ἔννοιαι · PDF file · 2017-12-28COMPTES RENDUS 415...

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414 COMPTES RENDUS Michael J. GRIFFIN, Aristotle’s Categories in the Early Roman Empire. Oxford, Oxford University Press, 2015. 1 vol. 13,8 x 21,6 cm, XIV + 283 p. (OXFORD CLAS- SICAL MONOGRAPHS). Prix : 55 £. ISBN 978-0-19-872473-5. Les Catégories d’Aristote sont l’un des textes les plus influents de la tradition, du fait de leur place au principe des études philosophiques. Elles ouvrent l’Organon, l’instrument destiné à doter les philosophes des outils logiques nécessaires. Or l’idée d’un organon ne remonte pas à Aristote, pas plus que celle d’un ordre de lecture s’ouvrant sur les Catégories. Le rôle central de ce texte ne fut pas prémédité par son auteur, et c’est à décortiquer le moment où il acquit sa place que M. Griffin s’attelle dans ce livre issu de sa thèse de doctorat soutenue à Oxford en 2009. Ce faisant, il comble un vide dans les recherches sur cette période rendue délicate par la rareté des sources. Le tournant de la fin de la République et du début de l’Empire fut traversé d’intenses débats entre écoles rivales : néopythagorisme, platonisme, stoïcisme, épi- curisme et, bien entendu, aristotélisme, que nous connaissons grâce à des sources postérieures, souvent platoniciennes : Plotin, Porphyre, Dexippe, Simplicius (surtout), Jamblique, Philopon, Boèce dans une moindre mesure, ainsi que Strabon, Alexandre d’Aphrodise ou Galien. Suivant un tracé chronologique, ce livre reconstruit ce frag- ment d’histoire. Entre l’introduction (chap. 1) et la conclusion (chap. 8), il se divise en trois parties de deux chapitres. La première développe la redécouverte des Caté- gories, s’articulant autour de deux figures : Andronicos et Eudore (suivi du Pseudo- Archytas). Le chapitre 2, le plus long et le plus important, examine le rôle joué par Andronicos de Rhodes (fl. 43 ACN), à qui la tradition romancée (issue de Strabon et Plutarque) attribue la première édition d’Aristote suite à la redécouverte miraculeuse de ses écrits sous Sylla. Selon toute vraisemblance, c’est lui qui les intitula les Caté- gories (elles circulaient sous le titre d’Avant les Topiques), qui les situa au début de l’Organon, qui en définit le sujet et qui souligna l’unité des trois parties. Il fut le premier à leur reconnaître une portée logique, et non rhétorique comme ses prédé- cesseurs (ce qu’atteste leur titre antérieur) : leur fonction serait de transformer nos préconceptions (προλήψεις) sur les sensibles particuliers en notions (ἔννοιαι) correcte- ment articulées afin de produire les divisions nécessaires au processus de définition. Quant à l’unité, elle résulte de la division des catégories en absolues et relatives, ces dernières étant elles-mêmes distinguées en relatives au sens large (qualité, quantité, etc.) et relatives au sens restreint (les relatifs, le lieu et le temps). Ce faisant, Andronicos rend compte de l’ordre et de la structure, qu’il n’hésite pas à modifier légèrement en inversant l’ordre d’un ou l’autre élément. Le chapitre 3 se penche sur Eudore d’Alexandrie (fl. 50 ACN), membre des cercles pythagoriciens et contemporain d’Andronicos, bien que leur relation soit difficile à établir. Il voit dans les Catégories un traité ontologique portant sur le réel dans son ensemble, sensible et intelligible. Griffin situe dans sa suite le pseudépigraphe attribué à Archytas (fl. 50 ACN ?), qui suit une même ligne de raisonnement, résolument métaphysique et pythagoricienne. Puis, la deuxième partie étudie les premières critiques, platoniciennes et stoïciennes. Le chapitre 4 se penche sur deux figures platonisantes méconnues, Lucius (fl. I er s. PCN) et Nicostrate (fl. II e s. PCN), dont les critiques seront liées par la doxographie postérieure (Porphyre et Simplicius). Griffin cherche toutefois les nuances, comparant le type de réponses que chacun a suscitées – étant entendu que, pour des raisons

