Une entrée dans la prophétie - · PDF fileÉcole Normale Supérieure...

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  • cole Normale Suprieure Retraite de rentre 2014

    Une entre dans la prophtie

    1. Fonction canonique des Nebiim

    Un peu dtymologie pour commencer. Le mot franais prophte est une translittration du grec , mot compos de , devant , et de , de la mme racine que , lumire . Donc veut dire faire venir la lumire, faire savoir quelque chose, exprimer, dire, parler et le est celui qui parle devant . Dans le monde religieux grec, le prophte est charg de transmettre et dinterprter les oracles des dieux. Il parle devant la personne venue au temple pour obtenir laide du dieu, un peu comme le lieu-tenant du dieu ou son porte-voix. Souvent cest un prtre qui exerce cette fonction.

    Cest la LXX qui a introduit le terme prophte dans le monde juif, traduisant habituellement lhbreu nabi. Traduction judicieuse, dailleurs, la racine nb signifiant parler sous linfluence de lEsprit divin . Notons cependant que la conception hbraque originelle de la prophtie est plus enthousiaste, plus charismatique et moins rituelle que la conception grecque. On peut prophtiser en dehors dun temple, sous linfluence de la musique, par exemple. Et on peut tout fait tre prophte sans tre prtre. Cependant ne durcissons pas les choses en opposition. Le monde smitique connat aussi des prophtes cultuels qui font partie du personnel sacerdotal des temples.

    Voil pour ltymologie. Si on passe la Bible proprement dite, la prophtie se complexifie parce quelle prend deux aspects trs diffrents et en mme temps pas indpendants lun de lautre.

    - la prophtie est luvre dhommes inspirs, des tres de chair et de sang qui transmettent Isral la Parole de Dieu. Cest laspect oraculaire, vivant, de la prophtie biblique, dans la continuit de la prophtie commune dans le monde smitique (et plus largement le monde religieux du bassin mditerranen).

    - la prophtie devient un phnomne littraire, et cela cest trs caractristique de la religion dIsral. La deuxime partie de la Bible hbraque prend dailleurs ce nom : Nebiim, cest--dire prophtes . Elle comporte des livres associs tel ou tel prophtes en particulier, par exemple Amos ou Isae. On parle alors des prophtes crivains . Mais aussi des livres dun genre littraire bien diffrent, celui des chroniques royales. Cest lensemble que lexgse moderne dsigne comme Histoire deutronomiste : Josu, Juges, 1 & 2 Samuel, 1 & 2 Rois. La Tradition juive en parle comme dcrits prophtiques cause de limportance quy prennent certains prophtes (Elie, Elise) et parce quelle estime que les prophtes ont jou un rle dans la constitution de cet ensemble (hypothse peu fonde au regard des exgtes modernes : cest plutt lcole deutronomiste, compose de scribes lacs, qui aurait donne la touche ultime certains livres prophtiques comme celui de Jrmie).

    Notons que la mise par crit des oracles prophtiques pose demble un problme hermneutique considrable. Car le propre de la parole oraculaire, cest dtre nonce au prsent : un homme (ou une famille, une tribu ou tout un peuple) plac dans une situation prcise, le dieu donne une lumire trs contextualise et donc trs vite prime. Quest-ce qui, initialement, a donc bien pu motiver la mise par crit des oracles de certains prophtes ? Sans doute la ncessit de distinguer les vrais prophtes des faux en gardant trace de leur oracles,

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    pour voir ceux qui effectivement ont t accomplis. Cest du moins le critre mis en avant par le Deutronome :

    Peut-tre diras-tu dans ton cur : Comment reconnatrons-nous la parole que YHWH naura pas dite ? Quand ce que dira le prophte naura pas lieu et narrivera pas, ce sera une parole que lEternel naura pas dite. Cest par arrogance que le prophte laura dite. Naie pas peur de lui. (Dt 18, 21-22)

    La mise par crit des oracles prophtiques aurait dbut au VIIIe s. avec Amos et Ose, dans le Royaume du Nord (Isral) qui tait plus dvelopp culturellement que celui du Sud (Juda). Quant lachvement de ce processus, aboutissant la canonisation du corpus des Nebiim, il est trs tardif. Loccasion eu aurait t la perscution dAntiochus IV piphane (168-164) et sa tentative dhellnisation du judasme, soutenue par une partie au moins de laristocratie sacerdotale de Jrusalem et notamment le grand-prtre Jason. Or la mission principale des prtres de Jrusalem tait dinterprter et actualise la Torah de Mose, texte fondateur du judasme postexilique, canonise lpoque perse (au ve s. ou au IVe s.) sous lgide de la Golah, cest--dire des Juifs (minoritaires) revenus de Babylone Jrusalem. Pour lutter contre les prtres partisans des hellnistes, il fallait donc proposer une autre clef de lecture de la Torah, prouvant en quelque sorte par A+B que ces prtres taient infidles Dieu. Cest ce que font les promoteurs des Nebiim en prsentant la conqute du pays par Josu comme une ncessit permanente, aussi bien politique (histoire deutronomiste ou Prophtes antrieurs ) que religieuse ( Prophtes postrieurs , cest--dire Isae, Jrmie, etc.). Comme le dit bien Albert de Pury :

    En accolant les Nebiim la Torah, et en confirmant Josu dans son rle de successeur du prophte Mose, rle dj prpar par le Pentateuque, les diteurs du nouvel ensemble canonique font des Nebiim les interprtes lgitimes de la Torah (dans le sens de 2 R 17, 13). Ils prsentent donc cet ensemble canonique comme une clef de lecture incontournable de la Torah et lui confrent par l une dignit presque gale celle de la Torah elle-mme1.

