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ΚΤΕΜΑ CIVILISATIONS DE L'ORIENT, DE LA GRÈCE ET DE ROME ANTIQUES Publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique EXTRAIT UNIVERSITÉ DES SCIENCES HUMAINES DE STRASBOURG CENTRE DE RECHERCHES SUR LE PROCHE-ORIENT ET LA GRÈCE ANTIQUES GROUPE DE RECHERCHE D'HISTOIRE ROMAINE N° 9 STRASBOURG 1984

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ΚΤΕΜΑCIVILISATIONS DE L'ORIENT, DE LA GRÈCE ET DE ROME ANTIQUES

Publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique

EXTRAIT

UNIVERSITÉ DES SCIENCES HUMAINES DE STRASBOURG

CENTRE DE RECHERCHES SUR LE PROCHE-ORIENT ET LA GRÈCE ANTIQUES

GROUPE DE RECHERCHE D'HISTOIRE ROMAINE

N° 9 STRASBOURG 1984

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Le territoire de Larisa :ses limites, son extension, son organisation (*)

Dans la réflexion politique qu'ont menée les philosophes grecs, du vie au IVe siècle av. J.-C, larecherche d'une définition de la cité, polis, a occupé, cela est bien connu, une place essentielle : ellea en fait suivi et accompagné le développement historique des cités C)· Les principaux éléments decette réflexion sur la polis ressortissent à la fois à un ordre politique et social et à une distributiongéographique. La polis est un groupement humain, une communauté politique, morale et religieuse.Mais cette communauté occupe une portion de l'espace géographique et du même coup se définit aussipar la manière dont elle occupe cet espace, qui n'est pas immédiatement ni exclusivement urbain. Lapolis antique, prise dans sa matérialité géographique, se compose ainsi d'un établissement humainprincipal, sur lequel se concentre un certain nombre de fonctions, et spécialement celle de ladéfense (2), et qui concentre aussi, dans Yastu, une part importante, sinon la majorité de la population.Les ressources nécessaires à la subsistance de cette communauté, dans une situation qui vise fondamen-talement à l'autarcie (3), sont fournies par un territoire, chôra, qui est d'abord un terroir, un imageagricole et pastoral (4) qui trouve ses limites non pas toujours dans un bornage précis, mais plusordinairement dans une zone de marches, des eschatiau confins à l'appartenance souvent disputée. Al'intérieur de ces limites, des établissements humains moins importants peuvent compléter l'occupationde l'espace, qu'il s'agisse d'installations isolées, des fermes par exemple, d'habitats groupés en kômaipour l'exploitation des campagnes, ou de dispositifs de défense, pyrgoi, kastra, characes, isolés ouappuyés par un habitat plus ou moins important.

Cette présentation des modes et des éléments d'implantation des groupes humains qui constituaientles cités grecques est faite ici à grands traits, parce qu'elle est bien connue (5). Une caractéristique nousretiendra pourtant. Dans cette définition, la cité se présente comme un tout formé de parties liées entreelles par des relations structurées et hiérarchisées. Pour les Anciens, ce tout était synthesis, ensemblecoordonné, et non mixis, mélange et juxtaposition d'éléments individuels (6). C'est pourquoi il a parudéjà depuis longtemps possible et profitable d'utiliser cet ensemble comme un modèle descriptif précispour servir de référence à des études de topographie historique et de géographie humaine dans le passé

(*) Cette étude développe le texte de la communication que j'ai présentée sous le même titre au 1er Symposium internationalde Larisa, 26-28 avril 1985 et publiée en grec dans les Actes du Colloque, Λάρισα: παρελθόν και μέλλον, Larisa, 1985,pp. 137-142. Je remercie M. Sintès-Aioutz et V. Francin (Centre de Recherches Archéologiques) pour la conception et le dessindes cartes et L. Darmezin (Maison de l'Orient) qui a bien voulu saisir le texte.

(1) Cf. l'exposé, d'une grande clarté, présenté par R. MARTIN, L'urbanisme dans la Grèce antique, 1974, pp. 13-29.(2) Au sens le plus ancien, polis désignerait l'acropole, la demeure fortifiée des seigneurs et maîtres du groupe. Cette thèse

traditionnelle a été critiquée par E. LÉVY, Ktèma, 8, pp. 56-58.(3) Cf., parmi beaucoup d'autres passages, les définitions d'ARiSTOTE, Politique, VII, 8, 8 (1328 b).(4) Je retiens ce terme comme désignant l'étendue d'un territoire placé sous une même juridiction (cf. Littré).(5) Cf. par exemple J.-P. VERNANT, «Espace et organisation politique en Grèce ancienne», Mythe et pensée chez les Grecs,

1981, pp. 207-229.(6) Cf. M. DEFOURNY, Aristote. Etudes sur la Politique, 1932, p. 466 ; cf. l'étude récente de E. SCHUTRUMPF, Die Analyse der

Polis durch Aristoteles, Studien zur antiken Philosophie, 10, 1980.

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hellénique, à des recherches archéologiques appuyées sur des prospections de terrain systématiques.C'est ce que j'ai tenté de faire pour le territoire de Larisa.

Nous ne savons que peu de choses sur le territoire de la cité antique de Larisa, à partir des sourceshistoriques ou des inscriptions. Quelques indications brèves nous viennent de Strabon, certainesinscriptions attestent l'existence de recensements cadastraux. Mais faute de témoignages plus nom-breux, d'observations suffisantes du terrain, faute en somme d'un cadre de référence, il a été biendifficile jusqu'à présent d'exploiter ces informations pour donner une représentation claire de ce qu'étaitla chôra de Larisa. Une telle représentation manque, à ma connaissance, dans tous les ouvrages quitraitent de Larisa et de la Thessalie (7).

Je veux essayer de poser ici les bases de cette recherche, en m'appuyant sur des observations d'ordregéographique, sur un inventaire des trouvailles archéologiques, sur des prospections de terrain limitéescertes, mais que j'ai voulues très définies. Nous pouvons en outre nous fonder sur des expériencesprécises en matière d'analyse de l'espace archéologique, sur l'étude de la distribution des établissementshumains (8), sur les premiers apports que l'interprétation des images télédétectées par satellite fournitdésormais aux archéologues qui orientent leurs travaux vers la compréhension de l'organisation spatialeantique dans un cadre régional (9).

1. Approche traditionnelle : Larisa dans son cadre régional

Dans le cadre thessalien, Larisa apparaît très tôt, et dès l'époque classique assurément, comme unemétropole, dont le domaine est constitué par la province tout entière, la Pélasgiotide, et ses borduresmontagneuses. Telle est aussi la position de la ville aujourd'hui dans sa région. Cette situations'explique évidemment par les avantages d'ordre géographique, économique et politique que Larisa tirede sa localisation, de sa population et de son activité.

Le caractère si apparent de métropole conféré à Larisa depuis si longtemps a conduit pourtant etconduit encore à occulter l'examen de son espace propre, à oublier que, dans le système géopolitiquede l'antiquité, Larisa a été une polis comme les autres, c'est-à-dire une unité fondée sur l'associationd'un établissement humain et d'un territoire. On doit considérer même que la cité a d'abord été unetelle unité, et n'a jamais cessé de l'être, même quand son rôle a dépassé largement cet état. Et nouspouvons supposer, avec de bonnes raisons, qu'il faudra évidemment expliciter, que le territoire, chôra,de Larisa, tout autant que la ville, Yastu, a contribué à donner à la cité des Lariséens son poids et savaleur dans l'histoire de la Thessalie.

A considérer le matériel épigraphique et archéologique de Larisa, nous avons du mal pourtant àidentifier clairement ce qui caractérise Larisa par rapport aux autres cités de la région : on perçoitd'emblée une aire régionale et non pas un territoire particulier. C'est ce que révèlent les études de H.Biesantz sur les sculptures classiques : l'auteur détermine, avec plus ou moins de vraisemblance, un stylequ'il appelle «lariséo-phalannéen» ou «lariséo-perrhèbe» (10). Dans cette analyse, Larisa est considéréecomme le centre d'un domaine stylistique déjà assez vaste et régional.

Selon des perspectives un peu différentes, la recherche que j'ai moi-même effectuée, avec V. vonGraeve et C. Wolters, sur les stèles funéraires hellénistiques et romaines de la Thessalie, a conduit à

(7) Pas un mot sur la chôra de Larisa dans F. STÀHLIN, Das hellenische Thessalien, 1924, ni dans RE, s.v. «Larisa» (par lemême), 1924 ; pas davantage dans Th. D. AXENIDIS, Pelasgis Larisa, 1974, ni non plus dans E. KIRSTEN, in A. PHILIPPSON,Griechische Landschaften, 2, 1953.

(8) Je ne citerai ici que I. HODDER et ORTON, SpatialAnalysis in Archaeology, 1976, et pour la Thessalie G. CHOURMOUZIADIS,Ta Νεολιθικό Δίμηνι, 1979, p. 27, η. 1 et 169-171 ; J.-C. DECOURT, La vallée de l'Enipeus, thèse, Lyon, 1986.

