Les Medicis d' Alexandre Dumas.

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LES MÉDICIS PAR A L E X A N D R E D U M A S BRANCHE 41ΝÉE il on fut ainsi dos Médicis : un de leurs aïeux, disait-on, nommé Avérard de Médicis, se trou- vait vers la fin du huitième siècle, en Italie, à la suite de Charlemagne. Cette campagne du roi franc avait, comme 011 le sait, pour but de com- battre les barbares qui, à celle époque, infes- taient l'Italie. Avérard, défié par un géant lon- gobard nommé Jlugello, accepta le combat, lui 1 vainqueur, et selon la coutume du temps, bé- hriï. — Imp. Simon Il3;i!t V > ' , tu .JMturib. i. J droile ligne de Venu oui ce qui fut grand dans le monde essaya de se grandir encore par des commencements fabu- leux. Athènes se vantait d'avoir été fondée par Mi- nerve; Jules-César pré- tendait descendre en

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Drame d'Alexandre Dumas sur le clan des Médicis. Oeuvre du 19 ème

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  • LES MDICIS P A R

    A L E X A N D R E D U M A S

    B R A N C H E 4 1 E

    il on fut ainsi dos Mdicis : un de leurs aeux, disait-on, nomm Avrard de Mdicis, se trou-vait vers la fin du huitime sicle, en Italie, la suite de Charlemagne. Cette campagne du roi franc avait, comme 011 le sait, pour but de com-battre les barbares qui, celle poque, infes-taient l'Italie. Avrard, dfi par un gant lon-gobard nomm Jlugello, accepta le combat, lui 1 vainqueur, et selon la coutume du temps, b-

    hri. Imp. Simon Il3;i!t V > ' , tu .JMturib. i. J

    droile ligne de Venu

    oui ce qui fut grand dans le monde essaya de se grandir encore par des commencements fabu-leux. Athnes se vantait d'avoir t fonde par Mi-nerve; Jules-Csar pr-tendait descendre en

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    rita non-sculcment tics armes, mnis encore des biens < 111 vaincu. I)e l les chteaux, les villes e( les terres que les Mdieis possdrent ds l 'an-tiquit la plus recule dans cette partie du terri-toire florentin qui portait et qui porte encore aujourd 'hui le nom du gant; de plus, un coup de sa massue ayant imprim sur le bouclier d'or d'Avrard la marque de ses six nuds de 1er, Avrard en lit ses armes. La tradition ne dit pas comment ces trous concaves se changrent en boules convexes. Voil pour la fable.

    Maintenant voici pour l 'histoire. La race des Mdieis, au plus loin qu'on la dcouvre, ap-parat toujours grande et populaire : pendant tous les troubles qui rougirent le lis blanc de la rpublique, jamais elle ne changea ni son nom de famille, ni ses armes; ce qui prouve qu'elle ne fut jamais gibeline. Lorsque Totila s 'empara de Florence, les Mdieis quittrent la ville et se rfugirent dans le Mugello : de l l 'origine de leurs chteaux et de leurs maisons de campa-gne. Mais lorsque Charlemagne eut rebti Flo-rence et lui eut rendu par sa protection une certaine importance, les fugitifs revinrent habi-ter la ville; d 'abord ils demeurrent dans le fo-rum du roi, qui fut appel depuis le Vieux-Mar-ch, et qui tait celte poque le quart ier de toute la noblesse. Leurs premires maisons et leurs premires tours furent leves sur la place des Sucehiellinai, dj appele place des Mdi-eis, et furent enfermes dans l'enceinte du Ghetto.

    Quant leurs armes, qui, ainsi que nous l'avons dit, demeurrent toujours les mmes, leurs ennemis prtendaient que c'taient tout bonnement les pilules d 'un de leurs aeux qui tait mdecin, cl qui, ayant joui d 'une certaine clbrit, avait pris son nom et son blason de la profession qu'il exerait.

    Quoi qu'il en soit, il n'existe peut-tre pas une seule famille, non-seulement en Italie, mais encore dans aucun autre pays du monde, qui occupe une si large et si haute place dans l'his-toire de son pays, que le fait celle des Mdieis dans l 'histoire de Florence. En effet, la suprme magistrature des prieurs ayant t cre en l ' iS ' i , et le gonfalonirat dix annes aprs, un Mdieis Ardingo de Buonayenta tait dj prieur en 1291 , et gonfalonier en 129"); par la suite, la mme famille compta parmi ses membres soixante et un prieurs et trente-cinq gonfalo-niers.

    Veut-on savoir o en tait la famille des M-dieis vers la lin du quatorzime sicle? Ecoutons

    ce que dil d'elle-mme, dans un livre de souve-nirs crits de sa main, un de ses plus illustres lils, Fuligno di Conte, qui s'adresse ses des-cendants. Le manuscrit porte la date de l 'an-ne 1370 .

    Et je vous prie encore, dit-il, de conserver non-seulement la riche fortune, mais encore la haute position que vous ont acquise nos anc-tres, lesquelles sont grandes, el avaient coutume d'tre plus grandes encore, mais commencent baisser par la pnurie de vaillants hommes o nous nous trouvons cette heure; nous, dont c'tait la coutume de ne les pas compter, tant nous en avions; si bien que noire puissance tait si haute, qu'on disait lotit homme qui tait grand : Tu es grand comme un Mdieis; si bien que notre justice tait si connue, que, toutes les fois qu'on racontait un acte de vio-lence, on s'criait : Si un Mdieis avait fait cela, que dirait-on? Et cependant, comme, toute, dchue qu'elle est, notre famille est tou-jours la premire pour la position, les clients et la richesse, plaise au Seigneur de la conserver ainsi; car, au jour o j 'cris ces paroles, Dieu en soit lou, nous sommes encore environ, de notre race, cinquante hommes de cur.

    il est vrai que Fuligno di Conte de Mdieis crivait ces lignes la grande poque de la r-publique, c'est--dire entre Farinata des Uberli qui en fut le Coriolan, et Pietro Capponi qui en fut le Scipion.

    A Fuligno di Conte, connu par ses mmoires, succda Sylvestre de Mdieis, connu par ses ac-tions. Il tait n comme Dante venait de mouri r ; il avait jou enfant au pied du campanile de Giotlo, qui sortait majestueusement de terre; il avait connu Ptrarque et Boccace, qui, une anne de distance l 'un de l 'autre, taient alls rejoindre Dante; il tait contemporain de ce Coluccio Salutali, duquel Visconli disait qu'il redoutait plus une seule de ses lettres que mille cavaliers florentins; il avait assist celle trange conjuration de Ciompi qui avait tout chang dans la rpublique, en levant ce qui tait bas, en abaissant ce qui tait haut; il avait vu tomber sans jugement les ttes de Pietro 1-hizzi, de lacopo Sacchctti, de Donalo liarbadori. de Cipriano Mangione, de Giovanni Anselmi et de Filippo Slroz/.i, l'aeul de cet autre Slrozzi qui, deux sicles plus tard, devait mour i r aussi pour la rpublique; il avait vu exiler Michel de Lando, qui lui avait arrach des mains le gon-falon; il avait entendu raconter comment Jeanne

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    de Naples, sa-vieille ennemie, avait t touffe au chteau de Muro entre un matelas et un lit de plumes; il avait constamment habit Florence, ce ien t fe de la politique italienne : et cependant il avait trouv moyen de passer au milieu de loul cela sans perdre de sa popularit envers les

    arts, sans perdre de sa dignit parmi la noblesse. Les prceptes de Fuligno di Conte, sans doute

    I crits pour lui, furent donc suivis par lui; et Jean de Mdicis, en arrivant au gonfalonirat,

    ! trouva qu'au milieu des troubles civils sn maison | avait plutt grandi qu'elle n'avait dchu.

    Jean de Mdicis tait bien l 'homme qu'il fal-lait pour continuer cette grandeur . Veut-on con-natre non-seulement ce qu'en pensait, mais en-core ce qu'en crivait Machiavel, qui, comme on lsait , n'tait pas prodigue de louanges, qu 'on ouvre au livre IV son Histoire florentine, et 011 lira ce qui suit :

    Jean de Mdicis fut misricordieux en toutes choses: non-seulement il donnait l ' aumne qui

    [ la lui demandait , mais encore il allait au-devant des besoins de ceux qui ne la lui demandaient pas; il aimait d 'un gal amour tous ses conci-toyens, louant les bons, plaignant les mchants. Jamais il ne demanda aucun honneur, et il les eut tous; jamais il n'alla au palais sans y tre appel, mais pour toute chose importante ou l'y appelait. Il se souvenait des hommes dans leur malheur , et les aidait porter leur prosp-rit. Jamais au milieu des rapines gnrales il ne prit sa part du bien de l 'Iltat, et ne porta ja-mais la main sur le trsor public que pour l'aug-menter. Affable entre tous les magistrats, le ciel lui avait donn en sagesse ce qu'il lui avait re-fus en loquence; quoiqu'au premier abord il part mlancolique, on s'apercevait aux pre-miers mots qu'il tait d 'un caractre facile et gai.

    Il naquit l 'an 1300, fut lu deux fois prieur, une fois gonfalonier, et une fois des Dix de la guerre. Ambassadeur prs de Ladislas, roi de Hongrie, prs du pape Alexandre V et prs de la rpublique de Gnes, non-seulement il mena toujours bien les missions dont il tait charg, mais encore il acquit dans le maniement de ces hautes affaires une telle prudence, qu ' chaque fois sa puissance s'en augmenta prs des grands, et sa popularit prs des citoyens. (le fut surtout dans la guerre contre Philippe Visconti que sa sagesse clata doublement : car il s'tait d 'abord oppos cette guerre en prdisant l issuc fatale qu'elle devait avoir; et quand les vnements

    eurent justifi sa prdiction, et qu'aux impts dj existants il fallut ajouter un nouvel impt, contre son intrt et contre celui des grands, il l'tablit de manire qu'il frappait non seulement sur les biens territoriaux, mais encore sur les meubles, si bien que celui qui possdait cent florins devait dposer 1111 demi-florin dans le tr-sor de la patrie. Ce fut le premier exemple d'un impt report sur tous avec une gale propor-tion. Arriv ce point de sa vie, sa popularit tait si grande, qu'il et certes pu, aux applau-dissements de tous, s 'emparer de l 'autorit pu-blique; et beaucoup le lui conseillaient; mais il rpondit sans cesse ces mauvais conseillers qu'il ne voulait pas d 'autre autorit dans la r-publique que celle que la loi accordait aux au-tres citoyens comme lui.

    Jean de Mdicis tait en tout bni du Soi-gneur : il trouva dans Piccarda Bucri une femme digne de lui, et il en eut deux lils, Laurent l 'an-cien, et Cme, surnomm le Pre de la patrie.

    Il mourut vers la fin de fvrier 1428, et fut enseveli dans la sacristie de la basilique de Saint-Lauient, qui datait du quatrime sicle, et qui avait t incendie pendant l 'anne 1417 : les paroissiens avaient alors dcid de la faire reb-tir; mais Jean, le plus riche et le plus magnifi-que de tous, mcontent du plan mesquin qui lui avait t prsent, avait fait venir messire l i -lippo lirunelleschi, lequel devait trente ans plus tard s ' immortaliser par la coupole du dme, et lui avait command ses frais un monument plus noble et plus grand. Bruuelleschi s'tait mis l 'uvre; mais, si rapidement qu'et mar- !

    cl l l 'ouvrage, il n'tait point encore Uni lorsque Jean de Mdicis vint y rclamer sa place. Ses funrailles cotrent ses lils trois mille florins d'or; et ils l 'accompagnrent la spulture avec vingt-huit de leurs parents et tous les ambassa-deurs des diffrentes puissances qui se trou-vaient alors Florence.

    Ici s'opre, dans l 'arbre gnalogique des M-dicis, cette grande division qui prpare ses pro-tecteurs aux arts et ses souverains la Toscane. La lige glorieuse dans la rpublique continuera de monter avec Cme, l'an des lils de Jean de Mdicis, et donnera le duc Alexandre. La bran-che s'cartera avec Laurent son frre, et, glo-rieuse dans le principat, elle donnera Cme Ier.

