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ΤΟΠΟΙ ORIENT-OCCIDENT Volume 7/1 1997

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ΤΟΠΟΙORIENT-OCCIDENT

Volume 7/11997

LE DIORTHÔMA D'AUGUSTE FIXANT LA CONVERSIONDES STATÈRES THESSALIENS EN DENIERS

une situation de « passage à la monnaie unique »

La mention d'un diorthôma fixant le taux de change entre le statèrethessalien et le denier romain est bien connue depuis longtemps par deux décla-rations d'affranchissement gravées sur une stèle provenant de Phères, publiéed'abord par L. Heuzey, puis par O. Kern dans /G, IX 2, sous le n° 415 '.L'inscription, datée par le stratège éponyme qui se trouve être, cette année-là,l'empereur Auguste lui-même, indique clairement que cette « ordonnance » aentraîné un changement de monnaie, et on en a tiré la conclusion que le statèreavait, à partir de ce moment, fait place au denier dans le paiement des taxesd'affranchissement imposées aux affranchis en Thessalie.

Je redonne ici le texte de l'inscription :

/G, IX 2,415, face b[δεκαπέν]-

[τε στατή]-

[ρας κατά]

1.55 [τόΐν νόμίον],

[ά γΚνεταίι]

[κ]ατα το διόίρ]-

θωμα δει-

νάρια εϊκο-

σ[ι] δύο ήμυ-

συ· μηνός

Ερμαίου· Φι-

[λόΊκλεια άπό

Νικίου

του Πα-

[ρ]αμόνου τα-

μιεύοντος

1.70 της πόλε-

ως την πρώ-

την έξάμη-

νον έτους

του έπι Αύ-

τοκράτορος

Καίοαρος

θεού υΐοΰ

τη πόλει

τους δεκα-

πέντε στα-

τήρας κατά

τον νόμον,

ά γίνεται

δεινάρια

1.90 είκοσι δύο

ήμυσυ* μη-

νός Έρμαι-

ου· Άγάθη-

α άπό Παυ-

1. L'inscription est au Louvre (code GHW 5089).

Topoi 1 (1997)p. 63-91

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[Κ]ρατείας τηςΦίλωνος....

Σεβαοτούοι δεδωκό-

1.80 τες έπ' αύ-τώι άπε-

Β. HELLY

σανίου τουΕύβιότου,φύσει δεΠαυσανίου.

λεύθεροι

On sait moins que cette mention n'est pas unique dans les inscriptionsthessaliennes. On la retrouve en effet dans une liste de déclarations d'affran-chissement qui est conservée au Musée de Volos et que j'ai publiée en 1975 2. Laprovenance exacte est inconnue, mais il ne fait pas de doute que la pierre vientd'une cité thessalienne : en témoignent l'utilisation de l'ère auguste, l'appellationΣεβαστήοι pour les personnes, le calendrier, la taxe de 22 deniers et demi, queles affranchis paient « conformément au diorthôma »,

[... οι άπηλευ]-θερωμένοι και δεδωκότες [τή πόλει τα κατά]το διόρθωμα δηνάρια είκοσ[ι δύο και ήμισυ]

L'inscription est datée par le stratège thessalien Hippocratidès et l'indi-cation de la seizième année auguste, qui correspond à 16/5 av. J.-C.

On trouve une troisième mention du diorthôma dans une inscription rele-vant de la même catégorie, les déclarations d'affranchissements, qui a été trouvéedans les fouilles de Néa Anchialos, l'ancienne Thèbes de Phthiotide, en 1972 etpubliée par P. Lazaridis 3. Thèbes de Phtiotide et l'Achaïe Phthiotide font partiede la confédération thessalienne depuis 196 av. J.-C. : on ne s'étonnera donc pasd'y trouver des déclarations d'affranchissements conformes à la législationthessalienne4. Après la mention du trésorier et du stratège thessalien, quis'appelle Épainétos, on trouve la déclaration de l'affranchi :

...ό φάμενος άπηλευθερώσ-θαι και δεδωκώς τή πόλει κατά το διόρθω-μα αργυρίου δ(ηνάρια) ΚΒ<

La date de la stratégie d'Épainétos n'est pas connue, mais elle ne peut pasêtre très éloignée des deux précédentes, même en l'absence d'une référence à l'èreauguste5. Dans la mesure où la mention du diorthôma est commune à ces trois

2. flC#99(1975),p. 120, n° 1,1. 7-8 (code GHW 5319).

3. Praktika 1972 (1974), p. 47,1. 12-13 (SEG, XXVI, 690 ; code GHW 5343).

4. Cf. Polybe, XVII, 46, 5 et 47, 7 ; Tite-Live, XXXIII, 32, 5 et 34, 7.

5. Sur la séquence des stratèges entre 31/30 av. et 13/14 ap., cf. H. KRAMOLISCH, DieStrategen des thessalischen Bundes vom Jahr 196 v. Chr. bis zum Ausgang derrômischen Republik, BAM vol. 18 (1978), p. 125 et n. 8, qu'il faut compléter etcorriger par les observations de F. BURRER, Munzpràgung und Geschichte des thessa-lischen Bundes in der rômischen Kaiserzeit bis auf Hadrian (31 v. Chr. - 138 n.Chr), Saarbriicken (1993), p. 54-55.

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inscriptions, on pense naturellement à les regrouper dans le temps, et cela sembleencore plus justifié si le diorthôma lui-même, en imposant de substituer despaiements en monnaie romaine à des paiements en monnaie grecque frappée parla confédération thessalienne, a été une décision dont les effets ont été immédiatset définitifs. Mais c'est précisément là la question.

De fait, si les documents épigraphiques établissent sans ambiguïtél'existence d'un diorthôma et donnent une idée des résultats auxquels il a conduit,l'instauration en Thessalie du système monétaire romain qui constitue à partird'Auguste la monnaie unique du monde antique, en revanche l'autorité qui l'apromulgué, le contenu exact de la décision, le domaine d'application et les effetsde ce diorthôma ne sont pas connus et ont fait l'objet de conjectures diverses dela part des spécialistes de l'histoire thessalienne et des numismates. Il ne semblepourtant pas que les débats suscités par ces questions aient retenu toute l'atten-tion des historiens de la Grèce et de Rome à l'époque impériale. Plusieurs pointssoulèvent cependant des interrogations dignes d'intérêt. Je classerai ces interro-gations en trois catégories.

1. Problèmes métrologiques

Le texte de la déclaration d'affranchissement de Phères, confirmé par ungrand nombre d'autres listes semblables, établit sans ambiguïté une équivalenceentre le statère thessalien et le denier romain que l'on peut exprimer de lamanière suivante : si 15 statères font, selon le diorthôma, 22 deniers 1/2 ou 22deniers et 4 oboles 6, il s'ensuit que le denier = 8 oboles. Le sens de cette conver-sion est contenu dans l'expression α γίνεται δεινάρια. On en conclut par uncalcul très simple que l'équivalence en question est fondée sur le plus petitmultiple commun aux statères et aux deniers que sont, du point de vue moné-taire, les oboles, et que :

15 statères convertis en oboles font 15 χ 12 oboles, soit 180,équivalant au calcul de 180 divisé par 22 deniers 1/2 (ou 45 demi deniers,

et 180 divisé par 45 = 4), soit 4 oboles par demi denier, 8 oboles par denier.On a pu vérifier depuis la pertinence de ce résultat, en reconnaissant la

mention du victoriat dans deux inscriptions thessaliennes du début du Principat,une mention qui figure en même lieu et place que les 4 oboles ou le demi deniermentionnés le plus souvent7.

6. Sur la mention de quatre oboles au lieu d'un demi denier, qui est fréquente dans lesdéclarations d'affranchissement thessaliennes au début de l'époque impériale romaine,cf. ci dessous, p. 81.

7. Cf. la communication que j'ai faite à Berne en 1979 : « Deux attestations du Victoriatdans les listes d'affranchissement de Thessalie », Actes du 9° Congrès international deNumismatique de Berne (1979), Louvain-la-Neuve et Luxembourg (1982), p. 165-176.

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Dans les traités de numismatique, on a considéré jusqu'à une époquerécente que le monnayage thessalien « combinait curieusement le systèmeathénien et le système du victoriat » 8. Cette interprétation remonte en fait à uneétude publiée par B. Keil et qui proposait une interprétation particulière d'unetablette de bronze d'origine thessalienne qu'avait fait connaître G. Rensch, enappendice à sa thèse sur les affranchissements thessaliens 9. Il convient dereprendre ici ce dossier à partir de la publication de Rensch, qui donnait un facsimilé de l'objet en question 10.

L'interprétation présentée par Rensch se limite à lire les lettres comme desnombres et à identifier le signe du denier ; il transcrit donc le texte comme suit :

305 61 24

* (denier) 12Un essai d'interprétation plus systématique a été fait par B. Keil, dans une

courte note, Hermès, 44 (1909), p. 157-158, note qu'il a développée quelquesannées plus tard dans un article intitulé « Zur Viktoriatusrechnung auf grie-chischen Miinzen » n . Keil, partant de la dernière ligne reconnaît comme Rensch

8. B.V. HEAD, Hist. Num2, p. 311 ; BMC Thessaly, p. XXI : « the stater, of the victoriatusstandard »; repris par LARSEN, Roman Greece, Economie survey of ..., tome IV(1939), p. 330.

9. RENSCH, De manumissionum îitulis apud Thessalos, diss. Halle (1908), p. 130.

10. J'ai déjà esquissé l'étude de ce document dans la communication mentionnée ci-dessus n. 7.

11. Zeit.f. Niim., 32 (1914-1920), p. 46-48.

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le signe du denier avant le nombre IB, donc 12 deniers, mais il identifie autre-ment que Rensch les deux colonnes du texte, en comprenant que la colonne degauche comporte des abréviations de noms d'unités monétaires, celle de droitedes nombres qui sont la traduction de valeurs attribuées aux noms situés sur lamême ligne à gauche. Il en déduit que la tablette donne un tableau d'équiva-lences :

à la ligne du bas on lit * (denier) 12en dessus à droite les chiffres sont 6 et 24à gauche, en tête, on a TEqu'il faut interpréter comme τε(τάρτη) ou τε(ταρτημόριον)et enfin la lettre A, qui est située au milieu, désigne l'unité,de sorte que, au-dessus de A, on a le quart de l'unité, au-dessous la moitié.Keil traduit ensuite ces équivalences : les nombres retenus, 6, 12 et 24

représentent des oboles, et il retient de la dernière ligne qu'un denier = 12 oboles.Comme cette valeur ne correspond pas à ce que nous savons de la valeur dudenier monétaire (Keil retient qu'à l'époque impériale le denier = 1 drachme), cesvaleurs sont pour lui des valeurs pondérales, non des unités monétaires, et ilsuppose que ces valeurs pondérales sont plus anciennes que les valeursmonétaires.