(9) E. BARISANO, B. HELLY «Remote Sensing and archaeological Research in Thessaly (Greece) : New Prospects in"archaeological" Landscape», Proc. Earsel/ESA Symposium (ESA SP-233), mai 1985, pp. 203-209.

(10) H. BIESANTZ, Die Thessalischen Grabreliefs, 1965, pp. 150-155.

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identifier de nombreux ateliers ou des traditions d'ateliers propres à des cités comme Atrax, Gonnoipar exemple (n) . Mais nous n'avons jamais pu caractériser exactement des ateliers «lariséens». Denombreuses observations sur les provenances, la typologie, la géographie ont montré qu'en vérité cetterecherche était en grande partie vouée à l'échec.

Une première série d'observations a fait apparaître l'hétérogénéité du matériel funéraire à Larisa.Cette situation trouve son explication pour une part dans la constitution même, moderne, de lacollection épigraphique conservée actuellement dans cette ville. Depuis deux siècles environ, on arassemblé là les trouvailles épigraphiques de toute la région. Pour beaucoup de ces stèles, lesprovenances n'ont rien d'assuré : par exemple la mention «palaia syllogé» donnée par les publicationsdes articles ou le corpus IG, IX 2, reprise ensuite dans les inventaires, ne garantit nullement que lemonument a bien été trouvé à Larisa même, sur le site des nécropoles ou dans les environs. Telle pierrepeut venir en réalité - et parfois le contenu de l'inscription le prouve — des cités antiques de Gonnoi,de Phalanna, Argoussa ou des villages modernes de Sykourion, Gyrtoni, Agia, près desquels sontrepérées les ruines de cités antiques mal identifiées (12). Il convient donc de retenir que la collectionépigraphique de Larisa n'est pas pertinente pour caractériser les ateliers, les traditions épigraphiquespropres à cette cité, si elles ont existé. Complémentairement, ni les provenances, ni la distribution destrouvailles ne permettent de caractériser de manière immédiate la chôra de Larisa par rapport à cellesdes cités voisines.

Cette absence d'homogénéité que l'on constate pour la collection moderne des inscriptions a existéaussi dans l'antiquité, pour les stèles funéraires tout au moins. Sur ce point interviennent déjà desconsidérations d'ordre géographique : Larisa, cité de plaine, ne dispose, dans ses environs immédiats,d'aucun gisement de matériaux minéraux, d'aucune carrière par conséquent. Il n'existe donc aucune«pierre», ni calcaire, ni marbre, qui soit caractéristique de Larisa, alors que nos études ont permisd'identifier avec précision le marbre d'Atrax, celui de Gonnoi, le basalte de Thèbes de Phthiotide, lecalcaire noir de Pharsale (13).

Cela impose, bien évidemment, l'idée que ces matériaux étaient apportés à Larisa depuis lesgisements pour être utilisés par les entrepreneurs de la ville, les maçons, les tailleurs de pierre, lesmarbriers et les sculpteurs. Les carrières les plus proches de Larisa sont, au Nord et à l'Est, celles deChasambali et de Kastrion, à près de 15 km. A Chasambali (14), on a exploité et l'on exploite toujoursune serpentine verte à grosses inclusions de marbres ou de calcaires blancs, gris ou noirs. Mais cematériau coloré n'a pas été utilisé avant l'époque romaine ; il n'apparaît pour les stèles funéraires qu'àla fin de la période hellénistique. Question de goût, pouvons-nous penser, en nous reportant àl'opposition que l'on fait traditionnellement entre Grecs et Romains à propos de l'emploi des rochespolychromes. Mais peut-être des raisons techniques ont-elles aussi joué.

Le marbre de Kastrion, blanc avec des grains fins (15), caractérise quant à lui un groupe de stèlesfunéraires de Larisa. Mais il se retrouve aussi pour des stèles d'autres provenances (16). Dans tous les

(11) Cf. C. WOLTERS, «Recherches sur les stèles funéraires hellénistiques de Thessalie», La Thessalie, Lyon, 1979,pp. 81-110.

(12) Cf. les propositions que j'ai présentées pour la réorganisation du Corpus IG, IX 2, au Colloque international dedialectologie grecque, Nancy, 2-3 juillet 1986 (à paraître).

(13) Etudes sur les marbres thessaliens : cf. R. GAST, KL GERMANN, E. EILERT, «Petrographische und geochemischeUntersuchungen zur Herkunftsbestimmung von Marmoren hellenistischen Grabstelen Thessaliens», La Thessalie, Lyon, 1979,pp. 51-62.

(14) Pour les carrières de Chasambali, cf. R. LEPSIUS, «Griechische Marmorstudien», Abhandlungen der kôniglichen Akademieder Wissenschaften zu Berlin, Phil.-histor. Klasse, 1890, p. 41. A. DWORAKOWSKA, Quarries in ancient Greece, 1975, p. 239 sq.

(15) Voir supra, n. 13.(16) Cf. ibid. et C. WOLTERS (supra, n. 11).

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cas, les produits façonnés dans ce matériau ne paraissent pas relever d'une tradition d'ateliersindividualisés, que l'on peut opposer aux autres, comme on peut le faire pour les stèles d'Atrax, pardes formes et une typologie définies. Cette absence de marques caractéristiques peut être le signe d'unemise en exploitation relativement récente, postérieure à la constitution des traditions d'ateliers établiesdans les centres de production les plus anciens. Elle peut s'expliquer aussi, et ceci complète l'obser-vation précédente, par le fait que les carrières de Kastrion ne sont pas situées à proximité d'un siteantique important (17).

En fait l'appartenance des carrières de Kastrion au territoire d'une cité bien déterminée resteincertaine. Il en va de même pour les carrières de Chasambali. Les unes et les autres se trouvent déjàassez éloignées de Larisa, en bordure de la plaine. Les cités les plus voisines sont établies soit près duvillage moderne de Sykourion, soit près d'Agia, soit à Kalyvia, toutes éloignées de plusieurs kilomètres.Ces cités sont installées dans de petits bassins bien dessinés par des chaînes de collines, ou se trouvent,comme Kalyvia, en piémont au-dessus de la plaine, et, toutes, elles ont fait des terroirs ainsi délimitésleur territoire. Mais les carrières de Chasambali et celles de Kastrion sont hors des limites naturellesde ces bassins agricoles. Nous ne pouvons donc, en considération seulement de la situation de cescarrières, les attribuer directement à ces cités ni non plus à Larisa. Nous ne pouvons retenir à ce stadequ'un fait : Chasambali et Kastrion sont des lieux de production de matériaux, pour Larisa notamment,mais rien n'assure que l'exploitation de ces gisements était aux mains des Lariséens, ni non plus queces carrières étaient situées dans les limites de leur territoire.

Nous ne pouvons rien tirer non plus de l'existence des stèles lariséennes fabriquées dans cesmatériaux. Il est bien établi, en effet, que l'on faisait venir à Larisa non seulement les matériaux bruts,mais aussi des produits finis : ainsi des stèles façonnées à Gonnoi arrivaient à Larisa, où elles recevaientseulement l'épitaphe appropriée (18). Les marbriers d'Atrax exportaient certainement leurs produits àLarisa, de la même façon. Mais on peut supposer aussi, et sans exclure le commerce des produitsfabriqués, que des ouvriers ou certains ateliers ont quitté les centres de production pour s'installereux-mêmes dans la métropole lariséenne. L'observation de certains monuments funéraires dont laprovenance lariséenne est assurée le donne à penser. Mais ce point n'a guère besoin d'être démontré :l'importance de Larisa, sa population, le marché qu'elle représentait justifient la présence d'ateliersnombreux pour les travaux de la pierre et du marbre, et le déplacement des spécialistes des différentsmatériaux sur les lieux d'utilisation.

Cela explique le manque d'homogénéité des traditions d'ateliers représentées par les monumentsfunéraires de Larisa : là se sont rencontrées les typologies d'Atrax et de Gonnoi, de Phères, d'Athènesou de cités où les ateliers athéniens ont laissé des traces manifestes, comme Démétrias ou Pharsale.Larisa, comme toute métropole, comme toute grande cité, a été un lieu de rassemblement, un «meltingpot». Voilà pourquoi nous devons renoncer à caractériser des traditions d'ateliers purement lariséennes,au moins pour l'époque hellénistique. Mais voilà aussi pourquoi nous ne pouvons «marquer» leterritoire de Larisa par un type de productions particulier, s'agissant du matériel épigraphique tout aumoins. Nous retiendrons ainsi que, à l'époque historique dont nous traitons, l'espace économique deLarisa ne correspond nullement à ce que nous recherchons, le territoire, char a, de la cité, mais ledépasse largement. Cet espace économique correspond plus naturellement à l'espace géographiquerégional, et l'on voit bien, par les mentions des cités dont les traditions d'ateliers se retrouvent à Larisa,qu'il s'étend à la plaine orientale de la Thessalie et à ses confins, c'est-à-dire à la Pélasgiotide et à unepartie de la Perrhébie, sinon au-delà.

(17) Le site de Kastri n'est pas celui d'une polis quoi qu'en aient dit les auteurs modernes (cf. F. STÀHLIN, supra, n. 7), maisune installation médiévale.

