμα au V. 55 ; m ais, pour ce faire, des référeïices s’im posent à. d ’au tres odes, et su rto u t à, la seconde tr iad e de ce tte m ême VI® Néméenne. Dans la VII® Isthmique, la double image du char e t des ondes de la poésie — y. 18-19 ; δ τι μή σοφίας άωτον dtxpov | κλυταϊς έπέων ροαϊ|σίν έξίκηται ζυγέν — se situe au m om ent où P indare passe de la célébration des gloires trad itionnelles de Thèbes (v. 1-15) à l ’éloge de S trepsiade (v. 20 ss.)®, ou, si l ’on préfère, laisse là, le passé pour se pencher sur le p résent ; dans la XIII® Olympique, l ’image du vais­seau en m ission — v. 49 : ϊδιος έν κοινφ σταλείς — exprim e une op­position sem blable, grâce à l ’an tithèse ϊδιος-κοινφ, en tre le p résent —' c ’est-à-dire les Victoires de X énophon (v. 24-40) — et le passé— c’est-à-dire l ’ensemble des gloires m yth iques de Gorinthe (v. 52 ss.)*. I l en v a de même, dans la seconde tr iad e de la VI® Néméenne, pour l ’évocation des Bassides, « race célèbre depuis longtemps, et qui fait voguer à présent ses propres louanges », v. 32-33 : παλαίφατος γενεά, | Ï8ta ναυστολέοντες έπι|κώμια : car si παλαίφατος se réfère à la gloire passée de la famille, ïSta vise la récente victo ire d ’Alcim idas, qui ap p artien t en propre à la génération actuelle®. Dans ces tro is p as­sages®, la m étaphore se situe donc au poin t de jonction en tre le passé — m ythique ou non —■ et l ’a c tu a lité ; e t te l est aussi le cas de celle de Ném. V I 55-56 : alors que l ’image du chem in, aux v. 53- 54, ap p artien t au passé — v. 53 ; παλαιότεροι — et se réfère au m ythe évoqué au p a rav an t, l ’im age de la vague des v. 55-56, qui s ’y op­pose (δέ), appartien t au présent et annonce le développem ent qui v a suivre sur la victoire d ’Alcimidas (v. 56 ss.) ; laissant le passé —· V. 32 : παλαίφατος — aux anciens —■ V. 53 : παλαιότεροι — P in­dare v a se consacrer aux ϊδια έπικώμια^ du vainqueur. A bord du

1. Voir p. 329 s. ; l ’exemple le plus typique à cet égard est celui de la X ^ P y- thique, v. 27-31, voir p. 68 ss. ; v. 51-52, voir p. 44 s.

2. Voir W. Schadewaldt, -Der A ufbau des pindarischen E pinikion , p. 267.3. Voir p. 238 s.4. Voir p. 36 s.5. Voir p. 37 s.6. Auxquels on peut joiadre également Ném. V 50-52, qui se place au moment

où Pindare abandonne l’éloge de Pythéas pour celui de son grand-père Thémis- tios. Voir p. 49 ss.

7. La parenté des deux passages a été bien soulignée par H. Jurenka, Pindars sechste nemeisches Siegeslied, p. 358.

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vaisseau de la poésie dont il tien t le gouvernail, le pilote ne s ’in ­téresse pas aux Vagues les plus lo in ta in es; seule com pte pour lui celle qui, surgissant à la poupe, risque de subm erger son b â tim en t e t dont la p roxim ité le bouleverse : ce tte émotion qu ’elle suscite au plus profond de lu i sym bolise l’in té rê t passionné que prend le poète à, la célébration im m inente de l ’a th lè te victorieux ; et si κυ­μάτων est ici considéré dans ses effets psychologiques, alors que κϋμα dans 01. X 10 est sim plem ent évoqué dans sa réalité m atérielle, la violence du m ouvem ent est la même, et δονεΐν (IVém. V I 56) sug­gère avec la m êm e force que κατακλύασει (01. X 10) l ’élan qui pousse irrésistib lem ent le poète à, chan ter la Victoire^.

Comme dans la X® Olympique, une réalité proprem ent in terne— celle de l ’insp iration poétique — est dépeinte par un élément ap p a rten an t au m onde ex térieur —■ la vague — comme si elle é ta it véritab lem ent ressentie du dehors, en quoi l ’image de la vague dont le nav ire éprouve l ’a tte in te soudaine s’apparen te à celle du ven t dont le souffle b ru ta l pousse — Ιβαλεν — la barque έξω πλόου (Pyth. X I 39 b-40)®. E n outre , des élém ents ap p a rten an t au tem ps sont ici représentés p a r un vocabulaire suggérant l ’espace, puisque les gloires plus ou moins anciennes sont symbolisées par des vagues p lus ou moins lointaines. Mais l ’essentiel est en définitive que dans ce tte ode adressée à un insulaire l ’im agination de P indare soit cons­tam m en t dem eurée soum ise à une expression imagée inspirée de la m er : que ce soit dans l ’im age du « vent glorieux » soufflé p ar la Muse sur la famille des Bassides (v. 28-29)®, dans l ’identification de ses titre s de gloire aux vaisseaux qui parcourent les mers (v. 32- 33) dans l ’évocation des im m ensités m arines que franchit sa re ­nom m ée (v. 48-49) ou dans la double m étaphore finale du gouver­nail e t de la vague (v. 55-56), l ’a ir m arin est p arto u t.

E n tre l ’ém otion artis tiq u e et l ’émotion proprem ent dite, il n ’y a pas de différence de n a tu re ; aussi ce tte dernière est-elle également suggérée en grec p a r l ’im age de la vague. D éjà chez Homère la vague est parfois représentée pour l ’ém otion qu’elle fait na ître ou q u ’elle traduit® : la vague qui fond sur le vaisseau au chant XV de VIliade —■ V. 624 ; δτε κϋμα θοη έν νηΐ πέσησι —· suscite une peur im m édiate au cœ ur des m atelo ts — v. 627-628 : τρομέουίι U τε φρένα ναϋται I

1. Sur cette valeur symbolique de κϋμα dans la VI® Néméenne, voir H. Ju- reaka, loc. cit. ; G. Perrotta, Pindaro, p. 49 ; L. Wolde, p. 328, n. 18 ; M. Bera- hard, p. 91.

2. Sur l’image du veut dans ce passage, voir p. 183 s. ; sur la représentation « extérieure » du sentiment, voir p. 173 ss.

3. Voir p. 181 s.4. Voir p. 37 s.5. Voir à ce propos H. Storch, p. 243.

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δειΒιότες^ ; et la lam e sourde — II. X I V 16 : κύματι κωφφ — ■ de même que la vague noire —■ II. IX 6 : κϋμα κελκινόν —■ sym bolisent l ’agi­ta tio n psychique de N estor et des Achéens au m om ent de prendre une décision d ’im portance^.

Chez P indare, le verbe κυμαίνειν tra d u it dans la IV® Pythique l ’ardeur de la jeunesse : V. 158 : σόν 8’ άνθος ήβας άρτι κυ|μαίνει; deux m étaphores distinctes sont ici en présence : la m étaphore de la fleur — · άνθος — qui suggère l ’éclat de Jason®, la m étaphore de la vague, qui tra d u it l ’idée d ’une ardeur bouillonnante, comme celle d ’Échion et d ’É ry tos, que suggère au V. 179 l ’expression κεχλά-j δοντες de même, dans un passage du IV® Éloge, où sont exaltés les pouvoirs de séduction du jeune Théoxène, κυμαίνεσθαι évoque le bouillonnem ent d u désir, V. 2-4 : τάς 8έ Θεοξένου άκτϊ|νας πρός δσσων μαρμαφύζοισας δρακείς | δς μή πόθφ κυμαίνεται, έξ άδάμαν|τος ή σιδάρου κεχάλκευ|ται μέλαιναν καρδίαν | ψυχρ φλογί κτλ. C ette im age Se re ­tro u v e p a r ailleurs dans des genres très divers, pour trad u ire la violence du désir (H érond. I 56-57 : έκύμηνε | τά σπλάγχν’)®, du p lai­sir (Archil., frg. 49 D, 1-2 : ύφ’ ήδόνης | σαλευμένη) OU de sentim ents tels que l ’orgueil (Eschl., Sept 443 : κυμαίνοντ’ ^πη)® ou la colère (Ti- m oth ., P ers . 190 : κυμαίνων τύχαισιν ; P la t., L o is 930 A : έάν δ’ al ψυχαΙ κυμαίνωσιν).

C’est dans la tragédie, no tam m ent chez Eschyle, que la m éta ­phore de la vague exprim e avec le plus d ’am pleur l ’assaut d ’une ém otion intensém ent ressentie, voire d ’une véritab le c r ise ’ : ainsi, dans les Choéphores, la violente émotion qui saisit É lectre à la Vue de la boucle des cheveux d ’Oreste est représentée comme une vague qui fond b ru ta lem en t ; V. 183-186 ; κάμοί προσέστη καρδίαν κλυδώνιον [ χολής, έπαίθην δ’ ώς διανταίφ βέλει· | έξ ομμάτων δέ δίψιοι πίτττουσί μοι [ σταγόνες άφρακτοι δυσχίμου πλημυρίδος ; le troub le profond du personnage se tra d u it ici p a r un vocabulaire qui convient à. la fois

1. Sur l’ensemble des v. 624-629, voir p. 9.2. Sur ces deux textes, voir p. 171 s.3.' Voir aussi 01. I 67 : εύάνθεμον... φυάν ; Isthm. VII 34 : εΰανθέ’... άλικίαν ;

Pyth. IX 110 ; Ήβας | καρπόν άνθήσαντ’.4. Certains voient dans le v. 158 une image unique, concevant κυμαίνέιν

comme une métaphore végétale, au sens de « gonfler », « bourgeonner » : ainsi B. A. van Groningen, Pindare au banquet, p. 56 ; mais on s’accorde en général à admettre que κυμαίνειν est bien ici un terme maritime — Schol. 281 A (DR II, p. 135) :κυμαίνει· άπό των κυμάτων ή μεταφορά — et que l’image est double : voirO. Goram, p. 269 ; H. Schultz, p. 60 ; F. Dornseiff, P indars Stil, p. 67 ; H, Disep, p. 90; G. M. Bowra, P indar, p. 269, etc.

5. Voir aussi Eur., H ipp. 443 : Κύπρις γάρ ού φορητός, ήν πολλή ρυγ] ; Cere., frg. 2 a D, 9 : λαμυράς πόθων άέλλας.

6. Voir p. 240, η. 2.7. Voir à ce propos J. Kahlmeyer, p. 19 ; H. Mielke, p. 56.

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aux m ouvem ents internes de l ’organism e — comme προσέστη (y. 183), qui a chez H ippocrate une valeur m édicale {Aff. 14 : L V I, 222 : ήν Sè προσίστηται, πρός τήν καρδίην χολή ; Aff. int. 28 : L V II, 240 : καΐ χολήν μάλιστα προσίστησι, πρός τό ήπαρ)ΐ, OU πλημυρίδος (ν. 186), te rm e à, coloration m édicale lui aussi — et à, ceux de la mer, κλυδώ- viov (v. 183) suggérant la houle qui v ien t heu rte r un navire^ ou qui, de façon plus générale, déferle sur to u t obstacle qui s’oppose à, elle, plage, digue, e t c . . . 8. De même, dans les Euménidés, le fu­rieux accès de rage des É rinnyes est com paré à une vague noire dont on les inv ité à, apaiser la fougue : v. 832 : κοίμα κελαινοϋ κύματος πικράν μένος

L ’exemple le plus caractéristique est cependant, dans le Promé- thée, l ’évocation de la crise de démence qui frappe lo : après s’être com paré à un vaisseau auquel le « coup dé vent » de la folie fait b ru s­quem ent perdre son cap — v. 883-884 : 2ξω 8έ δρόμου φέρομαι λύσσης I ττνεύματι μάργω γλώσοης άκρατής® —■ le personnage enchaîne sur une au tre im age m aritim e en disant que « ses paroles troubles frappent en désordre les vagues d'un mal hideux » : v. 885-886 : θολεροί δέ λόγοι παίουσ’ εΐκη | ΰτυγνής προς κύμασιν άτης. L ’image est fort difficile à analyser®, et l ’explication q u ’en a donnée 0 . B ecker‘S est la plus convaincante de tou tes celles qu ’on ait ten tées à, ce jour : le tab leau , en fait, se situe sur deux plans, l ’un ab stra it — v. 885 : λόγοι ; v, 886 : &της — l ’au tre im agé — v. 886 : κύμασιν — , un term e comme θολεροί v a lan t dans les deux registres ; l ’im age est celle d ’un vaisseau sur une m er déchaînée, dont les avirons b a tte n t les vagues de façon dé­sordonnée — V. 885 ; είκή — : παίειν p eu t en effet être employé pour évoquer le b a ttem en t des ram es dans l ’eau (Eur., Iph. Taur. 1391 ; ^παισαν άλμην), et l ’on a VU d ’au tre p a rt que les m ouvem ents de la langue sont parfois com parés à, ceux des avirons (Denys Ghalc.,

1. Voir aussi Morh. II 5 (L VII 12). On rapprochera de Cho. 183-186 A g. 1121-1122 lyr. : έπΙ δέ καρδίαν ëSpaμε κροκοβαφής | σταγών.

2. J. de Romilly, p. 32 ; Ή. Mielke, p. 156 ; J. G. Hansea, p. 88.3. D. van Nés, p. 55. L’agitation intérieure d’Électre est encore traduite

quelques vers plus bas par l’image maritime de la tempête (v. 201-203), d’ail­leurs préparée par le δυσχίμου du v. 186 ; voir p. 287.

4. Voir D. van Nés, p. 64 ; pour cet emploi de κοιμδν, voir Hom., Od. XII 169 : κοίμησε δέ κύματα δαίμων ; au v. 840 lyr. la rage des Érinnyes est représentée par l’image du vent : τινέω τοι μένος κτλ. Peut-être Pro. 189-190 lyr. suppose-t-il aussi l’image de la vague — cette fois de la colère — qui s’apaise : τήν δ’ άτέραμ- νον 1 στορέσας οργήν ; voir Ή. Mielke, ρ. 20 ; J. G. Hansen, ρ. 110. On rappro­chera cet emploi figuré de στορεννύναι de Simonid., frg. 88 a D, 2 ; Eur., Héracl. 702 ; Thuc. VI 18.

5. Voir p. 176 s., p. 184.6. J. G. Hansen pour sa, part (p. 107) renonce à toute tentative d’explica­

tion.7. O. Becker, Das B ild des Weges, p. 162, suivi par D. van Nés, p. 55 ; voir

aussi H. Mielke, p. 57 ; H. Disep, p. 160.

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frg. 4 D, 3 : είρεσίη γλώσσης)ΐ; dans le te x te d ’Eschyle, sous l ’effet des vagues de démence qui l ’assaillent e t la déséquilibrent^, lo, qui se représente elle-même comme γλώσσης άκρατής (v. 884), n ’est plus capable de m anier les avirons en cadence. Θολεροί (v. 885) est n a tu ­rellem ent à double en ten te : les paroles de lo sont troublées p a r la crise de folie, qui leur enlève to u te cohérence, to u te clarté, e t les « aA''irons » troub len t p a r leur action la surface de la m er^ ; par ce second sens proprem ent actif l ’emploi de θολερός s’apparen te à, celui qui, dans VAjax de Sophocle, évoque égalem ent la crise de folie qui terrasse b ru talem ent le personnage, représen té « én proie à une. tem­pête qui le trouble », v. 205-206 lyr. : Αίας θολερφ | κεϊται χειμώνι νοσήσας*. Mais la vision eschyléenne, qui semble n ’être conduite par aucun processus conscient et logique, est sans aucun doute plus saisissante, car dans Prométhée c’est l ’ém otion incontrôlable du p er­sonnage lui-même éprouvé qui est à l ’origine de la m étaphore et qui déterm ine son apparen te incohérence et son obscurité®.

C’est d ’ailleurs l ’image de la Vague qui pour trad u ire la crise de folie d ’A jax succède à, celle de la tem p ête (v. 205-206) et à celle du Vent (v. 257-258) ® dans la pièce de Sophocle : v. 351-352 lyr. : Ι'δεσθέμ’ οΐον άρτι κϋμα φοι,νίας ύπό ζάλης | άμφίδρομον κυκλεϊται ; sans doute est-ce ζάλη’ qui désigne ici la crise proprem ent d ite, alors que κϋμα fait p lu tô t allusion au m assacre q u ’elle a provoqué®; mais ce détail ne doit pas re ten ir l ’a tten tio n ou tre m esure : ce qui com pte, c’est la m anière dont cet ensemble de m étaphores em pruntées à la mer dom ine to u te la tragédie pour suggérer le déchaînem ent au cœ ur de l ’hom m e de forces m eurtrières qu ’il est im puissant à combattre®. Héraklès a lui aussi éprouvé le b ru ta l assaut de ce tte vague de dé­mence : E u t., Hér. 1091-1092 : ώς έν κλύδωνι καΐ φρένων ταράγματι | πέτιτωκα δεινω^®, et Oreste à l ’issue d ’une crise moins sanguinaire

1. Voir p. 45, n. 1.2. L’évocation s’oppose en cela à l’étrange métaphore de la « folie sans vagues »

du frg. 634 M : άβαλής θεόθεν μανία.3. H. Disep, loc. cit., rapproche de Soph., A nt. 590 lyr., où le vent trouble

la mer et fait surgir à sa surface le « sable noir » des profondeurs : κυλίνδει βυσσό- θεν I κελαινάν θϊνα ; sur les v. 582-593, voir p. 265 s.

4. Voir p. 280.5. Sur cet aspect des images chez Eschyle et l’expression des émotions vio­

lentes, voir H. Pfeufer, p. 109 ; W. B. Stanford, Aeschylus in his style, p. 129 s. ; sur les « alogische Bilder », voir plus précisément H. Mielke, p. 158 s. Sur l’image de la tempête qui, dans Prométhée, complète celle de la vague, voir p. 279 s.

6. Voir p. 280 s.7. Sur les emplois de ce terme, voir p. 296.8. L’épithète φοινίας (v. 351), rapporté à ζάλης, conviendrait donc mieux,

en fait, à κϋμα ; sur φοίνιος (Œ d.-roi 24), voir p. 263 s., p. 281.9. Sur cet ensemble d’images, voir p. 280 s.10. On aura remarqué l’alliance de l’imagé κλύδωνι. et de l’abstrait ταράγματι,

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mais to u t aussi violente d it sa joie de revoir un jou r serein après le déferlem ent de la vague : Or 279 : έκ κυμάτων γάρ αδθις αδ γαλήν’ όρώ^. La crise de Philoctète enfin, si différente soit-elle, est décrite p a r une opposition sem blable en tre la violence de son déchaînem ent e t le calm e qui lui succède : quand le personnage rappelle q u ’il s’est endorm i sur le rivage de Lemnos έκ πολλοϋ σάλου (Soph., Phil. 271), cela ne signifie pas, comme on l ’entend généralem ent, qu ’il a tro u v é le sommeil au sortir de la houle, mais à, l’issue de sa crise, lorsque la vague de son m al lui a laissé quelque répit®.

Ainsi les forces dont l ’homme ressent les effets au plus profond de lui-m êm e — q u ’il s’agisse de l ’élan d ’une inspiration to u te -p u is­san te ou de l ’assau t d ’une émotion qui peu t aller ju squ ’à la crise —■ tro u v en t dans l ’im age de la vague un m oyen d ’expression p articu ­lièrem ent ap te à, m ettre au prem ier plan la violence de cet assaut. Mais, si l ’hom m e est en lui-même un univers, il est aussi dans l ’u n i­vers une créatu re parm i d ’autres, soumise aux puissances supé­rieures du destin , e t souvent de l ’adversité. E t là encore l ’image de la vague tra d u it son im puissance en face des forces qui le dom inent.

L a v a g u e d u d e s t i n , l a λ α ο π ε d u m a l h e u r .

Dans la XII® Olympique, le vaisseau des espérances hum aines s’ouvre un chem in sur une mer d’illusions vaines qui ta n tô t l’élèvent, ta n tô t l ’abaissent : v. 5 : πόλλ’ «ϊνω, τά 8’ αδ κάτω κτλ®. Ce tex te est sym bolique : si les Grecs ont vu dans l ’image de la vague im moyen propre à exprim er le thèm e de l’instab ilité du destin^, c’est qu ’à l ’ori­gine son m ouvem ent même leur paraissait une représentation idéale des h au ts et des bas, de la succession de bonheurs et d ’infortunes, qui caractérisen t l ’existence hum aine. Il est assurém ent des cir­constances où les affaires des hommes se présentent sous un aspect favorable, comme des vagues qui s’écoulent poussées par un vent propice : Théogn. 639-640 : πολλάκι πάρ δόξαν τε καΐ έλπίδα γίνεται εδ ρεϊν I ίργ’ άνδρών®; mais il ne fau t pas pour au tan t en tire r assu-

qui l’expliqpie ; sur cet aspect du style d’Euripide, voir H. Delulle, p. 26 ; E. Heitsch, p. 77. L’image était en préparation dans le passage où Lyssa com­pare les forces qu’elle va déchaîner dans le cœur du héros à la puissance des vagues : v. 861-863 : ουτε πόντος ουτω κύμασι στένων λάβροις | οΰτε γης σεισμός κεραυνού τ’ οίστρος ώδϊνας τινέων, | οΐ’ έγώ στάδια δραμοϋμαι στέρνον εις Ήρακλέους ; sur l’image antithétique du calme (v. 1048-1050 lyr.), voir p. 290.

1. Sur γαληνός, voir p. 290.2. Voir 0 . Becker, D os B ild des Weges, p. 196 ; A. Lesky, p. 236 s. ; le cadre

marin a inspiré la métaphore.3. Voir p. 127 ss.4. Voir O. Becker, Das B ild des Weges, p. 96.5. Pour ρεϊν, voir aussi Plat., Théét. 182 G ; Crat. 411 G, 439 G.

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rance pour l ’avenir : car au cours du voyage de Ja vie, changeants sont les souffles des vents, e t changeantes les Vagues q u ’ils en tra înen t ; « le temps, dans le déroulement des jours, fait sentir ses changements tantôt d'une façon, tantôt d ’une autre » : Isthm. I I I 19 : αίών 8έ κυλινδο- μέναις | άμέραις δλλ’ αλλοτ’ έξάλ|λαξεν^ ; les revirem ents de la ju s­tice, ceux du destin, on t la soudaineté des renversem ents de courants dans l ’Euripe : E ur. Él. 1155 lyr. : παλίρρους... Δίκα ; Hér. 738 lyr. : δίκα καΐ θεών παλίρρους πότμος ; et dans l ’univers to u te chose varie au gré de la fortune ; com., frg. anon. 200 E : όίπανθ’ όρώ | άμα τύχηρέοντα μεταπίπτοντά τε.

Cette idée, un passage de la I le Olympique l ’exprim e avec éclat :

poal S’ όίλλοτ’ δλλαι εύθυμιάν τε μέτα και

πόνων ές άνδρας ëêav.V. 37-38.

« certaines vagues, puis d'autres, viennent apporter aux hommes ou la joie ou l'épreuve ».

'Ροαί, qui s’est déjà, rencontré chez P indare pour évoquer les réalités de son a rt — Ném. V II 12 : ροαϊσι Mowâv ; 62 : ροάς ; Isthm. V II 19 : κλυταΐς έπέων ροαϊ|σιν® —■ ap p ara ît ici avec une signification beau­coup plus générale. Encore convient-il de préciser quelle im age le te rm e suggère exactem ent ; comme le rem arque G. A. M. Fennell^, il serait évidem m ent absurde de penser q u ’il désigne des marées®, puisque c’est là, un phénom ène quasim ent inconnu en M éditerranée ; il ne s’agit sans doute pas davan tage de courants : c’est un sens qui peu t convenir au term e dans la X I^ Néméenne^, mais que son con­te x te rend ici difficilement admissible, puisque P indare en fait le su jet d ’un verbe suggérant un m ouvem ent assez vif (v. 3 8 : ëêav), analogue à celui de la vague et que de surcroît l ’an tithèse εύθυμιάν- πόνων (v. 3 7-38), p ar l ’idée de la succession de hau ts e t de bas qu ’elle tra d u it, fa it n a ître la vision de vagues qui ta n tô t m ontent ta n tô t s’abaissent, comme au v. 5 de la X I P Olympique : πόλλ’ όίνω, τά δ’ αύ κάτω®. Si ροαί n ’im plique pas, de même que κϋμα ou κλύδων, une

1. Voir p. 196 s.2. Sur le thème de l’iastabilité du destin exprimé chez Euripide par ces images,

voir K. Pauer, p. 125 ; E. G. Berry, p. 31 s.3. Voir p. 236 ss.4. G. A. M. Fennell, Pindar's O lym pian and Pythian Odes, p. 31 ; voir aussi

J. van Leeuwen, Pindarus’ tweede Olympische Ode (Assen, 1964), p. 113.5. Cf. S. C. Shucard, p. 151 : « ebb and flow of the tide ».6. Ném. XI 47. Voir p. 256 s. ; de même dans Ném. VII 12, 62 et Isthm. VII

19 on peut traduire ροαί indifféremment par « courants » ou « ondes ».7. Cf. Soph., Traeh. 115 lyr. : βάντα (s. e. κύματα). Voir p. 253 s., p. 265.8. Voir p. 127 ss. et J. van Leeuwen, loc. cit.

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violente ag itation des f l o t s l a représentation qui s ’en dégage est néanm oins celle d ’une mer en m ouvem ent, soumise, comme dans la XII® Olympique^ ou les V il le et III^ Isthmiques^, à, l ’influence sou­veraine du ven t.

De fait, c ’est à l ’im age du vent et à sa signification sym bolique que renvoient ces V. 37-38 de la IJe Olympique ; comme l’image du vent, celle de la vague a ici pour fonction de trad u ire le thèm e des changem ents qui se font soudain sentir dans la destinée de l ’homme, ren d an t son avenir indéchiffrable^, et la formule αλλοτ ré ­pond à Isthm. IV 6 : άλλοτε 8’ άλλοϊος οδρος ; Pyth. I l l 105 : άλλοτε δ’ άλλοΐαι mocii · 01. V II 95 : &Χλοτ άλλοϊαι... αδραι® : c ’est dire comme ici encore elle est étro item ent liée à, la notion de tem ps et à celle du ry th m e q u ’il impose à l ’existence hum aine ® ; en outre, on re ­tro u v e à propos de ροαί un t r a i t m arquan t déjà, noté pour ο5ρος, ττνοαί, αδραι, etc., et qui est le caractère très général de l ’idée ex­prim ée : ce tte valeur proprem ent universelle de la réflexion est sou­lignée ici et p a r l ’em ploi de ές iXvSpaç (v. 38) ■—· qui est à m ettre sur le m ême plan que έπ’ άνδράσι {Isthm. V III 14), άνδρών [Pyth. I I I 106) ou πάντας ανθρώπους [Isthm. IV 6 ) — et par la présence d ’un aoriste gnom ique, ϊβαν —■ cf. Isthm. I I I 19 : έξάλλαξεν® — à, qui sa place à la fin de l ’an tistrophe donne un poids supplémentaire®.

n n ’y a pas lieu de voir dans l ’emploi de ce verbe une personni­fication des vagues : car dans la VIII® Olympique aussi P indare y recourt dans une phrase dépourvue de to u t élément m étaphorique, mais p résen tan t p o u rtan t une ressem blance certaine avec la formule de 01. I I 37-38, dont elle ne reprend d ’ailleurs que le côté favorable : v. 13 : άλλα S’ Ιπ άλλον εβαν | αγαθών ; et c ’est égalem ent sans aucune in ten tio n de personnification que Sophocle utilise βαίνειν pour évo­quer le m ouvem ent des vagues, dans un stasimon des Trachiniennes étonnam m ent proche de n o tre passage de la II® Olympique, v. 112-

1. Quoique ρεϊν soit parfois employé au figuré pour évoquer un. mouvement d’une certaine véhémence : Gratin., frg. 187 E 1 ; Ar., Cav. 526; Dém. XVIII 136, etc.

2. Voir p. 127 ss.3. Voir p. 192 ss.4. Voir sur ce point W. Schadewaldt, Der Aufbau des pindarischen E pinikion,

p. 299 ; H. Strohm, p. 62.5. Sur ces trois passages, voir p. 198 ss.6. Voir J. van Leeuwen, loc. cit. ; de là l’erreur de M. F. Galiano, qui donne

à άλλοτ’ άλλαι une valeur locale : p. 142 : « unas de una parte, otras de otra ». Sur l ’importance de la notion de temps dans l’image du vent, voir p. 207.

7. Voir p. 192 ss.8. Voir p. 196 s.9. Sur cette valeur générale des termes, voir J. van Leeuwen, p. 113, p. 456,

n. 221.10. Voir J. van Leeuwen, p. 113.

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119 lyr. ; πολλά γάρ ωστ άκάμαντος | ή νότου ?) βορέα τις | κύματ’ [αν] εΰρέϊ πόντφ | βάντ’ έπιόντα τ’ ϊδοι · | οΰτω 8έ Καδμογενή | [σ]τρέφει, τό S’ αΰξει βιότου | πολύπονον ώσπερ πέλαγος | Κρήσιον. Dans ce tte Vaste com paraison^, la succession des revers et des triom phes qui ont a l­te rn é dans la vie d ’Héraklès se tra d u it p ar l ’image de vagues qui se succèdent sans cesse — v. 115 : βάντ Ιπιόντα τ —■ et a tte ignen t un nageur^ : l ’uïie le détourne de son b u t —■ V. 117 : στρέφει — la su ivan te l ’élèVe sur sa crê te — V. 117 : αΰξει 3; βάντα (v. 115) ré ­pond ici au p indarique êêocv (01. I l 38), e t à l ’opposition établie chez le lyrique en tre εύθυμιδν et πόνων (v. 37-38) correspond chez le t r a ­gique l ’opposition en tre αΰξει et στρέφει (v. 117), qui tra d u it l ’idée to u te sem blable des hau ts e t des bas qui se rencon tren t non seule­m ent dans la vie d’Héraklès —■ car le personnage a ici une valeur exem plaire — mais dans celle de chacun^.

L ’image des Vagues changeantes t ra d u it donc dans la I le Olym­pique l ’idée des bouleversem ents im prévus qui éprouvent l ’existence des hommes dans leur ensemble, en quoi elle répond, com m e celle du vent, à une préoccupation essentielle du poète. Mais elle ne trouve sa pleine signification q u ’une fois replacée au sein de l ’ode, où elle occupe une situation to u t à, fa it originale.

La fin de la prem ière triad e in tro d u it en effet le thèm e qui Va dom iner to u t le développem ent des V. 21 à 49 : celui de l ’instab ilité du destin et des changem ents soudains qui affectent le cours d ’une existence. Ce thèm e se tro u v e to u t d ’abord considéré dans son as­pect favorable, e t les v. 21-24 évoquent les m om ents heureux où la joie succède à, la peine et où l ’action des dieux assure n o tre féli­cité : έσλών γάρ ύπό χαρμάτων ττημα θνάσκει | παλίγκοτον δαμασθέν, | δταν θεοϋ Μοίρα πέμττη j άνεκάς όλβον ύ|ψηλόν. C ette réflexion générale est illustrée p a r l ’exemple des filles de Gadmos, qui fournit la m atière du bref récit m yth ique des V. 24-33 : de Sémélé et d ’Ino qui, après avoir été durem ent éprouvées, connaissent à présent les délices de l’im m ortalité . A ux yeux de P indare, le m y th e tém oigne assez du caractère im prévisible des renversem ents de fo rtune (v. 34-36) et

1. Sur la question des grandes comparaisons dans la tragédie, voir p. 17, p. 265 ss. ; sur la signification de l’ensemble du passage, voir p. 265.

2. S. G. Rieger (p. 51) pense à tort à un navire et à un mouvement de flux et de reflux — « heranbrausen », « zurückweichen » — alors que les deux parti­cipes évoquent seulement la succession des vagues.

3. Au lieu de α?ρει — qui évoquerait pourtant mieux le gonflement de la vague — parce que le poète pense surtout à l ’honneur acquis par le héros.

4. On rapprochera également de ces deux passages un vers de VAlceste d’Eu­ripide où Apollon est prié d’apparaître μετακύμιος όίτας (v. 91 lyr.) ; l ’expression est très discutée, mais on peut penser à l’image d’un homme en proie aux « vagues de l’infortune » — μετά κυμάτων όίτας. Voir E. Schwartz, p. 13 s. : « inter fluctus »— et pour qui l’intervention de la divinité doit faire succéder les εύθυμίαι aux πόνοι. Sur l’image de la « vague du malheur », voir p. 264 ss.

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de la p rom ptitude avec laquelle changent les vagues (v. 37-38). E t c ’est à l ’issue de ce tte image que rep ara it la réflexion initiale sur le thèm e de l ’instab ilité du destin, mais considéré ce tte fois sous son aspect défavorable : car il y a aussi des m om ents où c ’est l ’in fortune qui succède à la félicité, V. 39-41 ; οΰτω δέ Μοΐρ’, & τε πατρώϊον I τώνδ’ ϊχει τόν εΰφρονα πότμον, θεόρ|τφ σύν δλβω | επί τι καί ττημ’ ίίγει, | παλιντράπελον άλλίο χρόνφ. E t la réflexion est illustrée dans la fin de la tr iad e et le débu t de la su ivante (v. 42-49) par l ’exemple de la famille des Labdacides, où l ’on a v u la prospérité d ’Œ dipe céder le pas aux lu ttes fratricides d ’Étéocle et de Polynice.

On ne peu t m anquer d ’être frappé par l ’étonnan te sym étrie de l’ensemble, où le thèm e de l ’incertitude des destinées est développé dans ses deux aspects, à, la fois com plém entaires et an tithétiques, chacun d ’eux é tan t ensuite illustré p a r tin m ythe, et où la pensée est servie par une expression aux répétitions très concertées, que ce soit pour évoquer le rôle des dieux — v. 23 : θεοΰ Μοίρα; v. 39-40 : Μοϊρ[α], θεόρ|τφ — et l ’incessant va-et-v ien t — v. 21 : παλίγκοτον; V. 41 : παλιντράπελον — qui mène l ’hom m e de la peine à la joie — v. 21- 23 : ττημα, δλβον — et de la joie à, la peine ■—· v. 40-41 : 6λβω, τι:ημ[α]ΐ. D ans ce développem ent si ne ttem en t structu ré , l ’image des vagues changeantes occupe une place centrale et d ’une im portance capi­ta le : elle n ’a pas seulem ent pour fonction — comme celle des vents changeants dans la III® Pythigue, v. 105 : άλλοτε 8’ άλλοΐαι πνοαί | ύψιπεταν άνέμωυ — de reprendre sous une forme concise la leçon du m ythe qui v ient de s’a c h e v e r m a i s son rôle et sa n a tu re même sont infinim ent plus complexes : elle constitue, en fait, un véritable « pont » en tre les deux narra tions de ty p e paradigm atique qui se succèdent, résum ant le m ythe des filles de Cadmos (v. 24-33), mais en même tem ps annonçant le m ythe des fils d ’Œ dipe (v. 42-49), et P indare a eu l ’habileté d ’y décrire la succession des vagues avec assez d ’im précision pour que l ’image puisse se « lire » indifférem­m ent en fonction de ce qui la précède ou de ce qui la suit : il faudrait en effet se garder, dans la traduc tion de εύθυμιδν τε μέτα καί | πόνων, de durcir le τε... καί en d isan t que ces vagues apporten t aux hommes la joie pu is l ’épreuve, car ce serait là ne voir qu ’un aspect des choses et restreindre la portée de la m étaphore. E n réalité , c’est πόνων qui précède εύθυμων dans l ’exemple passé des Cadméennes ; et si εύθυ-

1. Sur cette opposition entre πημα et ολβος, etplus généralement la structure de l’ensemble, voir H. Bischofî, p. 102 s.

2. Voir p. 200 ss. ; il est d’ailleurs curieux de constater que dans la III^ P y- thique également l’un des exemples mythiques choisis est précisément celui de Gadmos et de ses filles (v. 86-99), où l’on trouve une opposition entre δλβον (v. 89) et καμάτων (v. 96) qui rappelle l’antithèse δλβος-πημα de 01. II 37-38.

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μιάν précède πόνων, c ’est seulem ent dans l ’exemple à venir des Lab- dacides, que l ’ordre des m ots laisse ainsi pressentir

L ’image des vagues rassem ble donc en elle, en les un ifian t, les divers élém ents qui constituen t le déA''eloppement des v. 21 à 49. Issue d ’un m ythe pour déboucher sur un m ythe, elle les dépasse néan ­moins tous deux par le caractère universel ·— v. 38 : ές άνδρας — des préoccupations qu ’elle tra d u it concernant l ’im puissance où sont les hommes, face aux revirem ents du sort, à prévoir ce que sera leur avenir. Car, comme le d it la XI® Néméenne, « les courants de la pré­voyance se dérobent à nous », v. 47 : προμαθεί|ας 8’ άπόκεινται ροαί.

Pour définir avec exactitude l ’image évoquée p a r ροαί, il convient de replacer ce Vers dans son contex te : l ’allusion aux « courants de la prévoyance » ne constitue en effet que le dernier élém ent d ’un tab leau dom iné p a r la présence de la m er, e t fondé sur le double théine de l ’espérance et de l ’aveuglem ent ; Zeus ne donne aux hommes aucun signe certain de l ’avenir — v. 43 : τό 8’ έκ Δώς άνθρώ|ποις σαφές ούχ επεται | τέκμαρ — aucune étoile ne guide dans leur voyage les passagers de la vie, em barqués pour satisfaire leurs plus folles am bitions et soumis à une espérance insensée : v. 44-46 : άλλ’ έμπανμεγαλανορίαις έμβαίνομεν, | εργα τε πολλά μενοι.νών[ τες · 8έ8εται, γάρ άναι8εϊ | έλπί8ι γυϊα^. G’est dans le prolongem ent de ce tte idée et de ce tte image que se situe l ’expression προμαθείας 8’ άπόκεινται ροαί.

'Ροαί ap p arten an t au cadre m aritim e qu ’on v ient de rappeler, certaines in terp ré ta tions sont à re je ter d ’emblée : le term e ne peu t m anifestem ent désigner des « sources^ », pas plus que des « rivières^ ». Mais, si on l ’explique en relation avec la m er, il est évident que rien dans le contex te ne suggère, comme dans la II® Olympique (v. 37-38), l ’image de véritables vagues ; il s’agit néanm oins, ici encore, d ’une mer en m ouvem ent, dont la surface est anim ée de couran ts : v. streams^»,

1. Sur la place et la fonction de l’image des v. 37-38, voir J. van Leeuwen, p. 112, p. 113, p. 442, n. 22 ; A. Perosa, La seconda Olimpica di Pindaro (Stu,d. Ital. d. Filol. Class. 18, 1941), p. 31 ; A. Barigazzi, p. 127. W. Stockert (p. 30, p. 51) rapproche poal 8’ αλλοτ’ όίλλαι... ëêav (v. 37-38) de ΰ8ωρ 8’ &λλα φέρβει, (v. 81) et y voit un exemple caractéristique de « semantische Wiederholung » ; mais ροαί a une valeur métaphorique et ί58ωρ une valeur littérale : il n’y a en réalité aucun lien entre les deux passages. Pour une fonction analogue de l’image de la vague dans Ném. VII 30-31, voir p. 271 ss. ; voir aussi Ném. III 27-28, p. 34 s., p. 80, n. 7.

2. Sur l’ensemble du passage et sa structure, voir p. 41 ss.3. L. Wolde, p. 168 ; E. Romagnoli, p. 321 ; L·. Traverso-E. Grassi, p. 331,

etc.4. J. B. Bury, The Nemean Odes o f P indar, p. 226 ; J. H. Finley, P indar and

Aeschylus, p. 37 : « the rivers o f foreknowledge ». La scholiaste quant à lui, bien loin d’éclaircir la métaphore, la dénature en parlant de « chemins ». Schol. 59 D (DR III, p. 191) : της 8έ προγνόσεως αί ό8οΙ άποθεν ήμών κεϊνται.

5. L. R. Farnell, A critical commentary to the works o f P indar, p. 328.

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(( stroom ^ ». T ou tefo is, ροαί d o it n écessa irem en t être d éterm in é, car le term e n e pourrait à lu i seu l sign ifier « les courants des événements » : p lu tô t que de con stru ire προμαθείας avec άπόκεινται — · et de c o m ­prendre q ue « le cours dés événements se dérobe à notre prévoyance » — ■ il v a u t m ieu x le ra ttach er à poai e t en ten dre άπόκεινται au sens in ­tr a n s it if de « être à Vécart^ ».

Car l ’im age suggérée p a r le V. 47 est bien celle des courants favo­rables de la prévoyance, qui pourraien t po rter le vaisseau des des­tinées hum aines (v. 44-46) vers une meilleure connaissance de l ’ave­n ir, s ’il les découvrait ; mais en réalité ils se dérobent irrém édiable­m ent à lui, et l ’hom m e se trouve ainsi condam né à errer en aveugle, ta n t en raison de l ’ignorance où les dieux le laissent de son sort que sous l ’effet de ses propres sentim ents, qui l ’égarent : com m e dans la X lle Olympique, le tab leau m arin a pour fonction de trad u ire le thèm e de l ’avsn ir indéchiffrable et la faiblesse de l ’homme face aux puissances qui le dom inent — 01. X II 7-8 : σύμβολον S’ oü πώ τις έπιχθονίων | πιστον άμφί πράξως έσσομένας εδρ|εν θεόθεν; Ném. X I 43 : τό S’ έκ Διδς άνθρώ|ποις σαφές ούχ επεταί | τέκμαρ — et à celles qui l ’h ab iten t —- 01. X II 5-6 : aï γε μέν άνδρών / ... / ... κυλίνδοντ’ ελπίδες ; Ném. X I 46 : δέδεται. γάρ άναιδεϊ | έλπίδί γυϊα ; et sem ­blable jusque dans le ry th m e et la sonorité est la réflexion qui con­clu t les deux passages sur un véritable aveu d ’im puissance : 01. X II 9 : των δε μελλόντων τετύφλωνται φραδαί ; Ném. X I 47 : προμαθείας δ’ άπόκεινται ροαί®.

In cap ab le de prévoir les évén em en ts d on t sera co n stitu é son a v e ­n ir, l ’h om m e p ressen t du m oins q ue le tem p s est lourd d e m en aces con ten u es, q u i p eu v en t en se réa lisan t faire surgir dans le cours de sa v ie les -vagues les p lus red ou tab les : Isthm. V III 14-15 : δόλιος γάρ αί|ών έπ’ άνδράσι κρέμαται, | έλίσΛων βίου πόρον*; il a au ssi u n e certitu d e , fon d ée sur une exp érience com m un e : c ’est q u ’à l ’issue de la tra v ersée pour laq u e lle il s ’est em barqué — Ném. X I 44 : έμβαί- νομεν — il co n n a îtra in év ita b lem en t les souffles contraires du Vent et d e la m ort ; Ném. V II 17 : τριταϊον άνεμον®.

1. G.-J. de Vries, p. 152.2. G.-J. de Vries, loc. cit. : « de Stroom van tvijs vooruit » ; J. B. Bury, loc. cit. ;

L. R. Farnell, loc. cit. C. A. M. Fennell pour sa part rattache προμαθείας à άπό- κεινται (Pindar's O lympian and Pythian Odes, p. 31) et à ροαί [Pindar's Nemean and Isthm ian Odes, p. 125).

3. Sur ces deux textes, voir p. 130.4. Voir p. 192 ss.5. Sur l’opposition entre les V ile et XI® Néméennes concernant la possibi­

lité ou non de prévoir certains aspects de l’avenir, voir H. A. Gartner, p. 128. On remarquera que dans Ném. VII 17-18 la prévoyance de l’avenir va de pair avec le refus du κέρδος, alors que dans Ném. XI 47 l’aveuglement s’explique par une recherche effrénée du κέρδος, v. 48 : κερδέων δέ χρή μέτρον θηρευέμεν. Voir sur ce point B. Wüst, p. 150.