    L're brillante de la rpublique florentine tait venue. Les arts naissaient de tous cts, lirunelleschi btissait ses glises, Donatello tail-lait ses statues, Orgagna dcoupait ses portiques,

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    Masaccio peignait ses chapelles; enfin la prosp-rit publique, marchant d 'un pas gal avec les progrs des arts, l'aisait de la Toscane, place entre la Lombardie, les tats de l'Eglise et la rpublique vnitienne, le pays non-seulement le plus puissant, mais encore le plus heureux de l'Italie. Cme arrivait donc dans des circonstan-ces favorables.

    En hritant des richesses prives de son pre, Corne avait hrit aussi de son influence dans les affaires publiques. Ee parti que ses anctres avaient constamment suivi, et qu'il avait lui-mme l 'intention de suivre, tait le parti form parles Alberti, parti qui avait pour but de limi-ter l 'autorit de l'oligarchie, en relevant celle du 1 peuple. Aussi prudent que son pre, mais d 'un caractre plus ferme que lui, les actes de Cme avaient plus de vigueur, sa parole plus de li-bert, son intimit plus d 'panchement . En de-hors du gouvernement, il ne l 'attaquait point, mais aussi il ne le flattait pas. Faisait-il bien, il tait sur de sa louange : faisait-il mal, il tait certain de son blme. Et cette louange et ce blme taient d 'une importance suprme : car sa gravit, ses richesses et ses clients donnaient t.'me l'influence d 'un homme public : il n'tait point encore le chef du gouvernement, mais dj plus que cela peut-tre, il en tait le cen-seur.

    L 'homme qui dirigeait alors les a flaires de Florence tait Renaud des Albizzi. Son caractre, tout au contraire de celui de Cme, tait impa-tient et orgueilleux; de sorte (pie, comme lia-vers le masque d'impartialit dont se couvrait son adversaire il pntrait ses esprances, tout de sa part lui devenait insupportable, blme et louange. En outre, les jeunes gens qui taient avec lui aux affaires taient aussi impatients que lui de ce froid contrle, et n 'attendaient qu'une occasion pour en venir une rupture ouverte et arme, et pour chasser Cme de la ville; mais ils taient retenus par la froide main d 'un homme qui avait vieilli au milieu des divers mouvements de la rpublique, el dont les che-veux avaient blanchi au milieu des meutes po-pulaires. En effet, Nicolas d Tzzano , chef de la rpublique cette poque, avait vu les Floren-tins. pouvants du gouvernement sanguinaire de Ciompi, las de voir tomber des ttes, se ral-lier ceux qui lui promettaient un gouverne-ment plus tranquille; mais ceux-l avaient leur tour dpass leur mandat , et ils sentaient peu peu les citoyens s loigner d eux, repous-

    ss qu'ils taient par leur hauteur et par leur orgueil, et se rapprocher de celui qui leur pro-mettait par ses antcdents un gouvernement plus populaire. Quant Cme, il voyait s 'amon-celer contre lui la colre contenue, mais cela sans mme tourner la tte du ct o menaait l 'orage, et tout en faisant achever la chapelle Saint-Laurent, btir l'glise du couvent des do-minicains de Saint-Marc, lever le monastre de Sainl-Frdiano, et jeter les fondements du beau palais Riccardi. Puis, lorsque ses ennemis me-naaient trop ouvertement, il quittait Florence et s'en allait dans le Mugcllo, berceau de sa race, btir le couvent du liosco et de Saint-Franois, rentrait pour donner un coup d'il ses chapelles du noviciat des pres de Sainte-Croix, du couvent des Anges, des camaltkiles; puis il sortait de nouveau pour presser ses villas magnifiques de Careggi, de Cafaggiolo, de Fi-sole et de Trebbio; fondait Jrusalem un hpi-tal pour les pauvres plerins, puis s'en revenait voir o en tait son beau palais de Via Larga.

    lt toutes ces btisses immenses poussaient la fois, occupant un monde de manuvres, d'ouvriers et d'architectes : cinq cent mille cus y passaient, c'est--dire cinq six millions de notre monnaie actuelle, sans que le fastueux citoyen part appauvri par cette ternelle et royale dpense.

    C'est qu'en effet Cme tait plus riche que bien des rois de l 'poque : son pre Jean lui avait laiss quatre cinq millions; et lui, par le change, il avait dcupl son patrimoine; il avait, dans les diffrentes places de l 'Europe, tant sous son nom que sous celui de ses clients, seize mai-sons de banque : Florence, tout le monde lui devait, car sa bourse tait ouverte tout le monde; et cette gnrosit tait tellement aux yeux de quelques-uns l'effet d 'un calcul, qu'on disait qu'il avait l 'habitude de conseiller la guerre pour forcer les citoyens ruins recourir lui. Ainsi avait-il fait lors de la guerre de Eucques; si bien que Varchi dit de lui, qu'avec ses vertus visibles et patentes, et avec ses vices secrets et cachs, il se lit chef et presque prince d 'une r-publique dj plus esclave que libre.

    On doit comprendrequelletait l ' influence d 'un pareil homme, qui, malgr tout cela, ne trouvant point encore assez d'argent dpenser dans sa patrie, fondait Venise la bibliothque des cha-noines rguliers de Saint-Georges, el prtait trois cent mille cus Henri IV, roi d'Angleterre, lequel reconnaissait que c'tait ces trois cent

  • Vue do Florcnco.

  • LUS MEDICIS

    Son gelier le rassura en gotant le premier les mois qu'il venait de lui servir. Page (i

    mille cus qu'il (levai! le recouvrement de son royaume.

    l'Ius cette puissance s 'tendait, enveloppant Florence comme un iilet dor, plus la haine de l lenaud des Alhi/.zi croissait contre Cme, et plus le vieux Nicolas d'Uzzano recommandait de ne rien faire ouvertement contre un homme qui avait entre les mains de pareils moyens de rsistance. Mais Nicolas d'Uzz.mo mourut ; et Renaud des Albizzi, demeur la tte du parti , n 'attendait plus pour clater qu 'une chose, c'est que le hasard donnt la rpublique une sei-

    gneurie o ses partisans fussen! en majorit : or, comme le tirage au sort des magistrats avait lieu tous les trois mois, il y avait chance qu 'une fois sur quatre la fortune favorist ses calculs; ce n'tait donc que six mois ou tout au plus une anne attendre.

    Les prvisions de Renaud des Albizzi ne l'a-vaient point tromp. Au bout de deux ou trois renouvellements, le sort lui donna pour gonl'a-lonier, pour les mois de septembre et d'octo-bre 1433, Bernard Guadagni; et huit autres no-bles ennemis de Cme, entrs en mme temps

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    la seigneurie, assurrent Renaud une majo-rit. Guadagni tait au reste entirement la dvotion de lienaud, auquel il devait non-seule-ment le payement de ses dettes, mais encore l'ac-quit de ses contributions; et, ne possdant rien, il n 'avait rien perdre et tout gagner dans une commotion civile.

    L'impatience de la haine empcha Renaud d 'at tendre plus longtemps. Sr de sa majorit, il lit sommer le 7 dcembre Cme de Mdieis de comparatre au palais. Les amis de Cme s'ef-frayrent, et lui conseillrent de fuir ou d'appe-ler aux armes ses partisans; mais aucun de ces lieux conseils n'tait dans son caractre : il prit de l 'or, i[ii il cacha sur lui, et alla se prsenter devant la seigneurie.

    C'tait un tribunal qui l 'attendait : une accu-sation de pculat tait porte contre lui propos de la guerre de Lucqucs, et cette accusation en-tranait la peine de mort . On le lit arrter et en-fermer dans la tour du palais.

    Ce fut dans cette tour, qui existe encore au-jourd 'hui , que Cme passa certes les quatre jours les plus agits de sa vie; car pendant quatre jours il n'osa manger , de peur que la nourr i ture qu'on lui apportait ne lt empoisonne : enfin son gelier, s 'tant aperu de cette crainte, le rassura en gotant lui-mme le premier les mets qu'il venait de lui servir. Cme, voyant qu'il avait dans cet homme un ami, lit remettre par lui mille llorins Bernard de Guadagni, afin que celui-ci demandt son exil au lieu de demander sa tte.

    Bernard des Albizzi convoqua une blie pour juger les criminels qui avaient conspir contre le salut de l 'Etat.

    La blie tait un tribunal que le peuple nom-mait dans les grandes occasions pour venir en aide la seigneurie. Au premier abord 011 pour-rait croire que celte nomination, qui semble le vu de tous, promettait un tribunal impart ial ; il n'en tait point ainsi : quand la seigneurie convoquait le peuple, le peuple savait d'avance dans (piel but il tait convoqu; alors tous les citoyens dont les opinions se trouvaient en har-monie avec le but que se proposait la seigneurie accouraient sur la place publique, tandis qu 'au contraire les opposants, ou n'y venaient pas par crainte, ou en taient carts par violence. Il en fut pour Cme ainsi que cela avait l 'habitude d'tre; de sorte que les deux cents citoyens lus par le peuple se trouvaient tre des partisans de Renaud des Albizzi.

    Benaud des Albizzi se croyait donc sr d'obte-nir enfin sa vengeance. Cme fut amen devant la blie; et Guadagni rapporteur l'accusa d'avoir l'ait chouer les entreprises des Florentins sur Lucqucs en rvlant les projets de la rpublique | Franois Sforza son ami. La blie tout entire j avait accueilli l'accusation en tribunal dcid d'avance croire tout ce qu 'on lui dira et pu-nir en consquence, lorsque, au grand tonne-nient de Renaud des Albizzi, Guadagni, au lieu de conclure la mort , conclut l'exil Les mille florins de Cme avaient t sems en bonne terre; et cette fois l ' intrt qu'ils rapportaient tait la vie de celui qui les avait placs.

    Cme fut pour dix ans exil S'avone; le reste de sa famille et ses amis les plus intimes parta-grent sa proscription; ils quittrent Florence dans la nuit du octobre, et, en mettant le pied sur le territoire de Venise, ils furent reus par une dputalion qu'envoyait au-devant d'eux la reine de l 'Adriatique.

    Cependant cette proscription de ses plus illus-tres citoyens avait t accueillie par Florence avec ce silence dsapprobateur qui poursuit tou-jours les actions impopulaires des gouvernants. Cme absent, il sembla la capitale de la Tos-cane qu'on venait de lui enlever le cur : l 'ar-gent . ce sang commercial des peuples, semblait s 'tre tari son dpart ; tous ces immenses tra-vaux commencs par lui taient rests interrom-pus; maisons de campagne, palais, glises, peine sortis de terre, moiti btis, ou 11011 en-core achevs, semblaient autant de ruines indi-quant qu 'un malheur avait pass par la ville. Devant les btisses interrompues, les ouvriers s'assemblaient demandant l 'ouvrage et le pain qu'on leur avait ls, et chaque jour les groupes devenaient plus nombreux, plus alfa mes et plus menaants. Jamais Cme n'avait t plus in-fluent Florence que depuis qu'il n'y tait plus.

    Lui, pendant ce temps, fidle son systme de politique pcuniaire, faisait rclamer ses j nombreux dbiteurs, mais doucement, sans me- I naces, comme un ami dans le besoin et non 1 comme 1111 crancier qui poursuit , les sommes qu'il leur avait prtes, disant que l'exil seul le forait une pareille demande, qu'il n 'eut certes pas faite de sitt s'il et continu de demeurer Florence et d'y grer par lui-mme ses immen- | ses affaires : si bien que, pris au dpourvu, la plupart de ceux auprs desquels il poursui- ! vait des recouvrements, ou ne purent les r em- J

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    bourser, ou se gnrent en le remboursant , ce qui lit monter le mcontentement des ouvriers aux citoyens.