(18) Cf. C. WOLTERS, loc. cit., p. 90.

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Cet espace paraît avoir été aussi l'espace «politique» que la cité de Larisa a dominé pendant touteson histoire, d'une manière très directe. C'est ce que suggèrent aux numismates les monnaies frappéespar Larisa et les cités de la région dans le cours du Ve s. av. J.-C. On a pu parler d'une «union monétaire»organisée par Larisa (19). Celle-ci semble avoir imposé, sinon sa souveraineté, chaque cité gardant sonpouvoir de battre monnaie, mais au moins son autorité dans les choix métrologiques, techniques etéconomiques. Pour les historiens, Larisa a donc bien évidemment joué un rôle majeur dans ledéveloppement de la Thessalie, et spécialement de la Pélasgiotide. C'est dans cette perspective«géographique» que l'on a analysé les témoignages relatifs à l'organisation de Yethnos thessalien par lesgrandes familles aristocratiques et notamment par les Aleuades de Larisa. L'interprétation que l'on aainsi donnée de deux fragments d'Aristote considérés comme essentiels pour cette phase d'organisationest caractéristique de ce point de vue. Il s'agit de deux citations de la Thessalôn politeia, dont l'uneattribue à Aleuas fils de Pyrrhos, de Larisa, au début du Ve s. av. J.-C, la division de la Thessalie enquatre tétrades (20), et l'autre met au compte de ce même personnage une organisation militaire fondéesur une répartition du territoire en κλήροι (21). On a depuis longtemps rapproché ces deux textes (22)et considéré que l'un comme l'autre s'applique à toute la Thessalie, à l'ensemble des cités thessalien-nes (23). Ainsi M. Sordi construit, à partir de l'analyse combinée des deux fragments, l'image du«territoire fédéral» des Thessaliens et le désigne clairement comme la πολιτική χώρα de Larisa (24).C'est à mon sens aller trop loin, comme je tenterai de le montrer plus tard, mais cela semble biensignificatif : la Thessalie est traitée comme le «domaine» dépendant de Larisa, ce qui peut être, dansla perspective d'une histoire événementielle, acceptable — comme on le constate dans les périodes oùla région a subi les contraintes extérieures les plus fortes (25) — mais ce qui me paraît peu convenablesi l'on vise à comprendre les conditions dans lesquelles se sont développées les cités elles-mêmesprécisément à cette époque. Ainsi, tout n'apparaît pas par le moyen des analyses portant sur le matérielarchéologique. De même, dans les interprétations historiques, le territoire propre des Lariséens, lachôra, nous échappe-t-il, une fois encore.

2. Le réseau des cités antiques dans la Thessalie du Nord-Ouest et leurs territoires

Une autre voie de recherche sera plus fructueuse, même si elle est fondée sur des observations enapparence moins matérielles, même si nous devons nous éloigner, pour un temps, de l'examen desindustries et des témoignages de l'histoire. Il faut repartir de la notion même de chôra, ce territoire qui

(19) Cf. F. HERMANN, «Die thessalische Munzunion», Zeitschrift fur Numismatik, 32, 1921, pp. 33-43 et 33, 1922,pp. 227-238 ; M. SORDI, La lega tessala, 1958, p. 115.

(20) Fgt. 497 Rosé : και 'Αριστοτέλης δε Tfj xoivfj Θεσσαλών πολιτεία επί Άλενα τον Πνρροϋ διηρρσθαί φησιν εις δ'μοίρας την Θεσσαλίαν (transmis par Harpocration). Pour la date d'Aleuas, vers 500 av. J.-C, cf. M. SORDI, op. cit., p. 66.

(21) Fgt. 498 Rosé : καθάπερ φησιν 'Αριστοτέλης εν Θεσσαλών πολιτεία γράφων όντως «διελών δε την πόλιν (cod., τάςπόλεις Rosé, την πολίτειαν Schwartz, την πολιτικην Wade-Gery) Άλενας έταξε και (cod., κατά Pflug) τον κλήρον παρεχεινεκάστους ιππέας μεν τεσσαράκοντα, όπλίτας δε όγδοήκοντα...».

(22) Développement de cette position par Th. WADE-GERY, JHS, 1924, pp. 55-64 ; M. SORDI, op. cit., pp. 66 sq., 74 et319-332.

(23) Révélatrices sont les corrections au fgt. 498, pour remplacer le terme την πόλιν par την πολίτειαν, τάς πόλεις-, Μ.SORDI, op. cit., p. 319, η. 4, conserve την πόλιν, mais en comprenant την πολιτικην χώραν, dans le même sens que Wade-Gery.

(24) M. SORDI, op. cit., p. 148, s'appuie pour cela sur l'emploi de χώρα (= région) dans un discours attribué par certainsmodernes à un auteur de la fin du Ve s. av. J.-C. (Critias ?), discours que nous connaissons avec le titre de Περί πολιτείας, sousle nom d'Hérode Atticus. L'emploi de χώρα dans ce discours me paraît justement renvoyer à une habitude d'époque impériale,dont je reparlerai ci-dessous. L'identification de ce texte comme un exercice de rhétorique du IIe s. ap. J.-C. est soutenue, avecd'excellents arguments, par U. ALBINI dans son édition commentée, Florence, 1968.

(25) On se réfère naturellement au statut unitaire de la région quand elle était placée sous la souveraineté des Macédoniensou des Romains.

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fait partie intégrante de la cité, espace géopolitique avant tout. Aristote en a donné la meilleuredéfinition théorique, depuis bien longtemps déjà : cette définition associe des caractéristiques physi-ques, économiques et humaines bien précises, qui permettent aux chercheurs modernes de définir surle terrain des unités vraisemblables. Ainsi n'avons-nous pas de difficulté à déterminer, dans leursgrandes lignes, le territoire de Gonnoi ou celui de telle autre cité.

Il est vrai que, dans de nombreux cas, le cadre géographique prédétermine ces territoires, spécia-lement en Grèce : bassins ou petites plaines enserrés dans les collines ou bordés de hautes montagnesconstituent des unités dont les groupes humains ont tiré parti. Mais cette situation n'est pas générale,et la Thessalie y échappe pour une très grande part. Les vastes plaines, les larges vallées et les terrassesde piémont de cette région n'imposent pas de limites aussi strictes aux groupes humains qui veulentoccuper les sols disponibles. Par conséquent, ils n'apportent à l'analyse des chercheurs modernes quepeu d'informations sur le déploiement des zones d'occupation propres à chacun de ces groupes.

Cette difficulté m'a conduit à examiner la distribution des sites antiques eux-mêmes, notamment celledes sites que l'on peut qualifier de «majeurs» : ceux dont nous savons, par l'histoire, l'épigraphie oul'archéologie, qu'ils constituaient le point d'établissement d'un groupe humain politiquement organisé,ayant en pleine possession et sous son contrôle, en principe autonome, une certaine portion de l'espacedisponible, un terroir propre.

La répartition de ces sites «majeurs» est apparue, à l'examen, comme relativement régulière, dansles plaines et basses vallées thessaliennes ; ainsi en est-il pour la vallée de l'Enipeus (26). Par référenceà d'autres expériences de même ordre, qui ont servi à fonder certaines méthodes d'analyse de l'espace,cette distribution régulière nous est apparue comme constituant un réseau dont le maillage reflète, aumoins en théorie, l'extension de l'occupation des terroirs d'exploitation. On peut ainsi, toujours enthéorie, assigner à chacun des points de ce réseau, les sites majeurs, une aire d'exploitation qui sera,hors de délimitations physiographiques plus précises, considérée comme s'étendant également danstoutes les directions. Chaque zone aura donc deux caractéristiques :— elle sera considérée comme circulaire (27) ;— son extension sera calculée à partir de la distance moyenne qui sépare chaque site de ses voisins les

plus proches, et correspondra à la moitié de cette distance (28).Des corrections doivent parfois être apportées à ce schéma : les obstacles naturels, rivières, zones

montagneuses ou humides, peuvent réduire cette zone circulaire à une partie de cercle plus ou moinsgrande.

Dans le cas de Larisa, cité de plaine, pour le territoire de laquelle, nous l'avons vu, l'observationimmédiate du terrain ne nous apporte aucune information, nous devons avoir recours à cette méthode :détermination des plus proches voisins et de leurs zones théoriques d'occupation. Si l'hypothèse d'unmaillage régulier est correcte, le réseau ainsi constitué fera apparaître une aire disponible, autour deLarisa, que nous pourrons considérer, en théorie, comme son territoire.

Les sites antiques majeurs les plus proches de Larisa nous sont bien connus. Certains d'entre euxsont clairement identifiés depuis plus ou moins longtemps comme des cités (fig. 1) :— Crannon au Sud-Ouest (29),

(26) Cf. J.-C. DECOURT, Les cités de la vallée de l'Enipeus, thèse, Lyon 1986 (en cours d'impression).(27) Déjà Platon construisait le territoire de la cité idéale comme circulaire ; sur le thème de l'organisation de l'espace, cf.

les analyses de J.-P. VERNANT, Mythe et pensée chez les Grecs, 1981, pp. 207-229.(28) Pour la mise en œuvre de la méthode dite «des plus proches voisins», voir supra, n. 8.(29) Le site de Crannon est localisé avec certitude par une inscription depuis W. M. Leake ; cf. F. STÂHLIN, op. cit., p. 111.