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Si par sa m obilité et la varié té de ses m ouvem ents la vague peu t symboliser le cours incertain des destinées, il est en elle un au tre aspect p ropre à, frapper l ’im agination, e t qui est l ’analogie en tre la puissance d ’une vague soulevée p a r im ven t de tem p ê te e t la violence im placable du m alheur

Des term es comme κϋμα, κλύδων, ρεΐν, etc., évoquent en prem ier lieu, su r un p lan purem ent visuel, des foules que leur nom bre et leur m ouvem ent apparen ten t aux vagues de la m er : ceci est p a r­ticulièrem ent sensible au chant I I de l ’/Kade, o ù .tro is grandes com ­paraisons successives p résen ten t des assemblées «houleuses » comjne une m er parcourue de vagues profondes : v. 144-149 : κινήθη 8’ άγορή φή κύματα μακρά θαλάσσης κτλ. ; V. 207-210 ; V. 209 : ώς δτε κϋμα πολυ- φλοΕσβοίο θαλάσσης ; V. 394-397 : Άργεϊοι δέ μέγ’ ϊαχον, ώς δτε κϋμα | άκτη έφ’ ύφηλη κτλ. ; chez Solon un passage identifie égalem ent le peuple à une m er agitée : frg. 11 D : έξ άνέμων 8έ θάλασσα ταράσσεται · ήν δέ τις αύτήν | μή κινη, πάντων έστί δικαιοτάτη ; de m êm e chez les tragiques : Soph., Ant. 129 lyr. : ττολλφ ρεύμαη προσνισσομένους ® ; Eur., frg. 146 Ν, 1 : πας δε ποιμένων 2ρρει λεώς ; e t dans un fragm ent ànonym e de la comédie a ttiq u e uïie foule de specta teurs est appelée « mer creuse » : frg. 864 E : θάλασσα κοίλη

Toutefois, l ’usage m étaphorique de ce genre de term es v au t plus précisém ent, dans ce dom aine, pour l ’évocation de foules d ’assail­lan ts, animées d ’in ten tions hostiles, e t dont l ’élan im pétueux ra p ­pelle l ’âssau t b ru ta l des vagues : aussi n ’est-il pas ra re de voir la poésie em prunter com paraisons ou m étaphores à, la m er en fureur pour décrire les réalités de la guerre ou des com bats E t ici encore c ’est l ’épopée hom érique qui ouvre la voie : VIliade abonde en vastes com paraisons dans lesquelles les descriptions de vagues ont pour fonction de m ettre en relief la violence des scènes d ’affrontem ent en tre Grecs et Troyens et de leur conférer une Valeur plus in tensé­m ent dramatique® : la m er y est évoquée ta n tô t dans sa soumission aux souffles des vents — IV 275-279; VTI 63-66; X I 305-309; X II I 795-801 —■ ta n tô t dans son déferlem ent destruc teur sur la côte — IV

1. Cet aspect de la vague a déjà été souligné dans le domaine de l’expression des émotions, voir p. 248 ss.

2. Voir sur ce texte p. 309 et H. Storch, p. 224 s. .3. Cf. É l. 733 : κλύδων’ ^φιττπον έν μέσφ κυκώμενον ; pour κυκασθαι et l’image

de la vague, voir aussi ArcMl., frg. 67 a D, 1 : p. 265, n. 2.4. Voir aussi Théocr. XV 59 : οχλος πολύς όίμμιν έπιρρεϊ ; Plat., Phèdr. 229 D.5. Voir sur ce point J. Kahlmeyer, p. 8 ss. -6. Sur la présence dans Y Iliade de ces grandes comparaisons empruntées à

la mer et qui font à peu près totalement défaut à VOdyssée, voir W. Moog, p. 123, p. 141 ; D. J. N. Lee, The sim iles of the I liad and the Odyssee compared (Mel- bourn, 1964), p. 5, p. 13 s., p. 21, p. 28 ; A. L. Keith, p. 25 s., p. 30 s. ; H. Frân- kel, D ie homerischen Gleiehnisse, p. 17 ss., p. 103 ; H. Seyffert, p. 5, p. 9, p. 20 ; A. Lesky, p. 165 ss. ; H. Disep, p'. 22. ■

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422-427 ; X IV 394-401 ; X V 618-622 — ou sur le navire en détresse —· X V 381-384, 624-629^ ; mais ce qui dem eure invariablem ent au prem ier p lan de tous ces tab leaux , c’est q u ’elle y est sollicitée moins pour son im m ensité que pour son m ouvem ent, moins pour elle-même que pour ses Vagues : φρΙξ — V II 63 — κϋμα — IV 422; X I 307; X II I 798 ; X IV 394 ; XV 381, 621, 624. Cette valeur sym bolique des flots déchaînés ap p a ra ît égalem ent, en dehors des com paraisons qu’on v ien t de citer, dans l ’em ploi de certains term es isolés, tels que le verbe φρίβσειν, qui suggère au propre des armées « hérissées » de lances, de casques, etc. — IV 282 : σάκεσίν τε καΐ έγχεσι πεφρι- κυϊαι (s. e. φάλαγγες); V II 62 : δσπισι καΐ κορύθεσσι καΐ έγχεσι πεφρι- κυϊαι (s. e. στίχες) ; X II I 339-340 ; ^φριξεν δέ μάχη φθισίμβροτος έγχείγισι | μακρης — mais évoqμe aussi les <( frissons » que font courir les Vents sur la surface des eaux, comme l’ind iquent, pour l ’un des tro is exemples ci-dessus, la présence to u te proche du substan tif φρΙξ dans une com paraison se référan t à, la m er agitée — V II 63-66 :οϊη δέ Ζεφύροιο έχεύατο πόντον ίπ ι φρίξ | όρνυμένοιο νέον κτλ. — et,pour un au tre , la proxim ité d ’une com paraison analogue où est encore décrite l ’action du vent sur la m er —■ IV 275-279^ ; on peut donc ad m ettre que φρίοσειν identifie les m ouvem ents du com bat à ceux des vagues, e t voir dans l ’emploi de ce verbe une amorce de m étaphore m aritim e® ; la m ême conclusion p a ra ît s’imposer à, propos de κορύβσείν, qui qualifie à la fois le soulèvem ent de la vague sous l ’effet des souffles du ven t — IV 424 ; X X I 306 — et le déchaî­nem ent de la guerre — I I 273*.

Ainsi dès l ’épopée hom érique le désordre e t la violence du com bat tro u v en t leur m oyen d ’expression le plus éloquent dans la référence à la m er et aux vagues ; c’est un tra i t que l ’on re trouve p ar la suite, chez T y rtée p a r exemple, qui, to u t à fait tr ib u ta ire du vocabulaire épique, en fa it néanm oins im usage très personnel, e t chez qui la m étaphore de la « çague du combat » —· frg. 9 D, 22 : κϋμα μάχης — n ’est pas au tre chose q u ’une condensation des vastes comparaisons de VIliade^ ; dans la tragéd ie égalem ent, l’image de la vague figure assez souvent en liaison avec les réalités de la guerre : c’est elle qui dans les Perses d ’Eschyle représente p a r deux fois l ’arm ée barb are : V. 87-90 lyr. : δόκιμος S’ οδτίς ύποστάς ( μεγάλφ ρεύματι φωτών | έχυροϊς

1. Sur cette évolution, de la comparaison, voir H. Frânkel, p. 31.2. Sur ce passage, voir aussi p. 283.3. Voir à ce propos Ή. Frankel, loc. cit. ; A. L. Keith, p. 26 ; sur la rareté des

métaphores dans l’épopée homéricpie, voir p. 9 s.4. Voir aussi Hés., Bouclier 148 ; Eur., Rhés. 933 ; Pind., Isthm. VIII 53-54 ;

μάχας έναριμβρότου | έργον έν πεδίφ κορύσ|σοντα; voir ρ. 283.5. Sur l’adaptation par Tyrtée du vocabulaire épique, voir B. Saell, Tyrtaios

und die Sprache des Epos (Hypomn. 22, Gottingen, 1969), p. 37 ss.

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ίρκεσιν εϊργειν | αμαχον κϋμα θαλάσσης ; V. 412 : ρεϋμα Περσικού στρα­τού ; ce tte com paraison in sistan te de l ’arm ée perse avec im e vague est ici lourde d ’ironie trag ique ; car c ’est la m er qui vaincra les Perses, et l ’association en tre l’arm ée e t les vagues sera to u t au tre que ne le laisse supposer ce débu t ; le sym bole de la vague, synonym e de puissance, v a en fa it se retoiu-ner littéralem ent contre ceux qui l ’em ploient et tro u v er sa signification véritab le dans l ’image de la « vague de malheurs » qui déferle sur les vaincus ; v. 599-600 : κλύδων | κακών Chez E urip ide égalem ent l ’im age suggère, dans les descrip­tions de com bats, le nom bre des assaillants e t la violence de l ’a t ­taq u e : Iph. TaUT. 316 : 2γνω κλύδωνα πολεμίων προσκείμενον ; 1437 : παϋσαι διώκων ρεϋμά τ’ έξορμών στρατού ; Ιοη 60 : πολέμιος κλύδων ; Rhés. 280 : Θρήκιος ρέων στρατός ; 732 lyr. : ϊρρει στρατιά^.

On voit par-là com m ent, d ’un p lan purem ent visuel, on s’achem ine insensiblem ent vers Fim age de la « vague de malheurs » ; κϋμα, qui a commencé p a r évoquer de façon imagée, dans le dom aine de la lu tte , l’élan des troupes qui se p o rten t à l ’a ttaq u e , finit p a r sym bo­liser to u t ce qui est ennem i, tou tes les forces hostiles qui s’opposent à l’hom m e et m enacent son existence®. Mais s’il est des circonstances où ce tte m enace est particu lièrem ent sensible, c ’est bien lorsqu’elle pèse sur une ville entière, qui do it, face aux dangers, rassem bler to u tes les énergies sous peine de se perdre. Aussi l ’un des éléments les plus constan ts de la grande image du « vaisseau de la cité* » est-il la vision des vagues qui risquen t à to u t m om ent de l ’engloutir®.

Les vagues figurent dans le frg. 56 D d ’Axchiloque, où le nuage au som m et des Gyres figure la tem p ête d ’iuie guerre imminente®, V. 1-2 : βαθύς γάρ ήδη κύμασιν ταράσσεται | πόντος ; ei dans le frg. 56 a D, qui en constitue vraisem blablem ent la suite, l ’évocation de la vague s ’individualise et se fa it plus m enaçante ; v. 6 : [κϋμα... δεινό]ν Εστα- ται κυκώμενον ; il est significatif que dans ce tex te , le prem ier où il

1. Sur cette image, voir p. 269 ; pour cette signification de ρεϋμα (v. 88, v. 412), voir H. G. Edinger, p. 24, p. 112. La comparaison des v. 87-90 est tout à fait sigaiflcative de la manière dont le tragique vivifie un terme relativement faible (v. 88 : ρεύματι) par toute une série de détails concrets qui le prolongent (v. 89- 90). Voir sur ce point O. Smith, p. 26.

2. Voir aussi, dans un registre un peu plus abstrait, Héc. 116 lyr. : πολλής S’ ϊριδος συνέπαισε κλύδων. En prose, Hérod. IX 38 : έπιρρεόντων 8έ των 'Ελλήνων; Xén., Anab. I, VIII 18 : έξεκύμαινέ τι τής φάλαγγος ; Plut., Alex. 32 : 'έσχε γάρ ό άγών ΰποτροττην καΐ σάλον.

3. Voir sur ce point W. Hermann, p. 40.4. Voir p. 104 ss.5. Fait exception la conception sereine que se fait Pindare du pilote, p. 110 ss. ;

on a vu que la IV® Pythique (v. 272-274, p. 113 ss.) laissait néanmoins paraître quelque inquiétude.

6. Voir p. 282 s.

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soit fait allusion au « vaisseau de la cité », l ’accent soit mis d ’emblée sur le caractère farouche de l ’élémeiit m arin, e t sur le sentim ent de peur — frg. 56, 4 : κίχάνεί δ’ έξ άελπτίης φόβος — qu’il inspire^.

C ette présence te rrifian te de la vague est égalem ent au prem ier p lan chez Alcée, dans le frg. 46 a D, où le vaisseau ap p a ra ît pris dans des vagues qui v iennent de directions opposées —· v. 2-3 : τό μέν γάρ &)θεν κϋμα κυλίνδεται^, | το 8’ ενθεν — et dans le frg. 119 D, qui fait surgir une au tre vague to u t aussi m enaçante : v. 1-2 : τόδ’ αδτε κϋμα τώ προτέρω ’νέμω | στείχει,®. Les deUX passages sont en étro ite re lation , e t l ’évocation du frg. 119 n ’est que le prolongem ent de celle du frg. 46, q u ’elle rappelle explicitem ent ; dans la prem ière, les Vents en lu tte — frg. 46, 1 : άσυν[ν]έτημι. των ανέμων cfTâotv — · sym bolisent les conflits politiques qui ont déchiré M ytilène*; or voici que ces troubles se renouvellent e t que souffle à, nouveau un ven t dont on a déjà, éprouvé la violence — frg. 119, 1 : τώ προτέρω ’νέμω —· e t qui pousse d ev an t lui une vague, elle aussi déjà bien con­nue — ibid. : τόδ’ αδτε κϋμα® : à, l ’approche de ce tte vague, un ra p ­pel d u passé s’impose à l ’équipage, car il fau t éviter que l ’èau qui ava it subm ergé le navire — frg. 46, 6 : πέρ μέν γάρ άντλος ίστοπέδαν έ'χει — y pénètre une nouvelle fois : frg. 119, 2-3 : παρέξει S’ όίμμι πόνον πολύν | όίντλην, έπεί κε νάος ίμβίΐ!®. Comme chez Archiloque, l ’apparition de la vague v a de p a ir avec la m ontée de l ’angoisse— frg. 46, 1 : άσυν[ν]έτημι — et la ce rtitude (ou le pressentim ent) des pires épreuves : frg. 46, 4 : μοχθέντες ; frg. 119, 2 : πόνον πολύν.

Dans l ’allégorie développée p a r Théognis aux v. 671-680, les élé­m ents extérieurs ont moins d ’im portance que chez Archiloque et

1. Voir à ce propos A. Lesky, p. 194 ; G. P. Segal, Nature and the world of man in Greek literature, p. 33.

2. Pour κυλίνδεσθαι. appliqué à la « vague du malheur », voir p. 265, n. 2.3. Sur l’ensemble de ces deux passages, voir p. 106 ss.4. Voir p. 106 s.5. On a donc dans cette succession de deux vagues ou de deux séries de vagues

une amorce du tragique τρικυμία (p. 269, n. 5). Voir G. Theander, p. 160, n. 2.6. Voir G. Theander, p. 159 s.; J. Taillardat [A propos d ’Alcée (fr. 6 L P,

V. 1-8), Rev. Ph.il. 39, 1965, p. 81) rejette προτέρω (frg. 119, 1) en objectant que l ’adjectif suggère une tempête en train de s ’apaiser, ce qui serait en contradic­tion avec les v. 2-S, qui décrivent un début de mauvais temps ; il propose (p. 82) de lire, au lieu de τώ προτέρω, λαμπροτέρω. Pour λαμπρός évoquant un vent vio­lent, voir p. 179, n. 1 ; il n ’y a pas lieu, en fait, de corriger προτέρω, qui donne un sens parfaitement satisfaisant : προτέρω ’νεμω ne désigne pas un vent qui soufflait auparavant et qui décroît à présent, mais un vent qui a déjà soufflé auparavant et qui souffle à nouveau — cf. v., 1 ; αδτε — άνεμος ayant ici une valeur très proche de χειμών (cf. frg. 46, 4 : χειμώνι). Voir p. 283 ; pour κϋμκ άνέμω au sens de « vague soulevée p a r le vent », voir Hom., II. II 396-397 : κύματα... | παντοίων άνέμων, VII 63 : Ζεφύροι.0... φρίξ ; Od. X III 99 : άνέμων... δυυαήων μέγα κϋμα; Soph., Track. 113-114 lyr. : ή νότου % βορέα... | κύματ’ ; Eur., frg. 773 N, 36 lyr. : άνέμων τ’ εύαέΰσιν ^οθίοις.

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Alcée, e t l ’accent y est mis p lu tô t sur les conflits déchirant l ’équi­page du navire — sym bole des lu tte s de classes à. Mégare^ ; le tab leau est néanm oins encadré p a r deux no ta tions qui, en évoquant le dé­chaînem ent de la m er, suggèrent que les périls v iennent aussi du dehors : aux v. 673-674 l ’eau passe par-dessus bord —· ύττερβάλλει Sè θάλασσα | άμφοτέρων τοίχων —■ et ce tte iïivasion perfide de l ’élém ent m aïin justifie la crain te que les Vagues ne finissent par subm erger le navire ; v . 680 ; δειμαίνω, μή πως ναΰν κατά κϋμα πίη. Une fois de plus, l ’allusion à, κϋμα suffît à, faire n a ître la peur : Archil., frg. 56, 4 : φόβος ; Théogn. 6 8 0 : δειμαίνω.

Ce sentim ent de te rreu r dom ine to u te la prem ière p artie de la tragédie des Sept^ où contre Thèbes assiégée se font sen tir les chocs inlassables des vagues des armées ennemies, soulevées p a r les « vents d'Arès^ y> : v. 63-64 : φράξαι πόλισμα πρίν καταιγίσαι ττνοάς | ’Άρεως ‘ βοα γάρ κϋμα χερσαϊον στρατού®; 114-115 lyr. : κϋμα ττερί πτόλιν δοχμο- λόφων άνδρών | καχλάζει τηιοαϊς ’Άρεος ορόμενον ; 210 : νεώς καμούσης ποντίω προς κύματι ; aux V. 758-761 lyr. la vision s’élargit, et ce n ’est plus seulem ent une vague q u ’elle em brasse, mais une m er entière, faite de m alheurs : κακών S’ ώσπερ θάλασσα κϋμ’ άγει, | τό μέν πίτνον, δλλο 8’ άείρει | τρίχαλον, δ καΐ περί πρύμ|ναν πόλεως καχλάζει^. Mais, les dangers m e fois conjurés, la tem p ête fa it place au calme, et l ’im age de la Vague ap p artien t au passé : v. 795-796 : πόλις 8’ ένεύδΙα τε καΐ κλυδωνίου | πολλαϊσι πληγαϊς έίντλον ούκ έδέξατο®; 1076- 1078 lyr. : μή άνατραττηναι (s. e. πόλιν) μηδ’ άλλοδαπφ | κύματι φωτών J κατακλυσθηναι τά μάλιστα®.

Sans doute Eschyle s’avère-t-il ici tr ib u ta ire du vocabulaire de l ’épopée, e t l ’on pourra it re trouver dans VIliade les grandes com pa­raisons qui sont à l ’origine de l ’image de la vague dans les Sept : ainsi la m étaphore des v. 63-64 s’inspire visiblem ent de II. X IV 394-

1. Voir p. 108 s.2. Sur cette image, voir p. 284.3. Le V . 64 parle d’une « vague de terre », κϋμα χερσαϊον ; sur ce type de « mé­

taphore restreinte i> ou « oxymoron », dans laquelle un mot — χερσαϊον — contredit la qualité propre au terme métaphorique — κϋμα — voir W. B. Stanford, Aeschy­lus in his style, p. 102 ss. J. G. Hansen note pour sa part (p. 102) que, dans les Sept, les personnages, prisonniers de la hauteur des murs, entendent plus qu’ils ne voient ce qui se passe au dehors ; de là, dans l’image de la vague, le nombre inhabituel des notations auditives : βο^ (v. 64), καχλάζει (v. 115, v. 761).

4. Sur la façon dont la description des vagues aux v. 759-761 prolonge et vivifie la vision initiale du v. 758, voir O. Smith, p. 22 ; κϋμα τρίχαλον semble désigner au v. 760 une lame particulièrement forte, une sorte de τρικυμία (voir p. 269, n. 5) ; toutefois, B. L. Hughes (p. 83) donne au préfixe τρι- son sens fort et comprend qu’il y a là une allusion à la vieille faute de Laïos, destinée à se faire sentir jusqu’à la troisième génération.

5. Pour εύδία (v. 795), voir p. 291 ; pour άντλος (v. 796), p. 144, p. 223.6. Sur κατακλυσθήναι (v. 1078), voir p. 244.

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395 : οί5τε θαλάσσης κϋμα τόσον βοάο: ποτί χέρσον, | ποντόθεν όρνύμενονTtvoi Βορέω άλεγειντί κτλ. celle des V. 758-761 de II. IV 422-427 :ώς 8’ δτ’ έν αίγιάλφ πολυηχέι κϋμα θαλάσσης | δρνυτ’ επασσύτερον Ζεφύρου ΰπο κινήσαντος κτλ. Mais ce qui est le plus significatif, c ’est le t ra i te ­m ent qui en est fa it ; alors que chez le poète épique le procédé de la com paraison m ain tien t la frontière en tre l ’image et la réalité , l ’emploi de la m étaphore eschyléenne l ’abolit®; l ’am ple développe­m ent, riche en détails p ittoresques, qui, d ’un au tre côté, caractérise le style de la com paraison hom érique, se resserre ici e t se conten te d ’un nom bre rela tivem ent restre in t d ’élém ents, choisis en fonction des sentim ents qu ’ils suscitent au cœ ur des personnages * ; car passer d ’Hom ère à Eschyle, c ’est en définitive passer du dom aine extérieur— celui des scènes de com bat — au dom aine des réalités plus abs­tra ite s : chez Homère les vagues sont des troupes, chez Eschyle ce sont des malheurs®.

Dans ses tragédies du cycle th éb ain , Sophocle s’est souvenu de ce tte im age du « vaisseau de la cité » en proie aux vagues ;m ais, avan t de connaître l ’assau t des armées ennemies, Thèbes a été en proie à la vague m eurtrière de la peste ; Œ d-.roi 22-24 ; πόλις γάρ, ώβττερ καυτός είσορας, άγαν | ήδη σαλεύει, κάνακουφίσαι κάρα | βυθών ίτ ' ούχ οΐ'α τε φοινίου σάλου. L ’évocation est to u t à fait curieuse : elle un it deux images distinctes, celle du navire ballo tté p ar la houle —■ v. 22 : πόλις σαλεύει — et celle du nageur qui ne peu t plus ten ir la tê te au- dessus des vagues : v. 23 : κάνακουφίσαι κάρα κτλ. ® ; άνακουφίσαι (v. 23) m érite une a tten tio n particulière, car il suggère, au delà du geste du nageur, la lu tte du p a tien t contre le m al qui l’accable'^, et pré­pare ainsi l ’ép ithète φοινίου (v. 24) qui, appliquée à la vague, est en discordance m anifeste avec l ’im age m aritim e, parce qu ’elle m arque, en fait, le po in t de rencontre en tre la m étaphore de la vague et le

1. Cf. II. XIV 394 : κϋμα... βοάα et Sept 64 : βοα... κϋμα, 395 : τινοιη et 63 : τη/οάς ; cf. aussi 395 : άρνύμενον et Sept 115 : όρόμενον.

2. Cf. II. IV 422 : κϋμα θαλάσσης et Sept 758 : θάλασσα κΰμ[α] κτλ.3. Voir W. Elliger, p. 30 ; le phénomène a déjà été remarqué à propos de l’image

du vent, voir p. 177 s.4. Sur cette condensation par Eschyle de la comparaison homérique, voir

W. A. A. van Otterlo, Beschouwingen over het archaïsche Element in der S tijl van Aeschylus (Diss. Leiden, 1937), p. 56, n. 2, et plus généralement W. B. Stan­ford, Aeschylus in his style, p. 110 s. ; F. R. Earp, The style o f Aeschylus, p. 99 ss.

5. Voir W. Elliger, p. 31 ; de même le souffle du Borée — II. XIV 395 : τηιοιη Βορέω — devient chez Eschyle le vent d’Arès : Sept 115 : τηιοαϊς ’Άρεος.

6. Voir J. Kahlmeyer, p. 42 ; S. G. Rieger, p. 52, p. 142 ; A. Lindner, p. 27.7. Voir sur ce point B. M. W. Knox fp. 140), qui se demande si le terme ne

pourrait pas convenir également à un navire qu’oa allège (p. 244, n. 101) ; cf. Hérod. VIII 118 ; νέα έπικουφισθεϊσαν. W. Elliger (p. 166) y voit de façon erro­née la métaphore du joug qu’on enlève.

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thèm e de la peste, re lian t ainsi l ’image à la réalité^. L ’un ité de la représentation ne tie n t évidem m ent pas à l ’harm onie des détails— qui n ’ont au contraire aucune cohérence : v. 22 : σαλεύει ; v. 23 : κ ά ρ α 2 — m ais provient bien p lu tô t de la vision d ’une m er agitée— V. 22 : σαλεύει ; V. 2 4 : σάλου ® qui tra d u it avec insistance l’idée des m aux qui accablent la c ité ^ ; car, déjà, éprouvée p a r la peste, Thèbes v a connaître les m alheurs de la guerre, e t ici encore c ’est σάλος qui évoque le choc de ces vagues funestes ; Ant. 162-163 :τα μέν 8ή πόλεος άσφαλώς θεοί | πολλφ σάλφ σείσαντες ώρθωσαν πάλιν ®.

Chez E uripide enfin, si l ’on excepte un te x te du Rhésos — v. 241- 243 lyr. : δταν | δυσάλιον έν ττελάγει ( καΐ σαλεύη πόλις — ■ l ’image des vagues qui assaillent le « vaisseau de la cité » figure dans des t r a ­gédies situées à Thèbes ou dont l ’action du moins concerne de très près ce tte ville ; Phén. 859-860 ; έν γάρ κλύδωνι κείμεθ’, ώσπερ οΐσθα σύ, I δοράς Δαναϊδών ® ; Suppl. 473-475 : καν μέν πίθη μοι, κυμάτων άτερ πόλιν I σήν ναυστολήσεις ' εί δέ μή, πολύς κλύδων | ήμϊν τε καΐ σοΙ συμμάχοις τ’ έ'σται δοράς

D ’Hom ère à la tragédie, le passage s’opère donc insensiblem ent, par le biais de l ’image du « vaisseau de la cité », d ’un registre purem ent descriptif à, un registre proprem ent psychologique : si dans VIliade l ’image des vagues est parfois destinée à, suggérer la force de certains sentim ents ®, l ’évocation se m ain tien t néanm oins la p lu p art du tem ps sur un plan m atériel où le poète tien t su rto u t com pte des analogies— ta n t visuelles qu ’auditives —■ en tre l ’assau t des vagues et celui des armées ® ; au contraire, quand les tragiques em prun ten t, comme on v a le voir, ses com paraisons à l ’épopée, c’est avec le souci cons- teJit de les intérioriser^® et de caractériser non plus un conflit occa­sionnel en tre deux com m unautés, m ais l ’affrontem ent perm anent d ’un

1. Voir sur ce point H. Musurillo, Sym bol and myth in ancient poetry, p. 85 ; P. W. Harsh, p. 249, n. 12.

2. Sur le mélange des métaphores chez Sophocle, voir A. Lindner, p. 114 ss.3. Sur l’image de la tempête (v. 101), voir p. 281.4. Voir H. Disep, p. 214.5. Passage commenté avec Pind., Pyth. IV 272-274, p. 113 s. ; sur l’image de

la tempête dans Antigone et les Phéniciennes, voir p. 284 s.6. Voir p. 285.7. Pour ναυστολεϊν (v. 474), voir p. 38 ; l’image figure également chez Aris­

tophane : Gren. 704 : τήν πόλιν... έ'χοντες κυμάτων έν άγκάλαις — parodie d’Ar- chiloque, frg. 21 D : ψυχάς έ'χοντες κυμάτων έν άγκάλαις. En. prose, voir Plat., Lois 758 A : πόλις... έν κλύδωνι των δλλων πόλεων διαγομένη ; Isocr. VIII 95 : ταύτην έν όλίγφ χρόνφ σαλεϋσαι καΐ λυθηναι παρά μικρον έποίησεν ; Lys. VI 49 : έπιστάμενος έν πολλω σάλφ καΐ κινδύνφ τήν πόλιν γενομένην ; Plut., Sol. 19, 2 : οίόμενος έπΙ δυσΙ βουλαϊς ώσπερ άγκύραις όρμοϋσαν ήττον έν σάλίρ τήν πόλιν ϊσεσθαι ; voir ρ. 60.

8. Voir ρ. 9, ρ. 247 s., et pour l’image du vent, p. 170 ss.9. Voir Ή. Storch, p. 243.10. Voir W. Elliger, p. 57.

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ind iv idu avec les forces de son destin, « nicht den Ansturm dér Feinde, sondern des Unheils und der Ate' » : le choc inexorable de la vague s’identifie à l ’im placable assaut de la fa ta lité

Trois com paraisons de Sophocle, d ’une dimension insolite, font ap p a ra ître ce tte identification dans to u te sa plénitude. La première se situe dans im stasimon des Trachiniennes, où les vicissitudes q u ’Hé- raklès a connues to u t au long de sa vie sont représentées par une succession de vagues qui fondent sur un nageur : v. 112-119 lyr. :πολλά γάρ &άτ’ άκάμαντος | ή νότου ή βορέα τις | κύματ’ [Sv] εύρέϊ πόντφ | βάντ έπιόντα τ’ ϊ8οι · | οΰτω δέ Καδμογενή | [σ]τρέφει, τό δ’ αΰξει βιό- του I «ολύπονον ώσπερ πέλαγος | Κρήσιον®. Le détail des Vagues qui se suivent est repris du chan t I I de VIliade, v. 396-397 : τον δ’ οΰ ποτε κύματα λείττει | παντοίων άνέμων, δτ’ αν &νθ’ ή 2νθα γένωνται ; mais alors que chez Hom ère elles se b risen t en vain sur une hau te falaise ·—■ v. 395 : άκτη έφ’ ύψηλη —· ici l ’accent est mis sur la faiblesse de l ’homme, soumis aux grandes forces du destin, e t sur le nom bre des épreuves —· V. 118 : πολύπονον — qu’elles lui im posent*. Toutefois, le tab leau n ’est pas délibérém ent pessim iste ; au contraire, les deux évocations d 'Antigone e t d'Œ dipe à Colone se signalent par le désespoir irré­m édiable q u ’elles reflèten t. Dans Antigone, l ’idée que l ’hom m e une fois éprouvé par le m alheur est condam né à, subir éternellem ent ses assauts se tra d u it p a r la vision sauvage d ’une côte soumise sans trêv e à la fureur des vents et des vagues : v. 582-593 lyr. : εύδαίμονεςdial κακών άγευστος αιών · | οΐς γάρ αν σεισθη θεόθεν δόμος, | όίτας ούδέν έλλείπει γενεάς έπΐ πλήθος 2ρπον · | ομοιον ώστε πόντιας | οΐδμα, δυσ- τηιόοις όταν | Θρήσσησιν ίρεβος ύφαλον έπιδράμτ) τηιοαϊς, | κυλίνδει βυσ- σόθεν I κελαινάν θϊνα και δυσάνεμοι | στόνω βρέμουσιν άντιπλήγες άκταί. Ic i encore tous les détails de la com paraison sont em pruntés à, Ho-

1. W. Elliger, p. 151.2. κυλίνδεσθαι, évoquant au propre le déferlement de la vague — Horn., II.

X I 307 ; Od. V 296, IX 147, XIV 315 ; Aie., frg. 46 a D, 2, etc. — et le mouve­ment de ce qu’elle entraîne — Horn., Od. I 162 — on peut admettre l’image de la « vague de malheurs » dans ses emplois figurés chez Homère, II. XI 347 : νωιν δή τόδε πήμα κυλίνδεται ; XVII 688 : ττημα θεός Δαναοϊσι. κυλίνδει (voir A. L. Keith, p. 42), et Théognis, v. 619-620 : πόλλ’ εν άμηχανίησι κυλίνδομαι άχνύ- μενος κήρ · | άκρην γάρ πενίην ούχ ύπερεδράμομεν — imité par Euripide, frg. 230 N. Voir p. 270 ; voir aussi Pind., 01. XII 6, p .l2 8 ss . ; Îsthm. I I I 19, p. 196s. Κυκάσθαι employé au sens propre avec κϋμα par Archiloque (frg. 56 a D, 6, p. 260), au figuré par Sophocle avec κλύδων [Él. 733, p. 258, n. 3), semble supposer une image analogue : Archil., frg. 67 a D, 1 : θυμέ, θύμ’ άμηχάνοισι κήδεσιν κυκώμενε. Pour la vague comme symbole d’insensibilité, voir Eschl., Pro. 1001 ; Eur., M éd. 28-29 ; Andr. 537-538 lyr. ; dans ces deux derniers cas,_ la vague est asso­ciée au rocher; dans H ipp . 304-305 c’est la mer qui traduit ce symbole.

3. Voir à propos de ce texte le commentaire à Pind., 01. II 37-38, p. 252 ss.4. Voir W. Elliger, p. 61.

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266 LA VAGUE DU MALHEUR

mère et à, la description de tem pête du chan t IV de VIliade'^ : v. 422- 426 : ώς S’ 6τ’ έν αΐγιαλω πολυηχέι κϋμα θαλάσσης | δρνυτ’ έπασσύτερον Ζεφύρου ΰπο κινήΰαντος · ) πόντφ μέν τε πρώτα κορύσ(ίεται, αύτάρ έπειτα | χέρσφ ρηγνύμενον μεγάλα βρέμει, άμφι δέ τ’ &£ρας | κυρτόν έόν κορυφοϋ- ται, αποπτύει 8’ άλός άχνην κτλ. ; m ais le Sens m êm e de la com paraison n ’est pas hom érique ; la mer houleuse du cham p de bataille devient ici la m er du m alheur La m er, avec sa profondeur et la violence de ses tem pêtes et de ses vagues, sym bolise aux yeux du trag ique les forces qui régissent l ’univers et dom inent l ’hom m e dans la t r a ­versée de la vie : à l ’im age initiale du « vaisseau de la cité », qui re ­présente l ’au to rité établie, le contrôle exercé p a r l ’individu sur to u t ce qui l ’entoure (v. 167, v. 178-179, v. 189-190)® répond à, présent l ’image de la m er du désastre qui, p a r la fau te de Gréon, v a déferler successivem ent sur les passagers du vaisseau (v. 541)* puis sur son pilote, pour les précipiter dans les eaux sinistres du « havre de la mort » (v. 1284 lyr.) ; ainsi l ’im age des vagues en courroux représente aux V. 582-593 un m om ent essentiel de la tragédie : celui où, sous les secousses de forces surhum aines, l ’ordre é tab li chez les hommes som bre dans le chaos et s ’anéantit® .

L ’identification de l ’être hum ain à une côte b a ttu e des vagues dom ine égalem ent un stasimon d ’Œ dipe à Colone, dont les ressem ­blances avec celui d ’Antigone trad u isen t chez Sophocle une é ton­n an te cohérence de pensée et d ’im agination : v. 1240-1248 lyr. :πάντοθεν βόρειος ώς τις άκτά | κυματοπλήξ χειμερία κλονεϊται, | ώς καί τόνδε κατ’ άκρας | δειναΙ κυματοαγεϊς | δται. κλονέουσιν άεΐ ξυνοϋ- σαι, I αί μέν άπ’ άελίου δυσμαν, | αί δ’ άνατέλλοντος, | αί δ’ άνά μέσ- σαν άκτϊν’, | αί δ’ έννυχιδν άπό 'Ριπδν. II y a là, un souVenir parfois presque litté ra l de la scène, décrite au chan t X V de Vlliade, de l ’affrontem ent en tre Grecs et Troyens : v. 618-622 : Ι'σχον γάρ πυργη-δόν άρηρότες, ήύτε πέτρη | ήλίβατος μεγάλη, πολιής άλ6ς έγγύς έοϋσα, | ή τε μένει λιγέων άνέμων λαιψηρά κέλευθα | κύματά τε τροφόεντα, τά τε προσερεύγεται αότήν ■ | ώς Δαναοί Τρώας μένον έμπεδον ούδέ φέβοντο.Mais une fois de plus la com paraison initiale est profondém ent m odi­fiée ; non seulem ent le te x te de Sophocle est plus dense, et substitue

1. On trouvera chez F. R. Earp [The style o f Sophocles, p. 155) une étude des influences épiques qui se manifestent dans ce tableau, riche en notations pitto­resques.

2. Voir W. Elliger, p. 59 s.3. Voir p. 117 s.4. Voir p. 65, n. 2.5. Sur la signification de cette comparaison voir H. Musurillo, Sym bol and

myth in ancient poetry, p. 82 s. ; S. C. Shucard, p. 238 ss. ; W. Elliger, loc. cit. ; R. F. Goheen, p. 44, p. 48, p. 59, p. 61, et, pour l ’importance de άτη dans l’en­semble du stasimon, R. F. Goheeil, p. 59, n. 16. Sur πολύπλαγκτος έλ|πίς (v. 615- 616 lyr.), voir le commentaire à Pind., 01. XII 5-6, p. 129.

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à, une succession de détails un ensemble d’impressions suggérées sim ultaném ent mais le sens même de sa com paraison est to u t au tre : chez Homère, la roche est symbole de résistance, chez Sophocle, de faiblesse, com m e le m ontren t le rem placem ent de πέτρη (/Z. XV 618) p a r άκτά {Œd. Col. 1240)^ et l’im portance chez le trag ique des épi- th è te s dérivées de κϋμα — V. 1241 : κυματοπλήξ; V. 1243 : κυματο- αγεϊς — qui Soulignent le déchaînem ent des éléments®; et ici l ’en­sem ble de l ’évocation est subordonné, comme dans Antigone — v. 584 : όίτας —■ à, l ’idée de la fa ta lité —■ v. 1244 : δται — qui pèse en perm a­nence —■ ibid. : &εί — sur l ’existence hum aine : rien m ieux que l’ex­pression du V. 1244 Simi κλονέουσιν n ’indi(jue à quel point pour Sophocle la Vague et le m alheur ne font qu ’un

Ces com paraisons « épiques » sont rares dans son œuvre ; par leur dim ension, elles sont en contrad iction avec l ’essence même du dram e, qui est action et m ouvem ent® ; elles représen ten t, en fait, dans les parties lyriques où elles se tro u v en t, une sorte de halte, un mom ent privilégié où le tem ps s’arrê te , où le cadre de la tragédie s’élargit aux dimensions de l ’hum anité entière, sur qui le regard s’a tta rd e en une contem plation désabusée : hom ériques dans leur forme, mais détournées de leur em ploi prim itif, elles ne visent plus le héros dans la bataille , m ais l ’hom m e devan t son destin®.

L ’usage de ce ty p e de com paraison ap p artien t égalem ent au style d ’Euripide. Dans un stasimon d'Oreste, le b ru ta l assau t du m alheur se fa it sen tir sur la destinée hum aine comme la ruée des vagues sur une barque désem parée : v. 340-345 lyr. : ό μέγας δλβος ού μόνιμοςέν βροτοϊς, I κατολοφύρομαι κατολοφύρομαι · | άνά 8έ λαϊφος ώς | τις άκάτου θοδς τίνάξας δαίμων j κατέκλυσεν δεινών πόνων ώς πόντου | λάβροίς όλεθρΕοισίν έν κύμαοίν’ . L a com paraison n ’a véritablem ent plus rien d ’hom érique, n i dans sa forme (les détails qui dans l ’épopée se suc­cèdent selon un ry th m e égal fa isan t place ici à, une vision désordon­née et chaotique, dans laquelle la phrase, proprem ent démantelée®, pein t avec une ra re puissance les convulsions des éléments, e t où

1. Voir W. Elliger, p. 62.2. Sur l’emploi de άκτή (Ant. 593 ; Œd. Col. 1240), voir aussi p. 226.3. Sur le rôle de ces adjectifs, voir F. R. Earp, The style o f Sophocles, p. 152 s.4. Voir W. Elliger, p. 63.5. Sur cette question, voir p. 17 et les notes.6. Voir A. Lesky, p. 227 s. On trouvera également chez H. Disep (p. 114 ss.)

un commentaire approfondi, mais plutôt orienté vers les questions de forme, des grandes comparaisons de Sophocle et d’Euripide.

7. Sur λαϊφος (v. 342), άκατος [v. 343) et κατακλύζειν (v. 344), voir p. 49 ss., p. 34, p. 244.

8. Voir dans le commentaire à Pind., 01. XII 5-6 (p. 129), les remarques con­cernant la brutalité de la tmèse άνά... τινάξας (v. 342-343) et de l’écart entre τις et δαίμων (v. 343).

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l ’image et la réalité se m êlent inextricablem ent au po int que l’on ne sait plus où finissent les vagues de la m er, où com m encent celles du m alheur^), n i dans son sens : ce que représente m ain tenan t l ’homme, ce ne sont plus les vagues qui assaillent le b a teau — comme dansII. X V 381-384 et 624-629 — m ais au contraire la barque en proie à la fureur des flots

C’est encore un b a teau au péril de la m er qui, dans une longue com paraison des Troyennes — située ce tte fois dans une partie p a r­lée — m atérialise aux yeux d ’Hécube sa propre existence en b u tte aux assauts d ’une destinée adverse : comme un m atelo t dans la tem pête finit par renoncer à. lu tte r contre la vague lorsque sa vio­lence le dépasse — V. 688-693 : ναύταις γάρ ήν μέν μέτριος χειμών φέρειν, ( προθυμίαν ίχουοίι οτωθήναι πόνων, | ό μέν παρ’ οϊαχ’, ό 8’ έπΙ λαίφεσι,ν βεβώς, | δ δ’ δντλον εϊργων ναός · ήν 8’ ΰπερβάλη | πολύς ταραχ­θείς πόντος, ένδόντες τύχ-f) | παρεϊσαν αύτούς κυμάτων δρομήμασιν —elle-même, dans l ’excès de son infortune, s’avoue vaincue p a r la « mgue de malheurs » dont l ’accablent les dieux ; v. 694-696 : οΰτωδέ κάγώ πόλλ’ ϊχουσα ττήματα | άφθογγός είμι καΐ παρεϊσ’ έώ στόμα · | νικ^ γάρ ούκ θεών με δύστηνος κλύδων. Le prem ier term e de la com paraison n ’a de raison d ’être que p a r rap p o rt au second : c ’est grâce à, tous les term es m arins employés au sens litté ra l dans les v. 688-693 que l ’esprit de l ’auditoire, fam iliarisé avec le vocabulaire nau tique, se tro u v e ap te à com prendre ensuite ses emplois figurés (v. 694-696) e t la m étaphore de la « çague de malheurs^ ». Le développem ent n ’est d ’ailleurs pas isolé et se tro u v e en préparation dès le début de la tragéd ie , où Hécube évoque la vague à, laquelle elle ne peut plus opposer la « proue de sa vie » ; v. 102-104 lyr. : πλεϊ κατά πορθμόν, πλεϊ κατά δαίμονα, | μηδέ προσίβτη πρφραν βιότου | πρδς κϋμα πλέουσα τύχαισιν ; mais d ’un te x te à, l ’au tre le clim at s’est assom bri, e t à, m esure que le personnage ap p a ra ît plus fragile — devenant, de navire (v. 102-104), sim ple passager à bord du vaisseau des des-

1. Voir à ce propos W. Breiteabach, p. 148 ; B. E. Pot, p. 21 ; E. Heitsch, p. 60. La constructioa fait d’ailleurs difficulté : on rattache parfois δεινών πόνων à κατέκλυσεν (v. 344) ; mais ce serait là le seul emploi de κατακλύζειν avec un. génitif partitif ; il nous a semblé que l’idée d’engloutissement irrémédiable est mieux rendue si l’on construit les v. 344-345 comme suit : κατέκλυσεν [έν κύμασιν] δεινών πόνων ώς έν κύμασιν πόντου.