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  • 414 COMPTES RENDUS Michael J. GRIFFIN, Aristotles Categories in the Early Roman Empire. Oxford, Oxford University Press, 2015. 1 vol. 13,8 x 21,6 cm, XIV + 283 p. (OXFORD CLAS-SICAL MONOGRAPHS). Prix : 55 . ISBN 978-0-19-872473-5.

    Les Catgories dAristote sont lun des textes les plus influents de la tradition, du fait de leur place au principe des tudes philosophiques. Elles ouvrent lOrganon, linstrument destin doter les philosophes des outils logiques ncessaires. Or lide dun organon ne remonte pas Aristote, pas plus que celle dun ordre de lecture souvrant sur les Catgories. Le rle central de ce texte ne fut pas prmdit par son auteur, et cest dcortiquer le moment o il acquit sa place que M. Griffin sattelle dans ce livre issu de sa thse de doctorat soutenue Oxford en 2009. Ce faisant, il comble un vide dans les recherches sur cette priode rendue dlicate par la raret des sources. Le tournant de la fin de la Rpublique et du dbut de lEmpire fut travers dintenses dbats entre coles rivales : nopythagorisme, platonisme, stocisme, pi-curisme et, bien entendu, aristotlisme, que nous connaissons grce des sources postrieures, souvent platoniciennes : Plotin, Porphyre, Dexippe, Simplicius (surtout), Jamblique, Philopon, Boce dans une moindre mesure, ainsi que Strabon, Alexandre dAphrodise ou Galien. Suivant un trac chronologique, ce livre reconstruit ce frag-ment dhistoire. Entre lintroduction (chap. 1) et la conclusion (chap. 8), il se divise en trois parties de deux chapitres. La premire dveloppe la redcouverte des Cat-gories, sarticulant autour de deux figures : Andronicos et Eudore (suivi du Pseudo-Archytas). Le chapitre 2, le plus long et le plus important, examine le rle jou par Andronicos de Rhodes (fl. 43 ACN), qui la tradition romance (issue de Strabon et Plutarque) attribue la premire dition dAristote suite la redcouverte miraculeuse de ses crits sous Sylla. Selon toute vraisemblance, cest lui qui les intitula les Cat-gories (elles circulaient sous le titre dAvant les Topiques), qui les situa au dbut de lOrganon, qui en dfinit le sujet et qui souligna lunit des trois parties. Il fut le premier leur reconnatre une porte logique, et non rhtorique comme ses prd-cesseurs (ce quatteste leur titre antrieur) : leur fonction serait de transformer nos prconceptions () sur les sensibles particuliers en notions () correcte-ment articules afin de produire les divisions ncessaires au processus de dfinition. Quant lunit, elle rsulte de la division des catgories en absolues et relatives, ces dernires tant elles-mmes distingues en relatives au sens large (qualit, quantit, etc.) et relatives au sens restreint (les relatifs, le lieu et le temps). Ce faisant, Andronicos rend compte de lordre et de la structure, quil nhsite pas modifier lgrement en inversant lordre dun ou lautre lment. Le chapitre 3 se penche sur Eudore dAlexandrie (fl. 50 ACN), membre des cercles pythagoriciens et contemporain dAndronicos, bien que leur relation soit difficile tablir. Il voit dans les Catgories un trait ontologique portant sur le rel dans son ensemble, sensible et intelligible. Griffin situe dans sa suite le pseudpigraphe attribu Archytas (fl. 50 ACN ?), qui suit une mme ligne de raisonnement, rsolument mtaphysique et pythagoricienne. Puis, la deuxime partie tudie les premires critiques, platoniciennes et stociennes. Le chapitre 4 se penche sur deux figures platonisantes mconnues, Lucius (fl. Ier s. PCN) et Nicostrate (fl. IIe s. PCN), dont les critiques seront lies par la doxographie postrieure (Porphyre et Simplicius). Griffin cherche toutefois les nuances, comparant le type de rponses que chacun a suscites tant entendu que, pour des raisons

