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  • y f j ^

    XVIIIe AN N E N 1922.

    Journal de

    ciPsychologie normale et pathologique

    ORGANE OFFICIEL DE LA. SOCIT DE PSYCHOLOGIE ET DE LA SOCIT DE PSYCHIATRIE

    D I R E C T E U R S : P IERRE JANET et GEORGES DUMAS

    Secrtaire de la rdaction : I . M E Y E R S O N

    EXTRAIT

    F . S A R T I A U X

    GENSE DE LA MTAPHYSIQUE

    Bibliothque Maison de l'Orient

    0 7 1 8 8 5

    L I B R A I R I E F E L I X A L G A N

    108, boulevard Saint-Germain, Paris (6e)

  • GENSE DE LA MTAPHYSIQUE

    SOMMAIRE

    1. Les religions et les thologies de salut. 2. Origine et iond commun des mtaphysiques : mtaphysique hindouiste, mtaphysique hellnique, mtaphy-sique alexandrine et mdivale, mtaphysique moderne. 3. Principales divergences des mtaphysiques . 4. Mcanisme de la gense mtaphysique. Conclusion.

    Dans l 'ensemble des manifestations de l'intelligence, il existe toute une classe de notions et de spculations, qui ne sont d'aucun usage pour agir et connatre, dans les domaines pratique, technique et scien-tifique. Elles restent inaccessibles toute vrification, elles n'ont jamais conduit aucune dcouverte ; la notion de progrs n'est pas applicable leurs t ransformations; les philosophes ne sont mme jamais parvenus s 'accorder sur leur signification et leur porte. Et cependant elles se perptuent obstinment sous des formes multiples et sans cesse renaissantes, o certains esprits se complaisent. Nous leur rservons la qualification de mtaphysiques.

    Partout o on les rencontre, dans l'Inde, dans la Grce ancienne, dans l 'Europe moderne, elles prsentent un contenu, des caractres et des procds communs. Elles ne sont nes ni de l'observation, ni de l 'exprience. Elles sont, croyons-nous, des survivances, des transpositions et des adaptations de tendances, d'actes et d'ides, qui se sont fait jour dans une catgorie de religions, les conomies de salut ou religions de mystres, qui n'ont pas eu pour objet de con-natre la ralit, mais au contraire d'y soustraire l'esprit, de l'en dlivrer, pour lui donner un refuge dans une certitude et une flicit suprmes, qui ne sont pas de ce monde.

    Cette gense a un double aspect : historique et psychologique, dont nous nous proposons ici de tracer sommairement les grandes lignes,

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    rservant les dveloppements pour un ouvrage en prparation. Son tude fait comprendre pourquoi ces ides et ces spculations se per-ptuent quoiqu'elles soient inefficaces ; elle met en vidence des carac-tres gnraux et des principes directeurs, qui permettent de les distinguer des notions et des thories cognitives et d'en dnoncer l'existence ou l'influence l o il n 'est pas toujours facile de les aper-cevoir.

    1 . L E S RELIGIONS ET LES THOLOGIES DE SALUT

    Les religions sont un ensemble de croyances et de pratiques, par lesquelles l 'homme s'est mis en relation avec un monde fictif, qu'il a construit pour doubler le monde rel, dont il croit dpendre, qu'il s'imagine pouvoir diriger ou influencer par des procds imits de ceux qu'il emploie dans la ralit. Ces procds constituent les rites, qui correspondent aux techniques dans le monde rel ; les reprsen-tations, qui les accompagnent, les justifient ou les ont provoqus, sont les mythes, qu'on peut rapprocher des explications que les hommes donnent de leurs actes et des ides qui y prsident. Les religions naturalistes, qui ont t de beaucoup les plus nombreuses et les plus rpandues, ont imagin ce domaine de l'invisible en fonction du monde rel tout entier. Leurs rites comportent des modalits adaptes celles de la vie : rites d'action sur la nature, pour la mettre en mouvement et l 'aider; rites sociaux, qui accompagnent les divers vnements de l'existence et sont censs les favoriser ; ri tes de passage d'un ge un autre, d'initiation pour l 'entre dans un groupe, d'limination, de purification contre les maladies et les flaux ; rites de manducation, de communion, par lesquels le croyant s'assimile les vertus d'un mort ou d'un dieu. Leurs mythes se sont dvelopps dans toutes les directions, sans orientation bien dfinie, racontant l'his-toire des esprits bienveillants et malveillants, interprtant les divers rites, avec une diversit qui tente de reproduire celle de la ralit. Parmi ces mythes, se rencontrent des mythes eschatologiques, qui racontent ce que les vivants croient sur leur sort aprs la mort . Mais dans la plupart des religions naturalistes, si l 'ide de survie est peu prs gnrale, elle reste assez indistincte. Elle est le plus fr-quemment conue, pour le commun des hommes, comme une conti-nuation plus ou moins efface de la vie prsente, sans gloire et sans

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    flicit, d 'une dure indtermine, souvent limite. Seuls les grands morts, les prtres, les chefs, les rois sont censs conserver au-del de la mort une situation privilgie ; ils sont parfois assimils aux dieux.