2. Voir W. Elliger, p. 108.3. Voir E. E. Pot, p. 81. L’image repose souvent sur l’expérience et l’obser­

vation — voir, à propos d’Eschyle, F. R. Earp, The style o f Aeschylus, p. 110 ; à propos de Sophocle, S. G. Rieger, p. 135 ; mais tel n’est pas le cas ici, puisque Hécube elle-même précise qu’elle n’est jamais montée à bord d’un batea,u : V . 686-687 : αυτή μεν οΰπω ναός είσέβην σκάφος, | γραφή δ’ ίδοϋσα κα'ι κλύουσ’ έπίσ- ταμαι ; la comparaison des v. 688-696 ne suppose donc pas de vision directe des choses : voir H. Delulle, p. 27 s. ; il y a peut-être là un indice de l’aiïaiblissemeut chez Euripide de la valeur imagée des mots : voir E. Heitsch, p. 74 s.

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tinées (y. 688-696) — le déchaînem ent de la fa ta lité se fait sans cesse plus hostile, e t les menaces incluses dans l ’indéfini κϋμα (v. 104) se précisent dans 8ύστν]νος κλύδων (v. 696)^.

L ’équivalence en tre κϋμα et κακόν —■ ou leurs synonym es ·—■ est donc à l ’origine de développem ents considérables fondés sur le p ro ­cédé de la com paraison, lyrique ou non ; elle dom ine également nom bre de m étaphores^.

Chez Eschyle, comme cela se p roduit souvent, l ’image de la vague est en rap p o rt avec le cadre de la pièce et le term e qui la tra d u it ap p artien t aussi à la réa lité : dans les Suppliantes, la vague symbolise le m ariage qui doit arracher les Danaïdes à la sécurité et les préci­p ite r dans l ’inconnu — V. 125-126 lyr. : δυσάγκριτοι ττνόοι · | ποϊ τόδε κϋμ’ άπάξει®; et l ’em ploi de κϋμα est d ’au tan t plus justifié que la traversée des fugitives est encore to u te proche ; de même dans les Perses l ’im age de la « vague de malheurs » — v. 599-600 : βταν κλύδων I κακών επέλθ^, πάντα δειμαίνειν φιλεϊ — se dessüie SUr l ’arrière- p lan de la récente ca tastrophe m aritim e^ ; dans Prométhée, le T itan connaît l ’assaut de la tem p ête et d ’une « triple vague » de m aux : v. 1015-1016 : [σκεψαι S’] οϊός σε χειμών χαΐ κακών τρικυμία | ίπεισ’ άφυκτος ® ; mais en m êm e tem ps que le m alheur fait rage, c’est une véritab le tem p ête qui se lève aussi — V. 1046 lyr. : άγριων άνέμων ; V. 1085-1086 lyr. : άνέμων | τηιεύματα — et l ’assaut des vagues de la m er ~ v. 1048 lyr. : κϋμα δέ πόντου — va de pair avec celui des vagues de l ’in fortune ; VOrestie enfin présente elle aussi un rapport certain en tre le litté ra l e t le m étaphorique, entre la tem pête qui

1. L’action des Troyennes se déroule au bord de la mer, et ce cadre a sans doute influencé l’expression imagée du drame : voir H. Delulle, p. 30, n. 2 ; toujours est-il que les lamentations d’Hécube (v. 98 ss.) sont particulièrement riches en métaphores maritimes : outre les v. 102-104, on peut citer les méta­phores de la voile carguée (v. 108-109, p. 52 s.), de la barque en détresse (v. 116- 118, p. 31) et du naufrage (v. 136-137, p. 323).

2. Outre Eur., Tro. 696, 102-104, déjà citées p. 268.3. Sur Twôot (v. 125) et l’image du vent, voir p. 173 s.4. Sur les rapports de cette image de la vague avec celle des v. 87-90 et 412,

voir p. 259 s. ; sur l’image des vents favorables (v. 601-602), voir p. 189.5. Sur χειμών (v. 1015), voir p. 279 s. ; τρικυμία désigne au propre une vague

particulièrement forte (Eur., Tro. 83 ; H ipp. 1213), et le préfixe τρι- y a une valeur intensive, fréquente en grec (cf. Eschl., A g. 1476 lyr. : τριπάχυντον ; Cho. 314 lyr. : τριγέρων; Ar., Cav. 1153 : τρίπαλαι, etc.) ; mais les Grecs ont également senti le préfixe avec sa valeur temporelle et donné à τρικυμία le sens de « troi­sième vague » : ainsi Plat., Rép. 472 A : μόγις μοι τώ δύο κύματε έκφυγόντι νυν το μέγιστον καΐ χαλεπώτατον τής τρικυμίας έπάγεις ; de même le chiffre trois a toute sa signification dans le τρίτος χειμών évoqué par Eschyle [Cho. 1066 lyr., p. 288). Même emploi parodique de τρικυμία chez Platon dans Euthyd. 283 A : δεόμενος τοϊν ξένοιν ώσπερ Διοβκόρω επικαλούμενος σώσαι ήμδς... έκ της τρικυμίας τοϋ λόγου. Enfin, dans les Sept d’Eschyle, κϋμα τρίχαλον (v. 760) n’est sans doute qu’un synonyme de τρικυμία. Voir p. 262 et n. 4.

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désem pare la flotte grecque et celle qui bouleverse la dem eure des A trides^ ; les δυβκύμαντα... κακά évoquées au v . 653 à 'A g a m e m n o n ont leur équivalent figuré dans la vision, aux v. 1180-1183, des vagues que le Vent de l ’inspiration de Gassandre en tra îne vers le soleil levan t — λαμπρός 8’ Ιοικεν ήλΙου πρί>ς άντολάς [ πνέων έσ^ξειν, ώβτε κύματος δίκην | κλύζειν πρός αύγάς τοϋδε ττήματος πολύ | μεϊζον — ■c’est-à-dire des m alheurs — m ort de Cassandre, m ort d ’Agamem- non — que l’oracle v a révéler, e t dont le second sera encore plus terrib le que le prem ier à, ce tte angoissante évocation des vagues qui se lèvent répond dans les Euménides celle de la vague qui s’apaise, sym bolisant le re to u r au calm e qui dom ine la fin de la trilogie : V. 832 : κοίμα κελαινοϋ κύματος πικρί>ν μένος

Chez Sophocle, si l ’on excepte les tro is com paraisons précédem ­m ent citées l ’im age de la « çague du malheur » est exceptionnelle ; on ne la rencontre que dans Électre, v. 1074-1075 lyr. : πρόδοτος δέ μόνα σαλεύει | Ήλέκτρα et Œdipe-roi, V. 1527 : εΕς δβον κλύδωνα δεινής συμφοράς έλήλυθεν. E uripide la p ra tiq u e plus souvent : Aie. 90- 92 lyr. : εί | γάρ μετακύμίος ίίτας, | ώ Παιάν, φανείης®; Andr. 349 : κακών τοίίούτων ούχ δράς έπιρροάς ; frg. 230 Ν : ού γάρ ύπερθεϊν κύμα­τος ακραν | δυνάμεσθ’ ' ëri γάρ θάλλει ττενία, | κακάν ^χθιστον, φεύγει δ’ ίλβος ® ; dans Médée, comme to u tes les images qualifiant le sort de l ’héro ïn e’, celle de la vague a une valeur essentiellem ent néga­tiv e : V. 362-363 lyr. : ώς εις όίπορόν σε κλύδωνα θεός, ( Μήδεια, κακών έπόρευσε : im possibilité de tro u v er un mouillage à l ’abri des épreuves —· v. 257-258 : ού... | μεθορμίσασθαι τησδ[ε]... συμφοράς; V. 441- 443 lyr. : οδτε... | ... μεθορμίσασθαι | μόχθων πάρα® — , im possibilité de q u itte r le « vaisseau du malheur y> à bord duquel elle accom plit le voyage de la vie — · v. 279 : κούκ έστιν «της... &£βασις9 — ., im pos­sibilité ici d ’échapper à. la vague (v. 362 : άπορον) ; to u tes ces m éta­phores se renforcent l ’une l ’au tre pour suggérer avec une ra re in ­sistance l ’idée d ’une détresse irrém édiab le ’ ®. C’est d ’ailleurs pour conférer un supplém ent de p a th é tiq u e à, ce thèm e de la détresse qu’E urip ide u n it parfois l ’im age de la vague à une au tre im age m ari-

1. Voir p. 286 ss.2. Sur l’ensemble des v. 1178-1183, voir p. 178 s. ; pour l’image de la « vague

de malheurs », voir aussi Sept 758 : κακών δ’ ώσπερ θάλασσα κϋμ’ άγει κτλ. (ρ. 262) ; frg. 223 a Μ, 8 : άλλ’ ούδ]έπω [κ]ϋμ’ έξαμυ[ντ]έ[ον κακών.

3. Voir ρ. 289.4. Ρ. 265 SS.5. Pour μετακύμίος άτας (ν. 91), voir ρ. 254, η. 4. Voir aussi ιϊκυμος {Hér. 698-

699) ; άσάλευτος [Bacch. 389-392 lyr.).6. Imitation, de Théogn. 619-620. Voir p. 265, n. 2.7. Exception faite de celle dü port (v. 768-770).8. Voir p. 66, n. 3.9. Voir p. 98, n. 3.10. Voir E. M. Blaiklock, p. 235 s.

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t im e : tels apparaissent deux passages d ’un style très élaboré, l ’un dans Ion, où le cœ ur en proie à, des chagrins répétés est représenté comme uïi Vaisseau assailli en poupe p a r des vagues successives — ' V. 927-928 : κακών γάρ άρτι κϋμ’ ύπεξαντλών φρενί, | πρύμνηθεν αϊρει μ’ όίλλο σών λόγων ΰπο^ — l’au tre dans Hippolyte, lorsque Thésée voit dans la m ort de Phèdre une vague de m alheur, mais découvre du m ême coup une véritab le mer d ’infortunes : v. 822-824 : κακών S’,& τάλας, πέλαγος είσορώ | τοσοϋτον ώβτε μήποτ’ έκνεϋιίαι πάλιν, | μηδ’ έκπε- ρόίβαι κϋμα τηοδε συμφοράς®.

Dans la traversée de la vie, l ’homme est donc en proie à, la fureur des vagues q u ’un destin adverse soulève contre lui ; mais, si le m alheur selon les cas rev ê t des formes diverses, il est une Vague dont tous les passagers connaîtron t égalem ent l ’assaut : celle qui surgit au term e du voyage et que Lycophron appelle « la dernière vague de la vie » : frg. 5 N, 3-4 : δταν 8’ έφέρτΓγ) κϋμα λοίσθιον βίου, | τό ζην ποθοϋμεν. Gar, comme le d it P indare dans la VII® Néméenne,

άλλά κοινόν γάρ ® έρχεται κϋμ’ Άΐδα, πέσε δ’ άδόκη-

τον έν καΐ δοκέοντα.V. 30-31.

« Ια vague de la mort vient également pour tous et fond sur celui qu'elle surprend comme sur celui qui l ’attendait ».

Si κϋμ’ Άΐδα (v. 31) n ’a donné lieu à aucune controverse, il n ’en a pas été de m êm e pour l ’opposition qui s ’é tab lit en tre άδόκητον et δοκέοντα ; or, quoique l ’explication qu ’on peu t en donner n ’ait aucune incidence sur la m étaphore proprem ent d ite, elle perm et néanm oins de situer l ’ensemble de l ’image dans l ’ode, notam m ent p ar rap p o rt à, celle du Vent (v. 17-18), et s’avère donc indispensable.

1. Pour ύπεξαντλών (v. 927), voir p. 147, p. 148.2. Voir p. 218 ss. ; il semble que la « vague de malheurs » figure également dans

les Bacchantes, v. 902-905 lyr. : ευδαίμων μέν ός έκ θαλάσσας | 2φυγε χεΐμα, λιμένα δ’ έ'κιχεν ' | εύδαίμων δ’ 8ς ΰπερθε μόχθων | έγένετ’. L’évocation maritime des v. 902- 903 (voir p. 294) permet en effet de supposer que quand il songe à un homme qui parvient « au-dessus des épreuves » — v. 904 : ΰπερθε μόχθων — Euripide conçoit celles-ci comme une vague dont il émerge ; l ’expression des v. 904-905 serait alors l’exacte antithèse du frg. 230 N, 1-2 : ού γάρ ύπερθεϊν κύματος άκραν | δυνά- μεσθ’. Pour l’image de la vague, voir aussi trag., frg. anon. 568 N :κλύδωνα σαυτφ προσφέρεις αυθαίρετον. Signalons enfin un passage d’Aristophane dans lequel le comique a, renouvelé l’image de la « vague de malheurs » en la combinant avec celle du « vent de la colère » : Cav. 692-693 : ώθών (s. e. Κλέων) κολόκυμα καΐ ταράττων καΐ κυκών, | ώς 8ή καταπιόμενός με; voir ρ. 177, η. 2 ; déjà chez Eschyle [Eum. 832, p. 249) κϋμα représentait la rage des Érinnyes ; καταπιόμενός semble bien être quant à lui une parodie de Théogn. 680 : δειμαίνω, μή πως ναϋν κατά κϋμα πίη. Sur l’ensemble de ce passage, voir J. Taillardat, Les images d ’Aristophane, p. 184.

3. Pour άλλά... γάρ, voir p. 274.

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Bien des in terp rétations ont été données de άδόκητον et de δοκέοντα, la moins ex trav ag an te n ’é tan t pas celle de J. B. B ury, qui considère άδόκητον com m e un neu tre se ra p p o rtan t à κϋμα, et tra d u it : « la vague de la mort tombe inattendue même sur celui qui l'attend^ ». En réalité , la présence de xowôv au v. 30 m ontre assez que êv porte égale­m ent sur les deux adjectifs^, auxquels il convient de donner une valeur semblable®, et l ’on se tro u v e dès lors eti présence de deux types d ’explications : ou bien άδόκητον signifie « obscur » et δοκέοντα « illustre^ »; ou bien άδόκητον désigne celui qui n ’a tten d pas la m ort, et δοκέοντα celui qui l ’attend®. Il semble bien, en fa it, que seule ce tte dernière in terp ré ta tio n p erm ette de situer l ’image de m anière satisfaisan te p a r rap p o rt au développem ent des v. 17-20 et aux deux m ythes d ’A jax e t de Néoptolème.

A ux V. 17-18, P iadare a déjà abordé le tbèm e de la m ort : les poètes, dit-il, connaissent le ven t qui soufflera dans deux jours— σοφοί δέ μέλλοντα τριταων άνεμον j έ'μαθον —■ et ce tte bourrasque symbolise une m ort imminente®. La paren té des deux passages est évidente sur le p lan de l ’expression imagée : car c ’est précisém ent le Vent de m alheur pressenti aux v . 17-18 qui soulève la vague de m ort dont l ’assaut se fa it sen tir aux V. 30-31; la m enace contenue dans μέλλοντα (v. 17) s’est réalisée, e t le thèm e de la m ort passe du dom aine de l ’avenir à, celui du présent. Mais les ressem blances valent égalem ent sur le p lan des idées : si l ’on se souvient que les v . 19-20 développent l ’idée de l ’égalité de tous, riches ou pauvres, devant la m ort —■ άφνεδς πενιχρός τε θανάτου πέρας | δμα νέονται’’ — et que c’est en somme le double thèm e de la m ort universelle e t de la m ort

1. J. B. Bury, The Nemean Odes o f P indar, p. 133 ; de même G. M. Bowra, Pindar, p. 257, n. 1.

2. δοκέοντα est la leçon des manuscrits ; il n’y a pas lieu de le corriger en δοκέοντι, car έν se rencontre chez Pindare suivi d’un accusatif : Pyth. II 11 : δίφρον I ëv Θ’ άρματα ; V 38 : έν κοιλόπεδον νάπος ; JVém. VII 78 : χρυσόν Ιν τε λεύ­κάν έλέφανθ’ (voir ρ. 275), etc.

3. Voir Ε. Thummer, i)te Religiositdt P indars, p. 34, η. 3.4. Ainsi comprennent notamment W. Schadewaldt, Der A ufbau despindarischen

E pinikion, p. 302 ; 0 . Becker, D as B ild des Weges, p. 184 ; F. Arnaldi, p. 56 ; E. Tugendhat, p. 402 ; tel est d’ailleurs le sens de ces deux adjectifs dans le fragment anonyme de tragique, frg. 482 N, 4-5 lyr. : [Ζεύς] καθελών μέν δοκέοντ’, | άδόκητον δ’ έξαείρων.

5. Voir F. Mezger, p. 366 ; G. Fraccaroli, p. 588, n. 1, p. 599 ; F. Dornseiff, Pindar, iihersetzt und erlaiitert, p. 36 ; L. R. Parnell, A critical commentary to the works o f P indar, p. 291 ; G. Meautis, p. 174; C. P. Segal, P in dar’s seventh Nemean, p. 451 ; P. B. Katz, p. 44. La scholie 44 A (DR III, p. 122) donne suc­cessivement les deux interprétations : άδοκήτφ · τφ μή δοκοϋντι νϋν τελευτήσειν, ή άδόκητον... τόν δδοξον, δοκέοντα δέ τόν ϊνδοξον. R. Nierhaus pour sa part juge l’image expressive mais dénuée de sens (p. 55).

6. Voir p. 208 ss.7. Voir p. 210.

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prévisible qui se trouve ainsi tra ité dans les v. 17 à, 20, on ne peu t m anquer d ’être frappé p a r le fait que les v. 30-31 reprennent très exactem ent ce thèm e dans ses deux aspects : le κοινόν du v. 30 suggère, en tre άδόκητον et δοκέοντα, une égalité semblable à, celle que le άμα du v. 19 in stau re en tre άφνεός et ττενιχρός ; e t δοκέοντα définit ici le m ême ty p e de prévision que έμαθαν au v. 18 ; il ne s’agit n i dans un cas n i dans l ’au tre d ’une vision de l ’aveïiir telle que celle des prophètes, mais d ’un savoir fondé sur une expérience com m une : celle que nous sommes tous έπάμεροι, et qu ’au delà, d ’un fu tu r in ­certain la m ort est n o tre seule certitude^. Il p a ra ît donc évident que l ’expression des v. 30-31 tra h it une in ten tion de rappeler à l ’au ­dito ire ce qui ava it déjà été d it dans les V. 17-20, les sim ilitudes d ’expression — image du Vent, image de la vague — et de pensée— caractère prévisible de la m ort —- é tan t encore soulignées p ar un em ploi analogue de l ’aoriste gnom ique —■ v. 18 : εμαθον ; v. 31 : πέσε — qui Confère au x deux passages une sem blable valeur de sen­tence.

Toutefois, l ’im age de la « mgue de la mort » se ra tta ch e de façon plus étro ite encore à son con tex te m y th ique im m édiat, passé et à venir. De fa it, à la véritab le σοφία définie aux v . 10 ss., P indare op­pose aux V. 20-30 une σοφία trom peuse, qui abuse de la crédulité des esprits, e t l ’exemple qu’il choisit pour flétrir l ’aveuglem ent des foules — V. 23 -24 : τυφλόν δ’ &χει I ήτορ όμιλος άνδρών ό πλεϊστος —■ est celui d ’A jax e t de son d ram atique suicide (v. 25-30). Le m ythe qui précède directem ent l ’image des v. 30-31 est donc placé sous le signe de la m ort — v. 27 : ό καρτεράς Αίας εποίξε διά φρένων | λευρδν ξίφος — et d ’une m ort volontaire, prém éditée : la « vague de la mort » a a tte in t le héros alors qu’il l’a tten d a it, e t le δοκέοντα du v. 31 est im e allusion certaine à ce suicide, p révu et décidé par A jax. Mais, si ce dernier a v u venir la m ort, Néptolème, lui, l ’a subie à l ’impro- viste, e t le m y th e qui su it l ’image des v. 30-31 est précisém ent celui de Néoptolèm e (v. 3 3-47), m ythe encore placé sous le sign.e de la m ort, mais d ’une m ort que rien ne laissait prévoir, survenant b rus­quem ent au cours d ’une rixe : v. 41-42 : κρεών vw ϋπερ μάχας [ έ'λασεν άντιτυχόντ’ άνήρ μαχαίρς: ; la « vague de la mort » a a tte in t Néoptolème alors q u ’il ne l ’a tten d a it pas, e t le άδόκητον du v. 31 est une an tici­pation sur le récit m yth ique qui va suivre. Située au point de jonc­tio n de deux m ythes dominés p a r le récit d ’une m ort — y . 27 : &ταξε ; V. 42 ; ^λασεν — l ’image de la « vague de la mort » constitue en quelque sorte le « pon t » qui perm et de passer de l ’un à, l ’au tre , e t tand is que δοκέοντα rappelle le souvenir d ’A jax, άδόκητον prépare la men-

1. Sur le thème de la prévisioa aux v. 17-18, voir p. 210.

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tion de N éoptolèm e^; la formule de ru p tu re άλλά... γάρ (v . 30) con­trib u e de son côté à, souligner cet aspect dynam ique de l’image : <f MAIS — f in isso n s-e n avec A ja x , m o r t δοκέοντα — c a r la ça g u e d e la m o r t v ie n t ég a lem en t p o u r to n s — p a ss o n s à N éo p to lèm e , m o r t άδόκη- Tov ». E t c’est encore dans ces deux récits m ythiques q u ’on peut selon to u te vraisem blance tro u v er l ’origine de la m étaphore m ari­tim e proprem ent d ite : car c’est la m er qui a unifié les destins d ’A jax e t de Néoptolème, dont l ’un est m ort à l ’issue du voyage qui l ’a m ené à Troie — V. 29-30 : [δν] πόρευσαν εύθυ|τηιόου Ζεφύροιο πομπαί | πρδς ’Ιλίου πόλιν — et l ’au tre à, l ’issue de son voyage de re to u r : v. 36- 37 : ό 8’ άποπλέων | Σκύρου μέν άμαρτε κτλ.

L ’image de la vague a donc ici, plus que jam ais, des im plications sinistres : élém ent stérile, destructeur, elle s’oppose aux « ondes des Muses y> — v. 12 : ροαΐβι Μοισάν — dont l ’action féconde assure à, jam ais la gloire de ceux que chan ten t les p oètes^ ; e t la prem ière p artie de l ’ode se tro u v e ainsi dom inée p a r une double m étaphore em pruntée à, l ’eau, et qui tra d u it les deux aspects com plém entaires et opposés du poèm e dans son ensemble : caractère inévitable de la m ort (v. 31 : κϋμ’ Ά ΐδ α ), gloire que confère la poésie (v. 12 : ροαϊσι MotffSv) ou, si l ’on préfère, création (v. 12) et destruction (v. 31)®. L a m étaphore de la « vague de la mort » aux v. 30-31 a d ’ailleurs ime valeur beaucoup plus générale que celle des « ondes des Muses » au V. 12, car si la poésie n ’im m ortalise que quelques êtres privilégiés— V. 12 : εΐ δέ τύχγ) τις κτλ. — la m ort, elle, frappe ind istinctem ent tous les hom m es — y. 30 : κοινόν. P ar le caractère universel de la réa lité qu ’elle suggère comme p a r le cadre m arin dans lequel elle se situe, ce tte m étaphore rappelle étonnam m ent la saisissante évo­cation du frg. 8 D de Simonide, où la m ort est assimilée à, une te r ­rible C harybde où to u t v ien t s ’achever : πάντα γάρ μίαν Εκνεϊται δασπλήτα Χάρυβδι,ν, ] αΐ μεγάλαι τ’ άρεταί καΐ ό πλούτος ; mais le m ouve­m ent est inverse ; il ne s’agit pas ici, comme chez P indare, d ’une Vague qui fond, m ais d ’un gouffre qui a ttire irrésistiblem ent.

1. Sur cette fonction de l’image des v. 30-31, voir D. E. Gerber, Pindar, Ne- mean V II 31, p. 186 ss. ; K. Fehr, p. 62 ; H. Bischoiî, p. 14 ; F. Schwenn, p. 109 s. ;H. A. Gartner, p. 130. Une remarqpie analogue a été faite à propos de l’image des vagues de 01. II 37-38, qui permet également de relier le mythe des Cad- méennes au mythe des Labdaoides (p. 254 ss.) ; voir aussi Ném. III 27-28, p. 34 s., p. 80, n. 7.

2. Même formulé dans la Vil® Isthmique, avant l’image du char et des « ondes de la poésie », située elle aussi dans un passage de transition (v. 17-19) ; v. 16 : άλλά παλαιά γάρ | εΰδει χάρις; voir p. 238 S.

3. Voir sur ce point G. P. Segal, P indar’s seventh Nemean, p. 466.4. Le rapprochement est suggéré par B. L. Gildersleeve, The seventh Nemean

revisited, p. 135 ; voir infra, p. 276 ; sur l’eau comme symbole de création chez Pindare, voir p. 234 ss.

5. Voir G. P. Segal, P indar’s seventh Nemean, p. 451.

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On ne peu t se faire une représentation exacte du rôle joué dans la VII® Néméenne p a r les images em pruntées à, l ’eau (y. 12, v. 30-31, V. 62) et au vent (v. 17-18) si l ’on ne tien t pas com pte de celle qui, aux v. 77-79, en résum e les différentes significations. Là encore il s’agit d ’un passage de tran sitio n , où P indare abandonne le dévelop­pem ent de thèm es purem ent personnels (v. 61-76) pour aborder le m y th e de la naissance d ’É aque (v. 80 ss.), e t ce changem ent de sujet lu i inspire une image où se définit la varié té d ’inspiration de sa Muse^ :

Μοϊσά τοι κολλ^ χρυσδν εν τε λευκόν έλέφανθ’ άμα καΐ λείριον άνθεμον πόν­

τιας ύφελοϊσ’ έέρσας.V. 77-79.

« Ια Muse assemble Vor et Vivoire blanc, en même temps que la fleur du lys qu’elle dérobe à la rosée marine ».

Les tro is m atières successivem ent évoquées dans ces vers —· or, ivoire et corail^ — peuvent sans doute représenter, dans leur diver­sité e t leur éclat, les m ultiples e t précieux élém ents qui constituent une ode de Pindare® — ce que P. G ianotti appelle « il complesso mosaico delVode^ » — e t concourent à la beau té de l ’ensemble du « diadème » — v. 77 ; εϊρειν στεφάνους — ici décrit® : ce sont des substances im périssables — χρυσόν, λευκόν έλέφανθ’ — et des subs­tances v ivan tes — λείριον όίνθεμον —· que l ’a rt de la Muse un it en un. to u t harm onieux, d ’une b eau té durable®. Toutefois, les term es les plus im portan ts ne sont pas ceux qui figurent dans ce tte énum é­ra tion et, t a n t pour la com préhension de l ’image que pour celle de l ’ensemble de l ’ode, l ’essentiel réside en réalité dans l ’allusion finale à la « rosée marine » ; v. 79 : πόντιας ύφελοϊσ’ έέρσας’ .

1. Sur le sens général du passage et sa situation au point de jonction de deux développements, voir G. P. Segal, p. 460 ss.

2. Sur l ’identification de λείριον άνθεμον, voir G. Norwood, Pindar, p. 242, n. 28.

3. Il est quelque peu arbitraire de rechercher, comme le fait G. Norwood {Pindar, p. 170), à quoi correspondent ces trois matières dans le cas précis de la V ile Néméenne ; car il est évident que Pindare donne là une définition bien plus générale de son « art poétique ».

4. F. Gianotti, p. 404.5. Voir W. Schadewaldt, Der A ufbau des pindarischen E pinikion, p. 321 ;

H, Frânkel, Dichtung und Philosophie des frühen Griechentums, p. 625 ; H. Mâhler, p. 92 ; G. Norwood, Pindar, p. 106 ss. ; M. Untersteiner, p. 97 ; J. Duchemin, p. 246 s. ; É. des Places, Pindare et Platon, p. 75 s. ; P. B. Katz, p. 52 ss.

6. Voir sur ce point, et notamment sur le symbolisme du corail, G. Norwood, . Pindar, p. 109 ; M. R. Leîkowitz, ΤΩ KAI ΕΓΩ. The first person in P indar,p. 234 ; C. P. Segal, P indar's seventh Nemean, p. 462, p. 464.

7. G’est à J. Ή. Finley [P indar and Aeschylus, p. 102) que revient le mérite d’avoir le premier insisté sur cet aspect de l’image.

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L ’expression πόντιας έέρσας jux tapose en effet des qualités p rop re­m ent opposées : 2ερσα est un term e qui figure p a r ailleurs chez Pin.- dare en relation avec le thèm e de la poésie — Ném. I I I 76-79 : έγώτόδε τοι | πέμπω μεμειγμένον μέλι λευκφ | σύν γάλακτι, κιρναμένα 8’ εερσ’ άμφέπει, | πόμ’ αοίδιμον Αίολη|βιν έν ττνοαΐβιν αυλών ; V III 40- 42 : αδξεται 8’ άρετά, χλωραϊς έέρσαις | ώς δτε δένδρεον ^σσει, | [έν] σοφοϊς άνδρών άερθεϊσ’ | έν δικαίοις τε πρός ύγρόν | αιθέρα — e t qui, comme δρόοος — Pyth. V 98-100 : μεγάλαν 8’ άρετάν | δρόσφ μαλθακή | ρανθεϊ- σαν κώμων υπό χεύμασιν ; Is th m . VI 64 : τάν Ψαλυχιδαν δέ πάτραν Χα ρίτων I δρδοντι καλλίβτί)! δρόσφ — sym bolise ses vertus fécondantes, sa capacité à conférer la gloire et la vie aux sujets qu ’elle touche^ ; en cela le term e renvoie aux « ondes des Muses » (v. 12 : ροαϊβι Μοισάν) et à, leur épanchem ent b ienfaisan t (v. 62 : ΰδατος ώτε ροάς κτλ.)®; πόντιας au contraire rappelle la m er, c’est-à-dire l ’élém ent stérile, souvent m eurtrier, qui, dans la VII® Néméenne, est associé aux as­pects purem ent « négatifs » de l ’ode* : c’est dans un contex te m arin que se situe l ’image du « vent du malheur » (v. 17-18), à proxim ité im m édiate du thèm e de la m ort inév itab le (v. 19-20) ; c’est la m er qui est à, l ’arrière-plan de la m ort d ’A jax (v. 29-30) et de Néopto- lème (y. 36-37) ; c ’est en re la tion avec la m er, enfin, que surgit la « vague de la mort » (v. 30-31)®.

Le groupe πόντιας έέρσας (v. 79) rassem ble donc e t résum e les deux aspects opposés de l ’an tithèse fondam entale du poème, en tre lesquels il oscille selon un m ouvem ent quasi pendulaire®, de la créa­tion (v. 12 : ροαϊσι MotOâv) à, la destruction (v. 17 : τριταΐον άνεμον), de la destruction (v. 31 : κΟμ’ Άΐδα) à, la création (v. 62 : ΰδατος... ροάς). Mais ce tte an tithèse opposant les dangers de l ’élément m arin aux bienfaits des eaux douces se résout en faveur de ces dernières : car le geste de la Muse, qui dérobe à la m er la m atière de ses chants, sym bolise ici l ’acte de création poétique, qui arrache à la m ort, en le p e rp é tu an t, le souvenir des hommes et de leurs hau ts faits ; l ’ordre m êm e des term es est révéla teu r de ce passage du néan t à, l ’existence, puisque πόντιας, qui ap p a rtien t au dom aine de la m ort, cède le pas à έέρσας, puissance de fécondité et de vie, qui abolit ses

1. Voir aussi Hés., Théog. 83-84, p. 234.2. Voir p. 235 s.3. Voip p. 236 ss.4. Voir aussi Ném. IV 36 : βαθεϊ|α πόντιας όίλμα, p. 95 ss.5. Voir sur ce point C. P. Segal, P indar’s seventh Nemean, p. 466.6. C. P. Segal (p. 450) parle à juste titre de « pendulum -lîke antithetical move­

ment o f the ode ».7. Voir J. H. Finley, P indar and Aeschylus, p. 102 ; Date o f Paean 6 and Ne-

mean 7, p. 78 ; M. R. Lefkowitz, loc. cit. ; G. P. Segal, P indar’s seventh Nemean, p. 467. L’émergence des eaux est d’ailleurs symbole de naissance : 01. I 25-27.

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pouvoirs de destruction ; toutefois, ce tte tâch e qui incom be au poète n ’est pas dépourvue de risque, et l ’em ploi de ύφελοϊσ’ suggère que la Muse elle-même agit avec la pleine Conscience de l ’existence de ces forces néfastes auxquelles elle doit s’opposer : la poésie est une lu tte , et devant la résistance d ’un univers où se rencon tren t le mensonge — v. 22 : ψεύδεσι — et l ’aveuglem ent — v. 23 : τυφλόν — , et où se fa it sen tir Ja puissance te rrifian te de la m ort —■ v. 17-18, V. 30-31 — sa mission consiste à parven ir à la vérité et à la lumière, à la vie^.

La vie spirituelle se relie ici de près à, la vie physique, e t l ’action de la Muse est à m ettre sur le même p lan que celle d ’Ily th ie, invo­quée au débu t de l ’ode : de même q u ’Ily th ie, déesse de la naissance, règne à la fois sur les ténèbres — v. 3 : μέλαιναν... εύφρόναν — et sur la lum ière ·— ihid. : φάος — de même la Muse, déesse de la création artistique, se situe au po int de jonction entre les univers du néant— V. 79 : ποντίας — e t de la vie — ibid. : έέρσας ; et de même q u ’Ily ­th ie , γενέτειρα τέ|κνων (v. 2-3), est symbole de création dans l ’univers m atériel, de m ême la Muse, γενέτεφα ΰμνων, pourrait-on dire, re ­présente la création dans l ’univers spirituel : par delà l’image si­n is tre du ven t (v. 17-18) et de la vague (v. 30-31), la radieuse vision de la Muse déroban t à la m er son corail re jo in t chez P indare l ’évoca­tion des « ondes des Muses » dans l ’affirm ation de la toute-puissance et de la pérennité de son a rt.

1. C. p. Segal, p. 468 : « it — sc. ποντίας έέρσας — treats the sea’s salt liquid as refreshing dew and answers the threat o f Hades’ wave » ( i l ) with the restorative power o f artistic creation ».

2. Voir C. P. Segal, loc. cit.3. Sur cette liaison des deux sphères et les analogies entre Ilythie et la Muse,

voir C. P. Segal, p. 467, p. 468.

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CHAPITRE IV

LA TEMPÊTE

L ’image du ven t, celle de la vague, trad u isen t la conception que se font les trag iques et les lyriques d ’une existence dom inée p a r des crises et des com bats ; il en v a évidem m ent de m êm e pour celle de la tem pête , qui n ’est en défin itive que la somme des deux précé­dentes : dans le cadre du voyage de la vie, c ’est une correspondance to u te natu re lle qui s’é tab lit en tre l ’émotion à, son paroxysm e, p a r­fois m ême la crise — dans le dom aine in térieur —· entre le m alheur à son comble — dans le dom aine ex térieur —; et l ’image de la te m ­pête, parfois même, plus précisém ent, du navire dans la to u rm en te ’·. Le pessim isme d ’im e telle conception de la vie explique et la fré­quence de l ’image de la tem p ête et la re la tive ra re té de l ’im age in ­verse du tem ps calm e Mais il arrive, no tam m ent chez P indare, que les deux images apparaissen t conjointem ent pour évoquer en con traste les épreuves et les bonheurs qui se succèdent dans l ’exis­tence de l ’homme.

La tempête.

Gomme άνεμος et κϋμα, χειμών et les term es apparentés sym bolisent le déchaînem ent au cœ ur de l ’hom m e de forces que celui-ci est im ­puissan t à contrôler, l ’assaut irra tionnel des sentim ents, des ém o­tions, des crises — au sens le plus physiologique du terme®. P ar l ’image de la tem p ête sont évoquées la peur — P ind., Pyih. IX 33 : φόβφ 8’ I où κεχείμανται φρένες ; EschL, frg. 145 M, 16 : τοϋ νοϋ φρον- rimv χειμάζομαι ; Soph., A n t. 391 : ταϊς σαΐς άπειλαϊς αΐς έχειμάσθην τότε — et la COlère : Soph., frg. 3 1 4 P, 331 : ού μά Δία σ’, ώ πρέσ]βεφα, χειμάζειν [θέλω*; tou tefo is, p lu tô t qu ’un sen tim ent passager, c’est un bouleversem ent éprouvé à, la fois dans sa b ru ta lité et sa durée

1. Voir J. Kahlmeyer, p. 26 ss. ; W. Hôrmann, p. 82.2. Voir A. Lesky, p. 229.3. Voir à ce propos J. V. Kopp, p. 272.4. Pour χειμάζεσθαι évoquant les sentiments du poète tragique, voir Arist.,

Poét. 1455 A ; chez Platon, le verbe suggère l’idée de trouble, d’embarras : Phû. 29 B ; Lach. 194 C ; Pol. 273 D ; cf. aussi Gorg., frg. 11 a DK, 11.

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qu’elle tra d u it le plus volontiers ; aux « tempêtes du désir » évoquées p a r Gercidas — frg. 2 a D, 9 : λαμυράς πόθων άέλλας — répond chez Ibycos le souffle dém entiel du Borée, symbole d ’m e passion exas­pérée : frg. 6 D, 8-10 ; ύπο στεροπδς φλέγων | Θρήκιος βορέας άΐσ]σων^ ; et si Théognis se félicite d ’avoir trouvé un m ouillage sû r au sortir de la tou rm en te — V. 1273-1274 : έκ δέ θυελλών | ήκά γ’ ένωρμίσθην νυκτός έπειγομέμης^ — i] n ’en v a pas de même pour Phèdre, en proie à la violence d ’un m al — E ur., H ipp. 315 : άλλγι S’ êv τύχη χειμά­ζομαι — qui ne ta rd e ra pas à, l ’engloutir s. G’est que χειμών, χειμά- ζεσθαι, etc., évoquent ces désordres dans ce qu ’ils ont de proprem ent physiologique, dans les ravages qu ’ils font subir non seulem ent au cœ ur, m ais à l ’organism e lui-m êm e^ : dans VOde I I I de Bacchylide, la m aladie sévit en Hiéron comme la tem p ête au cap Malée : v. 72- 73 : ώς S’ έν] Μαλέο! ποτ[έ χείμα 8αί]μων | έπ’ ΙΘ]νος έφάμερον α[ΐψ’ ίησι ; et chez Sophocle l ’image est aussi étro item ent liée aux souffrances de la chair : frg. 314 P, 267 : [μητρδς γ]άρ Εσχύς έν νόσφ χειμάζεται®; ce ne sont là, toutefois que des m étaphores isolées, qui gagnent en valeur p ictu ra le et en expressivité lorsqu’elles se groupent et se renforcent à. l’in térieu r d ’un m ême dram e, com m e dans Prométhée, A jax et Phüoctète.

L’image qui domine la tragédie de Prométhée est celle de la tem­pête qui frappe deux vaisseaux désemparés, le Titan et lo. Sans doute Prométhée, « ancré » à son rocher, a-t-il été surpris au mouil­lage par ces Vetlts déchaînés — v. 965 : ές τάσδε σαυτον ττημονάς καθώρ- μιοας — ■ aiorS que Ιο dérive — v. 838 : παλιμπλάγκτοισι... δρόμοις®; c’est pourtant le même vocabulaire qui dans les deux cas évoque la souffrance, et le retour obsédant des termes de la famille de χειμών traduit la permanence des épreuves endurées : battu des vents— v. 562-563 lyr. : τίνα φώ λεύσσειν | τόνδε χαλινοϊς έν πετρίνοισιν | χειμαζόμενον ; — en proie aux fureurs d’une mer de tempête — v. 746 : δυσχείμερόν γε πέλαγος άτηρας δύης^ — 1θ Titan Se Voit à l’issue du

1. Voir à ce propos U. von Wilamowitz, Sappho und Simonides, p. 124 ; G. M. Bowra, G reèt lyric poetry, p. 262 ; pour la comparaison avec Soph., A j. 257- 258, voir p. 280 s.

2. Voir aussi p. 295, n. 3.3. Voir G. P. Segal, The tragedy of H ippolytus, p. 126 ; les progrès du mal

vont de pair avec la progression de la mer, et aux v. 767-768 lyr. Phèdre appa­raît χαλεπή 8’ ύπέραντλος οδσα | συμφορά. Voir p. 148.

4. De là l’emploi de ces termes dans le langage médical : Hippocr., Dent. 12 : L VIII 544 ; Morb. III 7 : L VII 126 ; Épicur., Vit. 137 ; E p. ad Men. 128, etc. ; voir sur ce point H. Disep, p. 210. On a déjà souligné à propos de l’image de la vague (p. 248 s.) les analogies entre le vocabulaire de la tragédie et celui de la médecine.

5. Cf. Plat., Théét. 170 A : όταν έν οτρατείαις ή νόσοις ή έν θαλάττη χειμάζωνται.6. Voir à ce propos J. Dumortier, p. 43 s.7. Pour πέλαγος, voir p. 217.

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dram e m enacé p a r un u ltim e déchaînem ent des élém ents : v. 1015- 1016 [σκέψαι 8’] οΤός σε χειμών καΐ κακών τρικυμία έπεισ’ άφυκτος^. Χειμαζόμενον (ν . 563), θυσχείμερον (ν . 746), χειμών (Υ. 1015) on t ici Tme valeur litté ra le et figurée : P rom éthée est en b u tte à de véri­tab les tempêtes® et aux to rtu res que lu i v au t le courroux de Zeus. Ip ressent aussi les effets de la jalousie d ’H éra, e t la crise de démence qui la terrasse est égalem ent une tem p ête — v. 643-644 : θεοβσυτόν χειμώνα καΐ διαφθοράν μορφής® —■ qui l ’en tra îne au gré des vents en courses désordonnées : v. 838 : παλιμπλάγκτοισι χειμάζη δρόμοις ; la vision de ce nav ire en détresse, tra d u ite p a r χειμώνα (v. 643) e t χει­μάζη (v. 838), est encore précisée p a r l ’im age com plexe des v. 883- 886, plus riche de suggestions dram atiques, où l ’assau t de la dé­mence est m atérialisé p a r la m étaphore du ven t qui fa it perd re son çap au vaisseau — v. 883-884 : έξω Se δρόμου φέρομαι λύσσης | τινεύ- ματι μάργω κτλ.* — puis p a r celle des vagues qui le h eu rten t e t le déséquilibrent : v. 885-886 ; θολεροί δέ λόγοι παίουο’ είκη I στυγνής πρός κύμασιν &της Le ven t —· V. 884 : τηιεύματι —■ la Vague —· V. 886 : κύμασιν ; V. 1015 : τρικυμία —· et la tem p ê te —· V. 563 : χειμαζόμενον ; V. 643 : χειμώνα; ν . 746 ; δυσχείμερον ; V. 838 : χειμάζη; ν . 1015 : χειμών —■ s’unissent ici pour créer to u t au long de la pièce une h a r­monie sinistre, propre à, suggérer l ’in tensité d ’im e souffrance res­sentie p a r les personnages au plus profond de leur être.

C’est précisém ent ce tte tr ip le im age que Sophocle a développée pour évoquer la violence de la crise de folie qui a frappé A jax, et ici; en,core l ’image de la tem p ête — v. 205-206 lyr. : Αίας θολερώ | κεϊται χείμώνι νοσήσαςβ — se subdivise en ses deux élém ents cons­t itu tifs : vents (v. 257-258) et vagues (v. 351-352). A ux v. 257-258 lyr., le déchaînem ent de la crise a rappelé au poète celui du Notos— λαμπράς γάρ ίίτερ στεροπδς | ^ξας οξύς νότος ώς λήγει —■ et la vision englobe deux m om ents successifs : celui où le Vent se lève en te m ­p ê te (v, 258 : &ξας οξύς), e t celui où il se calm e ( ib id . : λήγει)’ ; or A risto te distingue lui aussi deux aspects du Notos, e t sa rem arque

1. Pour τρικυμία (v. 1015), voir p. 269.2. Sur cette importance du cadre dans le langage imagé de la pièce, voir

p. 269 s.3. χειμών désigne ici plus particulièrement l’égarement de l’esprit, par op­

position avec διαφθορά, qui traduit l’altération du visage ; cf. v. 673 : μορφή καΐ φρένες διάστροφοι.

