NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

107
1 ΑΡΙΣΤΟΤΕΛΕΙΟ ΠΑΝΕΠΙΣΤΗΜΙΟ ΘΕΣΣΑΛΟΝΙΚΗΣ ΣΤΑΥΡΟΥΛΑ ΑΝΘΗΡΟΠΟΥΛΟΥ NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT : DE LA PAGE À L’ÉCRAN Μεταπτυχιακή Εργασία που υποβλήθηκε τον Οκτώβριο του 2013 στο Τμήμα Γαλλικής Γλώσσας και Φιλολογίας της Φιλοσοφικής Σχολής του Αριστοτελείου Πανεπιστημίου Θεσσαλονίκης ΘΕΣΣΑΛΟΝΙΚΗ 2013 Υπό την επίβλεψη της αναπληρώτριας καθηγήτριας κ. Χρυσής Καρατσινίδου

Transcript of NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

Page 1: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

1

ΑΡΙΣΤΟΤΕΛΕΙΟ ΠΑΝΕΠΙΣΤΗΜΙΟ ΘΕΣΣΑΛΟΝΙΚΗΣ

ΣΤΑΥΡΟΥΛΑ ΑΝΘΗΡΟΠΟΥΛΟΥ

NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT :

DE LA PAGE À L’ÉCRAN

Μεταπτυχιακή Εργασία που υποβλήθηκε τον Οκτώβριο του 2013 στο Τμήμα

Γαλλικής Γλώσσας και Φιλολογίας της Φιλοσοφικής Σχολής του Αριστοτελείου

Πανεπιστημίου Θεσσαλονίκης

ΘΕΣΣΑΛΟΝΙΚΗ 2013

Υπό την επίβλεψη της αναπληρώτριας καθηγήτριας κ. Χρυσής Καρατσινίδου

Page 2: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

2

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ........................................................................................................................ 3

PREMIÈRE PARTIE

A. L’ESPACE ...........................................................................................................................13

I. L’espace fonctionnel ............................................................................................................. 14

II. Les stratégies topographiques et circulaires ....................................................................... 22

III. L’extension et l’exploitation paysagère ............................................................................... 27

IV. La perception et la reproduction spatiale ........................................................................... 29

B. LE TEMPS ...........................................................................................................................35

I. La suspension narrative et le ralentissement temporel ........................................................ 36

II. Les projections temporelles ................................................................................................. 40

III. Les référents temporels ...................................................................................................... 46

IV. Le dédoublement du temps ................................................................................................ 50

DEUXIÈME PARTIE

FOCALISATION ET REPRÉSENTATION ...............................................................................55

A. La fonction verbale ........................................................................................................... 57 I. Le narrateur ...................................................................................................................... 57 II. Le dialogue ...................................................................................................................... 58 III. Le monologue ................................................................................................................. 59

B. La fonction picturale ......................................................................................................... 63 I. Le codage optique ............................................................................................................ 64 II. De l’objet concret à la perception symbolique ................................................................ 72 III. Le reflet du miroir : déclencheur du passé et moyen d’introspection ............................. 73 IV. Le costume adjuvant de la narration.............................................................................. 81

C. La fonction acoustique ..................................................................................................... 83 I. Le bruitage ....................................................................................................................... 84 II. La musique ...................................................................................................................... 88 III. La musique accompagnatrice ........................................................................................ 88 IV. La musique distinctive ................................................................................................... 91 V. La mélodie et la chansonnette ........................................................................................ 92

CONCLUSION .........................................................................................................................94

RÉSUMÉ EN GREC .................................................................................................................99

BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................103

Page 3: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

3

INTRODUCTION

Depuis son invention, le cinéma a toujours considéré la littérature

comme source d’inspiration, à ce jour un nombre incontestable d’adaptations

filmiques ont été réalisées. Les classiques littéraires possèdent une

abondance de sujets, d’actions et de personnages élaborés. Nombreux

metteurs en scène ont voulu transposer cet héritage littéraire sur écran en

étant fidèles « soit à la lettre […] soit à l’esprit […] du texte qui les inspire. Il

n’en demeure pas moins qu’elles [les adaptations] imposent des

transformations de toute sorte »1. La raison d’une telle combinaison

(littérature-cinéma) est due à leur fonction première qui les unit : l’art de la

narration. La problématique qu’ils rencontrent est identique jusqu’ à un certain

niveau ; tous deux nécessitent le support d’un espace-temps dans lequel

leurs personnages agiront. Cependant l’adaptation filmique est plus complexe

que le simple changement de support de l’histoire. Toute lecture fait appel à

l’imagination de son public, l’image qui se crée dans l’esprit du lecteur est en

lui-même une transposition de l’interprétation de la vision de l’écrivain. Bien

que l’œuvre est destinée à un public (plus ou moins) large, c’est-à- dire à une

collectivité, l’interprétation reste individuelle. Si la lecture suffit pour engendrer

une vision personnelle de l’histoire, il n’est pas surprenant que l’adaptation

filmique établit une plus grande dualité entre la vision de l’auteur et celle du

metteur en scène. La problématique de la polyphonie dans laquelle se lance

le réalisateur est des plus délicates, car il doit répondre aux attentes d’un

public ayant sa propre interprétation et d’une critique déjà informé et plus

sévère. D’autre part, la critique est beaucoup plus perplexe, car il existera

toujours une contradiction entre critiques ; certains sont de l’avis de respecter

l’œuvre dans sa totalité alors que d’autres supportent la décision d’apporter

une innovation à l’œuvre originale.

La problématique qu’engendre la critique de la procédure d’adaptation

d’un roman à un film a toujours existé et continuera d’exister dû à la

confrontation de la vision polyphonique des deux créateurs. Pour cette raison

1 Daniel Grojnowski, Lire la Nouvelle, Paris, Éditeur Dunod, 1995, p.67.

Page 4: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

4

dans notre étude, nous ne chercherons pas à définir cette problématique,

nous nous intéresserons plutôt à la procédure de transposition d’une œuvre

littéraire à une œuvre filmique et comment la vision collective (écrivain-

réalisateur) l’affecte. Notre approche sera perçue par un point de vue

littéraire, car c’est avant tout l’œuvre originale qui est le sujet premier de notre

étude. Nous essayerons, à travers une analyse basée sur les théories

narratologiques2, de parvenir à une approche plus approfondie d’une œuvre

littéraire. En découvrant la structure fondatrice du récit, nous exposerons les

réelles capacités de la forme narrative et de l’emprise qu’elle exerce sur le

lecteur. Nous appliquerons ensuite nos connaissances sur une adaptation

filmique et nous constaterons si les mêmes fondations peuvent renforcer

l’œuvre transposée.

Pour démontrer les réelles capacités de l’étude narrative du récit, nous

nous consacrerons uniquement au genre littéraire de la nouvelle. Le choix de

notre étude est dicté par le fait que la nouvelle, en tant que genre littéraire, n’a

pas suscité une grande attention de la part des critiques et des

études littéraires. « Son mode de publication lui octroyant le statut fort peu

enviable de petite sœur du grand Roman, la nouvelle a longtemps été

confinée à un rôle subalterne et méprisée de toute analyse dite sérieuse»3.

Aujourd’hui encore nous n’avons aucune définition concrète à son sujet.

Chacun lui applique sa propre définition qui en général a pour point commun

l’appellation de « récit court ». Mais là encore tout est relatif à ce que la

critique ou bien l’écrivain envisage de court. « Balzac, en 1833, qualifie

encore Eugénie Grandet, qui compte plus de 200 pages, de “bonne petite

nouvelle” »4.

En majorité, due à sa taille, de nombreux critiques voient en la nouvelle

une limitation des capacités créatives de l’auteur, or c’est dans sa forme que

la nouvelle tient sa force et son originalité. Effectivement, comme le dit la

critique, il existe réellement une limitation dans le sujet, dans les personnages

et dans le développement de leur psychologie et de l’intrigue, mais si ces

2 Principalement celle établie par Gérard Genette et qu’il développe dans Figures III, Paris, Édition Seuil, 1972. 3 Floriane Place-Verghnes, Jeux pragmatiques dans les Contes et Nouvelles de Guy de

Maupassant, Paris, Édition Honoré Champion, 2005, p.24. 4 A. Fonyi, P. Glaudes, A. Pagès, Relire Maupassant, La Maison Tellier, Contes du jour et de la nuit, Paris, Édition classique Garnier, 2011, p.133.

Page 5: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

5

éléments sont « à priori » nécessaires ou bien évidents dans un roman, la

nouvelle n’est pas obligée de répondre aux mêmes attentes. Un nouvelliste

ne cherche pas à écrire un condensé d’une histoire qu’il aurait voulu écrire en

roman ; il voit en la nouvelle une autre capacité créative répondant à d’autres

besoins d’expression. Prenons comme exemple La Métamorphose de

Kafka ; qui est sûrement l’une des nouvelles les plus connues au monde.

Cette œuvre d’une soixantaine de pages, n’aurait peut-être pas eu un tel

succès si elle avait été écrite de la taille d’un roman. « Ce qui a longtemps été

considéré comme une faiblesse, tant structurelle que thématique, s’avère en

réalité ce qui définit la nouvelle et en fait sa force »5. En effet, les auteurs de

contes et de nouvelles, limités par un nombre restreint de pages imposées par

leur éditeur, ont dû établir des techniques narratives propres à leur genre :

La nouvelle est le fait d’une pratique d’écriture spécifique, fondée sur un petit

nombre de principes sous-jacents que l’on regroupera, pour des raisons de

commodité, sous les appellations suivantes : délimitation (ou comment établir les

frontières d’un champ opératoire), mise au point (ou comment organiser ce champ

opératoire) et économie (ou comment faire de la brièveté une vertu)6.

La nouvelle peut nous paraître simple au niveau thématique, mais son étude

des outils fournis par la narratologie révèle toute la richesse de la structure du

récit. Certains auteurs ont même trouvé leur voix en tant que nouvellistes

plutôt que romanciers. D’où notre choix d’analyser les contes et les nouvelles

de Guy de Maupassant, qui marqua surtout la littérature française en tant que

nouvelliste. « Il faut attendre les années 1950 pour que soit enfin reconnu un

auteur jusque-là boudé des critiques et encore une dizaine d’années pour que

son art de nouvelliste ne fasse l’objet d’études à part entière »7.

Une récente publication intitulée Relire Maupassant, La Maison Tellier,

Contes du jour et de la nuit renforça notre choix pour l’auteur. Alain Pagès

avec la collaboration de Pierre Glaudes et d’Antonia Fonyi, réunirent les

études littéraires et narratologiques d’un colloque consacré à Guy de

5 Floriane Place-Verghnes, Jeux pragmatiques dans les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, op.cit., p.25. 6 J. Gratton, B. Le Juez, [trad. Floriane Place-Verghnes], Modern french short fiction, Manchester, New York, Édition Manchester Univeristy Press, 1994, p.2. 7 Floriane Place-Verghnes, ibid., p.24.

Page 6: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

6

Maupassant. Dans ce recueil ils entreprirent « une réévaluation de son œuvre

narrative, en examinant à nouveau frais l’art du nouvelliste »8. C’est dans

cette perspective que nous chercherons à contribuer à la redécouverte de

l’auteur. Les œuvres qui feront notre champ d’exploration seront les six

nouvelles suivantes : L’Héritage, Le Rosier de madame Husson, Histoire

d’une fille de ferme, La Parure, Le Petit fût et Au Bord du lit. À l’exception de

L’Héritage, nous avons préféré étudier des œuvres moins connues et

forcément moins étudiées mais qui possèdent tout un potentiel narratif que

nous allons explorer.

Outre l’analyse narratologique des œuvres de Maupassant, nous

allons chercher à démontrer sa contribution à une meilleure transposition

filmique de la nouvelle. Bien qu’il existe un grand nombre d’adaptations

filmiques de Maupassant9 nous avons voulu porter notre étude à un niveau

plus contemporain et correspondant plus de la complexité proportionnelle de

la nouvelle. Pour cette raison nous ne verrons pas la procédure d’une

adaptation cinématographique mais celle du film destiné uniquement à la

télévision, autrement dit le téléfilm. Bien que d’un point de vue technique, il

n’y a pas une si grande différence entre ces deux genres : « Les textes

respectifs du cinéma et de la télévision ont en commun tous les traits

matériels pertinents les plus importants10 et que les codifications spécifiques,

c'est-à-dire liées à ces traits pertinents, sont largement les mêmes dans les

deux cas »11. Cependant malgré leurs ressemblances, les téléfilms ont

souvent été mis de côté par la critique qui n’y voyait surement aucun potentiel

créatif dû aux contraintes imposées par les studios de télévision. « Personne

ne met sérieusement en cause ni l’utilité de la télévision ni la place qui lui

revient dans les échanges ou dans l’information mais on la perçoit, en

général, comme un simple outil dépourvu de valeur esthétique »12.

8 A. Fonyi, P. Glaudes, A. Pagès, Relire Maupassant, La Maison Tellier, Contes du jour et de la nuit, op.cit., p.9. 9 Le site http://www.maupassantiana.fr/ en retient plus d’une centaine. 10 Metz fait allusion au gros plan, au plan éloignés, aux effets d’éclairage, au travelling, au bruit, au son « off », etc. 11 Christian Metz, Langage et Cinéma, Paris, Librairie Larousse, 1971, p.179. 12 Pierre Sorlin, Esthétiques de l’audiovisuel, Paris, Édition Nathan Université, 1992, p.153-154.

Page 7: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

7

Généralement conçu dans le simple but de divertir un public familial, on

imposait au téléfilm, aux sujets limités, un certain budget restreint ainsi qu’une

limitation de leur temps de diffusion dans laquelle il fallait prendre en compte

les arrêts publicitaires.

Ce n’est pas par hasard que nous avons choisi comme connexion, le

téléfilm avec la nouvelle, ces genres qu’on a trop fréquemment voulu

comparer au cinéma et au roman13, répondent à leurs propres règles et

doivent être interprétés pour ce qu’ils sont avec leurs propres capacités et

leurs propres fonctionnements. Et s’il est possible qu’au début, la majorité des

téléfilms étaient esthétiquement peu développés, depuis le début du XXIe

siècle, la télévision s’est énormément investie, notamment en entreprenant

des projets plus ambitieux, destinés à un public plus connaisseur. Parmi eux,

nous démarquons la série Chez Maupassant, un regroupement de vingt-

quatre contes et nouvelles de Maupassant, adaptés sous forme de téléfilms

de soixante minutes et de trente minutes pour les récits plus courts. Diffusé

sur la chaine France 2, ce projet fut proposé par Gérard Jourd’hui et Gaëlle

Girre. En 2007, la série vu sa première parution en diffusant huit épisodes,

quatre de soixante minutes et quatre de trente minutes. Suite à son succès

remporté auprès des téléspectateurs, deux autres saisons furent produites en

2008 et en 2011. La série remporta notamment le Prix du public du meilleur

téléfilm de l’année 2007/2008 au Festival de la fiction TV de La Rochelle.

D’un point de vue créatif, l’originalité de ce projet consiste au fait qu’il

englobe plusieurs metteurs en scène, offrant ainsi une diversité dans la

création et dans la vision filmique. Citons les réalisateurs qui feront le sujet de

notre étude: Laurent Heynemann qui adapta la nouvelle de L’Héritage (2007),

Denis Malleval qui réalisa Histoire d’une Fille de Ferme (2007) et Le Rosier

de madame Husson (2008), Claude Chabrol qui se chargea des nouvelles :

La Parure (2007) et Le Petit Fût (2008) et enfin Jean-Daniel Verhaeghe avec

Au Bord du lit (2008). À travers notre analyse nous pourrons démarquer la

vision personnelle de chaque réalisateur vis-à-vis des nouvelles de

13 Voir Floriane Place-Verghnes, Jeux pragmatiques dans les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, op.cit, p.24.

Page 8: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

8

Maupassant. Comment ils interprètent l’œuvre, quel aspect de la nouvelle

ont-ils choisi de démarquer, quand et pourquoi certaines rajoutes ou

suppressions furent nécessaires. En plus de la polyphonie des œuvres, nous

possédons aussi une divergence dans les techniques filmiques. Notre étude

étant en majorité basée sur la forme narrative du récit, ce sont les méthodes

de transposition du récit en images qui attireront notre attention. Bien que

généralement notre approche sera perçue d’un point de vue littéraire, nous

essayerons à travers diverses études cinématographiques, en majorité

basées sur les théories de Christian Metz, d’aborder les différentes

techniques capables de traduire le récit en images mouvantes. L’incorporation

du son comme élément narratif, le rôle du dialogue, les divers champs de la

caméra et bien entendu le point de vue de la focalisation de la caméra.

Il est préférable, avant d’entamer notre étude, de procéder à une brève

présentation des six nouvelles qui seront étudiées afin de mieux appréhender

l’intrigue de l’histoire :

L’Héritage (1884, parue dans le recueil Miss Harriet)

César Cachelin, employé du ministère de la Marine, cherche un mari

pour sa fille Coralie, seule héritière de sa sœur Charlotte Cachelin, une

vieille fille qui n’a jamais eu d’enfant et qui a légué son immense

fortune estimée à un million de francs à sa nièce. Son choix se posera

sur son collègue Léopold Lesable, un homme ambitieux et travailleur, à

qui il pourra assurer la gestion de la fortune. Peu de temps après leur

mariage la tante Charlotte décède, annonçant dans son testament que

l’héritage est destiné aux enfants de Coralie et que si celle-ci n’a pas

eu de progéniture d’ici trois ans, la fortune sera distribuée à des

œuvres caritatives. Malgré leurs tentatives, le couple reste sans enfant.

Cachelin, désespéré, ira chercher un amant pour sa fille : le beau

Maze, un autre employé du ministère. Cora tombera enceinte juste

avant la date finale du testament et l’heureux couple pourra enfin

toucher l’héritage. Ils donneront naissance à une petite fille baptisée

Désirée.