  • COMPTES RENDUS 415 chronologiques, seul Lucius put entraner une raction du pripatticien Bothos de Sidon. De faon gnrale, quand il est possible de les distinguer, les critiques de Lucius concernent davantage des questions mtaphysiques, celles de Nicostrate des questions de rhtorique et de structure du trait. Globalement, elles relvent dune lecture ontologique des Catgories qui en souligne les limites relativement lintelli-gible, au sens o elles ne rendent pas compte de ralits aussi essentielles que lUn ou les nombres intelligibles. Quant aux critiques formules par les Stociens au cur du chapitre 5, elles sarticulent autour de deux personnages centraux : Athnodore de Tarse (fl. 50 ACN) et L. Annaeus Cornutus (fl. 60 PCN). Lenjeu en est la division, , qui reoit deux acceptions : la division du trait lui-mme et la division en dix catgories deux groupes dobjections partiellement confondus par Simplicius, mais sur lesquels nos deux figures ne saccordent pas. Si Athnodore accepte volon-tiers le second, Cornutus tend le rejeter. Tous deux se placent toutefois sur le plan de la logique stocienne, le premier estimant que le trait porte sur les expressions comme telles ( ), le second sur les dicibles (). Dans le premier cas, les Catgories forment un trait linguistique ; dans le second, elles mlent les termes logiques leur rfrent ontologique. Mais, de part et dautre, les critiques concluent lincompltude du trait, qui ne rend pas compte de toutes les ralits. Griffin examine ensuite les rponses platoniciennes aux apories stociennes, chez Porphyre, Dexippe et Simplicius, dont il trouve dj le principe chez Cornutus lui-mme, qui critiqua la critique dAthnodore. Dans la dernire partie, plus brve, Griffin examine la synthse pripatticienne. Il consacre le chapitre 6 Bothos de Sidon (fl. Ier s. ACN Ier s. PCN), disciple probable dAndronicos. Cest de lui que partirait la dfinition du skopos des Catgories comme portant sur les mots en tant quils dsignent les ralits , celle-l mme qui sera reprise par Porphyre, Jamblique et Simplicius, une lecture quil aurait dveloppe dans un commentaire linaire aux Catgories et dans un ensemble de rponses aux apories souleves contre ce trait. Un dernier chapitre (7), presque anecdotique, dresse un portrait rapide de quelques figures de la tradition postrieure, qui prpare la voie Alexandre dAphrodise. Signalons enfin la prsence de trois annexes trs utiles la lecture (le catalogue des auteurs et des sources tudies, un point sur les sources et sur les travaux dAndronicos, un rsum analytique des Catgories), dune bibliographie fouille (30 pages), dun index gnral et dun index locorum. Pour le rsumer en peu de mots, ce livre apporte un clairage inform sur des questions essentielles de lhistoire de la tradition philosophique, autant quil approfondit des pistes et en soulve dautres pour des recherches futures sur cette priode mal documente. Comment pourrai-je mieux le recommander au lecteur ? Marc-Antoine GAVRAY Marco BERETTA, Francesco CITTI, Alessandro IANNUCCI (Ed.), Il culto di Epicuro. Testi, Iconografia e paesaggio. Firenze, Leo S. Olschki, 2015. 1 vol., VI-306 p. (BIBLIOTECA DI NUNCIUS , 75). Prix : 34 . ISSN 1122-0910. ISBN 978-88-222-6392-6.

    Louvrage est dabord le fruit dune rencontre interdisciplinaire qui sest tenue Ravenne les 16-17 novembre 2011 sous les auspices du Dipartimento di Beni