4. Sur ττνεύματι (v. 884), voir p. 176, p. 184.5. Sur κύμασιν (v. 886), voir p. 249 s.6. Voir à ce propos S. G. Rieger, p. 40. Pour le sens actif de θολερφ {v. 205),

voir Eschl., Pro. 885, p. 250 ; on rapprochera χειμώνι νοσήσας (v. 206) de Soph., frg. 314 P, 267 : έν νόσω χειμάζεται (p. 279).

7. Pour λήγειν — ou un composé — appliqué à l’action du vent, voir Eschl., Cko. 1075 (p. 288) ; Pind., Fÿih. IV 292 (p. 191 s.) ; Bacchyl. X III122 et 128 (p. 306, n. 3).

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éclaire singulièrem ent le te x te de Sophocle : Probl. 942 A : ό νότος,δταν μέν έλάττων fi, αϊθριός έστιν, δταν δέ μέγας, νεφώδης : le Vent de la folie a soufflé sur A jax avec violence — μέγας — et son hum eur som bre a connu les nuages —· νεφώδης —· d ’où jaillissaient les éclairs —■ στεροπδς : V. 257 —· de sa dém ence; à. présent que ces souffles s’apaisent — έλάττων — l’orage d isparaît — fc p : v. 257 —■ et l ’h u ­m eur d ’A jax redevient sereine, αίθριος^. L a violence de la crise est évoquée ici par des term es qui rappellen t fort ceux dont se sert Ibycos pour suggérer le déchaînem ent de la passion —· frg. 6 D, 8-10 : ύτνό ΰτεροττδς φλέγων | Θρήκιος βορέας άΐσ|σων —· e t dans leS deux cas le Borée et le Notos sont associés à, l ’éclair (frg. 6, 8 -^ /. 257)^, ce qui, potir to u t Grec av erti des choses de la m er, est le signe qu ’il ne s’agit plus Seulement d ’un vent, mais d ’une véritab le tempête®.

L ’im age de la tem p ête rep ara ît d ’ailleurs peu après en liaison avec celle de la vague : V. 351-352 lyr. : ϊδεσθέ μ’ οΐον &ρτι κϋμα φοι- νίας ύπό ζάλης | άμφίδρομον κυκλεϊται, la double m étaphore ayant pour fonction de dépeindre à, la fois la crise et le carnage qui l ’a sui­vie : c ’est ζάλης, la bourrasque^, qui désigne la crise proprem ent dite, κϋμα visan t le m assacre du b é ta il ; c ’est donc à, κϋμα que devrait se rap p o rte r l ’ép ithète φοινίας, qui, comme au v. 24 Ôl Œdipe-roi, assure le passage de l ’im age à, la réalité ; de m ême que φοινίου οάλου décrit dans la tragéd ie thébaine l ’épidém ie de peste p a r le tru ch e­m ent de l ’im age de la vague —■ οάλου, celle-ci é tan t reprise par l’image de la tem p ête : v. 101 : τ6δ’ αίμα χειμάζον πόλιν — et p a r un term e purem ent litté ra l — φοινίου® — de même ici c ’est par un term e imagé évoquant la vague — κϋμα — puis la tem pête — ζάλης — et par une ép ithète ap p a rten an t au dom aine du réel — φοινίας — que Sophocle dépeint la crise passée ; dans un cas comme dans l ’au tre l ’épreuve est sentie à la fois dans sa réalité sanglante et dans l ’am pleur de ses résonances sym boliques.

Si la crise d ’A jax rappelle, p a r la trip le im age du vent, de la vague et de la tem p ête , celle qui frappe lo, les souffrances de Phüoctète à Lemnos ne sont pas sans rap p o rt avec celles de Prom éthée ; car11 s’agit ici e t là d ’un personnage en proie aux pires to rtu res et con­dam né à, les endurer dans la solitude d ’un cadre sauvage, face au déchaînem ent des élém ents. Aussi n ’est-il pas é tonnant que l ’on

1. Sur l ’opposition entre la crise et le calme qui lui succède, voir p. 290.2. Cf. aussi frg. 6, 9-10 ; άΐσ|σων et A j. 258 : ^ξας ; pour un commentaire des

deux passages, voir W. Elliger, p. 58 ; pour ^ξας, voir aussi Eschl., A g. 1180 ; έσ^ξειν ; Pind., Isthm. IV 6 : έπαΐσσων ; Eur., H ipp. 165 lyr. : ήξεν.

3. Voir à ce propos E. S. Mac Gartney, Greek and Roman weather-lore o f winds (Class. Weekly 24, 1930-1931), p. 13 ss.

4. Voir sur ce terme le commentaire à Pind., 01. XII 11, p. 296.5. Voir p. 263 s.

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re trouve àsja?, Philoctète une am biguïté de vocabulaire déjà, signalée à, propos de Prométhêe, les mêmes term es servan t à, évoquer les fu ­reurs de la m er et du ven t au to u r de l ’hom m e et l ’exaspération de la douleur en lui : ce fait ap p a ra ît bien dans l ’expression des V. 1194- 1195 lyr. : άλύοντα χειμερίφ | λύπί ; m ais jam ais ce tte harm onie quasi shakespearienne en tre le déchaînem ent de la n a tu re et les orages intérieurs n ’a été aussi ne ttem en t soulignée en grec qu ’aux V. 1458-1460 lyr. : πολλά 8έ φωνής της ήμετέρας | 'Ερμαϊον ορος παρέπεμψεν έμοί I στόνον άντίτυπον χειμαζομένφ

L ’hom m e dans l ’univers est égalem ent en b u tte aux assauts d ’une fa ta lité devant laquelle il se tro u v e souvent im puissant ; un aspect de ce dram atique affrontem ent a particu lièrem ent re ten u l ’a tten tio n du lyrism e et de la tragédie : la lu tte d ’une cité m enacée dans son existence p a r la « tempête de la guerre ».

Dans le frg. 56 D d ’Archiloque, la guerre n ’est pas encore là. : elle menace, e t le nuage qui se dresse au som m et des Gyres est un signe avant-coureur de la « tem p ê te » im m inente : v. 2-3 : άμφί 8’ άκρα Γυρέων όρθον ϊσταται. νέφος, | σήμα χειμώνας ; le tab leau . On l ’a VU, est de to u te évidence allégorique®, m ais il suppose en prem ier lieu une expérience personnelle de l ’au teu r, ta n t les détails en sont exacts : dans les Cyclades centrales, de fa it, la présence de nuages au tou r des m onts de Ténos indique que le m auvais tem ps v ient du Nord, e t ces nuages se form ent seulem ent au to u r de la m ontagne— V. 2 : άμφί δ’ άκρα — parce qu ’au-dessus le ven t les dissipe ; le m ont Cycnias é tan t visible de Paros, Archiloque a pu contem pler personnellem ent ce spectacle*, e t le transposer dans le dom aine figuré : car le danger th race lui aussi v ient du Nord, e t le tab leau s’adresse non seulem ent à l ’œil, mais aussi à, l ’im agination ; la tem p ête n ’est ici qu ’un p ré tex te , qui perm et à, l’au teu r de m atérialiser la menace des périls auxquels il vo it sa pa trie exposée®. P eu t-ê tre y a-t-il là

1. Parfois corrigé en σαλεύοντα — mais l’exemple de Œ d.-roi, v. 22-24, montre que chez Sophocle la représentation imagée n’a pas forcément d’unité; voir p. 263 s.

2. Sur l’harmonie entre la nature et l’homme dans Philoctète, voir C. P. Se­gal, Nature and the world of man in Greek literature, p. 39 ; la question des rap­ports de la nature et de l’homme sera traitée plus en détail dans la conclusion, p. 334 ss. Il est significatif que tous les exemples de l’image de la tempête chez Sophocle se trouvent dans les parties lyriques ; le paroxysme de la crise tra­gique s’accommode mieux de l’exaltation du chant.

3. Voir p. 105 s. ; voir aussi D. Page, p. 181 ; F. Lasserre, p. 217 s. ; C. M. Bowra, Signs o f storm (Archilochus, fr. 56) (Glass. Rev. 54, 1940), p. 127 ; pour un avis contraire, voir K. Dietel, p. 72 s.

4. Sur l’exactitude de la description d’Archiloque, voir F. Ή. Sandbach, ΑΚΡΑ ΓΤΡΕΩΝ once more (Class. Rev. 56, 1942), p. 64 s. ; sur le difficile pro­blème de la localisation des Gyres, voir C. M. Bowra, p. 128 s.

5. Voir F. Ή. Sandbach, lac. cit. ; F. Lasserre, p. 218.

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un souvenir de la com paraison faite au chan t IV de VIliade (v. 275- 279) entre les deux A jax et le nuage q u ’un chevrier vo it venir sur la m er et dont l ’approche l ’em plit de te rreu r : II. IV 2 7 9 : ρίγησέν τε ίδών ; Archil., frg. 56, 3 : κιχάνει, S’ έξ άελπτίης φόβος ; peu t-ê tre faut-il voir dans l ’allégorie d ’Archiloque et dans la com paraison hom érique deux m anières différentes de développer le πολέμοιο νέφος de II. X V II 243^ ; ce qui est sûr, c ’est qu ’ici et là, l ’aspect m enaçant de la n a tu re est re tenu av an t to u t pour sa signification sym bolique

L a tem p ête qui se p répare chez Archiloque est décrite dans son déchaînem ent au frg. 46 a D d ’AIcée^ : les vents en lu tte évoqués au V. 1 ■—■ άβυν[ν]έτημι των ανέμων στάβιν — tro u v en t en effet leUr véritab le dimension aux v. 4-5, où c’est bien d ’une tem pête q u ’ils ’agit : vâï φορήμ[μ]εθα σύν μελαίνς: | χειμώνι, μόχθεντες μεγάλω μάλα.E t c’est désormais cet aspect qui va figurer de façon constan te au prem ier p lan des peintures du lyrism e et de la tragédie ; l ’image de la « tempête de la guerre » se tro u v e chez Simonide —■ frg. 20 D®, frg. 87 D, 4 : τρηχεϊαν πολέμου... νεφέλην —■ et Pin dare, qui dans la VIII® Isthmique décrit Achille soulevant comme une vague la mêlée m eurtrière dans la p laine de Troie — v. 53-54 : μάχας έναριμβρότου | εργον έν πεδίφ κορύσ|σοντα® — recourt égalem ent à νεφέλη pour sug­gérer la violence de l ’affrontem ent dans la IX e Néméenne, v. 37 : φόνου I παρποδίου νεφέλαν ; la bataille d ’O enophyta est évoquée par le m êm e te rm e dans la VU® Isthmique, m ais avec le détail réaliste de la grêle de sang que le valeureux Strepsiade a ten té de détourner de sa p a trie : v. 27-28 : όστις έν | ταύτα νεφέλα χάλα|ζαν αίματος πρό φίλας πάτρας άμύνεται’ . Jam ais toutefois l’image de la « tempête de la guerre » n ’a été développée chez lui avec un sens dram atique aussi sû r que dans les vers de la V® Isthmique où les Éginètes sont loués du rô le q u ’ils ont joué lors de la bataille de Salamine : v. 48-50 :καΐ vüv έν ’Άρει | μαρτυρήσαι κεν πόλις ΑΪ|αντος όρθωθεϊβα ναύταις | έν πολυφθόρω ΣαλαμΙς Διός ομβρφ | αναρίθμητων άνδρών χαλαζάεντι φόνω,« c'est Ια ville d'A jax, Salamine, qui pourrait à présent témoigner de leur bravoure : les marins d'Égine Vont redressée alors qu’elle était èn proie à la pluie meurtrière envoyée par Zeus, à la grêle sanglante qui faisait périr les hommes par milliers ». L ’île, comme Ténédos au

1. Cf. aussi II. V 522-527 : νεφέλησιν έοικότες (s. e. Δαναοί).2. Cf. aussi Pind., Ném. X 9.3. Voir C. M. Bowra, p. 129.4. Voir p. 106 ss., p. 261.5. Voir p. 295.6. Voir p. 259, n. 4.7. L’image est reprise aux v. 37-38 par χειμών : voir p. 299 s. ; sur les images

dépeigaant les défaites de Thèbes, voir p. 315 ; W. Wüst remarque que l ’image exprimée en grec par νεφέλη, et qui est celle d’un vent de tempête qui assombrit le ciel, a son équivalent en védique ; voir p. 25 ss.

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début de la XI® Néméenne, est com parée à un vaisseau ; mais alors que la navigation de Ténédos s’accom plit avec des vents favorables— V. 5 : όρίθάν φυλάσβοισιν Τένεδον^ — · Salam ûie a été prise dans des rafales d ’une ra re violence, lourdes de pluie — v. 49 : δμβρφ — et de grêle — v. 50 : χαλαζάεντι — qui o n t m anqué la faire chavirer, e t c’est seulem ent grâce à l ’équipage venu d ’Égine —· v. 48 : ναύ- -ttxtç ■—■ que le b â tim en t a pu se redresser — ihid. : όρθωθεΐσα^; la réalité historique et le sym bole sont ici é tro item ent confondus, et les m arins d ’Égûie ont joué un rôle décisif à la fois dans la bataille de Salam ine et à bord du « vaisseau » de la cause grecque, incarnée p a r l ’île.

Cette vision du navire dans la tou rm en te dom ine la prem ière p artie de la tragédie des Sept \ si Eschyle n ’y emploie pas le te rm e χειμών OU un syîlonym e, la représen ta tion qu i se dégage du dram e est néanm oins celle d ’un ven t de tem p ête ; les « vents d'Arès » se déchaînent — v. 63-64 : φράξαι πόλιβμα πρίν καταιγίσαι ττνοάς | ’Άρεως — et soulèvent au to u r de la cité des vagues redoutables — v . 115 iyr. : ττνοαϊς ’Άρεος όρόμενον (s. e. κϋμα) ; Arès soufïle en furieux : V. 343- 344 lyr. : μαινόμενος 8’ έπιτη/εϊ... / . . . ’Άρης^; m ais aux Vents de la guerre qui assaillent Thèbes se su b stitu en t progressivem ent les vents du destin (v. 705-708 lyr.), puis ceux du m alheur qui frappent la descendance de Laïos (v. 854-860 lyr.), et d ’un plan politique l ’image de la tem p ête passe ainsi à un p lan dynastique®.

On peu t m esurer l ’influence du langage im agé des Sept à la p ré­sence de m étaphores sem blables dans les pièces thébaines de So­phocle et d ’Euripide. Le fa it est particu lièrem ent no tab le dans A n­tigone, où l ’image du « vaisseau de la cité » — V. 162-163, v. 167, v. 178- 179, V. 189-190, v. 715-717, v. 994® — prend une in tensité to u t aussi d ram atique grâce à l ’appui qu ’elle reçoit de l ’image de la Vague (v. 162-163)^ et su rto u t du Vent déchaîtié : les soufiles furieux que la haine de Gapanée dirige sur Thèbes — v. 135-137 lyr. : πυρφόροςδς τότε μαινομένίΐ: ξύν όρμ^ | βακχεύων έπέττνει | ξ>ιπα.Χς έχθίστων άνέμων — ·sont un souvenir presque littéral des « vents â'Arès » — Sept 343-344 — et à la tempête qui domine les Sept répond ici la vision d’une citadelle δορός... έν χειμώνι προβτεταγμένον (v. 670)®. Il en Va de

1. Voir p. 119, n. 1.2. Sur le sens de όρθοϋν, voir p. 119, n. 1.3. Sur l’image de la vague, voir p. 115 s., p. 262 s.4. Sur cette image des « vents d ’A rès », voir O. Becker, D os B ild des Weges,

p. 189.5. Voir sur ce point p. 213 ss.6. Voir p. 117 s.7. Voir p. 113 s.8. Dans Œ dipe-roi également Thèbes est en proie à une tempête provoquée

par le meurtre de Laïos — v. 101 : τό8’ αίμα χειμάζον πόλιν — et qui soulève les vagiies d’un terrible fléau : v. 22-24 ; voir p. 263 s.

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m êm e pour les Phéniciennes, où l’image de la tem pête apparaît dans ses deux élém ents constitu tifs : vague — v. 859-860 : έν γάρ κλύδωνι κείμεθ’, ώβπερ οϊβθα σύ, | δορός Δαναϊδών — et Vent — V. 789-790 lyr. : στρατόν Άργείων έπιττιιεύσας | αϊματι Θήβας [s. e. ’Άρης]^ — la tragédie se signalant par de savantes Variations sur ce tte dernière m étaphore, qui Va du « vent de la colère » —- v. 454 : θυμοϋ ττνοάς —. au « vent de la guerre » — V. 789-790 — pour se résoudre à, l ’issue du dram e dans l ’image d ’une brise favorable, guide et secours, et non plus agent de destruction : v. 1712 lyr. : πομπίναν | ϊχων 'έμ' ώστε ναυσίπομπον αΰραν^.

L ’image du navire dans la tou rm en te constitue donc un moyen idéal de représentation de la cité en détresse ; mais elle caractérise aussi, plus généralem ent, l ’im puissance de l ’être hum aia face à, im sort contraire dont l ’hostilité m enace de l ’anéantir. Le prem ier tém oignage de ce tte identification de la tem p ête et du m alheur figure dans une com paraison du chant X X III de VOdyssée, v. 233- 239 : ώς δ’ δτ’ αν άβπάσιος γη νηχομένοισι φανήη, | ών τε Ποσειδάων εύεργέα νή’ ένΙ πόντφ | ραίσγ), έττειγομένην άνέμφ και κύματι πηγω ' | παϋροι. δ’ έξέφυγον πολιής άλος ^ίπεφον δέ | νηχόμενοι ’ πολλή δέ περί χροί τέτροφεν όίλμη ' | άαπάβιοι δ’ έπέβαν γαίης, κακότητα φυγόντες ' | ώς δρα τη άσπαστος &ψ πόσις είσοροώση®. Les com paraisons em pruntées à, la m er et au ven t sont nom breuses dans VIliade, fort rares dans VOdyssée — qui n ’offre dans ce dom aine que l ’exemple cité ici®; encore l ’esprit de la présente com paraison est-il fort différent de celui des tex te s de VIliade, où les références à la mer en furie se ju s­tifien t av an t to u t p ar le souci de m ettre l ’accent sur la violence des scènes de bataille, e t où la pein tu re des sentim ents est le plus souvent reléguée au second p lan ; ici au contraire la valeur de la com paraison est p roprem ent psychologique : ce que vise à suggérer le tab leau des naufragés échappés à la fureur des éléments, c’est l ’é ta t d ’âme de Pénélope délivrée des tem pêtes de l ’angoisse au

1. Sur κλύδων, voir p. 264.2. έπιπνεύσας reparaît, mais avec une valeur favorable, aux v. 794-795 lyr. ;

Άργείοις έπιττνεύσας | Σπαρτών γένναν. L’image des « vents d'Arès » figure égale- meat dans Rhés. 312-313 · ήνίκ’ εξώστης ’Άρης | έθραυε λαίφη τησδε γης μέγας τηιέων, celle du « vaisseau de la cité » battu de la tempête dans Suppl. 268-269 : πόλις δέ πρός πόλιν | επτηξε χειμασθεΤσα ·— l’emploi de έπτηξε indiquant que χειμασθεϊσα n’est guère senti ici ; elle est parodiée par Aristophane, Gren. 361 : τής πόλεως χειμαζομένης.

3. Sur cette image, voir p. 172, p. 53, n. 4, p. 177, n. 2.4. Pour αΰρα, voir p. 203.5. Sur l’adaptation qu’Buripide a faite de ce passage dans les Héraclides

(v. 427-432), voir p. 289 s.6. Voir sur ce point p. 258 s.7. Sur la signification psychologique des comparaisons de VIliade, voir néan­

moins, pour l’image du vent, p. 171 s. ; pour l’image de la vague, p. 247 s.

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re to u r d ’Ulysse. E t dans ce tte u tilisation sym bolique que le poète fait de la n a tu re , le dom aine figuré représente une véritab le inver­sion de la réalité m atérielle : car seul Ulysse a parcouru les mers et connu le gros tem ps, m ais c ’est p o u rtan t Pénélope qui revoit à présent le rivage au sortir des Vagues ; rien n ’indique plus clairem ent qu ’aux yeux du poète ce n ’est pas sur l ’eau que sévissent les pires tourm entes^.

Cette idée est au prem ier p lan de la tragédie, et dans les Sup­pliantes d ’Eschyle, les Danaïdes, au te rm e de leur traversée , redou ten t, plus encore qu ’elles n ’on t crain t sur m er la violence des Vents, le souffle de la jalousie d ’H éra qui croit sans relâche et v a finir par se transform er en une véritab le tem p ête : v. 165-166 lyr. ; χαλεπού | γάρ έκ τηιεύματος εΐύί χειμών^. Toutefois, c ’est dans VOrestie que l ’image de la « tempête du malheur » connaît les plus am ples dévelop­pem ents, e t ce, selon un rap p o rt é tro it en tre le litté ra l e t le figuré qui est l ’une des caractéristiques du génie d ’Eschyle : de même qu’au débu t à'Agamzmnon les souffles contraires Venus de Thrace (v. 148 lyr., V. 192 lyr.) ont leur con trepartie dans le dom aine des sen ti­m ents du personnage principal — ta n t qu ’il se refuse au sacrifice de sa fille, Agam em non « souffle dans la même direction » que ces vents adverses : v. 187 lyr. : έμπαίοις τύχαίσι συμτηιέων ; et la déci­sion qu ’il prend ensuite de sacrifier Iphigénie est présentée comme une « saute de vent » : v. 219 lyr. : φρενάς τινέων δυσσεβή τροπαίαν® — de m ême pour évoquer la tem p ête de m alheurs qui assaille la de­m eure des A trides le poète a repris les term es les plus propres à rappeler la tem p ête décrite aux v. 650-670, celle dont la flotte grecque a é té victim e.

A ux V. 656-657 à.'Agamemnon, le messager se souvient des rafales chargées de pluie qui ont assailli e t gravem ent endom m agé les n a ­vires des Grecs : χειμώνι τυφώ σύν ζάλη τ’ ομβροκτύπφ, | ώχοντ’ αφαντοι, ποιμένας κακοϋ στρόβφ ; ce que redoute le chœ ur pour la maison des A trides, représentée comme un navire — v. 1617-1618 : σύ ταϋταφωνεϊς νερτέρςι προβήμενος | κώπη, κρατούντων των έπΙ ζυγφ Sopoç^; — ■c’est aussi une tem pête , lourde ce tte fois d ’une pluie de sang : v. 1533- 1534 lyr. ; δέδοικα δ’ δμβρου κτύπον δομοοφαλη | τον αίματηρόν, le pa-

1. Voir à propos de ce passage les remarques de W. Elliger, p. 110, et deH. Seyffert, p. 20 ; ce dernier rapproche de II. XV 624-629 (voir p. 9), mais pour souligner combien la peinture des sentiments tient plus de place dans le texte de VOdyssée.

2. A cette tempêté métaphorique répond la véritable tempête qu’elles sou­haitent à leurs ennemis, v. 34-37 lyr. : ëv0a δέ λαίλαπι χειμωνοτύπω, βροντή στεροττη τ’ I όμβροφόροισίν τ’ άνέμοίς, άγριας | άλός άντήβαντες δλοιντο ; sur l’image du vent dans la pièce, voir p. 173 s.

3. Voir p. 174 s.4. Sur ce passage, voir p. 117.

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rallélism e δμβροκτύπφ (v. 656)-δμβρου κτύπον (v. 1533) Soulignant l ’étro ite correspondance entre le litté ra l et le figuré^; de même Troie a coïinu à l’arrivée d ’Hélène l ’illusion d ’un tem ps serein — v. 740 lyr. : φρόνημα... I νηνέμου γαλάνας^ —. m ais Ce calm e n ’é ta it que le prélude à la tem pête qui l ’a anéantie : v. 819 ; όίτης θύελλαν ζώσι^. C’est que la m er en furie sym bolise ici les forces surhum aines du m alheur qui anéantissent les personnages, un issan t dans une même fa ta lité , à chaque génération, les agents du destin — Agamemnon et Oreste — et ceux qui leur son t proches — Clytem ïiestre, Cas- sandre, É lectre^ ; aux vagues qu i se lèvent pour détru ire la flotte grecque — v. 653 : δυσκύμαντα δ’ δρώρεο κακά — correspondent dans la vision de la prophétesse les vagues qui représenten t sa m ort p ro­chaine ainsi que celle de son vainqueur — v. 1181-1183 : ώστε κύματοςδίκην I κλύζειν πρός αύγάς τοϋδε ττήματος πολύ | μεϊζον®; et SOUS leven t de l ’inspiration qui ne lui révèle que malheurs im m inents, Gassandre tournoie comme un vaisseau désem paré : v. 1215-1216 ;ύπ’ αδ με δεινδς όρθομαντείας πόνος | στροβεΐ, ταράσσων φροιμίοις ®.Clytem nestre elle aussi p ré tend avoir connu en l ’absence d ’Aga­m em non la tem p ête d ’une angoisse à laquelle m et fin le re tou r du ro i ; V. 900 : κάλλκιτον ^μαρ είσιδεΐν έκ χείματος ; mais il n ’y a là, que mensonge : la véritab le tem pête , en fait, se prépare, et pour le souverain ; et l ’hypocrisie du personnage dénature ju squ’à l’inver­ser le sym bole général de la tragédie.

Dans les Choéphores, la tem p ête a passé qui a causé la m ort d ’Aga­m em non ; c ’est désormais à, ses enfants d ’éprouver le b ru ta l assaut de l ’infortune. Gomme les vaisseaux de la flotte grecque, Ë lectre e t Oreste tou rno ien t sous le ven t du m alheur : v. 201-203 : άλλ’είδότας μέν τούς θεούς καλούμεθα | οϊοισιν έν χειμώσι ναυτίλων δίκην | στροβούμεθ’ ’ ; leurs souffrances, comme celles de Gassandre, se font sen tir avec la violence des vents qui ont assailli les navires à Au- lis — A g . 657 : στρόβφ ; 1216 : στροβεϊ ; Cho. 203 ; οτροβούμεθα — ■

1. Voir à ce propos les remarques de W. G. Scott, p. 465; J. J. Peradotto, p. 384 s.

2. Sur γαλήνη, voir p. 291.3. Voir sur ce point J. J. Peradotto, p. 385.4. Voir W. G. Scott, p. 469 ; G. P. Segal, Nature and the world o f man in Greek

literature, p. 33 ss.5. Bur I’ensemble des v. 1178-1183, voir p. 178 s.6. Sur l’image du « vent de l ’inspiration », voir p. 178 ss. ; sur ταράσσειν qua­

lifiant l’action du vent, p. 325, n. 6 ; pour cette interprétation de στροβεϊν, voir aussi O. Becker, D as B ild des Weges, p. 156, n. 13, p. 163.

7. Déjà aux v. 183-186 la joie mêlée d’angoisse ressentie par Électre à la vue de la boucle de cheveux d’Oreste se traduisait par l’image de la vague — v. 183 : κλυδώνιον — voir p. 248 s. ; mais celle delà tempête y était déjà en préparation : v. 186 : δυβχίμου ; sur cette image, voir J. de Romilly, p. 32 ; H. Disep, p. 224 s.

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et le salu t que souhaite trouver É lectre — v. 203 : εί 8è χρή τυχεϊν σωτηρίας κτλ. — ii’est que la transposition sur le plan figuré de celui qü ’a connu dans la tem p ête le Vaisseau d ’A gam em non — Ag. 664 : Τύχη... Σωτήρ^. Après la m ort de G lytem nestre, Oreste essuie un n ou­veau coup de Vent, e t un nouvel em ploi de στροβεϊν suggère la p a ­ren té eïitre la tem p ête d ’Aulis et celles du délire prophétique {Ag. 1216), du désespoir {Cho. 203) e t de la dém ence : v. 1051-1052 :τίνες βε δόξαι, φίλτατ’ άνθρώπων πατρί, | στροβοϋσι,ν ; ‘ Le m eurtre de la reine, su rvenan t après ceux d ’A trée e t d ’Agam em non, a passé siir la dem eure des A trides comme une « troisième tempête » — V. 1065-1067 lyr . : δδε τοι μελάθροις τοϊς βασιλείοις | τρίτος αδ χειμών | ττνεύσας γο- νίας έτελέβθη — et la tragédie s’achève sur une interrogation an­goissée où se traduit néemmoins l’espoir de Voir s’apaiser les souffles furieux de la fatalité : v. 1075-1076 lyr. : ποΐ καταλήξει | μετακοιμισ- θέν μένος ’Άτης^ ;

Gar, si Agamemnon e t les Choéphores voient la tem p ête à,son comble, dans les Euménides se tra d u it au contra ire un progressif re to u r au calme dé jà dans les Choéphores s ’exprim ait le souhait que Zeus fasse un jour to u rn er les Vents contraires qui sévissaient sur la de­m eure d ’Agamemnon — v. 775 : άλλ’ εί τροπαίαν Ζεύς κακών θήβει ποτέ^ — et le chœ ur évoquait l ’in s tan t heureux où le « vaisseau », poussé par des vents propices, p o u rra it connaître à, nouveau une navigation favorable : V. 820-824 lyr. : δομάτων λυτήριον | θήλυν ού- ριοστάταν | ...νόμον | μεθήβομεν ' « πλεΐ® τάδ’ εδ ». Get apaisem ent de la tem p ête devient m ain tenan t réa lité : si l ’om bre de G lytem ­nestre, to u te à, sa rancune, com m ande aux divinités Vengeresses de diriger sur Oreste leur « souffle sanglant », v. 137 : ού δ’ αΐματηρόν πνεϋμ’ έπουρίσαβα τφ κτλ.® — ce sang déjà ap p a rtien t au passé

1. Sût les v. 663-664, voir p. 127.2. Voir J. J. Peradotto, p. 386 s. ; μετακοιμισθέν (v. 1076), qui évoque l’apaise­

ment de la tempête, anticipe déjà sur le κοίμα de Eum. 832, c(ui évoque i’apaise- ment de la vague : voir p. 289 ; pour λήγειν appliqué à Un vent, voir aussi Pind., Pyth. IV 292 (p. 191 s.) ; Soph., A j. 258 (p. 280 s.) ; Bacchyl., Ode X III, V. 122, V. 128 (p. 306, n. 3) ; pour μένος évoquant la fureur d’une tempête, Eur., Hé- racl. 428 : χειμώνος... άγριον μένος (p. 289).

3. J. J. Peradotto note justement que l’image du vent se signale dans la tri­logie par « an unmistakable pattern of development from unnatural inclemency to clemency » (p. 383).

4. Pour τρόπαια, voir p. 175, p. 189 s.5. Le texte n’est pas sûr : certains adoptent la leçon πέλει, d’autres πόλει

(rattaché à μεθήσομεν) ; mais étant donné l’image qui domine la tragédie entière et plus précisément l’allusion du v. 821 aux vents favorables — ούριοστάταν — la métaphore du vaisseau — πλεϊ — serait ici tout à fait naturelle ; sur ce pas­sage, voir B. L. Hughes, p. 145 s.

6. Sur έπουρίζειν, voir p. 213, n. 6.7. Cf. A g. 1534 : αίματηρόν (p. 286).

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car voici que s’endort la vague de rage qui soulevait les Ériùnyes—■ V. 832 : κοίμα κελαινοϋ κύματος πικρόν μένος --- et l’hostilité deséléments disparaît pour céder le pas à la vision sereine des vents favorables, de la terre, de la mer et du ciel enfin réconciliés, du soleil qui succède aux averses, sur laquelle se clôt la trilogie : V. 904-906 :καΐ πάντα γηθεν εκ -τε πόντιας δρόσου | εξ ούρανοϋ τε τάνέμων άήματα | εύηλίως τινέοντ’ έπιστείχειν χθόνα . La fin des Eum énides marque le moment où l’angoisse devant le déchaînement aveugle des forces du mal laisse place à, un sentiment nouveau de confiance dans le prin­cipe d’une justice réfléchie et féconde : le triomphe de l’homme sur les éléments consacre l ’accession à un nouvel ordre des choses dans l’univers.

En dehors d’Eschyle, l ’image de la « tempête de malheurs » n’a guère dans la poésie dramatique que des emplois isolés ; elle figure dans V Électre de Sophocle —■ V. 1150-1151 : πάντα γάρ συναρπάσας ] θύελλ’ όπως βέβηκας — où elle renforce celle de la Vague —· v. 1074- 1075 lyr. : πρόδοτος δέ μόνα σαλεύει | Ήλέκτρα^ — pour suggérer les angoisses; de la solitude, et chez Euripide, brièvement évoquée dans Ion 966 : δόμων σών δλβος ώς χειμάζεται et le frg. 781 N, 57-58 : φιλεϊ τά τοιάδε | ληφθέντα φαύλως ές μέγαν χειμών’ αγειν ; plus ViVante est dans les H éraclidés la vaste comparaison dans laquelle des sup­pliants, refoulés du pays où ils demandent asile, se voient sous les traits de marins que le souffle d’une tempête a rejetés loin de la côte où ils touchaient déjà : v. 427-432 : S> τέκν’, έόιγμεν ναυτίλοίσιν,οϊτινες | χειμώνος έκφυγόντες όίγριον μένος | ές χεϊρα γη συνήψαν, εΐτα χερσόθεν | ττνοαϊβιν ήλάθησαν ές πόντον πάλιν. | Οΰτω δέ χήμεϊς τήσδ’ άπωθούμεσθα γης | πρ6ς άκταϊς δντες ώς σεσωσμένοι. L’éVOCationest intéressante à, plus d’un titre ; non seulement un ensemble imagé de cette dimension est exceptionnel dans la tragédie, spécialement dans un passage non lyrique®, mais surtout l ’adaptation qu’on y découvre de la comparaison des v. 233-239 au chant X X III de VOdys­sée^ est caractéristique de l ’attitude des tragiques devant la vie; si dans un cas comme dans l’autre les naufragés échappent à, la tem­pête — Od. X X III 236 : έξέφυγον πολιής άλός ; 238 : κακότητα φυγόντες ; Héracl. 428 : χειμώνος έκφυγόντες όίγριον μένος —■ les personnages

1. Sur κϋμα, voir p. 249.2. Sur l’image du vent dans les Euménides, voir J. J. Peradotto, p. 387 s.3. Peut-être l’alliance de ποντίας et de δρόσου (v, 904) marque-t-elle, comme

πόντιας έέρσας dans Pind., Ném. VII 79 (p. 275 ss.), ce passage de la destruc­tion à la création.

4. Voir p. 270.5. Voir p. 17, p. 265 ss. ; le seul exemple analogue est, chez Euripide, Tro.

688-696 ; voir p. 268 s.6. Voir p. 285 s.7. Cf. Aie., frg. 46 b D, 4 : χε[ίματί τ’ άγρίφ].

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représentés p a r le poète épique finissent p a r toucher te rre — Od. Χ Χ ΙΓ Ι 238 : έπέβαν γαίης — au lieu que ceux d ’E uripide sont re ­jetés au large — Héracl. 430 : ήλάθησαν ές πόντον πάλιν — pour con­n a ître à nouveau le déchaînem ent des élém ents^.

L e c a l m e .

πιστός έν κακοΐς άνήρ κρείσσων γαλήνης ναυτίλοισιν είσοραν.

Eur., Or. 727-728.

D eu x term es d ésign en t en grec le ca lm e de la m er e t des é lém en ts : εύδία et γαλήνη q u i caractér isen t par tran sp osition un é ta t d ’h eu ­reuse sérén ité ^

Pour le p erson n age en é ta t d e crise, εύδία e t γαλήνη — ou les term es ap paren tés — rep résen ten t le m om en t h eu reu x où , la fo lie s ’a p a isan t, il jo u it des b ien fa its du repos o u de la lu c id ité ; t e l est le cas d ’H é- rak lès qui, après avo ir su b i l ’a ssau t d ’u n e v a g u e terrib le^ , co n n a ît à p résen t la p a ix du so m m eil : E u r., Hér. 1048-1050 lyr . : μή | τ6ν εΰδι’ Εαύονθ’ | ΰττνώδεά τ’ εύνάς εγείρετε ; d ’O reste au ssi, sa lu an t le jour serein q u ’il r e v o it au sortir des v a g u es de la d ém en ce : Or. 279 : ht κυμάτων γάρ αδθις αύ γαλήν’ όρώ®. T oujours ch ez E u rip id e, γαληνίζειν figure en co n tra ste avec ταράβίειν pour dép ein dre les p hases su ccessives d ’a g ita tio n e t de ca lm e ép rou vées par l ’esprit sou s l ’effet de l ’ivresse : frg. 1079 N, 4 : [δστις] μέθη ταράβσει καΐ γάληνίζει φρένα®, e t dans H y p s ip y le έκγαληνίζειν tra d u it l ’o u b li des

1. Voir sur ces deux textes W. Elliger, p. 109 ; pour l’image de la « tempête du malheur » dans la comédie attique, voir Phil., frg. 28 E ; Mén., frg. 187 E, frg. 208 E, frg. 404 E, 6-7, frg. 970 E ; chez ce dernier, χειμάζεσθαι n ’est guère plus expressif que λυπεϊσθαι, et χειμών que πράγμα ; par ailleurs, les comiques appellent volontiers χειμών une personne emportée : Mén., Gnôm. 540 ; Alex., frg. 178 E, 5-7 ; et dans le frg. 46 E, 1-4, du même auteur, un parasite est appelé χειμών τρίτος (v. 4) ; τρίτος a ici la valeur intensive du préfixe τρι- dans τρικυμία (voir p. 269, n. 5), et l’expression n’a évidemment rien à faire avec le τρίτος χειμών d’Eschyle [Cho. 1066, p. 288) ; pour un emploi parodique de χειμών, voir enfin Call., Ê pigr. XLVII PF, 2 : χειμώνας μεγάλους έξέφυγεν δανέων.

2. Il s ’agit aussi, bien sûr, des termes de la même famille, comme εΰδιος, γαληνός, γαληνίζειν, έκγαληνίζειν, etc. ; c’est le spectacle d’une mer calme et lisse, qu’aucune vague ne vient « hérisser », qui explique sans doute l’étrange métaphore du frg. 108 K de Sophron, où un chauve est appelé φαλακρώτερος εύδίας.

3. Cf. Plat., A x. 370 D ; Xén., Anab. V, V I I I 19 ; Anacréont., frg. 7 B ; Hérond. I 28.

4. V. 1091 : κλύδωνι, voir p. 250.5. Sur κϋμα, voir p. 251.6. Sur l’emploi chez Euripide de termes imagés pour l’évocation des mouve­

ments de la vie intérieure, voir B. Meissner, p. 121 s. ; pour ταράσσειν suggérant l’action du vent, voir p. 325, n. 6.

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chagrins : frg. I 1 BD, 2-3 : ά]θύρμα[τ]α | & σάς [ό]δυρμ,ών έκγαλη[νιεϊ φ]ρένας. De là les emplois de εΰδί«, γαλήνη, etc., pour évoquer, sans référence à quelque crise que ce soit, le calme des dispositions in té ­rieures : emplois fort peu imagés au dem eurant, ta n t clièz les t r a ­giques — pour qualifier la douceur des sentim ents (Eur., Iph. Taur.345 — où γαληνός est associé à, φΛοικτίρμων), des paroles (Eur., Héc. 1160 : γαληνών... προβφθεγμάτων) OU d ’une a ttitu d e (Soph., frg. 3 1 4 P, 34 6 : [où 8’ οδν το λοιπ6]ν εις εμ’ εύδίαν εχων) — qu’en prOSe, dans le langage de la médecine — Hippocr., Fiat. 14 (L V I, 114) : καΐ γαλήνης έν xâ> σώματι γενομένης — OU de la philosophie — P ro t., frg. 9 D K : εύδίης γάρ εϊχετο ; P la t., Phéd. 84 A : γαλήνην τούτων παρα- σκευάζουβα (s. e, φιλοσοφία) ; Lois 791 A : γαλήνην ησυχίαν τε έν τη ψυχη φαίνεσθαι ; A rist., Physiogn. 812 A, où γαλήνη s’oppose à συννεφής έξις^.

Q uand l ’hom m e, d ’au tre p a r t, est considéré dans ses relations avec son entourage e t le m onde extérieiu·, de m ême que χειμών évoque les lu ttes q u ’il do it affronter, de même εύδία et γαλήνη suggèrent to u t naturellem ent l ’é ta t de paix qui les précède ou les suit : dans VAn- dromaque d ’E uripide εύδία désigne l ’accalmie passagère du com bat —· V. 1 145-1146 : έν 8Û8iqt δέ πως | Μστη — et chez Eschyle deux évo­cations sem blables se répondent ; dans Agamemnon, l ’arrivée d ’H é­lène à Troie, pleine d ’une trom peuse sérénité, appara ît comme un calme p la t y . 740 lyr. : φρόνημα... | νηνέμου γαλάνας — auquel les Troyens ne savent pas que v a succéder la tourm ente de m ort qui an éan tira leur cité, άτης θύελλαι (v. 819)® ; et dans les Sept, lorsque Thèbes a triom phé des arm ées ennemies, le calme qui fait su ite au déchaînem ent de la guerre est représenté p a r l ’image du beau tem ps dont jo u it le nav ire après avoir affronté l ’assau t des vagues : v. 795- 796 : πόλις 8’ έν εΰδίο: τε καΐ κλυδωνίου [ πολλαϊσι πληγαΐς άντλον ούκ έδέ- ξατο^. C ette m étaphore est en fa it la dernière de la pièce où ap ­paraisse le « vaisseau de la cité^ » ; E téocle est m ort, mais si sa ville vogue à présent dans des eaux calmes, c ’est encore à l ’action de son pilote q u ’elle le doit®.

1. De même les désordres orgaaiques sont rendus dans la langue d’Hippocrate par les images de la vague (p. 248 s.) et de la tempête (p. 279, n. 4).

2. De même l’emploi de γαλήνη chez Soph., É l 899, n’appelle aucune repré­sentation précise ; par contre, διαγαληνίζειν est senti par Aristophane dans ses rapports originels avec la mer : Cav. 646 : ή 8’ εύθέως τά πρόσωπα διεγαλήνισεν : si les visages se rassérènent, c’est que le prix des sardines a baissé. Voir J. Tail- lardat, Les images d ’Aristophane, p. 179.

3. Voir p. 287.4. Sur όεντλος, voir p. 144, p. 223 ; sur la manière dont les détails καΐ κλυδωνίου

κτλ. enrichissent le premier élément de l’image (εύδία), voir O. Smith, p. 18 s.5. Si l’on excepte celle des v. 1076-1078 lyr. (voir p. 262) ; sur la place de

l ’image des v. 795-796 dans l’ensemble de la tragédie, voir p. 116, p. 214 s.6. Voir G. M. Kirkwood, E teodes oiakostrophos, p. 21, p. 25 : « Eteocles the

helmsman achieves by his death the preservation of Thebes. »

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Chez Piïidare, l ’image du tem ps serein se sitüe égalem ent daiis le cadre de la cité et sur im arrière-plan de conflits. Dans le II® Péan, après avoir évoqué les qualités de vaillance qui fu ren t nécessaires à Abdère au cours de la lu tte qui l ’opposa à ses voisins (v. 37-39), le poète définit les vertu s proprem ent civiques capables d ’assurer le bonheur de to u te cité :

τό S’ εύ - βουλίς: τε καΐ a[iS]oï έγκείμενο[ν] αΐ- ε'ι θάλλει μαλακαΐς ε[ύ]8ίαι[ς],

V. 50-52.

« ce qui est enraciné dans la sagesse et le sens de Vhonneur ne cesse de fleurir dans une douce sérénité ».