    Nul n'avait rien dit encore, et cependant, quoiqu 'un an peine se ft coul depuis l'exil de Cme, l ' impopularit du nouveau gouverne-ment tait son comble. Alors, comme il arrive presque toujours dans cette existence providen-tielle des Etats, le sort qui s'tait dclar un an auparavant pour Renaud des Albizzi se dclara tout coup pour Cme de Mdicis. Nicolas de Corso Donati l'ut appel au gonfalonirat pour les mois de septembre et octobre 1434, el. avec lui furent lus huit seigneurs publiquement connus pour tre partisans des Mdicis : Flo-rence salua leur lection par un cri de joie.

    Renaud des Albizzi comprit ce que lui pro-mettait celte dmonstration populaire. Trois jours, selon l 'usage, devaient s'couler entre la nomination des nouveaux lus el leur entre en exercice; pour trois jours encore Renaud des Albizzi riait le matre : il voulut en profiter pour crer une blie, et pour faire annuler par elle l'lection qui venait d'avoir lieu; mais les plus chauds partisans de Renaud avaient compris quel terrain dvorant tait cette lutte sur la place publique, teinte depuis un sicle du plus noble sang de Florence. Aussi Renaud des 1-

    I bizzi ne trouva -t-il en eux qu 'une insurmonta-ble froideur; et il lui fallut attendre les vne-ments au-devant desquels il voulait marcher.

    Ces vnements arrivrent prompls cl irrsis-tibles comme la foudre. A peine entr en fonc-tions, Corso Donati lana sur son prdcesseur la mme accusation de pculat dont celui-ci avait poursuivi Cme, el le cita comparatre au

    ; palais de la mme faon que Cme avait t cit il y avait un an : mais, au lieu de suivre l'exem-ple de son prdcesseur, et de reconnatre la comptence du tr ibunal qui le forait compa-raitre, Renaud des Albizzi, accompagn de Ni-

    j colas Rarbadori et de Ridolfo Peruzzi, se rendit j en armes sur la place de San-Palinari avec tout

    ce qu'il put trouver de gens disposs soutenir | sa cause. Corso Donati n'avait pas cru cette

    prompte leve de boucliers; el, n'ayant pas dans la ville des forces suffisantes pour combattre les rebelles, il entra en pourparler avec eux. Ceux-ci firent la faute de ngocier au lieu de marcher sur le palais. Pendant la ngociation, le gonfa-lonier et la confrrie firent rentrer Florence les soldats pars dans les environs; puis, lors-

    ! qu'ils se sentirent sous la main une puissance

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    suffisante, ils convoqurent le peuple pour lire une blie. Cette fois les amis des Mdicis firent leur tour ce qu'avaient fait les amis des Albizzi; ils se rendirent en foule au palais, et l'lection donna deux cents juges dont on aurait pu d'a-vance faire signifier la sentence : cette sentence fut la proscription de Renaud des Albizzi et le rappel de Cme.

    Renaud des Albizzi reconnut aux cris de joie de la ville tout entire qu'il tait perdu lui et les siens s'il essayait mme de lutter contre l'opi-nion publique. Il se relira donc silencieux et sombre, niais sans rsistance et sans murmure , et avec lui tomba le gouvernement oligarchique qui avait tir Florence des mains viles et san-glantes de Ciompi, pour la porter sinon au plus haut degr de sa prosprit, du moins au plus haut degr de sa gloire. Trois membres de cette famille, Maso des Albizzi. Nicolas d Uzzano el Renaud des Albizzi, s'taient, pendant l'espace de cinquante-trois ans , succd au pouvoir, sans que ni les uns ni les autres eussent jamais cess d'tre simples citoyens. Contre leur sa-gesse calme et froide, contre leur intgrit h-rditaire, contre leur patriotisme inbranlable, taient venus se briser les projets de Jean Galas de Milan, les agressions de l.adislas, roi deNa pies, et les tentatives de Philippe Marie Visconti. Comme autrefois Pompe et Caton, ils s'en al-laient chasss par le Ilot populaire; mais, Flo-rence comme Rome, le Ilot apportait avec lui les tyrans futurs le la patrie : le retour de Cme tait, il esl vrai, la victoire de la dmocratie sur l 'aristocratie; mais le tr iomphateur tait par sa fortune et par ses richesses trop au-dessus de ceux qui l'levaient encore, pour qu'il les con-sidrt longtemps, je ne dirai pas comme des gaux, mais comme des citovens. En effet, D 1 J 1 partir de ce moment, Florence, qui s'tait con-stamment appartenue elle-mme, allait deve-nir la proprit d 'une famille qui, trois fois chasse, devait trois fois revenir, et lui rapporter d 'abord des chanes d'or, ensuite des chanes d 'argent, et enfin des chanes de 1er. '

    Cme rentra au milieu des ftes et des illumi-nations publiques, el il se remit son com-merce, ses btisses et ses agiotages, laissant ses partisans le soin de poursuivre sa ven-geance. Elle fut cruelle. Antoine, fils de ce Re-naud Guadagni, qui l'avait sauv pour mille florins, fut dcapit avec quatre autres jeunes gens de ses amis; Cme Rarbadori et Zanobi

    1 Beifratclli furent arrts Venise, livrs par le

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    Il se mit en dfense, en appelant son aide ses deux cuyers. l'ge 13.

    gouvernement vnitien, et reparurent Flo-rence pour monter sur un mme chafaud. Cha-que jour de nouvelles sentences d'exil allaient frapper les citoyens dans leur famille; et les sen-

    : tenees taient plus ou moins svres, selon que la fortune ou la position de ceux qu'elles frap-paient en pouvaient faire pour Cme des ennemis plus ou moins dangereux. Enfin les proscrip-tions furent si nombreuses, qu 'un des plus grands partisans de Cme crut devoir aller lui dire qu'il finirait par dpeupler la ville : Cme leva la fle d 'un calcul de change qu'il faisait,

    posa la main sur l 'paule de son ami, et, le re-gardant fixement avec un imperceptible sour i re : J 'a ime mieux, lui dit-il, la dpeupler que la 1

    perdre. Et l'inflexible arithmticien se remit ses chiffres.

    Cme mourut dans sa villa de Careggi le I " aot 1404, l'ge de soixante-quinze ans, sans avoir vu baisser un seul instant son im-mense popularit. Sous lui les arts et les sciences

    l avaient fait un pas immense : Donatello, liru-nelleschi, Masaccio, avaient travaill sous ses

    1 yeux et d 'aprssesordres ; Constanlinople tomba

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    tout exprs pour lui donner l'occasion de re-cueillir an palais Riccardi les savants grecs qui fuyaient devant Mahomet II, emportant avec eux l 'hritage d 'Homre, d 'Euripide, de Platon; enfin son propre pays, le couronnant de cette aurole qui trompa la postrit, le salua sur son lit de mort du titre de Pre de la patrie.

    Dcs-deux fils qu'il avait eus de la comtesse Bardi sa femme, un seul lui survcut. Mais Pierre n'avait hrit que de l 'esprit commercial de sa famille : il se contenta donc d 'augmenter

    ses richesses; et, plac entre Cme le Pre de la patrie et Laurent le Magnifique, il obtint pour

    j tout surnom celui de Pierre le Goutteux. 11 laissait de sa femme Lucrezia Tornabuoni

    deux lils, lesquels, malgr les recommandations expresses faites par le dfunt de le porter sans pompe l'glise Saint-Laurent, lui levrent, ainsi qu' leur oncle Jean, un tombeau magnifi-que : ces deux fils n'taient alors que deux en-fants, dont l 'un s'appelait Lauren t , et l 'autre Julien.

    La mauvaise sant, l ' impritie et l'avarice de Pierre avaient t fatales la rpublique : pen-dant les quinze annes, selon les uns, ou les six annes, selon les autres, que, succdant son pre, il se trouva de fait sinon de droit chef de la rpublique, Florence, engourdie dans le repos qui suit les grandes catastrophes, cessa de diri-ger, comme elle l 'avait fait jusqu 'alors , les af-faires de l'Italie, et du premier rang descendit au second. La seule marque de distinction que Pierre reut peut-tre des autres Etats de l 'Eu-rope, fut une lettre de Louis XI, qui l'autorisait charger des trois Heurs de lis de France une des boules qui formaient ses armes.

    Durant cette priode, que l'on peut fixer de l 'anne 1104 l 'anne 1470, les citoyens qui gouvernrent Florence furent Andr de Pazzi, Thomas Soderini, Matteo Palmicri et Louis Guic-ciardini. *

    Quant Pierre, retenu par ses souffrances et ses calculs d'agiotage dans l 'une ou l 'autre de ses villas, il ne venait Florence que dans les grandes occasions, et pour ne pas se laisser tout fait oublier du peuple; alors on l 'apportait dans sa litire, travers les ouvertures de la-quelle il saluait comme un roi.

    A sa mort, ceux qui avaient gouvern pen-dant. sa vie ne dsesprrent point de conserver le mme pouvoir. Laurent, l 'an des deux lils de Pierre, tait n le 1er janvier 1418, et avait peine vingt et un ans; il ne pouvait donc de sitt

    avoir la prtention de prendre de l'influence sui-de vieux magistrats qui avaient blanchi dans le maniement des affaires publiques ; aussi, loin d' inspirer de la crainte Thomas Soderini, que les autres gouvernants semblaient avoir tacite-ment reconnu pour leur chef, celui-ci renvoya-t-il aussitt aux deux Mdicis les ambassadeurs et les citoyens qui, la nouvelle de la mort de Pierre, taient venus droit lui. Mais les deux jeunes gens les reurent avec une telle modes-tie, que nul, en les voyant si humbles, no prit l 'avenir en dfiance.

    En effet, six ou sept ans se passrent dans j une tranquillit profonde, et sans que Laurent j ni son frre, occups d'achever leurs tudes et de runir des statues antiques, les pierres gra-ves et les tableaux de l'cole florentine nais-sante, donnassent aucune inquitude, mme ce qui restait de vieux rpublicains : ils taient tout-puissants, il est vrai, mais ils semblaient tellement eux-mmes ignorer leur puissance, qu'on la leur pardonnait en voyant le peu d'abus qu'ils en faisaient. De temps en temps, d'ail-leurs, les Mdicis donnaient au peuple de si belles ftes, et cela d 'une faon qui paraissait si dsintresse, qu 'on et t mal venu essayer de combattre leur populari t .

    A peine matres de l ' immense fortune que leur avait laisse leur pre, une occasion se prsenta

    | de faire preuve de leur magnificence : au prin-[ temps de 1471, on annona que le duc Galas,

    pour accomplir un vu, s 'apprtait l'aire Florence un plerinage avec sa femme Bonne de Savoie.

    On apprit , en effet, qu'il s 'tait mis en route avec une pompe et un faste inconnus jusqu'alors : douze chars couverts de drap d'or taient ports dos de mulets travers les Apennins, o nulle route fraye ne permettait encore de passer en voilure; ils taient prcds de cinquante liaque-nes pour la duchesse et ses femmes, et de cin-quante chevaux pour le duc et ses gardes, et taient suivis de cinq cents fantassins, de cent hommes d 'armes, et de cinquante estafiers ha-bills de drap de soie et d 'argent; cinq cents va-lets tenaient en laisse cinq cents couples de chiens pour la chasse, et vingt-cinq autres por-taient sur leur poing vingt-cinq faucons, dont le duc avait l 'habitude de dire qu' i l ne donnerait pas le moindre pour deux cents florins d'or. Enfin, une somme d'environ huit millions de notre monnaie actuelle formait le trsor destin taler la puissance de celui qui, cinq ans plus

  • 10 LES MDICIS.

    tard, devait tre misrablement assassin dans l'glise de Saint-Ambroise de Milan.

    La rpublique ne voulut pas tre en reste de i magnificence avec son alli : elle dcida que tonte la suite du duc serait loge et nourrie aux

    frais de l 'Etat . Laurent rclama pour lui le droit de recevoir Galas, et, celui-ci vint habiter le pa-lais Riccardi.

    L, le faux luxe du duc milanais s'clipsa de-vant la vritable magnificence du bourgeois flo-rentin .