Keil pose que l'unité ancienne de poids était le statère lourd de 4 dr, c'est-à-dire 24 oboles (donc = A de la tablette) et la moitié est le didrachme attique. Ils'ensuit que :

le denier poids =1/2 statère =12 obolesle tétartémorion = 6 oboles (= une dr. monétaire)

Keil reconnaissait d'autre part, en se fondant sur l'inscription de Phèresmentionnant le diorthôma d'Auguste, qu'en Thessalie 15 statères= 22 deniers 1/2ou 4 oboles, dont il s'ensuit que le denier = 8 oboles. Sachant que nous trouvonssouvent, avec des dénominations identiques, une différence entre les valeurspoids et les valeurs monétaires, il supposait donc que les valeurs poids étantautres et nouvelles par rapport à celles-là, il y avait nécessité d'afficher sur unetablette le tarif de poids qui entrait alors en vigueur. Dans son deuxième article,Keil a voulu préciser son raisonnement et fonder sa théorie sur l'hypothèse que lalex Clodia, de 104 environ 12, réduisit le victoriat à la valeur du 1/2 denier, c'est-à-dire d'un quinaire, pour expliquer que le statère thessalien ait pris la valeur d'undouble victoriat.

L'examen de la tablette a été repris par S. Accame dans son ouvrage sur lepouvoir romain en Grèce 13. Accame critique l'interprétation de B. Keil, en

12. Cf. M. CRAWFORD, Coinage and Money under the Roman Republic, Londres (1985),p. 181-183.

13. S. ACCAME, // dominio Romano... (1946), p. 115-123.

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disant qu'il n'est pas sûr que l'unité fondamentale de la tablette (marquée A) soitle statère. Pour lui, cependant, comme pour Keil, il n'est pas douteux que cettetablette fournit des équivalences, mais il construit celles-ci, au contraire de Keil,comme équivalences entre des monnaies grecques et romaines. Il interprète ainsila lettre A comme le signe (bien connu) de la drachme 14 et il pose

te = te(tradrachma) 6 = drachmai 24 = denaria 12,c'est-à-dire que 6 tétradrachmes « attico-macédoniens » correspondent à 24

dr. thessaliennes de valeur attique et à 12 deniers. Il en conclut que l'équivalencede 1 denier avec 2 drachmes est assez favorable pour la monnaie grecque(normalement 1 denier = 1 drachme 1/3 et 1 drachme = 3/4 de denier, qui vaut 8oboles d'après les inscriptions thessaliennes). Mais il ne peut pas dire pour quelleépoque cette équivalence a été en vigueur et il considère que, de toute façon, sielle l'a été, c'était de manière non officielle, l'équivalence en question ayant étéfixée peut-être par un changeur ou un homme d'affaires qui poursuivait ainsi sonpropre intérêt.

Ainsi tomberait, selon Accame, l'argument de Keil qui le conduisait à poserque 1 denier = 12 oboles, et que le 1/2 denier (ou victoriat) était équivalent à 6oboles. Car d'après les inscriptions thessaliennes, on sait que

15 statères = 22 deniers 1/2soit 1 statère = 1 denier 1/2

Ce qui correspond, rappelle-t-il, à ce que l'on sait aussi, sur la base del'inscription de Phères, à savoir que le victoriat = 6 oboles, et un denier = 8oboles (valeur fondée selon lui sur l'équivalence ancienne du victoriat = 3/4 dedenier).

Le diorthôma serait, selon Keil, la preuve qu'avant sa publication, il existaitune relation de valeur différente entre statère et denier et que c'est celle-ci qui estdonnée par la tablette de bronze. De l'instauration du diorthôma on ne peutretenir qu'une chose : que la loi (o nomos) stabilise la taxe d'enregistrement desaffranchis, et que par la suite est intervenue l'autorité publique pour fixer unrapport de valeur entre drachme courante et denier. Mais nous ne savons pas sice rapport vaut en général ou pour ce seul cas particulier, celui de la taxe d'enre-gistrement.

Pour S. Accame, en revanche, les monnaies thessaliennes qui nous sontparvenues, au poids de 6 gr, permettent de fixer que la valeur du statèrethessalien est celle d'1 denier 1/2. L'hypothèse de Keil doit être reprise autre-ment. Selon la théorie de B. Keil, la lex Clodia a réduit le victoriat à la valeurd'un demi denier, c'est-à-dire un quinaire. Mais il n'est pas prouvé que cette

14. S. ACCAME, o.c, p. 122, n. 1 : « Per il segno A sulle dramme ateniesi più recenti ν. Ε.Pernice, Griech. Gewichte, Berlin, 1894, p. 164, n. 594-595 ».

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mesure ait eu des conséquences sur les monnaies grecques 15. Selon Accame,comme pour Keil, le victoriat = 3/4 de denier (donc le victoriat = 6 oboles, undenier en comprend 8). Mais les choses se passent ensuite autrement que dans lathéorie de Keil : après la réduction de 217 av. J.-C. (taille réduite d'l/72e à l/84e

de livre) le victoriat a conservé le même rapport 3/4 par rapport au denier et sonpoids passe de 3,90 g à 2,90 g. Mais ce poids le rapproche de la drachme thessa-lienne (valant une hémidrachme dans l'étalon éginétique et attique qui ont lesmêmes valeurs à partir du 3e siècle) et dont le poids est de 3 gr (entre 2,65 et3,05), le statère thessalien (6 gr) équivalant à une drachme éginétique. Le victo-riat est donc l'équivalent d'un demi statère thessalien, celui-ci vaut deuxvictoriats 16.

Les interprétations de B. Keil et S. Accame ne sont pas convaincantes. Ondoit leur faire plusieurs objections :

a) Contre la construction de Keil : celui-ci considère qu'à l'époque impé-riale le denier monétaire = 1 drachme monétaire. Mais, d'après Hultsch 17, cetteéquivalence est récente : on ne la trouverait pas avant Néron, qui a décidé unedévaluation du denier qui est bien connue. S'y référer, comme le fait Keil, poursupposer que la table donne des valeurs non monétaires, mais pondérales ne tientpas. On doit plutôt supposer que la tablette thessalienne est antérieure à l'insti-tution de cette nouvelle équivalence : car à partir de ce moment-là, on n'a plus eude raison de poser des équivalences différentes de 1 = 1. D'autre part on ne voitpas pourquoi les valeurs poids retenues par Keil ne correspondraient pas à cellesqui paraissent sous-tendre l'équivalence fixée par le diorthôma d'Auguste, ladrachme légère de 6 g et un denier du système semi-oncial, mais à d'autresvaleurs, plus anciennes.

b) Contre l'interprétation d1 Accame : pour lui le victoriat = 3/4 de denier(donc le victoriat = 6 oboles, un denier en comprend 8), ce qui est contraire aurésultat obtenu après la conversion imposée par le diorthôma d'Auguste, qui faitsupposer que 1 victoriat = 1/2 denier = 4 oboles, ce qu'on a pu vérifier depuis en

15. C'est pourtant ce que l'on trouve dans les inscriptions thessaliennes à partird'Auguste : le victoriat = 4 oboles, le denier = 8 oboles (v. ci-dessus).

16. Selon S. Accame, la monnaie thessalienne a une valeur fondée sur la drachme etl'hémidrachme éginétiques, mais ce qui l'intéresse est la relation avec la drachme etrhémidrachme attiques : les monnaies thessaliennes furent frappées, selon lui, parnécessité de payer à l'étranger, spécialement à Athènes et dans les pays utilisant lesystème attique, pays dans lesquels les espèces d'argent courantes auparavant enThessalie (essentiellement macédoniennes) correspondaient mal avec les attiques.Pour Accame (p. 120), la drachme thessalienne de valeur attique devait correspondreen valeur réelle et commerciale à la vraie drachme attique et en est l'équivalent légal,ou plutôt, avec plus de précision, le tétradrachme attique devient l'équivalent de 4drachmes thessaliennes, comme le montre, selon lui, la tablette de bronze deThessalie.

17. Métrologie, p. 160.

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restituant la mention du victoriat dans les inscriptions thessaliennes du début duPrincipat, en même lieu et place que les 4 oboles mentionnées très souvent18. Onne peut donc retenir son affirmation que, même si l'hypothèse de Keil selonlequel la lex Clodia a réduit le victoriat à la valeur d'un demi-denier, c'est-à-direun quinaire, est juste, il n'est cependant pas prouvé que cette mesure ait eu desconséquences sur les monnaies grecques. Tombe aussi du même coup le discourssur l'équivalence pondérale entre le victoriat (ancien, 3/4 de denier) et le statèrethessalien, au moins à partir du moment où le victoriat vaut un demi denier, unquinaire, c'est-à-dire dès la fin du 2e siècle av. J.-C, bien antérieurement audiorthôma d'Auguste. De toute façon la tablette n'est pas antérieure à cettedate 19.

Il faut reprendre l'analyse de la tablette, et le faire en se référant, pourl'interprétation, à d'autres sources que l'objet lui-même. On doit d'une part, enprenant d'abord le point de vue de l'archéologue, considérer de plus près quellepeut être la nature et la fonction de l'objet en question, d'autre part, dans la pers-pective de l'étude numismatique, se rapporter non seulement à la définitionqu'elle paraît donner des espèces monétaires utilisées, si on peut les identifierclairement, mais aussi aux écrits métrologiques qui nous ont été conservés et quidonnent des informations à mon avis essentielles sur les modes de calcul detelles équivalences monétaires.

Ni B. Keil ni S. Accame n'ont pu examiner directement la tablette debronze qu'ils prétendaient interpréter. Ils ne disposaient que du dessin fourni à G.Rensch par O. Kern et des commentaires, très succincts, de G. Rensch lui-même.Même la publication initiale de N. Giannopoulos que Rensch mentionne dansson travail n'est pas accessible : j'ai vainement cherché dans le Δέλτιον "Οθρυος,Τεύχος Α (1899), p. 12 et la mention de l'objet et la note (additamentum, en grecparartémà) de N. Giannopoulos qui, selon Rensch, devait l'accompagner 20. Fortheureusement, le même Giannopoulos a enregistré la tablette en question dansl'inventaire du Musée d'Halmyros qu'il avait établi (inv. A conservé à l'Éphoriedes Antiquités de Volos). Grâce à l'obligeance de nos collègues de Volos, j'ai puen retrouver la mention dans cet inventaire, dans le chapitre des metallika, aun° 143, avec la description suivante :

18. Cf. ci-dessus, mon étude signalée n. 7.

19. C'est ce qu'on doit conclure de l'utilisation du sigle du denier. Pour la date de latablette, cf. ci-dessous.

20. Rensch a-t-il fait une erreur dans la référence ? Ou s'est-il fié à une informationdonnée par Kern, selon lequel N. Giannopoulos devait publier l'objet, ce qu'il n'afinalement pas fait ? On ne peut le dire ; en tout cas, pour le second objet que Renschpublie, un poids, il renvoie au même Delîion Oîhryos, p. 8, n° 12 où se trouveeffectivement la mention attendue.

