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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN par Javier Fresán Table des matières 1. Au commencement était Euler ....................... 5 2. Une fonction “toujours valable" ...................... 9 3. L’équation fonctionnelle .............................. 15 4. La fonction ξ et l’hypothèse de Riemann ............. 20 5. La formule principale pour π(x) ...................... 27 6. Vers le théorème des nombres premiers ............... 36 7. Coda ................................................ 39 Références .............................................. 40 Le 11 août 1859, Georg Friedrich Bernhard Riemann fut élu à l’Aca- démie des sciences de Berlin, sur la requête de Kummer, de Borchardt et de Weierstrass. Deux ans avant, lorsque sa thèse de doctorat sur la théo- rie des fonctions abéliennes n’avait pas encore paru dans le Journal de Crelle, Riemann était presque inconnu de la communauté mathématique. Cependant, comme fut signalé par les trois proposants de sa candidature, il ne s’agissait pas d’un jeune talent plein d’espoir, mais d’un chercheur indépendant tout à fait mature qui avait favorisé en grande partie le dé- veloppement des mathématiques [Mo, p.63]. La première tâche du correspondant nouvellement élu consistait à pré- senter à l’Académie un mémoire concernant ses recherches les plus ré- centes. Riemann accomplit ce travail avec éclat dans le seul papier qu’il

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN

par

Javier Fresán

Table des matières

1. Au commencement était Euler. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52. Une fonction “toujours valable". . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93. L’équation fonctionnelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154. La fonction ξ et l’hypothèse de Riemann. . . . . . . . . . . . . 205. La formule principale pour π(x) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 276. Vers le théorème des nombres premiers. . . . . . . . . . . . . . . 367. Coda. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39Références. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

Le 11 août 1859, Georg Friedrich Bernhard Riemann fut élu à l’Aca-démie des sciences de Berlin, sur la requête de Kummer, de Borchardt etde Weierstrass. Deux ans avant, lorsque sa thèse de doctorat sur la théo-rie des fonctions abéliennes n’avait pas encore paru dans le Journal deCrelle, Riemann était presque inconnu de la communauté mathématique.Cependant, comme fut signalé par les trois proposants de sa candidature,il ne s’agissait pas d’un jeune talent plein d’espoir, mais d’un chercheurindépendant tout à fait mature qui avait favorisé en grande partie le dé-veloppement des mathématiques [Mo, p.63].

La première tâche du correspondant nouvellement élu consistait à pré-senter à l’Académie un mémoire concernant ses recherches les plus ré-centes. Riemann accomplit ce travail avec éclat dans le seul papier qu’il

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2 J. FRESÁN

Figure 1. G. F. Bernhard Riemann (1826-1866)

a jamais consacré à la théorie des nombres : “Ueber die Anzahl der Prim-zahlem unter einter gegebenen Grösse”, un titre que l’on peut traduirepar “Sur le nombre des nombres premiers inférieures à une grande don-née”. C’est peut-être l’article où le rapport entre longueur et importanceest le plus élevé tout au cours de l’histoire des mathématiques.

En effet, ses huit pages contiennent beaucoup plus que l’étude surla fréquence des nombres premiers annoncée dans l’introduction : c’estla première fois que la fonction ζ, qui avait joué un certain rôle dansl’Introductio in Analysin Infinitorum d’Euler, est considérée comme unefonction de variable complexe au lieu de réelle et prolongée plus loin quele demi-plan Re(s) > 1, sur lequel elle pouvait être étendue aussitôt àtravers la même formule. Cela explique que cette fonction soit appeléezêta de Riemann et pas zêta d’Euler dans la littérature.

En plus, Riemann reprend une équation fonctionnelle reliant les valeursde ζ en s et en 1−s qui avait été déjà trouvée par Euler, et il la démontrepar deux méthodes différentes. Les égalités qu’il obtient entre-temps luipermettent de calculer sans souci l’image de tous les entiers négatifs et

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de démontrer notamment que la fonction s’annule aux entiers négatifspairs et que ce sont les seuls zéros réels. Ensuite, il conjecture que lereste de racines ont partie réelle 1

2. C’est l’hypothèse de Riemann, une

question qui reste toujours ouverte et qui a motivé les recherches les plusimpressionnantes de toutes les générations de lecteurs de Riemann.

Grâce à l’introduction de l’analyse complexe dans la théorie desnombres, Riemann est capable d’esquisser la preuve du théorème desnombres premiers, autrement dit de la formule asymptotique

π(x) ∼ x

log x, x→∞

pour le nombre π(x) de nombres premiers inférieures ou égaux à x.Une première approximation avait été déjà trouvé numériquement par

le jeune Gauss en 1792, en termes de l’intégrale logarithmique

Li(x)− Li(2) =

∫ x

2

dt

log t,

qui jouera elle aussi un rôle principal dans l’article de Riemann, dont laformule la plus importante est la suivante :

f(x) = Li(x)−∑ξ(ρ)=0

Li(xρ)− log 2 +

∫ ∞x

dt

t(t2 − 1) log t,

où f(x) est une fonction étroitement liée à π(x).Cependant, il fallut attendre encore presque 40 ans pour que Hadamard

et de la Vallé-Poussin réussissent à mener l’idée de compter les nombrespremiers à travers l’intégration complexe à bien. Riemann ne pouvait passe servir de la non-annulation de ζ sur la droite de partie réelle égale à1, un résultat qui s’est avérée fondamentale pour la preuve et qui n’a étéprésenté à l’Académie de Sciences de Paris que le 22 juin 1896.

L’objectif modeste de ces notes est de présenter une lecture exhaus-tive du papier “Sur le nombre des nombres premiers inférieurs à unegrande donnée” remplissant les nombreux et souvent non banals détailslaissés au lecteur. Déjà à son époque, la manque de rigueur et l’obscu-rité de Riemann étaient célèbres parmi l’école allemande. Pour reprendrel’expression d’Edwards, lorsque Riemann fait un énoncé, cela peut êtrequelque chose que le lecteur peut vérifier tout seul, quelque chose queRiemann a démontré ou a l’intention de démontrer, quelque chose quine sera pas prouvé jusqu’à des années après, quelque chose qui reste en-core indémontré aujourd’hui ou même quelque chose qui est faux sous les

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hypothèses qui sont données [Ed, p. x]. Malgré tout, il n’est pas moinsvrai que “Sur le nombre des nombres premiers inférieures à une grandedonnée” est un chef d’œuvre comparable, en charme, aux classiques dela littérature, de la peinture et de la musique.

D’après le joli article d’André Weil sur la préhistorie de la fonctionzêta [W2], le premier à se poser le problème du calcul de la somme desinverses des carrés a été l’italien Pietro Mengoli, dans son livre NovaeQuadraturae Arithmeticae Seu De Additione Fractionum (1650). Cepen-dant, il s’est vite rendu compte que les techniques “télescopiques” qui luiavaient permis d’évaluer la somme des inverses des nombres triangulaires

1 =1

3+

1

6+

1

10+

1

15+ etc

ne donnent rien lorsque l’on essaye de les appliquer pour une question,celle du calcul de ζ(2), qui requiert un esprit plus riche.

Les résultats de Mengoli ont été redécouverts par Jacob Bernoulli, quidans l’œuvre Positiones de Seriebus Infinitus (1689) introduit pour lapremière fois ζ(m) pour un nombre rationnel quelconque. Vu que ζ(1)diverge, tandis que la valeur ζ(2) est finie, Bernouilli sait que la fonctionzêta converge pour m ≥ 2 et qu’elle diverge pour m < 1, mais il n’est pastout à fait clair s’il est conscient de ce qui se passe entre 1 et 2. Ensuite,il décompose ζ(m) comme la somme indexée par les nombres pairs ϕ(m)et celle où n décrit l’ensemble des impairs ψ(m). Les relations suivantessont presque immédiates :

ϕ(m) = 2−mζ(m),ψ(m)

ϕ(m)= 2m − 1.

Comme le fait noter Weil, ces deux identités mènent à

ζ(m) = (1− 2−m)−1ψ(m),

qui permet d’avancer un premier pas vers la formule produit [W2, p. 5].Cela a été démontré par Euler, qui est le premier aussi à donner la valeurexacte de ζ(2) = π2

6. C’est en rappelant ses travaux splendides que l’on

commence ce mémoire.La source principale pour le texte en français a été la traduction de

Leonce Laugel inclus dans les Œuvres mathématiques de Riemann, pu-bliées avec une préface de Charles Hermite et un discours de Félix Kleinpar Gauthiers-Villars à Paris en 1898 et réimprimées plusieurs fois [R2],

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que l’on a contrasté avec l’original allemand [R1] et avec la traductionanglaise d’Edwards [Ed, p. 299-305].