    Laurent n 'avait pas, comme son hte illus-t re , des habits couverts d'or et de d iamants , mais ses cabinets renfermaient toutes les mer-veilles de l 'art antique et tous les essais de l 'art moderne; il n 'avait pas comme Galas un monde de courtisans et de valets, mais il tait entour d 'un cercle d 'hommes illustres, de savants et d'artistes, comme aucun roi de l 'poque n'en au-rait pu avoir un. C'taient les Politien, les Er-

    j molao, les Chalcondyle, les Lascaris, les Andr I Mantgne, les Prugin, les Bramante et les Lo-

    nard de Vinci. Le duc de Milan fut tonn de pareilles richesses, et reconnut que l'on pouvait tre plus grand que lui.

    Aussi son sjour Florence fut-il de courte dure; mais , si peu qu'il resta dans la cit dont jusqu 'alors on avait vant l 'conomie commer-ante, ce fut assez pour l'blouir par l'aspect de sa magnificence, de son oisivet et de sa galan-terie. Laurent sentit la ville tout entire frisson-ner de dsirs; il comprit que Florence tait vendre comme une courtisane, et qu'elle serait i lui s'il tait assez riche pour l 'acheter.

    Aussi, partir de ce moment , redoubla-f-il de magnificence : chaque jour c'tait quelque nouvelle fte qui avait pour but d'occuper le peuple cl de substituer une vie de mollesse et de plaisir la vie active qu'il tait habitu mener .

    1 II est vrai qu ' mesure que les Florentins, fati-gus des affaires, abandonnaient des mains qui l 'amusaient le gouvernement de la rpubli-que, celle-ci devenait de plus en plus trangre la politique gnrale de l'Italie. Aussi tout tom-bait-il dans une torpeur universelle et inaccou-tume. Florence. la ville des dlibrations bruyantes et des meutes populaires, n'avait plus ni cris ni menaces, mais seulement des louanges et des encouragements. Laurent lui donne des ftes, Laurent lui chante des vers. Laurent fait reprsenter des spectacles dans ses glises : que faut-il de plus Florence, et qu 'a-t-elle besoin de se fatiguer des journes labo-

    rieuses, quand les Mdicis veillent et travaillent pour elle !

    Cependant il restait quelques hommes qui, il faut le dire encore, plutt par intrt priv que par amour du bien public, suivant des yeux ces envahissements successifs de Laurent et de son frre, attendaient le moment de rendre malgr lui la libert ce peuple qui en tait las. Ces hommes taient les Pazzi.

    Jetons un regard en arrire, et faisons cou- j natre nos lecteurs la cause decette haine, afin qu'ils puissent dmler clairement ce qu'il y avait d'gosme ou de gnrosit dans la conspi-ration que nous allons leur raconter .

    En 1201, le peuple, lass des dissensions obsti-nes de la noblesse, de son ternel refus de se sou-mettre aux tr ibunaux dmocratiques, et des vio-lences journalires par lesquelles elle entravait le gouvernement, avait rendu, sous le nom d'Oi'di-namenti dlia Giustizia, une ordonnance qui ex-cluait perptuit du priorat trente-sept familles des plus nobles et des plus considrables de Flo-rence, sans qu'il leur ft permis de reconqurir jamais les droits de cit, soit en se faisant enre-gistrer dans un corps de mtier, soit mme en exerant rellement une profession; de plus, la seigneurie fut autorise ajouter de nouveaux noms ces trente-sept noms chaque fois qu'elle croirait s'apercevoir que quelque nouvelle fa-mille, disait l 'ordonnance, en marchant sur les traces de la noblesse, mritait d 'tre pu-nie comme elle. Les membres des trente-sept familles proscrites furent dsigns sous le nom de Magnats, titre honorable qui devint ds lors un titre infamant.

    Cette proscription durait depuis cent qua-rante-trois ans, lorsqu'en 1434 Cme de M-dicis, ayant chass de Florence Renaud des Al-bizzi et la noblesse populaire qui gouvernait avec lui, rsolut de renforcer son parti de quelques-unes des familles exclues du gouvernement, en permettant plusieurs d 'entre elles de rentrer dans le droit commun, et de prendre, comme l'avaient fait autrefois leurs aeux, une part ac-tive aux affaires publiques. Plusieurs familles acceptrent ce rappel politique, et la famille Pazzi fut du nombre . Elle fit plus ; oubliant qu'elle tait de noblesse d'pe, elle adopta franchement sa position nouvelle, et ouvrit une

    | maison de banque qui devint bientt l 'une des | plus considrables et des plus considres de j l 'Italie; si bien que les Pazzi, suprieurs aux ! Mdicis comme gentilshommes, devenaient en-

  • LES MEDICIS.

    core leurs rivaux comme marchands. Cinq ans plus tard, Andr des Pazzi, chef de la maison, sigeait dans la seigneurie, dont ses anctres avaient t exclus pendant un sicle et demi.

    Andr des Pazzi eut trois fils : un d'eux,pousa la petite-fille de Cme, et devint le beau-frre de Laurent et de Julien. Tant qu'avait vcu l 'am-bitieux vieillard, il avait maintenu l'galit entre ses enfants en traitant son gendre comme s'il et t son propre fils : car, en voyant combien promptement cette famille des Pazzi tait deve-nue riche et puissante, il avait voulu non-seule-ment s'en faire une allie, mais encore une amie. En effet, la famille s'tait accrue en hommes aussi bien qu'en richesses; car les deux frres qui s'taient maris avaient eu, l 'un cinq lils, et l 'autre trois. Elle grandissait donc de toutes fa-ons, lorsque, contrairement la politique de son pre, Laurent de Mdicis pensa qu'il tait de son intrt de s'opposer un plus grand ac-croissement de richesse et de puissance. Or, une occasion de suivre cette nouvelle politique se prsenta bientt : Jean des Pazzi ayant pous une des plus riches hritires de Florence, fille de Jean Borromei, Laurent , la mort de ce-lui-ci. fit rendre une loi par laquelle les neveux mles taient prfrs mme aux filles; et celle loi. contre toutes les habitudes, ayant t ap-plique la femme de Jean des Pazzi, celle-ci perdit l 'hritage de son pre, et cet hritage passa ainsi des cousines loignes.

    Ce ne fut pas la seule exclusion dont les Pazzi furent victimes : leur famille se composait de neuf hommes ayanl l'ge et les qualits requises pour exercer la magis t ra ture; et cependant tous avaient t carts de la seigneurie, l'exception de Jacob, celui des fils d'Andr qui ne s'tait ja-mais mari, et qui avait t gonfalonier en 1409, c'est--dire du temps de Pierre le Goutteux et de Jean, mari de sa sur, et qui une fois avait sig parmi les prieurs de la seigneurie. Un tel abus de pouvoir blessa tellement Franois Pazzi, qu'il s'expatria volontairement, et s'en alla prendre Rome la direction d 'un de ses principaux comp-toirs. L il devint banquier du pape Sixte IV et de Jrme Riario son fils, les deux plus grands ennemis que les Mdicis eussent alors dans toute l'Italie : le rsultat de ces trois haines runies fut une conjuration dans le genre de celle qui, deux ans auparavant, c'est--dire en 1470, avait priv de la vie Galas Sforza dans la mtropole de Milan.

    Une fois dcids tout t rancher par le fer,

    11

    Franois Pazzi et Jrme Riario se mirent la recherche des complices qu'ils pourraient recru-ter. Un des premiers fut Franois Salviati, ar-chevque de Pise, auquel, par inimiti pour sa famille, les Mdicis n'avaient pas voulu laisser prendre possession de son archevch. Vinrent ensuite Charles de Montone, fils du fameux con-dottieri Braccio, qui tait sur le point de s 'em-parer de Sienne lorsque les Mdicis l ' a r r trent ; Jean-Baptiste de Montesecco, chef des sbires au service du pape; le vieux Jacob des Pazzi, qui autrefois avait t gonfalonier; deux autres Sal-viati, l 'un cousin et l 'autre frre de l 'archevque; Napolon Francezi, Bernard Bandini, amis cl compagnons de plaisir des jeunes Pazzi ; enfin Etienne Bagrioni, prtre et matre de langue la-tine, professeur d 'une fille naturelle de Jacob Pazzi, el Antoine Malfei, prtre de Voltcrra et scribe apostolique. Un seul Pazzi, Ren, neveu de Jacob et fils de Pierre, refusa obstinment d 'entrer dans le complot, et se retira la campa-gne pour qu 'on ne put l'accuser de complicit.

    Tout donc tait d 'accord, et la seule difficult qui s'oppost dsormais la russite de la con-juration tait de pouvoir runir Laurent et Ju -lien dans un endroit public, et loin de leurs amis. Le pape espra faire natre cette occasion en levant la dignit de cardinal le neveu du comte Jrme, Raphal Riario, qui , peine g de dix-huit ans, terminait alors ses tudes Pise.

    En effet, un pareil vnement devait tre l'oc-casion de ftes extraordinaires; car, bien qu'au fond du cur les Mdicis fussent ennemis du pape, ils gardaient ostensiblement toutes les ap-parences d 'une bonne et respectueuse amiti en-tre la rpublique etle saint-sige. Jacob des Pazzi invita donc le nouveau cardinal venir dner chez lui Florence, et il porta sur la liste de ses convives Laurent el Julien. L'assassinat devait avoir lieu la fin du d n e r : mais Laurent vint seul; retenu par une intrigue d 'amour, Julien avait charg son frre de l'excuser : il fallut re-mettre un autre jour l'excution du complot. Ce jour , on le crut bientt arriv; car Laurent, ne voulant pas tre en reste de magnificence avec les Pazzi, avait son tour invit le cardinal Fisole, et avec lui tous ceux qui avaient assist au repas donn par Jacob. Mais cette fois encore Julien manqua; il souffrait d 'un mal de jambe : force fut donc de remettre encore l'excution du complot une nouvelle occasion.

    Tout fut enfin fix pour le 2 0 avril 1478. se-lon Machiavel. Pendant la matine de ce jour ,

  • '12 LES MEDICIS.

    qui tait jour de fte, le cardinal Biario devait entendre la messe dans la cathdrale; et comme il avait fait prvenir de son intention Laurent et Julien, il tait probable que ceux-ci ne pourraient pas se dispenser d'assister la crmonie. On psvint tous les conjurs de celte nouvelle dispo-sition, et l'on distribua chacun le rle qu'il de-vait jouer dans cette sanglante tragdie.

    Franois Pazzi et Bernard Bandini taient les plus acharns contre les Mdieis; et comme en mme temps ils taient les plus forts et les plus adroits, ils rclamrent pour eux Julien, c a r i e bruit courait que, timide de cur et faible de corps, Julien portait habituellement une cuirasse sous ses vtements, ce qui rendait l'assassinat plus difficile et plus dangereux. Le chef des sbi-res pontificaux, Jean-Baptiste Montesecco, avait dj reu et accept la mission de tuer Laurent dans les deux repas auxquels il avait assist, et o l 'absence de son frre l'avait sauv; et l 'on ne doutait pas que cette fois il ne ft d'aussi bonne volont que les aut res : mais, au grand tonne-ment de tous, lorsqu'il eut appris que l'assassi-nat devait s 'accomplir dans une glise, il refusa, en disant qu'il tait prt un meur t re , mais non un sacrilge, et que pour rien au inonde il ne le commettrait , si on ne lui montrait un bref d'absolution du pape. Malheureusement 011 avait nglig de se munir de cette pice importante, de sorte que, malgr les plus grandes instances, Montesecco continua de refuser. On s'en remit donc, pour frapper Laurent, Antoine de Vol-terra et Etienne Bagnoni, qui, en leur qualit de prtres, dit navement Antoine Galli, avaient un respect moins grand pour les lieux sacrs : le moment choisi pour agir tait celui o l'officiant lverait l 'hostie.

    Mais tout n 'tait pas accompli avec la mort des deux frres : il fallait encore s 'emparer de la seigneurie, et forcer les magistrats sanction-ner le meurtre aussitt que le meurtre serait excut.