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« Provenance : de Pyrasos. Plaque de bronze carrée faite d'une feuille (debronze) de 5 mm d'épaisseur, avec en haut un tenon percé d'un trou pourfixation. Sur la face antérieure, l'inscription ci-dessous » (suit la transcription).

L'inventaire fait connaître la provenance, Pyrasos : c'est le nom de la citéclassique qui servait de port à Thèbes de Phthiotide et qui est devenue, sous cenom, le principal établissement d'Achaïe Phthiotide à l'époque impériale et dansl'Antiquité tardive ; il en subsiste aujourd'hui d'importants vestiges dans la petiteville de Néa Anchialos. Le nom de Pyrasos est utilisé au temps de Giannopoulospour désigner cette cité antique. On se rappellera que l'une des trois inscriptionsmentionnant le diorthôma (voir ci-dessus) provient des fouilles effectuées par P.Lazaridis sur ce site.

L'inventaire, en revanche, ne nous donne malheureusement pas lesdimensions totales de la plaquette. Faute d'avoir pour l'instant retrouvé l'objetdans les collections du Musée, qui, suite au tremblement de terre de 1984, sonten cours de réorganisation, nous pouvons cependant tirer quelques indicationsdes dessins que G. Rensch tenait de O. Kern. Pour la date tout d'abord : nousn'avons pour en juger que le fac similé publié par Rensch et sa propre évaluation(appuyée, je pense, sur les connaissances de Kern, spécialement familier de l'épi-graphie thessalienne par son travail de préparation du corpus /G, IX 2) : «AdRomanorum aetatem haud dubie spectat atque forîasse primo p. Chr. n. saeculoexarasse videturpropter litteraturam atque propter significationem denarii *...».Ce n'est certes pas très déterminant. La tablette porte une inscription incisée à lapointe, qui n'est cependant pas en écriture cursive. On note la présence d'unepsilon lunaire et d'un alpha à barre brisée, mais ce type de lettres se rencontredès l'époque hellénistique dans les inscriptions thessaliennes, comme ailleursaussi. Les autres lettres sont bien dessinées et peu significatives pour la datation.L'ensemble paraît relever plus directement des habitudes de l'écriture épigra-phique que de celle d'un graffito. Faute d'autres signes d'un dessin plus caracté-ristique, on peut dire que cette écriture ne peut pas être datée avec précision,mais si on utilise les critères de datation valables pour les inscriptions, onhésitera à situer l'écriture de la tablette à l'époque impériale tardive. En défini-tive, c'est plutôt l'interprétation du texte de la tablette qui devrait conduire àdéterminer sa date et sur ce point les prises de position peuvent être très diffé-rentes, nous l'avons vu. On ne peut que noter, cependant, que Keil et Accame,dans leurs reconstructions, ont tenu compte de la proposition de date formuléeprudemment par Rensch.

En ce qui concerne les dimensions totales de l'objet, nous devonségalement faire confiance au dessin. Le poids en plomb et la tablette reproduitspar Rensch sont vraisemblablement représentés à la même échelle 21 ; or le poids

21. En matière de dessin d'objets, on connaît bien les habitudes de O. Kern par sesarticles et le corpus /G, IX 2, ainsi que celles de N. Giannopoulos, par les inventaireset les publications, les mêmes dessins ayant été utilisés dans les uns et dans les autres.

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en question, de forme carrée, mesure 5 cm de côté. On peut penser que la tabletteen bronze ne devait guère excéder ces dimensions. Les dimensions des lettres del'inscription incisée dans le bronze sont en rapport avec ces mesures : elles nedoivent pas être supérieures à 1 cm pour les plus grandes.

Cette observation, qui n'est fondée que sur un rapprochementvraisemblable, conduit à elle seule à mettre en doute l'interprétation d'ensembleque B. Keil et après lui S. Accame ont voulu donner de la plaque trouvée àPyrasos. Il s'agissait pour eux d'une tablette de changeur destinée à publier paraffichage des taux de conversion entre monnaies grecques et denier romain. Maisles dimensions que devait avoir cet objet semblent bien exclure son utilisationcomme affiche : la plaque est, je pense beaucoup trop petite pour remplir cettefonction. Il faut chercher autre chose.

Pour interpréter la tablette de Pyrasos, on peut faire un rapprochement avecune catégorie d'objets signalée par J. Bousquet dans son volume sur les comptesde Delphes. En rappelant que les monnaies étaient souvent stockées et trans-portées dans des sacs et dans des jarres 22, J. Bousquet mentionne une anecdoterapportée par Plutarque, dans sa Vie de Lysandre, 16 ; « Après la défaited'Athènes, Lysandre charge Gylippe de convoyer une forte somme à Sparte, en"chouettes attiques". Gylippe, cédant à l'avidité d'un Spartiate privé (en principe)de manier de l'argent, ne résista pas à découdre le fond des sacs qui étaientapparemment en cuir, préleva ce qu'il voulut dans chaque sac, puis les fit re-coudre, sans se douter qu'il y avait, dans chaque sac, outre les sceaux extérieurs,un "bordereau" qui en spécifiait le contenu άγνοήσας δ τι γραμματίδιον ένήνέκάστω τον αριθμόν σημαίνον. Arrivé à Sparte, il fit cacher sous les tuiles de samaison l'argent dérobé et remit les sacs aux éphores en leur faisant bien voir lessceaux intacts. Les éphores ayant ouvert les sacs par le haut et compté l'argentconstatèrent que le montant des espèces dénombrées ne s'accordait pas avec lesbordereaux, διεφώνει προς τα γράμματα το πλήθος του αργυρίου ». Et J.Bousquet conclut : « on voit clairement que la monnaie, à l'arrivée comme audépart, était comptée et non pesée 23 ; on voit quel est le soin des comptables quiplacent un grammitidion à l'intérieur des sacs et les marquent de leur sceau àl'extérieur. Il devait en être de même à Delphes ». Plutarque parle ainsi d'ungrammatidion et de grammata pour désigner ces bordereaux décrivant, parespèces, le contenu d'un sac, d'une jarre ou, peut-on ajouter, de tout lot demonnaies, de toute encaisse, quelle qu'elle soit. Ce sont ces termes mêmes quis'appliquent le mieux, je crois, à la tablette de Pyrasos.

22. J. BOUSQUET, Corpus des Inscriptions de Delphes, Les comptes, Paris (1988), p. 161et note additionnelle, p. 165.

23. J. Bousquet insiste, p. 163, sur le fait que pour tout lot de monnaies le dénombrementse fait non pas en poids, mais toujours par un décompte en nombre, άριθμω, commeon l'a vu faire dans l'anecdote de Gylippe.

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J. Bousquet a complété ses observations en précisant dans une noteadditionnelle qu'on doit identifier, de manière certaine à son avis, comme étantun exemple de grammatidion un fragment de lame de bronze trouvé dans lesanctuaire phocidien d'Artémis Élaphébolos à l'Est d'Élatée, et publié par C.S.Felsch et P. Siewert en 1987 24. Cette lamelle de bronze (dim. 25,9 cm de long,5,1 cm de haut, 0,1 mm d'épaisseur), ornée à gauche d'une palmette (celle dedroite a disparu), est, selon J. Bousquet, « un lambeau évident de la décorationde quelque coffre » : on relève en effet la trace d'un clou passé dans un trou defixation au bord de la feuille centrale de la palmette à gauche, et l'on doitsupposer un trou identique dans la palmette manquant à droite. Les éditeursprécisent que la plaquette avait dû être préparée exprès pour recevoir uneinscription (incisée) et qu'elle était peut-être « einen Kastenbeschlag, der iiberden Verschluss genagelt wurde ». L'inscription, datée par le style des lettresd'environ 450 av., indique en tout cas le contenu de cette « caisse », soit 12mines et 13 statères. Pour C.S. Felsch et P. Siewert, le sanctuaire d'Artémis avaitaussi la fonction d'une banque : comme dans les autres temples qui avaient cettefonction, on conservait des jarres, des cassettes en bronze ou des sacs de cuirscellés contenant des sommes diverses 25, et constituée d'espèces monétairescomptées en nombre et, quand il le fallait, par catégories distinctes.

Ces rapprochements, pour si intéressants qu'ils soient, ne semblentcependant pas totalement pertinents. Les sommes mentionnées sur le« bordereau » de Lysandre ou celui du temple d'Artémis Élaphébolos sont consi-dérables. Au contraire, la tablette de Pyrasos, s'il faut la considérer comme unbordereau de caisse et croire qu'elle ne dit rien de plus que ce qu'elle dit, n'enre-gistre qu'une somme bien peu importante, comptée en espèces grecques etromaines, et qui sont :

té(tradrachmes) 6drachmes 24deniers 12

Soit au total 48 drachmes en monnaie grecque et l'équivalent de 16drachmes en monnaie romaine, si l'on prend pour base de calcul la valeur dudenier fixée par le diorthôma d'Auguste (12 deniers à 8 oboles pour un denier=96, divisé par 6 oboles pour une drachme = 16). L'encaisse indiquée par latablette-bordereau, le grammatidion de Pyrasos, est ainsi l'équivalent de 64drachmes ou 384 oboles. Converti en totalité en monnaie romaine, le total ferait48 deniers. A titre de comparaison, cette somme peut représenter par exemple

24. « Inschriften aus dem Heiligtum von Hyampolis bei Kalapodi », Arch. Anzeiçer(1987), 4, p. 684-686, n° 2.

25. « Da die Bleitafel (inscription n° 1) die Funktion des Heiligtums als Bank bezeugtund die Gelder der Tempelbanken in Krugen, Bronzekassetten oder versiegeltenLedersàcken aufbewahrt wurden, liegt der Vermutung nahe, dass die Inschrift desBandes den Inhalt eines wohl verschlossenen Geldverhàltnisses bezeichnete », avecrenvoi à R. BOGAERT, Banques et banquiers..., p. 287.

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deux fois la taxe d'affranchissement de 22 deniers et demi, soit 45 deniers, plustrois.

Mais ce peut être aussi bien autre chose...

Même s'il paraît naturel de penser que de tels bordereaux devaient êtreutilisés pour des sommes beaucoup moins importantes que celles de Lysandre oudu temple d'Artémis Élaphébolos, pour des encaisses qu'on peut avoir à consti-tuer ou à manipuler dans la vie quotidienne et dans la sphère privée, il semblebien que la référence à cet usage des bordereaux ne soit pas totalement pertinentepour expliquer la fonction de la tablette de Pyrasos. On ne peut d'ailleurs paséviter de porter attention aux nombres enregistrés sur la tablette en question.Comme l'avaient remarqué Keil et Accame, ces nombres 6, 12 et 24 représententdes multiples de deux et expriment peut-être des rapports numériques (un quartde l'unité, un demi de l'unité et l'unité, selon Keil) dont il convient d'examiners'ils ont une signification.