    Ces religions sont des religions publiques et nationales, qui prsi-dent la prosprit de la collectivit. Tous les membres du clan ou

    : de la nation y ont accs, les trangers en sont exclus. Elles sont gres par un sacerdoce officiel, qui ne forme pas ncessairement une caste, qui n'est parfois, comme chez les Grecs, qu'une magistrature temporaire. Les prtres sont chargs de l'excution des rites ; ils ont la garde des intrts gnraux du groupe, dans leurs relations avec le monde invisible qui en commande le cours.

    Au sein de plusieurs de ces religions ou auprs d'elles, ont apparu en Orient et en Extrme Orient, diverses poques, qui s'chelonnent depuis la fin du deuxime millnaire jusqu' notre re, des cultes nouveaux, dont les rites et les mythes sont troitement coordonns un besoin fondamental et prdominant : celui de la batitude ter-nelle de l'individu dans la vie future.

    Les rites naturalistes rpondaient la multiplicit de la vie relle sous tous ses aspects. Ces cultes nouveaux n'en ont utilis essentiel-lement que trois types : les rites d'initiation et de purification, rites prliminaires, prparant le fidle au grand rite final, auquel toute la religion est coordonne, rite rdempteur, rite de salut : la commu-nion, qui le fait participer la vertu et la substance divine et lui garantit ainsi une immortali t bienheureuse. Leurs mythes se rdui-sent essentiellement l 'histoire de la passion et de la rsurrection divines; ils figurent les preuves que doit supporter le fidle et pr-figurent sa dlivrance et sa batitude finales. Rites et mythes qui ne refltent plus les oppositions, les quilibres, les diversits de la vie, mais qui expriment ou qui ont engendr par contre coup une proc-cupation dominante, une sorte d'obsession, qui va parfois jusqu'au dlire : le dsir d 'chapper la ralit, de se dgager de ses souil-lures, de se racheter, pour trouver un refuge dans l ' immuable repos et la flicit suprme. Ils dfinissent les religions qu'on a appeles religions de mystres ou conomies de salut : le brahmanisme et ses drivs, le bouddhisme et le janisme, la religion de l'Avesta, le culte de Mithra, ceux d'Attis et de Gyble, d'isis et d'Osiris, des divinits leusiniennes, de Dionysos, d'Orphe, du Christ.

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    Ces religions ne sont pas primitives, elles sont postrieures aux cultes naturalistes auprs desquels elles se sont formes, en leur empruntant, pour les dvelopper, certains lments rituels et mytho-logiques. Elles ne sont pas des religions nationales. Tout individu qui a accompli les rites prliminaires peut y tre admis. Elles n'ont pas pour objet, l'origine tout au moins, la prosprit de la collectivit, ni de la famille ; elles ne concernent mme pas essentiellement le bonheur de l'individu ici-bas, mais sa flicit infinie et ternelle dans l'au-del. Elles sont aux mains de confrries, de castes, d'associations prives, dont les prtres sont, beaucoup plus troitement que dans les religions naturalistes, les dtenteurs des rites ; ils n'en ont pas seulement la garde et l'excution ; ils ne participent pas seulement la vertu divine ; le dieu est cens les possder, s ' incarner en eux, leur donner la rvlation de lui-mme.

    Ces cultes sont un phnomne particulier, quoique considrable, dans l'histoire des religions. Leur limitation dans le temps et l 'espace, leurs analogies profondes pourraient suggrer l 'hypothse qu'ils ont une origine commune, qu'ils ont d rayonner par t i r d 'un centre, que nous serions enclins placer dans la rgion de Plran et faire na tre vers les confins de l'an mille av. J.-C. Il est plus probable qu'il se sont propags partir de quelques centres indpendants, sous l'action de facteurs communs, dispositions affectives, conditions conomiques et politiques analogues. La prdominance des purifications, le besoin intense d'chapper la ralit, de se soustraire l 'action, de se rfu-gier dans un tat de repos dfinitif, de rechercher un bonheur inac-cessible, de se grouper en de petites sectes fermes o les fidles se soutiennent, s 'encouragent et s 'exaltent mutuellement, rvlent, la base, un tat d'motivit particulire, de dsquilibre psycholo-gique, constitu, selon ses varits, par de l 'aboulie, du scrupule, des phobies, de l'anxit, de l 'angoisse, des obsessions, par un senti-ment d'tranget, une dsintgration du rel. Cet tat peut tre dsign par le terme d'anxit collective, pris dans un sens trs gnral ; son tiologie reste dcouvrir.

    Certaines races y sont peut-tre plus disposes que d'autres 1 ; le phnomne a pris naissance dans des populations asiatiques. Il est

    1. Voir F. Heckel, La nvrose d'angoisse, Par is , 1917, p. 181.

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    important de remarquer , d 'autre part, que les recrudescences des religions rdemptrices ont gnralement concid avec des troubles, des .crises, des conditions de misre conomique et de dpendance politique.

    Leur expansion a t favorise pa