Malheureusement, cette édition contient de nombreuses fautes d’im-pression, que l’on signale ici :

p. 166, 2è formule : il faut lire∫∞0

xs−1dxex−1 au lieu de

∫∞0

xs−1dxex−1 .

p. 166, 4è formule : le signe après la parenthèse doit être positif.p. 167, ligne 7 : il faut lire (−2πni)s−1(−2πi) au lieu de (−2πi)s−1(−2πi).p. 168, 7è formule : sous le signe d’intégration, la valeur correcte de

l’argument du cosinus n’est pas 14t log x mais 1

2t log x.

p. 170, lignes 23 et 24 : il faut lire y−a au lieu de y−α.p. 171, 2è formule : la valeur s

2auquel Π est évalué doit être entre

parenthèses.p. 171, dernière formule : le terme qui multiplie l’intégrale n’est pas

log x mais 1log x

.

p. 173, 3è formule : il y a un logarithme qui manque après le signe desommation à l’intérieur de l’intégrale.

p. 175, dernière formule : le terme π ne multiplie pas mais divise dansle terme à droite de l’égalité. Cette coquille apparaît déjà dans [R1].

p. 176, dernière ligne : en essayant de corriger un lapsus calami de Rie-mann, les éditeurs allemands en commettent un autre lorsqu’ils affirmentque ζ(0) = 1

2au lieu de ζ(0) = −1

2. Cela reste incorrect chez l’édition

française.

Remerciements. — Je tiens à remercier Marc Frisch et Ricardo Pérez-Marco pour ses commentaires précieux à un brouillon de ce texte.

1. Au commencement était Euler

Pour résoudre le problème de Bâle, la strategie d’Euler consiste grossomodo à considérer la fonction transcendante

sinx

x= 1− x2

3!+x4

5!− x6

7!+ . . .

comme si c’était un polynôme fini et à utiliser la formule qui permetd’exprimer un polynôme P de degré n, qui ne s’annule pas à l’origine,

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comme le produit

P (x) = P (0)n∏k=1

(1− x

xk

),

où xk décrit l’ensemble de racines de P .Puisque Euler sait que le sinus s’annule aux multiples entiers de π et

que le terme constant de la série vaut 1, cela le mène à écrire

sinx

x=∞∏n=1

(1− x2

n2π2

).

Alors, en comparant les coefficients du terme quadratique dans le pro-duit infini et dans le développement en série, on obtient l’égalité :

ζ(2) =∞∑n=1

1

n2=π2

6.

Avec la même méthode, il est possible de calculer ζ(4) = π4

90et plus

généralement toutes les valeurs de la fonction aux entiers pairs.Inutile de dire que le raisonnement d’Euler manque de toute rigueur

du point de vue moderne. Si l’on pouvait manipuler les fonctions trans-cendantes comme si elles étaient des polynômes, alors l’égalité

g(x)sinx

x=∞∏n=1

(1− x2

n2π2

)serait vraie pour tout g(x) ne s’annulant jamais et telle que g(0) = 1.Or, le début du développement en série

ex sinxx

= 1 + x+x2

3− x3

6+ . . .

montre que ce n’est pas le cas si g(x) = ex.

Cela a fait l’objet de l’une des critiques de la réponse de Nicolas Ber-nouilli à la lettre dans laquelle Euler lui communiquait en 1734 ses calculsdes valeurs de la fonction ζ. Le mathématicien suisse ne fait aucun casà cette remarque de Bernouilli, mais l’autre question qu’il lui pose com-mence à l’inquiéter : est-il vrai que le sinus n’a pas de zéros complexesautres que nπ ? On rencontre ici le début des recherches d’Euler sur lerapport entre l’exponentielle complexe et les fonctions trigonométrique.

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1.1. La fonction zêta et les nombres premiers. — Trois ans plustard, en 1737, Euler trouve la formule produit

+∞∑n=1

1

ns=∏p

1

1− 1ps

,

où p décrit l’ensemble des nombres premiers.En effet, chaque facteur à droite est la somme de la série géométrique

1

1− 1ps

=∞∑n=0

1

(pn)s,

donc le produit est la somme de tous les termes du type∑ 1

(pn11 . . . pnkk )s

,

où pi sont des nombres premiers et nj des entiers relatifs. Or, d’aprèsle théorème fondamental de l’arithmétique, cela équivaut à considérer lasomme

∑n−s indexée par les entiers.

La conséquence la plus remarquable de cette formule produit estune nouvelle preuve, en quelque mode constructive, de l’infinitude desnombres premiers, améliorant le résultat de la proposition IX.20 des Élé-ments d’Euclide. En effet, s’il n’y avait qu’un nombre fini des premiers,le produit à droite serait fini, donc convergent pour toute valeur de s.Cependant, la série hharmonique ζ(1) est divergente.

Pour s > 1 réel, on peut faire mieux en prenant des logarithmes dansla formule produit :

log ζ(s) =∑p

− log(1− p−s).

Si l’on se rappelle du développement en série

− log(1− x) = x+x2

2+x3

3+x4

4+ . . . ,

elle se transforme en

log ζ(s) =∑p

∞∑n=1

p−ns

n=∑p

p−s +∞∑n=2

1

n(∑p

p−ns),

après des changements de l’ordre de sommation qu’il n’est pas nécessairede justifier quand on fait des calculs à la Euler, mais qui découlent dufait que la série double converge absolument pour Re(s) > 1.

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Maintenant, l’observation que le deuxième terme à droite est unifor-mément borné autour de s = 1 implique que la divergence de ζ(1) nepeut être reflétée que dans la divergence de la somme des inverses desnombres premiers. Comme Euler l’écrit,

1

1+

1

2+

1

3+

1

5+

1

7+

1

11+ . . . = log(log∞),

où le double logarithme s’explique par le fait que cette somme divergecomme le logarithme de la série harmonique, et la série harmonique di-verge à son tour comme le logarithme, d’où une formule que l’on a ten-dance à interpréter comme le comportement asymptotique∑

p<x

1

p∼ log(log x), x→∞.

Puisque l’on dispose de la formule intégrale

log(log x) =

∫ log x

1

dt

t=

∫ x

e

1

t

dt

log t,

l’intégrale de 1tpar rapport à la mesure dt

log test équivalente à l’intégrale

de 1tpar rapport à la mesure discrète qui assigne le poids 1 aux nombres

premiers et 0 aux autres, ce qui indique que, en outre, les nombres pre-miers inférieurs à x possèdent une densité proche de 1

log x. Cependant,

Euler n’avait pas à la main le langage nécessaire pour en tirer cetteconséquence et il fallut attendre l’arrivée de Gauss.

En plus, Euler présente une formule produit pour la série

L(m) =∞∑n=1

(−1)n

(2n+ 1)m,

à partir de laquelle il déduit

L(1) =∏p

p

p± 1,

où p décrit l’ensemble des premiers et le signe du dénominateur est prisde telle sorte qu’il soit un multiple de 4. Des raisonnements analoguespermettent alors de montrer qu’il y a une infinité des nombres premiersde la forme 4n+ 1 ou 4n− 1 et même de calculer∑

±1

p= 0, 3349816 . . . ,

avec la même convention sur le signe.

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1.2. L’équation fonctionnelle. — Loin de se contenter de ces résul-tats, les recherches d’Euler sur la fonction zêta tournent en 1739 vers unnouveau sujet, dont l’origine est la relation

1− 2m + 3m − 4m + etc =±2.1.2.3 . . .m

πm+1(1 +

1

3m+1+

1

5m+1+ etc),

qu’il démontre pour m = 1, 3, 5, 7.

Si l’on désigne par ϕ(s) l’analogue alternée de ζ, alors

(1− 2−m−1)ϕ(−m) = 2m!π−m−1m!ζ(m+ 1),

compte tenu du rapport entre ζ et la sous-somme indexée par les impairs.Des transformations élémentaires montrent que la formule ci-dessus estéquivalente à l’équation fonctionnelle des entiers relatifs pairs. Ainsi, Eu-ler est capable de démontrer l’équation fonctionnelle pour s = 2, 4, 6, 8.

Plus tard, dans son article “Remarques sur un beau rapport entre lesséries de puissances tant directes que récriproques” (1749), il réussit àconjecturer la valeur correcte

ϕ(1− s)ϕ(s)

=−Γ(s)(2s − 1) cos(πs

2)

(2s−1 − 1)πs,

pour tout s réel plus grand que 1.Cette formule sera démontré par Riemman au début de son article,

mais il y a au moins trois preuves qui precèdent celle donné par l’alle-mand. Elles sont dues à des mathématiciens presque oubliés aujourd’hui :Carl Johan Malmsten (1814-1886), qui aida Mittag-Leffter à démarrer larevue Acta Mathematica, Oscar Schlömilch (1823-1901), dont un type defonction de Bessel porte son nom, et Thomas Clausen (1801-1885), connupar sa découverte d’un facteur premier du sixième nombre de Fermat.

2. Une fonction “toujours valable"

Inspiré de la formule produit d’Euler, l’idée géniale de Riemann estde considérer ζ(s) non seulement comme une fonction de variable réelle,mais comme la fonction de variable complexe représentée par l’identitéd’Euler lorsque les deux expressions ont du sens. Étant donné que

| 1ns| = | 1

es logn| = 1

eRe(s) logn=

1

nRe(s)

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et que la série formée de ces derniers termes converge si et seulementsi l’exposant est plus grand que 1, la fonction ζ(s) =

∑1ns

convergeabsolument pour Re(s) > 1.