Deux idées sont ici associées : celle d ’un développem ent harm o­nieux, qui a suggéré à P indare l ’im age de la p lan te en fleur, comme l’indique l ’em ploi non seulem ent de θάλλει (v. 52), mais aussi de έγκείμενον (v. 51)’·; celle de la pa ix in térieure, que tra d u it εύδίαις (v. 52). Car c ’est bien de relations pacifiques en tre coiicitoyéns qu ’il s ’agit, e t si la vaillance — V. 37 ; άλκ^ — ■ perm et à. l ’occasion de re ­pousser la tem pête de la guerre, une conduite inspirée à, la fois p a r une sage prudence —■ v. 50-51 : εύβουλίςι — et le sens de l ’honneur n a tional — v. 51 : αίδοϊ — doit assurer en perm anence la concorde à l ’in térieur de la cité et é lo i^ ier la m enace de la guerre civile, στάσις : εύδίαις ne désigne en som m e pas au tre chose que l ’é ta t ά ’ήσυχία, te l que le définit le débu t de la VIII® Pythique^, e t de m êm e que dans l ’ode dédiée à Aristom énès la réflexion dépasse singulièrem ent le cadre d ’Égine, de la m ême m anière ici le pluriel εύδίαις tém oigne que le po in t de vue est très général e t englobe, p a r delà Abdère, la vie des cités dans leur ensemble®.

Cette opposition en tre la pa ix in térieure d ’une ville, symbolisée p a r εύδΙα, et les conflits qui peuvent m ettre aux prises ses citoyens, appara ît pleitiem ent dans le III® Hyporchème où, après une allusion aux horreurs de la guerre en tre cités (v. 1-3), P indare enchaîne sur la nécessité d ’éviter celles de la guerre civile :

κοινόν τις άστών έν εύδίς: :

1. Voir S. L. Radt, p. 53 ; mais il n’y a pas lieu de rapprocher de Théogn. 48 : vüv κεϊται πολλή έν ήσυχίη (s. e. πόλις), où κεϊται n’implique aucune image précise.

2. Voir p. 220 SB. ; E. L. Bundy, qui fait ce rapprochement {Hesychia in P in ­dar, p. 11), souligne également (p. 10) la ressemblance entre Péan II 52 : μαλα- καϊς ε[ύ]δίαι[ς] et Pyth. VIII 6-7 : τύ γάρ τό μαλθακόν 2ρ|ξαι τε καΐ παθεϊν κτλ.

3. Voir S. L. Radt, p. 52 ; sur cet emploi du pluriel chez Pindare, voir p. 336 et n. 4.

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. τιθείς έρευνασάτωμεγαλάνορος Ήβυχίας τό φαιδρόν φάος, .στάσιν άπδ πραπίδος έπίκοτον άνελών.

V. 5-8.

« que tout citoyen assure la sérénité de VÉtat et recherche Véclatante lumière de la Tranquillité, bannissant de son cœur la discorde vindica­tive ».

Ici eïicore s’impose la p a ren té avec la VIII® Pythiqué : car le con­tra s te qui s ’é tab lit dans to u t le début de ce tte ode en tre l ’élément d ’équilibre e t de pa ix — dans la cité comme dans l ’univers — re ­présenté p a r Η συχία (v. 1) e t l ’élémeut de troub le et de désordre incarné p a r ΰβριν (v. 11)^, figure égalem ent dans le III® Hypor- chème, où s’opposent to u t aussi n e ttem en t la concorde, symbolisée p a r la lum ière d ’un tem ps serein —■ v. 5 : e ù % ; v. 7 : φάος^ —· et la discorde, évoquée p a r στάσίς (v. 8)®. On peu t donc adm ettre que le στάσις de Hyporch. I I I 8 est l ’équivalent de Γΰβρις de Pyth. V III 11^, e t voir dans ce triom phe répété des forces créatrices —■ Pyth. V II I 2 : μεγιστόπολι ; Hyporch. I I I 7 : μεγαλάνορος —■ sur les forces de destruction le signe d ’une m êm e croyance de P indare en l ’existence de principes m oraux régissant les villes et plus généralem ent le monde® : on ne sau ra it tro u v er m eilleure preuve de la perm a­nence de ces convictions que dans la su rprenan te ressem blance en tre le geste d ’H ésychia p récip itan t l ’insolence dans l ’abîm e aux v. 10-11 de la VIII® Pythique τιθεϊς | ΰβριν ht άντλφ —■ et celui p ïê té ici au citoyen qui place sa cité dans un é ta t de paix durable : v. 5-6 : τό κοινόν... έν εύδίς: | τιθείς ; le verbe n ’a dans le III® Hyporchème aucune b ru ta lité , car il ne s’agit pas d ’anéan tir un élément de dé­sordre — Pyth. V II I 11 : ΰβριν — mais de donner à ce qui repré­sente l ’ordre é tab li chez les hom m es —■ Hyporch. I I I 5 : κοινόν —■ les meilleures chances d ’un développem ent fécond ; au gouffre m a­rin — Pyth. V III 11 : έν «ντλφ —■ répond ici la m er tra n q u il le —■ H y­porch. I I I 5 : έν εύδίς:®.

L es ressem b lan ces form elles en tre le κοινόν... έν εύδίς: d e P in dare et le πόλις... έν εύδίςί d ’E sch y le (Sept 595) n e d o iven t pas conduire à, des rap p roch em en ts ab usifs en tre les d eu x p assages : si la v ision e sch y léen n e d ’u n e c ité n a v ig u a n t dans des ea u x ca lm es s ’im pose avec u n e rare év id en ce ta n t en raison de l ’ap pu i qu’elle reço it de

1. Voir p. 220 ss.2. Sur le symbole de la lumière, voir p. 99 et n. 3.3. Cf. aussi Hyporch. III 8 : στάσιν άπό πραπίδος έπίκοτον ά'/ελών et Pyth. VIII

8-9 : άμείλιχον | καρδί<ί κότρν ένελάση.4. Voir Ε. L. Bundy, Hesyehia in P indar, p. 8.5. Voir E. L. Bundy, p. 7 ss.6. Sur ίίντλος, voir p. 223 s.

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son contex te im m édiat — v. 795-796 : καΐ κλυδωνίου | ™λλαϊ«ίί πλη- γα ΐς ίίντλον ούκ έδέξατο — · que d ’uft em ploi in s istan t de m étaphores m aritim es dans to u te la prem ière p artie de la tragédie, il n ’est rien de te l dans le 111^ Hyporchème, e t encore moins dans le II^ Péan, où le seul indice p e rm e ttan t de conclure que P indare a p eu t-ê tre soïigé au « vaisseau de la cité » est la présence ici de eùSiq:, là de εύ- δ ΐα ις ; m ais aucun te rm e te l que κυβερνάβιες {Pyth. X 72), ττηδαλίφ et κυβερνάτας {Pyth. I 8 6 e t 91) OU κυβερνατήρ {Pyth. IV 274)^ ne v ient délim iter l ’im age avec exactitude. Ce qui est sû r p a r contre, c’est que chez P indare comme chez Eschyle l ’em ploi de εύδ£α de­m eure lié aux préoccupations que des conflits, extérieurs ou in té ­rieurs, peuvent faire n a ître au cœ ur des citoyens.

L e c a l m e a p r è s l a t e m p ê t e .

Les tragiques ignorent, ou peu s’en fau t, l ’opposition en tre le calme et la tem pête . Si l ’im age du calm e ap p ara ît chez eux en con traste avec une au tre im age, c’est avec celle de la vague ; dans VHéraklès d ’E uripide εΰδι[α] (v. 1049) s’oppose à, κλύδωνί (v. 1091) ; dans Oreste, γαλην[ά] (v. 279) à, κυμάτων ; e t dans les Sept d ’Eschyle c’est κλυδώ- viov (v. 795) qui répond à, εύδία^; sans doute Agamemnon présente-t-il une opposition en tre le calm e —■ v. 740 : γαλάνας —■ et la tem p ête— V. 819 : θύελλαι —■ mais les deux images se tro u v en t à près de quatre-v ingts vers d ’in tervalles, et c ’est donc un exem ple que l ’on ne sau ra it valablem ent invoquer. Q uand d ’u n au tre côté χειμών® sym bolise chez eux des épreuves susceptibles de p rendre fin, la m éta ­phore opposée n ’est pas celle du calme, m ais du p o rt, qui m arque le term e des souffrances : ainsi, dans VAndromaque d ’Euripide, le secours d ’un am i représente le p o rt où l ’être en détresse est assuré de tro u v e r l ’oubli de ses m alheurs passés : v . 748-749 : χείματος γάρ άγριου | τυχοΰσα λιμένας ήλθες είς εύηνέμους ; V. 891 : & ναυτίλοισι χείματος λιμήν φανείς ; et dans les Bacchantes l ’arrivée au po rt après les fureurs de la tem p ête tra d u it de façon sym bolique la paix trouvée dans la religion au so rtir des tracas du « m onde » : v. 902-903 lyr. :ευδαίμων μέν δς έκ θαλά<ίσας | εφυγε χεϊμα, λιμένα δ’ εκιχεν®. Les antithèses les plus proches de la m anière lyrique se tro u v en t en défi-

1. Sur ces trois passages, voir p. 110 ss.2. Voir p. 250 s. et p. 290.3. Voir p. 262 et p. 291.4. Voir p. 287 et p. 291.5. Ou χεϊμα.6. On s’accorde en général à entendre ces vers au figuré : voir W. Breiten-

bach, p. 149; E. E. Pot, p. 73; L. A. Stella, E uripide lirico (Atene e Roma, 3® s. 7, 1939), p. 36 s. ; W. Vollgrafî, Le péan delphique à D ionysos (Bull. Gorr. Hell. 46, 1924), p. 182 s. ; G. Bonner, p. 55 s., etc. ; toutefois, certains donn,ent

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n itive dans la m étaphore de G lytem nestre au v. 900 Agamemnon : κάλλιστον ήμαρ είατώεϊν έκ χείματος^, et chez E uripide dans la com ­paraison du frg. 330 N, 3-4, 6-7 : οδτος [se. αιθήρ] θέρους τε λαμπράν εκπέμπει βέλας, | χειμώνα τ’ αδξει συντιθείς πυκνί>ν νέφος ' | . . . ] οΰτω δέ θνητών σπέρμα των μέν εύτυχεϊ | λαμπρή γαλήνη, των δέ οτυννέφει πάλιν ;cependant, dans un cas ήμαρ (Ag. 900) n ’est pas exactem ent εύδία, e t dans l’au tre l ’accent est mis plus sur les nuages —■ frg. 330, 4 : νέφος ; 7 : συννέφει — · que sur la tem pête proprem ent d ite — v . 4 : χειμώνα —■ et la com paraison concerne moins la m er que le cieP.

Chez les lyriques, p a r contre, l ’opposition sym bolique du calme et de la tem p ête est fréquente®, e t le prem ier exemple dont on dis­pose figure chez Simonide, dans une com paraison m alheureusem ent m utüée, e t dont il ne subsiste que la prem ière partie : frg. 20 D :ώς όττόταν χειμέριον κατά μηνα πινύσκη | Ζεύς άματα τέσσαρα καΐ δέκα, | — · λαθάνεμόν τέ μιν καλέουσίν έπιχθόνιοι | ΐράν παιδοτρόφον ποικίλας | άλκυόνος ; il est sans doute m alaisé de définir avec exactitude la signification m étaphorique d ’un te x te aussi incom plet ; on peu t to u te ­fois avancer avec assez de certitude que les quatorze jours de calme dits « alcyoniques », évoqués aux v . 2 ss., e t dont la douceur se fait sen tir au cœ ur du mois des tem pêtes —· v. 1 : χειμέριον... μηνα ·—■ sym bolisent la joie que procure une victoire dans le désordre de la guerre^ : l ’opposition en tre la violence des vents — v. 1 : χειμέ­ριον — et leur apaisem ent —· v. 3 : λαθάνεμόν — est déjà une ébauche de l ’u tilisation con trastée que fera P indare de χείμών et de εύδία®.

L ’an tithèse ap p a ra ît dès la XII® Olympique, quoique n i l’un n i l ’au tre term e n ’y soit em ployé ; co n sta tan t, au début de l ’antistrophe, l ’im possibilité où se tro u v e l ’hom m e de prévoir son avenir — v. 7-9 : βύμβολον δ’ οΰ πώ τις έπιχθονίων | πιΰτόν άμφί πράξιος έβσομένας εύρ|εν θεόθεν · I τών δέ μελλόντων τετύφλωνται φραδαί® —■ ta n t les événements déconcertent son a tte n te — v. 10 : πολλά δ’ άνθρώποις παρά γνώμαν 2πεβεν —· le poète considère les deux aspects de ce tte réalité à la-

aux termes marins un sens purement littéral : ainsi G. M. Bowra, Pindar, p. 200. Sur l’image de la vague aux v. 904-905, voir p. 271, n. 2.

1. Voir p. 287.2. Voir à ce propos E. Schwartz, p. 18.3. Le seul exemple lyrique d’antithèse entre la tempête et le port — ou le

mouillage — figure chez Théognis, v. 1273-1274 : έκ δέ θυέλλων | ήκάγ’ ένωρμίσθην νυκτός έπειγομένης; voir ρ. 279.

4. Voir G. Μ. Bowra, Greek lyric poetry, p. 316. S’agit-il d’une victoire aux jeux ou d’une victoire de guerre? H. Frankel (Eine Stileigenheit der frühgrie- chischen Literatur, p. 96, n. 1) penche en faveur de la seconde hypothèse.

5. L’hiver étant la saison des tempêtes, l’adjectif χειμέριος est ambigu ; il est des cas où il faut le traduire par « d ’hiver » — Pyth. Y 10 ; Isthm. IV 18 — d’autres par « de tempête » ; 01. VI 101 ; sur 01. VI 101-102, voir p. 62 ss.

6. Voir p. 130.

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quelle il a to u jo u rs , été particu lièrem ent sensible^, e t évoque suc­cessivement ceux dont la joie est brusquem ent anéan tie — v. 11 : φπαλιν μέν τέρφιος ·— et « ceux qui, exposés aux tempêtes de l'infor­tune, ont m en un instant leur peine changée en un bonheur profond ».

oi 8’ άνιαραϊς άντικύρσαντες ζάλαις έβ-

λόν βαθύ ττήματος έν μι- κρφ πεδάμειψαν χρόνφ.

V. 11-13.

L ’expression ne p eu t être appréciée à, sa ju ste valeur que par réfé­rence au contenu im agé de la strophe précédente ; les v . 1 à 6, en effet, placés sous le signe de l ’invocation à, Tyché^, sont dominés par la présence sym bolique de la m er dans la vie de l ’hom m e : Tyché gouverne non seulem ent les vaisseaux, mais les guerres et les as­semblées (v. 1-5), e t c’est sur im e m er d ’illusions vaines que les es­pérances hum aines s’ouvrent im chem in incertain , πόλλ’ άνω, τά 8’ αδ κάτω (V. 6). C ette vision du voyage de la vie, sur une m er où souffle le ven t et où le vaisseau des destinées connaît fa ta lem ent le roulis des vagues, tro u v e ici son prolongem ent, e t c ’est p a r un term e ap­p a rten an t encore à la sphère m aritim e — v. 11 : ζάλαις —■ que l ’ad­versité se trouve sym bolisée^ : ζάλη, qui dans VAgamemrion d ’E s­chyle désigne les rafales m eurtrières dont la flotte grecque a été victim e (v. 656)^, et que Sophocle reprend pour caractériser au figuré la violence de la crise de folie d ’A jax — A j. 351 lyr. : φοινίας ύπό ζάλης® —’tra d u it ici de façon plus générale les assauts de l ’infortune que le «nav ire » éprouve dans leur extrêm e b ru ta lité : v. 11 : άντικύρ- σαντες®. C ette d ram atique évocation a sa con trepartie aux v. 12-13; l ’expression έσλόν βαθύ κτλ. Semble à, prem ière vue dénuée de to u t contenu m étaphorique, p o u rtan t c’est tou jours l ’atm osphère m ari­tim e de la strophe qui y règne : car si P indare fait allusion au « bonheur profond » —· v. 12 : έσλόν βαθύ —■ qui échoit parfois à, l ’hom m e, n ’est-ce pas parce q u ’il songe encore à, l ’abîm e de la m er te l que le suggère to u t le débu t de l ’ode? Sans doute βαθύς figure-t-il souvent chez lui pour trad u ire dans différents dom aines, concrets ou abstra its , une

1. Voir p. 207.2. Sur l’étude de cette strophe, voir p. 122 ss.3. Voir sur ce point O. Becker, P indars Olympîsche Ode vom Gtück, p. 46 ;

G. Méautis, p. 434, n. 2.4. Voir p. 286.5. Voir p. 281.6. J. Sandys (p. 121) fausse l’image en traduisant ζάλαις par « vagues i> : sur

la ressemblance entre άντικύρσαντες ζάλαις [01. XII 11) et μετατροπίαις έπικύρ- σαιεν [Pyih. X 21), voir p. 192, n. 6.

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sim ple idée de profondeur — 01. X I I I 62 : βαθύν κλδρον ; V I I 53 : κλέος βαθύ; PytJl. IV 206 : κίνδυνον βαθύν; Ρέαη V I I 1>, 2 0 : βαθεϊαν„. σοφίας όδόν ; 01. I I 60 : βαθεϊαν | ...μέριμναν; Ν έτπ. IV 8 : φρενός... βαθείας — sans qu ’il soit nécessaire de se référer, pour l ’expliquer, à, la m er e t à, ses dimensions ; m ais ici la présence de la m er —■ V. 3 : έν πόντφ — joue uïi rôle indéniable, et c’est la profondeur de l’abîm e m arin qui se trouve appliquée p a r transposition au bonheur de l ’bomme pour en suggérer l ’ia tensité^.

L ’ensemble de l ’expression des v. 11-13 suppose donc une oppo­sition en tre deux groupes imagés sym bolisant les épreuves — v. 11 : άνιαραϊς... ζάλαις —· et les jo ie s — V. 12 : έσλόν βαθύ — qui se succèdent dans l ’existence hum aine, comme a lternen t les tem pêtes et le tem ps serein au cours d ’un voyage sur m er. Le litté ra l e t le figuré, en l ’oc­currence, se confondent proprem ent : car le voyage qui a mené E r- gotélès de Grèce en Sicile coïncide avec le Voyage de la vie, qui lui a fa it connaître la joie de la victoire olym pique après la tem pête de la guerre civile ; ζάλαις, de fait, ne peu t se référer qu ’au conflit qui, déchirant sa patrie , l ’a con tra in t à, l ’exil, e t auquel P iadare fait allusion au v. 16 : d μή στάσις άντιάνει|ρα Κνωσίας σ’ δμερσε πάτρας. C ette m ention de στάσις est d ’un grand p rix pour l’in ter­p ré ta tio n des V. 11-13, su rto u t à la lum ière du III® Hyporchème, où le poète décrit égalem ent deux é ta ts qui s’opposent dans la vie de la cité ; un é ta t de pa ix in térieure, symbolisé par un tem ps se­rein — V. 5 : εύδίςι —· et la lum ière de la tran q u illité — v. 7 : Ησυχίας τό φαιδρ6ν φάος — ■ et l ’é ta t de désordre et de troubles provoqué par la guerre civile — v. 8 : στάσιν®; sans doute l ’évocation du III® H y­porchème ne contient-elle d ’élément imagé que dans sa prem ière p artie et se situe-t-elle d ’un bou t à l ’au tre sur un plan strictem ent politique, alors que le développem ent de la XII® Olympique, s’in ­fléchit aux V. 12-13 vers des considérations plus personnelles ; il n ’em pêche que les ressem blances sont frappantes : car ici encore s’opposent les m éfaits de στάσις (v. 16), représentée par l’image de la tem p ête — v. 11 : άνιαραϊς ...ζάλαις — et un é ta t de bonheur et de sérénité, que suggère έσλόν (v. 12) ; Ergotélès a échappé à la guerre civile « qui oppose Vhomme à l’homme » — 01. X II 16 : στάσις άντιάνειρα — et connaît à. présent les b ienfaits de la T ranquillité « qui grandit Vhomme » — H yporch. I I I 7 : μεγαλάνορος 'Ησυχίας.

1. Voir les remarques à propos de Ném. IV 8, p. 94 s.2. Voir sur ce point B. L. Gildersleeve, Pindar. The Olympian and Pythian

Odes, p. 226 ; de même dans Pyth. II 79 : πόνον βαθύν, βαθύν évoque l’intensité de l’effort soutenu par le filet, et là encore c’est la présence de la mer — v. 80 : άλμας — qui donne sa pleine valeur à l’adjectif ; voir p. 158 s. ; sur ce genre d’em­plois de βαθύς, voir B. Snell, D ie Entdeckung des Geistes, p. 32 (à propos d’Eschl., Suppl. 407-409, p. 94 s.) ; sur 01. "K- T : βαθύ χρέος, voir p. 241, n. 5.

3. Voir p. 292 s.

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De façon plus générale, l ’opposition des v. 11-13 en tre έσλόν et ττήματος est caractéristique de la vision con trastée du m onde qui se m anifeste couram m ent dans la poésie de P üidare : q u ’on se souvienne des m ythes de Gadmos et de Pélée dans la III® Pythique (v. 86-102) e t de leurs oppositions en tre δλβον (v. 89) et καμάτων (V. 96) ’· ; q u ’on se souvienne su rto u t, dans la II® Olympique^ du m y th e des Gad- méennes (v. 24-33) et de celui des Labdacides (v. 42-49), avec leurs éternelles oscillations de la peine à, la joie — v. 21 : έσλών γάρ ύπό χαρμάτων ττημα θνάσκει — et de la joie à la peine —· Y. 40-41 : θεόρ[τ(!) σύν δλβφ | έπί τι καΐ ττημ’ αγει ; C ette croyance dans les vicissitudes des destinées universelles, loin de se borner à une expression aussi abstra ite , se tra d u it, dans ces deux odes, p a r les images du vent —■ Pyth. I I I 105^ — et des vagues — 01. I I 37-38* : de m êm e dans la XII® OlympiqueVο-ρτρούϋοη Ισλόν - ττήματος est indissolublem ent liée à l ’image de la tem p ête (v. 11). Il n ’est pas, enfin, ju sq u ’au caractère im prévisible e t soudain de ces revirem ents du sort qui ne soit ici encore suggéré avec une form ule to u te proche de celles que l’on rencontre dans les au tres m étaphores m aritim es du lyrique : car dans ces changem ents de fortune qui affectent le cours de la vie se reconnaissent l ’action du tem ps, et le ry th m e capricieux q u ’il impose à tou tes choses, et s ’il est des cas où ce phénom ène est ressenti par P indare dans sa durée — P yth . IV 292 : έν ... χρόνφ, et à, un m oindre degré 01. V II 94 : έν ... μια μοίροι χρόνου — on le vo it plus souvent sensible à la soudaineté des bouleversem ents q u ’U en tra îne : le ven t change — P yth . I I I 105 — les vagues changent — 01. I I 37-38; le bonheur ne dure pas — P yth . I I I 106 : ούκ ές μακρόν — le m alheur pas davantage, d it ici le poète : v. 13 : έν μ ικρφ ... χρόνφ®; to n inso­lite, certes, quand on connaît le pessim isme des conceptions de P in ­dare dans ce domaine®, mais qui se justifie p a r les circonstances du poèm e : échappé aux tem pêtes de la guerre civile, Ergotélès connaît m ain tenan t la récom pense des efforts accomplis au cours des épreuves sportives, e t savoure « le calme d ’un beau temps, doux comm£ le miel », μελιτόεσσαν εύδίαν {01. I 97) ; ce tte fugitive évocation de la I'® Olym­pique, am enée p a r le souvenir de la v icto ire de Hiéron, et q u ’illumine la présence de εύδία, com plète et enrichit la vision des v. 11-13 de l ’ode à Ergotélès : à, elles deux, elles suggèrent une double percep­tion contrastée qui caractérise l ’opposition en tre les tem pêtes du

1. Voir p. 200 ss.2. Voir p. 254 ss.3. Voir p. 200 ss.4. Voir p. 252 ss.5. Sur l’importance de la notion de temps et les différents aspects qu’elle

revêt dans ces images, voir p. 207.6. Ih id .

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passé et la sérénité du présent, telle que va la définir l ’an tithèse χειμών-εύδία : m ouvem ent et calme, ténèbres et lum ière^.

On trouve ces deux term es en étro ite liaison dans la VU® Isth- mique, composée en 456 pour un com patrio te de P indare, S trep- siade, peu après la bataille d ’Œ nophyta , qui v it l ’effondrem ent de Thèbes A ux v. 27-28 le poète a évoqué une prem ière fois le terrib le ouragan de la guerre, avec ses nuages et sa grêle de saïig, que l ’oncle du vainqueur, cet au tre Strepsiade, a ten té de détourner de sa cité :δστις έν | ταύτς: veipéXqc χάλα[ζαν αί'ματος πρδ φίλας πάτρας άμύνεται®.E t, ren d an t hom m age au héros, m ort au cours du com bat, P indare reprend l ’im age de la , tem pête, en l ’opposant ce tte fois à. celle du calm e :

έ'τλαν δέ πένθος ού φάτον · άλλά νϋν μοι Γαιάοχος εύδίαν δτιασσεν έκ χείμώνος.

V. 37-38.

« f a i éprouvé^ une, douleur indicible ; mais à présent le dieu qui porte la terre ττΰα rendu la sérénité après la tempête ».

Les « vents d ’Arès » se sont apaisés, e t le nuage de la guerre a m ain­te n a n t disparu, avec ses deuils e t les souffrances q u ’ü a causées aux T hébains ; e t, après ce χειμών, un prem ier rayon de soleil — εύδία —■ resplendit sur la cité m eurtrie : la victoire aux jeu x Isthm iques du jeune S trepsiade, qu i a ttén u e dans les esprits le souvenir des épreuves passées®. La référence du v. 38 à Poséidon contribue encore à sou­ligner la valeur imagée des deux term es an tithétiques : si ce dieu

1. Sur l’image du temps serein et lumineux pour évoquer le calme et le bonheur du vainqueur après l ’épreuve, voir H. Gundert, B er alte Pindar, p. 9 ; W. Scha- dewaldt, -Der A ufbau des pindarischen E pinikion, p. 271, n. 1 ; B. L. Bundy [Hesychia in P indar, p. 19, p. 21) rapproche 01. I 97 de Péan II 31-34 : εί δέ τις άρκέων φίλοις | έχθροϊσι τραχύς ύπαντι,άζει,, | μόχθος ήσυχίαν φέρει | καιρω καταβαίνων, et remarque que ήσυχία comme εύδία — qu’il s’agisse d’une victoire à la guerre ou aux jeux — représentent le prix d’une lutte ; sur l’image de la lumière dans Ném. IV 38, voir p. 99; enfin, concernant l’expression μελι- τόεσσαν εύδίαν (01. I 97), la présence de μελιτόεσσαν auprès de εύδίαν choquera moins (voir G. Priesemann, p. 32) si l’on songe que l’adjectif a une valeur méta­phorique assez faible et suggère seulement l’idée de douceur — voir p. 236, n. 4.

2. Contre toute vraisemblance, G. Gaspar (p. 27) date l’ode de 506 et la rat­tache à une défaite de Thèbes sur l’Euripe.

3. Pour les emplois figurés de νεφέλα, voir p. 283 ; on rapprochera égalemeat ce passage du récit de la bataille de Salamine : Isthm. V 48-50, p. 283 s.

4. U. von Wilamowitz [Pindaros, p. 411) considère à tort ίτλαν comme une troisième personne du pluriel, dont le sujet serait le ιϊριστοι du v. 35.

5. Sur cette valeur symbolique de χεψών et εύδία, voir E. Thummer, Pindar. D ie Isthmischen Gedichte, II, p. 122 ; G. M. Bowra, Pindar, Pythian X I , p. 136 ; E. L. Bundy, Hesychia in P indar, p. i l ; G. Gaspar, p. 23 ; sur les images tra­duisant les désastres subis par Thèbes, voir p. 315.

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préside aux jeux de l’isthm e, il a aussi pour rôle de garantir une heureuse traversée’·, et ces deux fonctions se rejoignent ici ; car, en perm ettant la victoire de Strepsiade à Gorinthe, Poséidon a guidé favorablement sa barque, dans le voyage de la vie, έκ χειμώνος (v. 38) : il a réalisé ce que Pindare lui demandait d ’accomplir pour Agésias dans la VI® Olympique, v. 1 03-104 : δέβποτα ποντομέθων, εύ|θύν δέ πλόον καμάτων | έκτός έόντα δίδοι,®. Gomme dans la X II® Olym pique (v. 11-13) s’opposent donc ici les tourm ents de la guerre et les joies du triomphe aux jeux^, et une épreuve proprement politique —01. X I I 11 : ζάλαις ; Isthm . V I I 3 8 : χειμών — cède la place à un bon­heur plus largement humain : 01. X I I 12 : έσλόν βαθύ ; Isthm . V II 3 8 : εύδίαν.

Un autre poème se réfère à un conflit et à, une victoire : Gyrène a vu en effet son équilibre intérieur compromis par un complot oli­garchique®, et il a fallu tou te la fermeté de son pilote Axcésilas, et l’aide des dieux, pour redresser la barque : Pyth . I V 272-274®. Or voici que le beau-frère du roi, Garrhôtos, vient de rem porter à. Delphes l’épreuve de la course d.e chars’ ; c’est cette victoire que célèbre la V® Pythique, dont la première strophe s’ouvre sur l’évocation de la gloire échue à la famille d ’Arcésilas et de la sollicitude que lui a té ­moignée Gastor,

εύδίαν δς μετά χει- ;μέριον ομβρον τεάν

καταιθύσσει μάκαιραν εστίαν.V. 10-11.

« qui, après les plu ies d'hiver, fa it resplendir une clarté sereine sur ton foyer bienheureux ».

Dans son commentaire de ce passage, F. Ghamoux considère que εύδίαν, tou t comme χειμέριον ομβρον, doit être pris au sens propre, et que la mention du beau temps succédant aux pluies d ’hiver ne désigne pas autre chose que la venue du printemps qui met un term e aux intempéries de la mauvaise saison : en Méditerranée orientale, le lever de la constellation des Gémeaux indique la fin des tem pêtes, et c’est ce qui explique la présence de Gastor au v. 9® ; R. W . B. Bur-

1. Voir E. S. Mac Cartney, Greek and roman weather-lore of the sea, p. 29.2. Voir sur ce point H. Disep, p. 62.3. Voir p. 64 ss. ; sur le rôle de Poséidon dans Isthm. IV 16-19 et I 36-40,

voir p. 318 s.4. Pour άλλά vüv (v. 37), voir p. 319.5. Voir p. 56, p. 114.6. Voir p. Il3 ss.7. Sur la victoire pythique de Garrhôtos, voir F. Ghamoux, p. 174 s.8. F. Ghamoux, p. 182.

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ton quant à lui accorde à εύδίαν une valeur métaphorique,' mais la refuse à ομβρον, alléguant que ce term e ne symbolise jamais des troubles politiques^.

En réalité, tou t prouve au contraire que l’ensemble de l’expres­sion est à entendre au figuré. Le premier argument qui s’impose à l’esprit vient du tex te lui-même et de son contexte immédiat : on voit mal en effet quel serait l’intérêt de notations strictement climatiques, telles que celles du beau temps et des pluies, dans un passage ou l ’accent est mis de façon constante sur les notions pro­prement abstraites de gloire — V. 6-8 : βύ τοί vtv κλυτάς | αίώνος άκράν βαθμιδών &πο | βύν εύδοξίη: μετανίσεαι — et de félicité — V. 11 : τεάν ...μάκαιραν εστίαν; au seûi d’un développement tou t entier axé sur ces considérations d’ordre moral, les précisions introduites pai’ εύδίαν et βμβρον Seraient parfaitement oiseuses, s’il fallait les prendre à la lettre^.

En second lieu, si l’on tient compte à, la fois des événements qui ont précédé l’ode et de ceux qui en ont motivé la composition, on ne peut qu’être confirmé dans cette interprétation figurée des v. 10-11, à la lumière surtout des textes où Püidare évoque en images les réalités des guerres ou des conflits. Gyrène a connu des troubles politiques : pourquoi χειμέριον δμβρον ne pourrait-il pas les symboliser, alors que la bataille d ’Œ nophyta est représentée dans la VII® Isth- mique comme une averse de grêle (v. 27-28) et la bataille de Sala- mine dans la V® Isthm ique comme une averse mêlée de grêle et de pluie (v. 48-50, cf. v. 49 : πολυφθόρφ... δμβρφ)^? Sans doute les con­flits qui ont eu lieu à Gyrène n ’ont-ils pas revêtu pareille violence ; toutefois, dans les évocations d ’Œ nophyta et de Salamine, c’est un autre term e, à, valeur littérale ■—· Isthm . VII 28 : α'ίματος ; V 50 : φόνω —■ qui donne au term e imagé une coloration aussi meurtrière, et rien n ’interdit donc de penser que δμβρος peut dans la V® Pythique symboliser l ’affrontement qui oppose des concitoyens, comme dans la V® Isthm ique des citoyens à, leurs ennemis®.

A la suite de ces troubles, Gyrène a connu la paix, et une victoire pythique a encore contribué à, son bonheur ; il en a été de même, comme le rappelle la IV® Isthmique, pour Thèbes et la famille des Gléonymides qui, après avoir vu quatre de ses membres périr en

1. R. W. B. Burton, p. 138 s.2. C’est l’objection que soulèvent C. M. Bowra, Pindar, p. 176, n. 2, et E.

L. Bundy, Studia pindarica, p. 51.3. Voir p. 283.4. Voir p. 283 s.5. D’ailleurs, dans le frg. 46 b D d’Alcée, la pluie est associée à la tempête

— V. 4 : ομβρφ μάχεσθαι χε[ίματί τ άγρίω] — et, dans les Suppliantes d’Eschyle, au vent, v. 36 lyr. : όμβροφόροισιν τ’ άνέμοις.

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un seul jour dans la bâtaille de Platées^, a m aintenant retrouvé, grâce à la victoire de Mélisses à, Gorinthe, la lumière du printemps au sortir de la mauvaise saison : v. 16-19 : άλλ’ άμερ γάρ έν μί? | τραχεία νιφάς πολέμοιο τεββάρων | άνδρών έρήμωσεν μάκαιραν έστίαν ' | νϋν 8’ αδ μετά χειμέριον | ποικίλα μηνών ζόφον | χθών ώτε φοίνικέοί(ίιν δνθησεν ρόδοίς | δαιμόνων βούλαις^. Cette opposition éclaire grande­ment celle des v. 10-11 de la V® Pythique : au printemps qui fait suite à, l’hiver, à, ses tem pêtes de neige, à. ses ténèbres —■ Isthm . IV 18 ; μετά χειμέριον [ . . . ζόφον — répond le beau tem ps qui succède à l’hiver et à ses pluies — Pyth . V 10 : μετά χειμέριον βμβρον — ' sym­bole dans les deux cas du bonheur qui vient d ’échoir au vainqueur —■ Isthm . IV 17 : μάκαιραν έστίαν ; Pyth . V i l : μάκαιραν έστίαν -—■ et ce par la grâce des dieux ; Isthm . IV 19 : δαιμόνων βούλαις ; P yth . V 5 : θεόμορ’ Άρκεσίλα ; 13 : θεόσδοτον δύναμιν De même, dans la VII® Isthm ique (v. 37-38), c’est encore une victoire, celle de Strep- siade à Gorinthe, qui représente les jours sereins — v. 38 : εύδίαν — succédant à la tem pête — ib id . : χειμώνος — de la bataille d ’Œno- phyta, et il n ’est pas jusqu’à l’identité du rôle assigné ici à Poséidon —· Isthm . VII 38 : Γαιάοχος — là à Gastor — P yth . V 9 : χρυσαρμάτου Κάστορος —· qui ne trahisse la similitude dans les deux odes du con­traste symbolique entre le calme et le mauvais temps : Poséidon préside aux jeux Isthmiques^, et Gastor quant à lui est souvent associé aux victoires de quadriges ® ; Poséidon garantit une heureuse traversée, et les Dioscures sont de leur côté les divinités des marins en danger, celles dont la fonction est de calmer les tempêtes®; peu importe donc, pour la compréhension du passage de la V® Pythique, que Gastor ait eu un culte à Gyrène : ce qui compte, c’est que, comme Poséidon dans la VII® Isthmique^, il ait ici, en assurant la victoire d ’un homme aux jeux, permis à une cité d ’oublier les tem pêtes de

1. Voir C. Gaspar, p. 82 ss.2. Sur cette triple opposition entre le présent et le passé, la victoire et la dé­

faite, la lumière et les ténèbres, voir L. Woodbury, Pindar, Isthmian IV , 19 s. (Trans, and Proc. of the Amer. Phil. Ass. 75, 1957), p. 370. Pour νϋν δ’ αδ (v. 18), voir p. 319 ; sur les images caractérisant les désastres de Thèbes, voir p. 315.

3. Sur le rôle accordé aux dieux dans les IVe et Pythiques, voir p. 113 ss.4. Voir p. 299 s.5. Cf. 01. III 1, 35, 39; Pyth. I 66, IV 172; Isthm. I 16.6. Voir à ce propos E. S. Mac Gartney, Greek and roman weather lore of the

sea, p. 11 ; J. V. Kopp, p. 205.7. Voir L. R. Farnell, Greek hero cults and ideas of immortality (Oxford, 1921),

p. 222.8. Dans la VII® Isthmique, Γαιάοχος est associé (v. 38) à l’antithèse εύδίαν

έκ χειμώνος ; dans la IV® Isthmique, le dieu est nommé immédiatement après révocation contrastée de l’hiver et de la venue du printemps (v. 16-19), v. 19-20 ; ό κινη|τήρ δέ γας κτλ. ; enfln, pour le rôle de Poséidon dans la F® Isthmique, voir p. 318 s.

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la guerre qui l’avaient secouée et de voguer à présent dans des eaux calmes.

On peut donc considérer que dans l’ode à, Arcésilas les deux groupes εΰδίαν et μετά χειμέριον ομβρον ont une Valeur figurée, et repré­sentent, comme εύδίαν et έκ χειμώνος dans Isihm . VII 37-38 , la joie présente de la victoire qui succède aux épreuves passées de la guerre^. Est-ce à dire que μετά χειμέριον δμβρον doive être regardé comme un simple équivalent de μετά χειμώνα? Ce serait sans doute une er­reur : car l’expression de la V® Pythique a une précision imagée, une exactitude dans le pittoresque qui font absolument défaut à celle de la VU® Isthm iqne : Pindare connaît l’hiver de Gyrénaïque et l ’abondance de ses pluies, il sait aussi comme est soudaine la venue de la belle saison, et l ’emploi de καταιθύοσει au v. 11, la vision de ces surfaces encore mouillées que le premier soleil fait resplendir^, portent la m arque des choses vues. C’est là précisément que se con­fondent l ’expérience vécue et l’intention symbolique : ce printemps qui surgit brusquement, c’est autre chose que le renouveau de la nature ; c’est aussi le symbole des destinées nouvelles d ’une cité naguère éprouvée, et qui revit à, présent après les heures sombres des luttes intestines^; et le lever de la constellation des Gémeaux n ’est pas seulement l’indice que l’époque des tem pêtes est finie et que les conditions redeviennent propices à la navigation ; c’est aussi le symbole d ’une intervention bienveillante de la divinité, qui a fait oublier à Gyrène les troubles passés, et a conduit la ville et son prince καμάτων έκτός {01. VI 104) OU, si l’on préfère, έκ χειμώνας {Isthm. V II 38). Gomme toujours chez Pindare, les éléments de la natu re ne sont considérés qu’en fonction des réalités plus profondes qu’ils recèlent et dont ils ne constituent que le signe visible*.

L ’évocation des v. 10-11 n ’est cependant pas isolée dans l’ode, où il y a place pour d ’autres sentiments que la certitude du bonheur présent, et à la vision des « pluies d ’hiver » — χειμέριον δμβρον —' qui ont épargné Gyrène répond dans les derniers vers du poème celle du « vent d'hiver », que Pindare souhaite ne pas voir venir, à la fin

1. Voir à ce propos F. Mezger, p. 226 ; G. Fraccaroli, p. 423 s. ; B. L. Gilder- sleeve, Pindar. The Olympian and Pythian Odes, p. 307 ; C. A. M. Fenuell, Pin­dar’s Olympian and Pythian Odes, p. 214 ; L. R. Farnell, A critical commentary to the works of Pindar, p. 169 ; L. Gerrato, p. 269 ; M. Merello, p. 103, n. 1 ; L. Tra- verso-E. Grassi, p. 507 ; L. Wolde, p. 299, n. 2 ; E. Thummer, Die Religiositat Pindars, p. 61 ; G. Méautis, p. 219 ; E. L. Bundy, Hesychia in Pindar, p. 10 s. ; Studiapindarica, p. 51 ; cf. aussi schol. 12 A (DR II, p. 173), 12 G (DR II, p. 174).

2. W. B. Stanford [Ambiguity in Greek literature, p. 135) parle à ce propos de « shimmering flowing light which is reflected from bright surfaces after rain ». Sur les composés de αίθύσσειν chez Pindare, voir p. 204, p. 206, n. 4.

3. Dans la IV® Pythique, c’est l’ensemble du règne d’Arcésilas qui est comparé à un printemps (v. 64-65).

4. Voir p. 335 ss.

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de l’automne, ruiner la prospérité des Battiades : v. 120-121 : μή φθινοπωρίς άνέμων | χειμερία κατά τηιοά δαμαλίζοι χρόνον. La première appartient au passé, et tradu it le soulagement, la seconde au futur, et se charge d ’appréhension : c’est que le cycle de la nature reflète le cycle des choses humaines, et qu’au sein même de la belle saison on peut déjà redouter le retour des ténèbres et de la tem pête.

Telle qu’elle apparaît, notam m ent dans la VII® Isthm ique et la V® Pythique, l’opposition entre la sérénité des éléments et le dé­chaînement de la tourm ente tradu it une vision du monde, et ce à un double titre : elle a en premier lieu une fonction proprement décorative, et répond à, un goût prononcé du poète pour les cou­leurs vives et éclatantes, que la présence des ténèbres vient encore rehausser ; chez lui, l’œil est plus sensible que chez quiconque à ces contrastes violents entre la lumière et l’ombre, entre l’éclat de l’or, du feu, du soleil, de la lune et la sombre profondeur des nuits Mais, si ces oppositions de teiates sont parfois perçues sim ultané­ment, Pindare les saisit le plus souvent dans leur succession, leurs alternances : c’est que le temps fait sentir son action souveraine dans l’univers, modifiant toutes choses, et cette évolution qui se cons­ta te dans la nature, de l’ombre à la lumière et de la lumière à l’ombre, est représentative d’une autre évolution, plus profonde, qui se décèle dans l’existence humaine, de l’épreuve à la joie et de la joie à l’épreuve ; au cours du voyage de la vie, le soufïle des Vents varie sans cesse — Isthm . IV 6 : δλλοτε 8’ άλλοϊος οδρος | πάντας άνθρώπους έπαίσσων ελαύνει ; Pyth. I I I 105 ; όίλλοτε 8’ άλλοΐαι ττνοαί | ύψιπεταν άνέμων ; les vagues changent, tan tô t hostiles, tan tô t propices — 01. I I 37-38 : poal 8’ όίλλοτ’ δλλαι | εύθυμιόίν τε μέτα καί | πόνων ές âv8paç εβαν —· et sans qu’on puisse le prévoir la tem pête du malheur s’apaise et laisse place au calme lumineux de la félicité^. Ombre et lumière ne sont qu’une apparence, derrière laquelle l ’esprit devine une vérité morale, et partout dans l’œuvre de Pindare surgissent de ces des­tinées qui s’assombrissent et s’éclairent tour à tour, comme la mer, un jour de vent, quand passent les nuages : Adraste a connu le malheur —■ Pyth . V III 48 : καμών προτέρς: πάθί): — mais les présages sont à, présent plus favorables — v. 49-50 : vüv άρείονος ενέχεται | ορνιχος άγγελίς: ; cependant, le malheur se prépare à, le frapper en-

1. Voir sur ce point G. Frener, p. 23 ss. ; G. Perrotta, Pindaro, p. 98 ss. ;G. Norwood, Pindar, p. 92 s. ; F. Dornseiiï, Pindars Stil, p. 56 ; H. Gundert, Pindar und sein Dichterberuf, p. 12, p. 29, n. 119, p. 46 ; C. M. Bowra, Greek lyric poetry, p. 77 ; L. Woodbury, Pindar, Isthmian IV , 19 s., p. 374 ; H. Krie- gler, p. 61 ss., p. 110 s.

