Réflexions sur l'Ὄχημα dans Les Eléments de Théologie de Proclus

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8/19/2019 Réflexions sur l'Ὄχημα dans Les Eléments de Théologie de Proclus http://slidepdf.com/reader/full/reflexions-sur-l-dans-les-elements-de-theologie-de-proclus 1/7 Jean Trouillard Réflexions sur l'χημα dans les Eléments de Théologie de Proclus In: Revue des Études Grecques, tome 70, fascicule 329-330, Janvier-juin 1957. pp. 102-107. Résumé Comme l'initié montant vers le sanctuaire rejette peu à peu ses vêtements, l'âme, en se purifiant, se dépouille de ses enveloppes infra-rationnelles. Proclus, après Plotin, reprend cette figure classique. Mais il la modifie. L'âme ne se dépouille jamais d'un corps pur ou οχημα, qui est le point d'insertion des autres enveloppes. Nous avons là une forme de médiation entre sensible et intelligible qui n'est pas un cas isolé et a des attaches profondes dans la pensée néoplatonicienne. Citer ce document / Cite this document : Trouillard Jean. Réflexions sur l'χημα dans les Eléments de Théologie de Proclus. In: Revue des Études Grecques, tome 70, fascicule 329-330, Janvier-juin 1957. pp. 102-107. doi : 10.3406/reg.1957.3477 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_1957_num_70_329_3477

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Jean Trouillard

Réflexions sur l'χημα dans les Eléments de Théologie deProclusIn: Revue des Études Grecques, tome 70, fascicule 329-330, Janvier-juin 1957. pp. 102-107.

RésuméComme l'initié montant vers le sanctuaire rejette peu à peu ses vêtements, l'âme, en se purifiant, se dépouille de ses enveloppes

infra-rationnelles. Proclus, après Plotin, reprend cette figure classique. Mais il la modifie. L'âme ne se dépouille jamais d'un corpspur ou οχημα, qui est le point d'insertion des autres enveloppes. Nous avons là une forme de médiation entre sensible etintelligible qui n'est pas un cas isolé et a des attaches profondes dans la pensée néoplatonicienne.

Citer ce document / Cite this document :

Trouillard Jean. Réflexions sur l'χημα dans les Eléments de Théologie de Proclus. In: Revue des Études Grecques, tome 70,fascicule 329-330, Janvier-juin 1957. pp. 102-107.

doi : 10.3406/reg.1957.3477

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R É F L E X I O N S S U R L ' O X H M A

DANS LES É L É M E N T S DE THÉOLOGIE

DE PROGLUS

On accusesouventla penséeplatonicienneet néoplatoniciennededéprécierle corps, présentécomme unsimpleobstaclepour l 'esprit et pour l'âme. On obtient ainsi une antithèse apparemmentsatisfaisantede la notion sémitede « résurrection» et du dogmechrétienqui lui fait suite. Tandisque le christianismetend à purifier le corps pourlui donnerpart à la consécrationfinale, les p latoniciens au contraire, chercheraientà nous purifier du corps.

Bienentendu, il n'est pas besoind'une longue familiarité avecles schemesde la penséehébraïqueet avecl'œuvrede Platonpour

trouver les choses moins claires.On peut se demander sidesnotionsqui ne sont pas au mêmeniveaufont une bonne antithèse.En ce qui concernePlaton, on s'aperçoitvite que l'euphorieduBanquet accueillantdes amoursambiguëscommepoint de départd'une initiation et d'une ascensionspirituelle, ne contredit pasl'austérité du Phédon. On se convainc aisémentque la « fuite »recommandéepar le Thééièteest équilibréepar l'intégration desplaisirsmélangéset des connaissances empiriquesopéréeenΓάπειρονdu Philèbe.

« Aura-t-il assez de science, celui qui possèdela notion ducerclepur et de la sphèredivine, s'il ignore cette sphère humaineet ces cerclesd'ici-bas...? », demandeSocrate.Et Protarquedese moquerdu naïf qui ne voudraitpas tenir comptede la « normeillusoire» (ψευδούς κανόνος) et de la « techniqueinconsistante» ;celui-làne saurait mêmepas retrouver le cheminde sa maison(i).

(i) Philèbe,62 a b.

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RÉFLEXIONSSURi/oXHMÀDANSPROCLUS 403

II y a surtout dans les Dialogues un singulier goûtde la vieet de l'action,qui ne porte pas au mépris dela terre, maisplutôt,

selonle mot d'Alain,à un « amour célestedes chosesterrestres ».En ce qui concerne lenéoplatonisme,je voudrais verser unepièceau procès,en rappelantune thèsede Proclustrop peu remarquée.