Ensuite, Riemann cherche ce qu’il appelle une expression qui reste tou-jours valable, autrement dit un prolongement analytique de ζ. D’abord,le changement de variable y = nx donne l’identité suivante, où s estencore réel plus grand que 1 :

(2.1)∫ ∞0

e−nxxs−1dx =Π(s− 1)

ns.

Le symbole Π(s− 1) est dû à Gauss et se réfère à la fonction gamma,que l’on note de nos jours, suivant Legendre :

Γ(s) =

∫ ∞0

e−xxs−1dx.

La notation de Gauss adoptée par Riemann est plus naturelle car ellemet en évidence le fait que Γ est une généralisation du factoriel.

La formule (2.1) se trouve déjà, écrite à la main le 7 avril 1849 parFerdinand Eisenstein, dans un exemplaire de la traduction française desDisquisitiones de Gauss. Étant donné qu’à cette époque-là Eisensteinet Riemman étaient des amis très proches, il est raisonnable de penser,comme le fait Weil [W2], que cela a été l’origine du travail de Riemann.

Une fois qu’il a fait apparaître le terme ns dans le dénominateur àgauche, la déduction sous-entendue

Π(s− 1)∞∑n=1

1

ns=

∫ ∞0

(∞∑n=1

e−nx

)xs−1dx =

∫ ∞0

xs−1dx

ex − 1,

lui permet d’écrire la formule

(2.2) Π(s− 1)ζ(s) =

∫ ∞0

xs−1dx

ex − 1.

Évidemment, il n’y a chez Riemann aucune justification de la possibi-lité d’échanger la série et l’intégrale pour aboutir à l’identité ci-dessus,mais cela peut être justifié sans difficulté, en faisant appel, par exemple,à la convergence uniforme de la suite des fonctions e−nx.

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Figure 2. Le contour de Riemann

2.1. L’intégrale de contour. — Le pas suivant consiste à transformerl’intégrale réelle (2.2) dans l’intégrale de contour sur le plan complexe

I =

∫C

(−z)s−1dx

ez − 1.

Comme Riemann l’indique, la fonction

(−z)s−1 = e(s−1) log(−x)

est multiforme et il faut prendre la détermination telle que le logarithmede −x soit réel pour x négatif. Puisque l’argument principal de −x estnul pour x négatif et que

log(−x) = log|−x|+ i arg(−x),

il suffit de considérer la branche usuelle du logarithme dans C \ R−,autrement dit celle dont la partie imaginaire est comprise entre −π et π.Par passage à l’opposé, on obtient une détermination continue dans leplan complexe privé de l’axe réel positif.

En ce qui concerne le contour, Riemann explique que C doit être prisdans le sens positif de +∞ à +∞ et autour d’un domaine de grandeursqui contient à son intérieur la valeur 0, mais qui ne contient aucune autrevaleur de discontinuité de la fonction sous le signe d’intégration.

Puisque les pôles sont localisés en 2nπi pour tout entier non nul n, ilsuffit de considérer des chemins suffisamment éloignés des points 2nπi,comme ceux qui sont indiqués dans la figure 2.1.

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12 J. FRESÁN

Le théorème de résidus permet de montrer que cette intégrale ne dé-pend pas du chemin choisi, donc on peut le déformer jusqu’à parcourir ladroite Im(z) = iε partant de +∞, puis un cercle de rayon ε dans le sensantihoraire et finalement la droite Im(z) = −iε vers +∞.

Compte tenu du fait que la branche du logarithme qui a été choisieimpose que (−z)s = e−iπszs dans la première partie du chemin et que(−z)s = eiπszs après avoir décrit le cercle, l’intégrale se décompose en :

−∫ +∞

ε

e(s−1)(Log (x+iε)−πi)

ex+iε − 1+

∫|z|=ε

(−z)s−1

ez − 1+

∫ +∞

ε

e(s−1)(Log (x−iε)+πi)

ex−iε − 1.

Par passage à la limite lorsque ε→ 0 :

I = (e−πsi − eπsi)∫ +∞

0

xs−1dx

ex − 1+ lim

ε→0

∫|z|=ε

(−z)s−1

ez − 1

Afin de calculer le second terme on note que, pour les nombres com-plexes |z| < 1, il existe des constantes A et B telles que

|(−z)s−1| ≤ A|z|Re(s), |ez − 1| ≥ B|z|.

Par conséquent,

| (−z)s−1

ez−1 | ≤A|z|Re(s)

B|z| = C|z|Re(s)−1

et on en déduit que la valeur absolue de l’intégrale est minorée par εRe(s)

fois une constante, dont la limite est nulle car Re(s) = s > 1.

Tout le raisonnement précédent est réduit à on obtient aisément chezRiemann. Il nous permet d’arriver à la formule

I = (e−πsi − eπsi)∫ +∞

0

xs−1dx

ex − 1.

Alors, on déduit de l’identité trigonométrique due à Euler

sin(πs) =eπsi − e−πsi

2i

et de la formule (2.2) que

(2.3) 2 sin(πs)Π(s− 1)ζ(s) = i

∫C

(−z)s−1dz

ez − 1.

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2.2. Une fonction presque finie. — Riemannn poursuit en expli-quant que cette équation donne maintenant la valeur de la fonction ζ(s)pour un valeur complexe de s quelconque et nous enseigne que cette fonc-tion est uniforme et qu’elle est finie pour toutes les valeurs finies de ssauf 1.

En effet, l’identité dite de réflexion connue d’Euler

Π(s− 1)Π(−s) =π

sin(πs)

permet d’écrire la fonction zêta sous la forme :

(2.4) ζ(s) =Π(−s)

2πi

∫C

(−z)s−1dz

ez − 1.

Puisque la fonctionxs−1

ex − 1est de décroissance rapide à l’infini et qu’elle est équivalente à xs−2 lorsquex → 0, donc localement intégrable autour de l’origine, la formule ci-dessus, même si elle a été démontrée sous l’hypothèse que s > 1 étaitréel, a du sens pour toute valeur complexe de s.

En plus, les seuls pôles possibles de ζ(s) sont ceux de Γ(1 − s), doncles entiers positifs. Mais ζ(s) =

∑1ns

étant réelle analytique pour toutréel s > 1, il ne reste que s = 1 parmi les singularités possibles.

Un calcul simple montre que∫C

1

ez − 1= −2πi,

donc s = 1 est en fait un pôle du même résidu Ress=1ζ(s) = 1 que le pôles = 1 de la fonction Γ.

Puisque il n’y a d’autres pôles, l’intégrale de contour s’annule si s est unentier plus grand que 1, ce qui peut être aussi montré indépendammentà l’aide de la formule de Cauchy.

2.3. Les zéros réels. — Ensuite, Riemann affirme que ζ(s) s’évanouitlorsque s est égal à un nombre pair négatif et il indique très rapidementque cela découle du fait que le développement en série de f(x) = 1

ex−1 + 12

ne contient que des puissances impaires. En effet, l’identité1

ex − 1+ 1 = − 1

e−x − 1

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14 J. FRESÁN

montre que f est impaire, donc qu’elle n’admet que des puissances im-paires dans son développement :

1

ex − 1+

1

2= −1

z+

1

12z − 1

720z3 +

1

30240z5 + etc

Cette série était déjà connu de Jacob Bernouilli, qui l’inclut dans sonouvrage posthume Ars conjecturandi (1713), consacré à la théorie desprobabilités. En fait, les coefficients Bn intervenant dans la série

z

ez − 1=

+∞∑n=0

Bn

n!zn

furent baptisés nombres de Bernouilli d’après lui. L’une de leur propriétésles plus remarquables est précisément leur annulation pour les indicesimpairs supérieurs à 1.

Par évaluation de la formule (2.4) en s = 1− n on obtient :

ζ(1− n) = −Γ(n)

2πi

∫C

(−z)−ndz

ez − 1= (−1)1−n

(n− 1)!

2πi

∫C

z−n

ez − 1.

Puisque∫C

z−n

ez − 1=

∫C

+∞∑k=0

Bk

k!zk−n−1 =

+∞∑k=0

Bk

k!

∫C

zk−n−1dz

et que la seule intégrale non nulle correspond à k = n et vaut 2πi, on a

ζ(1− n) = (−1)n−1(n− 1)!

2πi

2πi

n!Bn = −Bn

n.

Alors, la valeur ζ(−2k) est un multiple de B2k+1, donc nulle. Ce sontles zéros dites triviaux de la fonction zêta. À l’aide de coefficients deBernouilli, on peut aussi calculer la valeur de ζ aux entiers positifs pairs,généralisant de cette façon les résultats d’Euler discutés au début :

ζ(2n) = (−1)n+1B2n(2π)2n

2(2n)!.

Cependant, cette formule ne semble pas pouvoir être déduite directe-ment de la formule intégrale (2.4). Edwards soupçonne que cela a été l’unedes motivations de Riemann pour s’intéresser à l’équation fonctionnellede zêta [Ed, p. 12].