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RG. 1. - Localisation des cités de la plaine thessalienne.

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- Argoussa à l'Ouest (30),- Phalanna au Nord-Nord/Ouest (31).D'autres sont reconnus comme établissements de cités, même si les identifications avec des poleisantiques restent l'objet de discussions contradictoires. Ces sites sont localisés :- près du village moderne de Gyrtoni, au Nord de Larisa (32),- près du village d'Evangelismos (33),- près du village moderne de Pournari, au Nord-Est (34),- près du village moderne d'Aétolophos, à l'Est (35).Il reste, au Sud-Est et au Sud, deux cités, Phères et Scotoussa, dont les positions sont, elles aussi, bienconnues. On ne peut cependant considérer sans réserves ces deux cités comme plus proches voisinesde Larisa dans ces directions. Les textes antiques situent en effet certains établissements dans uneposition plus rapprochée de Larisa que ne le sont Phères et Scotoussa : il s'agit sans doute de Kerkinionet d'Arménion (36), que l'on peut situer l'une près de Kalyvia à la bordure Sud-Ouest du Pelion, l'autreprès de Néon-Périvoli au Nord des Revénia. Cependant nous ne disposons pas, pour ces établisse-ments, d'une localisation précise. Mais il importe peu à ce point de notre discussion qu'aucun siteantique actuellement connu dans cette partie de la région ne s'impose comme site «majeur» directementvoisin de Larisa : je laisserai donc provisoirement ce secteur hors de mon analyse, sans qu'il en résulted'inconvénients essentiels sur l'identification du territoire de Larisa.

Le report des sites majeurs retenus sur la carte de la région de Larisa, et le calcul des distancesmoyennes qui séparent chacun d'entre eux de ses plus proches voisins fait apparaître un résultatsignificatif.

La distance moyenne de site à site, pour la région de Larisa, est de même grandeur que la distancemoyenne calculée pour les sites majeurs de la vallée de l'Enipeus. Ce résultat confirme la cohérenced'un réseau régulier d'établissements dans la région, au Sud-Est, à l'Est, au Nord et au Nord-Est deLarisa. A chaque point de ce réseau peut être associée (fig. 2) une zone d'occupation - cercle ou

(30) Pour Argoussa, cf. les travaux de V. Milojcic et de ses collaborateurs, que j'ai rappelés dans mon étude sur lesinscriptions qu'on doit attribuer à ce site, ZPE, 35, 1979, pp. 241-254.

(31) Le site de Phalanna n'est pas identifié avec certitude car aucune des localisations proposées jusqu'à présent n'estsatisfaisante (cf. F. STÀHLIN, op. cit., p. 30 sq, pour les différentes hypothèses existantes). La cité était sans aucun doute dansla plaine de Tyrnavo, et je la placerais, pour des raisons que je développerai ailleurs, dans la plaine à quelques kilomètres au Nordde l'actuel village de Phalanni (Tatar Magoula). Une autre cité occupait certainement le bassin d'Argyropouli, plus au Nord, surl'autre rive du Titarèse ; je la localise provisoirement sur le site de Rhodia Tyrnavou.

(32) La description de ce site a été donnée par F. STÂHLIN, RE, s.v. «Mopsion» (1936), col. 236-240 ; j'hésite cependantà le considérer comme un site de polis ·. on n'y a jamais rapporté aucune trouvaille d'inscriptions ni aucun vestige d'habitatcaractéristique. Le site d'établissement le plus «productif» pour cette partie de la région est situé entre Makrichori et Parapotamos,sur le versant oriental de l'Erimon. Il n'y a cependant pas d'ambiguïté : tout ce secteur de l'Erimon constitue une unitéd'exploitation identifiable.

(33) II s'agit du site reconnu au lieu-dit Mourlari, entre les villages actuels d'Elateia et d'Evangelismos ; cf. ARVANITOPOULOS,Praktika..., 1911, pp. 331-333, et C. GALLIS, A. Deltion, 29, 1973-1974, Chronika, p. 582 sq., qui a bien repéré la nécropole.

(34) Site de Bounarbasi bien connu des préhistoriens, KL KILIAN, Die Siedlungshiigel Bunar-Baschi bei Sykourion, in V.MILOJCIC et alii, Magulen um Larisa in Thessalien, 1966, BAM, 15, 1976, pp. 65-72, mais où les traces d'occupation archaïque,classique, hellénistique et romaine sont indubitables ; je reviens ailleurs sur cet établissement.

(35) Le site de Palaiokastro près de Gerakari et Aétolophos a été bien décrit par C. GALLIS, A. Deltion, 28, 1973, Chronika,pp. 327-329, et 30, 1975, p. 193 sq. Ce site commande l'accès au bassin d'Agia, dont on peut considérer raisonnablement qu'ila constitué une unité d'exploitation clairement définie.

(36) N. GIANNOPOULOS, A.E., 1931, p. 175, a signalé un site antique proche de Kalyvia (Koukourava) : il pourraitcorrespondre à l'établissement antique de Kerkinion ; de même les trouvailles concentrées dans les villages de Néon Périvoli -Arminion devraient être les témoins de la cité d'Arménion située, selon Strabon, au bord du lac Boibé, à mi-distance entre Phèreset Larisa ; je développerai ailleurs ces deux hypothèses déjà indiquées par E. KIRSTEN, in A. PHILIPPSON, op. cit., p. 274, n. 3.

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R G . 2. - Aires théoriques des sites centraux autour de Larisa.

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portion de cercle — d'un rayon minimal de 5 km, maximal de 8 km environ, qui définit théoriquementl'extension du territoire propre à chacun de ces établissements.

Le dessin de ces territoires théoriques sur la carte apporte des informations complémentaires :partout où ces cercles devraient se recouper apparaît une limitation explicite de leur extension, imposéepar la géographie. Il s'agit des fleuves, Pénée et Titarèse, qui limitent, selon toute vraisemblance,l'extension de certains territoires, celui de Phalanna par rapport à ceux de Rhodia et du site prochede Gyrtoni moderne. Il s'agit aussi des zones montagneuses qui sont en bordure du territoire deGonnoi, par rapport à celui de Rhodia ou du site voisin de Phalanni moderne. On constate encore lamême position de confins pour les bordures du massif de l'Erimon, entre Gonnoi et le site proche deParapotamos, ou pour les collines situées entre ce dernier et les voisins immédiats, installés prèsd'Elateia et de Pournari.

La situation de deux autres sites fait l'objet de remarques particulières. Le site établi dans le bassind'Agia, près du village d'Aétolophos, possède un territoire dont l'extension est définie par le relief. Lebassin possède deux issues. L'une, à l'Est d'Agia, vers la mer, est un seuil collinaire avec ligne departage des eaux. Au-delà, nous savons que se trouve un autre territoire, celui de Méliboia (37). Al'Ouest, un défilé (stena) ouvre sur la plaine de Larisa.

A l'Ouest de Larisa, la cité d'Argoussa est établie sur le cours même du Pénée, rive gauche. Il estpossible que le territoire qui se rapportait à cette cité ait été limité par le fleuve au Sud. C'est en toutcas dans les villages et chapelles rurales situés sur la rive septentrionale du fleuve qu'ont été disperséesla plupart des inscriptions que j'ai proposé d'attribuer à cette cité. Mais il est possible aussi que la citéait étendu son territoire sur l'autre rive, jusque dans les collines situées entre Larisa et Crannon. Cettedernière hypothèse me paraît même plus vraisemblable : un territoire constitué de la seule moitié norddu cercle théorique d'exploitation peut paraître trop réduit pour la cité. De plus, à proximité même eten amont d'Argoussa, le fleuve ne constitue sans doute pas une limite naturelle aussi marquée qu'ilpouvait l'être ailleurs dans la plaine, par ses divagations sur un large espace, comme cela a été le casentre Phalanna et la cité proche du village moderne de Rhodia.

Malgré ces incertitudes mineures, nous pouvons retenir un certain nombre de points :— Sur une partie de son cours, au Nord de Larisa en tout cas, le Pénée semble définir une limite entre

territoires (fig. 3). Cela correspond bien aussi à une réalité géographique : à partir d'Argoussa, enamont, jusqu'à Rhodia, en aval de Larisa, le fleuve a sans cesse occupé un vaste espace, deux à troiskilomètres de largeur, soit en changeant son cours, soit en débordant de son lit. C'est ce que révèleencore aujourd'hui tout un système de digues et de dérivations qui s'étendent au Nord-Ouest et auNord de Larisa (38).

— Il en va sans doute de même pour les zones collinaires situées au Sud-Ouest de Larisa, entre cettecité, Crannon et peut-être aussi Argoussa.

— La plaine située au Nord et à l'Ouest du fleuve, l'actuelle plaine de Tyrnavo, paraît être presquecomplètement réservée aux territoires de Phalanna et d'Argoussa.