S'il est question de rapports numériques, et en particulier de divisions, onpeut tenter d'exploiter dans le même sens une définition du denier qui figure dansun traité ancien de métrologie et qui dit : διαιριειται δε εκ περιουσίας και τοδηνάριον κατά 'Ρωμαίους εις μέρη ,αρνβ1 * έχει γαρ τροπαικα β1, νούμμους δ',άσσάρια \f 2 6. On retiendra ici les termes utilisés, le verbe διαιριέιται et le motμέρη qui renvoient clairement à l'existence d'une division par quantièmes 27.Cette interprétation est renforcée par la présence de l'expression εκ περιουσίας,dont la traduction ne paraît pas à première vue faire difficulté : en se référant auxemplois courants du terme, on devrait pouvoir utiliser pour le traduire uneformule comme « par excès ». Mais cela ne donne en fait aucun sens satisfaisant,car la division d'un ensemble en quantièmes, dans un tel cas, ne peut avoir ni« reste » ni « défaut », elle doit tomber juste. En fait, le mot περιουσία n'a paspour sens premier celui d'« excès » ou de « superflu », mais celui d'« abon-dance » 28. L'expression apparaît ici comme une sorte de décalque littéral du latin« ex abundantia » 29, et elle doit désigner ici ce que les Anciens appelaient

26. Fragmentum Alexandrini anonymi de talentis et denario, fgt 95, 8 (141,9 Calvus), inHULTSCH, Metrologici graeci, p. 300 ; les nombres donnés dans le texte sontcorrompus en deux endroits, mais les corrections adoptées par tous, qui viennent deSaumaize, s'imposent.

27. Pour ce mode de calcul, avec l'expression διαιριέιται εις μέρη, cf. mes observationsdans « Arithmétique et histoire : L'organisation militaire et politique des Ioniens enAchaïe à l'époque archaïque », dans ce volume.

28. Comme aussi le verbe περί θυσιάζει ν, voir les sens et les emplois de ces termes dansTLG, s.v.

29. Cette manière de traduire par équivalents « mot pour mot » du latin au grec ouinversement, quel que soit le contexte, est bien connue.

LE DIORTHÔMA D'AUGUSTE 75

« l'abondance d'un nombre ». Un « nombre abondant » est qualifié ainsi parcequ'il admet un maximum de diviseurs 30. On peut alors traduire le texte de lamanière suivante : « le denier aussi, chez les Romains, est divisé arithmé-tiquement par un nombre abondant, en 1152 quantièmes ; il contient 2 victoriats,4 nummi, 16 assaria ».

Cette division en quantièmes introduit un calcul qui doit être, à mon avis,essentiel pour la mise en œuvre des conversions entre monnaies : le nombreutilisé, 1152, peut peut-être avoir une valeur en termes monétaires, par référencepar exemple à la taille de la livre d'argent : le denier vaut 1/72 de livre, or 1152est divisible par 72, avec pour résultat 16, et par 16 avec pour résultat 72 ; mais ilne semble pas que ce soit là l'important31. Du point de vue arithmétique, lenombre en question a dû servir de base de calcul commune entre le système dudenier et un (ou plusieurs) autres systèmes de calcul différents, par exemplesd'autres systèmes monétaires ; il peut en particulier être considéré comme lePPCM de quantièmes utilisables dans le système romain, ce que dit le texte, maisaussi dans le système grec (puisque le traité comme le dit son titre, permet deposer des définitions métrologiques comparatives entre les deux systèmes).Voyons donc si ces hypothèses se vérifient par référence à l'organisation du textede la tablette.

Prenons pour base du calcul la dernière ligne, qui mentionne les deniers,puisque c'est aussi dans ce sens que va le texte métrologique. En partant donc del'expression

* (deniers) IB = 12.et en considérant la valeur 12 non pas seulement comme un nombre d'espècesmonétaires, mais aussi comme un diviseur, on constate que, si l'on divise lenombre de référence (μέρη ,αρνβ1) par 12, on obtient l'équivalence :

30. Plus exactement un nombre de diviseurs dont la somme dépasse la valeur du nombrelui-même, ce qui caractérise un nombre « abondant », en grec ύπερτελούς sur cettenotion et celle de nombre parfait, τέλειος, (égal à la somme de ses diviseurs), cf.M. CAVEING, La constitution du type mathématique de l'idéalité dans la penséegrecque, thèse Paris 1977 (Atelier de reproduction des thèses, Lille, 1982), p. 833-841. C'est le cas pour 1152, qui est divisible par 2 et le résultat de cette division,indiqué ici entre parenthèse, soit (572), par 3 (384), 4 (288), 6 (199), 8 (144), 9 (128),12 (96), 16 (72), 18 (64), 24 (48), 32 (36) ; le total étant de 2162. On notera que 6 et28, pour ne citer que ceux là, sont des nombres parfaits, c'est-à-dire que la somme deleurs diviseurs est égale au nombre lui-même (ainsi la somme des diviseurs de 6 quiest celle de 1 + 2 + 3 = 6).

31. Les Anciens avaient, davantage que nous, la pratique de donner aux nombres uneidentité et des propriétés qui étaient normalement polysémiques : pour nous 1152 n'estque 1151 + 1 ou 1153 - 1, il n'est pas identifié par le nombre de ses diviseurs et telleou telle autre particularité. On n'a cependant pas totalement perdu ces habitudesaujourd'hui, et on en retrouve de semblables, par exemple en informatique, quand ontraite de la série des puissances de deux.

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^(deniers) IB = 12 et 1152 avec diviseur 12 = 96un nombre qu'on peut rapporter à un système hexadique, celui de la

drachme, qui vaut 6 oboles. Or 16 drachmes χ 6 oboles = 96 oboles. D'où l'onpeut tirer que 12 deniers =16 drachmes.

Ce même calcul permet de retrouver également la valeur du denier enoboles dans le système grec, en rapportant ainsi 96 à la base 8 ou octadique :

96 (oboles) :12 ^(deniers)- 8 oboles par denier.On joue ainsi sur des bases proportionnelles, car le diviseur 12 = 3x4, et

l'on sait que dans le système de conversion établi ici entre la drachme et ledenier, la première est l'équivalent des 3/4 du second 32. On a donc tous les élé-ments pour calculer le rapport de conversion entre la drachme et le denier, sui-des bases qui sont identiques à celles que l'on trouve fixées par le diorthômathessalien.

En appliquant le même principe de calcul aux deux autres lignes de latablette, mais dans l'autre sens, c'est-à-dire vers un système à base 8 ou octadique(un denier vaut 8 oboles), on peut faire alors les opérations suivantes :

A ΚΔ est une expression dans laquelle 24 = 3 χ 8, et 8 est un quantième(diviseur) à appliquer au nombre total de quantièmes (1152), soit :

1152 : 8 = 144 (quantièmes)Si on rapporte ce nombre au système de la drachme, on constate que 24

drachmes χ 6 oboles = 144 oboles et que, parallèlement, 144 oboles : 8 = 18deniers. Une fois de plus, le rapport 3/4 est exprimé par le rapport desquantièmes.

De même TE f est une expression dans laquelle 6 est lui aussi dans lemême rapport 3/4 de 8 que dans le cas précédent. Le diviseur à appliquer aunombre total de quantièmes (1152) donne une fois encore :

1152 : 8 = 144 (quantièmes).ce qui renvoie purement et simplement au calcul précédent, puisque 6

tétradrachmes équivalent à 24 drachmes.Or on s'aperçoit que l'on peut sans difficulté faire correspondre les valeurs

trouvées à la suite de la division en quantièmes des lignes 1 et 2, qui sontfondées sur la métrologie romaine, avec le système grec, c'est-à-dire avec uncompte en oboles qui est « hexadique ». On s'aperçoit en effet que si l'on divise

32. A l'époque de la tablette, on sait évidemment exprimer des nombres fractionnaires,mais il faut bien comprendre que dans le domaine monétaire, où les différentesdénominations constituent un système organisé, il n'est pas question d'utiliser unnombre fractionnaire : comme dans d'autres domaines du « monde sensible », pour lapensée antique, c'est le rapport partie-tout qui est en cause, non la forme arithmétique« pertinente » (par ex. trois-demis, un tiers, etc.) et on ne peut donc que rechercher etexprimer les quantièmes nécessaires à définir telle ou telle dénomination qui se trouveen rapport avec les autres et avec un tout donné.

LE DIORTHÔMA D'AUGUSTE 77

par 6 les valeurs des divisions faites sur les lignes 1 et 2, on obtient les corres-pondances exactes des rapports suivants :

pour A diviseur ΚΔ = 1152 : 24 = 48 et 48 : 8 = 6 avec la valeur d'unedrachme, et

pour TE diviseur f = 1152 : 6 = 192 et 192 : 8 = 24 soit la valeur endrachmes de 6 tétradrachmes.

Le sens de ces résultats est clair. Si on applique aux valeurs exprimées dansla tablette de Pyrasos les valeurs de conversion entre drachme et denier utiliséesen Grèce avant Auguste et en Thessalie à la suite du diorthôma, on obtient laconfirmation que :

12 deniers = 96 (8 χ 12) oboles ou 16 drachmes (qui vaut 6 oboles) puisque16x6 = 96.

Selon le mode de calcul qui a été mis en évidence et qui est fondé, pour lenombre 1152, sur les proportionnalités de puissance 2 (et plus spécialement 23

= 8) et de 3 (en particulier 32), toutes les autres valeurs qu'on voudrait introduiredans le calcul ne donneraient pas un compte rond, seules les trois valeurs rete-nues le permettent. On doit ajouter que, comme PPCM de trois nombres, lenombre 1152 est remarquable, parce qu'il est extrêmement faible : normalement,dans le calcul du PPCM de trois nombres, on va à des nombres bien plus impor-tants. Ce qui conduit le mathématicien à dire que le choix de ce PPCM ne peutaucunement être dû au hasard 33. Ces trois valeurs confirment que l'équivalenceentre statère et denier fixée par le diorthôma d'Auguste en Thessalie est aussi unevaleur correcte dans le contexte des traités de métrologie, à savoir que :

— 1 drachme vaut 3/4 de denier,— 1 denier vaut 8 oboles ou 1 drachme et 1/3 de drachme.