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 15

Figure 3. Le contour pour obtenir l’équation fonctionnelle

3. L’équation fonctionnelle

Après avoir trouvé les zéros triviaux de ζ, Riemann propose que lorsquela partie réelle de s est négative, l’intégrale, au lieu d’être prise dans lesens positif autour du domaine de grandeurs assigné, peut être prise dansle sens négatif autour du domaine de grandeurs qui contient toutes lesgrandeurs complexes restantes, car l’intégrale, pour des valeurs dont lemodule est infiniment grand, est alors infiniment petite.

Cela revient à considérer la limite lorsque ε → 0 et que R → +∞ del’intégrale sur le contour de la figure 3. D’après (2.3), la première limiteest

(3.1) − 2i sin(πs)Π(s− 1)ζ(s)

et, comme Riemann l’indique, la limite de la deuxième est nulle, car|ez − 1| > 1

2sur le cercle de rayon R et par conséquent∣∣∣∣∫

|z|=R

(−z)s−1dzez−1

∣∣∣∣ ≤ 2πRs,

dont la limite est nulle si la partie réelle de s est négative.Par le théorème des résidus, la limite de la intégrale vaut 2πi fois la

somme de tous les résidus de la fonction sous le signe, qui ne devientdiscontinue que lorsque x est égal à un multiple entier de ±2πi et l’in-tégrale, par conséquent, est égale à la somme des intégrales prises dansle sens négatif autour de ces valeurs. Mais l’intégrale relative à la valeur

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16 J. FRESÁN

n2πi égale (−n2πi)s−1(−2πi). En effet,∫|z−2πni|=ε

(−z)s−1dz

ez − 1=

∫|ω|=1

ω(−2πni− ω)s−1

eω − 1

ω= (−2πni)s−1

d’après la formule de Cauchy, compte tenu de la limite

limω→0

ω

eω − 1= 1.

On en déduit :

−2i sin(πs)Π(s− 1)ζ(s) = (−2πi)∑

(−n2πi)s−1,

autrement dit

2 sin(πs)Π(s− 1)ζ(s) = (2π)s[(−i)s−1 + is−1]ζ(1− s).

Le remplacement i = eiπ2 sert à écrire

is−i + (−i)s−1 =1

i(ei

π2s − e−i

π2s) = 2 sin(πs

2)

et la formule devient alors

sin(πs)Π(s− 1)ζ(s) = (2π)s sin(πs2

)ζ(1− s)

Ensuite, l’identité de réflexion

sin(πs)Π(s− 1) =π

Π(−s)mène à l’expression

(3.2) ζ(s) = 2sπs−1 sin(πs2

)Π(−s)ζ(1− s).et via la formule de duplication

Π(−s) = π−12 2−sΠ(1−s

2− 1)Π(− s

2),

on obtient l’égalité

π−s2 ζ(s) = π

s−32 sin(πs

2)Π(− s

2)Π(1−s

2− 1)ζ(1− s).

Une nouvelle application de la réflexion

sin(πs2

)Π(−s2

) =π

Π( s2− 1)

mêne enfin à l’équation fonctionnelle

(3.3) π−s2 Π( s

2− 1)ζ(s) = π−

1−s2 Π(1−s

2− 1)ζ(1− s).

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 17

Tous ces calculs en vertu de propriétés connues de la fonction Π, queRiemann n’écrit pas, lui permettent d’exprimer son équation fonction-nelle par le fait que la quantité

π−s2 Π( s

2− 1)ζ(s)

reste inaltérée lorsque s est remplacé par 1-s.Comme le voulait Riemann, en évaluant la formule (3.2) en s = 1−2n,

ζ(1− 2n) = 21−2nπ−2n(−1)nΠ(2n− 1)ζ(2n)

pour tout n > 0. Puisque

ζ(1− 2n) = −B2n

2n, Π(2n− 1) = (2n− 1)!

la valeur de ζ aux entiers pairs n’est autre que

ζ(2n) = (−1)n+122nπ2nB2n

2(2n)!.

3.1. La deuxième méthode. — Vu l’équation fonctionnelle, le mêmejeu du début du papier, appliqué cette fois au changement de variabley = n2πx, permet à Riemann d’écrire∫ ∞

0

e−n2πxx

s2−1dx =

1

nsΠ( s

2− 1)π−

s2 .

Alors un raisonnement analogue à celui qui mène à (2.2) montre que

(3.4) Π( s2− 1)π−

s2 ζ(s) =

∫ ∞0

ψ(x)xs2−1dx,

où l’on a introduit la notation ψ(x) pour la série

ψ(x) =∞∑n=1

e−n2πx.

Le pas crucial consiste maintenant à utiliser une conséquence d’uneformule que Riemann a appris du traité Fundamenta nova theoriæ func-tionum ellipticarum (1829) de Carl Jacobi, où il l’attribue, à son tour,au mathématicien français Siméon Denis Poisson :

(3.5) 2ψ(x) + 1 = x−12 [2ψ( 1

x) + 1].

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18 J. FRESÁN

En effet, il s’agit d’un cas particulier de la formule de sommation+∞∑

n=−∞

f(n) =+∞∑

n=−∞

f̂(n)

mettant en rapport la somme des valeurs sur les entiers d’une fonction fet sa transformée de Fourier

f̂(y) =

∫ +∞

−∞f(x)e−2πixydx.

Soit f(x) = e−πtx2, où t > 0. Calculons la transformé de Fourier

f̂(y) =

∫ +∞

−∞e−πtx

2

e−2πixydx.

À travers l’égalitéπ

ty2 − πtx2 − 2πixy = −πt(x+ i

y

t)2,

on obtient l’expression équivalente

f̂(y) = e−πty2∫ +∞

−∞e−πt(x+i

yt)2dx.

Après le changement de variable u =√t(x+ iy

t),

f̂(y) = t−12 e−

πty2∫L

e−πu2

du,

L étant la droite Im(z) = ytdu plan complexe.

Pour calculer cette intégrale, le théorème des résidus nous permet derevenir à l’axe réel. En effet, e−πu2 n’a pas de singularité à l’intérieur ducontour de la figure 4, donc son intégrale est nulle. Compte tenu du faitque dans les droites verticales x ne varie pas et que l’orientation du L estopposée à celle de l’axe réel, on conclut par passage à la limite que∫

L

e−πu2

du =

∫ +∞

−∞e−πx

2

dx = 1,

la dernière égalité étant déjà connu de Gauss.Par conséquent, f̂(y) = t−

12 e−

πty2 et la formule de Poisson donne

+∞∑n=−∞

e−n2πt = t−

12

+∞∑n=−∞

e−n2pi 1

t ,

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 19

Figure 4. Le contour qui permet de ramener l’intégrale surl’axe réel.

ce qui entraîne, par symétrie de la série, le résultat de Jacobi, que l’onpeut exprimer plus proprement en introduisant la série

θ(t) =∑n∈Z

e−n2πt,

qui satisfait l’équation fonctionnelle

θ(t) = t−12 θ(1

t)

et dont les zéros seront l’objet d’un travail ultérieur de Riemann.

Si l’on sépare la formule intégrale (3.4) en deux parties et l’on remplaceψ(x) par l’identité de Jacobi dans la première d’entre elles :

Γ( s2)π−

s2 ζ(s) =

∫ 1

0

[x−12ψ( 1

x) + x−

12−12

]xs2−1dx+

∫ ∞1

ψ(x)xs2−1dx

=

∫ 1

0

ψ( 1x)x

s−32 dx+

∫ 1

0

(xs−32 −x

s−22

2)dx+

∫ ∞1

ψ(x)xs2−1dx.

Le calcul élémentaire1

2

∫ 1

0

(xs−32 − x

s−22 )dx =

1

2( 2s−1 −

2s) =

1

s(s− 1)

et le changement de variable xy = 1 dans l’intégrale∫ 1

0

ψ( 1x)x

s−32 dx = −

∫ ∞0

−ψ(y)y3−s2dy

y2=

∫ ∞0

ψ(y)y−s+12 dy

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20 J. FRESÁN

entraînent que

(3.6) Π( s2− 1)π−

s2 ζ(s) =

1

s(s− 1)+

∫ ∞1

ψ(x)(xs2−1 + x−

1+s2 )dx.

Même s’il ne l’écrit pas, Riemann est bien conscient que cette représen-tation intégrale fournit une deuxième preuve de l’équation fonctionnellede ζ car le changement de s par 1 − s laisse le premier terme invariantet il échange les exposants à l’intérieur de l’intégrale.

C’est en fait cette preuve de l’équation fonctionnelle qu’il est coutu-mier de présenter dans les traitements modernes du sujet, tandis que lapremière démonstration est plutôt oubliée.

4. La fonction ξ et l’hypothèse de Riemann

Ensuite, Riemann pose s = 12

+ ti, motivé par le fait que 12est le seul

point fixe du changement ci-dessus, et il définit

ξ(t) = Π( s2)(s− 1)π−

s2 ζ(s).

Puisque Π( s2) = s

2Π( s

2− 1), on a :

ξ(t) =s(s− 1)

2π−

s2 Π( s

2− 1)ζ(s)

et l’équation fonctionnelle pour le terme à droite implique que la nouvellefonction ξ de la variable t est pair, autrement dit :

ξ(t) = ξ(−t).