— Dans l'hypothèse d'un réseau régulier d'occupation des terrains cultivables, il existe hors des airesdévolues, en théorie en tout cas, aux cités les plus proches de Larisa dont nous venons de parler, desespaces «disponibles». Ces espaces peuvent être considérés, par hypothèse au moins, comme consti-tuant la zone territoriale de Larisa, sous certaines conditions qu'il faut examiner maintenant.

(37) Pour la description du site de Méliboia, cf. H. BIESANTZ, Arch. Anz., 1958, col. 78-80.(38) II s'agit d'une zone assez vaste qui s'étend dans l'angle rentrant formé par le Pénée (avec Larisa au sommet de l'angle,

au Sud-Est), et limité au Nord-Ouest par une ligne brisée partant en amont de Larisa (vers le lieu-dit Kioski) jusqu'au villagede Giannouli et à Orman Tchiflik, en aval de la ville ; le système de digues se continue ensuite jusqu'aux gorges deRhodia-Parapotamos ; cf. M. SIVIGNON, La Thessalie, 1975, p. 282.

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FIG. 3. - Le Pénée, le Titarèse et les zones marécageuses, limites entre les territoires des cités.

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3. Le territoire (chara) de Larisa : extension et limites

Le territoire de Larisa paraît se situer exclusivement sur la rive droite du Pénée, contrairement à uneidée qui figure implicitement dans toutes les études consacrées à la ville. Cette idée implicite correspondau modèle même que nous utilisons : celui qui considère a priori toute cité comme centre d'un territoirecirculaire. Mais il est indispensable de ne pas appliquer un tel modèle de manière mécanique : unélément du paysage aussi important que le Pénée doit absolument être pris en compte. Selon que larivière constitue ou non une limite, l'interprétation que l'on doit porter sur la situation de Larisachangera du tout au tout.

Toute notre information porte à considérer le Pénée, dans cette partie de son cours, comme unelimite, nous l'avons vu. Mon analyse du territoire de Larisa en tient compte : les espaces disponiblespour le territoire se situent en arc de cercle du Sud-Ouest au Nord-Est de la ville, qui est ainsitotalement décentrée par rapport à eux.

L'extension de ce territoire se construit alors par référence au modèle évoqué ci-dessus. La distancemaximum de la périphérie au centre ne dépasse guère 8 km comme je l'ai dit. Si l'on trace sur la carteun arc de cercle possédant ce rayon, en prenant Larisa pour centre, nous définissons un «territoirethéorique», dont une analyse du paysage révèle les caractéristiques et les limites (fig. 4).

La limite Nord et Nord-Est de ce «territoire» coïncide avec le cours de l'Asmaki, rivière qui faitcommuniquer le lac Boibé avec le Pénée. Au-delà s'étend une zone basse et autrefois marécageuse, cellede l'ancien lac Nessonis. C'est là, au Nord de Koulouri et jusqu'aux abords du village de Gyrtoni, quese trouvent les terrains régulièrement inondés par le Pénée, en aval de Larisa (39). Dans un autresecteur, celui du Sud/Sud-Ouest, les collines tertiaires qui constituent les premières ondulations desRévénia constituent elles aussi une zone de confins : c'est dans cette zone intermédiaire que l'on passe,sans pouvoir pour l'instant déterminer une limite précise, du territoire de Larisa à celui de Crannon.Dans ces deux régions, les particularités du paysage nous poussent à reconnaître des marches peupropices, en tout cas pour les zones marécageuses et pour les périodes les plus anciennes, à uneexploitation agricole dans le cadre d'un territoire civique.

Entre ces deux régions extrêmes, en revanche, la plaine thessalienne s'étend largement, depuisLarisa, vers l'Est et le Sud-Est. Ce n'est que très au-delà de la distance maximum proposée dans lemodèle que l'on rencontre soit des bordures montagneuses, contreforts de l'Ossa et du Mavrovouni,soit des zones lacustres, celles de l'ancien lac Boibé.

A la distance retenue, sur la périphérie de l'aire théoriquement définie pour le territoire de Larisa,on trouve d'autre part plusieurs établissements modernes et antiques. Du Nord au Sud-Ouest, lesvillages d'Omorphochori (Nechali), l'agglomération des trois bourgs de Melissochori, Galini, Platy-kampos (Metesili, Topouslar), Nikaia (Nebegler), Terpsithea (Baislar), Mésorachi (Hassan Tatari).Dans ces villages ou à proximité, les traces d'occupation antique sont indubitables : vestiges de tombeset stèles funéraires qui témoignent de l'existence d'anciennes nécropoles classiques, hellénistiques ouromaines, blocs d'architecture et stèles votives qui sont la marque de sanctuaires campagnards.

Tous ces établissements antiques n'ont jamais été constitués en cités, à l'époque classique ni plustard. Aucun d'entre eux non plus n'a pu appartenir à d'autres cités voisines de Larisa ; celles-ci sontplus éloignées, au-delà des zones marécageuses : l'établissement localisé à Gyrtoni ou celui deParapotamos, celui d'Aétolophos, ceux que l'on peut reconnaître à Kalyvia sur l'autre rive du Boibé

(39) Ce secteur correspond à l'ancien Nessonis, comme l'a déjà bien dit F. STÀHLIN, op. cit., p. 93 ; pour cette zone inondée,cf. H. SCHNEIDER, «Zur Quartârentwicklungsgeschichte Thessaliens», BAM, 6, 1968, p. 44 sq. (avec photo caractéristique, pi. 37,2) ; c'est aussi la section qui a exigé des travaux d'endiguement importants à l'époque moderne (cf. M. SIVIGNON, op. cit. ) ; maisdéjà dans l'Antiquité, les Lariséens avaient entrepris de tels travaux, comme je le rappelle plus loin dans cette étude.

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FIG. 4. - Extension théorique du territoire de Larisa.

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FIG. 5. — Répartition des sols dans la plaine autour de Larisa(reconstitution analogique et thématique à partir d'une image LANDSAT par E. Barisano, Centre de Recherches Archéologiques, 1984).

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et à Néon-Périvoli entre Larisa et Phères, celui de Crannon enfin, par delà les collines des Révénia.Nous devons donc considérer ces bourgades, dont certaines sont des installations très anciennes,néolithiques et mycéniennes, comme des kômai et des satellites de Larisa, dès l'époque classique ethellénistique.

L'histoire de ces établissements humains dans la plaine sera l'objet d'une autre étude. Nousconsidérerons pour l'instant un seul point ·. la situation de ces kômai à la périphérie du territoire estconforme aux modèles de l'archéologie spatiale. Ceux-ci prennent en compte en eifet l'extensionpossible de certains territoires au-delà des distances limites (5 à 8 km) sous certaines conditions, cellesd'une plaine ouverte par exemple. Dans ce cas, l'existence de bourgs satellites permet de limiter lesdéplacements des agriculteurs, en évitant de trop longs trajets depuis l'établissement principal vers lesterres de culture. C'est le schéma que les archéologues classiques connaissent bien, en Attique enparticulier. La reconstruction du territoire de Larisa à partir des propositions fournies par le modèlesemble donc correspondre, sur le terrain, à des réalités géographiques et humaines bien reconnaissa-bles.

Un élément supplémentaire vient confirmer l'analyse : il est fourni par l'interprétation des imagessatellites, que j'ai pu mettre en œuvre récemment (40). Une image satellite de la plaine thessalienne,autour de Larisa, permet d'obtenir, entre autres informations, des indications sur les types de solsrencontrés (4I) et leur organisation structurée, orientations des limites de champs et des voies decirculation, éléments de cadastration. La carte de répartition des sols, dans la plaine orientale, faitapparaître, du Nord au Sud-Ouest de Larisa, une couronne de terrains alluviaux relativement ancienset structurés (type Β sur la carte), bien distincts des sols limoneux récents (type A sur la carte), quise situent à la place des anciens marécages ou de l'ancien lac central, le Nessonis et le Boibé. L'airequ'occupent ces terrains alluviaux se superpose exactement à celle que nous avons tracée, en théorie,pour le territoire de Larisa. Elle recouvre à sa périphérie les terroirs où sont installés les établisse-ments modernes et antiques que nous avons identifiés comme des satellites de Larisa, sur son territoire(fig. 5).

Nous devons considérer que la coïncidence de cette carte des sols avec celle du territoire de Larisan'est pas un hasard : elle est le reflet d'une situation historique, l'exploitation permanente de ce finagedepuis les temps anciens (42). Une observation complémentaire devrait rendre compte de la pertinencede cette coïncidence. La carte des sols met en effet en évidence que la couronne de ces terrainsd'exploitation ancienne est interrompue, au Sud-Est de Larisa : une bande de sols plus légers, plusrécents (type A sur la carte) est venue recouvrir les sols plus anciens dans cette partie de la plaine. Cettebande s'étend à peu près entre la voie ferrée Larisa-Volos au Sud-Est, et la route de Larisa à Nikaiaau Sud et jusqu'au piémont des Révénia. Une étude plus précise des cartes anciennes et modernespermet d'expliquer la présence de ces sols plus récents, et qui sont venus recouvrir les sols anciens duterritoire de Larisa : ils correspondent à la zone d'épandage d'un ou de deux affluents du Pénée, issusdes Révénia, et débouchant dans la plaine, l'un à Nikaia, l'autre un peu plus au Sud-Est. Les lits deces affluents, asséchés en été mais qui peuvent être torrentiels au moment des grandes pluiessaisonnières, sont encore visibles aujourd'hui. Ils ont cependant été endigués et détournés à l'époque

(40) Voir supra, n. 9.(41) Classification des types de sols d'après M. SIVIGNON, op. cit., pp. 86-92.(42) J'ai souligné ailleurs la «polysémie» des informations obtenues à partir des images télédétectées, ainsi que la nécessité

de les interpréter dans une perspective diachronique : le géographe ou le géologue ne rendent pas seulement compte, à partirde ces images, de l'état actuel d'un terroir ni des caractéristiques de ce terroir comme conséquences des seuls processusphysiques, mais aussi des manifestations de l'activité humaine, prolongée sur plusieurs millénaires ; ces activités aussi ont façonnéle terrain et le paysage de manière continue, durable et perceptible.