Il y a plus. Dans la tablette de Pyrasos, il n'est pas question de statèresthessaliens. On peut penser qu'il s'agit cependant de monnaies grecques 34, quiseraient soit des drachmes et des oboles (interprétation de Keil), soit des tétra-drachmes et des drachmes (interprétation d'Accame, que j'ai retenue en lamodifiant). Les espèces monétaires ainsi désignées ne peuvent en tout cas pascorrespondre à des monnaies émises en Thessalie antérieurement au Principat,car on n'y a jamais frappé de tétradrachmes, mais des statères, des drachmes etleurs subdivisions. Mais les tétradrachmes non thessaliens circulaient certaine-ment à Pyrasos, qui est l'un des ports de Thessalie, largement ouvert sur l'exté-rieur, mais aussi, c'est vraisemblable, dans toute la région. Si l'on se rapporte auxéléments connus de la circulation monétaire dans les pays grecs à la fin de la

33. Je remercie mon ami J.-L. Leonhardt, informaticien, d'avoir attiré mon attention surce point.

34. Notre collègue J.H. Kroll (communication per litteris) pencherait plutôt pour dessubdvisions des monnaies d'époque impériale.

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période hellénistique 35, il ne peut s'agir que des monnaies athéniennes du Nou-veau Style, les plus répandues et les plus utilisées en Grèce à cette époque 36.

On peut donc également conclure sur la fonction de la tablette de Pyrasos :elle n'est sans doute pas une tablette destinée à l'affichage public. C'est ce quel'on pouvait déjà déduire des dimensions qu'il faut vraisemblablement luiattribuer. Mais on peut tirer une conclusion plus ferme sur ce point, après l'ana-lyse de son contenu : celui-ci semble donner les éléments nécessaires à descalculs de conversion entre le denier et les tétradrachmes et drachmes attiques (etpar là aussi du statère thessalien, qui équivaut à une drachme attique), élémentsde calcul qui ne sont pas destinés à tout un chacun, mais bien plutôt au changeurlui-même. La tablette est bien ainsi, en définitive, un grammatidion, mais au sensque donne Aristote au mot diagramma, qui désigne non pas une « figure » ou un« dessin », mais plus souvent un « tableau de nombres » 37 et, doit-on ajouter, denombres remarquables par leurs propriétés.

On peut enfin vérifier que l'équivalence entre drachmes et deniers estétablie non pas seulement par le diorthôma thessalien qui a servi de base decalcul en Thessalie même, mais aussi par la référence à ce que nous tirons desdéfinitions enregistrées par les traités de métrologie. Il convient maintenantd'examiner quelles ont été les conséquences de cette conversion des monnaies,en étudiant les monnayages eux-mêmes et la circulation monétaire.

2. Problèmes numismatiques : monnayage et circulation

Pour la plupart des historiens de la Thessalie, il est apparu évident que lediorthôma a marqué la fin totale et définitive des émissions monétaires thessa-liennes en statères. C'est donc bien une conversion des monnaies que lediorthôma imposait : on est passé de la drachme et du statère thessaliens audenier. Cependant H. Kramolisch a supposé que la frappe des statères thessaliensavait perduré au moins quelques années après l'avènement du principat. Encherchant à établir la liste des stratèges thessaliens jusqu'à Auguste, et enacceptant le postulat que les monétaires thessaliens étaient des stratèges de laconfédération, il a cru pouvoir constater que le nombre des émissions thessa-

35. Cf. M. CRAWFORD, o.c, p. 125-128 et 197.

36. Cette certitude, fondée sur l'étude des trésors monétaires, conduit à une conclusionacceptée par les historiens et les numismates ; comme le dit par ex. M. CRAWFORD,o.c, p. 127 (pour la période postérieure à 146 av.) : « Athens was the only mint activesouth of Thessaly, apart from a tiny issue of Chalcis, The resuit was the finalacceptance in the Greek world of the silver coinage of Athens as a sort ofinternational currency ».

37. Ce sens de diagramma m'a été signalé par M. Caveing à l'occasion d'une discussionsur les travaux que j'ai évoqués ci-dessus n. 23.

LE DIORTHÔMA D'AUGUSTE 79

liennes autonomes qu'il est vraisemblable de classer dans les années 50-30 av.donnait des listes trop fournies de stratèges homonymes pour un intervalle detemps aussi réduit. Pour éliminer cette difficulté, il a proposé d'admettre que lesstatères fédéraux ont pu être frappés pendant une plus longue période et encoresous le règne d'Auguste 38.

J'ai fourni, dans mon étude sur les rythmes de la production monétaire enThessalie 39, deux arguments, qui me paraissent dirimants, contre cettesupposition. Premièrement, le nombre des homonymies possibles pour la sériemonétaire en question est de sept pour une période de 18 ans (49-31 av. J.-C.)pour laquelle on connaît en tout 13 noms, ceux-ci compris ; on ne peut pasclairement distinguer s'il s'agit de personnages différents ou des mêmespersonnages. Mais d'autre part et surtout, j'ai pu montrer que les émissions moné-taires des Thessaliens ne sont pas des émissions régulières, annuelles, commecelles des monnaies stéphanéphores d'Athènes, mais des émissions « par lots »,ce qui conduit à accepter la possibilité d'avoir, dans une même année, desémissions répétées, ou au contraire, pour une ou plusieurs années, une absencede frappes monétaires. On doit en conclure que les noms qui figurent sur cesmonnaies ne sont pas ceux des stratèges (conclusion déjà retenue commepossible par Kramolisch), mais de personnages qui « ont été aussi, à un momentde leur carrière, des stratèges de la Confédération » : il est en conséquence vainde chercher à classer « par année » les statères thessaliens, chaque fois qu'appa-raît un nouveau nom à la suite d'un autre. Les arguments sur lesquels on pourraits'appuyer pour supposer une prolongation des émissions des statères thessaliensau delà de la promulgation du diorthôma d'Auguste ne tiennent pas.

D'autres constats permettent d'établir au contraire que le diorthôma a étépris en concomitance avec l'arrêt total des émissions et que de nouvelles dispo-sitions ont été prises, sans qu'on puisse cependant assurer que celles-ci ont été laconséquence directe de celle-là. Il ne fait pas de doute en tout cas que, jusqu'à lapublication du diorthôma, la seule monnaie légale est la thessalienne et, commele montrent les inscriptions, les paiements de la taxe se font, kata ton nomon, enstatères 40. Mais cela n'exclut nullement que, parallèlement aux monnaies

38. H. KRAMOLISCH, Strategen, p. 107-110 et 137-138, avec les conclusions p. 109. Surtous ces points, cf. ma communication « Les émissions monétaires de la Confé-dération thessalienne (IIe-Ier s. av. J.-C.) », in Rythmes de la production monétaire del'Antiquité à nos jours, Actes du Colloque international organisé à Paris du 10 au 12janvier 1986, Louvain, (1987), p. 39-53.

39. Ci-dessus, n. précédente ; voir aussi « Les Italiens en Thessalie au IIe et au Ier s. av.J.-C. », in Les bourgeoisies municipales italiennes au IIe et au Ier s. av. J.-C, Actesdu colloque international du Centre Jean-Bérard, 1981, (paru en 1983), p. 377, n. 113.

40. Sur la valeur de l'expression kata ton nomon, qui apparaît dans ces listes dedéclarations d'affranchis, insérée à des places diverses du formulaire, cf. mesremarques dans « Lois sur les affranchis dans les inscriptions thessaliennes », Phénix(1976), p. 143-158.

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« locales », le denier ait également circulé en Thessalie. Les trésors du Ier s. av.J.-C. trouvés en Grèce montrent clairement la pénétration du denier dans toutesles régions du pays 41, même si, en Thessalie, la production monétaire autonome,surtout celle des statères, semble avoir eu son apogée au moment des Guerresciviles. Mais il s'agit là d'émissions à caractère nettement plus politique qu'éco-nomique 42. Il est intéressant de noter que le trésor d'Aidona (IGCH 351) com-portait, à côté de ces émissions, aussi des deniers romains.

Il faut cependant distinguer la circulation réelle des espèces et l'utilisationdu denier comme monnaie de compte : cette utilisation ne s'est introduite quelentement en Grèce 43. On constate ainsi qu'à Messène, dans l'inscriptionrapportant une oktôbolos eisphora avec des contributions d'un montant de 8oboles par mines, l'assiette des propriétés soumises à la taxe est fixée en talents,etc., mais que le montant total qui est dû, certainement à Rome, est calculé endeniers, utilisé à la fois comme monnaie de compte et unité de base 44. Il meparaît en tout cas important de noter que le fondement de l'opération conduit àretrouver en définitive le rapport de 8 oboles pour un denier que nous avons déjàanalysé ci-dessus.

Reste à savoir si, dans toute la Grèce, le denier a effectivement remplacéles drachmes et les statères dans les opérations courantes à partir du début duPrincipat. L. Migeotte a montré qu'à Messène, dans la souscription organiséepour la restauration de divers monuments publics, souscription qui est connuepar un décret honorant le secrétaire du conseil et les souscripteurs, et qui datecertainement de l'époque d'Auguste (entre 15 ou 10 av. et 14 ap. J.-C), tous lesversements sont libellés en deniers 45. Cela prouve, comme il le dit, « qu'à cemoment, s'il ne circulait pas encore concrètement, le denier servait au moins demonnaie de compte, même pour les citoyens messéniens ». Plus nettement, pourla Thessalie, on peut citer une inscription de Kiérion, probablement de la même

41. M. CRAWFORD, O.C, p. 197, qui donne, pour cause de cette pénétration, les activitésmilitaires répétées des Romains en Grèce et une sorte de « monetary vacuum » quin'existait pas, en revanche, en Asie-Mineure.

42. M. CRAWFORD, o.c, p. 245.

43. D. KNOEPFLER, « L'intitulé oublié d'un compte des naopes béotiens », dans Comptes etinventaires dans la cité grecque (1988), p. 283-285 ; D. Knoepfler est d'avis que ledenier n'a circulé concrètement en Grèce qu'à partir de l'époque impériale.

44. Citée par M. CRAWFORD, o.c, p. 270, et n. 21 : IG, V 1, 1432-3, à comparer à 1434(propriétés de citoyens Romains évaluées en deniers), cf. A. WILHELM, JOAI (1914),p. 1-120, Urkunden aus Messène ; M.N. TOD, BSA (1926-27), p. 151-157 (liste desouscription d'Andania) ; pour la date cf. A. GIOVANNINI, Rome et la circulationmonétaire en Grèce au IIe s. av. J.-C. (1978), Appendice II, p. 115-122 et maintenantl'étude de L. Migeotte, dans ce volume.

45. L. MIGEOTTE, BCH 109 (1985), p. 597-607.

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époque, avec une liste de contributions à une proeisphora destinée à financer lareconstruction du bouleion : ces contributions y sont inscrites en deniers 46.