    Ce soin fut confi l 'archevque Salviati, quise rendit au palais avec Jacques Bracciolini et une trentaine de conjurs : l 'entre principale il en laissa vingt, lesquels, mls au peuple qui allait et venait, devaient rester l inaperus jusqu'au moment o, un signal donn, ils s 'empareraient de la porte. Puis, habitu aux dtours du palais, il en conduisit dix autres la chancellerie, en leur recommandant de tirer la porte derrire eux, elde ne sortir que lorsqu'ils entendraient du bruit; aprs quoi il revint trouver la premire

    troupe, se rservant d 'arrter lui-mme le gon-falonier Csar Petrucci.

    Cependant l'office divin avait commenc, et celte fois encore la vengeance paraissait sur le point d 'chapper aux conjurs; car Laurent seul tait venu. Franois Pazzi et Bernard Bandini se dcidrent aller chercher Julien.

    En consquence, ils se rendirent chez lui, et le trouvrent avec sa matresse. En vain pr-texta-t-il la douleur que lui causait sa jambe; les deux envoys lui dirent qu'il ne pouvait se dispenser d'assister la messe, et lui assurrent que son absence offenserait le cardinal. Julien, malgr les regards suppliants de la femme qui tait chez lui, se dcida donc suivre les deux jeunes gens, et ceignit un couteau de chasse qu'il portait constamment; mais, au bout de quelques pas, comme l 'extrmit du couteau battait sur sa jambe malade, il le remit un de ses domesti-ques, qui le porta la maison. Alors Franois de Pazzi lui passa en r iant le bras autour du corps, comme 011 fait parfois entre amis, et s'as-sura que Julien, contre son habitude, n'avait pas sa cuirasse : ainsi le pauvre jeune homme se li-vrait ses assassins sans armes offensives ni d-fensives.

    Les troisjeunes gens rentrrent dans l'glise au moment de l'Evangile : Julien alla s'agenouil-ler auprs de son frre. Les deux prtres taient dj leur poste; Franois et Bernard se mirent au leur : un seul coup d'il chang entre les assassins leur indiqua qu'ils taient prts.

    La messe cont inua; la foule qui remplissait l'glise donnait aux assassins 1111 prtexte pour serrer de prs les deux frres : d'ailleurs ceux-ci taient sans dfiance, et se croyaient aussi en s-ret au pied de l'autel que dans leur villa de Careggi.

    Le prtre leva l'hostie : en mme temps on entendit 1111 cri terrible, Julien, frapp par Ber-nard Bandini d 'un coup de poignard la poi-trine, se relevait tout sanglant, et allait tomber quelques pas au milieu de la foule pouvante, poursuivi par ses deux assassins, dont l 'un, Franois Pazzi, se jeta sur lui avec tant de fu-reur et le frappa de coups si redoubls, qu'il se blessa lui-mme et s'enfona son propre poi-gnard dans la cuisse. Mais cet accident 11e fit que redoubler sa colre, et il frappait encore, que dj depuis longtemps Julien n'tait plus qu 'un cadavre.

    Laurent avait t plus heureux que son frre : lorsqu'au moment de l'lvation il avait senti

  • I.o moine ilemamla Luiront, en change, (le l'.ibsohilinn le ses pchs, In libert le sa pntrie. PAGE 15.

  • 17.

    une main s 'appuyer sur son paule, il s 'tait re-tourn, et avait vu briller la laine d 'un poignard dans la main d'Antoine de Yolterra. Par un mou-vement instinctif, il s'tait alors jet de ct, de sorte que le fer qui devait lui traverser la gorge ne fit que lui effleurer le cou; il se leva aussitt, et, d ' un seul mouvement , t i rant son pe de la main droite et enveloppant son bras gauche de son man teau , il se mit en dfense, en appelant son aide ses deux cuyers. la voix de leur matre, Andr et Lauren t Cavalcanti s 'lancrent l'pe la ma in , et les deux prtres, voyant le

    S danger auquel ils taient exposs, jetrent leurs armes et se mirent fu i r .

    Au bru i t que faisait Lauren t en se dfendant , | Bernard Bandini , qui tait occup avec Julien, ; leva la tte et vil que la principale victime allait

    lui chapper : il quitta donc le mort pour le vi-| vant , s 'lana vers l 'autel ; mais il rencontra sur j sa route Franois Novi, qui lui barra i t le che-

    min . Une courte lutte s 'engagea : Franois Novi tomba bless m o r t ; mais si courte qu 'et t cette lutte, elle avait suffi Lauren t pour se d-barrasser de ses deux ennemis . Bernard se trouva donc seul contre trois ; Franois voulut accourir son secours, mais alors seulement il s 'aperut sa faiblesse .qu'il tait bless, et se sentit prt tomber en arrivant au chur . Polit ien, qui ac-compagnai t Laurent , profita de ce momen t pour le faire en t rer dans la sacristie avec les quelques amis qui s 'taient runis autour de lui, et, mal-gr les efforts de Bernard et de deux ou trois autres conjurs , il en repoussa les portes de

    : bronze et les ferma en dedans. En mme temps, Antoine Ridolfi , u n des jeunes gens le plus atta-

    i chs Laurent , suait la blessure qu'il avait reue au cou, craignant qu'elle ne ft empoison-ne, et y mettai t le premier apparei l , tandis que Bernard Bandini, voyant que tout tait perdu , prenait par le bras Franois Pazzi, el l ' emme-nait aussi rap idement que le bless pouvait le suivre.

    11 y avait eu dans l 'glise un moment de tu-multe facile comprendre . L'officiant s'tait en-fui en voilant de son tole le Dieu que l 'on ren-dait tmoin et presque complice de pareils crimes : tous les assistants s 'taient prcipits sur la place par les diffrentes issues de l'glise, l 'exception de huit ou dix part isans des Mdicis, qui s 'taient runis dans un coin, et qui , l 'pe la ma in , accourant bientt la porte de la sacristie, ap-pelrent g rands cris L a u r e n t , lui disant qu' i ls rpondaient de tout, et que s'il voulait se confier

    eux, ils le reconduiraient sain et sauf son palais.

    Mais Lau ren t n 'avait point hte de se rendre cette invitation ; il craignait que ne ce ft une ruse de ses ennemis pour le faire re tomber dans le pige auquel il venait d 'chapper . Alors Sismondi dlia Stufa monta , par l 'escalier de l 'orgue, jusqu ' une fentre de laquelle l'il plongeait dans l'glise, et il la vit entirement dser te , l 'exception de la t roupe d 'amis qui attendait Laurent la por te de la sacristie, et du corps de Julien, sur lequel tait tendue une femme si ple et tellement immobile, que, sans les sanglots qui s 'chappaient de sa poi tr ine, on et pu la prendre pour un second cadavre.

    Sismondi dlia Stufa descendit, et informa Laurent de ce qu'il avait vu : alors celui-ci re-prit courage; il se hasarda sort ir , et ses amis, comme ils s'y taient engags, le reconduisirent sain et sauf son palais de Via Larga.

    Cependant, au moment de l 'lvation, les clo-ches avaient sonn comme d 'hab i tude : c'tait le signal attendu pa r ceux qui s 'taient chargs du palais. En consquence, au premier t in tement du bronze, l 'archevque Salviati entra dans la salle o tait le gonfalonier, al lguant pour prtexte de sa visite qu ' i l avait quelque chose de secret lui communiquer de la par t du pape.

    Ce gonfalonier tait, comme nous l 'avons dit, Csar Petrucci , le mme qui, hui t ans aupara-vant, tant podesta de Prato, avait t surpris dans une semblable conjuration par Andr Nardi. Cette premire catastrophe, dont il avait failli tre victime, avait laiss dans sa mmoire des traces si profondes, que depuis ce temps il tait constamment sur ses gardes : aussi, quoi-que rien n 'et encore t ranspi r des vnements qui se prpara ient , peine eut-il r emarqu l'-motion peinte sur le visage de l 'archevque qui venait lui, qu 'au lieu de l 'a t tendre, il s 'lana vers la porte, derrire laquelle il trouva Jacques Bracciolini qui voulut lui ba r re r le passage; mais Petrucci, qui runissait la prsence d'esprit le courage et la force, le saisit aux cheveux, le ren-versa, et, lui met tant un genou sur la poitr ine, il appela ses gardes, qui accoururent ; les conjurs qui accompagnaient Bracciolini voulurent le se-courir , mais les gardes les repoussrent, en tu-rent trois, et en je trent deux par les fentres : un seul se sauva en appelant du secours.

    Alors ceux qui taient dans la chancellerie comprirent que le moment tait arr iv, et vou-lurent courir l 'aide de leur camarade; mais la

  • LES MEDICIS. '14

    porte qu'ils avaient ferme sur eux avait un se-cret qui l 'empchait de se rouvrir . l isse trouv-rent donc prisonniers, et par consquent dans l'impossibilit de soutenir l 'archevque. Pen-dant ce temps Csar Petrucci avait couru la salle o les prieurs tenaient leur audience, et, sans savoir prcisment encore de quoi il s'agis-sait, il avait donn l 'alarme : les prieurs s'-taient aussitt runis lui, chacun arm de ce qu'il put trouver. Csar Petrucci, en traversant la cuisine, y prit une broche, et ayant fait entrer toute la seigneurie dans la tour, il se plaa de-vant la porte, qu'il dfendit si bien, que per-sonne n'y pntra.

    Cependant, grce son costume sacr, l 'ar-chevque avait travers la salle o, prs des ca-davres de ses camarades, Bracciolini tait pri-sonnier, et d 'un geste il avait fait comprendre au captif qu'il allait venir son secours. En effet, peine eut-il paru la porte du palais, que le reste des con jurs se joignit lui ; mais, au mo-ment o ils se prparaient a remonter, ils virent dboucher par la rue qui conduit au dme une troupe de partisans des Mdicis qui s 'appro-chaient en poussant le cri ordinaire de la maison, lequel tait Palle Palle! Salviati comprit qu'il ne s'agissait plus d'aller secourir Braccio-lini, mais de se dfendre lui-mme.

    En effet, la fortune avait chang de face, et le danger s'tait retourn contre ceux qui l'avaient veill. Les deux prtres avaient t poursuivis, rejoints et mis en pices par les amis des Mdicis; Bernard Bandini, aprs avoir vu Politien refer-mer entre lui et Laurent la porte de bronze de la sacristie, avait, comme nous l'avons dit, em-men Franois Pazzi hors de l'glise; mais, ar-riv devant sa demeure, ce dernier s'tait senti si faible, qu'il n'avait pu aller plus loin, et, tan-dis que Bernard fuyait, il s'tait jet sur son lit et attendait les vnements. Alors, malgr son grand ge, Jacob avait tent de remplacer son neveu; il tait mont cheval, et, la tte d'une

    ! centaine d 'hommes qu'il avait runis dans sa maison, il se mit parcourir la ville en criant : Libert! l ibert! Mais dj Florence tait sourde ce cri : ceux des citoyens qui ignoraient encore ce qui s'tait pass le regardaient avec tonnement; ceux qui connaissaient le crime grondaient sourdement en le menaant du geste et en cherchant une arme pour joindre l'effet la menace. Jacob vit ce que les conjurs voient toujours trop tard, c'est que les matres ne vien-

    : lient que lorsque les peuples veulent tre escla-

    ves. Il comprit alors qu'il n'avait pas une mi-nute perdre pour songer sa sret : il lit volte-face avec sa t roupe, gagna l 'une des portes ! de la ville, et prit la route de la Romagne.

    Laurent se retira chez lui et laissa faire le peuple.

    Laurent avait raison : il tait dpopularis pour tout le reste de sa vie s'il s'tait veng comme on le vengeait.