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moderne vers le Nord, afin d'éviter le site de Larisa : de grands et profonds canaux les obligentdésormais à contourner la ville entre Larisa et Platykampos et conduisent les crues jusqu'au Pénée enaval de Larisa, où elles se déversent aujourd'hui. Mais dans leur situation ancienne, il apparaît que lesdébordements de ces torrents ont été cause (et peut-être davantage que le Pénée) d'un alluvionnementimportant dans cette partie de la plaine (43). J'y rattacherai avec assez de conviction certaines stratesrésiduelles d'inondation qui recouvrent souvent sur plus d'un mètre dans la ville basse de Larisa, auSud de l'acropole, les vestiges de la ville d'époque impériale et paléochrétienne (44).

C'est ainsi que nous pouvons supposer, dans cette perspective d'un recouvrement partiel et récentdes sols plus anciens, la continuité de la couronne des terrains cultivés autour de Larisa et rapporterau territoire de cette ville le terroir défini ci-dessus, par l'interprétation que permet le modèle, l'analysedu paysage et des établissements qui l'occupent, l'observation des sols d'exploitation enfin.

La définition que je donne du territoire, chôra, propre à la cité de Larisa peut paraître tant soit peuthéorique et pour ainsi dire «mécanique». Mais en convenir ne suffit pas, il faut aussi tenter d'insérercette construction dans l'histoire : si cela est possible, nous tiendrons un argument de plus pourconforter la reconstruction présentée ici.

4. Le développement historique du territoire lariséen du Ve au Ier s. av. J.-C.

De fait, et conformément à ce qui a été souligné au début de cette étude sur Larisa comme métropolethessalienne, la cité n'a cessé d'étendre son domaine. Cette dynamique s'est exercée de plusieursfaçons : les Lariséens ont mis en œuvre tantôt des moyens techniques, tantôt des objectifs économiques,tantôt des méthodes politiques pour arriver à leurs fins.

Ce dernier aspect est le mieux connu de nous : c'est celui des politographies, ou inscriptions denouveaux citoyens, qui ont été nécessairement accompagnées de réorganisations territoriales. J'ai déjàévoqué ci-dessus les témoignages relatifs à l'attribution de κλήροι par Aleuas le Rouge, à la fin du vie

ou au début du Ve s. av. J.-C. (45). Quelle que soit l'extension du pouvoir conféré à ce personnagecomme tagos des Thessaliens, il me paraît clair que l'organisation territoriale et militaire dont il a étél'initiateur a visé principalement la cité de Larisa et son territoire, dans son sens restreint d'unitépolitique (46). On peut cependant mesurer sur le terrain les limites d'extension imposées à ce noyau

(43) Des informations particulièrement claires m'ont été apportées par des habitants de Nikaia sur les inondations provoquéespar ces cours d'eau et les apports de matériaux qu'ils entraînent ; un proverbe local dit explicitement «il ne faut pas craindre lefleuve (le Pénée), il faut craindre les torrents (les reumata des Révénia)».

(44) Observations faites à l'occasion de toutes les fouilles effectuées dans le centre ancien de Larisa : cf. en particulier C.GALLIS, A. Deltion, 29, 1973-1974, Chronika, pp. 560-564 : rue d'époque romaine à -4,50 m, maison paléochrétienne à -2,50m sous le niveau moderne. Il faut, je pense, faire un lien entre ces observations et deux autres séries de faits : la perte totale duplan antique dans l'urbanisme de Larisa ; l'oblitération de la mémoire collective (abandon du site par la majeure partie de lapopulation ?) dans la localisation du tombeau de l'évèque fondateur St Achille, retrouvé «miraculeusement» au Xe s. (cf. S.GOUGOULIS, «Le tombeau de Saint Achille et le culte des reliques à Larisa jusqu'en 985 P.C.», Praktika du Symposium Larisa,26-28 avril 1985, pp. 211-240). On peut situer cette période d'occultation entre le début du viie et la fin du IXe s., avecprobablement des moments de reprise. Cet abandon de Larisa n'a rien d'invraisemblable ; on oublie trop souvent qu'Athènes,au début du xix* s., n'était qu'un très modeste village. Les causes en sont certainement liées à des événements historiques commeon le pense généralement (invasion des Slaves, etc.) ; mais il ne faut pas négliger les facteurs climatiques et leurs conséquences :on note en plusieurs régions de la Grèce des manifestations incontestables d'une pluviosité forte au cours du haut Moyen Age.

(45) Voir supra, p. 217, avec les nn. 21-23.(46) C'était déjà la position de A. FERRABINO, «Θεσσαλών Πολιτεία», Entaphia, Turin, 1913, pp. 74-76 et p. 85, n. 3, qui

conserve le terme des manuscrits διελών την πόλιν ; il me paraît difficile de supposer avec WADE-GERY, op. cit., p. 58 et n. 16,s'appuyant sur une scholie à PINDARE, Pyth., 4, 246, que πόλις puisse désigner «la plaine» de Larisa avec un sens territorial etgéographique ; on peut en revanche admettre, mais avec des réserves, la position retenue par M. SORDI, op. cit., p. 320, selonlaquelle την πόλιν désignerait chaque cité de Thessalie : «il territorio civico tessalo... fosse, in definitivo, proprio il territorio déliecittà».

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LE TERRITOIRE DE LARISA 2 2 9

territorial, en considérant les étapes ultérieures de son développement, marquées par les inscriptionsde nouveaux citoyens (47).

Une ancienne politographie de Larisa nous est attestée pour la fin du Ve s. av. J.-C, par Gorgias leSophiste, grâce aux Politiques d'Aristote. Au cours de son séjour à Larisa, Gorgias fut témoin d'unepolitographie sans doute importante puisqu'elle lui a fourni la matière d'une plaisanterie fondéeprécisément sur la «fabrication en série» de nouveaux Lariséens. Comparant ceux-ci aux récipients enbronze appelés «Lariséens» (qualificatif équivalent de notre expression «Dinanderie») dont la produc-tion, certainement abondante, faisait la célébrité de la cité, Gorgias se moquait des magistratsresponsables de l'inscription des nouveaux citoyens en les qualifiant de «Larisopoioi», à l'instar desfabricants de vases en grande quantité (48). Mais, au-delà de la plaisanterie, nous devons retenir l'actepolitique : l'entrée dans le corps civique d'un grand nombre de nouveaux citoyens. Ce point n'a pas,semble-t-il, échappé à Aristote, qui établit, au moins brièvement, un parallèle entre cette opération etcelle qu'avait entreprise Clisthènes à Athènes après la chute des Pisistratides, en inscrivant denombreux étrangers et résidents parmi les citoyens. Si le parallèle est fondé, nous devons donner àl'événement toute son importance dans l'histoire de Larisa.

Mais à côté des significations d'ordre historique qu'on y a reconnues, de manière plus ou moinsjustifiée, deux questions me paraissent évidentes. Quelles ont été les conséquences de cette politogra-phie sur l'organisation territoriale de la cité? Quelle origine faut-il reconnaître à ces nouveauxcitoyens ? Les deux questions sont liées. L'entrée des nouveaux citoyens dans le corps civique acertainement eu des conséquences sur l'extension du territoire : les participants étant plus nombreux,il fallait aussi plus de terres. Nous ne pouvons en dire plus : y a-t-il eu, ou non, redistribution des terreset cadastration, nous l'ignorons, mais c'est vraisemblable. Mais en fait, il est peu probable que lesnouveaux citoyens aient été, en grand nombre, des étrangers résidant en ville, des métèques : onsongera bien plutôt à des occupants de la plaine, quel qu'ait été leur statut, pènestes ou propriétairesdu sol. Et nous retrouvons ici - au moins à titre d'hypothèse - les habitants des bourgs satellites deLarisa que nous avons identifiés à Omorphochori, à Platykampos, à Nikaia. La politographie massivesur laquelle ironisait Gorgias est ainsi, me semble-t-il, la manifestation d'une dynamique : celle quiconduit Larisa à dominer la plaine environnante en absorbant peu à peu toutes les communautés quiétaient ses voisines. Il faut voir dans cette politographie la réalisation d'un véritable synœcisme, destinéà assurer l'insertion dans une communauté politique unique des établissements installés dans la plaine,mais laissant les populations dans leurs villages et sur leurs terres.