Pour symboliserles différentes étapesde la purificationde l'âme,les néoplatoniciens aimaient évoquerun rite probablementtrèstancien. Aucoursde son initiation, le fidèle rejetait successivementses vêtements. Chaque tunique(γντών) en vint à représenter undegré d'enveloppementd'une essencepure. Si ces degrés renvoientà une manière de topographiereligieusedisposéede telle sorteque l'enveloppeexterne (le σώαα) apparentel'hommeà la terre,l'interne (la ψυ*/7,) à la lune, tandis que le νους pur appartientau soleil,nous avonsla doctrine de Plutarque dans le De facie.Si les régions del'universsont seulementles figures des niveauxde conscienoeque l'âme traverse et dont elle se détache dans samarche vers l'Un, nous avonsle symboleque développePlotin :

« La rencontre du Bienest réservée à ceux qui montent versla régionsupérieure,se tournentvers elle et dépouillentles vêt

ements qu'ils ont endossésen leur descente.Ainsiceux qui accèdentaux sanctuairesdes temples se purifient, déposentles vêtementsqu'ils portaient et montent nus, jusqu'à ce que, abandonnantencette asoensiontout ce qui est étranger au dieu, on le voie seulà seul, absolu,simple et pur... » (i).

M. Jean Pépin a étudié lesdifférentes incidencesde cette figurechezsaint Augustin,dans sonintéressantecommunicationau C o ngrès augustiniende iq54 (2). Il a signaléle passage de l'imagede la vêture et du dépouillement en plusieursécrits de Proclus,mais il n'a pas noté le curieux caractèrequ'elle présente dans laΣτθ'.·/ε·.ωα·{.ςθεολογικτ, : si loin que l'âme pousse le dépouillement , lle ne parvient jamais à l'entière nudité.

Plotinavaitadmispour l'âme des corpsd'inégale valeur, commedes paysagesdifférents, selon le degré de sa purification. L'âme

(1)Ennéades,I, 6, 7.(2)Le symbolismenéoplatoniciende la vêlure,dans AugustinusMagister,

I, Paris, ig54, p. 2g3-3o6.

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104 JEANTROUILLARD

peut passer d'un corps terrestre et visible à un corps céleste,aérien, igné, invisible (i). Mais d'après les Ennéades,l'état de

pureté parfaite impliquele détachementde toute espècede corps :« Les âmes pures, qui ne subissent aucunement l'attractiond'uncorps, de toute nécessitén'appartiennentplus à un corps » (2).Plotinsignalecependantune opinion selonlaquelle l'âme ne seraitjamais entièrementdésincarnée: καίτοι τινές ψασι... ου πάν τη δεεξω σώματος εσεσΟαι.(3).

Cette thèse est justement celle que Proclus adoptera dans sesÉlémentsde Théologie et que M.E.R. Dodds appelle la théoriedu « corps astral » (/i).

Selon Proclus,la purificationou remontée del'âme consistepourelle à écarter ces tuniquesadditionnellesque sont les vies et lespuissancesinfra-rationnelles(5). Mais ce que l'âme dégageainsi,ce n'est pas seulementsa substancenoétique,c'est aussi la pureessence d'unecorporéitéqui lui est attachéede façon indissolubleet qui est le point d'insertionou le germe des enveloppessupplémentaires Ce corps fondamental est nommé oyη(ua (véhicule,appui), d'un mot que le Timée applique aux astres qui portent lesâmes des dieux (4i e), et aussi à l'organismequi soutient latête {[\[\ e) et le principe immortel del'homme (69 c).

Toute âme est donc liée « de façon congénitale» (συαφυώς)à un « corps éternel » (άΐδ-.ονσ-ώμα), « immuablepar essence»(άαετάδλητονκατ' ούτίαν) parce qu'il a été formé par une causeelle-même immobile.Chaque âme particulière possèdeun appuide ce genre, « immatériel » (άϋλον), « indivisiblepar essenceetimpassible» (άο'.α''ρετονκατ' ουτίαν καΐ άπατες), enfin « hyper-cosmique » (ύπεροσίΛ'.ον(6). Le rapport de l'âme particulièreàson corps incorruptible,qui est le premier à participerd'elle, estle même que le rapport de l'âme divine à son « corps divin »(θείον σο~){Λα).C'est une « participationselon l'être » (7).

(1) Enn., IV, 3, 9, i5.(2) Ibid., IV, 3, 2421-23.(3) Ibid., IV, 3, 46-7.(4)Proclus, The Elementsο) Theology,edit. E. R. Dodds,Oxford,1933,

AppendiceII et p. 3o4-3og.(5) Ibid., n. 209. Je cile les Élémentsde Théologied'après le texte grec

de l'éditionDodds.(6) Ibid., n. 207, 208.(7) Ibid., n. 2o5, 207, 196.

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RÉFLEXIONSSURl/θΧΗΜΑDANSPROCLUS 1 05

Le véhiculepossèdeune figure (σγή^α) et une étendue (uiysOo;)toujours identiquesà elles-mêmes,qui deviennent visiblessous

des apparencesvariables selonqu'il se revêt ou se dévêt d'autrescorps (i), Son essenceexprime la loi constitutivede l'âme. Sesmodes phénoménauxtraduisent exactementles affections quel'âme se donne à elle-même, s 'alourdissantdans sa chute oujetant du lest dans sa remontée.