    Le jeune cardinal Riario, qui, instruit du complot, ignorait la manire dont il devait s'ac-complir, s'tait mis l 'instant mme sous la pro-tection des prtres de l'glise, et avait t con-duit par eux dans une sacristie voisine de celle o s'tait rfugi Laurent . L'archevque Salviati, ainsi que son frre, son cousin et Jacques Brac-ciolini, arrts par Csar Petrucci dans le palais mme de la seigneurie, furent pendus, les uns la r inghiera, lus autres aux balcons des fen-tres. Franois Pazzi, trouv sur son lit, et tout puis de sang, fut tran au vieux palais, au milieu des maldictions et des coups de la popu-lace, qu'il regardait en haussant les paules et le sourire du mpris sur les lvres, et pendu ct de Salviati, sans que les menaces, les coups, ni les toi tures lui arrachassent une seule plainte. Jean-Baptiste de Montesecco, qui avait refus de frapper Laurent dans une glise, et qui l'avait probablement sauv en l 'abandonnant au poi-gnard des deux prtres, n'en eut pas moins la tle tranche. Ren des Pazzi, le seul de la fa-mille qui et refus d 'entrer dans la conjuration, et qui s'tait retir la campagne, ne put, par cette prcaution, viter son sort ; il fut arrt et pendu une fentre du palais. Enfin Jacob des Pazzi, saisi avec sa troupe par des montagnards des Apennins, avait t ramen par eux vivant Florence, malgr l 'offre qu'il leur fit d 'une somme assez forte pour qu'ils le tuassent, et pendu ct de Ren.

    Pendant quinze jours les excutions durrent , d 'abord sur les vivants, et ensuite sur les morls : soixante-dix personnes furent mises en pices par la populace, et par elle tranes dans les rues. Le corps de Jacob des Pazzi, qui avait t dpos dans le tombeau de ses anctres, en fut tir comme blasphmateur, sur l 'accusation d'un de ses bourreaux, qui prtendit l'avoir en-tendu maudire le nom de Dieu au moment de sa mort , puis enterr en terre profane le long des murs ; mais cette seconde spulture ne devait pas mieux le protger que la premire .: des enfants le tirrent de la fosse dj moiti dfigur, et,

  • 15

    aprs l 'avoir t ra n longtemps par les rues et dans les ruisseaux de Florence , ils finirent par jeter le cadavre dans l 'Arno.

    C'est (pie la populace est la m m e par tou t , qu'elle venge la libert, ou qu 'el le venge les rois, qu'elle je t te Paul Farnse par la fentre, ou qu'elle mange le cur du marcha l d 'Ancre.

    Cependant, revenu un peu lui, Laurent se rappela cette femme qu'i l avait un moment aper-ue agenouille prs du corps de son frre. 11 ordonna qu 'on la fil rechercher ; mais les dmar-ches furent longtemps infructueuses, tan t elle s'tait enferme avec sa douleur : 011 la retrouva enfin, et Laurent dclara qu ' i l voulait se charger du fils dont elle venait d 'accoucher . Cet enfant fut depuis Clment VII.

    Enf in , deux ans peine s 'taient couls de-puis cette catastrophe, lorsqu 'un mat in le peuple aperut un cadavre pendu une des fentres du liargello. Ce cadavre tait celui de Bernard Ban-dini, qui s'tait rfugi Constantinople, et que le sultan .Mahomet II avait livr Laurent , en signe de son dsir de conserver la paix avec la rpubl ique.

    Ce fut le seul danger personnel que Laurent courut pendant toute sa vie, et ce danger le ren-dit plus cher au peuple : la paix, qu' i l signa, le m a r s 1480, avec Ferd inand de Naples, mit le comble sa puissance; de sorte que, tranquille au dedans, t ranquil le au dehors , il put se livrer son got pour les ar ts et la magnificence avec laquelle il les rcompensait . 11 est vrai que, moins scrupuleux que son aeul, quand l 'argent manquai t sa caisse part iculire, il puisait sans scrupule dans celle de l 'Etat ; et ce fut surtout son retour de Naples qu'il fut oblig de recourir cette extrmit . En effet, son voyage avait t

    j celui d 'un roi et non celui d 'un simple parl icu-: lier; au point qu ' en outre de la dpense qu'il

    avait faite pour ses quipages et pour la suite qui l 'accompagnai t , et des cadeaux qu'il avait dis-

    1 t r ibus aux artistes et aux savants, il avait en-core dot de mille florins cent jeunes filles d e l Fouille et de la Calabre qui se marieraient pen-dant son sjour Naples.

    Peu d 'vnements impor tan ts v inrent agiter le reste de la vie de Lauren t . A la mor t de Sixte IV, son ennemi mor te l , le nouveau pape Innocent VIII s 'empressa de se dclarer l 'ami des Mdicis, en faisant pouser son propre fils, Franceschetto Cibo, Madeleine, fille de Lauren t , et en faisant celui-ci force promesses, que, se-lon son habi tude, il ne tint pas. Laurent pu t

    donc tout entier se livrer son got pour les sciences et pour les arts, et r un i r autour de lui Politien, Pic de la Mirandole, Marcello Pulci, Landino Sealaficino, Andr Montgne, le Pru-gin, Lonard de Vinci, Sangal lo , Bramante , Ghirlandaio et le jeune Michel-Ange. Ajoutons . cela qu ' i l vit na t re , pendant les vingt annes qu'il gouverna Florence, le (iiorgione, le Gul-loro, Ira Bartolommeo, Raphal , Sbastien del Piombo, Andr del Sarto, le Pr imat ice et Jules | Romain, gloires et lumires la fois du sicle qui s'en allait et du sicle qui allait venir.

    Ce fut au milieu de ce monde desavan t s , de potes et d 'ar t i s tes , que, retir sa villa de Ca-reggi. Laurent sentit venir la mort , malgr les soins tranges de Pierre Leoni de Spolette, son mdecin, lequel, proport ionnant les remdes non point au t empramen t , mais la richesse du malade, lui faisait avaler des dcomposit ions de perles et de pierres prcieuses : il vit donc, au moment de quit ter ce monde, qu'il tait temps de penser l 'autre, et il fit appeler, pour lui apla-nir le chemin du ciel, le dominicain Jrme S'a-vonarola.

    Le choix tait t range : au milieu de la cor-rupt ion du clerg, Jrme Savonarola tait rest pur el austre; au milieu de l 'asservissement de la patrie, J rme Savonarola se souvenait de la libert.

    Laurent tait dans son lit de m o r t lorsque, pareil un de ces hommes de m a r b r e qui vien-nent f r a p p e r a la porte des voluptueux au milieu de leurs l'tes et de leurs orgies, J rme Savona-rola s 'approcha lentement de son chevet. Lau-rent allait mour i r ; et cependant le moine, d- 1 vor par les veilles et par l 'extase, tait plus ple que lui. C'est que Savonarola tait prophte : il avait prdit l 'arr ive des Frana i s en Italie, et de-vait prdire Charles VIII qu' i l repasserait les monts ; enfin, semblable cet h o m m e qui, tour-nant autour de la ville sainte, avait cri pendan huit jours : Malheur Jrusalem ! et cria le neuvime jou r : Malheur moi -mme! Sa-vonarola devait p rd i re lui-mme sa m o r t ; el plus d 'une fois dj il s 'tait rveill, bloui d 'a-vance par les flammes de son bcher .

    Le moine demanda une seule chose Laurent ! en change de l 'absolution de ses pchs, la li-bert de sa patrie. Laurent refusa, et le moine sortit la douleur peinte sur le visage.

    Un instant aprs, 011 entra dans la chambre du mor ibond, et on le t rouva expir, ser rant entre ses bras un Christ magnif ique qu' i l venait

  • '20 LES MEDICIS.

    d'arracher la muraille, et au pied duquel il avait coll ses lvres, comme s'il en appelait au Seigneur des arrts de son inflexible ministre.

    Ainsi mourut , lguant Florence une lutte de trente-huit ans contre sa famille, celui que ses contemporains appelaient le magnifique Lau-rent, et que la postrit devait appeler Laurent le Magnifique.

    Et comme sa mort devait entraner beaucoup de calamits, le ciel en voulut donner des pr-sages : la foudre tomba sur le dme de l'glise de Sainte-Reparata, mtropole de Florence, et Roderic Borgia fut lu pape.

    l ' ierre succda son pre : c'tait un bien faible hritier pour le patronat qu 'au risque de son me lui avait lgu Laurent . N en 1171, et par consquent peine g de vingt et un ans, Pierre tait un beau jeune homme, qui , outrant toutes les qualits de son pre, fut faible au lieu d'tre bon, courtois au lieu d'tre flatteur, pro-digue au lieu d'tre magnifique.

    Au point o en tait l 'Europe, il et fallu, pour marcher en avant, ou la politique pro-fonde de Cme, Pre de la patrie, ou la volont puissante de Cme Ier. l ' ierre n'avait ni l 'une ni 1 autre; aussi se perdit-il lui-mme, et en se per-dant manqua-t-il de perdre l'Italie

    Jamais, dit l 'historien Guicciardini, depuis l 'poque fortune o l 'empereur Auguste faisait le bonheur de cent vingt millions d 'hommes, l'Italie n'avait t aussi heureuse, aussi riche et aussi tranquille qu'elle l'tait vers l 'an 149"2. Une paix presque gnrale rgnait sur tous les points du paradis du monde : soit que le voya-geur, descendant des Alpes pimontaises, s'ache-mint vers Venise travers la Lombardie, soit que de Venise il se rendit liome eu longeant l 'Adriatique, soit que de Rome enfin il suivt les monts Apennins jusqu' l 'extrmit de la Calabre, partout il voyait des plaines verdoyan-tes ou des coteaux couverts de vignes, au milieu ou au penchant desquels il rencontrait des vil-les riches, bien peuples, et, sinon libres, du moins heureuses. En effet, la ngligence et la jalousie de la rpublique florentine n'avaient pas encore fait un marais des places de Pise; le mar-quis de Mangnan n'avait pas encore ras cent vingt villages sur le seul territoire de Sienne; enfin les guerres des Orsini et des Colonna n'a-vaient pas encore chang les fertiles campagnes de Rome eu ce dsert aride et potique qui en-veloppe aujourd 'hui la ville ternelle : et Favio Blondo, qui dcrivait en 1450 la ville d'Ostie,

    peine aujourd 'hui peuple de trente habitants, se contentait de dire qu'elle tait moins floris-sante que du temps d'Auguste, poque la-quelle elle renfermait cinquante mille citoyens.

    Quant aux paysans italiens, ils taient bien certainement celte poque les paysans les plus heureux de la terre : tandis que les serfs d'Alle-magne ou les manants de France vivaient diss-mins dans de pauvres cabanes ou parqus comme des animaux dans de misrables villa-ges, ils habitaient des bourgades fermes de murs, qui dfendaient leurs rcoltes, leur btail et leurs instruments aratoires. Ce qui resle de leurs maisons prouve qu'ils taient mieux logs et avec plus d'art que ne le sont aujourd 'hui les bourgeois de nos villes : de plus, ils avaient des armes, un trsor commun, des magistrats lus; et, lorsqu'ils combattaient, c'tait pour dfendre des foyers et une patrie.

    Les bourgeois n'taient pas moins heureux : c'tait entre leurs mains que le commerce se-condaire tait remis, et l'Italie d 'un bout l 'au-tre tait un vaste bazar; la Toscane surtout tait couverte de fabriques, o se travaillaient la laine, la soie, le chanvre, les pelleteries, l 'alun, le sou-fre et le bitume. Les produits trangers taient amens de la mer Noire, de l'Egypte, de l'Espa-gne et de la France dans les ports de Gnes, de l'ise, d'Ostie, de Naples, d'Amalli et de Venise, et taient changs contre des produits indignes, ou repartaient pour les pays o ils taient venus quand le travail et la main-d 'uvre en avaient tripl ou quadrupl la valeur. Ni les bras ni le travail ne manquaient : le riche apportait ses marchandises, le pauvre son industrie, et les nobles et les seigneurs changeaient contre de l 'argent comptant le produit de cette association.