La comparaison de cette politographie du Ve s. avec la politographie connue à Larisa à la fin du 111e

s. av. J.-C, par l'inscription IG, IX 2, 517, apporte quelques arguments en faveur de mon analyse : auine siècle, on inscrit des citoyens de Crannon et de Gyrton, non pas tant, je pense, parce qu'ils résidentà Larisa (leur nombre est trop grand pour rendre cette hypothèse totalement acceptable) mais parceque le territoire de Larisa touchait désormais à celui de ces cités - ce n'était pas le cas au Ve s., si l'onaccepte ma reconstruction de ce territoire. Ainsi faut-il supposer une première phase d'extension : celle

(47) Contrairement à l'opinion communément admise, il faut donner une évaluation très modeste de Larisa à ses débuts :cité récente en comparaison de ses voisines Argoussa, Crannon, Gyrton, Phalanna (déjà mentionnées dans le Cataloguehomérique des vaisseaux, alors que Larisa n'y figure pas), mais établissement dominé par un groupe de population dynamiquequi joue un rôle de premier plan dans Yethnos thessalien. Ce sujet fera l'objet d'une étude particulière.

(48) ARISTOTE, Polit, 3, 1,9; cette anecdote a été souvent reprise et analysée par les historiens modernes, mais aucun d'entreeux n'a considéré l'événement dans ses aspects et ses conséquences territoriales, comme si Larisa avait été une cité sans «espace»et dès ses origines constituée d'une forte proportion d'étrangers au sens moderne du terme, c'est-à-dire de non-Thessaliens, venusd'au-delà des mers. Larisa à la fin du Ve s. av. J.-C. n'est pourtant pas dans la situation de Démétrias, port méditerranéen dume s. av. J.-C.

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qui aboutit à la mainmise sur la plaine orientale tout entière. C'est dans cette direction que le territoirede Larisa s'est d'abord développé, ce que confirme une brève indication de Polybe, relative aux raidsétoliens des années 230-220 sur VAmyrikon pedion, la plaine proche des piémonts de l'Ossa et duMavrovouni, celle-là même en bordure de laquelle on propose de localiser l'Amyros (49). Cette plaine,selon Polybe, était en possession des Lariséens - ce qui me paraît absolument exclu à date ancienneet en tout cas avant le Ve s. av. J.-C. (50).

A la fin du 111e s. av. J.-C, Larisa s'étend davantage en direction du Nord-Est et du Sud-Est : c'estce qu'indique la liste des nouveaux citoyens, originaires de Gyrton et de Crannon, inscrits à la demandeexpresse du roi Philippe V de Macédoine. Ce document figure à la suite de deux lettres royales et dedeux décrets des Lariséens, gravés sur une stèle, l'une des plus belles inscriptions de Thessalie, datéede 217 av. J.-C. (51). Philippe V écrit, une première fois, aux Lariséens, pour leur demander deprocéder à une politographie systématique, qu'il justifie par la nécessité d'améliorer la situationéconomique de la cité: και την χώραν μάλλον έξεργασθήσεσθαι (IG, IX 2, 517, 1.8 sq.). LesLariséens ont suivi ces recommandations dans un premier décret ; mais ils sont revenus sur cesdispositions, ce qui obligea le roi de Macédoine à réitérer ses volontés. Dans une seconde lettre, le roireprend alors les mêmes arguments : «la mauvaise exploitation du territoire» (... και την χώραν μηωσπερ νυν αίοχρώςχερσεύεσθαι : IG, 517, 1.30). L'inscription des nouveaux citoyens fit donc l'objetd'un second décret, suivi d'effet, comme en témoigne la liste des inscrits : cent quarante-deux citoyensde Crannon et cinquante-neuf Gyrtoniens au moins (la liste est incomplète).

Les motifs qui inspiraient la décision de Philippe V étaient d'ordre politique, stratégique etéconomique : la préparation de la guerre contre les Romains, la faiblesse du corps des citoyens libres(oliganthropie et leipsandria), enfin le très bas niveau de l'exploitation agricole, particulièrement pourles céréales, en Pélasgiotide, mais plus généralement en Grèce, dans les dernières décennies du me s.av. J.-C. Th. Axenidis estime, ajuste titre, que la stagnation de l'agriculture thessalienne à cette époques'explique à la fois par le manque de capacités de travail, le manque d'hommes, et par le développementde la grande propriété dans la plaine (52). Ce phénomène de développement des «tchifliks» paraît êtreune constante de l'histoire thessalienne : il se perpétue, ou se reproduit, à toutes les époques, celle dela domination romaine, celle de l'empire byzantin, celle enfin des dominateurs turcs. Il aboutitconstamment aux mêmes conséquences : l'affaiblissement, par périodes, de l'exploitation agricoleintensive. Un tel mécanisme paraît avoir joué, avec d'autres, à la fin du me s., et il semble raisonnabled'attribuer aux propriétaires terriens de la plaine, c'est-à-dire les grandes familles des eupatrides deLarisa, une part de responsabilité dans cette situation (53).

Ainsi reconstitué le contexte vraisemblable de cette mesure, la politographie imposée par PhilippeV de Macédoine en 217 av. J.-C. prend tout son sens. L'inscription de nouveaux citoyens acertainement eu des conséquences territoriales : extension du territoire, redistribution probable despropriétés. Et ce n'est sans doute pas un effet du hasard si, pour la même période, dernières annéesdu iif siècle, tout début du IIe s. av. J.-C, les Lariséens ont publié les éléments d'un cadastre, dont

(49) POLYBE, 5, 99, 5 : raids étoliens depuis Thèbes de Phthiotide.(50) On s'accorde pour identifier l'Amyros avec le cours d'eau qui débouche du bassin d'Agia, à l'Est de Larisa, dans la plaine

thessalienne ; c'est un tributaire de l'Asmaki (cf. F. STÀHLIN, op. cit., p. 59). UAmyrikon pedion doit désigner la partie de la plainesituée à proximité des stena qui ferment le bassin d'Agia.

(51) IG, IX 2, 517; pour la date, cf. C. HABICHT, «Epigraphische Zeugnisse zur Geschichte Thessaliens unter dermakedonischen Herrschaft», Ancient Macedonia, 1968, pp. 273-279.

(52) Pelasgis Larisa, 2, 1949, pp. 39-42.(53) Même s'il faut nuancer cette analyse, cf. les réflexions de F. SALVIAT et C. νΑΉΝ, BCH, 98, 1974, p. 261 sq., sur l'état

de la propriété rurale d'après les inscriptions cadastrales de Larisa.

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LE TERRITOIRE DE LARISA 2 31

plusieurs fragments gravés sur pierre nous sont parvenus (54). Je ne saurai assurer si ces inscriptionscadastrales sont une mise en ordre liée à l'opération de politographie ou non, mais à mon sens, ellesen découlent, directement ou indirectement.

L'une des conséquences de cette politographie, en tout cas, si l'on tient compte de l'origine desnouveaux inscrits dans le corps civique, est d'avoir touché aux cités voisines, à leur démos et à leurchôra. Gyrton et Crannon, les plus proches voisines de Larisa au Nord-Est et au Sud-Ouest, sur lesdeux axes de communication les plus importants de la région, sont désormais — après l'extension deLarisa vers l'Est — atteintes par le développement de la cité centrale.

Ce mouvement s'accentue avec la domination romaine. Larisa devient la cité «capitale» de laThessalie, comme siège principal des autorités de la Confédération créée à l'instigation des autoritésromaines. Son rôle s'accroît, son domaine d'influence également. Mais parallèlement son statut semodifie comme se modifie le statut de la cité grecque, polis, en général, sous l'influence des conceptionset des règles du droit romain (55).

Les témoignages épigraphiques permettent de saisir le terme de cette évolution, vers l'époqued'Auguste. Ces témoignages font penser que l'autorité romaine a rassemblé les habitants des cités dela plaine orientale dans une seule unité, une sorte de conventus, autour de Larisa et qu'à l'intérieur decet ensemble, on distinguait plusieurs sous-ensembles. C'est la situation que nous devons déduire del'attestation d'un de ces sous-ensembles, appelé dans les inscriptions ή πρώτη χώρα (56). Cette regioprima, il faut traduire ainsi (57), possède sa propre autorité, un ταγός της πρώτης χωράς (58), qui à monsens ne se confond pas exactement avec les autorités municipales, et qui regroupe les habitants deLarisa, de Gyrton, mais aussi probablement de Mopsion, Sykourion, peut-être Phalanna (59). Nousignorons tout, faute de textes, des autres regiones, mais leur existence me paraît certaine : l'expressionή πρώτη χώρα ne se comprend que s'il existe au moins une secunda regio, même une troisième, sinondavantage (60). Le développement de cette organisation politique accompagne la perte d'autonomie quesubissent les poleis, les cités de type grec ; celles-ci sont ramenées pour ainsi dire au statut de simples«communes», démoi, regroupées autour d'un chef-lieu. C'est ainsi à mon sens que s'achève lemouvement ébauché plusieurs siècles auparavant, et qui a fait de Larisa la métropole de la Thessalie.Je laisserai pour d'autres études la reconstitution des origines de ce mouvement, ainsi que la descriptionde son évolution pendant la période impériale romaine. Mais avant de conclure, il faut encore évoquerd'autres aspects du développement territorial de Larisa, non plus politiques, mais techniques.