Le rapport entre les expressions dépendant de s et celles dépendantde t est en quelque mode confus et il mène Riemann à un calcul erroné.D’habitude, la notation ξ représente

ξ(s) =s(s− 1)

2Π( s

2− 1)ζ(s),

la partie réelle de s n’étant pas fixée, tandis que l’on désigne par

Ξ(t) = ξ(12

+ it)

ce qui Riemann note ξ(t). Par contre, dans ces notes on a préféré garderla notation originale de Riemann afin d’être plus capables de reconstruireses méthodes et de voir où il se trompe.

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 21

En observant que s(s− 1) = −(t2 + 14), ainsi que le rapport entre ξ(t)

et Π( s2− 1)ζ(s), la représentation intégrale (3.6) se transforme en

ξ(t) =1

2+s(s− 1)

2

∫ ∞1

ψ(x)(xs2−1 + x−

1+s2 )

=1

2− (t2 +

1

4)

∫ ∞1

ψ(x)xt2 i−

34+x−

t2 i−

34

2dx.

Or, la trigonométrie nous apprend que

xt2i + x−

t2i

2=et2log xi + e−

t2log xi

2= cos( t

2log x),

d’où la formule

(4.1) ξ(t) =1

2− (t2 +

1

4)

∫ ∞1

ψ(x)x−34 cos( t

2log x)dx

que Riemann présente dans la quatrième page de son mémoire.Par intégration par parties∫ ∞

1

ψ(x)(xs2−1 + x−

1+s2 )dx =2

∫ ∞1

d

dx[ψ(x)(x

s2s

+ x1−s2

1−s )]dx

−2

∫ ∞1

ψ′(x)(xs2s

+ x1−s2

1−s )dx

Puisque ψ(x) décroît plus rapidement qu’une puissance quelconque dex lorsque x→∞, on a :∫ ∞

1

d

dx[ψ(x)(x

s2s

+ x1−s2

1−s )]dx = −ψ(1)

(1

s+

1

1− s

)=

ψ(1)

s(s− 1).

On en déduit :

ξ(t) =1

2+ ψ(1)−

∫ ∞1

ψ′(x)[(s− 1)xs2 + sx

1−s2 ],

où l’on a juste introduit le facteur s(s− 1) sous le signe.Une intégration par parties de∫ ∞

1

ψ′(x)[(s− 1)xs2 + sx

1−s2 ] =

∫ ∞1

x32ψ′(x)[(s− 1)x

s−32 + sx−

s+22 ]

tout à fait pareille à celle que l’on vient de faire mène à

ξ(t) =1

2+ ψ(1) + 4ψ′(1) +

∫ ∞1

d

dx[x

32ψ′(x)](2x

s−12 + 2x−

s2 )dx.

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22 J. FRESÁN

Si l’on dérive maintenant l’identité de Jacobi (3.5), on obtient

2ψ′(x) = −x−32ψ( 1

x)− 1

2x−

32 − 2x−

52ψ′( 1

x),

qui donne la formule suivante en remplacent x = 1 :

1

2+ ψ(1) + 4ψ′(1) = 0.

Ainsi, les premiers termes de la formule pour ξ(t) disparaissent :

ξ(t) = 4

∫ ∞1

d

dx[x

32ψ′(x)]x

s−12 +x−

s2

2dx

= 4

∫ ∞1

d

dx[x

32ψ′(x)]x−

14 x

2s−14 +x

1−2s4

2dx

= 4

∫ ∞1

d

dx[x

32ψ′(x)]x−

14 x

ti2 +x−

ti2

2dx

= 4

∫ ∞1

d

dx[x

32ψ′(x)]x−

14 cos( t

2log x)dx.

En plus de (4.1), cette dernière égalité est la seule qui apparaît chezRiemann, précédée de “l’explication” ou encore.

4.1. “Une recherche superflue pour le but immédiat”. — Lesdeux paragraphes qui suivent la formule ci-dessus sont, sans doute, lesplus obscurs du papier, car Riemman énonce un théorème sur la distri-bution des racines de ζ(t) dont il n’est pas capable de donner la preuve.Dans une lettre trouvé dans son Nachlass, il indique que c’est une consé-quence d’un nouveau développement de la fonction ξ que je n’ai pas encoresuffisamment simplifié pour pouvoir vous le communiquer.

D’abord, Riemann explique que la fonction ξ est finie pour toutes lesvaleurs finies de t et peut être développée suivant les puissances de t2 enune série qui converge très rapidement.

La première assertion suit du fait que ξ(t) est un produit de deuxfonctions qui n’ont pas de pôles, car les singularités de Π( s

2− 1)ζ(s) sont

simples en s = 0 et s = 1 et l’on a multiplié par s(s−1). Par conséquent,ξ(t) est une fonction entière.

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 23

Pour récupérer la deuxième propriété, il faut développer en série lecosinus à l’intérieur de l’intégrale. Puisque

cos(t

2log x) =

∞∑n=0

(−1)n(t log x)2n

22n(2n)!,

ξ(t) se transforme en la série en puissances paires

ξ(t) =∞∑n=0

a2nt2n,

où les coefficients sont donnés par la formule

a2n = 4

∫ ∞1

d

dx[x

32ψ′(x)]x−

14

(log x)2n

22n(2n)!dx.

Cependant, Riemann ne donne pas d’estimations de la rapidité de laconvergence et cette série non-écrite n’est jamais mentionnée dans lasuite. Puisque le but de Riemman est de démontrer que ξ(t) peut êtreécrit comme le produit infini

(4.2) ξ(t) = ξ(0)∏

ξ(α)=0

(1− t

α

)et que l’on a vu dans le résumé des travaux d’Euler que cela revient à direque ξ(t) se comporte comme un polynôme, l’assertion sur la convergencerapide peut être interprétée en cette direction : lorsque le décroissementdes an est rapide, un nombre fini des termes du “ ‘polynôme infini” ξ(t)fournissent une bonne approximation.

Maintenant, Riemann démontre que ξ(t) n’a pas de zéros en dehors dela bande critique 0 < Re(s) < 1. Rappelons d’abord la formule

Π(s) =∞∏n=1

(1 +

s

n

)−1(1 +

1

n

)sconnue d’Euler. Cela implique notamment que

(4.3) log Π( s2) =

∞∑n=1

[s2

log(1 + 1n)− log(1 + s

2n)].

Ainsi, pour une valeur de s dont la partie réelle est plus grande que 1,les logarithmes de facteurs de ξ(t) restent finis, voir non nuls. L’équation

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24 J. FRESÁN

fonctionnelle fournit alors la non-annulation du produit

ξ(t) = Π( s2)(s− 1)π−

s2 ζ(s)

pour Re(s) < 0. Enfin, vu que

0 < Re(s) < 1⇐⇒ −12< Im(s) < 1

2,

Riemann conclut que la fonction ξ(t) peut seulement s’évanouir lorsquela partie imaginaire de t se trouve comprise entre 1

2i et −1

2i.

Riemann poursuit en affirmant que le nombre des racines de ξ(t) dontles parties réelles sont comprises entre 0 et T est environ égal à

T

2πlog

T

2π− T

2π,

abstraction faite d’une partie fractionnaire de même ordre que la grandeur1T, voir d’une erreur rélative de cette taille.

La seule suggestion qu’il donne, c’est que le nombre de racines deξ(t) = 0 ayant cette propriété est égale à l’intégrale de contour

1

2πi

∫C

d log ξ(t) =1

2πi

∫C

ξ′(t)

ξ(t)dt,

où C est la frontière du rectangle de sommets 0, 1, 1 +Ti et Ti parcourudans le sens indiqué.

Il s’agit, en effet, d’un théorème bien connu de l’analyse complexe,mais le problème consiste à estimer la valeur absolue de la dérivée lo-garithmique de ξ(t) sur le contour. Il fallut attendre jusqu’en 1905 pourune preuve complète de l’estimation de Riemann, due au mathématicienallemand von Mangoldt, qui a fait d’autres contributions fondamentalesà l’étude de la fonction zêta et de la distribution des nombres premiers.

En ce qui suit, Riemann lance l’affirmation que cette approximationreste valide pour le nombre des racines réelles de ξ(t), autrement dit, surla droite Re(s) = 1

2, et qu’il est très probable que toutes les racines sont

réelles. Il serait à désirer, sans doute, que l’on eût une démonstrationrigoureuse de cette proposition ; néanmoins j’ai laissé cette recherche decôté pour le moment après quelques rapides essais infructueux, car elleparaît superflue pour le but immédiat de mon étude.

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 25

4.2. La représentation de ξ comme produit infini. — La preuvede la formule produit (4.2) esquissée par Riemann part de la remarqueque les seules singularités logarithmiques de log ξ(t) se trouvent aux zérosde ξ(t), donc elles coïncident avec celles de la série formelle∑

ξ(α)=0

log

(1− t

α

).