    Les souverains de l'Italie, en jetant les yeux sur ces grasses moissons, sur ces riches villages, sur ces florissantes fabriques, et en les reportant ensuite au del des monts ou des mers, sur ces peuples pauvres, barbares et grossiers qui les entouraient, avaient compris que le jour n'tait pas loign o ils apparatraient comme une proie aux autres nations : aussi, ds l 'anne 1480, Florence, Milan, Naples et Ferrare avaient-elles sign entre elles une ligne offensive et dfensive pour faire face au danger, qu'il naquit au de-dans ou qu'il vint du dehors.

    Les choses en taient donc l lorsque, comme nous l'avons dit, Roderic Borgia fut nomm pape, et monta sur le saint-sige en s'imposant le nom d'Alexandre VI.

  • Charles Y l l l le reut cheval. l'ge IH

    A chaque exaltation nouvelle la coutume ctail alors que tous les Etats chrtiens envoyassent Rome une ambassade solennelle pour renouveler individuellement leur serment d'obissance au saint-pre. Chaque ville nomma donc ses am-bassadeurs, e t Florence lit choix, pour la repr-senter, de Pieire des Mdicis et de Gentile, vo-que d'Arezzo.

    Chacun des deux messagers avait reu celte O J mission avec une joie extrme Pierre des M-dicis y avait vu l'occasion de montrer son luxe et Gentile son loquence; de sorte que Gentile avait

    Paria. iuip S i r a i .. t rue d'Erfurl!; t.

    prpar son discours, et Pierre des Mdicis avait mis en rquisition tous les (ailleurs de Florence, et s'tait l'ait prparer des habits splendides tout brods de pierres prcieuses : le trsor de sa fa-mille, le plus riche de toute l'Italie en perles, en rubis et en diamants, tait parsem sur les ha- J bits de ses pages; et l 'un d'eux, son favori, de-vait porter autour du cou un collier de cent mille ducats, c'est--dire un million peu prs de notre monnaie actuelle. Tous deux attendaient donc avec impatience le moment de produire chacun son effet, lorsqu'ils apprirent que Louis Sl'orza,

    .1

  • 18

    qui , de son ct, avait vu dans l'lection du nouveau pape une occasion non-seulement de resserrer la ligue de 1180, mais encore de la faire apparatre dans toute son unit, avait eu l'ide de runir les ambassadeurs des quatre puissances, afin qu'ils fissent leur entre le mcme jour , et avait imagin de charger un seul des envoys, celui de Naples, do porter la parole au nom de lous. Les choses, au reste, taient dj plus qu 'un projet, car Louis Sforza avait la pro-messe, de Ferdinand de se conformer au plan qu'il avait propos.

    Or ce plan renversait celui de Pierre et de Genlile : si les quatre ambassadeurs entraient le mme jour et en mme temps dans les rues de Rome, l'lgance et la richesse de Pierre des

    ' Mdicis se confondaient avec celles de ses compa-gnons; si l'envoy de Naples portait la parole, le discours de Gentiletait perdu.

    Ces deux graves intrts changrent la face de la Pninsule; ils amenrent cinquante ans de guerre en Italie et la chute de la libert floren-tine. Voici comment :

    Pierre et Gentile, ne voulant pas renoncer l'effet que devaient produire, l 'un l'clat de ses diamants, l 'autre les lleurs de son loquence, obtinrent de Ferdinand qu'il retirt la parole donne Louis Sforza. Celui-ci, qui connaissait la politique librienne du vieux roi de Naples, chercha son manque de parole une tout autre

    j cause que celle qu'il avait rellement, crut y voir une ligue forme contre lui, et, voulant opposer une force gale celle qui le menaait, se retira de l 'ancienne association, et forma une alliance nouvelle avec le pape Alexandre VI, le duc Her-cule III de Ferrare et la rpublique de Venise : cette alliance devait, pour le maintien de la paix publique, tenir sur pied une arme de vingt mille chevaux et de dix mille fantassins.

    A son tour Ferdinand s'effraya de cette ligue, et ne vit qu 'un seul moyen d'en neutraliser les effets : c'tait de dpouiller Louis Sforza de la rgence qu'il tenait au nom de son neveu, r-

    ! gence qui, contre toutes les habitudes, s'tait prolonge dj jusqu ' l'ge de vingt-deux ans. Fn consquence, il invita positivement, en sa qualit de tu teur naturel du jeune prince, le duc de Milan rsigner le pouvoir souverain entre les mains de son neveu. Sforza, qui tait homme de ressource et de rsolution, d 'une main prsenta un breuvage empoisonn son neveu, et de l 'autre signa un trait d'alliance avec Cliarks VIII.

    Le trait portait : Que le roi de France tenterait la conqute du

    royaume de Naples, sur lequel il rclamait les droits de la maison d'Anjou, usurps par celle d'Aragon;

    Que le duc de Milan donnerait au roi de France le passage par ses Etats, et l 'accompagnerait avec cinq cents lances;

    Que le duc de Milan permettrait au roi de France d 'armer Gnes autant de vaisseaux qu'il le voudrait;

    Qu'enfin le duc de Milan prterait au roi de France deux cent mille ducats, payables au mo-ment de son dpart .

    De son ct, Charles VIII promit : De dfendre l'autorit personnelle de Louis

    Sforza sur le duch de Milan contre quiconque tenterait de l'en dpouiller;

    De laisser dans Asti, ville appartenant au duc d'Orlans par l 'hritage de Valentine Visconti, son aeule, deux cents lances franaises toujours prtes secourir la maison Sforza;

    Enfin d 'abandonner son alli la principaut de Tarente aussitt que le royaume de Naples serait conquis.

    Le 2 0 octobre 1494 , Jean Galas tait mort, et Louis Sforza proclam due de Milan.

    Le 1" novembre, Charles VIII tait devant Sarzane, demandant le passage et le logement travers la ville de Florence et les Etats de Tos-cane.

    Pierre se rappela que, dans des circonstances peu prs semblables, Laurent son pre avait t trouver le roi Ferdinand, et, malgr le ds-avantage de sa position, avait sign avec lui une paix merveilleusement favorable la rpubl i -que : il rsolut d ' imiter cet exemple, fit nommer une ambassade, se plaa la tte des ambassa-deurs, et alla trouver le roi Charles VIII.

    Mais Laurent tait un homme de gnie, con-somm en politique et en diplomatie; Pierre I n'tait qu 'un colier, qui neconnaissait pas mme I la marche de ce grand jeu d'checs qu 'on ap-pelle le mondfc : aussi, soit crainte, soit inhabi-let, lit-il sottise sur sottise. Il est vrai de dire que le roi de France eut avec lui des manires auxquelles les Mdicis n'taient pas accou-tums.

    Charles VIII le reut cheval, et lui demanda d 'un ton hautain, comme un matre et fait son valet, d'o tait venue lui et ses conci-toyens la hardiesse de vouloir lui disputer le pas-sage travers la Toscane. Pierre de Mdicis r-

  • LES MEDICIS. 19

    pondit (juc cela tenait d'anciens traits passs, du consentement mme de Louis XI, entre Lau-rent son pre et Ferdinand de Naples ; mais il ajouta humblement que, ces engagements lui tant charge, il tait dcid ne pas pousser plus loin son dvouement la maison d'Aragon et son opposition celle de France; et que, par consquent, il ferait ce que dsirerait le roi. Charles VIII, qui ne s 'attendait pas tant de Condescendance, demanda que la ville deSarzane lui ft livre, que les clefs de Pietra-Santa, de Pise, deLibrafat ta et de Livournc lui fussent re-mises ; enfin que, pour tre sre de sa protection royale, la magnifique rpublique lui prtt une somme de deux cent mille florins. Pierre de M-dicis consentit tout, quoique ses instructions ne l 'autorisassent rien de tout cela. Alors Charles VIII lui ordonna de monter cheval, et de commencer l'excution de ses promesses par la remise des places fortes. Pierre obit; et l 'ar-me ul tramontaine, conduite par l 'hritier de Cme, Pre de la patrie, et de Laurent le Magni-fique, commena sa marche triomphale tra-vers la Toscane.

    Mais, en arrivant Lucques, Pierre de M-dicis apprit que les lches concessions qu'il avait faites au roi de France avaient soulev contre lui

    _une terrible opposition; il demanda en cons-quence Charles VIII la permission de le prc-der Florence, en donnant pour prtexte son dpart l ' emprunt des deux cent mille florins. Charles avait en sa possession les villes et les forteresses qu'il avait demandes ; il ne vit donc aucun inconvnient laisser partir un homme qui paraissait si dvou la cause franaise, et l 'avertit, eu le congdiant, que dans deux ou trois jours il serait lui-mme Florence. Pierre partit de Lucques vers quatre heures du soir, rentra dans la nuit Florenoe, et gagna son palais do Via Larga sans avoir t reconnu de personne.

    Le lendemain matin, 9 novembre, aprs avoir pendant la nuit pris conseil de ses parents et de ses amis, qu'il trouva tout dcourags, Pierre vou-lut tenter un dernier effort, et alla droit au palais de la seigneurie. Mais le palais tait ferm; et, en arrivant sur la place, il trouva le gonfalonier Ja-cob Nerli qui l 'attendait pour lui signifier de ne pas aller plus loin, et qui, l 'appui de cette si-gnification, lui montra Lucas Corsini, l'un des prieurs, debout la porte et l'pe la main : c'tait une raction complte contre le pouvoir des Mdicis.

    Pierre se retira sans dire une parole : sans prier , sans menacer, comme un enfant auquel on ordonne et qui obit, il se retira dans son pa-lais et crivit Paul Orsiui, dont il avait pous la sur, de venir son aide avec ses hommes d 'armes. La lettre ayant t intercepte, la sei-gneurie y vit une tentative de rbellion, et, heu-reusement pour Pierre, en lit publiquement la lecture en appelant les citoyens aux armes. Pr-venu de cette manire, Orsini accourut au se-cours de son beau-frre, qu'il plaa avec Julien au milieu de ses hommes d 'armes, et parvint gagner la porte Saint-Gallo, tandis que le cardi-nal Jean, qui fut depuis Lon X, plus belliqueux ijne ses frres, voulant tenter un dernier effort, essayait de runir ses partisans au cri de Plie,

    j Pallel mol de guerre de sa maison. Mais ce mot, si magique du temps de Cme l'Ancien et de Laurent le Magnifique, avail perdu toute sa puissance.

    En arrivant la rue Calzajoli, le belliqueux cardinal vit qu'elle tait barre par le peuple, et les menaces et les murmures de la multitude lui apprirent qu'il serait dangereux d'aller plus loin. Il se retira donc; mais, selon son habitude de poursuivre les fuyards, le peuple s'lana sur ses traces.

    Crce son cheval, Jean gagnait, du ter-rain, lorsqu'il aperut au bout de la rue une autre troupe arme qui devait infailliblement l 'arrter : il sauta bas de son cheval , el s'lana dans une maison dont la porte tait ou-verte. La maison, par bonheur, communiquait avec un couvent de franciscains; un des moines lui prta sa robe, et le cardinal, grce cet humble incognito, put gagner la campagne, et, guid par les indications des paysans, rejoignit ses deux frres dans les Apennins.

    Le mme jour , les Mdicis furent proclams tratres la patrie : un dcret les dclara re-belles, confisqua leurs biens, et promit cinq mille ducats qui les amnerait vivants, et deux mille celui qui apporterait leur tte. Toutes les familles proscrites lors du retour de Cme l'An-cien en 1434, et aprs la conspiration des Pazzi en 1478, rentrrent Florence; et Giovanni et Lorenzo des Mdicis, fils de Pierre-Franois el neveu des bannis, pour n'avoir plus rien de commun avec eux, rpudirent leur nom de M-dicis pour prendre celui de Popolani; et chan-geant leur blason, qui tait d 'or six globes poss, trois, deux et un, dont cinq le gueules, et celui du milieu et du chef d'azur charg de trois

  • '20 LES MEDICIS.

    (leurs tic lis d 'or , prirent celui des Guelfes, qui tait de gueules la croix d 'argent .

