Callimaque, Épigramme 41.

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Jean Bousquet Callimaque, Épigramme 41. In: Revue des Études Grecques, tome 68, fascicule 319-323, Janvier-décembre 1955. pp. 121-123. Résumé Au cinquième vers, l'incompréhensible leçon des manuscrits † ουκισυνιφησον † doit s"interpréter ούκ εις σευ ; δίφησον = « n'est- ce pas chez toi ? cherche ». La suite des idées et le ton du poème se comprennent ainsi naturellement. Une note finale repousse l'interprétation récente du même passage par F. Dornseiff (Symb. Osl., 1953), que sa complication reud bien peu vraisemblable. Citer ce document / Cite this document : Bousquet Jean. Callimaque, Épigramme 41. In: Revue des Études Grecques, tome 68, fascicule 319-323, Janvier-décembre 1955. pp. 121-123. doi : 10.3406/reg.1955.3402 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_1955_num_68_319_3402

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Jean Bousquet

Callimaque, Épigramme 41.In: Revue des Études Grecques, tome 68, fascicule 319-323, Janvier-décembre 1955. pp. 121-123.

RésuméAu cinquième vers, l'incompréhensible leçon des manuscrits † ουκισυνιφησον † doit s"interpréter ούκ εις σευ ; δίφησον = « n'est-ce pas chez toi ? cherche ». La suite des idées et le ton du poème se comprennent ainsi naturellement. Une note finale repoussel'interprétation récente du même passage par F. Dornseiff (Symb. Osl., 1953), que sa complication reud bien peu vraisemblable.

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Bousquet Jean. Callimaque, Épigramme 41. In: Revue des Études Grecques, tome 68, fascicule 319-323, Janvier-décembre1955. pp. 121-123.

doi : 10.3406/reg.1955.3402

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_1955_num_68_319_3402

GALLIMAQUE, Êpigramme 41

"Ημισυ μευ ψυχής Ιτι το πνέον, ήμισυ δ' ουκ οίδ' ειτ Ερος ειτ Αιοης ηρπασε, πλην αφανές.

νΗ ρά τιν' ες παίδων πάλιν φχετο ; καΐ μεν άπεΐπον πολλάκι · « Τήν δρήστίν μη ύποδέχεσθε, νέοι ! »

*j* ουκισυν.φησον · έκε~σε γαρ ή λιθολευστος κείνη και δυσέρως οίδ' ότι που στρέφεται.

Ϊ1 reste dans celte êpigramme, transmis»» par Y Anthologie Palatine, XII, 73, une crux au vers 5. La récente édition de R. Pfeiffer, t. II [1953], p. 92, signale cependant qu'elle a été à demi résolue par Jacobs, qui corrigeait en δίφησον, « cherche ! », d'après l'adaptation de Q. Lutatius Catulus (F.P L., p. 43 Morel ; source : Aulu-Gelle, XIX, 9), où le vers 5 commence par ibimus quaesititm. Jacobs proposait : ου κίε νυν δίφησον, ou bien ου Κΐσος, δίφησον (ubi Cisus est, ibi eum quaere). C'était aussi l'avis de Schneider, à qui δίφησον paraissait sûr, confirmé d'ailleurs par l'emploi du même verbe διφάω, Epigr. 31, % et Aitia, fr. 4, 19 Pf. La difficulté subsiste seulement dans ουκισυ, personne n'étant satisfait de ου κίε νυν, ου Κϊσος (Κισσός, κισσός ?), ni de tentatives comme ουκ εις ες τον εοηβον Bentley, ουκ εις ες Κηφισσόν Scalîger-Brunck, ούκοΰν εις Κηφισο'ν Meineke, qui commentait : Cephisum Atticae fluvium intelli- gam, in cujus amœnissima ripa pueros ludendi jocandique causa convenisse probabile est. On cherchait en effet à retrouver un nom propre ; l'adaptation très libre de Lutatius Gatulus en introduisait un au début : credo, ut solety ad Theotimum \ devenity v. 1-2. D'où les essais de Dûbner (Anthol. Palat., Didot) : ουκ εις τον θεύτιμον, et Schneider : θεύτιμον δίφησον.

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Mais du moment que δίφησον a beaucoup de chances d'être la vraie lecture, il est inutile de chercher à introduire un nom propre dans l'épigramme. Certes, les autres épigrammes erotiques de notre auteur en contiennent généralement un ; mais ici, est-il nécessaire ? Je crois qu'on peut considérer ΟΤΚΙΣΓ comme l'équivalent phonétique de ουκ εις σου, et lire, pour rester dans le dialecte, ουκ (ε)ίς (<χε)ΰ, ou plutôt ουκ ες σ-ευ ; δίφη- σον : « n'est-ce pas chez toi ? cherche ! ». On lit ici μευ au vers 1, ές au vers 3, et l'édition Pfeiffer, par son précieux index, atteste bien les flottements, sans importance, de la tradition entre ες et εις, σοΰ-σέο-σευ.