2. Sur l’opposition symbolique entre ces deux images, voir G. Frener, p. 16 s., p. 91 ss. ; E. Thummer, Pindar. Die Isthmischen Gedichte, I, p. 66 ss., p. 146. Voir aussi note précédente.

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core : V. 51 : rb 8έ οϊκοθεν I άντία πράξεο ; son fils ' mourra : V. 52-53 θανόντος όστέα λέ|ξαις υΕοϋ ; mais S0Ï1 armée, reviendra indemne : V. 54 : λαφ βύν άβλαβεϊ. Les filles de Gadmos ont été éprouvées par l ’infortune —· 01. II 25 : επαθον «î μεγάλα —■ mais Sémélé jouit à présent d’une vie éternelle — v. 27 : ζώει μέν êv Όλομπίοις —■ et après une mort dram atique — v. 28 : άποθανοϊσα βρόμφ | κεραυνού — elle est entourée de l ’affection des immortels : v. 29 : φΛεΐ 8£ vw Παλλάς κτλ. ; et, chez les Labdacides, Œdipe a tué Laïos — OZ. I l 42 : έξ οδπερ έκτεινε Λ?[ον — et ses flls Ont succombé dans une lu tte fratricide : v, 46 : πέφνεν [s. e. Έρινύς] oî σύν άλ|λαλοφον£ς: γένος άρήϊον ; mais Thersandre a survécu, v. 47 : λείφθη δέ Θέρσανδρος’·.

Si le calme règne à Gyrène après les troubles passés, si la joie de la victoire de Strepsiade fait oublier à Thèbes la tem pête d ’Œno- phyta, ne voyons pas là l’indice (fue le poète a une confiance assurée en l ’avenir : il sait, en réalité, que les dieux réservent à l’homme plus de peines que de joies et c’est pourquoi, par les jours de beau tem ps, il éprouve encore l’angoisse de la prochaine tem pête ; l’hiver de Gyrène est passé, mais im nouvel hiver se prépare®, et qui prouve qu’il sera moins redoutable? Les conceptions du lyrique sont ici, paradoxalem ent, plus pessimistes que celles des tragiques ; car dans la tragédie, l ’homme, s’il est éprouvé par les plus violentes tem ­pêtes, touche du moins au port en certaines circonstances^; chez Pindare, les tem pêtes sévissent aussi, mais il n ’y a point de port : pour lui, en fait, l ’homme est toujours en mer, et s’il y jouit du beau tem ps, un seul instant suffit à y m ettre fin; quand il jette l’ancre,' cet appui l’assure sans doute, mais ne le met pas à, l’abri du vent {01. VI 101-102)®; et si d’aventure il arrive à la côte, c’est pour y faire naufrage®.

Un tex te de Bacchylide présente de son côté un intérêt considé­rable pour l’appréciation, dans le lyrisme, du contraste entre les images du beau et du mauvais temps Il s’agit d ’un passage de la XIII® Ode, où le poète évoque la joie des Troyens à l’annonce qu’Achille se retire du combat : v. 121-140 : άλλ’ δτε δή πολέμοιο ]λήξεν Ιοβτεφάνου | Νηρηϊδος άτρόμητο[ς υιός, | ώβτ’ έν κυανανθέϊ θ[υμόν άνέρων I πόντφ Βορέας ύπά κύ(μασιν δαίζει, | νυκτός άντάσας άνατε[λλο-

1. Sur le thème des vicissitudes du sort dans la II® Olympique, voir p. 254 ss.2. Pyth. III 82.3. Pyth. V 120-121, voir p. 303 s.4. Voir p. 294.5. Voir p. 62 ss.6. Voir p. 315 ss.7. Sur l’opposition χειμών-εύδία, voir aussi Mén., Gnâm. 751 : χειμών μεταβάλ­

λει ρίίδίως εις εύδίαν ; Xén., Hell. II, IV 14 ; καΐ γάρ έν εύδίς: χειμώνα ποιοΰσιν [S . e. θεοί] ; Plat., Lois 961 Β : οτωτηρία πλοίων h γε χειμώσιν καΐ έν εύδίαις γίγνοιτ’ âv [s. e. νοϋς].

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μένας · | λήξεν δέ σύν ς)αεβιμ[βρ6τω | Άοϊ, στόρεβεν 8έ χε πό[ντον. | ούρια· Νότου δέ κ6λπ[ωσαν two? | ίστίον άρπαλέως [τ’] όί|ελπτον. έξίκοντο χέ[ρσον· | άς Τρώες, έπ[εΙ] κλύον [αί[χμα-τάν Άχιλλέα | μίμνοντ’ έν κλισί^βιν | εϊνεκε ξανθδς γυναικός, | Βριβηΐδος ίμερογυίου, | θεοϊσιν άίντει,ναν χέ­ρας,. I φοι,βάν έσιδόντες ύπαί | χειμωνος αϊγλαν. Depuis Homère, il n ’est pas rare de voir des guerriers au combat comparés à, des marins dans la tem pête : ce fait est particulièrement hotable au chant XV de VIliade, et l’on peut adm ettre que Bacchylide s’est souvenu ici de l’évocation des matelots en détresse aux v. 381-384 et 624-629^ ; la lumière comme symbole de salut — v. 128 : φαεσίμ[βρότ£<) ; v. 140 : αϊγλαν —· est également hom érique^; et c’est encore le genre épique que cô développement rappelle sur le plan formel, qu’il s’agisse de la structure même de la comparaison, où les particules —■ v. 124 : ώ(ϊτ’ ; V. 133 : ώς — isolent l’une de l’autre la narration proprement dite et la sphère imagée ou de la profusion des épithètes familières à Homère*. Ce qui par contre appartient en propre au lyrique n ’est pas négligeable : alors que les comparaisons de VIliade emprimtées à la mer et au vent sont constituées d’un élément xmique — le dé­chaînement des éléments® — la nouveauté du tex te de Bacchylide provient de ce que l ’évocation de la tem pête n ’y a de raison d ’être que par rapport à, celle du calme qui lui succède : V. 128 ss., v. 139- 140 : ύπαί I χειμώνας αϊγλαν®; en outre, si les tableaux homériques m ettent au premier plan, la natu re elle-même, et si l’homme et le vaisseau n ’y figurent que comme un moyen de représenter l’ampleur de la tem pête, de lui donner sa véritable échelle, ici c’est sur le com­portem ent de l’équipage que l’accent est mis, et la présence de l’homme relègue à l ’arrière-plan les manifestations de la n a tu re ’.

1. Voir p. 259, p. 9.2. Voir p. 99, n. 2.3. Voir p. 9 ss., p. 177 s. et, sur le point précis de l ’Ode XIII, les remarques

de H. Buss, p. 37 ; sur les comparaisons homériques chez Bacchylide, voir plus généralement p. 35 ss. et aussi E. D. Townsend, p. 122 ss. On remarquera avec quel soin Bacchylide a établi des correspondances entre les deux domaines et la perfection de l’identification d’Achille à la tempête et des Troyens aux ma­rins : le plus bel exemple en est la répétition de ληξεν aux v. 122 et 128, pour évoquer la première fois l’arrêt du combat et la seconde l’apaisement du vent : voir E. D. Townsend, p. 125 ; pour λήγειν appliqué à un vent, voir Pind., Pyth. IV 292 (p. 191 s.) ; Eschl., Cho. 1075 (p. 288) ; Soph., Aj. 258 (p. 280).

4. Voir H. Buss, p. 34, p. 40 ; E. D. Townsend, p. 125 ; et plus généralement sur l’emprunt par Bacchylide du vocabulaire homérique, Ή. Buss, p. 19 ss., p. 40 ss. ; B. D. Townsend, p. 3 ss., p. 23 ss. ; sur la couleur homérique du pas­sage, voir aussi J. Kahlmeyer, p. 12 ; A. Lesky, p. 212.

5. Voir p. 258 s.- 6. Voir sur ce point A. L. Keith, p. 102; G. Schober, Sage und Mythos bei

Bakchylides (Diss. Graz, 1939), p. 27.7. Voir K. Dietel, p. 155 ss. Le tableau n’en est pas moins riche en détails

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Enfin, dans le domaine de l’expression, il est curieux de constater que Bacchylide, tribu taire jusqu’au v. 138 de la comparaison homé­rique, y substitue brusquement, aux v. 139-140, une métaphore qui s’inspire encore du tableau précédent, mais qui, dans la vision qu’elle propose des Troyens « revoyant réclat du jour au sortir de la tempête », nous ramène à la plus pure tradition lyrique. Voire même piïidarique^.

Texte insolite en vérité, véritable monstre littéraire, où Bacchy­lide, semble-t-il, s’avère incapable de choisir entre les exigences du lyrisme, auxquelles il satisfait in extremis, et les séductions du genre épique, auxquelles il se soumet longuement, dans cette comparaison colossale, d ’une extension telle qu’elle paralyse littéralement l ’en­semble du poème 2 : nulle part mieux qu’ici n ’apparaissent les risques que court le lyrisme à vouloir utiliser tels quels les procédés de l’épo­pée : Solon s’y était hasardé®, Bacchylide à, son tour se livre à, une ten ta tive sans lendemain^, et qu’on imagine mal dans tine ode de Pindare, peu enclin quant à, lui à. l’emploi de la grande comparaison, et attentif, quand d ’aventufe il y recourt, à la marquer d’une em­preinte proprement lyrique®. Ce qui présente en définitive le plus d ’intérêt, dans cette Ode X III, concernant l’esthétique du lyrisme, c’est le rôle qu’y jouent les oppositions entre l’ombre et la lumière, entre la tem pête et le temps serein : car dans la comparaison desV. 124-138, le contraste entre l ’apparition de la nuit —· v. 127 : νυκ- τ ό ς ... άνατε[λλομένας — et le lever de l ’Aurore — V. 128-129 : φαε(«μ- [βρότφ I Άοϊ —■ entre le déchaînement de la mer — v. 124-126 : έν... | π ό ν ΐω ... ύπά κύ|μαβιν — et SOn apaisement — V. 129 : στόρεσεν 8έ τε πό[ντον® — a une valeur autre que décorative : ténèbres et lumière y sont, plus profondément, l’image des dangers courus et du salut qui brusquement y met un term e ’ ; et cette fonction proprement

bien vus : voir H. Buss, p. 37. U. von Wilamowitz [Pindaros, p. 173) n’y dé­couvre au contraire que des lieux communs.

1. Sur cette succession de la comparaison et de la métaphore, voir G. M. Kirk­wood, The narrative art of Bacchylides (Stud. H. Caplan, Cornell. Univ., 1966), p. 107 ; H. Mahler, p. 90, n. 3.

2. Voir E. D. Townsend, p. 125, p. 92.3. Solon, frg. 1 D, 17-25 ; voir p. 190, n. 9 ; sur la décadence dans le lyrisme

de la comparaison de type homérique, voir p. 10 s.4. La remarque vaut pour l’ensemble de l’Ode XIII, où le poète, décidément

en veine épique, a multiplié les vastes comparaisons. Voir E. D. Townsend, p. 92.

5. Voir p. 11 s.6. Sur la liaison entre la nuit et le mauvais temps, voir p. 63 ; l’évocation

de ces v. 124-138 montre bien que comme chez Pindare l’opposition entre la tempête et le calme vaut à la fois sur le plan du mouvement et sur celui de la couleur.

7. Voir H. Kriegler, p. 82, et, plus généralement dans l’œuvre de Bacchylide, p. 61, p. 130, n. 2 ; voir aussi E. D. Townsend, p. 138 s.

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dram atique des mots de couleur éclate dans la métaphore finale, où χειμώνας et αϊγλαν concentrent en eux toutes les ténèbres et toute la lumière du tableau précédent, mais en les dépouillant de toute implication pittoresque, pour les décanter et les réduire à, la pureté du symbole^. Rien n ’est plus proche du εύδίαν... | έκ χειμώνας de Pitidare {Isthm. V I I 38)^ que le ύπαί | χειμώνας αϊγλαν de Bacchy- lide (X T II 139-140) : dans un cas comme dans l’autre, la nature n ’est qu’une apparence, qui retient l’œil de prime abord, mais au delà de lacpielle l’esprit ne tarde pas à, distinguer une réalité plus pro­fonde ; la fonction de l ’univers sensible est précisément de traduire cet imivers intelligible, et la vision que le poète a des choses est au service de la conception qu’il se fait de la vie.

1. Voir H. Kriegler, p. 83.2. Voir p. 299 s.

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CHAPITRE V

L’ÉCUEIL ET LE NAUFRAGE

. Dans le voyage de la vie, les Vents, les vagues et la tem pête ne sont pas les seules réalités redoutables : le vaisseau des destinées peut aussi éprouver la rencontre brutale avec un écueil, et faire naufrage

Dès VHiade^ le rocher apparaît avec une valeur symbolique : ainsi au chant I I , V. 394-397 : Άργεϊοι Sè μέγ* ϊαχον, ώς δτε κϋμα | άκτη έ<ρ’ ύψηλη, δτε κινήβη Νότος έλθών, | προβλήτι σκοπέλφ * τόν 8’ οδ ποτε κύματα λείπει [ παντοίων ανέμων, δτ’ âv &;θ’ % Ινθα γένωνται ; mais il n ’y a ici dans βκοπέλφ (v. 396) aucune idée de danger ; point de na­vire dans cette évocation, où le rocher autour duquel brisent les Vagues représente Agamemnon au milieu des clameurs et des ap­plaudissements des Grecs C’est seulement dans la poésie lyrique, puis tragique, que l’écueil symbolise im péril caché, trop ta rd aperçu, et qui consomme irrémédiablement la perte du vaisseau. Encore convient-il de distinguer entre les termes : car il existe des récifs, dont les pointes sont visibles au-dessus des eaux®, et qu’il est aisé d ’éviter ; ceux-là. ne sont pas les plus redoutables, et il est signifi­catif, précisément, qu’un term e comme σκόττελος ne soit jamais em­ployé au figuré pour symboliser un danger. Mais il y a aussi la roche à, fleur d’eau, dont le profil arrondi se devine mal à la surface de la mer : les Grecs l’appellent έρμα — Hérod. VII 183 ; Thuc. VII 25 — ou χοφάς —· s. e. πέτρα; Hérod. I I 29* —· et les définitions qu’ils en donnent m ettent semblablement l’accent sur l’impossibilité où se

1. Il y a « naufrage » au sens strict du terme lorsque le navire se brise — en latin, navis, frangere ; de même en grec ναυάγιον résulte de ναϋς et de άγνύναι ; mais on parle aussi plus généralement de naufrage à propos d’un navire qui sombre, même si les rochers n’ont à cela aucune part. Ce second sens n’a évidem­ment rien à voir ici, et c’est dans les précédents chapitres qu’on trouvera de telles visions de bâtiments submergés.

2. Sur ce passage, voir H. Frankel, Die homerischen Gleichnisse, p. 20 ;H. Storch, p. 224 s. ; sur l’image des vagues dans l’Iliade, voir p. 258 s.

3. Voir Hérod. II 29 : σκόπελοί τε γάρ έν νφ Νείλφ όξέες άνέχουσι καΐ χοιράδες πολλαί είσι.

4. La distinction entre σκόττελος et χοφάς apparaît nettement dans le texte d’Hérodote cité n. 3.

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t r o u v e n t les m a rin s d e les a p e rc e v o ir : c ’e s t a ia s i q u ’H é sy c h iu s d é ­f in it 2ρμα c o m m e τ6ν πετρώδη καί έπικυματιζόμενον, ώοτε μή βλέπειν, τόπον της θαλάσβης ; e t d ’a p rè s Une sch o lie d e P in d a re χοιράδες λέγονται πέτραι αΐ ΰφαλοι, έφ’ ών καχλάζει τ6 κϋμα καΐ λανθάνειν αύτάς ύποκειμένας παρασκευάζει, ώστε λανθάνειν προσπλέουσας τάς ναϋς^. 'Έρμα e tχοιράς apparaissent donc comme les term es les plus propres — la fréquence de leurs emplois en témoigne —· à, représenter dans le langage symbolique des périls jusque-là, ignorés et dont on ne prend conscience qu’au moment où déjà il n ’est plus possible de les éviter ; les épithètes qui qualifient assez souvent 2ρμα ou χοιράς dans leurs utilisations figurées présentent à cet égard des ressemblances frap­pantes : άμυδρήν (Archîl., frg. 128 B, 2), άσήμων (Anacr., frg. 31 D), άφάντφ (Alc., frg. 46 b D, 5), άφαντον (Eschl., A g. 1008 lyr.) ; par­tou t ici l’éçueil est invisible et le naufrage imprévu.

Le présent chapitre a pour , objet l’étude des comparaisons et métaphores suggérant cette double réalité de la rencontre avec la roche et du naufrage qui s’ensu it; si les termes qui l’évoquent sont fort divers —■ 2ρμα, χοιράς; πέτρα, ναυαγεϊν, ναυάγίον, έξοκέλλεσθαί, etc. —· et valent dans des domaines très variés, du moins ex­priment-ils une idée commune : celle d ’un heurt Îarutal, rarement évité, le plus souvent ressenti dans tou te sa violence.

Dans un domaine proprement concret, l’image du naufrage appar­tient essentiellement aux scènes de courses de chars et aux scènes de banquets.

Les Grecs ont toujours été sensibles à l’analogie entre le char et le vaisseau, entre l’a ttitude du cocher et celle du pilote® et, voyant dans les chars les « vaisseaux de la terre », il est naturel que le spec­tacle d ’un char qui se brise leur soit apparu comme un véritable nau­frage ; cette image figure deux fois dans VÉlectre de Sophocle, lors du célèbre récit de la prétendue mort d ’Oreste — v. 730 : ναυαγίων... Ιττπικών — et à la fin de la tragédie : v. 1444 : Ιτιτπικοϊσιν έν ναυα- γίοις ; cette curieuse expression, dans laquelle le mot réel a pour fonction de corriger et de situer le mot métaphorique^, est-elle une création de Sophocle? Ne s’agit-il pas p lu tô t d ’une tournure tech­nique, devenue courante à la longue, et employée sans grande valeur imagée? Il est impossible de le préciser; ce qui est sûr, c’est que Démosthène l’emploie aussi : LX I 29 : έν τοϊς ίππικοϊς άγώσιν ήδίστην

• 1. Pyth. X 52, schol. 81 A (DR II, p. 249).2. Voir aussi chez Thucydide la description faite de pieux enfoncés dans

l ’eau : Y ll 25 : ήσαν γάρ των σταυρών ο0ς ούχ ύπερέχοντας της θαλάσσης κατέπηξαν, ώστε δεινόν ήν προσπλεϋσαι, μή ού προϊδών τις ώσπερ περ'ι έρμα. περιβάλη την ναϋν.

3. Voir ρ. 102 s. et Κ. Η. Kaiser, ρ. 182 ss.4. Voir Η. Disep, p. 180 ss. ; I. Waern, p. 91, et aussi p. 55 ; l’expression rap­

pelle le κϋμα χερσαϊον de Eschl., Sept 64, voir p. 262 et n. 3.

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θέαν παρέχεται τά ναυαγοϋντα ; mais peut-êtrè imite-t-il Sophocle^. Dans V H ippolyte d ’Euripide, le récit de Théramène évoque égale­ment (v. 1217 ss.) un char qui fait naufrage ; jamais ναυάγιον ou ναυαγεϊν n ’y figure, mais c’est bien d ’un naufrage qu’il s’agit pour­tan t, dans cette rencontre avec la roche qui disloque le « bâtim ent »; cependant, l’assimilation du char à un vaisseau a une signification plus profonde ici que dans Électre', car Hippolyte, en proie au comble de l’infortime, n ’est véritablement plus sur terre ; la mer l’a atteint^.

L’image du naufrage a dans les scènes de banquets une justifi­cation encore plus immédiate et plus naturelle ; car, si les festins sont souvent représentés en grec à, l’aide d ’un vocabulaire nautique —' Denys Chalc., frg. 5 D, 1-2; Eur., Aie. 797-798; Xénarq., frg. 2 E, 5 ; Épier., frg. 10 E® — c’est avant tou t parce que les coupes à, boire ont des formes de bateaux et des noms de bateaux ; άκατος (Antiph., frg. 4 E, 2), κύμβιον (Alex., frg. 95 E, 1), ναϋς (Nicostr., frg. 10 E, 1-2), όλκάς (Phérécr., frg. 143 E, 4-5)* e tc .; dès lors, une coupe qui se brise, et c’est le naufrage : Ghoéril., frg. 8 NK : χερσίν | δλβον 2χω κύλικος τρύφος άμφΙς έαγός, | άνδρών δαιτυμόνων ναυάγιον, οΤά τε ΤΓολλά I τηιεϋμα Διονύσοιο πρ6ς ΰβριος ^κβαλεν άκτάς. Cette éVOCation est d ’une rare ingéniosité, où le détail purement matériel de la coupe brisée (v. 1-2) est transposé dans le domaine figuré pour suggérer l’idée de naufrage (v. 3), le term e ναυάγιον étant à son tour déve­loppé par deux images, solidaires l’une de l’autre, celle du « çent de Vwrésse » et celle des « rivages de la déraison » (v. 4) ® ; par la pré­sence de la mer et de la côte, la description rappelle celle de Pin- dare dans le V® Éloge (v. 6-7) ; mais alors que le tableau du lyrique se signale par sa légèreté de touche et l’imprécision de ses détails, dont la représentation demeure subordonnée à, l’expression d’idées morales®, Ghoérilos met délibérément l’accent sur la violence d’un mouvement qui conduit l’homme dans les eaux les plus dangereuses : chez Pindare ψευδή adoucit άκτάν (v. 7), ΰβριος accentue chez Ghoé­rilos les périls qu’implique la présence de la cô te’.

1. Voir sur ce poiat H. Disep, p. 183.2. Voir p. 103.3. Sur ces quatre textes, voir p. 227 et n. 5.4. Voir aussi frg. 108 B, 30-31, et Alex., frg. 95 B, 2-3, où l’emploi de άντλεϊν

et καταντλεϊν à propos de coupes qu’on vide se justifie précisément par cette analogie de la coupe et du vaisseau ; voir p. 144, n. 6.

5. I. Waern (p. 95) parle à ce propos de « chain-kenning » et rapproche de Denys Chalc., frg. 4 D, 2-5, frg. 5 D, 1-2 ; pour un commentaire de ces trois pas­sages, voir p. 95 s. ; voir aussi, pour le frg. 8 NK de Ghoérilos, Ή. Frânkel {Dich- tung und Philosophie des frühen Griechentums, p. 596, n. 2), qui mentionne une coupe du VI® siècle représentant Dionysos comme un navigateur ; on rapprochera l’image du « vent de l’ivresse » de Bur., frg. 1079 N, 4, p. 290.

6. Voir p. 225 ss.7. Le verbe ναυαγεϊν apparaît également chez Bubule dans un domaine fort

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. La métaphore de l’écueil et celle du naufrage trouvent cependant en grec des emplois moins strictem ent matériels, et dont le rapport se perçoit plus nettem ent avec l’image du voyage, qü’il s’agisse du voyage de la création artistique ou, plus généralement, du voyage de la vie.

Chez Pindare, la composition d^un poème apparaît souvent comme im tra je t sur mer : Pyth . X I 39 b-40 ; N ém . I I I 27-28; 01. X III 49; Pyth . I I 62; N ém . IV 70-72, V 51-52, IV 36-381; ^ans cette pers­pective, l’écueil représente les dangers qui guettent l ’ode triomphale si d ’aventure elle vient à, perdre son cap. E t c’est ainsi que, dans la X® Pythique, Pindare, jugeant le moment venu de m ettre un term e à l’évocation m ythique de Persée au pays des Hyperboréens, s’ex- horte à, reprendre l ’éloge du Vainqueur Hippocléas :

κώπαν σχάσον, ταχύ 8’ &γ- κυραν ëpeicov χθονί

πρφραθε, χοιράδος όίλκαρ πέτρας.V. 51-52.

« lâche Vaviron, et vite de la proue détache Vancre et jette la au fond, -pour te. protéger contre la roche à fleur d'eau ».

Trois métaphores maritimes sont ici en présence, celles de l ’avi­ron et de l ’ancre, qui traduisent le rôle joué par le poète à bord du vaisseau de l’o d e e t celle de l’écueil qui, loin de surcharger l’image®, est parfaitem ent justifiée et se trouve dans un rapport logique avec les deux métaphores initiales : car si κώπαν et άγκυραν (v. 51) symbo­lisent la vigilance de l’esprit au cours de la tâche qui lui incombe, χοιράδος... πέτρας (v. 52) représente les dangers auxquels s’expose­ra it un créateur insuffisamment atten tif à, l’équilibre de son œuvre* : qu’il accorde trop d ’importance au m ythe, et l ’ode s’égarerait 2ξω ιτλόου {Pyth. X I 39 b) et viendrait heurter brutalem ent l’écueil d ’une fantaisie passagère; il importe donc d ’arrêter là l’élan du navire, voire de le ramener en arrière lorsqu’il est parvenu assez loin : άπό- τρεπε | αδτις Εύρώπαν ποτί χέρ|σον 2ντεα ναός {Ném . IV 70). Point n ’est besoin, pour expliquer ici la présence de l’écueil, d’invoquer dans

proche de celui des banquets : frg. 76 E, 1 : ώς εύ νεναυώγηκεν έπί τοϋ τηγάνου. Signalons enfin un curieux passage d’Eschyle dans lequel un personnage reçoit sur la tête cet objet que nos précieuses appelleraient « soucoupe inférieure », et qui fait « naufrage » sous la violence du choc : frg. 486 M, 3-4 : περί S’ έμω κάρα | πληγεΐσ’ έναυάγησεν όστρακουμένη [s. e. ούράνη]. Sophocle, qui a imité presque littéralement ce texte dans son frg. 565 P, n’a retenu de l’expression d’Eschyle que l’action, non l’image : v. 2-3 : περί S’ έμφ κάρςί | κατάγνυται.

1. Sur ces différents textes, voir p. 33 ss.2. Pour ces deux métaphores, voir respectivement p. 44 s., p. 60 s.3. Voir U. von Wilamowitz, Pindaros,-p. 470; G. Priesemann, p. 79.4. Sur ce rapport entre la troisième métaphore et les précédentes, voir H. Di-

sep, p. 104.

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le m ythe de Persée l ’allusion à la « mort de pierre » — v. 48 : λίθινον θάνατον —· apportée aux habitants de Sériphos^ : ces métaphores maritimes sont assez courantes chez Pindare pour qu’il soit inutile de leur chercher dans le contexte tine justification supplémentaire ; et dans la ΙΠ® Néméenné c’est encore la peur de l’écueil qui inspire au poète la métaphore par laquelle il interrom pt la digression my­thique sur Héraklès, la peur d’aller, en poussant trop avant, se jeter sur les rochers d ’un rivage inconnu, où le naufrage serait inévitable ; V. 27 : θυμέ, τίνα πρός άλλοδαπάν | &<ραν Ιμ6ν πλόον παραμείβεαι ;

Mais la traversée la plus périlleuse est celle de la vie, et c’est dans ce domaine que ëpμcc, χοιράς, ναυαγεΐν, etc., sont le plus couramment employés au figuré, qu’il s’agisse d ’y définir des relations individuelles ou d ’évoquer certaines circonstances de la vie des cités, ou encore de dépeindre l’homme face aux forces hostUes du destin.

La poésie lyrique et élégiaque a eu une prédilection toute parti­culière pour l’image de l ’écueil, dans le domaine des rapports entre individus : rapports d ’inimitié avec un adversaire retors et perfide, décrit comme une roche à, fleur d ’eau dont il faut à. tou t prix éviter le voisinage ; Archil., frg. 128 B : [δυσμενείς φυλάσσομαι I ώς κυβερ­νήτης] άμυδρήν χοιράδ’ έξαλεύμενος ; Théogn. 575-576 ; τόν γ ’ εχθρόν άλεϋμαι | ώστε κυβερνήτης χοιράδας είναλίας®; relations d’amOUr sur­tou t* , mais d ’un amour sans sérénité, fait de crises et de ruptures, et exposant aux plus graves dangers ta n t l ’amant que l’aimé(e) ; ces risques peuvent surgir d’un instant à l’autre, sans qu’on les pré­voie, et le frg. 31 D d ’Anacréon tradu it l’angoisse qu’il en éprouve : άσήμων ύπέρ ερμάτων φορεϋμαι ® ; de même chez Théognis une liaison malheureuse est évoquée par l ’image de l’écueil : v. 1361-1362 :ναϋς πέτρη προσέκυρσας έμης φιλότητος άμαρτών, | ώ παϊ, καΐ σαπροϋ πείσματος άντελάβου ; deux moments y sont successivement envisagés : une première liaison vient de se solder par une rupture qui a jeté la barque infidèle sur l ’écueil ; et la suivante risque de durer encore moins longtemps pour elle, étant donné la fragilité de la nouvelle « amarre » : v. 1362 : σαπροϋ ττείσματος ® ; mieux vaut donc fuir les

1. Ainsi B. L. Gildersleeve [Pindar. The Olympian and Pythian Odes, p. 355), qui rattache, de même, les images de l’aviron et de l’ancre au νασιώται,ς du v. 47 ; V. 47-48 : ήλυθε νασιώταις | λίθινον θάνατον φέρων.

2. Voir ρ. 34 s. ; signalons à ce propos qu’Isocrate emploie l’image de l’écueil dans le domaine de la critique littéraire pour représenter le danger des déve­loppements trop longs : Lettre II 13 ; εις λόγου μήκος έξοκείλας.

3. Sur l’image du pilote, voir p. 103.4. Sur l’emploi des images, notamment maritimes, pour traduire des réalités

de ce genre dans la lyrique archaïque, voir M. Bernhard, p. 7.5. Voir sur ce passage C. M. Bowra, Greek lyric poetry, p. 295 ; pour φορεϋμαι

évoquant un bateau à la dérive, voir p. 176, n. 8.6. Sur les amarres qui retiennent un bateau, généralement par la poupe, voir

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dangers d e . l’amour, et le V. 970 — vüv 8’ ήδη νηϋς άθ’ έκάς διέχω — représente le poète comme un vaisseau qui prend le large et s’écarte du récif au lieu de s’y f ra c a s s e rC h e z Alcée enfin, la vieille cour­tisane usée par le métier et durement éprouvée par les tem pêtes de la vie n ’aspire plus, au term e du Voyage, qu’à se briser sur l’écueil qui m ettra fin à ses épreuves : frg. 46 h D, 5-6 : φαϊσ’ ούδέν 1μέρρη[ν, άφάντφ] | δ’ ερματι τυπΤομ[έναν ράγημεν ; le tableau est insolite, et c’est bien la seule fois — dans le lyrisme ou ailleurs — que l’écueil est symbole de repos ; cependant, la nature même du « navire » re­présenté ici 2 replace l’ensemble de l’image dans le contexte des réalités de l’amour, et la situe donc sur le même plan que celles d’Ana- créon et de Théognis. Cette conception de l’amour comme un nau­frage, si caractéristique de la lyrique archaïque, a certainement son origine dans la personne même d ’Aphrodite, déesse de l’amour, née de la mer®.

Le symbole vaut aussi dans le domaine politique et caractérise les dangers courus par le « vaisseau de la cité » : ainsi, chez Théognis, Mégare apparaît comme un navire donnant de la bande qui vogue le long de la côte : v. 855 -8 5 6 : πολλάκι δή πόλις ήδε Si’ ήγεμόνων κακότητα | ώσπερ κεκλιμένη ναϋς παρά γην 2δραμ^ ; la Critique à l’adresse des di­rigeants du pairti démocratique de la ville vaut sur deux plans : si leur politique intérieure est mauvaise —■ car le bâtim ent gîte : c’est donc que la cargaison est mal arrimée —■, leur politique exté­rieure n ’est pas plus défendable : ils mènent le vaisseau παρά γην (v. 856), dans des eaux périlleuses, où l’on peut soupçonner la pré­sence de nom breux écueils*.

A. Kôster, p. 77 ; fig. Eur., Hér. 478-479 ; Méd. 768-770. Gouceraant le v. 1362 de Théognis, rien n’indique, contrairement à ce c(ue pense K. Dietel (p. 46 s.), φιο l’emploi de σαπροϋ soit une allusion désobligeante à l’âge du nouvel amant.

1. Voir K. Dietel, p. 42 s.2. Sur cette représentation nautique de la courtisane, voir p. 30.3. Voir à ce propos J. Kahlmeyer, p. 23 s L’identification des pouvoirs des­

tructeurs de la mer et de ceux d’Aphrodite est au fond de la tragédie entière d’Hippolyte, où la mer apparaît à la fois comme un élément géographique, comme un élément mythique — lié à l’action d’Aphrodite et, dans une moindre mesure, de Poséidon — et comme un élément symbolique, représentant les forces irrésis­tibles des passions qui dominent la vie intérieure de l’homme : l’action y est donc liée au monde naturel, au monde divin, au monde des hommes, et le con­flit qui oppose les personnages du drame à la mer, aux dieux, à eux-mêmes, s’achève par leur anéantissement. Voir sur ce point C. P. Segal, The tragedy o f Hippolytus, p. 119 s. ; Nature and the world of man in greek literature, p. 41 s. On en a trouvé des exemples p. 103, p. 148, p. 218 s., p. 279, p. 311.

4. Sur l’image du « vaisseau de la cité », voir p. 109 ; de la cargaison, p. 150 ; sur ces vers, voir aussi B. A. van Groningen, Théognis, p. 266 s. K. Dietel (p. 33) note à ce propos que chez Théognis l’image inaritime a presque toujours une valeur négative : aux v. 671-680 le « vaisseau de la cité » risque de sombrer, et il est ici en ^and danger de s’ouvrir sür un écueil ou d’être jeté à la côte ; sur l’importance des images maritimes chez Théognis, voir A. L. Keith, p. 76 s.

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L’image apparaît dans un registre voisin chez Pindare, dans la 1 ® /siAmïÿwe, dédiée ;au Thébain Hérodote. Le poète s’est toujolirs montré, comme on pouvait s’y attendre, particulièrement sensible aux désastres qui ont éprouvé sa cité, et qu’il évoque avec une grande variété d ’images ; mais si, dans la V IP Isthmique, la bataille d ’Œno- phy ta est décrite par la double métaphore de l’ouragan — v. 27- 28 —■ et de la tem pête — v. 37-38^ —■ c’est surtout Platées qui a frappé son imagination : Platées, c’est la pierre de Tantale sus­pendue au-dessus de Thèbes et de la Grèce entière — Isthm . V III 1 0 - 1 1 c’est la terrible tem pête de neige qui a endeuillé les Gléo- nymides —· Isthm . IV 16-19®; Platées, c’est aussi un naufrage*.

Ce naufrage, le père d ’Hérodote, Asôpodôre, l’a connu, et c’est la personne du com battant de Platées qu’évoque la fin de la seconde triade de l ’ode, ainsi que soii domaine ancestral d ’Orchomène,

â vtv έρειδόμενον ναυαγίαις έξ άμετρήτας άλός έν κρυοέσσί»: δέξατο συντυχίΐϊ ·νϋν S’ αδτις άρχαίας έπέβασε πότμος συγγενής εύαμερίας.

V. 36-40.

« 0 W, jeté à la côte, par un naufrage, au sortir de la mer déchaînée, il trouva refuge, dans une glaciale infortune; m ais à présent son étoile lu i a fa it connaître à nouveau les beaux jours d'antan ».

Est-ce en raison du détail réaliste introduit par le κρυοέσσί): du v. 37, qui suggère la vision d ’un naufragé transi? Toujours est-il que l’on a parfois cru devoir interpréter littéralement ce passage et en conclure qu’Asôpodôre avait été victime d’un véritable nau­frage, à, la suite duquel il avait néanmoins réussi à rétablir sa for­tune ; ce type d’interprétation apparaît dès les scholies — 52 B (DR III , p. 205) : ναυαγήσας ό Άσωπόδωρος έν Όρχομενφ έξερρίφη —■ et certains commentateurs l ’adoptent®. Cependant, lorsqu’on se ré­fère au contexte historique de l’odé, et qu’on connaît les habitudes stylistiques de Pindare, une pareille explication ne résiste guère à l’examen.

En premier lieu, Orchomène n ’est pas au bord de la mer, et l’on voit mal^ dans ces conditions, comment Asôpodôre aurait pu y faire

1. Voir p. 299 s.2. Voir p. 192 ss.3. Voir p. 301 s.4. Sur la diversité des images évoquant les défaites subies par Thèbes, voir

J. H. Finley, Pmiiar and the Persian invasion, p. 125.5. Ainsi F. Mezger, p. 310; U. von Wilamowitz, Pindaros, p. 331, n. 4; J.

B. Bury, The Isthmian Odes of Pindar, p. 18 ; L. R. Farnell, A critical commentary to the works of Pindar, p. 339.

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naufrage^. Par contre, un naufrage au sens métaphorique du term e se justifie parfaitem ent à la lumière des faits : Asôpodôre comman­dait la cavalerie thébaiae à Platées et com battait avec son contin­gent dans les rangs des Perses®; on peut raisonnablement supposer (ju’il figura au nombre de ceux dont Pausanias réclama à, Thèbes la livraison. Par quel concours de circonstances réussit-il, comme plusieurs autres, à échapper au châtim ent? On l’ignore, mais il est probable que quand le danger fut passé il sortit de sa clandestinité et s’établit dans le domaine de sa famille à Orchomène, ville dont la municipalité s’était d ’ailleurs montrée favorable à la c a u se p e rs e 3. Platées a donc été pour lui un véritable désastre, et l’on conçoit que pour évoquer un passé aussi douloureux Pindare ait jugé né­cessaire d’en parler à mots couverts, et par le biais d ’une image : la m étaphore du naufrage n ’est pas ici un artifice poétique, mais répond à, mie exigence bien compréhensible de discrétion*.

La m étaphore est d ’au tan t plus admissible que Pindare recourt volontiers à ce genre de langage figuré pour évoquer les épreuves passées des luttes intestines et des guerres : ζάλαις symbolise la guerre civile à Gnossos — 01. X II 11 — χειμώνος la bataille d ’Œno- phy ta — Isthm . V II 38 —· χειμέριον όμβρον les conflits entre citoyens à Gyrène — Pyth . V 10 —'e t ναυαγίαις (v. 36) peut de la même m a­nière viser ici le désastre de Platées®; sans doute le naufrage sug­gère-t-il à première vue une image différente de celle de la tem pête ; cependant, le term e n ’est pas isolé, et la présence au v. 37 de άμετρή- τας άλός fait que les analogies entre la P® Isthm ique et les trois odes précédemment évoquées vont beaucoup plus loin qu’on ne pourrait

1. Voir G. Fraccaroli, p. 646 s. ; le doute serait permis si Pindare avait écrit au V. 37 άπ’ άμετρήτας άλός ; mais εξ suggère au contraire une proximité immé­diate de la mer et de la ville.

2. Sur ces événements, voir Hérodote IX 69. Il n’y a aucune raison de sup­poser que l’Asôpodôre mentionné par l’historien n’est pas le père du destina­taire de la P® Isthmique.

3. Sur tous ces faits, voir G. Fraccaroli, p. 649 ; G. Gaspar, p. 151 ss.4. De même dans Pyth. IV 292 l’image de la voile et du vent atténue la har­

diesse de la requête à Arcésilas : voir p. 56 s. En faveur de l’interprétation figurée de l’ensemble du passage, voir schol. 52 B (loc. cit.) : άλληγορεϊ δέ την ίκπτωσιν θαλάσση καΐ χειμώνι παραβάλλων ; et parmi les commentateurs Ο. Goram, p. 271 ; G. Gaspar, p. 152 ; E. Rpmagnoli, p. 277 ; A. L. Keith, p. 82 ; G. Goppola, Introduzione a Pindaro, p. 155 s. ; R. Nierhaus, p. 67, n. 20 ; H. Gundert, Pindar und sein Dichterberuf, p. 17 ; E. Thummer, Pindar. Die Isthmischen Gedichte,II, p. 21 ; J. H. Finley, Pindar and the Persian invasion, p. 124 s. ; E. L. Bundy, Studia pindarica, p. 51.

5. J. Ή. Finley [loc. cit.) et E. Thummer [Die Religiositat Pindars, p. 388, n. 4) ont été tous deux sensibles à l’analogie entre le sort d’Asôpodôre et de son fils, et d’Ergotélès, et à la similitude de présentation, dans la P® Isthmique et la XII® Olympique, de la politique et des guerres en termes de marine.

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l’écueil et le naufrage 317

le soupçonner. On tradu it généralement άμετρήτας άλ6ς par « la mer immense »; mais la notion d ’immensité serait ici d ’un intérêt mé­diocre, et l’interprétation traditionnelle de άμ,έτρητος est à reconsi­dérer. Que désigne exactement μέτρα dans l’expression μέτρα θαλάσ­σης? Dans un oracle cité par Hérodote, il vise expressément les di­mensions de la mer : I 4 7 ; οΐδα 8’ έγώ ψάμμου τ ’ αριθμόν καΐ μέτρα θαλάσσης ; mais lorsque Hésiode écrit, au τ . 648 des Travaux, δείξω δή TOI μέτρα πολυφλοίσβοιο θαλάσσης, il ne s’agit assurément pas d ’en évaluer l’étendue, mais de définir les périodes de l’année où elle se m ontre propice ou non à la navigation ; et l’affirmation du V. 648 est précisément suivie d ’un développement (v. 663-694) dans lequel le poète évoque ses périodes de calme, ces sept semaines d’été où l’on peut naviguer sans risques, et ses périodes de tem pête, qui obligent le marin à demeurer au port. Cette signification du μέτρα θαλάσσης d ’Hésiode est d’importance pour le sens de άμετρήτας dans la P® Isthm ique : άμέτρητος n ’est pas ici un synonyme de άττείρων^, mais de αστάθμητος, ü exprime unè idée non point d ’immensité, mais d ’irrégularité, d’incon.stance, et suggère la prom ptitude im­prévisible avec laquelle la mer peut se livrer aux plus violentes tem ­pêtes, pour s’apaiser ensuite tou t aussi brusquement et laisser place à un temps serein : v. 40 : εύαμερίας^.

Si donc Asôpodôre a fait naufrage, c’est bien la tem pête de la guerre qui l’a jeté à, la côte®; pourtant, les vents se sont calmés, et sa famille connaît à présent le calme d’iin beau temps : c’est qu’Hé­rodote a rem porté à Gorinthe l ’épreuve de la course de chars, et cette victoire fait oublier à son père les troubles du passé ; à la sombre vision des V. 36 -3 8 s’oppose —· v. 39 : vüv δ’ αδτις* —· l’évocation radieuse des v. 39-40 , qui s’achève sur le lumineux εύαμερίας. Ce term e, ainsi que εύημερεΐν, εύήμερος, etc., symbolise, notamment dans la tragédie, les circonstances heureuses de la vie : Soph., Œ d.- Col. 616-617 : καΐ ταϊσι Θήβαις zl τανϋν εύημερεϊ | καλώς τά πράς σέ κ τλ .; Eur., É l. 196-197 lyr. : εΰχαϊσι θεούς σεβί|ζουσ’ έξεις εύαμερίαν ; H yp s., frg. 64 BD, 62 lyr. : χρόνω δ* έξέλαμψεν εύάμερος ; frg. 773 Ν,46-48 lyr. : δμωσίν γάρ άνάκτων | εύαμερίαι προσιοϋσαι | μολπαν θράσος αϊρουσ’ | έπΙ χάρματ’ 5 ; et il est notable que, comme dans la F® Isih- mique, la notion d’εύαμεpία soit parfois ici mise en valeur par con-

1. Comme δμετρον dans le frg. 13 D, 19 de Simonide, voir p. 216 s.2. Voir à 06 propos A. S. F. Gow, ΜΕΤΡΑ ΘΑΛΑΣΣΗΣ (Class. Rev. 45, 1931),

p. 12.3. II est significatif c[ue le scholiaste — schol. 52 B — voir p. 316, n. 4 —

parle, à propos des infortunes d’Asôpodôre, de la comparaison que Pindare en fait avec θαλάσση καΐ χειμώ νι.