Page 9: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

9

Le Rosier de madame Husson (1887, parue dans La Nouvelle Revue)

Raoul Aubertin, de passage à Gisors, décide de rendre visite à son

vieil ami le docteur Marambot. Celui-ci l’accueille avec joie et lui fait

visiter sa ville. À la vue d’un ivrogne, le docteur commence à raconter

une vieille histoire de Gisors celle du « Rosier de Madame Husson » :

Madame Husson, vieille dame très croyante, décida que Gisors devrait

élire une Rosière pour montrer le bon exemple aux jeunes filles

devenues, d’après son opinion, bien trop précoces. Après maintes

recherches aucune jeune fille ne fut assez pure pour porter un tel titre.

Françoise, la bonne de madame Husson, voyant sa maitresse

tracassée lui proposa Isidore, un garçon fort simple d’esprit, victime

des moqueries des gens de la ville. N’ayant aucun doute sur la

chasteté et la pureté d’Isidore, il fut couronné Rosier de Gisors et reçut

la somme de cinq cents francs. Après une fête bien arrosée qui suivit

son couronnement, Isidore rentra ivre chez lui. Le lendemain il avait

disparu. Après huit jours de recherche, on le retrouva ivre mort et sans

un sous. Il avait dépensé tout son or dans les divers plaisirs qu’offre

Paris. Devenu la honte de Gisors, il sombra dans l’alcoolisme et en

mourût. Ce fut le docteur Marambot qui lui ferma les yeux.

Histoire d’une fille de ferme (1881, parue dans la Revue politique et littéraire)

Rose est une jeune fille qui travaille à la ferme du Maitre Vallin. Elle

entretiendra une relation amoureuse avec Jacques, un garçon de

ferme, qui l’abandonnera après l’avoir mise enceinte. La jeune fille

parviendra à cacher sa grossesse et une fois son enfant né, le laissera

chez une nourrice. Ne pouvant être près de son enfant, Rose

travaillera avec acharnement pour lui assurer un bon avenir. Ses

efforts seront remarqués par le fermier qui voudra en faire sa femme.

Malgré son refus, elle sera obligée d’accepter. Les années passeront

et le couple n’aura toujours pas d’enfant, au désarroi du fermier.

Certain de la stérilité de sa femme, sa haine envers elle augmentera

Page 10: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

10

de plus en plus au point qu’il commencera à la battre. Rose n’en

pouvant plus, lui annoncera avoir déjà un enfant. Contre toute attente,

le fermier se réjouira de cette nouvelle et décidera d’élever l’enfant

comme le sien.

La Parure (1884, parue dans le recueil Contes du jour et de la nuit)

Mathilde, insatisfaite de sa vie, rêve d’une vie meilleure, d’une vie de

luxe et de richesse. Un jour son mari, un employé du ministère de

l’Instruction publique, lui apporte une invitation au bal du Ministère. À

l’annonce, Mathilde fond en larmes, se plaignant de n’avoir aucune

toilette et aucun bijou à se mettre pour être à l’égal des femmes de la

haute société. Son mari lui propose d’emprunter un bijou à son amie

Jeanne Forestier. Le soir du bal, Mathilde dans une nouvelle toilette et

décorée d’une parure en diamants, remporte un grand succès. De

retour chez eux, la jeune femme se rend compte qu’elle a perdu le

bijou de son amie. Pour éviter le déshonneur, le couple rachète une

parure identique à celle perdue. Afin de rembourser l’emprunt qu’ils ont

fait, ils devront vivre dans la pauvreté. Après dix années de dur travail,

ils arrivent enfin à rembourser tout l’argent. Mathilde bien vieillie par

ses années de travail, croise Jeanne Forestier et lui raconte la vérité.

Choquée, son amie lui annonce que sa parure était fausse.

Le Petit fût (1884, parue dans le recueil Les Sœurs Rondoli)

L’aubergiste Maitre Chicot, désire depuis longtemps racheter la ferme

de la Mère Magloire, mais la vieille femme s’y refuse. Étant déjà bien

vieille, Chicot propose de lui donner tous les mois une somme fixe

jusqu'à sa mort, en échange de l’héritage de la ferme. Après avoir

consulté son notaire et demandé une plus grande somme, la Mère

Magloire accepte. Trois années s’écoulent et la vieille dame est

toujours en parfaite santé. Chicot, n’en pouvant de continuer à payer,

berne la vieille dame en lui offrant à boire de sa fine. Ayant pris goût à

Page 11: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

11

l’alcool, la Mère Magloire en devient une ivrogne. L’hiver qui suivit, on

la retrouva morte dans la neige.

Au Bord du lit (1883, parue premièrement dans la revue Gil Blas, sous le pseudonyme

de Maufrigneuse, puis dans le recueil Monsieur Parent)

Le comte de Sallure, après avoir avoué à sa femme avoir une

maitresse, lui propose de vivre en libertin à condition qu’aux yeux des

gens ils restent un couple exemplaire. Cependant il sera pris de

jalousie en voyant d’autres hommes s’intéresser à sa femme.

Regrettant son choix, il lui déclare son amour. Celle-ci, après la

douleur qu’elle a endurée, lui annonce ne plus l’aimer. Cependant elle

acceptera de le recevoir dans sa chambre s’il lui paye la même somme

qu’il dépense pour ses maitresses, sinon elle envisagera de se prendre

un amant. Malgré son mécontentement, le comte finit par accepter.

Page 12: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

12

PREMIÈRE PARTIE

Page 13: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

13

A.L’ESPACE

Que ce soit dans la littérature, le théâtre ou le cinéma, tout suggère la

présence d’un espace, d’un lieu où se déroule l’action principale. Qu’il soit

décrit ou non, cela ne met pas en doute son existence. En fonction de la

manière dont l’artiste cherche à s’exprimer, l’espace peut jouer un plus grand

rôle que celui de simple support de l’histoire. « L’espace des régions, des

lieux et des paysages ne constituait pas qu’un ensemble de décors

fournissant la toile de fond ou la couleur locale des récits parisiens,

provinciaux ou africains de Maupassant, mais jouaient un rôle de premier plan

dans la structure et l’efficacité d’un nombre notable de textes »14.

L’information la plus minimale est suffisante pour justifier la participation que

l’espace exerce sur l’histoire en pourvoyant des renseignements

supplémentaires ; il suffit au narrateur de citer le mot « campagne » ou bien

« ville » pour indiquer les instructions de base à son lecteur. Une fois acquise,

l’introduction du personnage prendra une toute autre forme, si le protagoniste

vit dans la campagne le lecteur l’appréhendera de façon tout à fait différente

que s’il vivait en ville. Dans le cas d’une description explicite des lieux, on

pourrait lui attribuer les atouts d’un complice du narrateur. Il s’agit d’un décor

qui s’exprime par lui-même et nous pouvons par conséquent, parler de

fonctionnalité de l’espace.

Étant un trait distinctif de la composition du nouvelliste, il existe déjà un

grand nombre d’approches concernant l’espace narratif chez Maupassant ;

tenant compte des études effectuées nous tacherons, de notre part,

d’exploiter les éléments qui apportent une particularité à leur transposition

cinématographique. Telle la représentation de lieu (habitat, bureau,

campagne, etc.) qui exprime la personnalité du personnage ou bien

14 Bernard Demont, Représentations spatiales et narration dans les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, Une rhétorique de l’espace géographique, Paris, Édition Honoré Champion, 2005, p.7.

Page 14: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

14

l’influence. Ainsi que la nécessité de certaine rajoute d’espace filmique dans

l’adaptation, que l’on caractériserait d’embellissement de l’œuvre.

I. L’espace fonctionnel

En faisant une lecture attentive des œuvres de Maupassant on

distingue très clairement une passivité dans ses histoires. Elle affecte ses

héros qui ne sont pas des êtres agissants mais des êtres passifs. L’auteur est

pourtant connu pour son plaisir du voyage et de la découverte ; cependant il

ne reflète pas cette même énergie aventurière dans ses œuvres littéraires. Au

contraire, l’aventure est un fruit défendu qui entraînera ses personnages dans

la nostalgie et la dépression. Que ce soit une escapade avant un mariage

arrangé dans Une partie de campagne ou bien un voyage de noce comme

dans Une vie, le résultat final est toujours déplorable :

Elle reçut au cœur la vive secousse que donne le souvenir d’une chose

bonne et finie ; et elle revit brusquement l’île radieuse avec son parfum sauvage, son

soleil qui mûrit les oranges et les cédrats, ses montagnes aux sommets roses, ses

golfes d’azur, et ses ravins où roulent des torrents. Alors l’humide et dur paysage qui

l’entourait, avec la chute lugubre des feuilles, et les nuages gris entraînés par le vent,

l’enveloppa d’une telle épaisseur de désolation qu’elle rentra pour ne point

sangloter15.

La tentative d’action accentue l’idée d’immobilité dans l’œuvre, car elle

engendre une répétition d’images fixes « qui ont frappé les personnages,

hantent leurs esprits et motivent leurs actions. L’idée fixe prend la forme d’un

souvenir obsessionnel qui vient compenser l’ennui d’une vie terne et

monotone »16. C’est justement cette monotonie de la vie qui attire

Maupassant : les problèmes conjugaux, la tyrannie du travail bureaucratique

et les petites péripéties amusantes des paysans. Il s’intéresse au drame de la

vie quotidienne.

15 Guy de Maupassant, Une Vie, Paris, Édition Brodard & Taupin, Collection Live de Poche, 2003, p.81-82. 16 A. Fonyi, P. Glaudes, A. Pagès, Relire Maupassant, La Maison Tellier, Contes du jour et de la nuit, op.cit., p.266.

Page 15: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

15

Les espaces choisis par Maupassant sont des endroits bien connus de ses

lecteurs, lui permettant de retransformer les lieux et de leur donner une

nouvelle utilité. Résidence principale, bureau, maison de campagne, église et

bien d’autres lieux courants et banals sont ici présentés à travers une

perspective assez inattendue, ayant pour but de donner une nouvelle

fonctionnalité à l’espace qui se projettera sur les personnages et influenceront

leur quotidien.

La résidence principale en tant qu’espace est utilisée en psychologie

comme étude de comportement, car elle reflète le mode de vie de son

occupant. Elle est aussi étudiée en sociologie comme une source

d’information permettant de distinguer une situation sociale. Dans certaines

de ses nouvelles, Maupassant utilise la maison familiale comme moyen

d’identification de ses personnages, évitant ainsi de recourir à une

présentation détaillée de leur personnalité. Il se base sur les connaissances

de son lecteur et se repose sur sa déduction. Premièrement la position de

l’habitat permet de situer le lieu d’action. Maupassant valse souvent entre

deux paysages : Paris et la campagne. Sachant le lieu d’habitat, le lecteur

établit un portrait psychologique basé sur la mentalité soit campagnarde, ou

parisienne, du héros de l’histoire auquel s’attache les mœurs et cultures de

son environnement. Il s’agit là d’une des techniques narratives très spécifique

de l’auteur, « Maupassant puise dans un réservoir très limité de personnages-

types dont il réutilise les attributs socioculturels d’une œuvre à une autre »17.

Une fois le lieu établi, il peut être suivi d’une description de l’intérieur de la

résidence. La taille du domicile ainsi que son immobilier permettent de définir

le statut social des personnages. Dans La Parure, la famille Loisel est un

couple modeste avec pour revenu le salaire d’un employé du ministère de

l’Instruction publique. La particularité de la description narratologique de leur

appartement est qu’elle est vue à travers le regard de Mathilde Loisel :

Elle souffrait de la pauvreté de son logement, de la misère des murs, de

l’usure des sièges, de la laideur des étoffes. […] son humble ménage éveillait en elle

17 Floriane Place-Verghnes, Jeux pragmatiques dans les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, op.cit., p.198.

Page 16: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

16

des regrets désolés et des rêves éperdus. Elle songeait aux antichambres muettes,

capitonnées avec des tentures orientales, éclairées par de hautes torchères de

bronze […] Elle songeait aux grands salons vêtus de soie ancienne, aux meubles fins

portant des bibelots inestimables, et aux petits salons coquets […]18.

La présentation de l’appartement est plus courte que celle du logement où

Mathilde souhaiterait vivre. En ce basant sur la non-existence des éléments,

le narrateur parvient à exposer le décor sans dire ce qui le complète mais

plutôt en désignant ce qu’il lui manque. L’imaginaire du héro est plus

imposant que la vision du narrateur, le goût du luxe et le caractère avide de

Mathilde devient une évidence. Claude Chabrol, le metteur en scène de La

Parure, utilise la même technique de confrontation des lieux. L’histoire débute

dans le bel appartement de Jeanne Forestier, où Mathilde ne peut qu’envier

la vie de son amie. En lui rendant visite, la jeune fille se retrouve à comparer

sa vie. « Le changement de cadre entraîne un inéducable basculement de

toutes ses perspectives »19. Cette opposition de lieu établi une insatisfaction

de sa propre vie : « Jeanne a une cuisinière et deux femmes de chambre. Elle

boit du Porto ! Elle a des bijoux ! ». (04 :24)

Le réalisateur utilise l’appartement des Loisel comme espace subissant

l’impact temporel des dix années durant lesquelles le couple devra

rembourser leurs dettes. Ayant choisi de rester dans le même appartement

pour éviter la honte, ils doivent en plus de leur dette continuer à louer un

habitat qui leur est devenu inabordable. Le domicile a un effet identique à

celui d’un miroir, car il projette la véritable image des Loisel.

18 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, édition complète avec 24 inédits, établie par les soins de Albert-Marie Schmidt avec la collaboration de Gérard Delaisement, Paris, Édition Albin Michel, 1973, p.453-454. 19 Bernard Demont, Représentations spatiales et narration dans les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, Une rhétorique de l’espace géographique, op.cit., p.62.

Page 17: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

17

Derrière les apparences se cachent leurs âmes désespérées qui s’expriment

à travers la dégradation de leur logis. Vidé de tous ses meubles,

l’appartement n’a pour décoration que les traces sur les murs laissées par les

cadres et les meubles vendus, souvenirs de leur vie d’antan.

Dans L’Héritage, le choix de l’espace est toujours stratégique. Les

deux lieux principaux de la nouvelle sont le ministère de la Marine et

l’appartement des Cachelin. L’histoire débute dans le ministère de la Marine,

lieu de travail où règne une atmosphère étouffante et écrasante :

Un bruit de pas pressés emplissait le vaste bâtiment tortueux comme un

labyrinthe et que sillonnaient d’inextricables couloirs, percés par d’innombrables

portes donnant entrée dans les bureaux20.

En utilisant les termes « tortueux », « labyrinthe » et «inextricable »,

Maupassant désigne la négativité du bâtiment. La raison pour laquelle l’auteur

situe son histoire dès le début dans un espace malveillant est qu’il influencera

le jugement du deuxième lieu qui n’est autre que l’appartement des Cachelin.

Ce modeste foyer semble un lieu agréable où vivre mais qui très vite revêtira

le même manteau que celui du ministère. Cachelin utilise son logis comme

appât pour attirer Lesable chez lui. Ce « charmant » appartement est en fait

une préparation au piège final qui suivra : le balcon.

On ouvrit donc la porte vitrée. Un souffle humide entra. Il faisait tiède dehors,

comme au mois d’avril ; et tous montèrent le pas qui séparait la salle à manger du

20 Guy de Maupassant, L’Héritage, Bruxelles, Éditeur André Versaille, 2009, p.9.

Page 18: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

18

large balcon. On ne voyait rien qu’une lueur vague planant sur la grande ville, comme

ces couronnes de feu qu’on met au front des saints21.

Dès l’ouverture de la fenêtre, dès ce premier contact avec l’extérieur, le vent

fait place, créant une ambiance enivrante qui poussera Lesable vers Coralie.

À ce niveau de l’histoire, Lesable, ainsi que le lecteur, sont bernés par

l’appartement et le balcon ; ils l’associent avec une image de bien être qui est

en opposition avec l’atmosphère étouffante du ministère. Cependant,

Maupassant laisse entrevoir à travers l’appartement, la véritable identité des

Loisel :

Il y avait trois chambres, une pour sa sœur, une pour sa fille, une pour lui ; la salle à

manger servait de salon22.

À l’évidence, une des trois chambres était originellement le salon. Cora aurait

pu partager sa chambre avec sa tante, mais ils ont préféré sacrifier leur salon

pour que chacun ait son espace personnel. On peut discerner dans leurs

actions leurs caractères insociables ; ils favorisent leur espace privé et

individuel à l’espace familial. L’image de la famille qu’ils projettent n’est

qu’une illusion : Mlle Cachelin profite de son frère, César, quand à lui,

n’attend que la mort de sa sœur et Cora, une fois mariée, reproduira la même

froideur sur son mari et puis sur son amant. Comme leur appartement, les

Cachelin se masquent derrière le jeu des fausses valeurs. Lesable se laissera

prendre au piège et il deviendra prisonnier d’un nouvel espace étouffant.

Le malheur des citadins vient du fait qu’ils vivent dans Paris, cette ville

les pousse dans le vice : jeux d’argent, prostitution, violence, corruption,

fausse apparence et bien d’autres thèmes qui ont inspirés les écrivains du

XIXe siècle. Maupassant voit en cette ville une puissance magnétique qui

affecte ses personnages. Dans Le Rosier de madame Husson, Isidore, de

nature pourtant naïve, s’est rendu instinctivement à Paris. Confus par de

nouvelles émotions produites par l’enivrement de la fête et de sa nouvelle

richesse acquise, Isidore s’enfoncera dans la décadence : « Quelles

21 Ibid., p. 32. 22 Ibid., p. 23

Page 19: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

19

suggestions, quelles images, quelles convoitises inventa le Malin pour

émouvoir et perdre cet élu ? »23. Paris lui apparait comme une évidence et il

ne lui faudra pas plus de huit jours pour dépenser tout son or. Dans La

Parure, c’est le désir de la vie luxueuse qu’offre Paris qui pousse Mathilde à

jouer au jeu des fausses apparences et de dépenser quatre cents francs pour

une robe de soirée. Pour ce qui est de la nouvelle Au Bord du lit, il s’agit d’un

cas légèrement différent, car c’est consciemment que la comtesse de Sallure

se laisse entrainer par cet univers hypocrite. Victime des infidélités répétitives

de son mari qui lui a clairement avoué ne pas l’aimer et que leur union n’était

qu’un arrangement, la comtesse pour survire dans ce monde austère devra à

son tour en faire partie. Ne croyant plus à l’amour, elle cherche vengeance en

humiliant son mari lors d’un bal où elle est courtisée de tous.