Interprétons ainsi le texte. La moitié de l'âme s'est enfuie, esclave fugitive et folle, qu'on devrait lapider : est-ce vers l'amour ou la mort ? Ce doit être vers quelque παις, malgré la défense et les avertissements du poète : ne recueillez pas l'esclave fugitive chez vous, jeunes gens ! Et voici sa trace : « n'est- ce pas chez toi qu'elle est allée ? cherche ! » Inutile de préciser qui est ce « toi » : c'est dans cette direction qu'il faut traquer l'esclave qui rôde (στρέφεται). Et la certitude est presque complète avec le οΐδ' δτι που, que l'enclitique ait un sens local (που, et non ποι Schneider, est excellent pour marquer l'arrêt de l'enquête après l'illatif έκεΐτε), ou logique (που atténuant d'une émotion légère l'affirmation ο!δ' οτι), ou qu'avec élégance il participe des deux sens.

Malgré la préciosité de son style « baroque », les raretés du type ουκοιδ' | είτε..., la synalèphe unique υ,ή υ- (1), l'épigramme ne manque pas d'un certain charme, pour qui accepte son « genre ». L'image longuement suivie de l'esclave « marron », disparu (αφανές) et dont la trace se découvre et se précise peu à peu, avec une montée de l'émotion rendue presque haletante par les arrêts interrogates, les rejets et les coupes, n'est pas dépourvue d'une beauté au moins formelle. Dans le troisième

(1) Rétablie, il est vrai, par les modernes; mais la correction de γ.% ύ«ίχβ<τθβ est inévitable elle remonte 4 Hecker.

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distique maintenant rétabli, le premier arrêt après trois longues, le ralentissement de la diction par cinq longues jusqu'à la coupe trochaïque après laquelle repartent les dactyles, la coupe du pentamètre après δυσέρως qui répond enfin à la question : . εντ'

"Ερος, εΐτ' Άΐδης expriment avec grâce l'hésitation émue, le pincement au cœur lorsque se précise la vérité. Ce n'est qu'un jeu : c'est parce que c'est un jeu, d'ailleurs, que nous n'avons pas à chercher de nom propre. Mais de ce jeu, l'habileté dissimulée nous fait oublier l'affectation, l'image banalisée du dimidium animae, la comparaison adroitement « filée » ; la perfection formelle nuit à peine au soupir de la passion. Peut-on tenter de le traduire ?

« La moitié de mon âme respire encore ; l'autre, je ne sais si Éros ou Hadès l'a ravie : en tout cas elle a disparu. Où est-elle allée encore ? chez quelque beau garçon ? Et pourtant j'ai dit non, bien souvent : « n'accueillez pas, jeunes gens, la fugitive ! » N'est-ce pas chez toi ? cherche ! oui c'est par là, — qu'on lui jette des pierres, pour ce fol amour ! — je le sais, n'est-ce pas là ? qu'elle rôde. » (1)

Jean Bousquet.

(1) M. F. Dornseiff vient de reprendre cette même épigramme dans les Sym- bolae Osloenses, XXX (1933,, p. 27-29 : Kallimachos' Halbe Seele auf Abwegen in Sagdirnixhausen. 11 semble ignorer les précédents essais de correction, en particulier ie δίφησον de Jacobs, que je tiens avec Pfeiffer pour excellent, — et, pour raison métrique (?), ajoute une syllabe, qui crée pourtant un hiatus qu'il cherche à justifier : Ούχκτυνιφησόνδε ■ έχεΐ«... Ce mot bizarre est formé de ουχί, su = ιοί, vï = vtv (νι statt vtv konnle den alexandrinischen Jungen von Munde abgehôrt sein. Hessisch sagt man « met Buch, met Frau »), φησον n'est pas l'impératif de φημί, qui d'ailleurs demanderait μή au lieu de oôxi : ce n'est qu'une façon de « rappeler » φήτο(μιν), avec une désinence d'accusatif analogue à celle des noms de lieu en -σσός ; -8s est l'illatif. Le résultat (?) est un nom forgé par Callimaque (?) . du type vasistas = was ist das ?, et qui voudrait signifier, dans la bouche des νέοι, la réponse à la question du poète : Où est-elle allée ? — A « nous ne te le dirons pas », nach Sagdirnixhausen. Claudel s'est amusé de même, dans le Soulier de Satin, à transformer « Vous ne m'aimez pas » en un « Vounemémépaz » qui évoque vaguement un nom bolivien. Mais tout cela n'est pas sérieux. Même quand il s'agit de Callimaque, la solution d'un problème est à chercher dans la simplicité, et non dans la complication.