4. Sur vüv S’ αδτις, voir p. 319.5. Au contraire, Eschl., frg. 182 M lyr. : δυσαμεριάν πρύτανιν κύνα.

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traste avec l ’idée de malheur : ainsi Soph., A ]., v. 708-709 lyr. : vüv, ώ Ζεϋ, πάρα λευκόν εύ|άμερον ττελάσαι φάος, qui s’opposent à 706 : ëXucrev αίνόν άχος άπ’ δμμάτων ’Άρης ; É I. 653, OÙ εύημεροϋσαν reprend le άβλαβεϊ du V. 650^. Cependant, le term e n ’a en lui-même rien de maritime, et c’est seulement son contexte qui peut lui donner une coloration déterminée : au frg. 223 a M d ’Eschyle, la valeur m ari­tim e de l’adjectif εύήμερος est probable dans l ’expression du v. 3 : ξύν τύχαις εύημέρ[οις, é tan t donné la présence au V. 8 de l’image de la « vague de malheurs » : άλλ’ ού8]έπω [κ]ϋμ’ έξαμυ[ντ]έ[ον κακών * ; elle ne fait aucun doute pour εύαμερίας au v. 40 de la 1 ® isthm ique, où son opposition avec l’évocation précédente du naufrage et de la tem pête en fait un véritable synonyme de εύδία®.

La comparaison avec les IV® et VII® Isthmiques, ainsi que la V® P y- thique, est à cet égard to u t à fait éclairante, que l’on considère le rôle joué par la divinité dans cette évolution favorable du sort d ’une famille, la valeur symbolique des termes ou la structure d ’ensemble. Car dans la IV® et la VII® Isthmiques^ les deux évocations contrastées de la tem pête et du beau temps — IV 16-19, VII 37-38^ — se trouvent placées sous le signe de Poséidon — IV 19-20 : ô κινη|τήρ 8έ γάς; V II 38 : Γαιάοχος — qui préside aux jeux de Corinthe, et dont une fonction essentielle est aussi de calmer sur m er les tempêtes®, ces deux aspects se confondant dans la vision symbolique d ’rni dieu qui apaise, grâce au don d’une victoire, les tem pêtes de la vie ® ; de même dans la 1 ® Isthmique^ si Pindare, au spectacle de l’heureux changement survenu dans le sort de la famille d’Asôpodôre, y voit un signe de l ’action du destin héréditaire qui veille sur elle et déter­mine depuis son origine les événements de sa vie·^, le rôle qu’y joue

1. De même Eschl., frg. 223 a M, v. 3 et v. 8, voir p. 318.2. Voir à ce propos D. van Nés, p. 67 s. ; sur l’image de la « vague de malheurs »,

voir p. 264 ss.3. Voir H. Bischoiï, p. 101 ; G. Perrotta, Pindaro, p. 104 ; J. B. Bury, The

Isthmian Odes of Pindar, p. 18 : « good weather... coming after a storm ».4. Voir p. 301 s., p. 299 ss.5. Voir p. 299 s.6. Sur cette vision à la fois mythologique et symbolique de Poséidon, voir

aussi 01. VI 103-104, p. 64 ss.7. VoirB. Thummer, Pindar. DieIsthmisehen Gedichte, I, p. 157 : πόνμος a joué

vis-à-vis d’Asôpodôre et d’Hérodote le même rôle que dans la XII® Olympique Tyché vis-à-vis d’Ergotélès ; sur πότμος, voir L. Petersen, p. 26 ; M. Unter- steiner, p. 72, n. 26 ; F. Schwenn, p. 34 ; G. Norwood, Pindar, p. 60 ; G. M. Bowra, Pindar, p. 88 ; B. Thummer, Die Religiositàt Pindars, p. 99 s. ; H. Strohm, p. 46 ss. ; D. E. Gerber, The idea of Fate in the poetry of Pindar, p. 129 ss. Sur πότμος συγγενής, voir aussi Ném. V 40 et les remarques de D. B. Gerber, p. 131 ss. Il nous a paru que cette idée de destin héréditaire — très proche de celle ex­primée par δαίμων γενέθλιας (01. XIII 105) : voir D. E. Gerber, p. 133, p. 145 — ne pouvait mieux se rendre en français que par « étoile »; voir p. 315.

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également Poséidon n ’est en l’occurrence pas négligeable : car ici encore c’est lui dont la présence — v. 32 : Ποσει8ά|ωνι’· — domine l’évocation maritime des v. 36-40, lui qui, en assurant la victoire d ’Hérodote aux jeux de l’isthm e, a apaisé la tempê+e qui sévissait sur sa famille et l’avait jetée sur les récifs. Le rapport qui existe dans la P® Isthm ique entre εΰαμερίας (v. 40) et ναυαγίαις I έξ άμετρήτας άλός (v. 36-37) n ’est donc pas différent de celui qui unit, pour la VII® Isthmique, εύδίαν et χειμώνος (v. 38), et, pour la V® Pythique, εύδίαν et χειμέριον δμβρον (v. 10)^ : dans chaque cas c’est une victoire aux jeux — celle d ’Hérodote, de Strepsiade, de Garrhôtos — qui estompe le souvenir de la guerre et de ses deuils — celui des batailles de Platées, d ’Œ nophyta, des troubles de Gyrène®. Enfin, la signi­fication symbolique de ces term es qui s’opposent est encore sou­lignée dans chaque ensemble métaphorique par uïie structure forte­ment contrastée, qui contribue à donner un étonnant relief à ces évocations antithétiques des bouleversements du passé et des joies tranquilles du présent :

Isthm . VII

V. 27 : Iv I ταύτς: νεφέλίί V . 38 : έκ χειμώνος

Isthm . IV

V . 16 : τραχεία νιφάς πολέμοιο V. 18 : μετά χειμέριον | ... ζόφον

Isthm . I

V. 36-37 : ναυαγίαιςέξ άμετρήτας άλός

V. 37-38 : άλλά νϋν... I ... εύδίαν

V . 18 : νϋν δ’ αύ

V. 39-40 : νϋν δ’ αδτις... | ... εύαμερίας

Dans l’évocation maritime des v. 36-40 de la F® Isthmique, tout invite donc à donner aux termes en présence une valeur figurée semblable à celle que possède, dans les IV® et VII® Isthmiques et dans la V® Pythique, le Vocabulaire traduisant les successions d ’in-

1. Cf. aussi V. 53-54.2. Entre Pyth. V 10-11 et Isthm. I 36-38, il y a même ressemblance dans le

détail de l’image et sa signification symbolique ; de même que la « froide infor­tune » de Isthm. I 37-38 — κρυοέώσα | ...Λυντυχίΐί — est à entendre au figuré, de même les « pluies d’hiver » de Pyth. V 10 — χει|μέριον δμβρον — peuvent sug­gérer l’idée du « froid du malheur », car la pluie est parfois associée chez Pindare au froid : Pyth. IV 81 : φρίσσοντας δμβρους.

3. De même dans Isthm. IV 16-19 la victoire de Mélissos est un printemps succédant à l’hiver des deuils qui ont éprouvé la famille des Cléonymides — voir p. 301 s.

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tempéries et de beau temps : ici encore s’exprime mi triple con­traste, entre le passé et l’actualité, entre les bouleversements de la guerre et les Joies de la victoire, entre le déchaînement des éléments et leur apaisement subit ; et si ναυαγίαις (v. 36) a comme χειμώνας {Isthm. VII 38), χειμέριον ζόφον [Istkm . IV 18) et χειμέριον ομβρον {Pyth. V 10) une signification strictem ent politique, l’élément de lumière et de calme qui lui fait suite ne le prolonge pas seulement, mais l’élargit, en suggérant un état de sérénité que tous les hommes peuvent connaître à certains moments de leur existence : l’image initiale du « vaisseau de la cité » cède ainsi le pas à celle du « voyage de la vie^ ».

Gomme la métaphore du naufrage suggère dans la P® Isthm ique des circonstances critiques de l’existence de Thèbes, celle de l’écueil caractérise dans les Supplian tes d’Eschyle un moment particulière­ment grave vécu par Argos ; contraint de prendre parti pour les Danaïdes ou pour les Égyptiens, conscient que, quelle que soit sa décision, la guetre est inévitable, le roi Pélasgos se voit comme une barque clouée sur les rochers : v. 438-441 : καΐ δή πέφρα<ϊμαι ·δεϋρο δ’ έξοκέλλεται, | ή τοϊσιν ή τοϊς πόλεμον αϊρεσθαι μέγαν | πασ’ ëc/τ’ άναγκή, καΐ γεγόμφωται βκάφος | στρέβλαισι ναυτικαΐσιν ώς προσηγμένον. Le premier élément de l’image n ’est pas douteux, et έξοκέλλεται (v. 438) évoque un bateau jeté à la côte et immobilisé sans recours :V. 440 : πασ’ έ'στ άναγκή ; mais il est beaucoup plus délicat d’élucider l ’expression καΐ γεγόμφωται σκάφος κτλ. (v. 440-441) et SOn rapport avec la métaphore du v. 438 : les termes employés par Eschyle ap­partiennent en effet au vocabulaire de la construction navale — v. 440 : γεγόμφωται ; v. 441 : στρέβλαισι — et l’on y a parfois vu, pour cette raison, une seconde image, absolument différente de la première : celle d ’un navire au sortir du chantier et qu’on se prépare à m ettre à l’eau entre έξοκέλλεται (v. 438) et γεγόμφωται (v. 440) les seuls éléments communs seraient en somme la présence du bateau®, et l’idée de risque : car ce lancement requiert tou te la vigilance du capi­taine^. Cette interprétation paraît difficilement défendable, et l’en­semble du texte, d’une parfaite cohérence, supporte que l’on consi­dère la seconde métaphore comme un prolongement de la première : Eschyle en effet n ’a pu songer à une mise à l’eau, et ceci pour une raison strictem ent matérielle, qui est la présence au v. 441, auprès

1. C’est précisément en raison des analogies profondes existant entre la I··® Jsth- mique et les autres odes constamment citées en regard qu’on a cru nécessaire de rapprocher l’étude de l’image du naufrage de celle de la tempête.

2. Voir H. F. Johansen, p. 24 : « the image is taken from a newly built ship which is ready to put to sea i>. De même Ο. Smith, p. 45 s. ; J. G. Hansen, p. 76.

3. H. F. Johansen, p. 24, n. 61 : « the notion of n ship » is the only link of connec­tion between the two images ».

4. Voir J. G. Hansen, loc. cit.

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de στρέβλαισι, de προσηγμένον ; car les cabestans — στρέβλαι — étant des treuils ou des tourniquets placés au haut d ’une grève ou d ’une cale — et qui perm ettent aussi bien de m ettre à l ’eau que de tirer au sec un navire — le préfixe πρός dans le verbe προβηγμένον ne laisse aucun doute sur le mouvement auquel pensait le poète : ces cabes­tans tiren t le bâtim ent vers eux, et il s’agit obligatoirement d ’un vaisseau qu’on met au sec^. Dès lors, l’ensemble de l ’expression des V. 440-441 apparaît comme la suite logique de la métaphore initiale : έξοκέλλεται [s. e. σκάφος] (v. 438) évoque brièvement le heurt avec l’écueil ; mais le term e serait insuffisant pour suggérer à, lui seul l’importance de la décision que doit prendre Pélasgos, et qui l’engage irrévocablement ; aussi l’image est-elle reprise et aggravée aux v. 440-441 par une série de détails qui imposent la vision d’tin bâtim ent tiré hors de l’élément marin et ayant en conséquence perdu tou te liberté de m anœ uvre^; l ’emploi d ’un vocabulaire emprunté à la construction navale sert ingénieusement les intentions symboliques de l ’auteur : car la barque est ici plus sûrement mise au sec que si des cabestans — v. 441 : στρέβλαιβι —· l’y avaient aidée ; et les che­villes — V. 440 : γεγόμφωται — qui habituellemeïit tiennent les mem­brures du bateau et l’empêchent de se disjoindre®, n ’ont pas une solidité comparable à celle des rochers qui emprisonnent à présent la coque. Les term es techniques sont détournés de leurs emplois ordinaires et proprement inversés ; au lieu de suggérer la sécurité du navire, ils traduisent la précarité de sa position ; au lieu d’évo­quer la volonté agissante de l ’homme dans la construction du vais­seau, ils expriment le caractère involontaire de sa destruction. L’em­ploi même de Σκάφος est significatif : Pélasgos songe ici avant tou t aux responsabilités qu’il a vis-à-vis de sa cité ; c’est moins comme individu que comme chef d ’É ta t, comme pilote d ’Argos, qu’il se conçoit, et ακάφος souligne la fragilité, face aux graves épreuves de la vie politique, de la barque qu’il conduit : elle a talonné la roche, et rien ne perm et d ’aperceVoir ce qui pourra la délivrer d’une posi­tion aussi désespérée, touché la côte, mais une côte qui n ’offre « point de port où échapper à la détresse » : v. 471 : κοΰδαμοϋ λιμήν κακών®.

1. Voir H. Mielke, p. 61 s. ; O. Becker, Das Bild des Weges, p. 188 ; W. Elli- ger, p. 135; H. Disep, p. 118.

2. Cette technique de créatioa d’images par apposition est familière à Eschyle ; il est curieux que O. Smith, qui a écrit à ce sujet quelques pages remarquables (p. 18 ss.), ne l’ait pas aperçue ici.

3. Sur l’emploi des chevilles — γόμφοι — dans la construction navale, voir Hom., Od. V 248.

4. L’image n’est assurément pas, comme le pense H. Disep [loc. cit.), celle du « bateau de la pensée ».

5. Sur les images des v. 469-471, voir p. 217 s. Au chapitre des naufrages poli­tiques figure naturellement la célèbre comparaison que fait Polybe (VI, 34, 3-7)

21

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L’image de l’écueil reparaît chez Eschyle avec une signification encofe plus générale pour évoquer les dangers courus par l ’homme au cours du voyage de la vie. Deux vastes allégories se répondent dans Agam em non et les Eum énides, où le dram aturge a exprimé avec une particulière éloquence la conception qu’il se fait de l ’exis­tence humaine et de la justice des dieux : A g. 1007-1014 lyr. : καΙπότμος εύθυπορών | άνδρός ^παισεν όίφαντον ερμα · | καΐ το μέν προ χρη­μάτων I κτησίων δκνος βαλών | (ϊφενδόνας άπ’ εύμέτρου, | ούκ 2δυ πρόπας δόμος | πλημονας γέμων άγαν, | ούδ’ έπόντισε σκάφος. Le destin pros­père d ’une maison est ici représenté comme un vaisseau voguant en ligne droite — v. 1007 : εύθυπορών’· — et qui touche soudain un écueil invisible : V. 1008 : όίφαντον ερμα ; toutefois, si l ’équipage m ontre assez de prudence pour jeter par-dessus bord une partie de la cargaison^, il évite le naufrage ; le tableau, où se mêlent inextri­cablement la réalité et le symbole — v. 1112 : ëSu... δόμος ; v. 1114 : έπόντισε σκάφος — tradu it la croyance du poète en un univers mo­ralement gouverné, où tou te ΰβρις porte en elle-même les germes de sa destruction prochaine, et où le sens de la mesure permet en général d’échapper aux coups du sort ; par là, l’image de l’écueil, si elle symbolise un moment critique de l ’existence humaine, n ’en constitue pas moins un élément secondaire, en quelque sorte tra n ­sitoire, de l’évocation, qui se clôt précisément sur la négation des périls qu’implique la rencontre avec la roche®.

Dans les Eum énides au contraire c’est sur l ’écueil que tou t s’achève : 550-565 lyr. : έκών 8’ άνάγκας άτερ δίκαιος ών | ούκ ανολβος ^σται, | πανώλεθρος [S’] οΰποτ’ Sv γένοιτο · | τόν άντίτολμον δέ ψαμι παρβάδαν | τά πόλλ’ [άγοντ]α παντόφυρτ’ δνευ δίκας | βιαίως ξύν χρόνφ καθήσειν | λαϊφος, οταν λάβγ) πόνος | θραυομένας κεραίας · | καλεϊ 8’ άκούοντας ούδέν [έν] μέσς: [ δυσπαλεΐ τε Sivcf. · | γελ? δέ δαίμων έπ’ άνδρΙ θερμω, ( τόν οΰποτ’ αύχοϋντ’ ίδών άμηχάνοις | δύαις λαπαδνόν ού8’ ύπερθέοντ’ όίκραν · I 8ι’ αίώνος 8έ τδν πρίν δλβον | ερματι προσβαλών Δίκας | ώλετ’ όίκλαυτος, ξαχοζ. Gar il s’agit à présent d’un vaisseau pirate, lourd de marchandises acquises en dépit de la justice ; cette fois le naufrage

d’Athènes avec un. vaisseau dont l’équipage respecte l’autorité du pilote quand le danger menace, mais perd tout sens de la discipline si les périls cessent : 7 : 8ib καΐ πολλάκις διαφυγόντες τά μέγιστα πελάγη καΐ τούς έπιφανεστάτους χειμώνας, έν τοϊς λιμέσι καΐ πρός τη γη ναυαγοϋσιν .

1. Cf. Eschl., frg. 355 Μ, 11 lyr. : εΰθύπορον λά[χος όλβου; pour l’emploi de εύθυπορεϊν dans l’image du « chemin de la vie », voir Pind., 01. VII 91 : ΰβριος έχθράν όδόν | εύθυπορεϊ ; voir p. 26, n. 2.

2. Sur όίφαντον, voir p. 310.3. Cf. Sept 767-770 lyr., p. 149 ; sur l’image de la cargaison, voir p. 149.4. χρημάτων (v. 1009) est à double entente et vaut à la fois pour la prospérité

de la demeure et pour la cargaison du navire : cf. Suppl. 443, p. 149, n. 2.5. Sur l’ensemble de ce passage, voir B. L. Hughes, p. 127 ; J. G. Hansen,

p. 100 s. ; D. van Nés, p. 131 ss.

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l’écueil et le naufrage 323

est inévitable, et contre le bâtim ent en détresse se liguent tous les éléments, le vent qui brise son gréement — v. 555-557^ —■ la mer qui l’engloutit dans ses tourbillons — v. 559 : δίνα — et dans ses vagues — V. 562 : oùS’ ύπερθέοντ’ όίκραν — l ’écueil qui anéantit sa prospérité de jadis — v. 563-565 ; sa perte est totale — v. 552 : πανώλεθρος ® — et la rencontre brutale avec le rocher est ici l’élément essentiel du tableau, auquel elle donne son véritable sens : alors que le Vaisseau à ’’Agam em non évite le naufrage parce que c’est la Justice qui le gouverne — v. 781 lyr. : παν δ’ έπΙ τέρμα νωμ? [s. e. Δίκα]4 — celui qu’évoque le chœur des Eum énides, parce qu’il a fait fi de la justice — v. 554 : ανευ δίκας — périt sur l’écueil de la Justice : v. 564 : ερματι Δίκας®.

A vec moins d ’ampleur, l ’im age de l ’écueil et du naufrage se trouve par ailleurs chez les tragiques pour suggérer une sem blable idée de perte ou de m alheur irrémédiable : ainsi E schl., frg. 145 M, 24 : μή πάντα παίβαβ’ εκχέω πρός ερματι ; frg. 273 Μ, 3 : εις οΐ]ον έξώκειλεν άλίμενον γάμον ® ; de m êm e chez Euripide, Tro. 136-137 lyr. : έμέ τε [τάν] μελέαν Έκάβαν | ές τάνδ’ έκώκειλ’ αταν : l ’image de la barque jetée sur l ’écueil prolonge ici celle de la barque en proie aux vagues de l ’adversité — v. 102-104 lyr. — et de la douleur — v. 116-118 lyr. — naviguant avec des Voiles réduites — v. 108-109 lyr. ; elle est à présent échouée, et le vaisseau des destinées de la \âeille reine déchue n ’est plus qu’une épave m utilée et impuissante®.

1. Sur l’image de la voile (v. 555-557), voir p. 54, n. 6.2. L’expression ύπερθέοντ’ &ραν ne suggère pas, comme on l’a parfois cru,

un cap qu’on ne parvient pas à doubler; άκραν ne se comprend, en fait, cpi’en rétablissant κύματος, et l’image est sur le même plan que celle d’Euripide, frg. 230 N, 1-2 : ού γάρ ύπερθεϊν κύματος άκραν | δυνάμεσθ’ ; cf. aussi Tliéogn. 620.

3. Cf. au contraire, Ag. 1012 : ού... πρόπας.4. Sur ce passage, voir p. 136.5. Sur l’ensemble de ce texte, voir J. G. Hansen, p. 101 s. ; D. van Nés, p. 155.6. Cf. Soph., Œd.-roi 422-423 : ύμέναιον... | δνορμον.7. Sur ces trois métaphores, voir respectivement p. 268, p. 31 s., p. 52 s.8. Sur l’image de la barque jetée à la côte dans Andr. 854-855 lyr., voir

p. 31 ; pour les emplois figurés de έξοκέλλειν, voir aussi Mén., frg. 587 B, 2-3 ; Isocr. VII 18, XV 268 ; Pol. XVIII 55 ; sur l’image du naufrage, voir également Démocr., frg. 302 DK, 187 ; Phil., frg. 213 E, 3-5.

On a parfois supposé la métaphore de l’écueil dans VAgamemnon d’Eschyle : V. 994-997 lyr. : σπλάγχνα δ’ οΰτοι ματά|ζει, πρός ένδίκοις φρεσίν | τελειϊφόροις δίναις | κυκλούμενον κέαρ. D’après certains {J. Kahlmeyer, p. 21 ; A. L. Keith, p. 109 s., p. 129), l’expression signifie que le cœur, élément agité — κέαρ ; cf. θυμός, p. 139 s., est entraîné dans un tourbillon — δίναις ; cf. Eum. 559, p. 322 — et ce mouvement a lieu près des φρένες — l’esprit, élément stable ; cf. Pers. 767, p. 139 —■ sur lesquels le « flot » vient se briser sans cesse comme sur des écueils. Nous préférons voir dans κυκλούμενον l’image de la « danse » du cœur, lorsque celui-ci est en proie à une émotion violente : voir à ce propos J. de Romilly, p. 24; D. van Nés, p. 52.

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Utilisant l’image de l’écueil, Platon recourt au verbe πταίειν pour qualifier le heurt du bateau contre le rocher : Rép. 553 B : πταίσαντα ώβπερ προς έρματι πρός τη πόλει, καΐ έκχέαντα τά τε αύτοϋ καΐ έαυτόν ; la cjuestion se pose dès lors de savoir si πταίειν, sans έρμα, implique cette même image : si tel était le cas, elle figurerait chez Eschyle — Pro. 926 : πταίσας δέ τφδε πρός κακφ — Euripide — frg. U N : 2στι καΐ πταίσαντ’ άρετάν | άποδείξασθαι θανάτφ — et Pindare : frg. 83, 3-2 : ώναοσ’ ’Αλάθεια, μή πταίσας έμάν [ Ούνθεσιν τραχεϊ ποτί ψεύθει ; dans ce dernier exemple, l’image de « Vécueil du mensonge » serait alors à rattacher à la conception que se fait le poète de la création littéraire comme un voyage sur mer et à rapprocher plus précisément de l’évocation de Pyth. X 51- 52 ; mais cette valeur imagée de πταίειν est loin d’être certaine.

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APPENDICE

PiNDARE, P ythique X I (v. 41-45)

Μοϊσα, τδ δέ τέον, zi μισθοϊο συνέθευ παρέχειν

φωνάν ύττάργυρον, όίλ- λοτ’ &XKc(. ταρασσέμεν,

ή πατρί Πυθονίκω τό γε νϋν ή Θραβυδαίφ, των εύφροσύνα τε καΐ δόξ’ έπιφλέγει.

Ce passage, qui a donné lieu à des interprétations fort diverses a fait l’objet de deux commentaires relativement récents, l’un de J. S. Th.. Hanssen^, l ’autre de S. Eitrem®, qui tendent tous deux à, le situer dans un registre maritime. D’après J. S. Th. Hanssen, ταρασσέμεν (v. 42) suppose la métaphore des flots agités et présente l’action de la Muse sur la matière poétique à l’image de celle de Poséidon sur la mer* ; S. E itrem va plus loin, qui voit dans l’ensemble du passage une triple métaphore maritime : a) παρέχειν (v. 41) sug­gère l’image d ’une cargaison, entreposée à bord du vaisseau de la poésie, et que la Muse se doit de « livrer » intacte à son destinataire b) ταρασσέμεν (v. 42) qualifie l’action du vent, qui agite la mer®, et par là même le navire : ce vent, c’est le souffle de la Muse, de la Μοϊσ’ άδύτινοος (01. X III 22), qui inspire le poè te ’’, c) έπιφλέγει enfin

1. On les trouvera résumées p. 163 s. de l’article de J. S. Th. Hanssen cité n. 2.

2. J. S. Th. Hanssen, A note on Pindar (Pyth. X I 39 (Aevum 24,1950).3. S. Eitrem, Varia (Symb. Osl. 30, 1953).4. Voir Hom., Od. V 291 : έτάραξε 8è πόντον; Eur., Tro. 88 : ταράξω πέλαγος

Αίγαίας άλός ; p. 164 : « it is your turn to stir your own element ».5. Voir à ce propos p. 38 les remarques de H. Jurenka (Pindars sechste ne-

meisches Siegeslied,.'p. 358) sur Ném. VI 34.6. Archil., frg. 56 D, 1-2 : βαθύς γάρ ήδη κύμασιν ταράσσεται | πόντος; Sol.,

frg. 11 D, 1 : έξ άνέμων 8έ θάλασσα ταράσσεται ; Simonid., frg. 28 ϋ:πορφυρέας | άλές άμφιταρασσομένας ορυμαγδός ; Pind., Parth. II 39-40 : πόντον τ ώκύαλον | [ρ]ιπα[ϊσι] ταράξη ; Eur., Tro. 692 : πολύς ταραχθείς πόντος ; au figuré, ce verbe évoque le « vent de l’inspiration » (Eschl., Ag. 1216, p. 287), le « cent de l’ivresse » (Eur., frg. 1079 N, 4, p. 290) ou le « vent de la colère » (Ar., Cav. 431, 692, p. 177, n. 2).

7. Voir p. 179 ss.

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(ν. 45) peut désigner les feux qui, de nuit, guident la navigation des vaisseaux^. On aurait donc ici le prolongement de l ’image m ari­tim e des V. 39 b-40 —■ ίί μέ τις όίνεμος εξω πλόου | εβαλεν, ώς δτ’ δκα- τον έναλίαυ ; — où apparaît la barque livrée aux souffles des vents Explication ingénieuse certes, mais en réalité παρέχει et ταρασσέμεν sont des termes trop vagues pour pouvoir faire surgir, sans l’appui d ’un autre mot, des évocations aussi précises ; quant à έπιφλέγει, il suggère une image to u t autre que celle de la mer®.

C’est la X® Pythique qui donne la véritable explication du pas­sage. Dans cette ode, le m ythe de Persée au pays des Hyperboréens s’interrom pt brusquement par la triple métaphore de l’aviron, de l’ancre et de l ’écueil : V. 51-52 : κώπαν σχάβον, ταχύ 8’ άγ|κυραν έρεισον χθονί I πρώραθε, χοφάδος όίλκαρ πέτρας^; et à cette image spécifique­ment maritime succède ime autre qui, selon un procédé courant chez Pindare, nous ramène sans transition sur terre ; celle de l ’abeille, V. 53-54 : εγκωμίων γάρ όίωτος ΰμνων | έπ’ όίλλοτ’ άλλον ώτε μέλισσα θύνει λόγον, « mes beaux chants de louange, semblables à l'abeille, volent tantôt à un sujet, tantôt à un autre »; l ’image a dans cette partie de l ’ode une valeur essentiellement dynamique : anticipant sur le thèm e qui va suivre, celui des chants doux comme le miel — v. 56 : δπ άμφί Πηνειόν γλυκεϊ| αν προχεόντων έμάν — elle exprime, Comme Celle de l’aviron, l ’idée de mouvement, et constitue en cela le prolongement logique de l’évocation maritime®. Or dans la XI® Pythique le récit m ythique s’interrom pt également par la double métaphore du char et de la barque — v. 39 b-40 : ή μέ τις άνεμος ξω πλόου I Ιβαλεν, ώς δτ’ άκατον έναλίαν ; — et à cette dernière s’enchaîne l’image des v. 41-42, qui ne peut être ici encore que celle de l ’abeille® : en elle-même, l’analogie de structure entre les deux textes en constitue déjà, un indice probant, que viennent encore confirmer les similitudes dans le détail de l’expression : Μοϊσα (XI 4J) est l’équivalent pour le sens de άωτός ΰμνων (X 53) ; φωνάν... ταρασσέμεν (XI 42) Suggère le mouve­ment de l’insecte au même titre que θύνει [έπί] λόγον (X 54); enfin,

1. S. Eitrem, p. 110.2. Voir p. 183 s.3. Sur l’image de la lumière, voir p. 99 et n. 34. Voir p. 44 s., p. 60s., p. 312 s.5. Voir M. Bernhard, p. 12 ; H. Disep, p. 105 ; R. C. Jebb par contre voit là

un exemple caractéristique de « two incongruous metaphors brought close together » (p. 170).

6. C’est la conclusion à laquelle parvient G. Norwood (Pindar, p. 125) qui, non sans excès parfois, a vu dans l’image de l’abeille Γ « image-clé » de la XI® Py­thique : voir p. 124 ss. ; même avis chez E. Wüst, p. 14 s. ; P. A. Bernardini, p. 83.

7. On a vu qu’il arrive souvent à Pindare de s’identifier, ou d’identifler son chant, à la Muse ; voir p. 179 ss.

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PYTH. XI 41-45 327

la ressemblance entre όίλλοτ’ ôtXX(y (XI 42) et άλλοτ’ άλλον (X 54) se passe de commentaire.

« Muse^ puisque tu as convenu de louer à gages ta voix d ’argent, à toi de la faire voler tantôt ici et tantôt là, mais, pour le moment, en Vhonneur de Thrasydée et de son père Pythonicos, dont le bonheur et la gloire resplendissent. » E t dans les deux odes cette référence à, l’abeille a la même fonction ; si l’image maritime n ’a pour objet que de m ettre fin au m ythe, l’image de l’abeille la complète et la justifie : à, une constatation occasionnelle, qu’explique le contexte, elle fait succéder uns généralisation valaÎale aux yeux de Pindare pour l’ensemble de sa poésie, et conforme à sa volonté de liberté et de fantaisie créatrice dans le développement de ses thèmes®.

1. Sur cette formule, voir p. 197.2. Voir P. A. Bernardini, loe. cit. ; G. Lieberg, p. 209.

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L’étude qui précède, fondée sur une analyse détaillée de l’emploi des images maritimes chez Pindare, permet de réunir à présent un certain nombre de remarques propres à éclairer l’art et la pensée du lyrique : si chez lui les images empruntées à la mer ne consti­tuent qu’une partie très restreinte dans le Vaste ensemble du lan­gage figuré, elles n ’en ont pas moins Valeur d’exemple et sont carac­téristiques de la manière dont le poète utilise les éléments du monde sensible, quels qu’ils soient, et les soumet à ses intentions symbo­liques.

Situation et fonction de Vimage dans Vode^.

Si l’on replace dans leur contexte les quelque soixante-dix images maritimes étudiées ci-dessus, on parvient aux constatations sui­vantes, énoncées dans tou te leur brièveté :

a) Sur ce to ta l considérable, deux images seulement se trou-vent à l’intérieur d’un m ythe ; encore s’agit-il d’images sans grande ex­tension et purem ent descriptives : Pyth . IV 158; Isthm. V III 53-54^.

b) Toutes les autres se situent dans les parties non mythiques, et selon une disposition qui se présente dans ses grandes lignes comme suit ;

—· un certain nombre d ’entre elles figurent au début d ’un dé­veloppement : 01. X II 1-6 ; Pyth. IV 3 ; Ném . V 1-4 ; d’autres coïn­cident au contraire avec la fin d ’un développement : 01. I II 43-45,VI 101-102 et 103-104, V II 94-95, X III 114; Pyth. V 120-121 et 122, V III 98, X 71-72 ; N ém . V 50-52, X I 43-47 ; Isthm . III 19.

—■ plus précisément, elles se trouvent au point de jonction de l ’actualité et du m ythe : soit avant le début du récit mythique — 01. X III 49; Pyth. V III 10-11, X 27-31 ; Ném. III 19-22, VII 17-18, 77-79, ΓΧ 37; Isthm . IV 16-19, VI 22-23, V III 14-15 — soit à l’issue

1. Pour la clarté des conclusions, on a préféré laisser de côté les poèmes mu­tilés ou fragmentaires — qui au demeurant tiennent peu de place dans cet ou­vrage — et ne tenir compte que des odes triomphales, qui nous sont parvenues intégralement et où la situation de l’image peut donc être déterminée avec cer­titude.

2. Voir p. 248 et p. 283.

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de ce récit : 01. I 97; P yth . I I I 61-62, 105, X 51-52, X I 38-40; N ém . IV 36-38, 70-72, VI 55-56 ; il peut aussi se faire, mais plus rare­ment, que l ’image maritime figure entre deux m ythes successifs et perm ette ainsi de passer de l’un à l’autre : 01. II 37-38; N ém . VII 30-311.

De ces constatations purem ent matérielles, quelles conclusions peut-on tirer sur la fonction de l’image dans l’ode?

La première est que l ’image y joue le rôle d ’élément constructeur ou, si l’on préfère, unificateur : la présence dans la X® Pythique de l’image du voyage (v. 27-31) avant le m ythe de Persée, celle de la triple image de l’aviron, de l ’ancre et de l’écueil (v. 51-52) au term e de ce récit m ythique, confèrent une indiscutable unité au poème en rattachan t les deux extrémités du m ythe à l ’actualité qui l ’encadre ; de même dans la V® Néméenne les deux images qui se répondent au début et à la fin de l’ode, celle du vaisseau de la poésie et de sa cargaison (v. 1-4) et celle du vaisseau de la poésie et de ses voiles (v. 50-52), donnent au poème une structure d ’ensemble parfaite­ment rigoureuse : c’est grâce à cette vision répétée du navire en mouvement que l’ode apparaît comme un tou t, organisé et achevé®.

L’image est aussi élément dynamique : située au point de jonc­tion de l’actualité et du récit m ythique, c’est elle qui assure la tra n ­sition du présent au passé, ou inversement ® ; de fait, lorsqu’on dit d ’ime image qu’elle se situe « a m n t le début » du m ythe ou « à l'issue de 1) ce dernier, cela implique tou t autre chose qu’une simple jux ­taposition de l’actualité et du m ythe : car entre ces deux domaines s’établissent des relations mutuelles, d’incessants échanges qui s’opèrent précisément au moyen de l’image. T antôt l ’image donne naissance au m ythe, comme dans la X® Pythique, où c’est l’image du voyage de la vie — v. 28-29 : έσχατον | πλόον — qui est à l ’origine de révocation m ythique du voyage de Persée ; tan tô t c’est le m ythe qui donne naissance à l’image, comme dans la III® Pythique, où les mythes de Gadmos et de Pélée aboutissent à, l’image des vents chan­geants ; V. 105 : όίλλοτε 8’ άλλοΐαι ττνοαί κτλ. Les images maritimes jouent à cet égard un rôle privilégié : le navire, le Vent, les vagues étant aux yeux du poète symboles de mobilité, les images corres­pondantes sont en conséquence toutes désignées pour assurer le mouvement de l’ode et engager un développement dans une direc­tion nouvelle, ou au contraire y m ettre fin.

1. Voir aussi Ném. III 27-28, p. 34 s., p. 80, n. 7, p. 81, n. 3.2. De même pour la III® Pythique, avec ses deux mythes (v. 8-58, v. 86-102),

chacun suivi d’une image maritime (v. 61-62, v. 105 et 106-107); cf. aussi la VIII® Pythique, encadrée par Hésychia (v. 10-11) et Égine (v. 98),

3. On a vu l’importance du rôle joué par les images dans ce phénomène, no­tamment à propos de la VI® Néméenne, voir p. 245 ss.

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Si l’image est élément dynamique en ce qu’elle permet le passage d ’un développement à. un autre, elle l’est aussi dans la mesure où elle assure, au sein d ’un développement unique, la progression de la pensée. Que l’on considère les derniers Vers de la XI® Néméenne, où s’exprime le double thèm e de l’aveuglement et de l’espérance (v. 43-47) ; Pindare est incapable de concevoir des notions aussi abstraites^, et c’est l’enchaînement des images qui détermine le passage d ’un aspect de la réflexion au suivant : l’image initiale de l’étoile —■ V. 44 : τέκμαρ — fait naître la représentation de matelots embarqués — v. 44-46 : έμβαίνομεν — et celle-ci fait surgir à son tour l’image des « courants de la prévoyance » —· v. 47 : προμαθείας... ροαί — qui ram ène à l ’idée première des V. 43-44. De même dans la

Pythique l ’énumération des qualités nécessaires au souverain (v. 81 ss.) ne se situe pas dans le domaine des concepts moraux : ici encore ce sont les images qui en se succédant finissent par cons­tituer un portra it idéal du priace, les notions de justice, d’honnê­teté , de noblesse, de générosité n ’étant accessibles au poète que par le biais des images du gouvernail — v. 86 : ττηδαλίφ —■ de l ’enclume— V. 87 : δκμονι —■ de la fleur —■ v. 89 : εΰανθεϊ — de la voile —· v. 91 : ίστίον. Il est donc exact de dire que la progression de la pensée s’opère grâce à la technique d ’apposition ou d ’opposition d’images ; encore convient-il de préciser que ces enchaînements et ces associa­tions sont soumis à, la vigilance de l’esprit qui y préside : il ne s’agit aucunement d ’un procédé échappant à tou te logique, mais au con­tra ire rigoureusement intellectuel, parfaitem ent conscient et con­trôlé ; le poète pense véritablem ent en images, comme d ’autres pensent en idées et en concepts®.

L’image est enfin chez Pindare élément signifiant ; si on ne la rencontre guère dans le m ythe, c’est que celui-ci constitue la partie proprement narrative de l’ode ; or l ’image, qui suppose toujours une interprétation du réel, n ’a évidemment que peu de rapport avec la pure description^. Au contraire, elle trouve tou t naturellement à s’employer dans les passages du poème où l’actualité se trouve au premier plan : car devant la tâche qui lui incombe à l’instant de célébrer l ’athlète victorieux, ou au spectacle de la vie du vainqueur et des destinées de sa famille, il ne s’agit plus pour le lyrique de dé­crire, mais d’interpréter, selon la vision qu’il a du monde, les événe­ments auxquels il assiste, et de suggérer les émotions, les sentiments

1. Voir G. Nebel, p. 172.2. Voir à ce propos M. Bernhard, p. 18, p. 90 ; G. Nebel, p. 204 ; O. Becker,

Pindars Olympische Ode vom Glück, p. 39.3. J. H. Finley, Date of Paean 6 and Nemean 7, p. 76 : « he thinks in symbols

and figures rather than in concepts ».4. Voir M. Bernhard, p. 9.

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qu’ils font naître en son cœur. Aussi est-ce dans ces parties non m y­thiques qu’on rencontre presque toutes les images de Pindare, et celles-ci se groupent et s’ordonnent avec la plus grande clarté selon leur signification propre et selon la nature des réalités qui frappent son imagination : réalités d’ordre esthétique, celles de son propre métier de poète, avec les risques qu’il comporte, les limites qui lui sont imparties, la gloire qu’il confère à jamais dans le monde à ceux qui se confient à lui : 0 1 X 9-10, X III 49, 114 ; P yth . II 62, 68, 79- 80, I II 61-62, IV 3, X 27-31, 51-52, X I 38-40 ; N ém . I I I 27-28, IV 36-38, 70-72, V 1-4, 50-52, VI 28-29, 55-56, V II 12, 17-18, 62, 77-79 ; Isthm . V II 17-19 ; réalités d’ordre politique, celles des cités de son époque, aux maias dés pilotes de l’aristocratie, mais parfois en proie à de violentes tem pêtes : Pyth . I 33-34, 86, 91, IV 272-274, 292,V 10-11, 120-121, V III 98, X 71-72; N ém . IX 37, X I 5 ; Isthm . I 36-40, IV 16-19, V 48-50, V II 27-28, 37-38; réalités d ’ordre moral, philosophique et religieux, celles de la nature humaine, par essence faible et limitée, soumise à l’autorité souveraine de la Fortune et des dieux, dans un univers que le temps bouleverse sans trêve : 01. I 97, II 37-38, I II 43-45, VI 101-102 et 103-104, V II 94-95, X II 1-6, 11-13, ΧΊΠ 28; Pyth. I 46, I I I 61-62, 105, IV 293-294, V 10-11, 122, V III 10-11, X 27-31 ; N ém . II 6-8, Ι Ι Γ 19-22, VI 28-29, 32-33,VII 30-31, X I 43-47 ; Isthm . I 36-40, II 38-40, I II 19, IV 6, 11-13,16-19, VI 13, 22-23, VII 37-38, V III 14-15.

Cette subordination de l’image à la signification profonde que le poète lui attache explique encore que le choix de l’image dans chaque ode ne soit pas laissé au hasard, à la fantaisie ou à l’inspi­ration du moment : l’image n ’est pas un élément décoratif, ajouté au poème, mais un élément porteur de sens, appelé et justifié par le sujet même de l ’œuvre^. Aussi découvre-t-on, dans la majorité des odes, des images dont la nature s’explique par l’inspiration générale du poème, et le climat qu’elle lui confère : les préoccupations d’ordre politique que tradu it la I>® Pythique se manifestent dans le choix de l’image dominante, celle du « vaisseau de la cité » et de son pilote : V. 33-34 : ναυσι,φορήτοις 8’ | άνδράσι κτλ. ; V. 86 ; νώμα δικαίιρ [ πηδαλίφ στρατόν ;' V. 91 : έξίει S’ ώσπερ κυβερνάτας άνήρ ] ίστίον άνεμόεν ; les IV® et V® Pythiques sont également dominées par des images à ca­ractère politique, mais que le souvenir des troubles passés de Cyrène colore de façon plus dram atique : aussi les images du « vaisseau de la cité » et du pilote —■ Pyth. IV 272-274 : εί μή θεάς άγεμόνεσσι κυβερ- νατήρ γένηται ; 292 : έν 8έ χρόνφ [ μεταβολαΐ λήξαντος οΰρου | ίστίων ;V 122 : Δεός τοι νόος μέγας κτλ. — appellent-elles ici celle de la tem ­pête : Pyth. V 10-11 ; χει|μέριον δμβρον ; 120-121 : φθινοπωρίς άνέμων | χειμερίκ... τηιοά κτλ. Que des considérations d ’ordre personnel pré-

1. Voir M. Bernhard, p. 89, p. 94.

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sident à la composition de l’ode, elles se reflètent tou t aussi fidèle­ment dans le choix du langage imagé par quoi le lyrique définit ou défend les réalités de son art : dans la I le Pythique, toutes les images maritimes sont liées à, la personne du poète et aux exigences de son métier : image de l ’embarquement — v. 62 : άναβάσομαι —■ de la cargaison ·—· v. 68 : Φοίνισ<ίαν έμπολάν — du liège et du filet— V. 79-80 : άτε γάρ ένάλιον πόνον κτλ. ; de même la volonté d ’exalter les pouvoirs de sa propre poésie, qu’on perçoit si nettem ent tou t au long de la VII® Néméenne, s’y tradu it par une étonnante cohé­rence des images, toutes empruntées à l’eau et au vent : les images du « vent du malheur » — v. 17-18 : τριταϊον άνεμον —■ de la « vague dé la mort » — v. 30-31 : χϋμ’ Άίδα — celles des « ondes dés M uses » — V. 12 : poaïctt Motcrâv —■ et des « ondes de la poésie » — v. 62 : üSa- τος... ροάς — l’éVocation enfin de la Muse dérobant le corail à la « rosée marine » — v. 77-79 ; πόντιας έέρβας — se répondent et se complètent pour constituer un ensemble métaphorique étroitement soumis à la pensée directrice du poème, et qui serait inconcevable en dehors de celui-ci.