-Vous êtes, ce soir, tout à fait mal élevée. Je ne vous ai jamais vue ainsi.

-Ah ! voilà… j’ai changé…en mal. C’est votre faute24.

Jaloux, il redevient amoureux de sa femme mais la comtesse refuse d’exercer

ses devoirs conjugaux tant qu’elle ne touche pas la même somme que son

mari dépense pour ses maitresses. Les rôles sont inversés et le comte de

Sallure devient à son tour, victime d’un drame qu’il a lui-même engendré en

se soumettant aux vices de Paris.

Si Paris est cette ville corrompue par le vice et par le mal, la nature

elle, est tout l’opposé. Elle est aussi un pole attractif mais qui incite au calme

et au repos. Dans L’Héritage, la campagne a plusieurs

fonctions. Premièrement elle agit en tant que remède pour Lesable, qui,

désespéré de ne pas avoir réussi à engendrer un héritier, finit par s’en rendre

malade. Il décide d’aller se reposer à la campagne avec sa famille :

Comme il ne se rétablissait pas à son gré, il eut l’idée d’aller finir la saison

chaude aux environs de Paris. Et bientôt la persuasion lui vint que le grand air des

23 Guy de Maupassant, Le Rosier de madame Husson, Paris, Édition Albin Michel, 1988, p.29. 24 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, op.cit., p.897-898.

Page 20: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

20

champs aurait sur son tempérament une influence souveraine. Dans sa situation, la

campagne produit des effets merveilleux, décisifs25 .

Le narrateur rapporte les pensées de Lesable selon son point de vue. Ce

discours de style indirect désigne l’approbation du narrateur sur les pensées

du personnage. La phrase « Dans sa situation, la campagne produit des

effets merveilleux, décisifs » marque son implication dans le texte, il s’agit

d’une fonction testimoniale ayant pour but de soutenir l’idée exprimée par

Lesable. A travers l’avis du narrateur, Maupassant se fait intentionnellement

ressentir dans l’œuvre.

Les véritables admirateurs de la nature chez Maupassant sont surtout

les femmes. Elles en sont d’ailleurs les plus influencées. La nature éveille en

elles leur sensualité et leur désir d’amour. C’est dans ce tableau

volontairement sélectionné que Maze propose d’aller se promener au bord de

la Seine et de « cueillir des violettes». Les intentions de Maze sont

discrètement divulguées à travers cette phrase, car la violette, dans le

langage des fleurs, désigne les amours secrètes. Le symbolisme de la nature

est poussé plus loin et les débats amoureux des deux amants se passeront

durant la saison printanière, période féconde de la nature :

Un frisson d’hiver courait encore dans les branches nues, mais l’herbe

reverdie, luisante, était déjà tachée de fleurs blanches et bleues ; et les arbres

fruitiers sur les coteaux semblaient enguirlandés de roses, avec leurs bras maigres

couverts de bourgeons épanouis26 .

Cette description est une prolepse des événements à venir. Le narrateur n’a

pas encore annoncé la grossesse de Cora mais il devance l’événement en

laissant un sous-entendu à travers cette métaphore. La raison pour laquelle

Maupassant n’a pas présenté la grossesse de Cora comme un effet de

surprise est due au fait qu’il ne cherchait pas à montrer cet événement

comme un phénomène surprenant et inattendu. Très tôt dans la nouvelle, le

lecteur anticipe l’amour adultère entre Cora et Maze, Maupassant ne cherche

25 Guy de Maupassant, L’Héritage, op.cit., p.60. 26 Ibid., p.97

Page 21: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

21

pas à être innovateur, il est conscient de l’évidence du déroulement de son

histoire.

Bien qu’il s’agisse d’un élément crucial, associé au style narratif de

l’auteur, la nature est totalement inexistante dans la version filmique de

L’Héritage du metteur en scène Heynemann. Non seulement l’influence de la

nature n’est pas présente, mais elle est en plus ironisée. « Le sirop à grande

cuillérée fit sans doute plus que le bon air de Bougival. » (50 :30) Peut-être

s’agit-il d’un moyen utilisé par le metteur en scène pour se démarquer de la

nouvelle. Mais en faisant un tel choix il y perd un élément structural qui sert

de pause narrative au récit et adoucit l’histoire. Heynemann, dans son film,

n’apporte aucun repos à son spectateur, tout au contraire celui-ci est

submergé par la moquerie, la supercherie et l’ironie. Le tout est présenté

dans un contexte humoristique dans une tentative d’alléger l’histoire, avec

pour résultat une œuvre proche du vaudeville, avec un mari cocu, trompé par

sa famille. Nous ne reprochons pas au metteur en scène de ne pas respecter

la totalité de l’œuvre originale mais plutôt son choix personnel de supprimer

les moments de détente qu’exerce la nature. En effaçant la présence de la

nature, Heynemann perd un élément qui apportait à l’histoire une certaine

originalité. Dépourvue de cette touche, l’action principale est assez commune.

Les protagonistes poussés par le désir de s’enrichir sont prêts à tout : Coralie

accepte de se marier sans amour pour hériter de sa tante ; pour les mêmes

raisons elle prendra aussi un amant afin d’avoir un enfant. Lesable accepte

d’être cocu afin d’avoir un héritier27 et Cachelin attend avec impatience la

mort de sa sœur. Tous ces comportements humains sont des thèmes chers

du roman réaliste, car ils reflètent la face intérieure de l’hypocrisie de

l’homme. Néanmoins, les personnages qui expriment le besoin de fuir cette

supercherie, cherchent souvent refuge auprès de la nature. Cependant ils

finissent toujours par revenir à leur première situation. À travers l’échec de

leur volonté, Maupassant accentue le drame de la nature humaine.

27 Dans le téléfilm, Heynemann a choisi de faire de Lesable une victime plutôt qu’un acolyte, car il ne réalise pas que Coralie et Maze entretiennent une relation et qu’il n’est pas le vrai père de l’enfant.

Page 22: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

22

Il est évident que dans une adaptation, la voix personnelle du metteur

en scène est toujours prise en compte. C’est justement l’association d’une

deuxième voix créatrice qui enrichit l’œuvre originale, mais celle-ci doit

répondre à certaines attentes. Dans le téléfilm Le Petit fût, le metteur en

scène, Claude Chabrol a une toute autre interprétation de la nature. Les

champs de pommiers sont comme les complices du meurtre de Prosper

Chicot. Le soir où la mère Magloire réfléchit au marché proposé par

l’aubergiste, la caméra focalise les pommiers qui entourent la ferme.

Accompagnés par le bruit des branches qui claque dans le vent, ainsi que

d’une musique intrigante, les arbres envoûtent la Mère Magloire. Ils sont

présents tout le long du film et symbolisent la mort, de même que ce sont

leurs fruits qui engendreront l’alcool qui causera la perte de la vieille dame. La

scène de la pomme qui tombe de sa branche est en fait une prolepse du

drame à venir. Par ailleurs, il s’agit du même lieu où l’on retrouvera la Mère

Magloire morte, ainsi que l’endroit où elle sera enterrée. Le téléfilm se termine

avec Chicot qui insulte la tombe de la défunte en la recouvrant d’alcool. La

caméra s’éloigne, en zoom out, de manière à permettre de distinguer en

arrière plan les pommiers qui l’entourent. Ils se tiennent à ses côtés tels les

complices d’un meurtre. Cette vision de la nature est un choix personnel du

metteur en scène, mais l’histoire de base n’en est pour rien bouleversée. On

distingue très bien dans le téléfilm toute une diversité des techniques

filmiques qui apportent à une histoire simple, toute une richesse créative.

II. Les stratégies topographiques et circulaires

L’itinéraire que suivent les personnages est établi par Maupassant afin

de refléter la répétition de leur vie. Généralement circulaire, le parcours

spatial a pour effet celui d’emprisonnement. « C’est l’enfermement dans une

série d’espaces immuables qui caractérise la vie monotone du héros »28. Les

va-et-vient qu’exerce tous les jours le héros est une pression psychologique.

Comme une obligation, la victime du schéma narratif, n’a pas d’autre choix

28 Bernard Demont, Représentations spatiales et narration dans les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, Une rhétorique de l’espace géographique, op.cit., p.18.

Page 23: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

23

que de se laisser entrainer dans un cycle infernal. Dans L’Héritage, Lesable

est toujours entre deux lieux : son appartement et le Ministère de la Marine.

Ces deux espaces sont un châtiment, où il doit supporter le mépris et la

moquerie des gens qui l’entourent. Chez lui, son beau père et sa femme

l’humilient constamment à cause de sa stérilité :

Cora maintenant avait le verbe haut, et rudoyait son mari. Elle le traitait en

petit garçon, en moutard, en homme de peu d’importance. Et Cachelin, à chaque

dîner, répétait : « Moi si j’avais été riche, j’aurais eu beaucoup d’enfants…Quand on

est pauvre, il faut savoir être raisonnable. » Et, se tournant vers sa fille, il ajoutait :

« Toi, tu dois être comme moi, mais voilà… » Et il jetait à son gendre un regard

significatif accompagné d’un mouvement d’épaules plein de mépris29.

Au bureau, il subit les remarques blessantes de ses collègues, qui l’ont

toujours jalousé. Étant au courant de son malheur, ils en profitent pour se

venger en rabaissant sa fierté d’homme :

Maze avait soudain compris que la vraie force est dans le calme et l’ironie ;

mais, blessé dans toutes ses vanités, il voulut frapper au cœur son ennemi, et reprit

d’un ton protecteur, d’un ton de conseiller bienveillant, avec une rage dans les yeux :

« Mon cher Lesable, vous passez les bornes. Je comprends d’ailleurs votre dépit ; il

est fâcheux de perdre une fortune et de la perdre pour si peu, pour une chose si

facile, si simple…Tenez, si vous voulez, je vous rendrai ce service-là, moi, pour rien,

en bon camarade. C’est l’affaire de cinq minutes…30.

Le héros de Maupassant est généralement responsable de son propre

malheur, ce sont ses actions et ses choix qui le guideront vers le chemin qu’il

empruntera. Dans Histoire d’une fille de ferme, c’est Rose, elle-même qui

choisit de s’enfermer dans un cycle d’allers-retours entre la ferme du Maître

Vallin et la maison de la nourrisse qui élève son enfant. Ces deux espaces

sont pour elle un martyre car ils l’oppressent psychologiquement. Chacun

d’eux est rattaché à un des mensonges de Rose. À son maitre, qui deviendra

par la suite son mari, elle cache l’existence de son enfant et à sa nourrice,

elle masque l’abandon du père. Ses pensées sont toujours tiraillées par les

29 Guy de Maupassant, L’Héritage, op.cit., p. 64. 30 Ibid., p.70.

Page 24: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

24

secrets de ses deux lieux. Rose a fait son choix, elle aurait pu laisser son

enfant dans un orphelinat mais sa morale l’empêchait d’abandonner son

enfant. Les honnêtes gens sont toujours les premières victimes de l’univers

satirique de Maupassant. Au final, les efforts de Rose, pour cacher l’existence

de son enfant se sont avérés futiles et lui ont causé des souffrances

inutilement. Le Maitre Vallin n’arrivant pas à avoir d’enfant était devenu violent

et méprisant envers sa femme. Il se réjouira d’entendre l’existence de cet

enfant.

En outre du malheur engendré par les actions des personnages, nous

pouvons remarquer dans certaines nouvelles la présence d’un chemin piégé

qui n’aboutit qu’à une fatalité choisie par l’auteur. Dans La Parure, ce n’est

pas par hasard que Mathilde, une fois son emprunt remboursé, rencontre son

amie Jeanne et lui annonce que la parure était fausse. L’ironie du sort ne

prend place que par la volonté de l’auteur qui positionnera les éléments

déclencheurs du drame sur le trajet de ses personnages. Il s’agit là d’un choix

personnel de l’auteur et non le résultat d’évènements qui aboutissent au

drame. On ressent très clairement la présence de Maupassant dans l’histoire,

non pas en tant que narrateur mais en dieu cruel qui décide du destin de ses

créatures. Nous pourrons désigner ce trajet de « circuit piégé » car c’est un

chemin que le héros doit inévitablement emprunter. Dans le film de Claude

Chabrol, le metteur en scène accentue la cruauté ironique de Maupassant en

situant la rencontre de Mathilde et Jeanne dans une unité temporelle bien

précise. Charles, venant de rembourser leur dernier emprunt, est optimiste et

propose à sa femme d’aller se promener: « Nous allons retrouver une vie

normale Mathilde. Et pour commencer, tu feras des petites promenades qui te

délasseront. » Si Maupassant n’est pas aussi clair sur la durée du temps

écoulé depuis la rencontre avec Jeanne et le remboursement, Chabrol, lui,

choisit d’enchainer les deux évènements, ne laissant aucun repos à Mathilde

qui, a peine sortie de son malheur, replonge dans un autre.

Un procédé que l’on retrouve fréquemment dans les films est celui de

la notion du “surplace”, désignant une même action qui se répète dans un

même lieu tel un circuit circulaire. Tout comme en littérature, il exprime le

Page 25: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

25

principe de monotonie de la vie, de la continuité sans fin d’une action et de sa

futilité. Cependant la répétition visuelle bénéficie d’un avantage auprès de son

public, car la technique de la répétition qui est en accord avec le rythme de

l’histoire, influence aussi le temps réel du téléspectateur. « Comme ce qui

compte, dans le rythme, ce n’est pas la durée réelle mais l’impression de

durée»31. Le circuit circulaire, qui se déroule dans un même lieu, crée l’illusion

d’un emprisonnement dans le temps qui n’affecte pas uniquement l’univers

filmique mais aussi celui du spectateur. Dans L’Héritage, Heynemann dès le

début du film nous introduit dans l’univers monotone du Ministère de la

Marine par l’utilisation de la caméra qui suit les va-et-vient des employés du

Ministère de la Marine qui empruntent les escaliers de l’entrée principale.

Le choix de l’escalier accentue la fatigue physique et psychologique.

Physique, de part la répétition constante des mêmes mouvements et

psychologique, car la vue des escaliers renvoie directement à l’effort

demandé, telle une échelle de mesure où la personne distingue clairement le

reste du trajet qui doit être parcouru. La même technique est présente dans

La Parure de Claude Chabrol, dans la scène des allers-retours de Mathilde

entre son travail et sa maison. Cette répétition du mouvement dans un même

espace donne l’illusion du surplace. En tant que mouvement, le surplace

31 Jean Mitry, Esthétique et psychologie du cinéma, 1. Les structures, Paris, Édition Universitaires, 1973, p.352.

Page 26: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

26

renvoie à l’idée d’inutilité, c’est une action futile. Identique à la prolepse,

Mathilde annonce dans son mouvement que tous ses efforts seront futiles.

Ce n’est que lorsqu’ il y a une rupture du circuit, que nous constatons

un changement important dans l’histoire. Dans la nouvelle de L’Héritage se

sont les escapades en campagne qui procurent un peu de repos pour le

couple. Notamment, elles introduiront un changement important de

l’histoire : l’annonce de la grossesse de Coralie. Dans Histoire d’une fille de

ferme, quand Rose avoue la vérité à son mari, elle met fin à son trajet

répétitif. Néanmoins la rupture peut aussi être la cause d’un malheur à venir.

Dans La Parure, c’est l’invitation au bal qui viendra chambouler le quotidien

du couple et qui entrainera le désastre dans leur vie. Dans Le Petit fût,

Prosper Chicot se rend de nombreuses fois chez la mère Magloire en

espérant que celle-ci lui vende sa ferme. Ce n’est qu’a sa vingtième visite qu’il

parvient à mettre fin à ce cycle qu’il croyait sans fin. Les va-et-vient de Chicot

montrent son acharnement à s’accaparer la ferme de la mère Magloire. Trois

ans se sont écoulés et la mère Magloire n’est toujours pas décédée comme il

l’avait espéré. Dans l’histoire on décèle deux ruptures. La première survient

quand la mère Magloire met fin à la persistance de Chicot en acceptant son

marché, ce qui entrainera sa mort. La deuxième rupture se produit par le

meurtre de la mère Magloire ; Chicot, n’en pouvant plus la payer tous les

mois, décide de rompre ce nouveau cycle où il s’est lui même fait piéger.

Mais qu’importe le chemin emprunté par les personnages, ils sont en

majorité perdants et s’ils arrivent malgré tout au bonheur, il est soit hypocrite

soit bien éphémère. Piégés par la monotonie de la vie, toute tentative

d’échappatoire étant futile, les héros de Maupassant subissent leur malheur

sans chercher à le combattre. Ils sont condamnés à répéter les erreurs de la

vie et à mettre « en abyme la vanité de toute aspiration à la liberté et à

l’épanouissement, de toute prétention à vouloir maîtriser son destin »32.

32 Bernard Demont, Représentations spatiales et narration dans les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, Une rhétorique de l’espace géographique, op.cit., p.100.

Page 27: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

27

III. L’extension et l’exploitation paysagère

De tous les arts de divertissement, l’art filmique est sûrement celui qui

demande le moins de participation de la part de son spectateur. L’image étant

fournie, il ne fait pas appel à l’imagination créative de son public. Étant plus

facilement distrait, le spectateur a plus de difficultés à rester attentif durant le

film. Pour le garder concentré, le film doit fournir un nombre plus important de

divergences qu’en littérature ou au théâtre. Un de ces moyens est le

changement fréquent de lieu. Il est très courant pour le metteur en scène de

rajouter de nouveau lieu ayant un rapport avec l’univers fictif de l’histoire. Il a

aussi la possibilité de se baser sur les espaces déjà existants mais de les

amplifier en leur donnant une plus grande importance.