« Les véhiculescongénitauximitent les vies des âmes dont ilssont les instruments, et ils se meuvent toujours selonleurs mouvements. Ils symbolisentles penséesdes unes par leurs révolutionssur eux-mêmes,les chutes desautres par leurs goûtsde l'instabilité,les purifications desautres encorepar leurs conversionsversl'immatériel.Aussiest-ce par leur être mêmeque les âmes animentleurs véhicules,et ceux-ci leur sont congénitaux.Ils participentaux changementsmultiformes de leurs activités; ils suivent entous points leursâmes, compatissantà leurs affections, affermispar leurs purifications,soulevéspar leurs ascensions,aspirantvers leur perfection » (2).

Il y a donc entre l'âme et son véhiculeune connexionnécessaire. La purification, qui conduit l'âme à être καθαρά et γυανήde toutes les puissancesdu devenir, délivre un ο·.κε~.ονείδος qui

est déjà un composé.Le véhicule est une médiation indispens ble ntre l'âme et ses vies inférieures. A ce titre, il est caractéristique d'une tendance qui cherche à épurer la corporéitéplutôt qu'à la rejeter radicalement.Cela vaut d'être retenu quandon veut définir la démarchecathartique proclusienne.

Bien entendu, ce corps étenduet indivisible, impassibleetimmatériel,pose bien des problèmes.Mais ils ne sont pas particuliers à la philosophiede Proclus. Auront seuls droit à lesrécuser oeux qui croient que la corporéités'épuise en ses manifestations empiriques,n'admettent pas son intelligibilité foncièreet excluent pour elle la possibilitéde tout autre état que sa.conditionprésente.

Proclus continue icile mouvementesquissé par les pythagoriciens quand ils introduisaientΓ άπειρον dans l'intelligible.Si

(1)Ibid., n. 2ίο.(a) Ibid., n. 209.

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106 JEANTROUILLARD

nousen croyonsce que rapporte à leur sujet Diogène Laërce,cetinfini serait même le premierépanchementde l'Un, principe uni

versel (i). Cet écoulement enexprimeraitla puissanoeillimitée,tandis que les déterminationsqui naissenten celle-ci manifester ient 'unité du foyer originel (2). Toute idée, comme toutnombre, serait un composéd'infini et d'unité (3). C'était poserun germe qui, en se développant,devait permettre d'assimilerprogressivementtout l'irrationnel, à titre d'infini, dans l'intelligible. inalement, d'aprèsProclus,le corps révélera,en tant qu'ilest infini, l'illimitationde la puissanoedivine, Γ ?ύτο:*πειρία(4).Il est difficile ici d'oublierque, selon Spinoza,le corps est unmode de retendue, attribut divin doué d'aséité. Proclus écriramême : το δε σώαα θεοε'.δές (5). Dans son CommentairedeVAldbiade I, il chargera le sixièmeordre de démons de transmettre à la matière terrestre les puissancesilluminatricesde la« matière céleste » (των εις τ/ν ύλην τ,κόν-ων άνωθεν από τηςουράνιας ύλης δυνάαεων) (6). Dans son Commentairesur leParménide,il indiqueraque le dernier degré deπέρας et α'άπε·.ρονpeut être identifié à Γ είδος et à Γ ϋλη (7).

La théorie de Γoyη υ.α est une des nombreuses médiationsqu'admet e néoplatonisme, aprèsle platonisme,entre empiriqueet

intelligible:

Osia ί)λη de Plotin (8), discours pur (9), mouvement pur, temps pur (10), sensationpure (11) du même auteur,sans oublier lalumière,l'amour,l'intuition esthélique...Ces médiations ont des manièresdiversesde marquer la continuitéde laprocessionà travers les brisuresdes ordres, de la récapituleretde manifester à chaque degré le point de départ de la purification qui achèvel'expansiondes êtres. Ces formes ambivalentes

(1)De Vitis...,VIII,1, 19.(2) Cf. Festugière,La RévélationdHcrmèsTrismégiste,IV, Gabalda,ig54,

p. 36-4o.(3) Cf. Proclus,In Euclidem,Friedlein,Teubner, 1873, 6.(4)Êlém.Théol.,n. 92,96.(5)Ibid., n. 129; cf. n. i4o.(6) In Alcibiadem,Cousin,i864, 382.(7) In Parmenidcm,VI, Cousin, i864, H23.(8) Enîi., II,4, 5 1*. «.(9) /& '<*.,IV, 3, 18.(10)Ibid., IV, 4, 8*δ δ1;VI, ι, ΐ6.(11)Ibid., VI, 7, 1-8.

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RÉFLEXIONSSURl/θΧΗΜΑDANSPROCLUS 107

nous permettent d'être à la fois spontanéset réceptifs, touts etparties, universels et singuliers, infinis et finis. Nous recevons

nos propres créationset nous nous donnonsà nous-mêmes enquelque sorte ce que nous accueillons.Telle est sans doute lacondition nécessairede l'esprit fini et le sens métaphysiquedela corporéité.

Nous pouvons doncreprendre, à propos de la théorie proclu-siennedu corps pur, le mot de Leibniz: « On y remarqueplusde raison qu'on ne croyait ».

Jean Trouillard.