    Puis, ces premires mesures prises, on envoya des ambassadeurs Charles VIII. Ces ambassa-deurs taient : Piero Capponi, Giovanni Caval-canti, Pandolfo Iucellai, ' fanai des Nerli et le pre de Jrme Savonarola, celui-l mme qui avait refus l 'absolution Laurent de Mdicis, parce qu'il ne voulait pas rendre la libert sa patr ie .

    Ces ambassadeurs trouvrent Charles VIII occup de rendre leur indpendance aux Pisans, qui depuis quatre-vingt-sept ans taient tombs sous la domination florentine.

    Ce fut Savonarola qui porta la parole ; il parla avec ce ton d 'enthousiasme prophtique qui lui tait habituel, et qui produisait un si grand effet sur ses concitoyens, qui croyaient son inspira-tion. Mais Charles VIII, qui tait tant soit peu barbare, et qui n'avait jamais entendu parler de l'illustre dominicain, couta les promesses el les menaces de l 'ambassadeur comme il et cout un sermon, et lorsque le sermon fut fini, il lit le signe de la croix, et dit qu'il arrangerait toutes les choses Florence.

    En elfet, le 17 novembre au soir, le roi se prsenta la porte de San Friano, par laquelle on tait prvenu qu'il devait faire son entre : il y trouva la noblesse florentine dans ses habits d 'apparat , accompagne du clerg qui chantait des hymnes, et suivie du peuple, qui, toujours avide de changement, croyait retrouver dans la chute des Mdicis quelques dbris de sa vieille libert. Charles VIII trouva la porte un balda-quin d 'or sous lequel il s 'arrta un instant pour rpondre quelques paroles vasives aux compli-ments de bienvenue qui lui furent faits; puis, ayant pris sa lance des mains de son cuyer, il l 'appuya sur sa cuisse, et donna l 'ordre d'entrer dans la ville, qu'il traversa presque entire en passant sous le palais Strozzi ; et, suivi de son arme, qui portait les armes hautes, et de son artillerie, qui roulait sourdement, il s'en alla loger au palais de Via Larga.

    Les Florentins avaient cru recevoir un hte, mais Charles VIII, en portant sa lance la main, avait donn entendre qu'il entrait en vain-queur : de sorte que, le lendemain, lorsqu'on en vint aux ngociations, chacun se trouva loin de compte. La seigneurie venait ratifier le trait des Mdicis; mais Charles VII1 rpondit la sei-gneurie que le trait n'existait plus par le fait, mme Se la chute de celui qui l'avait sign;

    qu'il n'avait, au res te , encore rien dcid 1 gard de ce qu'il ordonnerait de Florence, et qu'ils eussent revenir le lendemain pour savoir si son bon plaisir tait de rtablir les Mdicis ou de dlguer son autorit la seigneurie.

    La rponse tait terrible : mais les Florentins taient trop prs encore de leur ancienne vertu pour l'avoir oublie. Dj tout hasard chaque maison puissante avait depuis deux jours ras-sembl autour d'elle tous ses serviteurs, avec l'intention de ne point commencer les hostilits, mais aussi avec la dtermination de se dfendre si les Franais attaquaient. En effet, lors de son entre, Charles VIII avait t tonn de cette population trange qui se pressait dans les rues, el qui garnissait toutes les ouvertures des mai-sons, depuis les soupiraux des caves jusqu'aux terrasses des toits. La seigneurie donna d e n o u - veaux ordres, et la population s 'augmenta d 'un tiers encore pendant cette nuit d 'attente, qui devait dcider du sort de Florence.

    Le lendemain, l 'heure convenue, les d-puts furent de nouveau introduits prs du roi : ils le trouvrent assis, la tte couverte, et ayant au pied de son trne le secrtaire royal, qui te-nait la main les clauses du trait. Lorsque chacun eut pris sa place, il dploya le papier, et commena lire, article par article, les con-ditions imposes pa r le roi de France ; mais, peine au tiers de la lecture, les dputs flo-rentins l ' interrompirent , et la discussion com-mena.

    Comme celte discussion fatiguait Charles VIII : Messires, dit-il, puisqu'il en est ainsi, je vais faire sonner mes trompettes. ces mots, Pierre Capponi, qui tait secrtaire de la rpublique, ne pouvant son tour se contenir plus long-temps, s'lana vers le secrtaire, lui arracha des mains la capitulation honteuse qu'on pro-posait, et, la dchirant en morceaux: Eh bien, sire, rpondit-il, faites sonner vos t rompet tes; nous ferons sonner nos cloches. Puis, jetant les morceaux du trait la figure du lecteur stu-pfait, il sortit suivi des autres ambassadeurs pour donner l 'ordre sanglant qui allait faire de Florence tout entire un champ tic bataille.

    Cette rponse hardie sauva Florence par sa hardiesse mme : soit crainte, soit gnrosit, Charles VIII rappela Capponi ; on dbattit de nouvelles conditions, qui, acceptes et signes par les deux parties, furent publies le 26 no-vembre, pendant la messe, dans la cathdrale de Sainte-.Marie-des-Fleurs.

  • l'Yanui- "

  • LES MEDICIS. 21

    Eli bien, sire, faites sonner vos tronipelles ; nous ferons sonner nos cloches. Paie 2U.

    Voici quelles taient ces coniiitions : La seigneurie s'engageait payer au roi de

    France, titre de contribution de guerre, la somme de cenl vingt mille florins, en trois termes.

    La seigneurie s'engageait lever le squestre mis sur les biens des Mdieis, et rvoquer le.d-cret qui mettait leur tte prix ;

    La seigneurie s'engageait pardonner aux l'i-sans, moyennant quoi ceux-ci rentreraient sous l'obissance des Florentins ;

    Enfin la seigneurie reconnatrait les droits du

    duc de Milan sur S'ar/.ane et l 'iefra-S'anta, et ces droits une fois reconnus seraient apprcis et ju-gs par arbitres.

    De son ct, le roi de France s 'engageait restituer les forteresses qui lui avaient t remi-ses par l 'ierre de Mdieis, ds qu'il aurait con-quis le royaume de Naples, ou qu'il aurait ter-min la guerre par une paix, ou mme par une trve de deux ans ; soit enfin lorsqu'il aurait quitt l'Italie.

    Deux jours aprs, Charles VIII quitta Flo-rence et s'avana vers Rome par la route de

  • '2 LES MEDICIS.

    Sienne, aprs avoir trs-probablement fait ex-cuter son portrait par Lonard de Vinci (1).

    Mais les onze jours pendant lesquels il tait rest au palais de Via Larga avaient sufli pour mettre au pillage toute cette magnifique collec-tion de tableaux, de statues, de pierres graves et de mdailles, rassemble grands frais par Cme et par Laurent : chaque seigneur de la suite du roi en avait emport ce qui lui avait plu, non pas fix dans son choix par la valeur des objets, mais entran par son caprice; si bien que, grce la barbarie et l'ignorance mme des courtisans, beaucoup de choses pr-cieuses furent cependant sauves, la valeur des-quelles n'tait pas dans la matire, mais dans le travail.

    Quant Pierre de Mdicis, il usa le reste de sa vie, qui au reste fut courte, essayer de ren-trer dans Florence, soit par surprise, soit par force. Puis un jour on apprit qu'il tait mort misrablement comme ilavait vcu i comme il se rendait Gatc sur un btiment charg d'ar-tillerie, le btiment s'enfona dans le Garigliano, et Pierre de Mdicis lut noy; Il laissait de sa femme, Alphonsina de Roberto Orsini, un lils nomm Laurent.

    (,'e fut ce mme Laurent , duc d'Urbin, dont toute la clbrit consiste avoir t le pre de Catherine de Mdicis, qui fit la Saint-Barthlmy, et d'Alexandre, qui toulfa les derniers restes de la libert florentine. Ajoutez cela qu'il dort dans un tombeau sculpt par Michel-Ange : aussi sa statue est-elle plus connue qu'il ne l'est lui-mme; et beaucoup, qui ignorent ce que c'est que le pauvre et lche duc d 'Urbin, savent ce que c'est que le terrible Pensiero.

    L'exil des Mdicis dura dix-huit ans : en I ">i'2, ils rentrrent Florence, ramens par les Espa-gnols; et ils y furent admis, dit la capitulation, non pas comme princes, mais comme simples citoyens.

    .Avant mme que les Mdicis fussent rentrs, la capitulation qui leur rouvrait les portes de la patrie tait viole. Vingt-cinq ou trente conju-rs, part isans des Mdicis, blouis par la gloire littraire du Magnifique, et qui, pendant les vingt ans de rvolution (pie l'Italie avait subis depuis sa mort , avaient dans les jardins do Bel' nardo Rucellai fait une espce d'acadmie l ' instar de celle d'Athnes, virent dans les suc-

    (1) Ce portrait, luit Milan ou Florence, est au Muse 'Je Paris.

    cessers de Laurent les continuateurs de sa gloire, et rsolurent de leur remettre aux mains une autorit plus grande encore que celle qu'ils avaient perdue. En consquence, ils mirent leur tte Bartolomeo Valori, les Rucellai, Paolo Vettori, Francesco des Albizzi, Tornabuoni et Vespucci, cl le 51 au matin, le lendemain de la prise de Pralo par le vice-roi Raymond deCar -done, ils entrrent dans le palais de la seigneu-rie, arms sous leurs manteaux d'pes et de cuirasses, pntrrent jusqu' l 'appartement du gonfalonier Soderini, l 'enlevrent de force, et le conduisirent dans la maison de Paul Vettori. situe sur le quai de l'Arno. Puis, lorsqu'ils se furent ainsi assurs de lui, ils assemblrent la seigneurie, les collges, les capitaines du parti guelfe, les dcemvirs de la libert, les huit de la hlie, les conservateurs des lois, et sommrent cette assemble gnrale des reprsentants de Florence de dposer Soderini; mais, contre leur attente, sur soixante-dix membres , neuf seule-ment volrent pour la dposition. Alors Fran-ois Vettori levant la voix : Ceux, dit-il, qui ont vot pour le maintien de l'ancien gonfalo-nier ont vot pour sa mort j car si on ne peut le dposer, on le tuera. A Un second tour de scru-tin, Soderini fut dpos l 'unanimit.

    Deux jours aprs, Julien de Mdicis, frre de Pierre qui s'tait noy dans le Garigliano, rentra dans Florence sans mme attendre qu 'une sen-tence des nouveaux magistrats vnt abolir le d-cret de bannissement port par les anciens, et alla se loger dans le palais des Albizzi. Sous son iutlucnce, une nouvelle loi fut prsente : elle rduisait une anne les fonctions du gonfalo-nier, et une btie remplaait le grand conseil, qui, sans tre suppr im, tait rduit des fonc-tions intrieures. Jean-Baptiste Ridolfi, proche parent des Mdicis, fut lu gonfalonier la ma-jorit de onze cenl trois voix, sur une totalit de quinze cent sept suffrages; et le cardinal Jean, qui tait rest Pralo pour attendre le rsultat de toules ces menes, lit son tour son entre dans Florence le l ' t septembre, non pas comme lgat de "Toscane, non pas entour de prtres et de moines, mais escort de fantassins bolonais et d 'hommes d 'armes romagnols. Puis, avec celle garde, il alla descendre au palais de Via Larga, recevant comme un souverain pendant deux jours les hommages de ses sujets, et ne pen-sant aller offrir les siens la seigneurie que le troisime.

    On comprend que les hommages rendre

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    n'taient qu 'un prtexte : pour l'aire plus d 'hon-| neur la seigneurie, qui n'avait pas encore eu

    le temps de rorganiser sa garde, le cardinal Jean se rendit au palais avec la sienne. Sur un mot de lui, les soldats s 'emparrent de toutes les issues, tandis que Julien, se prsentant au grand conseil, le sommait d'appeler le peuple et de convoquer une blie.

    Le peuple fut convoqu et lit tout ce qu'on voulut, tant il tait dj prt pour la servitude, Il abolit toutes les lois portes depuis 1494, c'est--dire depuis l'exil de Pierre; il nomma une b-lie dans laquelle taient runis (ous les pouvoirs du gouvernement, depuis celui de gonfalonier j