Dans la nouvelle Le Rosier de madame Husson, étant donné que

l’histoire de Madame Husson est une légende racontée oralement, elle ne

bénéficie pas de beaucoup d’informations spatiales, on sait juste qu’elle se

déroule à Gisors. Cependant dans le téléfilm de Denis Malleval, nous avons

droit à un plan détaillé du village : ruelles, place du village, Mairie, église,

café, le magasin de la fruitière et la maison de madame Husson. Chacun de

ces lieux est en rapport avec un des personnages de l’histoire ; il sert à la fois

d’introduction. Il s’agit notamment d’un moyen d’infiltrer discrètement le thème

de l’alcool qui jouera un rôle capital à la fin de l’histoire. À divers moments du

film on distingue clairement les personnages dégustant des boissons

alcoolisées et cela toujours en rapport avec l’espace où ils se situent :

- L’église où l’abbé Malou boit le vin de messe.

- Le café du village que fréquentent les politiciens de Gisors et

où ils sirotent leur alcool.

- Le salon de madame Husson où celle-ci, une fois son rosier

trouvé, veut célébrer sa réussite en buvant du cidre. Et où à la

fin du film y videra une bouteille complète pour noyer sa

déception.

- La salle de réception où est fêtée la nomination d’Isidore et où

les bouteilles de vin se vident à vue d’œil.

Page 28: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

28

L’alcool, ne représente pas uniquement l’élément destructeur de la pureté

d’Isidore mais il reflète aussi l’hypocrisie des villageois. Ils reprochent à

Isidore de s’être vautré dans l’alcoolisme alors qu’eux-mêmes ont succombé

au plaisir de l’alcool. Ils blâment Isidore afin de dissimuler le désappointement

de leur propre échec. Les personnages de l’histoire semblent plus

préoccupés par leur intérêt personnel que par les valeurs que récompense la

rosette. « Le médecin le fait par esprit de clocher, le curé ne fait qu’obéir à

madame Husson, qui veut, quand à elle négocier une “indulgence” contre

cette initiative »33.

Le thème de l’alcool est aussi présent dans Le Petit fût. C’est à travers

l’espace de l’auberge de Maitre Chicot que Claude Chabrol introduit cet

élément crucial de l’œuvre. Tout au long de l’histoire on y verra les villageois

ainsi que les policiers y boire la fine de Prosper Chicot. Ce lieu sert

d’affichage de la personnalité de Chicot. En tant qu’aubergiste il nous

apparaît comme quelqu’un de social et aimé de ses clients. Cependant c’est

un homme à double facettes. Son autre visage ne nous est montré qu’au

détour du regard des autres. Dans son auberge Chicot amadoue les gens qui

l’entourent en leur offrant un verre. Il fait croire à ses clients qu’il est attaché à

la mère Magloire. « Je suis comme son fils »dit-il, ces même paroles seront

répétées plus tard par les hommes qui trouverons le corps mort de la mère

Magloire : « C’est comme son fils ». (24 :48) L’auberge est le lieu où Chicot

préméditera son meurtre, il y piégera la mère Magloire en l’invitant à manger

et en lui faisant boire sa fine pour la première fois.

L’extension du décor est inévitable dans la réalisation filmique. Elle ne

peut se limiter aux espaces cités dans la nouvelle, l’œuvre en serait trop

proche du théâtre. Imaginer de nouveaux lieux ou bien amplifier ceux

existants dans l’œuvre originale n’est pas une tache facile, car elle apporte un

autre dilemme au metteur en scène : il doit donner une utilité supplémentaire

pour justifier la présence de ce nouvel espace.

33 Laurence Jung, «Chez Maupassant(4), Comédies grinçantes», Télédoc, Le petit guide télé pour la classe [en ligne], 2007-2008. p.2.

Page 29: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

29

IV. La perception et la reproduction spatiale

La description de l’espace est toujours présente dans les nouvelles de

Maupassant ; cependant il ne s’agit pas de ce qu’on appelle une narration

balzacienne. La nouvelle, de par sa taille, ne permet pas de se perdre dans

un long récit descriptif, c’est pourquoi l’auteur se base sur les connaissances

générales de son public, en utilisant « un répertoire d’espaces, de lieux, de

paysages […], référables et concrets, plus ou moins familiers au lecteur de

l’époque »34. Mais dans le cas d’une adaptation filmique ces renseignements

sont-ils suffisants ? Si dans certains cas il n’était pas nécessaire de décrire

les lieux, car ils étaient connus par les lecteurs de l’époque, il est évident que

cela ne s’accorde plus pour notre époque. C’est un des avantages que

l’adaptation filmique propose au public contemporain qui bien qu’ayant lu la

nouvelle ne soit pas pour autant capable d’imaginer les lieux décrits

par l’auteur. L’œuvre filmique ne se contente pas de reproduire uniquement

une histoire, mais elle tente de redonner vie à une époque inconnue de ses

spectateurs. Elle fournit des informations supplémentaires sur le mode de vie

des gens du XIXe siècle, leurs coutumes, leurs habitats, les différents statuts

sociaux, etc. Le film apporte une facette sociologique à l’histoire, enrichissant

ainsi l’œuvre pour le public contemporain.

Denis Malleval dans ses deux films : Histoire d’une fille de ferme et Le

Rosier de madame Husson, présente les différentes occupations de l’époque.

À travers L’histoire d’une fille de ferme le metteur en scène nous expose le

mode de vie des fermiers ainsi que la gestion de la grande ferme du maitre

Vallin. On y élève des moutons, des oies, des poules, des chevaux. Il y a la

récolte du foin, des œufs, du lait et de la laine. Ils labourent leurs champs,

ramassent le fumier, vendent leurs produits et entretiennent la ferme. En

outre des travaux de ferme, il y a aussi les taches de la maison. Rose cuisine,

fait les poussières, range la demeure, lave et fait sécher le linge. On nous

présente notamment les relations entre valets et Maître ; Vallin participe aux

34 Bernard Demont, Représentations spatiales et narration dans les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, Une rhétorique de l’espace géographique, op.cit., p.1498.

Page 30: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

30

taches journalières comme tout le monde, ses employés sont hébergés chez

lui et mangent à sa table. L’équivalent de cette technique en narratologie

serait la « fonction idéologique », où le narrateur cherche à fournir des

informations à caractère didactique. Le public de Maupassant étant en

majorité des citadins, l’auteur part du principe qu’ils ont certaines lacunes en

ce qui concerne les mœurs provinciales :

Il ne pouvait d’ailleurs exister entre eux de scrupules de mésalliance, car,

dans la campagne, tous sont à peu près égaux : le fermier laboure comme son valet,

qui, le plus souvent, devient maître à son tour un jour ou l’autre, et les servantes à

tout moment passent maîtresses sans que cela apporte aucun changement dans leur

vie ou leurs habitudes35.

Dans le film, Rose, qui s’acharne de plus en plus au travail, remet en état un

petit salon laissé à l’abandon depuis la mort de la femme de Maitre Vallin. Elle

juge que le fermier doit avoir une pièce pour recevoir du monde maintenant

qu’il s’est enrichi. Il y a donc une nouvelle nécessité qui vient d’apparaitre

dans la vie du fermier et celle-ci est rattachée à un lieu. L’organisation des

fermes est telle que chaque lieu a une utilité bien précise :

Espace Fonction Production

Le poulailler Élevage de la volaille Collecte des œufs

L’étable Élevage des moutons et

des vaches

Production de viande,

de lait et de laine

La grange Stockage des récoltes Préservation des

produits

Les champs Labourage et récolte Entretien de la terre

La fontaine Lavage du linge sale Entretien de la ferme

La salle à manger Repas de groupe Relation sociale : maitre

et valet

Le petit salon Pièce pour recevoir Relation sociale : maitre

et client

35 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, op.cit., p.33.

Page 31: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

31

Dans Le Rosier de madame Husson, il s’agit d’un espace au champ

plus large qui, lui aussi, regorge de diversités spatiales. Malleval présente à

travers un plan détaillé de la petite ville de Gisors le quotidien de ses

habitants. « La société française se trouve résumée ici avec les notables

(médecin, maire), les petits commerçants et artisans (la fruitière, la meunière),

les paysans et le clergé. Les coutumes sont caricaturales : les femmes vont à

l’église pendant que les hommes sont au café, les clientes se plaignent des

prix »36. Le spectateur pourra reconnaître certaines professions comme celle

de la fruitière, de l’aubergiste, du livreur, de la femme de ménage, de la

couturière, du conducteur de fiacre, etc. « Il s’agit ici d’un objectif à dimension

presque anthropologique, où le cinéma est conçu comme véhicule des

représentations qu’une société donne d’elle-même »37. En recréant tout un

univers historique et sociologique, Denis Malleval apporte une autre facette à

son téléfilm, une fonction éducative.

Il faut accorder une grande attention à la reproduction du décor.

L’espace permet de fournir des informations sur son occupant, il sera donc

une tache importante de la part du chef décorateur, responsable du décor, de

bien réaliser l’objectif voulu. La précision du décor dans La Parure montre

bien l’ampleur du travail et l’utilité apportée par la décoration de l’appartement

de Jeanne Forestière et de Mathilde Loisel. Elle permet de faire la distinction

de la classe sociale des deux jeunes femmes. L’appartement de Jeanne

Forestière est richement décoré, les murs sont habillés de belles tapisseries

florales ; des napperons en dentelle recouvrent les meubles ; cadres,

chandeliers, lanternes et fleurs garnissent la pièce. Le tout est présenté dans

un ton pâle et lumineux qui servira de contraste avec l’appartement de

Mathilde. Sombre et simplement décoré, il ne possède pas d’élément

superficiel comme la demeure de Jeanne. Le premier impact que donne la

décoration est la différence des deux classes sociales. L’appartement de

Jeanne est exagérément chargé, il reflète son orgueil et sa véritable facette. «

36 Laurence Jung, «Chez Maupassant(4), Comédies grinçantes», op.cit., p.2 37 J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet, Esthétique du film, Paris, Éditions Fernand Nathan, 1988, p.69

Page 32: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

32

Jeanne est une bourgeoise snob qui n’invite son amie que pour étaler ses

richesses et ses relations »38.

Le second impact se fera une fois les dix années écoulées, où l’appartement

des Loisel sera de nouveau montré mais cette fois complètement vidé de ses

meubles. Le spectateur établira une nouvelle comparaison entre le nouveau

mode de vie des Loisel et leur ancien.

Un espace que l’on retrouve fréquemment chez Maupassant est celui

du ministère ; lieu que l’auteur a toujours détesté, suite à ses huit années de

travail en tant que fonctionnaire. Du patron profiteur à l’employé à la fausse

facette, Maupassant, en l’attaquant dans ses œuvres littéraires, se vengera

de cet entourage. « Écœuré par le travail et le milieu des bureaucrates, il en

profite néanmoins pour emmagasiner portraits et sujets. Il observe autour de

lui sans indulgence, note des attitudes serviles, des intrigues sans envergure,

et amasse le matériau des scènes bureaucratiques »39.

Dans L’Héritage, mais aussi La Parure, le ministère est représenté comme un

lieu néfaste où les personnages y sont exploités. Toujours accompagnée

d’adjectif négatif, la description de ce lieu se veut lourde et étouffante. Si

l’amour de l’auteur pour la nature est une caractéristique essentielle de sa

personnalité, son mépris envers la bureaucratie ne peut pas être mis à l’écart.

38 Agnès Lefillastre, «Chez Maupassant(1), Secrets et Mensonges», Télédoc, Le petit guide télé pour la classe [en ligne], p.2. 39 Jean-Marie Dizol, Guy de Maupassant, Toulouse, Éditions Milan, 1997, p.15.

Page 33: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

33

Mais comment cette touche caractéristique de Maupassant peut-elle être

représentée sur écran ? Chabrol et Heyenemann ont chacun leur propre

façon d’interpréter cette atmosphère. Dans La Parure, Charles Loisel est

exploité par son supérieur qui le fait travailler des heures supplémentaires en

échange d’une invitation au bal du ministère. Très peu éclairés et de peinture

grisards, les bureaux du ministère sont petits et surchargés de dossiers. On

distingue même plusieurs petits détails tels des coups sur les murs et le

mauvais état du bois des cadres, montrant bien le manque d’intérêt que le

ministère porte au lieu de travail de ses employés. Dans L’Héritage,

Heyenemann a une vision moins sombre du ministère, mais cela est dû à la

différence des deux œuvres, La Parure étant un drame aux aspects

satiriques, il est donc normal que cette noirceur soit présente, alors que

L’Héritage lui est plutôt une comédie satirique. C’est donc sur une tout autre

approche que le metteur en scène introduira le ministère. D’une façon assez

judicieuse, le film débute dans le hall d’entrée du ministère, salle spacieuse et

illuminée, sa couleur blanche et sa propreté donne au ministère une belle

image. Cependant, cette façade est vite ternie quand la caméra nous entraine

petit à petit dans d’autres parties du ministère. Après le hall nous découvrons

un large couloir menant au département des employés, toujours dans un ton

blanc et lumineux. On distingue néanmoins un changement dans la

décoration au niveau de l’immobilier et du carrelage. Ensuite nous accédons

à un deuxième couloir, cette fois-ci assez étroit, sans fenêtre et où on y a

laissé traîner plusieurs caisses. Et enfin, apparaît la dernière pièce, celle des

employés, aux volets fermés, où s’entassent bureaux, caisses, dossiers, etc.

La différence entre cette pièce et celle du hall d’entrée est frappante. Le tout

accompagné d’une musique joyeuse, Heyenemann introduit ainsi l’ironie de

ce lieu à la fausse facette.

Page 34: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

34

La technique narrative de Maupassant permet à la nouvelle de n’avoir

rien à envier au roman. L’auteur se contente des matériaux que lui procure le

récit court, dont la description, certes limitée, de l’espace qui se voit doté

d’une multitude de fonctionnalités. Outre sa fonction d’introduire le lieu, elle

aide à une meilleure approche des personnages. Notamment, l’auteur se

repose sur la participation de son lecteur en lui décrivant un espace qu’il

connaît bien ; il anticipe ses réactions et les utilise au profit de son œuvre. Ni

ses histoires, ni ses personnages ne reflètent une quelconque originalité ; au

contraire ils sont tous des parodies de la vie réelle. C’est sur cet aspect du

concret, du plausible que Maupassant offre sa perception d’un monde connu

de tous.

Page 35: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

35

B.LE TEMPS

La notion du temps dans la littérature est un sujet des plus complexes,

car elle n’est pas toujours évidente à définir. Sa difficulté vient du fait qu’en

narratologie, on distingue deux unités temporelles ; la première est celle du

temps de l’histoire (TH) ; il s’agit de l’écoulement temporel du monde fictif de

l’œuvre. La deuxième, celle attirera notre attention, est le temps du récit (TR)

qui indique la position temporelle du narrateur par rapport au récit raconté.

Dans sa théorie sur la narratologie, Gérard Genette définit la vitesse du récit

« par le rapport entre une durée, celle de l’histoire, mesurée en secondes,

minutes, heures, jours, mois et années, et une longueur : celle du texte,

mesurée en lignes et en pages »40. Néanmoins il est impossible de mesurer la

durée de lecture d’un récit à celle de l’histoire, car comme le dit Genette « les

temps varient selon les occurrences singulières, et que, contrairement à ce

qui se passe au cinéma, ou même en musique, rien ne permet ici de fixer une

vitesse “normale” à l’exécution »41.

Au cinéma, tout comme à la télévision, le film possède lui-aussi ces deux

unités temporelles : le temps qui s’écoule dans la diégèse et le temps de

projection du film. Le principe de l’écoulement du temps dans la diégèse est

le même que celui de la littérature ; ce ne sont que les techniques de

représentation qui changent. C’est à travers celles-ci que nous observerons

les moyens de conversion des adaptations filmiques. En ce qui concerne le

temps de projection du film, on constate une certaine difficulté à la

transposition de l’œuvre qui est limitée par un temps bien défini. Surtout dans

le cas de court /moyen métrage, où la limite temporelle est de trente à

soixante minutes42.

La nouvelle affronte ces mêmes difficultés ; c’est d’une part ce qui l’unit

au court métrage. Elle aussi, est soumise à une restreinte de taille. Une

grande majorité des nouvelles étaient publiées dans des journaux et

périodiques, limitant les capacités de l’auteur qui devait respecter un nombre

40 Gérard Genette, Figure III, op.cit., p. 123. 41 Ibid., p.122. 42 Marie-Thérèse Journot, Le Vocabulaire du cinéma, Paris, Édition Armand Colin, 2006.

Page 36: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

36

bien précis de pages qu’imposaient leurs éditeurs. En respectant cette

contrainte, il devait contenir son histoire dans un nombre défini de pages. Une

maîtrise judicieuse des diverses techniques narratives permet de combler les

manques du récit court afin qu’il soit aussi complet qu’une œuvre de plus

grande taille. Bien entendu ces techniques ne sont pas uniquement exploitées

dans l’intention de gagner du temps. Il faut préciser que toutes les nouvelles

n’étaient pas limitées à une dizaine de pages. L’Héritage est une assez

longue nouvelle, répartie en huit chapitres, Le Rosier de madame Husson, lui,

englobe une vingtaine de pages. À l’évidence, l’utilisation de ces techniques

est aussi un choix personnel de l’auteur qui à travers une marque

caractéristique de style, facilite le déroulement de l’histoire afin d’aboutir à

une meilleure compréhension de l’œuvre.

I. La suspension narrative et le ralentissement temporel

La pause narrative est une interruption de la narration de l’histoire afin

de se concentrer sur la description d’un objet, d’un lieu ou bien d’un

personnage. Ce procédé joue un rôle important chez Maupassant, car

l’élément désigné aboutira généralement à un rôle significatif. Si le narrateur

choisit de laisser sur son passage quelques éléments clés de l’histoire c’est

souvent par l’intermédiaire d’une pause narrative.

Plusieurs œuvres littéraires débutent sur une description de lieu, qui

permet au narrateur de situer son histoire avant d’entamer sa narration. Elle

peut aussi servir de changement de séquence, lors d’une alternation

d’espace.

M. Cachelin habitait dans le haut de la rue Rochechouart, au cinquième

étage, un petit appartement avec terrasse, d’où l’on voyait tout Paris. Il avait trois

chambres, une pour sa sœur, une pour sa fille, une pour lui ; la salle à manger servait

de salon43.