Or, la convergence de cette série dépend de manière essentielle del’ordre de sommation (si l’on changeait cet ordre des termes de la série,on pourrait obtenir pour résultat n’importe quelle valeur réelle). Même siRiemann ne l’explicite pas à ce point-là, il entend que chaque racine αdoit être accouplé avec −α, de sorte que l’on peut considèrer la sommeindexée par les racines de partie réelle positive rangées par grandeur :

(4.4)∑

Re(α)>0

[log

(1− t

α

)+ log

(1 +

t

α

)]=

∑Re(α)>0

[log

(1− t2

α2

)]

Il suffit donc de démontrer la convergence absolue de la série∑Re(α)>0

1

α2.

D’après la discussion précédente, la dénsité des racines α est à peu près

d

dT

(T

2πlog

T

2π− T

)=

1

2πlog

T

2π,

d’où l’approximation∑Re(α)>0

1

α2∼ 1

∫ ∞0

1

T 2log

T

2πdT <∞,

que Riemann explique : en effet, puisque la densité des racines de gran-deur t augmente seulement avec t comme le fait log t

2π, cette expression

converge et pour t infini ne devient infinie que comme l’est t log t.Compte tenu du fait que log ξ(t) et la fonction de la formule (4.4) sont

toutes les deux pairs, la différence entre elles doit être forcement unefonction paire. Mais, puisque l’accroissement de log ξ(t) est proche ausside t log t, cette fonction ne peut contenir de termes d’ordre positif. Elle

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26 J. FRESÁN

est donc une constante, dont la valeur se détermine en évaluant en t = 0 :

log ξ(t) =∑

Re(α)>0

[log

(1− t2

α2

)]+ log ξ(0).

La première preuve rigoureuse de cette identité est dûe à Hadamard,qui l’inclut dans son article “Étude sur les propriétés des fonctions entièreset en particulier d’une fonction considérée par Riemann” (1893), danslequel il montre que la décroissance rapide des coefficients a2n insinuéepar Riemann est précisément la condition nécessaire et suffisante pouravoir une formule produit. De même, cela rend valide l’expression de sinx

xobtenue par Euler et cela explique pourquoi le résultat est faux pour lafonction ex sinx

xque l’on avait introduite.

Notons, par contre, que Riemann se trompe dans le calcul de laconstante. En effet, il considère ξ comme une fonction de la variable tmais la formule est écrite en termes de s, ce qui fait changer la constantemultiplicative de la représentation comme produit infini. En effet, si

P (s) = P (0)∏

P (ρ)=0

(1− s

ρ

)et si l’on écrit s sous la forme 1

2+ ti, on obtient

P (12

+ ti) = P (0)∏α

(1−

12

+ ti12

+ αi

)= P (0)

∏α

(αi− ti12

+ αi

)= P (0)

∏α

(αi

12

+ αi

αi− tiαi

)= P (0)

∏P (ρ)=0

(1− 1/2

ρ

)∏α

(1− t

α

)

= P (12)∏

Re(α)>0

(1− t2

α2

).

Il n’est pas clair où est la source de l’erreur de Riemann, qui au lieude la valeur correcte

log(−Π(0)ζ(0)) = log(12) = − log 2 = −0.6931471805 . . .

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 27

utilise la constante

log(−Π(14)π−

14 ζ(

1

2)) = −0.005775087 . . .

Les premiers éditeurs allemand de Riemann ont attribué juste à unefaute d’écriture cette erreur, à savoir : Riemann voulait écrire log ζ(0) aulieu de log ξ(0). Cela n’a pas de sens car ζ(0) n’est pas 1

2, comme ils le

pensent, mais −12. En plus, d’autres manuscrits de Riemann contenant

la même erreur ont survécu. Le premier à se rendre compte a été l’italienAngelo Genocchi l’année après de la publication de l’article de Riemann.

5. La formule principale pour π(x)

Comme on l’a dit dans l’introduction, en prenant des logarithmesl’équation fonctionnelle devient

log ζ(s) = −∑

log(1− p−s) =∑

p−s +1

2

∑p−2s + . . .

Riemann propose de remplacer les termes à l’intérieur des sommes par

s

∫ ∞pn

x−s−1dx = s

[x−s

s

]+∞pn

= p−ns,

de manière à avoir l’identité

log ζ(s) = s∞∑n=1

1

n

∑p

∫ ∞pn

x−s−1dx.

Le but est maintenant d’écrire toutes les intégrales intervenant dansla somme indexée par l’ensemble des nombres premiers dans le mêmedomaine d’intégration. Pour faire cela, on remarque que∑

p

∫ ∞pn

x−s−1dx =∞∑k=1

k

∫ pnk+1

pnk

x−s−1dx,

où l’on a noté pk le k−ième nombre premier.Un calcul directe montre alors que la série se transforme en l’intégrale∑

p

∫ ∞pn

x−s−1dx =

∫ ∞1

k(x)x−s−1dx,

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28 J. FRESÁN

où k(x) est la fonction de variable réelle qui est nulle entre 0 et 2n,constante dans les intervalles [pnk , p

nk+1] et qui saute une unité en chaque

puissance n−ième d’un nombre premier.

Après les premières pages de principes auxiliaires, Riemann introduitla fonction de comptage de nombres premiers inférieures à une certainegrandeur, qu’il définit de la façon suivante :

Soit F (x) le nombre des nombres premiers qui sont inférieurs à xlorsque x n’est pas exactement égal à un nombre premier, et soit F (x)ce nombre augmenté de 1

2, lorsque x est premier, de telle sorte que, pour

une valeur x pour laquelle F (x) varie par un saut brusque, on ait

F (x) =F (x+ 0)− F (x− 0)

2

Évidemment, ce que Riemann note 0 correspond à prendre la limitelorsque ε→ 0, autrement dit

F (p) = limε→0

F (p+ ε)− F (p− ε)2

,

pour tout premier p. Il s’agit d’une convention usuelle dans la théorie del’intégration pour définir F aussi aux points de discontinuité. La fonctionque Riemann note par F (x) est représentée des nos jours par π(x) et l’onl’écrira ainsi dorénavant.

À l’aide de cette définition, la fonction k(x) que l’on cherchait pourunifier les domaines d’intégration n’est autre que π(x

1n ), montrée dans la

figure 5. Par conséquent,

log ζ(s)

s=∞∑n=1

1

n

∫ ∞1

π(x1n )x−s−1dx =

∫ ∞1

f(x)x−s−1dx,

où l’on a désigné par f(x) l’expression :

f(x) = π(x) +1

2π(x

12 ) +

1

3π(x

13 ) + . . .

On remarque, à titre d’anecdote, que le fait que Riemann écrit cela,au lieu d’intégrer entre 0 et +∞ semble indiquer que 1 était un nombrepremier d’après lui, comme l’était pour Euler.

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 29

Figure 5. La fonction π(x1n ).

5.1. La formule d’inversion de Fourier. — À partir de cette for-mule, la suite la plus naturelle pour un connaisseur de l’analyse de Fou-rier comme l’était Riemann, c’était d’appliquer la formule d’inversion deFourier afin d’exprimer f(x) en termes d’une intégrale du log ζ(s). Vuesses habitudes, on peut considérer qu’il explique très en détail que si l’ondispose de l’équation

g(s) =

∫ ∞0

h(x)x−sd log x,

pour s = a + bi un nombre complexe de partie réelle fixe a > 1 et pourune fonction réelle h(x), alors

2πih(y) =

∫ a+∞i

a−∞ig(s)ysds,

où l’intégration doit être prise de telle sorte que la partie réelle de s resteconstante, autrement dit sur la droite Re(z) = a.

Voyons comme il déduit ce résultat qui est nommé aujourd’hui trans-formée de Mellin, même si les travaux de Riemann précèdent 40 ans ceuxdu mathématicien finlandais, et qui correspond grosso modo à faire del’analyse de Fourier sur le groupe multiplicatif des nombres réels au lieude sur le groupe additif. D’abord,

(5.1) g(s) =

∫ ∞0

h(x)x−sd log x =

∫ ∞0

h(x)x−ae−ib log xd log x,

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30 J. FRESÁN

ou comme Riemann l’écrit

g(a+ bi) = g1(b) + ig2(b),

avec g1(x) et g2(x) données par

g1(b) =

∫ ∞0

h(x)x−a cos(b log x)d log x,

g2(b) = −∫ ∞0

h(x)x−a sin(b log x)d log x.

En multipliant cette identité par ybi = eib log y et en intégrant de −∞à −∞ au sens réel par rapport à b, on a à gauche

(5.2) − i∫ a+∞i

a−∞ig(s)ybids

car ds = idb, la partie réelle étant fixe. En ce qui concerne le terme àdroite, après multiplication et intégration on aboutit à∫ +∞

−∞

(∫ ∞0

h(x)x−aei(log y−log x)bd log x

)db.

Le changement t = log x transforme l’intégrale entre parenthèses en∫ +∞

−∞h(et)e−atei(log y−t)bdt.

Ensuite, Riemann fait appel au théorème de Fourier. Ses conférencessur les équations différentielles partielles [R3, p. 86] indiquent qu’il leconnaît sous la forme suivante :

ϕ(y) =1

∫ +∞

−∞

(∫ +∞

−∞ϕ(x)ei(y−x)µdx

)dµ.