On peut, pour la Thessalie tout au moins, aller encore plus loin. Il fautdistinguer, sur ce point, entre frappe monétaire et circulation monétaire. Decelle-ci, les nombreuses déclarations d'affranchissement datées des dernièresannées avant Actium et des toutes premières années du règne d'Auguste donnentune image intéressante, même si elle reste partielle, pour la période qui se situejuste avant et juste après la promulgation du diorthôma d'Auguste. Après lapromulgation du diorthôma, tous les paiements de la taxe d'affranchissementsont effectués en deniers, le montant de la taxe étant fixé à 22 deniers et demi.Mais les subdivisions, notamment le demi denier, sont encore comptées soit enoboles, soit en tropaika, comme le montrent plusieurs inscriptions 47. Par deuxautres inscriptions contemporaines qui portent des déclarations d'affran-chissement et qui sont datées du même stratège Eurydamas, fils d'Androsthénès(26/5 av.), l'une de Larisa, l'autre de Gonnoi, on voit que dans la grande capitalede la région le paiement de la taxe est inscrit en statères alors que dans la petitecité proche de Tempe il figure en deniers 48. On trouve enfin une contremarque,avec les lettres ΣΕΒ dans un champ ovale, sur six oboles hellénistiques 49. Entreles deux interprétations de cette contremarque, soit ΣΕΒΑΣΤΟΥ, soitΣΕΒΑΣΤΗΩΝ, il me paraît nécessaire de retenir la seconde : il s'agit bien évidem-ment du contremarquage effectué par l'autorité thessalienne, dont l'identité étaitexprimée par le second élément de l'appellation ethnique que leur avait conféréeAuguste, Θεσσαλοί Σεβαστήοι50. Tous ces éléments de la circulation monétaireconduisent à penser que le diorthôma a bien accompagné, sinon établi, leremplacement du numéraire thessalien autonome par le numéraire romain, ledenier et ses subdivisions prenant la place du statère.

46. J.-C. DECOURT, Inscriptions de Thessalie, 1 (1995), n° 17, p. 92. Pour la mention deschalques dans l'inscription gravée sur le petit côté de la même pierre, cf. lecommentaire ad loc

47. Références dans mon étude citée n. 7 ; je ne crois pas que ces mentions du victoriat,appelé en grec tropaikon, représentent seulement « une curiosité », comme le ditM. CRAWFORD, o.c, p. 270 ; je considère plutôt, avec L. Robert (voir les référencesdans mon article), qu'elles attestent d'une utilisation réelle, en un lieu et un tempsdonnés, du victoriat comme subdivision du denier.

48. AE, 1930, p. 176,1. 5 sq (de Larisa) et Gonnoi, vol. II, n° 115, 1. 2 sq. (de Gonnoi)avec les mentions de la taxe en statères (Larisa, 1. 18-19) et en deniers (Gonnoi,1. 10) : situation relevée dans Gonnoi, ad loc, cf. F. BURRER, o.c, p. 55 et n. 179.

49. F. BURRER, o.c, p. 82-83.

50. Cf. sur ce çoint les éléments de la discussion dans F. BURRER, O.C, p. 6, qui ignoreL. ROBERT, À travers l'Asie Mineure, BEFAR (1980), p. 217, n. 76.

82 Β. HELLY

Mais c'est en réalité tout le système qui a changé, et l'on voit apparaître unmonnayage thessalien nouveau, avec des espèces nouvelles, romaines dans leurscaractéristiques essentielles, métrologie, dénominations, types, et par leuremploi. Ce nouveau numéraire n'a cependant pas été défini sans précautions nisouci de ménager les transitions. L'étude que F. Burrer a consacrée aux monnaiesfrappées par la confédération thessalienne d'Auguste à Hadrien montre que cemonnayage a été établi dans un esprit de continuité rigoureuse avec lemonnayage thessalien autonome des IIe et Ier siècles av. J.-C. F. Burrer a mis enévidence cette continuité qui se reflète tout particulièrement dans le système desdénominations adoptées pour la frappe des monnaies impériales et pseudo-autonomes de la Confédération 51. Il n'est évidemment plus question de frapperdes monnaies en or ou argent, mais seulement du bronze, et les correspondancespondérales avec les frappes autonomes en métal noble d'origine grecque n'ontplus lieu d'être 52. En revanche, toutes les dénominations employées en Thessalieà l'époque hellénistique trouvent leurs correspondants exacts, pour les dimen-sions et les poids, dans les bronzes d'époque impériale, comme le montre letableau suivant 53 :

Système nominalà l'époque hellénistique

dénomination

obole

hémiobole54

trihémiobole

diamètre

20 mm

16 mm

25 mm

poids

7>8gca5g

ca 15 g

Système nominalà partir d'Auguste

dénomination

diassarion

assarion

triassarion

diamètre

21>23 mm

16 mm

25>27 mm

poids

7,5>9 g

ca5 g10>14g

On voit, à la lecture de ce tableau, que Xassarion a la valeur nominale d'unas, en Thessalie comme ailleurs dans le monde grec oriental, mais qu'il s'endistingue par le poids et le diamètre. Dans le cas du monnayage thessalien, onvoit d'autre part que les taux de conversion définis par le diorthôma étudié ci-dessus sont strictement respectés, puisque :

deux assaria (un diassarion) = 1 obole,par conséquent

1 denier (qui comprend 16 as) = 8 oboles

51. F. BURRER (p. 88) souligne avec raison que ces deux types d'émissions ne s'opposentabsolument pas, mais constituent en fait un seul et même monnayage.

52. Il s'agit de bronze au plomb (plus de 10 %), cf. BURRER, o.c, p. 63 et n. 225.

53. D'après F. BURRER, o.c, tableau 1 et p. 63-64. Sur ce point, il a nettement répondu(p. 64, n. 227) aux auteurs du Roman Provincial Coinage, vol. I, From the death ofCaesar to the death ofVitellius (44 BC - AD 69), Londres-Paris (1992), A. BURNETT,M. AMANDRY et P.-P. RIPOLLÈS, p. 280, selon lesquels « the pattern of dénominationsused is not clear », et son argumentation est, à mon avis, convaincante.

54. Ou tétrachalkon.

LE DIORTHÔMA D'AUGUSTE 83

II est intéressant, et même important de constater, à la suite de F. Burrer,que la dénomination la plus utilisée, par le nombre d'émissions, la constance dela frappe, attestée sous tous les empereurs successifs, et la quantité, a été lediassarion, l'équivalent de l'obole. On ne peut pas ne pas faire la relation entre ceconstat et deux éléments. D'une part un élément technique : l'emploi de cettedénomination dans toute une série de paiements comme ceux de la taxe d'affran-chissement, puisqu'il convenait de verser 22 deniers et demi ; nul doute que cedemi denier était payé sous la forme de 8 assaria ou 4 diassaria, correspondantaux quatre oboles encore utilisées au début du règne d'Auguste 55. D'autre part unélément psychologique ou de comportement : comme le dit F. Burrer, « entre lesystème monétaire hellénistique et le système impérial romain en Thessalie, ondoit constater une continuité sans rupture ». En fait les Thessaliens ont maintenuleurs divisions monétaires traditionnelles, auxquelles ils étaient habitués, sous unautre nom, en s'autorisant seulement à en introduire quelques autres, qui leurfacilitaient d'autres transactions : le tetrassarion, équivalent d'un sesterce, et letrihemiassarion (diam. 20 mm, poids 6,2 > 7,4 g), équivalant, à mon avis, des3/4 d'obole du système précédent, ou hexachalkon (6 chalques)56. Comme, dansce système, le diassarion ne se distingue pas d'un dupondius, pour la taillecomme pour le poids, ni un assarion de l'as, l'ensemble du système des dénomi-nations retenues avait l'avantage de répondre à l'exigence de convertir lesmonnaies, ce qui était la fonction des professionnels, les banquiers et les chan-geurs, et d'amener les usagers, la population elle-même, à l'utilisation quoti-dienne du système romain sans modifier fondamentalement ses comportements.

Bien évidemment, comme le signale F. Burrer, le changement de cesmonnaies fiduciaires en espèces romaines de métal noble suppose aussi lepaiement d'un agio, dont la valeur pour la Thessalie n'est pas connue, mais quin'était certainement pas exprimée, comme voulait le croire S. Accame, par latablette de Pyrasos que j'ai analysée plus haut57. A titre de comparaison, F.Burrer cite le taux de transaction en usage sous Hadrien à Pergame 58, qui étaitde deux assaria : les changeurs vendent le denier pour 18 assaria, ils paient pour

55. Cf. F BURRER, o.c, p. 81, n. 8.

56. Frappé sous Auguste et Néron, et donc en usage pendant au moins les deux-tiers duIer s. ; sans doute cela a-t-il permis d'opérer la substitution, qui requérait nécessai-rement un temps assez long, des petites dénominations en bronze (chalques etmultiples).

57. La référence à la situation attestée à Pergame (cf. ce qui suit) montre quel'hypothétique agio calculé par Accame pour les transactions qu'il suppose d'après latablette de Pyrasos est hors de proportion (v. ci-dessus).

58. IGR, IV, 352 (OGIS, 484); texte et traduction dans T. FRANK, Economie survey ofAncientRom, IV (1938), p. 892-895 ; mais comme le remarque F. BURRER, O.C, p. 64,n. 229, ces prix conduisent à supposer que l'assarion s'est déprécié par rapport à l'as,qui vaut 1/16 de denier.

84 Β. HELLY

un denier seulement 17 assaria (ou leur équivalent en espèces grecques encoreen circulation).

3. Problèmes historiques

Ce qui a retenu d'abord l'attention, c'est la date du diorthôma : elle ne peutpas être fixée avec certitude. L'inscription de Phères est datée par la mention dela stratégie assumée par Auguste lui-même, une stratégie confirmée par unfragment de déclarations d'affranchissement trouvé à Larisa59. Cependant le lienentre le diorthôma et cette stratégie n'est pas clairement établi : aucun documentne l'assure de manière explicite. En conséquence, les prises de position sur cepoint sont divergentes.

Pour H. Kramolisch, la stratégie qui a placé Auguste à la tête de la confé-dération thessalienne est quelque peu postérieure à 27 av. 60. Le diorthôma estattesté, quant à lui, dès l'année 26/25 av. Il conclut par conséquent que lapromulgation du diorthôma et la stratégie d'Auguste ne sont pas exactementcontemporaines : le diorthôma est antérieur à celle-ci. À sa suite, mais sansprendre partie sur la date de la stratégie d'Auguste, M. Crawford situe la promul-gation du diorthôma « peut-être » immédiatement après Actium 61, tandis queM. Price la situe après la fondation de la province d'Achaïe, donc après 27 av. 62.La position de F. Burrer, suivant en cela P.R. Franke 63, est plus nette : « DieDatierung der Stratégie (d'Auguste) ist eng mit der Datierung eines diorthômaverbunden, das den offiziellen Wechselkurs von Stater zu Denar auf 1: 1,5festsetzte... Es ist wahrscheinlich 27 zu datieren » et ce diorthôma devrait, pense-t—il, être mis en relation avec la nouvelle organisation de la province d'Achaïe 64.