43 Guy de Maupassant, L’Héritage, op.cit., p. 23.

Page 37: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

37

Maupassant, qui attache beaucoup d’importance à son choix de décor, prend

souvent le temps de dresser un tableau bien précis des lieux. Dans l’exemple

cité plus haut, la description de l’appartement de M. Cachelin est essentielle,

car il s’agit du lieu d’action. Sa précision architecturale rappelle celle d’une

didascalie :

Il entra dans la salle à manger pour tout vérifier. Au milieu de la petite pièce,

la table ronde faisait une grande tache blanche, sous la lumière vive de la lampe

coiffée d’un abat-jour vert. […] La porte de gauche s’ouvrit et une courte vieille

parut44.

La salle à manger est dressée tel le décor d’une pièce de théâtre. La porte à

gauche est comme un dégagement qu’utilisent les acteurs pour entrer en

scène. Il fallait donner une image claire de la pièce, car elle servira de lieu

d’action de nombreuses scènes. Tout le chapitre II se déroule dans la salle à

manger et sur le balcon qui y est rattaché. Dans la version filmique de Laurent

Heynemann la moitié du film est tournée dans la salle à manger.

Au cinéma, l’utilisation d’un cadrage fixe de la caméra correspondrait le

plus à ce que nous appelons la pause narrative. Dans Histoire d’une fille de

ferme, nous avons une vue du village au travers d’une image stable.

Néanmoins, cette technique n’est pas souvent utilisée pour la description des

lieux ; le metteur en scène préférera utiliser celle du pano-travelling45 lui

offrant un champ de vision plus large et plus détaillé. Cependant l’effet produit

est légèrement en opposition avec l’idée de l’arrêt temporel, car le

mouvement de la caméra renvoie à l’idée d’écoulement du temps. Plutôt

qu’un arrêt nous avons un ralentissement du temps, permettant au spectateur

de bien visualiser les données fournies dans le champ. Dans le téléfilm

Histoire d’une fille de ferme de Denis Malleval, l’histoire commence avec un

glissement de caméra, révélant un paysage campagnard rempli de champs

où l’on distingue au loin un village et des forêts.

44 Ibid., p.24 45 Le pano-travelling (mouvement d’appareil) allie les effets du panoramique à ceux du

travelling. (Dans M.-T. J., op.cit.)

Page 38: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

38

Le narrateur ne suspend pas seulement sa narration pour détailler un

décor mais aussi pour introduire des personnages. Plus le personnage est

important, plus dense est la description. Dans L’Héritage, le narrateur nous

présente brièvement les employés du bureau du ministère de la marine, mais

il procède d’une manière différente lors de la présentation de Maze ; la pause

est plus longue et la description plus minutieuse :

La porte s’ouvrit et M. Maze entra. C’était un beau garçon brun, vêtu avec

élégance exagérée, et qui se jugeait déclassé, estimant son physique et ses

manières au-dessus de sa position. Il portait de grosses bagues, une grosse chaine

de montre, un monocle, par chic, car il l’enlevait pour travailler, et il avait un fréquent

mouvement des poignets pour mettre bien en vue ses manchettes ornées de gros

boutons luisants46.

L’interruption narrative permet aux lecteurs de prendre conscience de

l’importance de Maze et de son rôle à jouer dans la suite du récit. C’est d’une

façon stratégique que Maupassant éveille un soupçon autour de ce

personnage, créant un effet qui aura pour but d’augmenter l’attention du

lecteur à chaque citation de son nom. La mise en scène de cette séquence

dans le téléfilm, se fait par un ralentissement de l’histoire. La caméra voyage

de bureau en bureau, se posant quelques secondes sur l’employé qui y

travaille pour permettre au narrateur, “en voix off”47, de le présenter. La

caméra se fixe pour laisser le temps aux spectateurs d’enregistrer les

caractéristiques physiques de l’acteur et de lire le nom de chaque employé,

inscrit en plaquette sur leurs bureaux.

46 Guy de Maupassant, L’Héritage, op.cit., p.10. 47 Abréviation de off screen, “hors écran”, ce terme est surtout utilisé pour le son dont la source n’est pas visible à l’écran. (Dans M.-T. J., op.cit.)

Page 39: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

39

La décélération du temps se distingue aussi dans les actions des

personnages. Cachelin regarde sa montre, Pitolet se nettoie le bout des

doigts et Maze prend le temps de lire un livre. Dans la passivité de leurs

actions, on ressent le ralentissement narratif de l’histoire. Il en va de même

pour la musique accompagnatrice, qui devient plus basse qu’au début du

téléfilm.

L’arrêt du temps ne renvoie pas uniquement à un événement qui se

déroule dans l’instant présent. « L’interruption affecte tout d’abord la

possibilité pour le passé de faire retour au présent ; mais elle atteint, du

geste, la présence à soi de ce seul présent »48. En effet, la pause narrative

peut aussi offrir l’opportunité d’introduire d’autres unités temporelles,

appartenant au passé et parfois à l’avenir49. En narratologie la fonction de

conter un évènement s’étant déroulé dans le passé porte le nom

« d’analepse » ; au cinéma, on appelle cette technique le « flashback ». La

prolepse, quant à elle, a pour fonction de situer un événement dans l’avenir,

autrement dit pour le cinéma : le flash-forward. Mais pour notre étude, nous

ne nous intéresserons qu’au flashback. Cette technique permet au cinéaste

de faire ressurgir à la surface les pensées du personnage. Contrairement à la

littérature, il n’est pas possible d’exprimer aussi clairement ce que ressent le

48 Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, Le Temps d’une pensée, Du montage à l’esthétique plurielle, Paris, Édition Presses Universitaires de Vincennes, 2009, p.371. 49 Cette unité temporelle est plus présente dans les films fantastiques sous la forme d’une prédiction.

Page 40: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

40

héro. Le temps suspendu suivi d’un flash back permet de transmettre au

spectateur les sensations exprimées par les personnages. Dans le téléfilm de

La Parure, Mathilde, vieillie par les dix années de dur labeur, se regarde dans

le miroir et se revoit le soir du bal du Ministère. (23 :53) La présence du

flashback permet aux deux unités temporelles de se côtoyer quelques

instants. Gérard Genette voit en la comparaison de deux situations à la fois

semblables et différentes, l’opportunité de faire appel à la mémoire.50 Ces

souvenirs permettent aux spectateurs de faire une comparaison, entre la

Mathilde de maintenant et de jadis. Par la même occasion elle aide à une

meilleure approche et compréhension de l’état psychologique de l’héroïne, qui

vit depuis dix ans dans le regret et le souvenir des jours heureux.

II. Les projections temporelles

Relative à la question de la vitesse, la suppression des espaces

temporels conditionne les effets narratifs. Sous le terme de « l’ellipse », on

distingue un avancement dans le temps. Autrement dit, une projection dans le

récit de plusieurs jours, mois, voir années. Ce procédé est très fréquent dans

L’Héritage où le déroulement du temps est important pour l’histoire. D’ailleurs,

presque tous les chapitres débutent avec une indication temporelle ou se

clôturent avec une autre :

Ouverture du chapitre

Clôture du chapitre

Chapitre I

« Bien qu’il ne fût pas

encore dix heures »

« Le lundi suivant »

Chapitre II

« Pendant toute la

semaine »

« Un mois plus tard »

Chapitre III

« L’année s’écoula »

« Au bout de quelque

temps »

50 Voir Gérard Genette, op.cit., p. 95.

Page 41: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

41

Chapitre IV

« En suivant l’enterrement

de la tante Charlotte »

« Il était sept heures »

Chapitre V

«De mois en mois »

« Un jour »

Chapitre VII

« Depuis cette heureuse

découverte »

___________

Toutes ces indications temporelles sont en fait un compte à rebours qui nous

rapproche petit à petit de la date limite imposée par la tante Charlotte dans

son testament. Si, dans les trois années qui suivent son décès Coralie n’a pas

eu d’enfant, l’héritage sera distribué à des œuvres caritatives. En évoquant

régulièrement le déroulement du temps, le lecteur ressent la pression

psychologique que subissent les personnages de l’histoire. D’ailleurs le

dernier chapitre nous informe sur le temps neutre de la période de grossesse

de Cora : « Rien de nouveau ne survient jusqu’au terme de la grossesse. »

Cette indication temporelle marque la fin de ce long cycle d’échecs. L’héritage

étant touché à la fin du chapitre VII, le lecteur n’a plus à s’inquiéter. D’où la

raison pour laquelle il n’y a plus de marque temporelle à la fin du chapitre VII.

Le film, en tant qu’art visuel et oral ne peut pas vraiment contenir les

mêmes types d’indications temporelles que la nouvelle. Certes, dans

certaines occasions, nous avons l’utilisation d’une forme textuelle incrustée

dans l’image. Dans Histoire d’une fille de ferme, lors du changement de

séquence, il y a une image fixe désignant le village sur laquelle est écrite

l’indication temporelle : « Quelque mois plus tard… » (11 :13).

Page 42: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

42

Cette phrase, écrite en calligraphie, nous renvoie à la nouvelle de

Maupassant. Le choix des points de suspensions représente le passage de

l’écrit au visuel. Mais cette technique, qui pourtant n’est pas inappropriée

avec le contexte, est pour notre époque assez banale. Elle n’apporte aucun

effort réel au niveau de la création filmique, si ce n’est que le renvoi à l’œuvre

d’origine, dû à sa forme textuelle.

Jean-Daniel Verhaeghe, metteur en scène de la nouvelle Au Bord du

lit, utilise cette même technique mais de façon plus judicieuse. Il incorpore la

phrase « Six mois plus tard… » (25 :33) sur une page du livret de dépenses

du comte Sallure. Le comte, devant se racheter auprès de sa femme, doit

mois après mois lui donner de l’argent pour pouvoir passer la nuit avec elle.

Dans le téléfilm on décèle l’intention du metteur en scène d’établir un lien

avec la littérature. Le livret de dépense est en lui-même un livre, c’est à

l’intérieur de ses pages que l’histoire du Comte de Sallure s’y écrit. Il s’agit

aussi d’un indicateur de temps où les jours y sont inscrits. Chaque date

s’associe avec une dépense, pointant la folie continuelle du jeu de l’amour et

de l’argent.

Un autre livre est présent dans le téléfilm, faisant partie cette fois de la

littérature de l’époque. Il s’agit du roman que lit la comtesse de Sallure : Nana

d’Émile Zola. Elle l’utilise comme référence pour comparer le comportement

libertin de son mari et ses relations avec les « cocottes » zoliennes :

-Je suis en train de lire […] C’est le dernier roman de Mr Zola, Nana. Je me

renseigne sur vos amies les cocottes, sur ce qu’elles ont de plus que moi. Sur les

messieurs qui les fréquentent. Ah ! Il vous connaît bien Mr Zola ! N’empêche c’est à

croire que vous lui avait servi de modèle. (11 :45)

Grâce à l’information intertextuelle de la parution du roman de Nana51, on

peut situer chronologiquement l’époque où se déroule l’histoire. En faisant

allusion à Zola et à la ressemblance de « ces messieurs » avec le Comte de

Sallure, Verhaeghe établit un lien entre le téléfilm et la littérature. Si le Comte

Sallure ressemble tant aux personnages de Nana, c’est que lui aussi est un

51 Nana fut publiée en France en 1880 chez l’éditeur G. Charpentier.

Page 43: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

43

caractère fictif de la littérature. D’autre part cet élément intertextuel de

l’histoire, révèle non seulement l’intérêt que le metteur en scène porte à Zola,

mais aussi sert de rappel aux relations établies entre Maupassant et Zola qui

faisaient partie du groupe de Médan. Ainsi, d’un ajout littéraire à caractère

dialogique, le metteur en scène crée un réseau d’associations extratextuelles

qui équivoque la vie littéraire de l’époque pendant laquelle est rédigée la

nouvelle.

L’écoulement du temps peut aussi s’interpréter par le déroulement

d’une action qui renvoie directement au temps. Dans L’Héritage, chaque fin

d’année, les employés du ministère touchent leur dernier salaire et espèrent

être gratifiés d’un avancement. Il s’agit d’une action annuelle qui permet au

lecteur de garder un contrôle sur l’écoulement du temps :

L’année s’écoula. Le jour de l’an revint. Il n’eut pas, à sa grande surprise,

l’avancement sur lequel il comptait52.

Il comptait sur son avancement, à la fin de l’année et il avait repris, dans cet

espoir, sa vie laborieuse d’employé modèle. Il n’eut qu’une gratification de rien du

tout, plus faible que les autres53.

Au jour de l’an il fut nommé commis principal54.

L’excès d’indication temporelle rend confus le lecteur, au point qu’il en

perdrait la notion du temps. L’histoire débutant en fin décembre, le jour de

l’avancement des employés, cette action sert de repère sur la ligne

temporelle. À chaque mention de l’évènement annuel, le lecteur se

repositionne temporellement dans l’histoire. « Il [Maupassant] marque

toujours clairement la progression temporelle de ses récits, que ce soit par

référence au temps objectif de l’Histoire (le siège de Bézières dans

“ Tombouctou”…), du calendrier (la sainte Pétronille dans « Une partie de

campagne »), au temps cyclique des saisons, à l’alternance du jour et de la

52 Guy de Maupassant, L’Héritage, op.cit., p.38. 53 Ibid., p.64. 54 Ibid., p.96.

Page 44: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

44

nuit, ou à l’âge des personnages »55. Dans le téléfilm de L’Héritage,

Heynemann utilise aussi le jour des avancements comme référence

temporelle. Au début de l’histoire le narrateur s’adresse au public et le met au

courant de ce rituel annuel :

C’était en effet la coutume qu’à l’approche de l’épiphanie, dans la première

semaine de janvier, tout le ministère de la marine se mobilisait par la perspective des

avancements et des gratifications qui les accompagnés. (01 :19)

Avec la distribution des avancements sous forme de petites enveloppes, le

narrateur n’a plus besoin de donner autant d’explications :

Une année s’écoula. Le jour de l’an revint avec la traditionnelle cérémonie

des enveloppes. (19 :46)

Ayant déjà informé l’évènement annuel, le narrateur ne se prononcera plus

lors de la troisième apparition des enveloppes (31 :10), car le spectateur

reconnait déjà cette action comme une indication temporelle.

Dans Le Petit fût, Chabrol, qui fait la mise en scène, se sert d’une

pomme tombant de son arbre pour indiquer le temps. La première fois, la

caméra suit le trajet de la pomme qui vient se poser sur l’herbe. La caméra se

fixe sur le fruit et une courte phrase vient s’inscrire sur l’écran: « Et le temps

passe… » (15 :10).

55 A. Fonyi, P. Glaudes, A. Pagès, Relire Maupassant, La Maison Tellier, Contes du jour et de la nuit, op.cit., p.142.

Page 45: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

45

Vers la fin de l’histoire, la même action se reproduit mais cette fois sans

information sur l’écoulement du temps (26 :08). Le spectateur en déduit

qu’une année c’est au moins écoulée depuis la première indication

temporelle.

L’ellipse peut aussi servir de clôture, désignant la moralité de l’histoire.

Dans La Parure, Mme Loisel, fille de famille modeste, désire une vie qu’elle

ne peut s’accorder. Cependant, elle et son mari sont invités à une fête

prestigieuse comme elle a toujours rêvé. Désireuse de paraître la plus belle,

elle emprunte à une riche amie « une rivière de diamants » qu’elle perdra le

soir même de la fête. Pour racheter un pareil bijou et le remplacer sans que

personne ne le sache, le couple devra s’endetter pour dix ans. Pendant ces

dures années, ils devront travailler sans relâche en vivant dans la misère et la

pauvreté. L’avant dernier paragraphe de l’histoire se termine par une série de

questions moralisantes.

Que serait-il arrivé si elle n’avait point perdu cette parure ? Qui sait ? qui

sait ? Comme la vie est singulière, changeante ! Comme il faut peu de chose pour

vous perdre ou vous sauver !56

Maupassant pourrait clôturer son aventure sur cette fin qui, en elle-même,

apporte la morale attendue de l’histoire. Cependant il pousse le tragique

56 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, op.cit., p.461.

Page 46: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

46

jusqu’au bout en révélant l’ironie du sort de cette femme, « victime» de ses

rêves. Il ajoute, alors, un dernier paragraphe décrivant un événement qui se

passera quelques années plus tard, une rencontre décisive et cruelle pour la

protagoniste. Mme Loisel retrouve Jeanne Forestier sur les Champs-Élysées,

maintenant que l’argent emprunté a totalement été remboursé. Elle peut enfin

lui raconter toute l’histoire. Malheureusement pour elle, son amie lui annonce

que la parure prêtée ce soir là n’était en fait qu’une fausse qui ne valait pas

plus de cinq cents francs. L’histoire s’arrête brusquement sur les paroles de

Jeanne Forestier. Maupassant ne nous montre pas comment cette réalité

affecte Mathilde. Sûrement son sourire « d’une joie orgueilleuse et naïve »

s’effondrât pour laisser place à un visage dévasté. L’auteur se repose sur le

sentiment d’empathie de son lecteur pour le laisser imaginer la douleur

ressentie par Mathilde.

Grâce à la technique de l’ellipse, Maupassant offre une deuxième fin à

son histoire, qui accentue l’aspect tragique de l’œuvre. Il berne son lecteur en

lui présentant une première fin, qui est en elle-même déjà tragique, mais de

par sa maitrise narrative, lui incorpore une ironie qui dramatise encore plus

son œuvre. La véritable tragédie ne se trouve pas dans les dix années de dur

labeur des Loisel mais dans la futilité de leur action.

III. Les référents temporels

Outre l’évocation du temps par la démarche narrative, il existe des

empreintes temporelles sur certains objets qui constituent des éléments

adjuvants de la narration. La pendule et la montre sont privilégiées, étant par

définition des signes temporels. Dans Histoire d’une fille de ferme, après que

le Maitre ait demandé la main de Rose, trop tracassée, la jeune fille n’arrive

pas à dormir.

Ses terreurs grandirent, et chaque fois que dans le silence assoupi de la

maison la grosse horloge de la cuisine battait lentement les heures, il lui venait des

sueurs d’angoisse57.