L'extension du territoire lariséen relève en effet aussi de processus techniques. Un texte de Strabonrapporte que les Lariséens ont construit des ouvrages contre les inondations dans la plaine du Pénéeen aval de Larisa, afin de la protéger et d'augmenter leurs capacités d'exploitation agricole. Car, nousdit Strabon,

(54) Pour la série des stèles cadastrales de Larisa, IID., ibid., pp. 247-262.(55) Cf. B. HELLY, «Les Italiens en Thessalie au IIe et au Ier s. av. J.-C», in Les Bourgeoisies municipales italiennes aux IIe

et Ier s. av. J.-C, Naples, 1983, pp. 355-380.(56) IG, IX 2, 531 et A Dell, 16, 1960, Chronika, p. 360 ; cf. B. HELLY, loc. cit. (n. 55), pp. 375-378.(57) Je m'appuie pour cela sur un usage bien connu en latin de regio pour désigner les divisions d'un territoire de civitas à

Rome et dans les provinces ; sur ce point, cf. B. GEROV, «Die Einleitung der stadtischen Territorien im rômischen Thrakien inRegiones (χώραι), Phylen und Komarchien», Actes du Vf Congrès d'épigraphie grecque et latine (Munich 1972), Vestigia, 1973,pp. 492-495.

(58) Cf. les inscriptions mentionnées supra, n. 56.(59) Cf. B. HELLY, loc. cit. (n. 55), p. 377 sq.

(60) II me paraît hasardeux de pouvoir y reconnaître les tétrades traditionnelles, dont l'existence (sous le terme de τετράς)est attestée encore pour l'époque impériale ; cf. J. A. O. LARSEN, «The Thessalian tétrades in Plutarchs Moralia 822 E», Class.Phil, 58, 1963, p. 240.

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Λαρισαίοι, πλησίον οίκοϋντες τοϋ Πηνειού, γειτνιώντες δ 'εκείνοις (Περραιβοϊς), νεμόμενοι ôè τα εύδαιμο-νεστατα μέρη των πεδίων, πλην ει τι σφόδρα κοίλον προς rfj λίμνη rfj Νεσσωνίδι, εις ην ύπερκλϋζων οποταμός άφηρειτό τι της αρόσιμου τους Λαρισαίους, αλλ' ύστερον παραχώμασιν έπηνώρθωσαν Λαρι-σαϊοι(61).

Strabon ne mentionne pas sa source, et ne nous donne pas d'indications pour dater les travaux qu'ilévoque. Axenidis estime que ces entreprises ont été contemporaines de la crise agricole et de la baissede la production céréalière connues pour la fin du ine s. av. J.-C. (62). C'est bien possible, mais noncertain ; on peut penser en effet que Strabon a puisé ces informations dans une source hellénistique etqu'elles valent pour un moment déterminé dans la période du me au Ier s. av. J.-C.

A moins que l'on ne doive remonter jusqu'à la fin du IVe siècle et plus tôt encore. Théophraste, Decausis plantarum, V, 14, 2, signale autour de Larisa des travaux de drainage d'une importance telle quele climat de la plaine en fut rendu plus froid :

τότε μεν γαρ ένεστηκότος ύδατος πολλού και λελιμνωμενού τοϋ πεδίου παχύς δ άήρ ήν και η χώραθερμότερα ' τούτου δ ' έξαχθεντος και ένίστασθαι κωλυθεντος ή τε χώρα ψυχρότερα γεγονε και έκπήξειςπλείους.

Cela entraîna la disparition de la vigne et de l'olivier qui prospéraient jusque là dans la campagne etdans la ville même, et qui étaient désormais exposés à des gelées trop fréquentes. A l'examen, je nepense pas que Strabon ait emprunté à Théophraste : les notations du géographe sont techniques etmoins significatives pour la géographie du paysage que celles du naturaliste. J'inclinerai donc à voirdans ces textes des témoignages se rapportant à des interventions différentes.

A mon avis, cependant, il faut évaluer ces informations avec d'autres critères, qui ne sont pas ceuxd'une datation ponctuelle, mais d'une chronologie étendue. La mise en valeur des zones humides estune entreprise de longue haleine, qui requiert la durée. Digues, canaux de drainage et réseauxd'irrigation sont le résultat d'efforts qui s'étendent sur des décennies, voire des générations, commenous pouvons le constater de nous-mêmes encore aujourd'hui dans la région du Boibé. L'achèvementde ces entreprises est tout récent, la fin des années 1960-1970, grâce à des moyens techniques dontles Anciens ne disposaient pas (63). Mais il me paraît clair que ceux-ci ne sont pas restés sans agir surleur domaine. L'assèchement des marécages et des bordures des lacs Nessonis et Boibé doit être insérédans une dynamique de prise de possession des sols qui a commencé dès l'époque préhistorique —j'aurai à en reparler dans une autre étude.

Il est ainsi possible, sauf risque d'erreur, de reconstruire deux des principaux axes de cette conquêteterritoriale : le Nessonis et le Boibé, le Nord et l'Est-Sud/Est. Ces deux axes (fig. 6) correspondenten outre à des directions économiquement importantes aussi pour d'autres raisons. Les Lariséens ontdû viser, dans un mouvement continu, à étendre leur territoire jusqu'aux bordures montagneuses : c'estlà qu'existaient les ressources en matériaux dont ils étaient privés, là que se trouvaient les carrières. Onconnaît, à l'Est de Larisa, les carrières de marbre blanc de Kastrion, qui ont fourni dès l'époquehellénistique des matériaux aux marbriers de Larisa, notamment pour des stèles funéraires. AuNord-Nord/Est, les gisements de serpentine ou brèche verte de Chasambali ont été mis en exploitationvers la fin de l'époque hellénistique, comme le montre un groupe de stèles funéraires taillées dans cetteroche. A partir de ce moment et sous l'influence du goût des Romains pour les marbres et autres

(61 ) STRABON, IX, 5,19 (440) ; le Nessonis est, à l'époque de Strabon, plus important en superficie que le lac Boibé, commele géographe le souligne lui-même en IX, 5, 2 (439).

(62) Voir supra, n. 52.(63) Cf. M. SIVIGNON, op. cit., p. 270 sq. (extension des terres cultivées à l'époque moderne) et 402 sq. (la nouvelle

marquetterie des cultures).

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R G . 6. - Axes de développement du territoire de Larisa selon les voies de communication.

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matériaux colorés, le développement de ces carrières a été considérable à l'époque impériale. Larisaa dû profiter à plein de ces ressources minérales, comme centre d'utilisation et de distribution.

Dans la même direction, vers le Nord-Nord/Est, se trouvait aussi — au-delà de Chasambali — la villede Gyrton. Et l'on retrouve ainsi, sur une voie de communication de première importance qui conduitde Larisa à Tempe, la cité à laquelle Larisa, dès la fin du me s. av. J.-C, a enlevé de nombreux citoyens,pour les faire entrer dans son corps civique. Les mouvements politiques correspondent aux dynamiquesterritoriales et économiques (fig. 6).

Ainsi se reconstruisent l'organisation et le développement du territoire de Larisa entre le Ve s. av.J.-C. et l'époque impériale. A partir d'un noyau relativement délimité, le demi-cercle des terrainsdisponibles du Nord-Est au Sud-Ouest de Larisa, on en mesure l'extension qui a donné à cette cité lamaîtrise de la plaine orientale depuis le Pénée jusqu'aux montagnes. C'était là un beau domaine, l'undes terroirs les plus riches de la Grèce. Les poètes ont célébré depuis longtemps cette ville «à la glèbefertile» (64), et cette plaine évoquée par Euripide :

Tàv Πηνειού ύεμναν χώρανκρηπϊδ ' ΟνΑνμπον καλλίστανδλβω βρίθειν φάμαν ηκον&ενθάλει τ' εύκαρπεία (65).

Le géographe Skymnos reprend en quelques mots le même thème : ενβωτάτη χώρα, κράηστα πεδίακαΐ τελεσφόρα έχουσα κ ai Αάριααν εντυχεστάτην πόΑιν(66).

L'historien, l'archéologue peuvent assurer que ces «chants» n'ont aucune emphase littéraire, ilspeuvent leur donner leur signification véritable. Ils peuvent aussi montrer que cette richesse est lerésultat non pas seulement des dispositions naturelles, mais aussi, et surtout, une construction dupaysage conduite pendant des siècles, une création des hommes, soucieux de prendre possession deleur environnement et d'aménager sans cesse leur cadre de vie.

B. HELLY (Centre de Recherches archéologiques, Valbonne)

(64) Iliade, XVI,301, pour Larisa de Troade, έρίβωλαξ Λάρισα, cf. II, 840.(65) EURIPIDE, Troyennes, 214-217.

(66) GEOGRAPHI GRAECI MINORES, I, 220.