Je considère pour ma part qu'on ne peut avoir aujourd'hui aucune hésita-tion : le diorthôma ne peut se placer qu'au tout début du principat, et en tout casla mesure est déjà prise lorsque sont gravées à Gonnoi les listes de l'année 26/5,sous le stratège Eurydamas 65, celles de l'année 25/24, sous le stratège Hippar-

59. Cf. ma publication de l'inscription dans « Les Italiens » (cité n. 39), p. 378-379.

60. Strategen, p. 128 ; voir ci-dessus les raisons que Kramolisch veut retenir pour cettedatation.

61. M. CRAWFORD, a c , p. 270.

62. « Southern Greece », in The Coinage of the Roman World in the late Republic,Proceedings of a colloquium held at the British Muséum in September 1985, BARInternational Séries N. 326, Oxford (1987), p. 95-103, p. 99.

63. Schweiz. Munzblâtter 35 (1959), p. 65 sqq.

64. F. BURRER, o.c, p. 6, n. 30 et p. 7.

65. Cf. ci-dessus, n. 5.

LE DIORTHÔMA D'AUGUSTE 85

chos, à Chyretiai 66. A cette date, la mention de la seule monnaie qui a courslégal est bien celle du denier. Ainsi la date de 27 reste, à mon sens, la date-pivot,à la fois pour le diorthôma sur la monnaie et pour la stratégie conférée àAuguste 67.

J'écrivais en 1983 : « Cette mesure n'exclut nullement que les statères fédé-raux aient continué à circuler — un retrait progressif est plus vraisemblablequ'une soustraction immédiate de tout le numéraire en circulation. On ne sait sile diorthôma interdisait explicitement au koinon thessalien de poursuivre lafrappe des statères ; mais, à mon avis, d'après les inscriptions, le résultat ne faitpas de doute, la mesure excluait formellement la poursuite de la frappe de cesstatères, sous quelque forme que ce soi t» 6 8 . On a vu que l'analyse desinscriptions et celle des monnaies contremarquées trouvées en Thessalie appor-taient des indications précises sur ce point.

On a voulu d'autre part renforcer cette affirmation par la comparaison entrela situation thessalienne et celles des autres parties de la province d'Achaïe àlaquelle la Thessalie appartenait69. Comme l'indique F. Burrer, on ne trouve plusde frappes d'argent dans la province d'Achaïe après 27 av. 70 . Cette comparaisona conduit à poser la question de savoir si le diorthôma d'Auguste ne réglait que lasituation en Thessalie, ou plus largement dans toute la province.

Les prises de positions sont nuancées sur ce point, mais tendent finalementtoutes à donner au diorthôma une extension large. Ainsi A. Giovannini, dans sonétude sur la solde des troupes romaines à l'époque républicaine prend position ence sens 71. De son côté, D. Knoepfler tient pour vraisemblable que le diorthôma

66. IG, 349 =AE 1917, p. 118, n° 331 et 332, avec mention de la 7e année de l'èreauguste; chronologie dans KRAMOLISCH, O.C, p. 132 ; cf. F. BURRER, O.C, p. 55.

67. « Les Italiens » (n. 39), p. 379.

68. « Les Italiens... », ibid. ; M. CRAWFORD, p. 270, pense au contraire qu'il n'a existéaucune mesure en ce sens : « The absence of any attempt by Rome to regulate theactual production of coinage by communities in the Roman world does not mean thatRom was not concerned with such coinage. Steps to ensure that local Systems ofreckoning and local coinages were compatible with Roman usage accompanied theAugustan organisation of provincial censuses ».

69. Je ne discute pas ici des thèses qui visent à établir ou à nier l'appartenance de laThessalie à l'Achaïe à cette date (le point dans F. BURRER, o.c, p. 4-5) ; cettediscussion n'apporterait rien à l'interprétation du diorthôma, mais je compte y revenirailleurs.

70. F. BURRER, o.c, p. 6.

71. « La solde des troupes romaines à l'époque républicaine », Muséum Helveticum 35(1978), p. 258-263, spécialement p. 262.

86 Β. HELLY

ne concernait pas seulement la Thessalie, mais en fait toute la Grèce72, de mêmeque M. Amandry, A. Burnett et P.P. Ripollès, dans leur étude des monnayagesdes provinces romaines73. J'ai moi-même été tenté de soutenir la mêmeposition 74, mais je crois aujourd'hui qu'il faut rester plus prudent, et cela à causeprécisément de la tablette de Pyrasos-Thèbes de Phthiotide, qui a, en fin decompte, faussé le débat.

Que pouvons-nous donc tirer de ce document pour le problème posé ici parle diorthôma ? En fait, rien. Nous constatons en effet aujourd'hui que,contrairement à ce qu'avaient pensé B. Keil et S. Accame, les unités monétairedu tableau de nombres de Thèbes de Phthiotide, ce grammatidion, ne peuventêtre ni le statère thessalien ni la drachme thessalienne auxquels se rapporte aucontraire explicitement le diorthôma. Il s'agit bien plutôt, à mon avis, desespèces les plus répandues en Grèce au Sud de l'Olympe à la fin de l'époquehellénistique, la drachme et le tétradrachme d'étalon attique ou attico-éginétique ;mais je peux me tromper et il s'agit peut-être de tout autre chose. D'autre part,grâce aux correspondances qu'on peut établir entre la tablette et les traités demétrologie, nous pouvons vérifier, par d'autres sources que la tablette,l'équivalence entre ces drachmes ou tétradrachmes et le denier.

Une chose est maintenant certaine en tout cas : la tablette de Pyrasos n'arien à faire avec le dossier du diorthôma proprement dit. Keil et Accamevoulaient s'en servir pour conforter les informations sur la conversion de ladrachme au denier que nous fournit le diorthôma, qui était en leur temps lasource quasi unique de ce calcul. Les études qui ont été faites depuis lors ontmontré que le calcul en question était attesté aussi ailleurs, directement ouindirectement, et qu'il était banal jusqu'à la fin de l'époque républicaine aumoins. Le diorthôma n'a donc plus la même importance dans nos raisonnementset l'on peut mieux prendre conscience qu'il n'est en fait mentionné que dans lesinscriptions de Thessalie. Sur ce point, l'absence ou le silence des documentsépigraphiques non thessaliens doivent être considérés comme significatifs — audelà d'un simple argument ex silentio — car les inscriptions de même époqueque nous connaissons pour le reste de la Grèce, hors la Thessalie, ne manquentpas et aucune de celles-ci n'en fait mention.

Mais l'étude de la tablette et des traités de métrologie donnent aussi unélément décisif pour évaluer le contenu le plus visible du diorthôma, laconversion des statères thessaliens en deniers. Car, puisqu'il est avéré que

le statère thessalien vaut 1 denier 1/2,

72. « L'intitulé oublié d'un compte des naopes béotiens » in Comptes et inventaires dansla cité grecque, Actes du colloque... en l'honneur de J. Tréheux (1988), p. 284-285,n. 72.

73. A. BURNETT, M. AMANDRY, P.P. RIPOLLÈS, Roman provincial Coinage, vol. I, p. 28 :« thought to be probably of more gênerai application ».

74. Dans l'étude citée ci-dessus n. 7, p. 175-176.

LE DIORTHÔMA D'AUGUSTE 87

celui-ci est par conséquent aussi l'équivalent de 12 oboles (8 + 4), soit deuxdrachmes (6 + 6). Cette équivalence peut sembler tout à fait normale, puisque,dans le système monétaire grec à cette époque, le statère vaut deux drachmes ; ilest un multiple de la drachme dans le système nominal et aussi en poids. C'est enpartant de là que l'on constate que l'équivalence établie par le diorthôma n'est pasnormale dans le cas du statère thessalien : car elle paraît porter exclusivement surles valeurs nominales et non sur les poids. On a vu plus haut, c'était le constatfait par S. Accame 75, que la drachme thessalienne, dont le poids est de 3 g (entre2,65 et 3,05), valait en fait, dans le cadre du système grec, une hémidrachmed'étalon éginétique et attique, qui ont les mêmes valeurs à partir du 3e siècle.Pour soutenir son interprétation de la tablette de Pyrasos, Accame était conduit àsupposer que, par définition et depuis sa création, la drachme thessalienne devaleur attique devait correspondre, en valeur réelle et commerciale et malgré sonpoids, à la vraie drachme attique et en était l'équivalent légal, ou plutôt que letétradrachme attique était l'équivalent de 4 drachmes thessaliennes 76. Mais nousn'avons aucune raison de modifier les parités de poids qui sont connues entre lestatère thessalien (un peu plus de 6 g) équivalant à une drachme légère d'étalonéginétique. En termes de poids, donc, le statère thessalien ne valait sur le marchéque 6 oboles attiques et non pas 12. C'est par le diorthôma, en vérité, qu'il prendcette dernière valeur.

Nous devons examiner ici de plus près le vocabulaire et les expressionsutilisées dans les inscriptions pour faire référence au diorthôma : ces termes ontune valeur juridique précise, que l'on n'a pas vraiment analysé d'assez près. Unepremière remarque s'impose : lorsque nous parlons du diorthôma d'Auguste,nous allons au delà de ce que nous dit l'expression grecque κατά το διόρθωμα.La formule ne donne pas le nom de l'autorité qui l'a promulgué. On opposera surce point une autre expression, tirée elle aussi des inscriptions thessaliennes, etpar laquelle nous apprenons qu'un personnage appelé Sôsandros est devenustratège des Thessaliens κατά το Καίσαρος κρίμα 7 7. Les Thessaliens disaientsans ambiguïté dans ce cas qu'il y avait eu une décision, un « jugement »d'Auguste. Le mot diorthôma dit tout autre chose : comme L. Robert l'a montré àpropos d'une inscription d'Iasos, « le verbe διορθούν, διορθούσθαι n'a passeulement le sens de "payer", mais aussi, et d'abord, celui de "rectifier" » 7 8. En

75. Repris par P.R. FRANKE, Schweiz. Munzblàtter, 35 (1959), p. 61-67.

76. Cf. ci-dessus n. 16.

77. Gonnoi, II, n° 118 ; cf. H. KRAMOLISCH, o.c, p. 42 et F. BURRER, o.c, p. 54 et 58.

78. L. ROBERT, « Études d'épigraphie grecque », Revue de Philologie (1927), p. 130-131(= OMS, II, p. 1085-1086). Dans son argumentation, L. Robert souligne l'absurditéqu'il y aurait à adopter le sens (retenu par Waddington) de paiement : « car que peutsignifier cette phrase : Aristokritos a versé 506 drachmes, qu'il avait promisesconformément au paiement pour la construction du théâtre ». Il me semble qu'en

88 Β. HELLY

ce sens, il est employé comme terme technique dans les traités... Le termeδιόρθωσις se rencontre encore lorsqu'il est question d'amender une loi (suivent

les références). Je suppose — la conjecture n'est guère hardie — que l'acte,rédigé par les διορθωτήρες et opérant une διόρθωσις s'appelait un διόρθωμα ». Le

sens qu'il faut retenir des emplois cités par L. Robert est donc, comme il le dit,celui de « règlement rectificatif ».