57 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, op.cit., p.34

Page 47: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

47

L’horloge a une utilité inversée. Son rôle n’est pas de montrer l’écoulement du

temps mais plutôt les heures qui ne passent pas. Accompagnée de l’adjectif

« lentement » l’horloge est ici un outil de ralentissement du temps. Ce jeu,

produit par le tic tac de l’horloge, se synchronise avec les battements du cœur

de Rose et reflète son angoisse.

L’horloge n’est pas l’unique objet temporel utilisé par l’auteur. Comme

le fait remarquer Helms-Maulpoix « Un autre objet, plus inattendu, joue un

rôle très important dans la perception de l’écoulement inéluctable du temps

chez Maupassant. Il s’agit du miroir, bien souvent associé à la prise de

conscience d’une brutale dégradation »58. Cet objet n’est pas présent dans le

récit des nouvelles étudiées, cependant il n’a pas été mis de côté par Claude

Chabrol, qui l’incorpore dans sa version de La Parure. Absent de la nouvelle,

il possède dans le film cette même importance que lui a donnée Maupassant.

Mathilde Loisel après dix années de dur labeur, n’est plus la belle jeune

femme d’avant. Elle se regarde dans son miroir et se revoit jeune et belle.

« Les personnages maupassantiens ont une mémoire riche, très sensible, qui

ne demande qu’à être réactivée par le biais de sensations nouvelles.

Cependant, la réminiscence est rarement heureuse : le plus souvent, c’est à

une comparaison douloureuse des époques qu’elle donne lieu »59. Le miroir

sert donc d’intermédiaire entre les deux époques. Il est la punition de

Mathilde, qui, à travers son reflet, pose son propre regard jugeur.

Une autre scène remarquable du film est celle des allers-retours, sous

les piliers des arcades de la rue, que Mathilde parcourt durant ses dix années

pour se rendre à son travail. Cette scène résume en un montage la narration

en mode itératif de la nouvelle :

Elle connut les gros travaux du ménage, les odieuses besognes de la

cuisine. Elle lava la vaisselle, usant ses ongles roses sur les poteries grasses et le

fond des casseroles. Elle savonna le linge sale, les chemises et les torchons, qu’elle

58 A. Fonyi, P. Glaudes, A. Pagès, Relire Maupassant, La Maison Tellier, Contes du jour et de la nuit, op.cit., p.143. 59 Ibid., p.140.

Page 48: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

48

faisait sécher sur une corde ; elle descendit à la rue, chaque matin, les ordures, et

monta l’eau, s’arrêtant à chaque étage pour souffler. Et, vêtue comme une femme du

peuple, elle alla chez le fruitier, chez l’épicier, chez le boucher, le panier au bras,

marchant, injuriée, défendant sou à sou son misérable argent. Il fallait chaque mois

payer des billets, en renouveler d’autres, obtenir du temps. Le mari travaillait, le soir,

à mettre au net les comptes d’un commerçant, et la nuit, souvent, il faisait de la copie

à cinq sous la page. Et cette vie dura dix ans60.

Les tâches accomplies par Mathilde ne sont pas précisées dans les

séquences filmiques. Claude Chabrol focalise plutôt sur le découlement

temporel, ainsi que sur l’aspect répétitif « Et cette vie dura dix ans. ». Grâce à

sa mise en scène, il montre l’écoulement du temps et son impact sur la jeune

femme. La caméra suit en travelling61 d’accompagnement le parcours de

Mathilde. Séparé en cinq séquences, le premier plan est un « close up »62 du

visage encore beau de Mathilde. Au fur et à mesure que l’actrice traverse les

arcades de la rue, la caméra s’éloigne de plus en plus, englobant ainsi le

corps complet de Mathilde, permettant aux spectateurs de voir la dégradation

exercée par le temps. « L’image mouvante est une image en perpétuelle

transformation, donnant à voir le passage d’un état de la chose représentée à

un autre état »63. Dans la dernière séquence, la caméra revient de nouveau

sur son visage. L’impact est visible au niveau physique ; les cheveux

grandissent et leurs couleurs tournent au gris. Sa posture corporelle change ;

de la personne fière qui se tenait droite, elle se courbe de plus en plus, pour

terminer recroquevillée sur elle-même. « Toute histoire, toute fiction peut se

réduire au cheminement d’un état initial à un état terminal, et peut être

schématisée par une série de transformations qui s’enchainent »64. De même

qu’on distingue également un changement au niveau matériel. L’habit de

Mathilde subit lui aussi les effets du temps. Agnès Nègre, créatrice des

costumes du téléfilm, explique que : « Pour Mathilde Loisel, nous avons utilisé

trois costumes identiques, mais avec des dégradations. Il fallait surenchérir

60 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, op.cit., p.460. 61 Le travelling constitue un déplacement dans l’espace de l’appareil de prise de vues (Dans M.-T. J., op.cit.) 62 Terme emprunté à l’anglais, qui désigne le gros plan d’un visage par opposition à “insert”, gros plan d’un objet. Ibid. 63 J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet, Esthétique du film, op.cit., p.64 64 Ibid., p.64

Page 49: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

49

les patines et les vieillissements des robes afin que sa déchéance sociale soit

visible à l’image »65. La musique accompagnatrice suit parfaitement le

mouvement temporel. Elle a trois tons différents. Au début la valse est

rythmée et joyeuse. Elle devient part la suite plus lente et triste pour

finalement aborder un ton mélancolique.

Dans le film de L’Héritage, Heynemann mesure le temps au moyen

d’un calendrier où Cachelin y croisera désespérément les mois passés de

l’infertilité du jeune couple. (35 :22) On remarquera aussi que l’année inscrite

sur le calendrier est celle de 1882.

65 Agnès Nègre, «Chez Maupassant(1), Costume de Conte», Extrait du dossier de presse de la série, Télédoc, Le petit guide télé pour la classe [en ligne], 2006-2007, p.3

Page 50: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

50

Nulle part dans l’histoire on ne précise l’année de l’action mais celle-ci

coïncide sûrement avec son époque de parution. Cependant L’Héritage fut

publié en 1884. Il s’agit en fait d’une réécriture de la nouvelle Le Million parue

deux ans avant. Le choix de Heynemann sur l’époque est peut être un

hommage rendu à la première version de l’œuvre ou bien, cela aurait un

rapport avec la restauration en 1884 de la loi autorisant de nouveau le

divorce en France et qui poserait un problème anachronique dans l’histoire

de Maupassant, car cette possibilité, non existante à l’époque de l’écriture,

aurait put être en 1884 une solution au problème de stérilité de Lesable :

Cachelin déclara : « Si seulement on pouvait divorcer. Ça n’est pas

agréable d’avoir épousé un chapon»66.

IV. Le dédoublement du temps

Il est fréquent de trouver dans les nouvelles de Maupassant des récits

emboîtés, où une deuxième histoire prend place dans la diégèse. Nous

démarquerons Le Rosier de madame Husson qui est un parfait exemple de

niveau narratif. Dans un premier niveau extradiégétique, nous avons le

narrateur autodiégétique, Raoul Aubertin, qui raconte l’histoire qui lui est

arrivée en se rendant dans la petite ville provinciale de Gisors. Par la suite les

rôles sont inversés et c’est à son ami le docteur Marambot de devenir le

narrateur homodiégétique. Dans un niveau métadiégétique, il va raconter une

des vieilles histoires de Gisors. « Lorsque le narrateur second (N2) prend la

parole […], il commence toujours par indiquer à ses auditeurs le moment où

se situe l’histoire qu’il est sur le point de leur raconter. Nous passons ainsi

d’un seul coup d’un présent partagé par une communauté à un retour sur un

passé personnel »67. Nous avons donc deux histoires qui se déroulent dans

des époques différentes. Celle où Aubertin visite Gisors et celle où se déroule

l’histoire de Madame Husson. Très fréquemment le docteur Marambot

66 Guy de Maupassant, L’Héritage, op.cit., p.79. 67 A. Fonyi, P. Glaudes, A. Pagès, Relire Maupassant, La Maison Tellier, Contes du jour et de la nuit, op.cit., p.137.

Page 51: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

51

interrompt son histoire pour y mettre une information personnelle, ramenant

ainsi le lecteur à la première époque, soit au niveau extradiégétique.

Avant de se mettre à table, le maire prit la parole. Voici son discours textuel.

Je l’ai appris par cœur, car il est beau : Jeune homme, une femme de bien, aimée

des pauvres […]68.

La légende de madame Husson est en elle-même une histoire que l’on

classerait de classique pour son genre, voir même de prévisible. La réelle

innovation qu’apporte Maupassant à sa nouvelle est la technique de

dédoublement de temps. Avant même que le docteur Marambot ne

commence son récit le lecteur présuppose déjà la fin de la légende.

Tiens, dit Marambot, voilà le rosier de Mme Husson. Je fus très surpris et je

demandai : « Le rosier de Mme Husson, qu’est-ce que tu veux dire par là ? » Le

médecin se mit à rire. « Oh ! C’est une manière d’appeler les ivrognes que nous

avons ici. Cela vient d’une vieille histoire passée maintenant à l’état de légende, bien

qu’elle soit vraie en tout point69.

Maupassant ne cherche pas à surprendre son lecteur avec une fin inattendue,

car il lui donne déjà, dès le début, toutes les informations nécessaires pour en

déduire son aboutissement. L’auteur aurait pu se contenter de raconter

uniquement l’histoire du rosier de madame Husson, mais il se serait limité au

simple rôle de conteur. Or, l’alternance des narrateurs, situés dans des

époques différentes, montre les étapes que suit une histoire réelle jusqu’à sa

transformation finale, celle de légende. Maupassant s’intéresse au procédé

de création des contes et des légendes et plus précisément à leur genèse.

L’histoire réelle d’Isidore, à force d’être racontée, devint une anecdote qui

passa ensuite au statut de légende : « Cela vient d’une veille histoire passée

maintenant à l’état de légende, bien qu’elle soit vraie en tout point »70. Il existe

probablement à Gisors plusieurs versions de la légende du Rosier de

madame Husson. Celle racontée par le docteur Marambot est sûrement la

plus proche de la véritable histoire. Étant présent lors de la mort d’Isidore, il

68 Guy de Maupassant, Le Rosier de madame Husson, op.cit., p.26. 69 Ibid., p.19. 70 Ibid., p.19.

Page 52: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

52

est l’une des dernières personnes de Gisors à pouvoir prouver la véracité de

l’histoire de madame Husson. Il cherche à maintenir l’aspect réel de son

histoire et à prouver son authenticité ; il exerce une fonction testimoniale. Il

commence son histoire en précisant que sa version possède les noms

d’origine : « Tu sais, je te dis les noms véritables et pas des noms de

fantaisie »71. Certainement, la version racontée par les villageois de Gisors

est différente de celle du docteur Marambot. La collectivité a souvent

tendance à influencer et retravailler une histoire, de manière qu’une œuvre

n’est jamais pareille quand elle est racontée par un autre narrateur. Nous

savons également que l’histoire du Rosier de madame Husson se propagea

et fut racontée comme anecdote dans les régions voisines :

Sa réputation d’ivrogne devint si grande, s’étendit si loin, qu’à Évreux

même on parlait du Rosier de Mme Husson, et les pochards du pays ont

conservé ce surnom72.

Il est évident que la polyphonie est un élément crucial de la

contribution des divers conteurs de l’histoire de Madame Husson, mais il faut

aussi prendre en compte que toute personne est positionnée temporellement

à l’histoire qu’elle raconte. L’époque dans laquelle elle se trouve caractérise

sa vision du monde et influence sa focalisation. Le docteur Marambot qualifie

l’histoire de madame Husson « d’histoire drôle », mais l’était-elle au départ ?

On pourrait supposer qu’au tout début, les villageois de Gisors racontaient

cette histoire comme mise en garde contre l’excès des plaisirs.

L’auteur cherche à exprimer à travers l’alternance des narrateurs et

des époques, le processus de création d’un conte. Comment l’aspect réel de

toute chose peut passer à son tour à l’état de fiction et comment une œuvre

survit à travers les âges. Dans le film de Dennis Malleval, il n’y a pas le

niveau extradiégétique où se déroule l’histoire de Raoul Aubertin et du

docteur Marambot. Le film débute avec le niveau métadiégétique de la

71 Ibid., p.19. 72Ibid., p.32.

Page 53: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

53

nouvelle ; l’histoire du Rosier de Madame Husson. Par ce choix nous perdons

tout du jeu temporel qui faisait l’originalité de la nouvelle.

D’un autre point de vue, on pourrait voir dans le choix de Malleval, le

résultat attendu de Maupassant sur ses lecteurs, qui n’est autre que la

contribution à la construction d’un conte. De nos jours, les contes et légendes

sont écrits, mais à l’origine ils étaient transmis oralement. Dû à leurs formes

instables et à la pluralité des voix narratives, les œuvres d’origine ne restaient

jamais identiques. Maupassant, avec sa nouvelle, a voulu faire un renvoi à la

forme orale des contes et légendes. Bien que l’œuvre soit écrite, presque tout

le récit est un discours rapporté. Malleval, en produisant sa version du Rosier

de Madame Husson, collabore à la continuité de l’œuvre dans le temps.

L’histoire du téléfilm est fort ressemblante à celle de Maupassant mais avec

quelques différences et touches personnelles. Nous avons déjà

cité l’effacement de Raoul Aubertin et du docteur Marambot, nous pouvons

noter en plus, la caricature des personnages de la nouvelle qui sont dans le

téléfilm encore plus grotesques. À la trouvaille de son Rosier, Madame

Husson agit comme un enfant et danse en chantant dans son salon. Certains

changements sont attendus dans la transposition d’une œuvre car il faut

qu’elle s’adapte à sa nouvelle forme acquise au fur des années. Sans oublier

qu’il s’agit d’une œuvre manipulée sur laquelle s’exerce la collectivité

créatrice et donc laisse une marque du passage de la polyphonie.

Page 54: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

54

DEUXIÈME PARTIE

Page 55: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

55

FOCALISATION ET REPRÉSENTATION

La procédure à suivre pour toute adaptation filmique d’une œuvre

littéraire, est de s’assurer que celle-ci soit bien saisie dans sa totalité. La

compréhension de l’histoire et des thèmes qui y sont traités ne sont pas

suffisants pour interpréter une œuvre. La particularité d’un auteur repose

notamment dans la structure de son texte, autrement dit dans sa forme

narrative. L’analyse narrative permet de déceler les éléments cruciaux de

l’œuvre mais aussi de distinguer les procédés utilisés par l’auteur afin

d’orienter la lecture. La question du rôle du narrateur a souvent été posée :

Qui est le narrateur ? Qui voit ? Qui parle ? Le degré d’implication du

narrateur n’est jamais le même d’une œuvre à une autre. On pourrait penser

que son rôle est uniquement de raconter l’histoire, tel un narrateur à la

focalisation externe, qui se contente de décrire la conduite du personnage,

ainsi que le décor qui l’entoure, sans se soucier de son état d’âme et n’exerce

aucun pouvoir d’influence sur la lecture de son public. Étant proche de la

vision de la caméra, la représentation filmique ne pose ici aucun problème.

Cependant l’originalité des nouvelles de Maupassant, repose sur leurs formes

narratives et sur la participation du narrateur, lui donnant parfois un tel

pouvoir, que l’histoire racontée par un autre narrateur serait totalement

différente. Gérard Genette explique que :

La “représentation”, ou plus exactement l’information narrative a ses

degrés ; le récit peut fournir au lecteur plus ou moins de détails, et de façon plus ou

moins directe, et sembler ainsi se tenir à plus ou moins grande distance de ce qu’il

raconte ; il peut aussi choisir de régler l’information qu’il livre, (…) il adoptera ou

feindra d’adopter ce que l’on nomme couramment la « vision » ou le « point de vue »,

semblant alors prendre à l’égard de l’histoire telle ou telle perspective73.

La problématique qui se pose dans une adaptation filmique est la

capacité de la reproduction visuelle de toutes informations textuelles, ce « qui

73 Gérard Genette, Figure III, op.cit., p. 183-184.

Page 56: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

56

n’est formé que de langue, comprend au cinéma des images, des paroles,

des mentions écrites, des bruits et de la musique. Ce qui rend l’organisation

du récit filmique plus complexe »74. Comment interpréter à travers ces

éléments, les pensées ou bien les sentiments du personnage ? Comment

exprimer cette idée de « point de vue » du narrateur à travers une caméra ?

Tout repose sur le montage cinématographique, autrement dit sur

l’assemblage du matériel filmé par la caméra ; le plan.

Le cinéma dispose de la liberté d’organiser les unités minimales – les plans

– en une continuité significative qui ne dépend plus nécessairement de la

représentation de la réalité ou de son évolution dans l’image enregistrée, mais qui

peut au contraire varier selon les différents enchaînements possibles entre les

différentes unités prélevées75.

Ce chapitre se concentrera en majorité sur les techniques filmiques

ainsi que leurs rapprochements avec la notion de focalisation narrative. Il est

cependant préférable de souligner que nous ne nous attarderons pas trop

longtemps sur la notion de narrateur. Bien que cet élément soit essentiel dans

une analyse narratologique, la notion du narrateur n’est pas tout à fait la

même pour le cinéma. D’un point de vue technique, la caméra serait une

sorte de narrateur mais qui retransmet l’histoire à travers des images. Le

plan, qu’elle filme, est son discours cinématographique, elle peut s’exprimer

en se concentrant sur certains éléments dans son champ de vision. Dû à

cette ambiguïté, seule la focalisation de la caméra attirera notre attention

plutôt que sa nature en tant que « conteur-narrateur ».

En outre du montage et des angles de la caméra, les outils

cinématographiques tels : l’éclairage, la musique, le son, les costumes et le

décor, seront aussi pris en compte. Maniés avec habilité, ces éléments

peuvent servir d’indicateur narratif et ainsi fournir des informations

supplémentaires aidant le téléspectateur à une meilleure perception de

l’œuvre.

74 J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet, Esthétique du film, op.cit., p.75. 75 Marie-Claire Ropars-Wuilleumier, Le Temps d’une pensée, Du montage à l’esthétique plurielle, op.cit., p.22.