Dans l’ode, la personnalité du destinataire joue d’ailleurs un rôle décisif pour le choix des images, dans la mesure où c’est elle qui souvent donne au poème sa coloration, son atmosphère propres : l’exemple le plus caractéristique à cet égard est le groupe constitué par les III®, IV®, V® et VI® Néméennes, respectivement adressées à Aristocléïdès, Timasarque, Pythéas et Alcûnidas, qui, étant tous ci­toyens d ’Égine, sont par là même également aptes à comprendre un langage imagé em prunté au domaine de la mer ; et il est signifi­catif que ces quatre odes leur parlent précisément ce même langage : avec des variations dans le détail, c’est toujours l’image du voyage sur mer qui domine ici, dans ces évocations de l’embarquement —■ III 20 —· de la traversée accomplie par le poète en dépit des pé­rils ·—· IV 36-38 — par le vaisseau de la poésie ■—■ V 1-4, 50-52, VI 55-56 — ou de la gloire — VI 32-33 — que pousse un vent propice —■ VI 28-29 — jusqu’aux colonnes d’Héraklès — III 27-28 — jus­qu’au détroit de Gadès — IV 69-70.

Ainsi, dans chaque ode et d ’une ode à l’autre, les images se ré­pondent ; si, à une première lecture de Pindare, on est avant tou t sensible à la diversité et à la richesse des moyens dont dispose l’ima­gination^, ce qui frappe, à la réflexion, c’est plutôt le caractère très concerté, « prémédité », pourrait-on dire, de l’utilisation des données du réel dans le langage figuré en fonction de leurs possibilités d ’adap­tation au sens général de l’œ uvre^; l’image n ’est pas un élément

1. Voir à ce propos F. Martinazzoli, p. 154, p. 163 ss.2. Ce que H. Musurillo (Symbol and myth in ancient poetry, p. 62) appelle

« functional effectiveness ».

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extérieur, ornemental, c’est le contexte précis du poème et sa signi­fication d ’ensemble qui l ’appellent et la légitiment : le spectacle des guerres et des troubles civils fa it naître l ’image de la tem pête : V® Pythique, IV® et VII® Isthm iques ; la conscience des limites de l’homme fait surgir l’obsédante vision des colonnes d ’Héraklès : IV® et VI® Isthmiques, III® Olym pique, ΙΓΙ® et IV® Néméennes. L’image est donc à la fois unique — parce que étroitem ent liée à une situation, à un thèm e de réflexion — et m ultiple — puisque cette situation, ce thèm e peuvent se renouveler — et dans les cas extrêmes (comme l ’image des colonnes d ’Héraklès) le symbole reparaît avec une telle insistance qu’on croirait l ’imagination véritablement paralysée. Rien de tel chez Bâcchylide, poète d ’obset-vation p lu tô t que de pensée, et qui voit le monde sans songer à, l’interpréter^ : aussi les images sont-elles chez lui le plus souvent purement descriptives et, n ’étant aucunement liées à la conception d ’ensemble du poème, elles de­meurent isolées l’une de l ’autre et sans véritable cohérence^; il n ’y a guère d’ode de Bâcchylide où l’on puisse déceler un type do­minant d ’images, en relation avec une pensée directrice ; et quand d ’aventure on constate l ’emploi répété d’une image — celle du che­min, ou du pilote — dans plusieurs odes, c’est qu’il s’agit d ’une image traditionnelle, qu’il s’est borné à, reprendre®, au lieu que chez Pindare les images les plus fréquentes, les plus cohérentes — celles du vaisseau de la poésie, des colonnes d ’Héraklès, du temps serein — sont précisément celles où il n ’a, semble-t-il, aucun devancier, et où sa part d’invention personnelle apparaît la plus considérable.

L a nature chez P indare.

Il existe plus d ’une manière d ’approcher la nature. Un réaliste l’envisage en elle-même, dans la m ultiplicité de ses détails, et ten te de la recréer dans son œuvre avec une scrupuleuse exactitude ; il la considère comme un tou t, qui se suffit à lui-même, indépendam­ment de tou te relation avec l’homme. Un « rom antique » — le term e est ici singulièrement anachronique — cherche dans le paysage im élément d ’atmosphère, voit dans le monde un reflet de ses propres états d ’âme ; ce phénomène est exceptionnel en grec^, et il n ’y a guère que dans le Philoctète de Sophocle qu’apparaît cette harmo-

1. Voir E. D. Townsend, p. 141.2. Voir E. D. Townsend (p. 141, p. 168), qui définit très judicieusement la

vision que Bâcchylide a du monde comme « passive, or cataloguing, or simply calm » (p. 122), et sa méthode comme un type d’ « impressionistic criticism » (p. 169).

3. Voir E. D. Townsend, p. 140 s.4. Voir à ce propos G. Soutar, p. 194 ss.

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nie, à laquelle notre xix® siècle sera si sensible, entre les tem pêtes intérieures et le déchaînement des éléments^. Il y a enfin une ap­proche du monde que l’on pourrait qualifier de « symboliste » ; ici encore l’homme et la nature sont en présence, mais la vision qu’on y a de l ’univers sensible est strictement opposée à, une vision « ro­m antique » : ce n ’est pas le monde qui reflète l’état d ’âme, mais l ’état d ’âme qui reflète le monde ; bien loin que les phénomènes phy­siques soient conçus en termes de sentiments, ce sont les sentiments qui s’expriment en termes de phénomènes physiques ; et tandis qu’une imagination « romantique » extériorise les mouvements de l’âme, une imagination « symboliste » intériorise l’univers.

Là se situe précisément Pindare : pour lui les éléments du monde extérieur sont avant tou t des symboles^, et cette fonction qu’il leur assigne explique le triple caractère de ses évocations de la na­ture, à la fois imprécis, général et fragmentaire.

Quand on compare les représentations que Pindare et Bacchylide donnent de la nature, on met en général tou t l’avantage du côté de ce dernier, qui se voit attribuer des qualités visuelles auxquelles son rival ne saurait prétendre®. Pourtant chez Pindare aussi la sen­sibilité au monde est réelle, et son regard est attentif aux mouve­ments, aux contrastes de teintes, sait percevoir et retenir le déferle­ment d ’une vague, l ’éclat du beau temps qui succède à la tem pête ; mais si, malgré tou t, ses tableaux n ’ont pas la force suggestive et la richesse en détails pittoresques qu’on trouve dans les odes de Bacchylide, c’est que celui-ci s’en tien t au stade de la sensation, de la pure vision, alors que Pindare le dépasse pour atteindre à une véritable interprétation du réel. Pour lui, l ’uni'vers sensible ne pré­sente guère d’intérêt en lui-même : l’aspect superficiel des choses n ’est qu’un point de départ, qui lui permet d’exprimer la réalité plus profonde qu’il devine au delà* ; il ne cherche pas à le reproduire, mais à le transposer, et p lu tôt que des objets, ce sont des signes que lui présente l’univers. Dès lors des notations précises, loin de servir le symbole, lui nuiraient p lu tôt : pourquoi, quand s’impose l’image du « vaisseau de la cité », décrire, comme le fait Alcée, les déchirures de la voile, le bris des vergues, etc.®, alors que la vision nautique

1. Soph., P hil, V. 1458-1460 lyr., voir p. 281 s. ; voir à ce propos G. Soutar, p. 189 ; G. P. Segal, Nature and the world of man in greek literature, p. 39.

2. Voir J. de Haes, Pindaros poetische praktijk in de Oden aan Hieron en de Kyreensche Liederen, p. 129 ; c’est d’ailleurs là un fait caractéristique de la tra­dition archaïque et dont on peut trouver l’ébauche chez Homère : voir I. Schu- doma, p. 122, et plus généralement A. Parry, Landscape in greek poetry (Yale Class. Stud. 15, 1957), p. 3 ss., p. 7, p. 29.

3. Voir H. Kriegler, p. 217 s.4. Voir G. Nebel, p. 166 ; J. de Haes, p. 122, p. 127 s. ; H. Kriegler, p. 221.5. Ale., frg. 46 a D, voir p. 106 ss.

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ne doit pour Pindare retenir l’attention que dans la mesure où elle peut être transposée dans un domaine politique qui n ’a précisément plus rien à, faire avec la navigation? Pourquoi, dans l’évocation des colonnes d ’Héraklès, faudrait-il ajouter à leur simple localisation géographique des détails de caractère concret, alors que le poète veut seulement voir dans leur position extrême le symbole de réa­lités proprement intérieures? Le monde est présent à coup sûr dans son œuvre, mais un monde idéalisé, spiritualisé ; et si la précision concrète des détails fait le plus souvent défaut à la représentation que le poète en donne, ce n ’est pas par manque de sensibilité ou d ’imagination, mais parce que celles-ci sont volontairement soumises à la pensée qui interprète, choisit et épure le réel de tou t ce qui n ’est pas essentiel à l’idée^.' Si la vision du monde est volontairement imprécise, parce que l’imprécision est nécessaire à l’intention symbolique, elle est aussi, et pour la même raison, générale. A un regard atten tif à la réalité, les éléments du monde extérieur s’imposent dans leur multiplicité, leur diversité, leur apparente incohérence ; mais l’esprit à, la re­cherche de symboles ne peut se contenter d ’une vision aussi chao­tique du réel ; il lui faut, dans cette variété, percevoir une unité ; découvrir, derrière des événements multiples et, semble-t-il, sans lien, tin ordre, une organisation de l ’univers, une loi ; et c’est pour­quoi, sous la diversité des apparences, Pindare discerne toujours le principe général qui les unifie : il n ’y a pas, chez lui, d ’image dont la portée se restreigne à un cas particulier, et une perception limitée dans le temps comme dans l’espace donne à chaque fois naissance à une réflexion de caractère universel : P yth . I I I 106:άνδρών \ I s th m .Y W l 14 : έπ’ άνδρά(ϊι ; 01. I I 38 : ές άνδρας ; Isthm . IV 6 : πάντας άνθρώπους®. L’emploi du pluriel est significatif : un changement de voile à bord d ’un bateau devient immédiatement chez lui le symbole de tous les changements qui peuvent survenir au cours du voyage de la vie — P yth . IV 292 : μεταβολαί... Εστίων — une saute de vent caractérise en permanence tous les revirements du sort : 01. V I I 95 : αδραι*; l’aoriste gnomique lui aussi est élément d ’ordre : les Vagues viennent — 01. I I 38 : βαν — ou fondent — N ém . V I I 31 : πέσε — sur l ’homme, le temps bouleverse, tel un vent, le déroulement des

1. Voir A. L. Keith, p. 82 s. ; F. Dornseiiï, Pindars Stil, p. 46 s. ; L. Illig, p. 47 ; H. Kriegler, p. 217 s. ; J. Seewald, p. 45 : « Pindar vergeistigt die reale Erscheinungswelt, beseelt das Dingliche... Pindar idealisiert ».

2. Voir G. Nebel, p. 167 : « die Welt wird Bewusst undeutlich gemacht ».3. Voir sur ce point G. Nebel, p. 166 s. ; E. Thummer, Pindar. Die Isthmischen

Gedichte, I, p. 144.4. Cf. aussi Pyth. X 72 ; κυβερνάσιες ; Péan II 52 : εύδίαις ; Isthm. I 36 : ναυα-

γίαις, etc.

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jours — Isthm . I I I 19 : έξάλλαξεν —· mais l’irrationnel est devenu cohérent, la pensée discipline et ordonne jusqu’à l’incontrôlable. Nul univers plus que celui de Pindare ne porte la marque de l ’esprit, nul n ’est plus organisé, plus contraint, nul n ’est en définitive moins libre, et jamais on ne ressent aussi intensément que devant ces belles images paralysées, à la fois spontanées et réfléchies, sensuelles et cérébrales, situées, comme le dit F. Dornseifî, « zwischen B ild nnd Begriff^ », l’impression d’un monde où to u t a sa raison d’être et où la place qu’occupe chaque chose répond à une nécessité profonde.

L’image de Pindare, chargée de valeur symbolique, suppose enfin un sentiment fragmentaire de la nature. Il y a là un fait parfaitem ent explicable : car la nature ne peut être transposée dans le domaine du symbole si on la considère sous ses multiples aspects, à plus forte raison dans son ensenible, et l’objet-symbole, pour être utilisable, doit être précis, V o ire unique^. De ce point de V u e , la création chez Pindare représente un cas limite : en présence de la nature, le ly­rique ne subit pas passivement un paysage ; il ne se laisse pas da­vantage envahir par une émotion fugitive qui lui inspirerait une image, oubliée l’instant d ’après ; au contraire, ne retenant de la réalité que quelques détails privilégiés, c’est à partir de ceux-ci qu’il se livre à une re-création active, et aboutit ainsi à une réalité nou­velle, où l’objet est à la fois imprécis, parce que dépouillé de tous ses a ttribu ts non essentiels, et doté d’im étonnant relief, parce qu’isolé de tous les éléments de son contexte qui ne présentent pas d’intérêt pour la transposition du littéral au figuré®; si l’image en général a chez Pindare peu de pouvoir d ’évocation picturale, elle s’impose néanmoins à l ’imagination de l’auditeur parce qu’elle lui parle en termes lapidaires : le vaisseau à l’ancre dans les ténèbres d ’une nuit de tem pête {01. V I 101-102), le pilote hissant la voile {Pyth. I 91), la côte lointaine que le nageur devine du large {Éloge V 6-7), le ra ­meur qui suspend son geste à la vue de l ’écueil {Pyth. X 51-52), sont au tan t de visions inoubliables dans leur extrême sobriété, d ’où l’au­teur a éliminé tou t ce qui, charm ant la V u e , risquerait de distraire l’esprit. L’univers de Pindare n ’est pas le domaine du multiple, mais de l ’unique ; si l’individu y est roi, les foules en sont quasiment absentes ; et s’il faut entendre par « nature » ce foisonnement de vie et de mouvement auquel Homère ou Alcée se m ontrent si attentifs, alors il n ’y a pas de nature chez lui : il n ’y a que des objets, isolés de leur contexte, et par là même individualisés ; sous l’action im­périeuse d ’une pensée abstraite, qui stylise et décante, les tableaux

1. F. Dornseifî, Pindars Stil, p. 66. Voir aussi J. de Haes, p. 130.2. Voir A. Parry, p. 6.3. Voir L. Illig, p. 101 ; J. de Haes, p. 129.

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que le regard saisit dans l ’univers se muent, l’œuvre achevée, en simples épures, esquissées d ’un tra it qui n ’appuie guère, mais chargées de sens et derrière lesquelles se devine l’immensité de l’univers sym ­bolique. Si le pluriel le prolonge et l’universalise, le singulier, en l’iso­lant, grandit l’objet jusqu’à, le faire coïncider avec la to ta lité de la vision^.

E t pour organiser le monde, pour résoudre en harmonie toutes les dissonances qu’il y perçoit, pour confondre dans une suprême unité l’univers des objets et celui des idées, Pindare ne pouvait recourir qu’à la métaphore : car la comparaison m aintient toujours inévitablement un certain écart entre le littéral et le figuré ; elle n ’est jamais qu’une approximation et dénote une certaine impuis­sance du poète à saisir la réalité pour se l’approprier totalem ent ; la métaphore au contraire abolit ces frontières, identifie parfaite­ment le sensible et l’intelligible, et il est to u t à fait significatif que sur un to ta l de plus de soixante-dix images emprimtées à la navi­gation, à la mer et au vent, Pindare n ’utilise que cinq fois la compa­raison^, et partout ailleurs la métaphore. Ici encore la référence à Bacchylide est éclairante : pour Bacchylide, le monde constitue une réalité en soi, extérieure à l ’homme, dans laquelle l ’œil découvre une ample matière à des descriptions fort brillantes, mais où l’es­prit ne soupçonne qu’exceptionnellement l’existence d ’analogies ou d’identités avec l’univers intérieur ; aussi la métaphore est-elle fort rare chez lui, et comme elle ne répond pas, quand il l’emploie, à une intention précise d ’organiser ou d ’imifier le réel, elle est en géné­ral isolée dans l ’ode et sans rapport avec la signification d ’ensemble de celle-ci®. Pour Pindare, le monde n ’existe que par rapport à l’homme, et il s’agit dès lors de dépasser ses apparences et de ne pas s’en tenir à une simple perception de la réalité, mais de m ettre en lumière les identités profondes qui se discernent entre le monde des objets et celui des sentiments : c’est pourquoi la métaphore cons­titue pour lui un instrum ent en quelque sorte « inévitable », qui seul permet à l’univers extérieur de coïncider avec celui de l’homme* ;

1. Voir J. de Haes, p. 130 ; E. D. Townsend, p. 168.2. Pyth. I 91 : ώσπερ κυβερνάτας άνήρ ; II 68 ; κατά Φοίνισσαν εμπολάν ; 80 ; φελ­

λός ώς ; XI 40 : ώς 6τ’ άκατον έναλίαν ; Ném. VII 62 : ΰδατος ώτε ροάς.3. Sur cet aspect de Bacchylide, voir E. D. Townsend, p. 122 ; « the poet is

under no compulsion to organize the world by writing. He is largely unaware of analogues and fused identities » ; p. 141 : « the world he described did not need to be structured into consistency with some internal design ». Sur la rareté des méta­phores chez Bacchylide, voir G. M. Kirkwood, The narrative art of Bacchylides, p. 101 ; E. D. Townsend, loc. cit. et p. 121, p. 128, p. 142 ; ce phénomène va de pair avec l’abondance des épithètes, dont la fonction est essentiellement des­criptive : voir G. M. Kirkwood, loc. cit. ; E. D. Townsend, p. 31 ss. Au contraire chez Pindare la métaphore est constante et l’épithète peu employée.

4. Voir H. Disep, p. 44.

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mais ici la métaphore n ’est pas isolée : entre la réalité sensible et la réalité intelligible il se perçoit en effet un nombre tel d’analogies qu’une seule métaphore serait impuissante à les traduire, et c’est pour cette raison que des métaphores différentes se suivent ou se mêlent audacieusement, exprimant chacune un aspect du monde : puisque le char parait au poète symbole de mouvement et l’eau sym­bole de fécondité, il n ’hésite pas, pour caractériser à, la fois l’élan de sa poésie et la vie qu’elle confère à, tou t ce qu’elle touche, à par­ler des sujets qu’il « attelle aux ondes » de ses hymnes — Isthm . V II17-19; d’autre part, il discerne dans la diversité et la dissemblance des apparences un tel principe de ressemblance et d’unité qu’une métaphore perdrait de son pouvoir signifiant à n ’être utilisée qu’une seule fois ; c’est pourquoi la métaphore apparaît, puis reparaît, au sein d’une même ode ou d ’une ode à l ’autre, pour exprimer la per­manence ou le retour d’un éta t de choses : si diverses que soient les circonstances historiques de Platées, de Salamine ou d ’Œ nophyta, ces affrontements n ’eii traduisent pas moins la répétition d’irn phé­nomène toujours semblable, et ainsi ressurgit, toujours inchangée—■ pe, IV®, V® et VII® Isthm iques — , l ’image de la tem pête.

Dans tou te la poésie du v® siècle, on ne Voit guère qu’Eschyle qui témoigne d’une pareille m aîtrise dans l’interprétation de la réalité, et dans l’utilisation de métaphores ou mêlées — A g. 1178- 1183 ; Pro. 883-886^ — ou répétées — comme dans les grandes images du vaisseau de la cité » dans les Sept^ du vent dans les S u p ­pliantes, de la tem pête dans VOrestie. Sans doute y a-t-il plus de violence dans le monde eschyléen ; sans doute aussi sa tragédie, exclusivement attentive à l ’homme dans ses rapports avec son en­tourage et les dieux, exclut-elle les préoccupations d’ordre esthétique auxquelles le langage imagé de Pindare fait une si large place ; et c’est à coup sûr ce qui explique que l’on soit plus immédiatement impressionné par l’univers du dram aturge, et que celui du lyrique semble au premier abord plus froid, plus « intellectuel^ ». Il n ’en reste pas moins que l’un comme l’autre ont attein t un miraculeux état d’équUibre dans la confusion de l’image et de l’objet, et que leurs deux œuvres représentent le plus fascinant exemple d ’une soumission absolue du monde des objets à l ’esprit créateur,

1. Pour Ag. 1178-1183, voir p. 178 s. ; pour Pro. 883-886, p. 176 s. et p. 249 s.2. Mais qu’il parle en images de son art n’implique pas forcément que l’image

soit artificielle, ainsi que l’estime fort injustement W. Hermann, p. 82.

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ADDENDUM

PiN D A R E, O l y m p iq u e X III (v. 113-114)

Dans mon commentaire de 01. X III 113-114^, j ’ai rejeté la con­jecture de 0 . Goram^, selon qui le groupe εύρήσεις ερευνών | μάσσον’ ή ώς ίδέμεν ‘ | άλλά κούφοισιν έκνεϋσαι. ποσίν devrait p lu tô t se lire εύρήβείς ερευνών | μάοίσον’ ή ώς ίδέμεν ] όίλα ' κούφοισιν έκνεϋσαι ποσίν, mon argument étant que l’ensemble εύρήσεις ... άλα ainsi délimité présentait pour le sens des difficultés insurmontables. A la réflexion, il me paraît pourtant que l ’ingénieuse correction de άλλά en άλα pourrait être sauvegardée si l’on conservait la ponctuation trad i­tionnelle : εύρήσεις ερευνών | μάσσον’ · ή ώς ίδέμεν ’ | όίλα κούφοισιν εκνεΰσαι ττοσίν : <( sors de la mer d'un p ied léger » ; sans doute aucun des textes dont nous disposons n ’atteste-t-il cette construction de Ικνεϊν avec un accusatif®, mais on ne peut exclure la possibilité qu’une analogie avec έκφεύγειν — plusieurs fois suivi d ’un accu­satif : voir en particulier Eur., Héracl. 428 : χειμώνος έκφυγόντες όίγριον μένος — ait joué ici^. Ce n ’est là qu’üne hypothèse, et en­core assez fragile, mais il est certain que l’image m aritime du v. Γ14 gagnerait en clarté à cette correction du problématique άλλά.

1. P. 230, n. 4.2. O. Goram, op. cit., p. 272.3. Dans Eur., Hipp. 470 δσην s’explique par l’ellipse de [εΙσ]πεσοϋσ’.4. C f. H. G. Liddell-R. Scott, art. έκνεϊν (p. 514) : « escape hy swimming »,

« escape ».

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INDEX DU VOCABULAIRE MARITIME DE PINDARE

άγκυρα 01. V I 102 ; Pyth X 51 ; Isthm. V I 13.όίκατος Pyth. X I 40 ; Ném. V 3.όίκρα Ném. I I I 27.άκτά Isthm. I I 42 ; Éloge V 7.άλμα Pyth. I I 80 ; Ném. IV 36.αλς Isthm. I 3 7 ; 01. X I I I 114 (?).άναβαίνειν Pyth I I 62.άνεμος Pyth I I I 105, X I 39 h·, Ném. V II 17.άντλεϊν Pyth. I I I 62.άντλος Pyth. V II I 11.άποπνεϊν Pyth. IV 11.αΰρα 01. V II 95.διαντλεΐν P î / i f t . IV 293.έκνεϊν 01. X I I I 114.έλίσσειν 01. X 9 ; Ném. V I 55 ; Isthm. V II I 15.έμβαΐνειν Ném. X I 44.έμττνεΐν Isthm. I I 39.έμπολά Pyth. I I 68.έπιβαίνειν Ném. I I I 20.2ρκος Pyth. I I 80.εύαμερία Isthm. I 40.εύδία 01. I 9 7 ; Pyth. V 1 0 ; Isthm. V II 3 8 ; Péan I I 52 ; i fy -

porch. I I I 5.εύθύνειν 01. X I I I 28 ; Pyth. I 46 ; Ném. V I 28.εύθυπομπός Ném. I I 7.ζάλα 01. X II 11.ίστίον Pyth. I 91, IV 292 ; Ném. V 52 ; Isthm. I I 40.καταβαίνει,ν Ném. IV 38.κατακλύζει,ν 01. X 10.κορύσβειυ Isthm. V II I 54.κυβερνάν 01. X II 3 ; Pyth. V 1 2 2 ; frg. 91, 6.κυβέρνασις Pyth. X 72.κυβερνάτας Pyth. I 91.κυβερνατήρ Pyth. IV 274 ; Isthm. IV 72.κυλίνδεσθαι 01. X II 6 ; Isthm. I I I 19.κϋμα 01. X 10 ; Ném. V I 55, V II 31.κυμαίνειν Pyth. IV 158 ; Éloge IV 3.κώπα Pyth. X 51.ναυαγία Isthm. I 36.ναϋς 01. V I 101, IX 2 4 ; Ném. IV 70, V I 55.

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ναυστολεϊν Ném. V I 32.νεϊν Éloge V 7.νωμδν Pyth. I 86. οίακοστρόφος Isthm. IV 72.όλκάς Ném. V 3.ορθός Ném. X I 5.όρθοϋν Isthm. V 48.οδρος 01. X II I 28 ; Pyth. 1 34, IV 3, 292 ; Ném. V I 29 ; Isthm. I I

39, IV 6.πέλαγος Éloge V 6.περαίνειν Pyth. X 28.πέραν Ném. I I I 2 2 ; Isthm. I I 41.περατός Ném. IV 69.ττηδάλιον Pyth. I 86 ; frg. 40 SN.πλεϊν Isthm. I I 42.πλόος 01. V I 104 ; Pyth. I 34, X 29, X I 39 b ; Ném. I I I 27.πνοά 01. V I 83 ; Pyth. I I I 105 ; Ném. I I I 79.πόρος Isthm. V III 15.πούς Ném. V I 55.ρεϊν 01. X 10.ριπά Pyth. I 10.ροά 01. I I 37 ; Ném. V II 12, 62, X I 47 ; Isthm. V II 19.ρόθιοί Péan V I 129.ρόος Parth. I I 81.στέλλειν 01. X II I 49.στόλος Pyth. I I 62, V II I 98.οίτρέφειν frg. 40 SN.ύποστέλλειν Isthm. I I 39.φελλός Pyth. I I 80.φυλάσσειν Ném. X I 5.χειμαίνει,ν Pyth. IX 33.χειμέριος 01. V I 101.χειμών Isthm. V II 38.χοιράς πέτρα Pyth. X 52.φαφος 01. X 9.

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Olympiques. — I. 97 : 14 ; 221, n. 7 ; 299, n. 1 ; 330 ; 332.IL 37-38 : 57 ; 197 ; 200, n,. 4 ; 252 ss. ; 256 ; 274, n. 1 ; 298 ; 304 ; 330 ;

332. 38 : 198 ; 202 ; 207, n. 3 ; 336.III. 43-45 : 76 ss. ; 88 ; 146 ; 329 ; 332. 43 : 80 ; 4 4 : 80, n. 3 et 4 ; 83 ;

84. 45 : 83.VI. 82-83 : 13. 83 : 179 ; 239, n. 4. 101-102 : 56 ; 62 ss. ; 65, n. 1 ; 127,

n. 6 ; 204 ; 305 ; 329 ; 332 ; 337. 101 : 21 ; 66 ; 295, n. 5. 103-104 : 56 ; 64 ss. ; 127, n. 6 ; 133 ; 136, n. 7 ; 186 ; 189 ; 300 ; 318, n. 6 ; 329 ; 332. 104 : 71 ; 133 ; 303.

VII. 94-95 : 63, n. 9 ; 198 ; 202 ss. ; 329 ; 332. 94 : 207 ; 298. 95 : 207, n. 3 ; 253 ; 336.

IX. 23-25 : 154. 23-24 : 24.X. 9-10 : 195, n. 6 ; 196, n. 4 ; 239, n. 6 ; 240 ss. ; 332. 10 : 247.XII. 1-6 : 56, n. 6 ; 122 ss. ; 224, n. 5 ; 296 ; 329 ; 332. 2 : 131, n. 6. 3 :

135 ; 297. 5-6 : 57 ; 138 ; 191, n. 7 ; 229 ; 257. 5 : 135 ; 229 ; 251. 6 : 197 ; 265, n. 2. 11-13 : 115, n. 1 ; 295 ss. ; 300 ; 332. 11-12 : 192, n. 6.11 : 300. 12 : 300. 13 : 207, n. 2.

X III. 26-28 : 185 s. 28 : 65, n. 6 ; 135 ; 182 ; 188 ; 189 ; 191 ; 200, n. 1 ; 213, n. 6 ; 332. 49 : 32-, 36 ss. ; 40, ix. 2 ; 133 ; 231 ; 239, n. 1 ; 246 ; 312 ; 329 ; 332. 113-114 : 230, n. 4 ; 340. 114 : 98 ; 229 ss. ; 329 ; 332.

Pythiques. — I. 9-10 : 179 s. 33-34 : 111 ; 187 ; 332. 34 : 188. 46 : 186 s. ; 188 ; 196 ; 200, n. 1 ; 202, n. 5 ; 332. 86 : 51, n. 6 ; 111 ss. ; 187 ; 294 ;331 ; 332. : 12 ; 49 ; 51 ; 55 ; 111 ss. ; 187 et n. 4 ; 208 ; 294 ; 331 ;332 ; 337 ; 338, n. 2.

II. 62 : 22, n. 1 ; 39 s. ; 41 ; 43 ; 50 ; 66, n. 2 ; 133, n. 6 ; 151 ; 312 ; 332 ;333. 68:12- , 39, n. 3 et 4 ; 91 ; 151 ss. ; 159, n. 4 ; 332 ; 333 ; 338, n. 2. 79-80 : 21 ; 96, n. 1 ; 97 ; 158 ss. ; 297, n. 2 ; 332 ; 333. 80 : 12] 98, n. 4 ; 220 ; 338, n. 2.

III. 61-62 : 145 ss. ; 202, n. 4 ; 330 et n. 2 ; 332. 61 :3i - , 62 : 202. 105 : 57 ; 168, n. 2 ; 197 ; 200 ss. ; 203 ; 204 ; 205 ; 207, n. 3 ; 253 ; 255 ; 298 ; 304 ; 330 et n. 2 ; 332. 106-107 : 201 s. ; 205 ; 330, n. 2. 106 : 207, n. 3 ; 253 ; 298 ; 336.

IV. 3 : 51 ; 181 ; 208, n. 5 ; 329 ; 332. 11 : 178. 158 : 14 ; 248 et n. 4 ; 329. 272-274 : 102, n. 2 ; 113 ss. ; 185, n. 6 ; 192, n. 3 ; 260, n. 5 ; 300 ;332. 274 : 135 ; 294. 292 : 49 et n. 3 ; 56 s. ; 127, n. 6 ; 191 s. ; 207,

1. Ne figurent ici que les passages de Pindare comportant une image maritime et ayant fait l’objet d’un commentaire dans le courant de cet ouvrage. Les chiffres en italique renvoient aux textes, les chiffres en romain aux pages et notes où ces textes sont commentés.

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n. 3 ; 280, n. 7 ; 288, n. 2 ; 298 ; 306, n. 3 ; 316, n. 4 ; 332 ; 336. 293- 294 : 147 et n. 4 ; 332.

V. 10-11 : 114 et n. 3 ; 115, n. 1 ; 192 ; 300 ss. ; 319, n. 2 ; 332. 10 : 295, n. 5 ; 316 ; 319, n. 2 ; 320. 120-121 : 304 ; 305, n. 3 ; 329 ; 332. 122 : 134 s. ; 185 s. ; 329 ; 332.

VIII. 1 0 -1 1 : 131 ; 220 ss. ; 293 ; 329 ; 330, n. 2 ; 332. 11 ; 293. 98 : 65 s. ; 101, n. 2 ; 123 ; 133 s. ; 224 s. ; 329 ; 330, n. 2 ; 332.

IX. 33 : 278.X. 27-31 : 44 ; 68 ss. ; 246, n. 1 ; 329 ; 330 ; 332. 28-29 : 88 ; 330. 28 :

73 ; 76 ; 78, n. 5 ; 85 ; 98, n. 5 ; 146. 29 : 75 ; 85 ; 156. 30 : 73. 51-52 :44 s. ; 46 ; 48 ; 50 ; 60 ; 70 ; 95 ; 100 ; 312 s. ; 323, n. 8 ; 326 ; 330 ; 332 ; 337. 5i : 48 ; 66 ; 82, n. 1 ; 97 ; 180. 5 2 : 3 5 n. 4 ; 60 ; 83. 71-72 :110 s. ;329 ; 332. 72 ; 294 ; 336, n. 4.

X I. 38-40 : 28 ; 33 s. ; 35 ; 45 ; 46 ; 47 ; 330 ; 332. 38-39 : 48 ; 184 ; 245. 38 : 34. 39 b-40 : 32 ; 95 ; 100 ; 168, n . 1 ; 183 s. ; 245 ; 247 ; 312 ; 326.35 δ : 35 ; 45 ; 71 ; 312. 40 : 12-, 154 ; 338, n. 2.

Néméennes. — II. 6-8 : 187 s. ; 332. 6 : 14 ; 26, n. 2. 7 : 193, n. 5 ; 196.III. 19-28 : 79 ss. ; 146. 19-22 : 329 ; 332. 20-23 : 69. 20-21 : 146. 20 :

22, n. 1 ; 40 s. ; 41 ; 75 ; 333. 21-23 : 88. 21-22 : 40 ; 43 ; 75 ; 78 ; 84. 22-23 : i l . 22 : 85. 23-27 : 72. 23-26 : 95. 23 : 34 ; 41 et n. 3 ; 61. 25- 26 : 34 ; 90. 27-28 : 34 ss. ; 41, n. 3 ; 45 ; 46 ; 81, n. 3 ; 95 ; 100 ; 256, n. 1 ; 274, n. 1 ; 312 ; 330, n. 1 ; 332 ; 333. 27 : 32; 45, n. 4 ; 46 ; 71 ; 79 ; 83 ; 95 ; 227, n. 1 ; 313. 28 : 48, n. 7. 79 : 179.

IV. 36-38 : 21 ; 92 ss. ; 160 s. ; 162, n. 5 ; 312 ; 330 ; 332 ; 333. 36-37 220 ; 233. 36 : 236, n. 2 ; 276, n. 4. 38 : 22, n. 1 ; 233 ; 299, n. 1. 69 72 : 81 ss. ; 89 ; 95 ; 146. 69-70 : 333. 69 : 46 ; 84 ; 85. 70-72 : 35, n. 745 s. ; 46 ; 100 ; 312 ; 330 ; 332. : 48 ; 79 ; 94 ; 97 ; 143 ; 180 ; 312 72 : 48, n. 7.

V. 1-4 : 153 ss. ; 329 ; 330 ; 332 ; 333. 3-4 : 50. 50-52 : 49 ss. ; 54, n. 1 155 s. ; 239, n. 1 ; 246, n. 6 ; 329 ; 330 ; 332 ; 333. 51-52 :180 s. ; 182 s. 186 ; 199, n. 5 ; 208, n. 5 ; 312. 51 : 184.

VI. 28-29 : 37, n. 3 ; 181 ss. ; 186 ; 247 ; 332 ; 333. 28 : 183 ; 184. 29 199 ; 208 ; 239. 32-34 : 28 ; 37 s. ; 239, n. 1. 32-33 : 246 ; 247 ; 332333. 32 : 182. 55-56 : 141 ss. ; 239, n. 1 ; 244 ss. ; 330 ; 332 ; 333. 55 195, n. 6 ; 243.

VII. 12 : 210 ; 212 ; 235, n. 12 ; 236 ss. ; 252, n. 6 ; 274 ; 275 ss. ; 332333. 17-18 : 208 ss. ; 257, n. 5 ; 272 s. ; 275 ss. ; 329 ; 332 ; 333. 17 237 ; 257. 18 : 210. 30-31 : 208 ; 211 s. ; 256, n. 1 ; 271 ss. ; 275 ss.330 ; 332 ; 333. 31 : 237 ; 336. 62 : 12 ; 237 s. ; 242 ; 252, n. 6 ; 275 ss.332 ; 333 ; 338, n. 2. 77-79 : 275 ss. ; 329 ; 332 ; 333. 78 : 272, n. 2 79 : 289, n. 3.

XI. 5 : 119, n. 1 ; 284; 332. 43-47 : 41 ss. ; 130; 329; 331 ; 332. 43 256 ; 257. 44-46 : 256 ; 257. 44 : 22, n. 1 ; 257. 46 : 257. 47 : 211, n. 2 ; 252, n. 6 ; 256 s.

Isthmiques. — I. 36-40 : 115, n. 1 ; 300, n. 3 ; 315 ss. ; 332. 36-37 : 220.36 : 65 ; 336, n. 4. 40 : 65.

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IL 38-40 : 51 ss. ; 332. 39-40 : 49 ; 85 ; 86 ; 112. 41-42 : 85 ss. ; 89. 42 225, n. 3.

III. : 57 ; 128 ; 194, n. 2 ; 196 s. ; 200, n. 2 ; 207, n. 3 ; 252 ; 253 265, n. 2 ; 329 ; 332 ; 337.

IV. 6 : 57 ; 74 ; 197 ; 198 ss. ; 200 ; 202 ; 203 ; 204 ; 205 ; 207, n. 3 ; 253 281, n. 2 ; 304 ; 332 ; 336. 11-13 ; 73 ss. ; 198 s. ; 332. ü : 76 ; 77. 12 13 : 8 8 · , 146. 12 : 76 ; 77 ; 80. 13: 78- , 80, n. 4 ; 84. 72-73 : 103 s. 73 104, n. 4.

V. 48-50 : 126, n. 4 ; 283 s. ; 299, n. 3 ; 301 ; 332. 48 : 119, n. 1.VI. 10-13 : 61 s. 10 : 76, n. 1. 11-13 : 61, n. 4. 11 : 76. 12:66 ; 76. 13 :

66 ; 72 s. ; 74 ; 76 ; 88 ; 332.VII. 17-19 : 2 3 8 s. ; 2 7 4 , n. 2 ; 3 3 2 ; 3 3 9 . 18-19 : 2 4 6 . 1 9 : 2 6 ; 1 8 3 , n. 1 ;

2 3 9 ; 2 5 2 et n. 6 . 37-38 : 1 1 5 , n. 1 ; 2 8 3 , n. 7 ; 2 9 9 s. ; 3 0 2 et n. 8 ; 3 1 5 ; 3 1 8 ; 3 1 9 ; 3 3 2 . SS : 6 5 ; 3 0 3 ; 3 0 8 ; 3 1 6 ; 3 1 9 .

VIII. 14-15 : 13 ; 57 ; 188 s. ; 192 ss. ; 257 ; 329 ; 332. 14 : 198 ; 202 ; 207, n. 3 ; 253 ; 336. 15 : 207 ; 243, n. 6 ; 253. 53-54 : 259, n. 4 ; 283 ; 329.

Ëhges. — IV. 2-4 : 248.V. 6-7 : 225 ss. ; 311 ; 337. 7 : 130 s.

Hyporchèmes. — III. 5-8 : 115, n. 1 ; 123; 221 et n. 6 ; 292 ss. ; 297. 5 : 99, n. 5. 6 : 99, n. 3.

Parthénées. — II. 80-82 : 235, n. 7 ; 236.

Péans. — II. 50-52 : 115, n. 1 ; 292 ss. 52 : 336, n. 4.VI. 128-129 : 239 s.

Fragments. — 40 SN : 101, n. 3 ; 124 ; 138.91, 4-6 : 137 s.

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Les abréAdations utilisées au cours de cet ouvrage correspondent aux éditions ci-dessous :B : T. Bergk, Poetae lyrici graeci, Leipzig, 1878-1882.BD : G. W. Bond, Euripides' H ypsipyle, Oxford, 1963.D : G. Diehl, Anthologia lyrica greaeca, Leipzig, 1925.DK : H. Diels, W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, Berhn, 1954. DR ; A. B. Drachmann, Scholia vetera in P indari carmina, Leipzig, 1903,

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— Pindari carmina cum fragmentis, Leipzig, 1959-1964.

Page 357: Péron.Les images maritimes de Pindare

pages

P r e m i è r e PARTIE : L e n a v i r e . ...................................................................................... 19

A v a n t - p r o p o s : Poésie et mouvement : Vimage du voyage ........................... 2 3

C h a p it r e i . L e n a v i r e ...................................................................................................... 3 0

C h a p it r e i i . L ’e m b a r q u e m e n t ................................................................................ 3 9

C h a p it r e i i i . L ’a v i r o n ...................................................................................................... 4 4

C h a p it r e i v . L a v o i l e ...................................................................................................... 4 9

C h a p it r e v . L ’a n c r e ........................................................................................................... 5 8

L e s l im i te s d u m o n d e m é d i t e r r a n é e n ................................................................ 67

C h a p it r e v i . L e p a y s d e s H y p e r b o r é e n s ........................................................... 6 8

C h a p it r e VII. L e s c o lo n n e s d ’H é r a k l è s ........................................... ..... 72

C h a p i t r e v i i i . L e P h a s e e t le N i l ........................................................................... 8 5

L ’h o m m e e t se s l im i te s ; l a f in d u v o y a g e ................................................ 8 8

C h a p it r e i x . L e d é b a r q u e m e n t ................................................................................ 90

C h a p it r e x . L e g o u v e r n a i l , le p i l o t e ..................................................................... 101

L e « r o i - p i lo te », le « v a is s e a u d e l a c i té » ..................................................... 104L e « d ie u -p i lo te » ........................................................................................................... 121L e « p i lo te i n t é r i e u r » ......................................................................................................1 37

C h a p it r e x i . L e fo n d d e c a l e ......................................................................................1 44

C h a p it r e x i i . L a c a r g a is o n ........................................................................................... 1 49

C h a p it r e x i i i . L e f i le t e t le l i è g e ...........................................................................157

D e u x i è m e p a r t i e : L a n a tu r e ..................................................................................... 1 65

C h a p it r e i . L e v e n t ........................................................................................................... 1 7 0

L e v e n t c o m m e s y m b o le d ’u n é t a t d ’e s p r i t , d ’u n e é m o t io n , d ’u n ei n s p i r a t i o n ......................................................................................................................1 7 0

L e v e n t d u d e s t in : ......................................................................................................1 85

— le v e n t c o n s t a n t ................................................................................................ 1 85— le v e n t i n c o n s t a n t ........................................................................................... 1 89— le v e n t d u m a l h e u r ...........................................................................................2 0 8

Page 358: Péron.Les images maritimes de Pindare

pages

C h a p it r e i i . L a m e r ...........................................................................................................2 1 6

C h a p i t r e i i i . L a v a g u e .................................................................................................2 3 4

L a v a g u e c o m m e s y m b o le d ’u n e in s p i r a t i o n , d ’u n e é m o t io n , d ’u n e c r i s e ......................................................................................................................2 3 4

L a v a g u e d u d e s t in , l a v a g u e d u m a l h e u r ......................................................251

C h a p it r e IV. L a t e m p ê t e ................................................................................................ 2 7 8

L a t e m p ê t e ........................................................................................................................... 2 7 8L e c a lm e ................................................................................................. .......................... ..... 2 9 0

L e c a lm e a p r è s l a t e m p ê t e ........................................... .......................................... 2 9 4

C h a p it r e v . L ’é c u e il e t le n a u f r a g e ................................................................ 3 0 9

A p p e n d i c e : Pindare, Pythique X I (v. 4 1 - 4 5 ) . ...................................... 3 2 5

C o n c l u s io n ................................................................................................................................. 3 2 9

A d d e n d u m : Pindare, Olympique X I I I (v. 113-114). . . . . . 3 4 0

I n d e x d u v o c a b u la i r e m a r i t im e d e P i n d a r e ......................................................341

I n d e x l o c o r u m ........................................................... .......................................... 3 4 3

B i b l io g r a p h ie ........................................................................................... ..... 3 4 7

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