Pour ϕ(x) = h(ex)e−ax, ce théorème de Fourier entraîne que le termeà droite dans l’écriture de g(s) équivaut à

(5.3) 2πϕ(log y) = 2πf(y)y−a.

En multipliant (5.2) et (5.3) par iya on obtient enfin la formule désirée :

2πih(y) =

∫ a+∞i

a−∞ig(s)ysds.

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 31

En particulier, cette intégrale représente, pour une valeur de y pourlaquelle a lieu une variation par saut brusque de la fonction, la valeurmoyenne des valeurs de la fonction h de chaque côté du saut.

Riemann considère que le fait que π(x) soit défini de façon qu’elle aitcette propriété suffit pour justifier la validité du théorème d’inversionqu’il démontre, pour la fonction f(x). Cela n’est pas vrai, mais puisqueles sauts de ϕ(x) = f(ex)e−ax sont simples, qu’elle est identiquementnulle si x < 0 et qu’elle décroît plus rapidement que e−(a−1)x à l’infini,l’inversion de Fourier reste valide.

Par conséquent,

f(y) =1

2πi

∫ a+∞i

a−∞i

log ζ(s)

sysds.

Maintenant, on n’a qu’à prendre des logarithmes dans la formule

π−s2 (s− 1)Π( s

2)ζ(s) = ξ(t)

pour obtenir

log ζ(s) =s

2log π − log(s− 1) + log Π( s

2) + log ξ(t),

où l’on rappelle que

log ξ(t) =∑ξ(α)=0

log

(1− t2

α2

)+ log ξ(0).

Cependant, le remplacement direct dans l’intégrale de l’expression ci-dessus mène à des intégrales qui ne convergent pas. Comme Riemmanl’indique, il sera donc convenable de transformer l’équation précédente àl’aide d’une intégration par parties.

En effet,

limT→+∞

∫ a+iT

a−iT

log ζ(s)

sxsds = lim

T→+∞

[log ζ(s)

sxs]a+iTa−iT

− 1

log xlim

T→+∞

∫ a+iT

a−iT

d

ds( log ζ(s)

s)xsds.

En observant que

|log ζ(s)| =

∣∣∣∣∣∞∑n=1

∑p

p−ns

n

∣∣∣∣∣ ≤∞∑n=1

∑p

p−nRe(s)

n= log ζ(Re(s)),

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32 J. FRESÁN

on en déduit que le numérateur de

log ζ(s)

sxs

est borné et donc que sa limite lorsque la partie imaginaire de s tend vers+∞ ou −∞ est nulle. Par conséquent,

f(x) = − 1

1

log x

∫ a+∞i

a−∞i

d

ds

(log ζ(s)

s

)xsds.

5.2. La formule principale pour f(x). — En remplacent log ζ(s)par les cinq termes calculés dans la section précédente, on obtient unenouvelle expression pour f(x), que l’on peut considérer le résultat le plusimportant du papier de Riemann.

En ce qui concerne le premier terme, s2

log π, la fonction divisée par sest une constante, donc cela ne contribue pas à la formule.

Riemann calcule le terme résultant de la constante log ξ(0)

− 1

1

log x

∫ a+∞i

a−∞i

1

s2log ξ(0)xsds = log ξ(0)

à l’aide d’une technique que l’on va expliquer plus tard.En utilisant la formule (4.3), on montre que

d

ds

(1

sΠ( s

2)

)=∞∑n=1

d

ds

(log(1 + s

2n

s

)car l’autre terme est une constante fois s.

Afin de justifier la dérivation terme à terme, Riemann écrit :

− log Π( s2) = lim

m=∞

[n=m∑n=1

log(1 +s

2n)− s

2logm

]Cette formule n’est pas tout à fait correcte parce que

log(1 +1

n) = log(n+ 1)− log n

et donc la somme dévient

−m∑n=1

s

2log(1 +

1

n) = −s

2(log(m+ 1)− log 2).

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 33

Évidemment cela n’a aucune importance pour la suite car ces termesdisparaissent lorsque l’on fait :

− d

ds

(1

sΠ( s

2)

)= lim

m=∞

[m∑n=1

d

ds

(1

slog(

1 +s

2n

))]

=∞∑n=1

d

ds

(1

slog(

1 +s

2n

)).

Le calcul précédent permet à Riemann de conclure que tous les termesde la formule pour f(x) prennent la forme

g(β) =1

1

log x

∫ a+∞i

a−∞i

d

ds

(log(1− s

β)

s

)xsds

pour des choix différents de β et quite à déterminer le signe.Par dérivation sous le signe intégrale :

g′(β) = − 1

2πi

1

log x

∫ a+∞i

a−∞i

d

ds

d

[log(1− s

β)

s

]xsds

= − 1

2πi

1

log x

∫ a+∞i

a−∞i

d

ds

[1

(β − s)β

]xsds.

En intégrant par parties et en observant que

limT→∞

[1

(β − s)βxs

log x

]a+T ia−T i

= 0

par un raisonnement tout à fait analogue à celui que l’on vient de faire,la dernière égalité se transforme en :

− 1

2πi

∫ a+∞i

a−∞i

d

ds

[1

(β − s)β

]xs

log xds =

1

2πi

∫ a+∞i

a−∞i

xs

(β − s)βds.

Cette intégrale se calcule à l’aide de la formule d’inversion. Puisque1

(β − s)β=

∫ ∞1

xβx−sd(log x),

on déduit immédiatement

g′(β) =1

2πi

∫ a+∞i

a−∞i

xs

(β − s)βds =

β,

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34 J. FRESÁN

qui est égale aussi aux intégrales∫ 0

∞xβ−1dx,

∫ x

0

xβ−1dx

selon que la partie réelle de β soit négative ou positive.Ensuite, Riemann considère les intégrales∫ x

xβ−1

log xdx,

∫ x

0

xβ−1

log xdx,

où l’intégration doit être prise le long d’un contour qui évite la singularitéx = 1 comme celui qui est montré dans la figure.

Si Re(β) > 0 cette intégrale est une fonction analytique, tandis quesi Re(β), elle diverge pour x = 0. Puisque la dérivée de ces intégralescoïncide avec les précedentes, Riemann déduit que

g(β) =

∫xβ−1

log xdx+ const,

où, à nouveau, le domaine d’intégration va de −∞ à x si la partie réellede β est négative et de 0 à x autrement.

Dans le premier cas, la constante d’intégration peut être déterminée enfaisant tendre la partie de réelle de β vers l’infini négatif. Dans le secondcas, l’intégrale de 0 à x prend des valeurs qui diffèrent de 2πi, lorsquel’intégrale relative à des valeurs complexes est prise dans le sens positifou dans le sens négatif, et elle sera prise dans ce dernier sens, infinimentpetit lorsque le coefficient de i dans la valeur de β est égale à l’infinimentgrand positif ; mais ce fait aura lieu, dans le premier cas, lorsque ce coeffi-cient est égal à l’infiniment grand négatif. Ceci nous enseigne comment lelogarithme doit être déterminé dans le premier membre à faire disparaîtrela constante d’intégration.

Supposons Re(β) > 0. Ce que Riemann suggère ici, c’est que laconstante d’intégration peut être calculée en fixant la partie réelle de βet faisant tendre Im(β) vers +∞. Alors

limIm(β)→+∞

(g(β)−

∫ x

0

xβ−1

log xdx

)= ±πi

selon le demi-cercle pour entourer la singularité en x = 1 soit pris dansle demi-plan inférieur ou supérieur. Mais comme les déterminations dis-tinctes du logarithme différent par des multiples de πi, cette constantepeut être éliminé avec un choix convenable du log(1− s

β).

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 35

Maintenant, déterminons la formule pour f(x). Le premier terme decontribution non banale est − log(s−1), qui correspond au choix β = 1 :

1

2πi

1

log x

∫ a+∞i

a−∞i

d

ds

(log(s− 1)

s

)xsds =

∫ x

0

dt

log t= Li(x).

En ce qui concerne le terme résultant de la série∑α

log

(1− t2

α2

),

Riemann indique que l’on peut, après une discussion plus approfondie dela fonction ξ, démontrer aisément que, lorsque les termes sont rangés,celle-ci converge vers la même limite que l’expression

1

2πi

∫ a+bi

a−bi

d

ds

[1

s

∑log

(1 +

(s− 12)2

α2

)]xsds

lorsque la grandeur de b croît sans limites.Comme on l’a vu, une manière équivalente d’écrire cette série est∑

Im(ρ)>0

[log

(1− s

ρ

)+ log

(1− s

1− ρ

)]et donc la valeur du terme correspondant dans la formule de f(x) sera

−∑

Im(ρ)>0

[∫ x

0

tρ−1

log tdt+

∫ x

0

t−ρ

log tdt

]= −

∑Im(ρ)>0

[Li(xρ) + Li(x1−ρ)

],

compte tenu de l’égalité∫ x

0

tβ−1

log tdt =

∫ xβ

0

dt

log t= Li(xβ)

obtenue à travers le changement de variable u = tβ.Il ne reste que le terme provenant du logarithme de Π( s

2), qui est une

série dont chaque terme correspond à β = −2n. Si l’on suppose que lasérie et l’intégrale peuvent être échangés, c’est égal à

−∞∑n=1

∫ ∞x

t−2n−1

log tdt = −

∫ ∞x

1

t log t(∑n

= 1∞1

t2n)dt

car la partie réelle de −2n est négatif.