Page 57: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

57

Nous classerons ces techniques en trois catégories : La fonction

verbale, la fonction picturale et la fonction acoustique.

A. La fonction verbale

I. Le narrateur

Quoique le cinéma ne nécessite pas officiellement de la présence d’un

narrateur, selon le choix du metteur en scène, certains films peuvent être

narrés par une voix qui raconte l’histoire, autrement dit une voix « over ». Ce

terme « est utilisé par certains auteurs pour désigner les sons émis par des

sources n’appartenant pas à la diégèse régissant l’image, constituées en

espace-temps. Les paroles d’un personnage sur des images du passé dont il

fait le récit appartiennent en effet à un autre espace-temps, une autre diégèse

(on les dit quelquefois hétéro-diégétique). À l’inverse, la musique de film ou le

commentaire par une voix n’appartenant pas à un personnage du récit ne

proviennent d’aucune source diégétique (elle sont extra- diégétiques), mais

du discours de la narration »76.

Dans le téléfilm de L’Héritage, l’histoire est racontée par un narrateur

en voix « over » qui se présente à divers moments du film. Cette voix

n’appartenant à aucun personnage de l’histoire, elle est positionnée dans un

niveau extra-diégétique. Cependant son rôle n’est pas à caractère essentiel

au déroulement du téléfilm, son objectif est d’apporter quelques informations

supplémentaires et d’accentuer l’atmosphère comique, en décrivant

ironiquement certaines situations. Il s’exprime toujours par un discours sous

forme plus littéraire que celui prononcé par les personnages. Son monologue

littéraire permet d’établir un lien entre le téléfilm et la nouvelle. Sa présence

n’est donc pas fonctionnelle mais plutôt référentielle.

76 Marie-Térèse Journot, Le Vocabulaire du cinéma, op.cit.

Page 58: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

58

II. Le dialogue

Le dialogue est surement la forme la plus proche que l’on peut

comparer à la fonction établie par le narrateur à focalisation zéro.

L’information, dévoilée par le narrateur-Dieu, est la vérité absolue. Il peut

dévoiler les projets d’un personnage, ses sentiments, ses pensées et même

certaines informations que le personnage lui-même ignore. Bien entendu le

dialogue n’a pas une telle ampleur d’information et un tel effet d’authenticité.

Cependant il est, pour le spectateur, la forme d’information la plus absolue

qu’il soit, car le renseignement est divulgué sous forme de mot prononcé. À

l’inverse des techniques picturales et acoustiques, où l’information peut être

perçue différemment d’un spectateur à un autre (dû à leurs formes

représentatives et symboliques) la forme verbale possède un certain degré de

certitude vis-à-vis de l’information divulguée. Quand le personnage s’adresse

à quelqu’un et lui dit « Je suis enragé » l’authenticité de sa déclaration est

absolue, car elle est exprimée par le personnage concerné. Le choix du

qualificatif fournit une information nette de son état d’âme, le personnage

n’est pas fâché, ni énervé ; il est enragé. Si le personnage ne déclare pas ses

sentiments verbalement, il pourra toujours les exprimer par les expressions

de son visage, mais ce sera au téléspectateur de découvrir le sentiment

représenté.

En outre des sentiments, le dialogue peut aussi divulguer une idée

exprimée par un personnage. Dans la nouvelle L’Héritage, Cachelin cherche

un moyen d’inviter Lesable chez lui afin de lui présenter sa fille :

N’ayant point eu d’avancement depuis cinq ans, Cachelin se considérait

comme bien certain d’en obtenir un cette année. Il ferait donc semblant de croire qu’il

le devait à Lesable et l’inviterait à diner comme remerciement77.

L’information divulguée est importante car elle nous alerte du piège mis au

point par Cachelin. Dans le téléfilm, Heynemann transforme ce paragraphe

sous forme de dialogue. Il établit une situation dans laquelle Cachelin

77 Guy de Maupassant, L’Héritage, op.cit., p. 19.

Page 59: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

59

présente son plan à sa sœur. Il exprime verbalement son intention de

remercier Lesable pour son avancement afin de pouvoir l’inviter à diner. De

cette manière le spectateur est au courant de la manigance qui suivra par la

suite et s’amusera de la stupidité de Lesable qui ne s’en rendra pas compte.

Des nombreuses d’adaptations filmiques ont recours à la transposition

d’un discours narrativisé sous la forme d’un dialogue. Les metteurs en scènes

en viennent même à inventer des personnages supplémentaires pour que la

conversation puisse avoir lieu. Une autre possibilité est d’utiliser un

personnage secondaire en lui attribuant un plus grand rôle. Dans le téléfilm

Histoire d’une fille de ferme, Denis Malleval donne une plus d’importance à la

femme qui s’occupe du bébé de Rose. En plus d’être la nourrice, elle écoute

Rose lui raconter ses problèmes et lui dévoiler ses sentiments. La fonction

que remplit ce personnage est celle d’intermédiaire entre Rose et le public, il

s’agit d’un personnage-confident.

III. Le monologue

La présence de deux protagonistes n’est pas obligatoire pour exprimer

les réflexions d’un personnage. Il existe une autre technique verbale capable

de remplir le même rôle ; il s’agit du monologue. Le statut individuel qu’offre le

monologue peut contribuer à une plus grande originalité, d’un point de vue

créatif, que celui du dialogue. Une bonne maitrise de la technique peut

apporter à l’œuvre une variante dans le domaine de la forme narrative.

Il existe plusieurs manières d’introduire le monologue dans un film. La

première, la plus classique, est celle représentant la pensée intérieure. Dans

ce cas, l’acteur exprime ses sentiments à haute voix. Dans la nouvelle Le

Petit fût, la mère Magloire est soucieuse de l’offre que lui propose Prosper

Chicot ; le narrateur décrit ses sentiments :

La mère Magloire demeura songeuse. Elle ne dormit pas la nuit suivante.

Pendant quatre jours, elle eut une fièvre d’hésitation. Elle flairait bien quelque chose

de mauvais pour elle là-dedans, mais la pensée des trente écus par mois, de ce bel

argent sonnant qui s’en viendrait couler dans son tablier, qui tomberait comme ça du

Page 60: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

60

ciel, sans rien faire, la ravageait de désir. Alors elle alla trouver le notaire et lui conta

son cas78.

La vieille dame passe par plusieurs état d’âmes, elle est d’abord hésitante,

puis soucieuse et ensuite tentée. Les variantes de sentiments étant trop

nombreuses, l’actrice du téléfilm, Chelton Tsilla, n’aurait pas pu les réaliser

uniquement par les expressions de son visage. Un tel objectif aurait entrainé

le spectateur dans la confusion. Vivant toute seule et n’ayant personne à qui

demander conseil, le metteur en scène, décide d’utiliser le monologue pour

introduire les doutes et les peurs ressenties par la vieille dame. La mère

Magloire, couchée dans son lit, est perdue dans ses calculs et n’arrive pas à

dormir :

Trente écus chaque mois ! Ça fait à l’année …trois-cent-soi…, si ! Non, si !

Trois-cent-soixante écus l’an. Si j’vis encore six …, non huit années. Ça m’frait

heu…ça frait deux-mille-huit-cent et quelque. Mmm…, fait point un compte cet’

affaire. Ho j’vais bien t’nir encore dix ans. Ça frait trois-mille-six-cent. Trois-mille-six-

cent écus ! (Le monologue s’arrête brièvement mais reprend le lendemain matin

comme une continuité du monologue de la séquence précédente). Au mais j’y suis !

S’il me donne trente écus c’est que mon bien il vaut plus. Ho ho ho, qué filou ce

Prosper ! J’vais l’dire au notaire, trente écus c’est point assez. Ho ho ! Le filou … et le

notaire aussi ! (07 :03)

En comparant le discours indirect du narrateur de la nouvelle et le monologue

de la mère Magloire dans le téléfilm, il est évident que leur fonction de base

est la même : ils fournissent aux lecteurs-spectateurs des informations sur

l’humeur du personnage. Dans les deux cas les renseignements donnés sont

perçus comme la vérité absolue : d’une part ils sont contés par le narrateur-

Dieu et de l’autre par le personnage concerné.

Dans Histoire d’une fille de ferme, après plusieurs années de dur

travail, Rose envisage de demander une augmentation à son maitre :

On acceptait son travail forcé comme une chose due par toute servante

dévouée, une simple marque de bonne volonté ; et elle commença à songer avec un

78 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, op.cit., p.148.

Page 61: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

61

peu d’amertume que si le fermier encaissait grâce à elle, cinquante ou cent écus de

supplément tous les mois, elle continuait à gagner ses 240 francs par an, rien de

plus, rien de moins. Elle résolut de réclamer une augmentation79.

Dans le téléfilm de Denis Malleval, Rose récite son texte préparé à l’avance

afin que sa demande soit bien exprimée :

Vous êtes point mécontent de moi not’ maitre, j’vous fais point perdre votre

temps ni votre argent, j’crois bien même que j’vous en fais gagner. Alors j’me suis dit

comme ça que celui qui fait la besogne de trois personnes, il mérite p’être bien d’être

payé pour deux… C’est pas respectueux, il va être fâché… Vue que je vaux bien trois

servantes comme vous m’avez dit l’autre jour,… vous pouvez peut être faire un petit

quelque chose pour mes gages. (21 :57)

Il s’agit d’une auto-récitation du discours que Rose s’apprête à prononcer au

fermier. Elle veut entendre la sonorité de son texte, ce qui fait d’elle le

récepteur de son monologue. Le metteur en scène a introduit ce procédé

dans une situation où il est tout à fait plausible qu’une personne seule ait

besoin de s’exprimer oralement. Etant en train de se préparer, Rose se

regarde dans le miroir tout en continuant de parler. Ce dédoublement de sa

personne, par l’intermédiaire du miroir, intensifie l’importance du monologue,

car celui-ci recherche absolument un auditeur.

En terme général, le monologue est un discours auto-adressé qui n’a

pour auditeur que le spectateur. Bien que ce soit généralement le cas,

certaines œuvres établissent une situation qui présuppose la présence d’un

auditeur ; il s’agit du cas de la prière. Dans le téléfilm Le Rosier de madame

Husson, Mme Husson, tracassée de n’avoir toujours pas trouvé de rosière,

s’adresse au portrait de son défunt mari. Son regard va ensuite se poser sur

le crucifix situé à côté. Elle décide de s’adresser au Christ pour sa requête et

le monologue devient alors une prière.

79 Ibid., p.31.

Page 62: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

62

La prière est aussi présente dans le téléfilm Histoire d’une fille de ferme.

N’arrivant pas à avoir d’enfant, Rose et son mari partent en pèlerinage.

Devant la statue de la Sainte Vierge, Rose se met à prier. Dans ses paroles

se trouvent toutes ses craintes de ne point pouvoir rendre son mari heureux.

En visualisant la scène, le spectateur prend conscience du mal qui ronge la

jeune fille. Ne pouvant avouer l’existence de son enfant, elle ne peut

convaincre son mari que le problème de fertilité ne vient pas d’elle. Rose

étant prise au piège par l’ironie du destin, cette fatalité crée chez le spectateur

un sentiment de compassion.

Le monologue étant considéré comme une technique théâtrale, son

utilisation dans le cinéma est moins fréquente mais pas pour autant

inappropriée. Cependant elle engendre un dilemme propre au théâtre et qui

ne convient pas au film. « Le propre du discours du théâtre est de dire

d’abord “ Nous sommes au théâtre”. L’énonciation théâtrale est, de ce fait,

toujours impérative. […] Or, il n’en est rien pour le film. On pourrait même dire

que paradoxalement, le propre de la parole filmique est de dire “Nous ne

sommes pas au cinéma”, puisqu’elle s’efforce d’effacer son origine

cinématographique »80. Le problème qu’établit le ralentissement narratif est

qu’il rappelle aux spectateurs qu’ils sont en train de visionner un film et donc

les projette en dehors de l’univers fictif. Cependant, insérés dans un contexte

80 R. Odin, D. Noguez, A. et O. Virmaux, M. Marie, F. Jost, D. Chateau, A. Gardies, F.J. Alebersmeier, Cahiers du 20e siècle, Cinéma et littérature, numéro 9, Paris, Édition Klincksieck, 1978, p.74.

Page 63: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

63

plausible, où le monologue ne perturbe pas le courant narratif du film, les

spectateurs ne seront pas bouleversés par la forme du monologue et pourrait

même accentuer leurs focalisations.

B. La fonction picturale

La forme picturale désigne les informations divulguées à travers

l’image même du film. Le procédé de transposition des renseignements

textuels de la nouvelle en forme d’images pourrait, grossièrement, être divisé

en deux catégories : le champ de vision et le symbolisme.

La première catégorie consiste à regrouper les diverses techniques

filmiques de la caméra qui sont considérées comme une forme narrative. Les

angles, les cadrages et les mouvements émis par la caméra sont en réalité le

produit de sa focalisation. En d’autres termes, il s’agirait du « point de vue »

exprimé par la caméra. « Le panoramique serait l’équivalent de l’œil qui

tourne dans l’orbite, le travelling, d’un déplacement du regard ; quand au

zoom, difficilement interprétable en termes de simple position du supposé

sujet du regard, on a parfois tenté de le lire comme “focalisation” de l’attention

d’un personnage »81.

La deuxième catégorie englobe plutôt l’aspect visuel de l’image. Le

principe est d’utiliser des matériaux picturaux possédant une essence

narrative, dû à leurs formes référentielles. C’est en utilisant le symbolisme de

certains éléments, comme les objets, les costumes, le décor ou bien encore

l’éclairage, que le metteur en scène peut divulguer des informations

supplémentaires au déroulement de l’histoire et même exercer une influence

sur le spectateur.

81 J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet, Esthétique du film, op.cit., p.29.

Page 64: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

64

I. Le codage optique

Une technique très courante au cinéma est celle du close up. Ce terme

désigne le cadrage de la caméra quand celle-ci exécute un gros plan sur le

visage d’une personne. Souvent accompagné d’un zoom in, mouvement de

rapprochement de la caméra, cet effet crée l’illusion que le spectateur est

plongé dans l’âme du personnage. La camera focalise et se concentre

uniquement sur le personnage et les expressions que produisent son visage.

Ce style de mise en scène se rapporterait, en narratologie, à la focalisation

externe ; c'est-à-dire que « le narrateur en sait moins que les personnages. Il

agit un peu comme l’œil d’une caméra, suivant les faits et gestes des

protagonistes de l’extérieur, mais incapable de deviner leurs pensées »82.

Les informations n’étant pas suffisantes, c’est au lecteur-spectateur de

deviner quels sont les sentiments exprimés par le personnage. Le film,

cependant, bénéficie du jeu de l’acteur, qui en fonction de son intensité peut

exprimer plus clairement les émotions.

Dans la nouvelle Le Rosier de madame Husson, le narrateur

intradiégétique, le docteur Marambot, raconte à son ami l’histoire « réelle » de

madame Husson. Bien que les habitants de Gisors connaissent le

déroulement de la mésaventure d’Isidore, le Rosier élu par madame Husson,

ils ne peuvent expliquer ce changement de comportement de sa part et donc

ne peuvent que se poser des questions :

Qui saura et qui pourrait dire le combat terrible livré dans l’âme du

Rosier entre le mal et le bien, l’attaque tumultueuse de Satan, ses ruses, les

tentations qu’il jeta en ce cœur timide et vierge ? Quelles suggestions, quelles

images, quelles convoitises inventa le Malin pour émouvoir et perdre cet élu ?83

À la différence de la nouvelle, dans son téléfilm, Denis Malleval à omis le

passage entre la rencontre de Raoul Aubertin et du docteur Marambot. Cette

différence est importante, car en effectuant une comparaison du public de ces

82 Lucie Guillemette et Cynthia Lévesque (2006), « La narratologie », dans Louis Hébert (dir.), Signo [en ligne], Rimouski (Québec), http://www.signosemio.com/genette/narratologie.asp. 83 Guy de Maupassant, Le Rosier de madame Husson, Paris, Édition Albin Michel, 1988, p.29.

Page 65: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

65

deux œuvres on découvre que ceux-ci ne perçoivent pas l’histoire de la

même manière. Le lecteur de la nouvelle est déjà au courant de la fin ironique

de l’histoire de madame Husson, car le docteur Marambot entame son

histoire à la vue d’un ivrogne. Donc quand le narrateur raconte le passage de

la tentation d’Isidore, le lecteur est concentré sur l’idée du vice qui aurait pu

perturber Isidore. Par l’utilisation de la focalisation externe, Maupassant

pousse son lecteur à faire appel à son désir intérieur, en imaginant les

pensées d’Isidore. C’est en fait son idée du vice qui se reflète dans sa lecture.

Alors que dans le téléfilm, la même scène est perçue de manière différente.

Isidore, après sa soirée bien agitée, rentre totalement ivre chez lui. Plutôt que

de monter se coucher il admire les pièces qu’on lui a offertes. La caméra se

rapproche et une musique enivrante accompagne les expressions émises par

Isidore. Ensorcelé par son or, il tourne son regard vers la caméra, qui est

positionnée en « close up », et un sourire malicieux se forme sur son visage.

Comme pour l’effet produit avec la focalisation externe, le spectateur cherche

à deviner les pensées d’Isidore. Elle crée l’idée d’intrigue dans l’histoire.

Mais le public du téléfilm n’est pas au courant de l’avenir désastreux d’Isidore,

il se doute qu’il va commettre une bêtise et perdre tout son or mais il

n’imagine pas l’ampleur des dégâts que celle-ci causera dans sa vie.

Le lecteur de la nouvelle est appelé à réveiller son vice intérieur alors

que le spectateur du téléfilm imagine une situation catastrophique que

pourrait commettre Isidore mais ne se met pas pour autant à sa place. Il faut

Page 66: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

66

noter qu’à cause des époques différentes, les deux œuvres ne s’adressent

pas à un même public. Le téléfilm de Malleval est destiné à divertir son

public ; il s’agit d’une comédie familiale. Alors que Maupassant, qui avait une

opinion négative sur les gens de son époque, utilise sa nouvelle de façon

plutôt malicieuse en s’attaquant discrètement à son lecteur qui, se voit

réveiller son vice intérieur.