On doit tirer deux conséquences de ce rappel au sens propre du terme :d'une part le diorthôma suppose évidemment qu'il existait un règlement, une loi,une décision « à redresser » 79, d'autre part que cette loi ou cette règle concernaitévidemment le taux de conversion de la monnaie thessalienne par rapport à lamonnaie romaine. Reste à savoir par quelle autorité cette décision a été prise. Enl'absence d'une précision du type (διόρθωμα) Καίσαρος, comme dans le cas du

stratège Sôsandros, on pourrait penser que le diorthôma est une décision propreaux Thessaliens. Mais la modification, diorthôsis, du taux de conversion de lamonnaie locale en deniers ne peut avoir été faite que par l'autorité romaine, seulesouveraine en cette matière 80. Il faut bien l'attribuer en définitive, je pense, àAuguste lui-même ou à l'un des représentants personnels qu'il devait avoir enThessalie : d'un point de vue politique, le diorthôma me paraît totalement lié à lastratégie que les Thessaliens ont conféré à Auguste en 27 av.81.

Reste à mieux voir ce qui s'est réellement passé 82. Si l'on considère plusprécisément les rapports de poids entre les différentes monnaies concernées, ilapparaît tout d'abord que l'équivalence drachme-denier s'est établie sur la base de1 drachme attique (4,2 g) pour 1 denier (3,9 g) avec une différence de poids entreles deux espèces qui est de seulement dix pour cent : celle-ci a dû paraître

adoptant ce sens du terme dans le cas des déclarations des affranchis thessaliens, onaboutirait à la même absurdité.

79. Je ne connais pas d'emploi de l'équivalent latin du terme (correctio évidemment) ;point n'est besoin, en tout cas, de chercher du côté des correctores à pouvoirs finan-ciers institués dans les cités d'Orient à partir du IIe s. ap. J.-C. ; mais d'une certainefaçon le diorthôma permet peut-être de considérer que dans ces fonctions ils avaienteu des prédécesseurs. On ne trouvera pas non plus un équivalent latin portant sur lecontenu monétaire de la mesure, une adaequatio quelconque de la monnaie grecque àla monnaie romaine.

80. Sur ce point de l'autorité, cf. les observations des auteurs du Roman ProvincialCoinage, vol. I, p. 1-3 et 18-19.

81. Ainsi à Larisa, dans la seconde moitié du règne, l'affranchi impérial Gaius IuliusApollophanès, préposé aux héritages et au patrimonium Augusti, cf. mon étude sur« La Thessalie à l'époque romaine » (en grec moderne), in Historia tou HellenikouEthnous, vol. VI, sous la direction de M. Sakellariou, Athènes (1977), p. 179-184.

82. Je remercie très vivement nos collègues J. Kroll ((University of Texas at Austin et D.Foraboschi (Université de Milan) pour les observations qu'ils ont bien voulu me faireet que j'utilise ici.

LE DIORTHÔMA D'AUGUSTE 89

acceptable comme simple prix du change 83. En Thessalie, la différence de poidsentre un statère (6 g) et un denier et demi (3,9 + 1,8 = 5,7 g) est plus petite enproportion, mais, une fois encore, le denier est la monnaie la plus légère : ontrouve ici aussi une équivalence avec une petite différence en faveur du denier.

Mais il faut aussi prendre en compte la situation particulière du statèrethessalien : celui-ci n'était pas accompagné de drachmes d'argent correspondant àla moitié de sa valeur, mais était frappé avec des drachmes et des hémidrachmesde poids attique. C'est à quoi correspond l'équivalence de 1 statère = 1 1/2 denier(ou drachme attique). Or cette équivalence n'est pas nouvelle 84 : elle renvoie enfait à la situation qui était celle du cours du statère à l'époque de ses plusanciennes émissions, c'est-à-dire dans le cours du 2e siècle av. J.-C. et lediorthôma d'Auguste ne fait que la reprendre. On voit mieux alors quelle« correction » a été opérée par le diorthôma : il acceptait en fait la conversion dustatère thessalien en deniers, le statère étant considéré comme une espècemonétaire de plein droit, sur un taux qui ne supposait naturellement ni favori-tisme ni manipulation particulière des valeurs, mais qui, peut-on penser, évitaitaux Thessaliens le recours à la monnaie attique, c'est-à-dire les opérations dechange et les pertes qui les accompagnaient nécessairement.

Il apparaît ainsi clairement que la mention du diorthôma en Thessalie, etseulement en Thessalie, ne trouve de sens que par ce qu'il a représenté pour lesThessaliens eux-mêmes et que ni Keil ni Accame n'ont clairement aperçu : uncadeau fait par Auguste aux Thessaliens. Car le diorthôma leur permettaitd'acheter des deniers avec des statères évalués à la valeur pondérale etmarchande qu'ils avaient en Grèce même quand il avait été mis en circulation.Ce cadeau, certes, ne mettait pas en jeu les ressources financières de Rome : ilportait sur une masse monétaire réduite, si on la rapporte à l'ensemble desmonnaies attiques normalement utilisées en Grèce à cette époque. Il simplifiaitaussi considérablement ce que nous pourrions appeler « le passage à la monnaieunique », en amenant la monnaie thessalienne au même niveau que les autresmonnaies grecques en usage dans tout le pays.

83. J. Kroll précise (per litteris) : « whether they were regarded as équivalent byconvention or were made forceably équivalent by law, it seems to me that the mainpurpose of the équivalence was simple practicality in business and exchange. Theéquivalence benefited individuals who held their wealth in the lighter denarii ; but Iassume that that was a secondary considération, a necessary unfairness that happenedto give an advantage to the more powerful Romans but was acceptée as the price ofsimple, practical exchange ».

84. Cf. J. Kroll : « In fact I hâve to wonder if the diorthôma équivalences were reallynew. Since the staters were not accompanied by half-weight silver drachms, but ratherwere struck with attic-weight drachs and hemidrachms, it appears that the équivalenceof 1 stater =11/2 denarius/attic drachm should go back to the beginning of the statercurrency in the second half of the 2nd century. In that case, the diorthôma wouldsimply mandated the use of denarii without any change in silver équivalences at ail ».

90 Β. HELLY

Tel a été, à mon avis, le contenu essentiel du diorthôma que l'on peutrapporter effectivement à Auguste et à lui seul. Nous n'avons aucun moyen dedécider si ce document avait ou non une portée plus large. La mesure qui visaitles Thessaliens était-elle incluse dans une ordonnance imposant la conversion dela drachme au denier à tous les pays grecs ? Dans une ordonnance stipulantl'arrêt général des frappes autonomes en Grèce ? On ne peut douter qu'une tellemesure a dû être prise, et l'exemple de la Thessalie le montre clairement. Maisles Thessaliens n'ont finalement retenu qu'une chose : ils ont pu changerdirectement leur propre monnaie. On peut conclure par là même, et du fait queseules les inscriptions thessaliennes nous le font connaître, que le diorthôma aété une mesure politique, qu'il n'a sans doute concerné que les seuls Thessalienset qu'il ne visait aucunement le long terme. En fait, il devait cesser de produireses effets à partir du moment où tous les statères et autres espèces thessaliennesauraient été échangés contre des deniers et les nouvelles espèces frappées enbronze. Il visait même certainement à accélérer au maximum la réalisation decette opération. Nul doute que les Thessaliens n'ont pas mis longtemps à changerleurs statères contre des deniers. C'est bien aussi l'impression qui ressort desinscriptions.

Le diorthôma constitue, disais-je, une décision politique en faveur desThessaliens, et d'eux seuls. Il s'insère dans un ensemble de mesures bienconnues 85, qui montrent combien le Prince a favorisé les Thessaliens et respecté,dans la mesure où il y trouvait intérêt évidemment, ce que l'on pourrait appelerl'identité thessalienne. La ou les motivations de ces gestes particuliers nouséchappent encore, si tant est que nous puissions les reconstruire un jour 86. Maisles effets résultant des décisions d'Auguste sont incontestables : agrandissementdu domaine des Thessaliens par adjonction des territoires des peuples périèques,attribution du titre honorifique de Θεσσαλοί Σεβαστήοι à l'ethnos thessalien etaux cités thessaliennes, avec autorisation de le porter dans tous leurs actesofficiels 87, et d'en marquer les monnaies, maintien des structures fédérales et desmagistratures. Les Thessaliens ne furent ni insensibles à ces avantages, ni ingratsenvers le Prince qui était leur bienfaiteur et leur protecteur : en témoignent lesnombreuses inscriptions portées sur des autels et les dédicaces en l'honneurd'Auguste 88, mais plus encore la reconnaissance du Prince comme stratège fédé-

85. Cf. F. BURRER, o.c, p. 5-7.

86. Pour L. ROBERT, À travers l'Asie Mineure, BEFAR (1980), p. 217, n. 76, ces faveursont servi à « consoler » les Thessaliens de la perte des voix amphictioniques despeuples périèques, dont ils avaient le bénéfice auparavant et qui, par décisiond'Auguste, ont été attribuées à la nouvelle cité fondée par le Prince, Nicopolis d'Épire.Mais sa démonstration n'est pas complète, à mon avis.

87. C'est le sens qu'il faut donner, je crois, à la formule de L. Robert, « dans toutes lesmanifestations officielles » (de la confédération).

LE DIORTHÔMA D'AUGUSTE 91

rai, que cet honneur ait été sollicité par Auguste lui-même ou qu'il lui ait étéoffert par les Thessaliens de leur propre initiative. C'est pourquoi, puisqu'enl'absence de témoignage explicite, il faut prendre parti sur la date et le contenudu diorthôma, je dirai, pour conclure au moins provisoirement le débat, que cettemesure politique qui accorde aux Thessaliens un avantage si concret, le droit dechanger directement leur propre monnaie, à sa bonne valeur, ne peut norma-lement trouver sa place qu'à l'occasion même de la stratégie d'Auguste, en 27/6av. J.-C.

Bruno HELLY

. Cf. F. BURRER, o.c, p. 5-7 ; le groupe thessalien de Lyon reprend l'étude de cesdocuments dans le cadre d'un programme consacré à la Thessalie romaine.