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36 J. FRESÁN

La somme de la série géométrique étant∞∑n=1

1

t2n=

1/t2

1/t2 − 1=

1

1− t2,

on conclut que le terme restant vaut∫ ∞x

1

t(t2 − 1) log tdt.

En mettant tout cela ensemble, sans le montrer indépendamment, Rie-mann déduit l’identité

f(x) = Li(x)−∑α

[Li(x

12+αi) + Li(x

12−αi)

]+

∫ ∞x

1

t2 − 1

dt

t log t+ log ξ(0),

qui est correcte sauf pour le fait que log ξ(0) doit être remplacé par− log 2, d’après la discussion sur la formule produit de ξ.

6. Vers le théorème des nombres premiers

Le but de Riemman n’était pas de déterminer la forme de la fonctionf(x), mais le nombre des nombres premiers inférieurs à une grandeurdonnée, qu’il désigne par F (x) et que nous avons remplacé par la notationusuelle π(x). C’est pour cela qu’il propose d’inverser la relation

f(x) =∞∑n=1

1

nπ(x

1n ).

à l’aide de ce que l’on appelle de nos jours la formule de Möbius.Dans une première étape, cela consiste simplement à écrire le terme

1

2f(x

12 ) =

∞∑n=1

1

2nπ(x

12n ),

à partir duquel l’on a

f(x)− 1

2f(x

12 ) = π(x) +

∑impairs

1

nπ(x

1n ).

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 37

L’idée est maintenant d’éliminer tous les termes à droite sauf π(x) paritération du même processus en remplacent 2 par un nombre premierquelconque. Par exemple, pour p = 3,

1

3f(x

12 ) =

∞∑n=1

1

3nπ(x

13n )

et cela nous permet d’effacer tous les multiples de 3.Les seuls termes auxquels il faut faire attention dans la suite sont les

multiples de 6. Puisque ils ont déjà été éliminés à l’aide du p = 2, on doitles ajouter à nouveau pour continuer avec le premier suivant, donc :

f(x)− 1

2f(x

12 )− 1

3f(x)

13 +

1

6f(x

16 ) = π(x) +

∑m

1

nπ(x

1m ),

où m décrit les entiers qui ne sont pas de multiples ni de 2 ni de 3.Alors, on se convainc aussitôt que les entiers divisibles par un carré

n’apparaissent pas et que le signe du reste dépend de la parité du nombrede facteurs premiers. Par conséquent,

π(x) = f(x) +∞∑n=2

µ(n)

nf(x

1n ),

où µ(n) = 0 si n est divisible par un carré et µ(n) = k si n se décomposeen k facteurs premier distincts.

Ensuite, Riemann propose de dériver la série qui représente π(x)d’après sa formule principale. Évidemment, π(x) étant discontinue celan’est pas possible, au moins que l’on se limite à un nombre fini determes. Vue la forme intégrale de chacun des termes, cela nous mène à

dx=

1

log x−∑ρ

xρ−1

log x− 1

x(x2 − 1) log x.

On rappelle que la somme indexée par les racines ρ = 12

+αi de ζ doitinclure simultanément ρ et 1− ρ. L’identité

xρ−1 + x−ρ = x−12 (xαi + x−αi) = 2x−

12 cos(α log x)

permet alors d’exprimer la dérivée de π(x) sous la forme

dx=

1

log x− 2

∑Re(α)>0

cos(α log x)

x12 log x

− 1

x(x2 − 1) log x

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38 J. FRESÁN

Figure 6. Graphe de la différence entre π(x) et l’approxima-tion de Riemann fait avec Matlab

et de l’approcher par les deux premiers termes, abstraction faite d’unepartie qui décroît très rapidement lorsque x croît.

Maintenant, on peut remplacer la formule principale pour f(x) dansl’identité ci-dessus. Comme Riemann le suggère, il a trois type de termesen fonction du comportement lorsque x → ∞. D’abord, les termes qu’ilappelle périodiques sont ceux qui viennent de la série∑

ρ

Li(xρ).

Ils croissent avec x mais leur signe oscille.Il y a aussi des termes provenant de

log ξ(0) +

∫ ∞x

dt

t(t2 − 1) log t,

qui ne croissent pas indéfiniment avec x, et enfin les expressions faisantintervenir Li(x), qui tendent vers l’infini lorsque x tend vers l’infini. Sil’on se limite à considérer ces derniers termes, on obtient

π(x) ∼ Li(x) +∞∑n=2

µ(n)

nLi(x

1n ).

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LA FONCTION ζ D’APRÈS RIEMANN 39

Cette approximation est plus subtile que celle connue de Gauss

π(x) ∼ Li(x)− Li(2),

qui n’est exacte qu’aux grandeurs près de l’ordre de x12 et fournit une

valeur un peu trop grande.Du reste, la comparaison, entreprise par Gauss et Goldschmidt, de

Li(x) avec le nombre des nombres premiers inférieurs à x et poursui-vie jusqu’à x = 3 millions a révélé que ce nombre, à partir de la premièrecentaine de mille, est toujours inférieur à Li(x) et que la différence desvaleurs, soumises à maintes oscillations, croît néanmoins toujours avecx. Mais la fréquence et la réunion la plus dense par endroits des nombrespremiers, si l’on peut s’exprimer ainsi, sous l’influence des termes pério-diques, avaient déjà attiré l’attention, lors du dénombrement des nombrespremiers, sans que l’on eût aperçu la possibilité d’établir une loi à ce sujet.

Il serait intéressant, dans un nouveau dénombrement, d’étudier l’in-fluence de chaque terme périodique contenu dans l’expression donnée pourla totalité des nombres premiers. Une marche plus régulière que celledonnée par π(x) serait obtenu à l’aide de la fonction f(x) qui, cela sereconnaît déjà très évidemment dans la première centaine, coïncide enmoyenne avec Li(x) + log ξ(0).

Bref, Riemann est capable de donner une formule analytique exacte del’erreur de son approximation mais il n’arrive pas à contrôler la taille dela partie oscillatoire à droite

π(x)−N∑n=1

µ(n)

nLi(x

1n ) =

N∑n=1

∑ρ

µ(n)

nLi(x

ρn ) + d’autres termes.

7. Coda

La publication du papier de Riemann “Sur le nombre des nombrespremiers inférieures à une grandeur donnée” que l’on a essayé de disséquerdans ce mémoire constitue l’un des événements les plus fondamentauxde toute l’histoire des mathématiques. Sa valeur précieuse ne se réduitpas aux résultats qu’il démontre : il faut prendre aussi en considérationl’influence des assertions sous-entendues ou même indémontrées sur deslecteurs tels que Hadamard, Siegel ou André Weil, pour n’en citer quequelques uns. À l’avis de l’auteur une lecture sagace du texte pourraitencore jeter une lumière nouvelle sur l’hypothèse de Riemann ou la non

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40 J. FRESÁN

moins mystérieuse distribution des zéros de la différence entre π(x) etl’approximation de Riemann.

Références

[BBC] P. Biane, J.-B. Bost, P. Colmez, La fonction zêta, Les éditions de l’ÉcolePolytechnique, Palaiseau, 2003.

[Ed] H. M. Edwards, Riemann’s zeta function. Pure and Applied Mathematics,Vol. 58. Academic Press, New York-London, 1974.

[Mo] M. Monastyrsky, Riemann, topology, and physics. Modern BirkhäuserClassics, Boston, 1999.

[R1] G. B. Riemann, “Ueber die Anzahl der Primzahlen unter einer gegebenenGrösse” en Gesammelte mathematische Werke, wissenschaftlicher Nachlassund Nachträge. Teubner-Archiv zur Mathematik, Suppl. 1. BSB B. G. Teub-ner Verlagsgesellschaft, Leipzig ; Springer-Verlag, Berlin, 1990, p. 177-187.

[R2] G. B. Riemann, “Sur les nombre des nombres premiers inférieures à unegrande donnée” en Œuvres mathématiques de Riemann. Gauthier-Villars, Pa-ris, 1898, p. 165-176.

[R3] G. B. Riemann, Partielle Differentialgleichungen, Lectures edited andprepared for publication by K. Hattenford, Vieweg, Braunschweig, 1876.

[W2] A. Weil, “Prehistory of the zeta-function” en Number theory, trace for-mulas and discrete groups, Academic Press, Boston, 1989, p. 1-9.

[W2] A. Weil, “On Eisenstein’s copy of the Disquisitiones” en Algebraic numbertheory, Adv. Stud. Pure Math., 17, Academic Press, Boston, 1989, p. 463-469.

J. Fresán, Département de Mathématiques, Institut Galilée, Université Paris13, 99 avenue J.B. Clément, 93430 Villetaneuse (France)E-mail : [email protected]