    Dun point de vue hermneutique, nous avons ici la justification de lactualit permanente des crits prophtiques. Comme la Torah doit accompagner Isral tout au long de son histoire et que la clef dinterprtation de cette Torah est donne par les Nebiim, ceux-ci acquirent par le fait mme une valeur permanente.

    Cependant cet argument ne fonctionne que dans le judasme. Dans le christianisme les choses sont forcment diffrentes puisque la Torah, sans tre rejete, na plus la fonction de rgulation thico-religieuse qui tait la sienne dans le judasme. Ce qui lgitime alors la valeur permanente des Nebiim, cest le fait que tous les prophtes, plus ou moins confusment, annonaient le Christ. Et la Torah, lue dans cette lumire prophtique, devient elle-mme une grande prophtie du Christ. Dans le christianisme, Torah et Nebiim changent donc leur fonction : ce nest plus la Torah qui donne une valeur permanente aux Nebiim mais les Nebiim qui justifient le maintien de la Torah dans la Bible chrtienne.

    2. La figure du prophte

    1. Le prophte reoit une vocation. Un homme ne choisit pas lui-mme dtre prophte, parce que la fonction lui plairait. Du fait que le prophte est porte-parole de Dieu, seul Dieu

    1 Albert DE PURY, Le canon de lAncien Testament , dans Introduction lAncien Testament, Thomas RMER, Jean-Daniel MACCHI & Christophe NIHAN (d.), Genve, Labor et fides, 2009, p. 37.

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    lhabilite cette fonction. Dans sa libert souveraine, Dieu choisit un homme pour transmettre sa parole aux isralites, que ceux-ci en soient heureux ou non (en gnral, vu ce que disent les prophtes, les isralites ne sont pas ravis de les entendre). Ainsi quand Amatsia, un prtre de Bethel gn par Amos, lui demande darrter de parler, Amos se dfend en invoquant sa vocation :

    Je ne suis pas prophte, ni fils de prophte, mais je suis berger et je cultive des sycomores. YHWH ma pris derrire le troupeau et cest lui qui ma dit : Va prophtiser mon peuple, Isral ! (Am 7, 14-15)

    La Bible connat des prophtes cultuels qui taient des prtres et recevaient donc cette mission comme le sacerdoce, selon un critre gnalogique. Certains prophtes taient aussi attachs de manire institutionnelle la cour royale, sans que lon sache bien quel tait leur processus de dsignation. Il serait donc exagr de dire que tous les prophtes bibliques ont eu une vocation extraordinaire, comme Amos. En revanche, la Bible donne le beau rle ces prophtes extraordinaires, tandis que les prophtes institutionnels sont souvent du ct des opposants Dieu. Ils flattent les isralites, et leur roi au premier chef, pour garder leur position enviable. Dans le livre de Jrmie, le Seigneur dnonce ces faux prophtes qui garent son peuple :

    Jen veux aux prophtes qui remuent leur langue pour imiter une dclaration solennelle de ma part, dclare YHWH. Jen veux ceux qui prophtisent partir de rves pleins de fausset, dclare YHWH. Ils les rptent et ils garent mon peuple par leurs mensonges et par leur vantardise. Moi, je ne les ai pas envoys et je ne leur ai pas donn dordre. Ils ne sont vraiment daucune utilit ce peuple, dclare YHWH. (Jr 23, 31-32)

    Comment faire pour distinguer les vrais prophtes des faux ? Le Deutronome donne deux critres : celui de laccomplissement des prophties (cf. Dt 18, 21-22, jen ai dj parl) et celui de la conformit la Torah, particulirement la monoltrie.

    Si un prophte ou un faiseur de rves se lve au milieu de toi et tannonce un signe ou un prodige, et quil y ait accomplissement du signe ou du prodige dont il ta parl tout en tinvitant suivre dautres dieux, des dieux que tu ne connais pas, et les servir, tu ncouteras pas les paroles de ce prophte ou de ce faiseur de rves. En effet, cest YHWH, votre Dieu, qui vous met lpreuve pour savoir si vous laimez, lui, de tout votre cur et toute votre me. Cest YHWH, votre Dieu, que vous suivrez et cest lui que vous craindrez. Ce sont ses commandements que vous respecterez, cest lui que vous obirez, cest lui que vous servirez et cest lui que vous vous attacherez. (Dt 13, 2-6)

    Mais il semble que les vrais prophtes, pour se distinguer des faux, attachent la plus grande importance leur vocation, ce qui se co