Le close up est très souvent utilisé dans les scènes dramatiques. Le

cadrage de la caméra étant fixé sur le visage du personnage, il intensifie

l’importance des sentiments exprimés. Ce cadrage sert à mettre le point sur

l’émotion produite par l’événement dramatique. Dans le téléfilm Histoire d’une

fille de ferme, après que le fermier ait fait sa demande en mariage, Rose est

paniquée par cette annonce dont elle ne sait comment réagir. La caméra

produit un mouvement de rapprochement et achève sa course sur le visage

de Rose. N’ayant aucun autre élément visible dans le champ de vision,

l’attention du spectateur est uniquement concentrée sur Rose. La durée de la

séquence marque l’importance de l’événement dans l’histoire. Dans la

nouvelle, ce passage est marqué par une narration qui révèle les sentiments

ressentis par Rose :

Rose, ne se coucha pas cette nuit-là. Elle tomba assise sur son lit, n’ayant

plus même la force de pleurer, tant elle était anéantie. Elle restait inerte, ne sentant

plus son corps, et l’esprit dispersé, comme si quelqu’un l’eut déchiquetée avec un de

ces instruments dont se servent les cardeurs pour effiloquer la laine des matelas84.

La technique du close up n’est pas capable de fournir autant d’informations

que le discours du narrateur zéro. Elle peut cependant marquer une

insistance narrative dans le film et ainsi accentuer l’importance de la scène.

Le close up est sûrement la technique la plus adéquate pour exprimer les

sentiments des personnages sans avoir à utiliser la parole.

Le cinéma a souvent recours à l’insert, comme technique de

focalisation. Il s’agit d’un gros plan de la caméra, fixant un objet, dont la

84 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, op.cit., p. 33-34.

Page 67: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

67

présence jouera un rôle essentiel dans le déroulement de l’histoire. L’insert

peut assumer plusieurs rôles narratifs ; tout dépend de la signification de

l’objet désigné. Sans pour autant être symbolique, l’objet prend de

l’importance. Étant donné que la caméra a choisi de démarquer ce détail, elle

montre qu’il aura un rôle à jouer dans la suite de l’histoire.

Dans le téléfilm Le Petit fût, Chabrol introduit l’histoire dans un champ

de pomme où l’on y voit la fine s’y préparer. L’action principale débute dans la

deuxième séquence, avec la présentation de Chicot dans son auberge. Le

passage à la deuxième scène se fait à travers un insert ; un gros plan d’un

petit verre que la serveuse remplit.

Dès le commencement, Chabrol introduit l’un des thèmes principaux

de l’histoire : l’alcool. Inconsciemment, le spectateur entre en contact avec

l’élément qui causera la mort de la mère Magloire. Le public prendra note de

l’importance du rôle de l’alcool puisque, à chaque apparition de la fine, la

caméra filmera toujours le verre en gros plan. La scène, où la mère Magloire

est invitée à l’auberge de Chicot, possède un enchainement important de gros

plans. À chaque fois que l’aubergiste verse à boire à la vieille dame, son verre

est toujours filmé en insert. Il en va de même quand il lui offre un petit fût lors

de sa visite à la ferme ou bien quand il sert ses clients. En utilisant

répétitivement la même technique, désignant le même objet, nous avons une

fréquence événementielle, rappelant en narratologie le mode répétitif. C'est-à-

dire que l’on raconte plusieurs fois un même événement. Dans le cas du

Page 68: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

68

téléfilm c’est le thème de l’alcool qui est récurrent et le spectateur s’aperçoit

de son importance du fait de la répétition de la même technique filmique. On

retrouve cette même pratique dans le téléfilm de Heynemann : L’Héritage. À

deux reprises dans l’histoire, la caméra filme en gros plan un calendrier où

Cachelin y barre les mois écoulés. De la même manière l’insert souligne

l’importance du temps, un des thèmes éminents de l’histoire.

L’insert peut aussi désigner des éléments secondaires, apportant à

l’histoire ou à un personnage, plus de profondeur. Dans Le Rosier de

madame Husson, l’abbé est invité chez madame Husson pour leur partie de

crapette hebdomadaire. Pour l’occasion, Françoise, la bonne, a préparé une

brioche que l’abbé Malou dévore presque à lui tout seul. C’est à travers le

gros plan de l’assiette vide, que Malleval indique l’écoulement du temps et

fournit des éléments déductifs envers l’abbé. L’insert peut introduire un objet

qui est associé à une personne, cherchant à démarquer certaines

caractéristiques de la personnalité du personnage. Dans le cas de l’exemple

cité, nous pouvons en déduire que l’abbé est une personne gourmande qui

cherche des excuses pour justifier ses actions : « J’ai rien mangé à midi,

Céleste était malade». Cette petite information n’est pas très utile à

l’histoire mais elle renforce l’image grotesque de l’abbé, caricaturant

d’avantage son personnage.

Une technique intéressante est celle de la caméra subjective, car elle

répond à la question de l’instance narrative : « Par qui perçoit-on ? ». Elle

établit un lien plus intime avec les personnages du film, donnant à la caméra

un certain degré d’implication. « Ce procédé met la caméra à la place

occupée par un personnage, de sorte que le spectateur a l’impression de

percevoir ce que perçoit le personnage. En narratologie, on l’appelle

focalisation interne (Genette) ou ocularisation interne (Jost) »85. En filmant le

champ de vision d’un personnage et non de la caméra, le point de vue

devient alors plus personnel, car il est relié à quelqu’un de bien précis. Dans

le téléfilm Le Rosier de madame Husson, Malleval utilise cette technique à

85 Voir caméra subjective dans Marie-Térèse Journot, Le Vocabulaire du cinéma, op.cit.

Page 69: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

69

plusieurs reprises. Lors de la scène où madame Husson, installée dans son

fauteuil, lit le nom des prétendantes pour la Rosière, la caméra filme le papier

qu’elle tient dans ses mains. Dans son autre main, elle tient une paire de

lunette qu’elle utilise comme loupe. La caméra suit le mouvement des

lunettes et se concentre sur les noms qui sont visibles à travers les verres.

Chaque nom apparaissant est supposé être celui que madame Husson est en

train de lire.

Par moment elle s’arrête, et la caméra filme la vieille dame en train de

réfléchir à la jeune fille dont le nom est apparu sur la liste, puis reprend sa

lecture. Ce papier, notamment, renvoie directement à l’œuvre de Maupassant

car les noms de Joséphine Durdent, Malivina Levesque et Rosalie Vatinel

sont inscrits dans la liste des prétendantes de la nouvelle.

La caméra subjective peut aussi provoquer une notion d’intrigue dans

l’histoire. Quand madame Husson pense avoir trouvé sa Rosière, elle l’invite

chez elle pour que la couturière lui compose un ensemble pour la cérémonie.

Quand le sujet de la coiffure est abordé, la jeune fille devient stressée. Son

angoisse est ressentie à travers le procédé de la caméra subjective qui, en

premier lieu montre les cheveux de madame Husson et ensuite le regard

intense de la jeune fille.

Page 70: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

70

Le public intrigué, cherchera à comprendre la raison dissimulée derrière son

action. La réponse sera donnée tout de suite après et le spectateur

découvrira que la jeune fille a vendu ses cheveux pour s’acheter une paire de

bottes. Outragée par son action, madame Husson renvoie la jeune fille.

D’autre part, grâce à la caméra subjective, il est réalisable d’avoir le

déroulement de deux histoires simultanées qui se déroulent dans un autre

espace. Dans le téléfilm Histoire d’une fille de ferme, Rose, arrivant trop tard

chez sa mère mourante, n’a pas eu le temps de lui faire ses adieux. Sous le

choc de l’annonce, elle accouche sur place. La mise en scène montre alors

deux scènes qui se déroulent parallèlement. La première est celle de

l’accouchement de Rose. La caméra se contente de filmer la scène en

procédant par quelques « close up » pour montrer la douleur ressentie par

Rose. Dans ces rapprochements filmiques, on distingue que le regard de

Rose est tourné vers la fenêtre. À travers le procédé de la caméra subjective,

on voit le cercueil de la mère de Rose être emporté par des hommes. Il s’agit

de la deuxième histoire qui est observée par le regard de Rose. La caméra

est tremblante afin d’intensifier le lien entre la caméra et le regard de Rose.

Cet effet a pour but d’accentuer le ton dramatique de la scène en créant une

bipolarité ; la vie et la mort sont présentes au même moment.

Page 71: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

71

L’utilisation du procédé de la caméra subjective est une technique

narrative de focalisation du personnage. Le point de vue désigné étant

supposé représenter celui d’un personnage et non celui de la caméra. Cette

technique équivaudrait, en narratologie, à la focalisation d’un narrateur

homodiégétique.

Un procédé d’introduction fréquent est celui de l’establing shot. Cette

prise de vue assez large de la caméra englobe la majorité de l’espace où se

déroule la scène. Cette technique est généralement située au début d’une

nouvelle séquence et permet aux spectateurs de prendre conscience de l’état

des lieux. Elle correspond en narratologie à la pause descriptive, qui elle

aussi, est fréquemment située au début d’un changement d’action. Ayant déjà

parlé de la thématique de l’espace, nous ne nous attarderons pas trop sur

cette technique. Nous situerons seulement quelques exemples qui

éclaircissent cette notion de l’establing shot :

Page 72: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

72

La Parure

L’appartement de Jeanne Forestière où débute l’histoire

Le Rosier de

madame Husson

Le téléfilm débute avec un enchaînement de plusieurs

plans du village créant l’illusion que l’on se promène

dans les rues de Gisors.

L’Héritage

La salle à manger des Cachelin est toujours filmée dans

le même angle, la pièce ressemble au plateau d’une

pièce de théâtre.

Histoire d'une fille

de ferme

La ferme du Maitre est montrée sous plusieurs angles

larges.

Le Petit fût

Les champs de pommes qui entourent la ferme de la

mère Magloire.

Au Bord du lit

La salle du petit déjeuner, le lendemain de la dispute du

couple.

II. De l’objet concret à la perception symbolique

Le symbolisme exprimé par des objets est en lui-même une étude

assez large et qui n’est pas vraiment en relation avec une analyse narrative.

Néanmoins certains éléments peuvent être perçus comme une forme

d’information qui renvoie à un événement qui se déroulera dans l’avenir.

Proche du principe de la narration antérieure, qui consiste à raconter un

événement qui se déroulera dans le futur, cette forme cherche à accentuer

l’intérêt du lecteur. L’information transmise peut être présentée de manière

évidente ou bien sous forme de sous entendu. C’est au lecteur de se montrer

attentif afin de percevoir ces éléments, qui parfois ne sont visibles que dans

une rétro-lecture.

Page 73: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

73

Cependant il n’est pas habituel chez Maupassant d’utiliser la narration

antérieure, quant aux téléfilms étudiés, il n’y en a que très peu qui possèdent

des objets symboliques qui renvoient au futur.

Nous retiendrons malgré tout « la pomme », qui apporte aux téléfilms

Le Petit fût et Le Rosier de madame Husson, une indication antérieure. Dans

les deux cas, la pomme symbolise l’alcool dans sa forme première. Cet

élément joue un rôle important au déroulement de chacune des histoires, car

le téléspectateur possède déjà les éléments cruciaux de l’œuvre. Les champs

de pommes qui sont constamment filmés dans Le Petit fût indiquent

l’importance qui sera accordée à l’alcool. Quand à la pomme qui tombe de

l’arbre, elle symbolise la mort à venir de la mère Magloire. Si la pomme ne

représente pas la mort dans Le Rosier de madame Husson, son image en

reste néanmoins néfaste. « Les pommes que livre Isidore et celles qu’il

renverse en rentrant de la fête servent l’effet de réel et le pittoresque

normand (elles sont l’emblème de la Normandie) ; dans la rencontre avec les

paysannes, les pommes qu’elles placent de façon provocante entre leurs

seins renvoient symboliquement au fruit défendu, à la connaissance du mal

qu’Isidore acquerra à Paris »86.

III. Le reflet du miroir : déclencheur du passé et moyen

d’introspection

Le miroir est un objet symbolique des plus intéressants et qui attirera

grandement notre attention. La particularité qu’apporte son utilisation au

cinéma est qu’il permet de dédoubler l’image du champ de vision de la

caméra qui focalise non pas sur le personnage mais sur son reflet.

L’utilisation du miroir est un renvoi à l’idée du narcissisme et du paraître,

thème très cher à Maupassant qui s’attaque généralement à la société

parisienne du XIXe siècle ; une société du paraître. Nous retiendrons deux

œuvres dans les téléfilms où la technique du miroir joue un rôle exceptionnel ;

86 Laurence Jung, «Chez Maupassant(4), Comédies grinçantes», op.cit., p.3.

Page 74: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

74

La Parure et Au Bord du lit. Il s’agit de deux nouvelles qui expriment

parfaitement l’idée du paraître dans laquelle baigne la société parisienne,

fondée sur les apparences.

La Parure est l’histoire de Mathilde Loisel, une petite bourgeoise,

femme d’employé du ministère, qui aspire à une vie couverte de richesse et

de luxe. Étant une très jolie fille, elle aurait pu facilement être mariée à un

homme riche, malheureusement pour elle, elle fut née dans la mauvaise

classe sociale: « C’était une de ces jolies et charmantes filles, nées, comme

par erreur du destin, dans une famille d’employés »87. Mathilde s’imagine

constamment vivre comme une femme de la haute société, créant un

entêtement qui l’aveugle sur sa propre aisance. Le véritable malheur de

Mathilde ne se trouve pas dans sa position sociale mais au sein de son

narcissisme. Ayant conscience de sa beauté et de l’impact que cet atout joue

sur la société parisienne, elle attend malgré tout à se faire remarquer. Ce

mythe de la splendeur, piège les jolies filles en les laissant croire que seule la

beauté compte pour faire partie de ce monde :

Les femmes n’ont point de caste ni de race, leur beauté, leur grâce et leur

charme leur servant de naissance et de famille. Leur finesse native, leur instinct

d’élégance, leur souplesse d’esprit, sont leur seule hiérarchie, et fond des filles du

peuple les égales des plus grandes riches88.

Il ne serait pas étonnant que Maupassant, connu pour sa joie de vivre en

compagnie des femmes, soutienne le mythe de la beauté féminine. Il n’est

donc pas surprenant que Mathilde, avec sa nouvelle toilette, puisse enrober

l’apparence d’une dame du monde. Bien que Maupassant traite du thème du

narcissisme, il ne pousse pas l’idée plus loin et semble s’intéresser plus à

l’ironie du sort de cette jeune fille qui se retrouve à la fin plus démunie qu’au

début. « Comme il faut peu de chose pour vous perdre ou vous sauver ! »89.

Bien que ce soient les actions de Mathilde qui ont engendré son malheur,

s’en est surtout à la faute de la main du destin, autrement dit le choix de

87 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, op.cit., p.453. 88 Ibid., p.453. 89 Ibid., p.461.

Page 75: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

75

l’écrivain. Mais la question qui se pose est la suivante: « Mathilde aurait-elle

vraiment été sauvée si elle n’avait pas perdu la parure? » Bien qu’étant

resplendissante dans sa nouvelle toilette avec la parure en diamant, Mathilde

ne s’est seulement offert qu’une soirée de bonheur, de rêverie et de

fabulation. Sa position n’a en rien changé, elle a simplement satisfait son

“ego”, rongée par la jalousie éveillée par les autres dames riches :

Elle dansait avec ivresse, avec emportement, grisée par le plaisir, ne pensant

plus à rien, dans un triomphe de sa beauté, dans la gloire de son succès, de toutes

ces admirations, de tous ces désirs éveillés, de cette victoire si complète et si douce

au cœur des femmes90.

La narration de la nouvelle est en majorité centrée sur Mathilde et souligne

surtout son extase envers elle-même. La jeune fille est constamment

préoccupée par son apparence et par le luxe qui l’entoure. Son histoire

personnelle pourrait être comparée au mythe de Narcisse, car c’est

l’excessive contemplation de sa personne qui causa sa perte.

L’idée du narcissisme est plus poussée dans le téléfilm de Claude

Chabrol ; c’est grâce à l’utilisation du reflet du miroir que le metteur en scène

établit une technique narrative focalisée sur le personnage même ainsi que

son ego. Il y a un grand nombre de miroirs qui apparaissent tout au long du

téléfilm ; tels les grands miroirs dans le salon de Jeanne Forestier, ceux de la

salle de réception du bal, mais aussi chez les Loisel, où presque toutes les

pièces sont décorées d’un miroir. Le sujet du narcissisme est fortement

imprégné dans l’œuvre, le jeu du paraître est tellement présent que certaines

actions ne sont uniquement visibles qu’à travers le reflet du miroir. Après que

Jeanne Forestier ait exposé ses multiples bijoux, elle se lève pour aller

chercher la parure en diamant. La caméra change d’angle et filme le buffet où

repose la boite. Un miroir est accroché au mur et on distingue clairement,

dans le reflet, Mathilde assise sur le divan, admirant les bijoux que son amie a

laissé sur la table. La suite de la scène sera filmée à travers le reflet du miroir.

90 Ibid., p.457.

Page 76: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

76

Cette scène, présente dès le début du téléfilm, permet d’introduire

délicatement le thème du « paraître ». Alors que les deux jeunes femmes

tentent de rester élégantes et distinguées, le spectateur descelle la fausseté

de leur action. Jeanne prend un plaisir caché à exhiber ses richesses devant

son amie, moins chanceuse qu’elle et Mathilde cache sa jalousie en restant

modeste devant tant de luxe. « L’image du miroir est un moyen de

représenter le personnage sous forme divisée (conscient/ inconscient) ; il

permet à un aspect ou une qualité du caractère d’être (spatialement)

démarquée »91.

Le reflet du miroir où se pose le regard de la caméra, devient alors un regard

jugeur qui dévoile l’hypocrisie de l’action. « Le miroir est lui-même un

producteur d’images. Source de réflexion, surface rigide sans laquelle les

choses seraient absorbées dans l’oubli, il nous invite à réfléchir »92. On

pourrait donc classer cet objet come outil filmique de focalisation narrative qui

amène le spectateur à mieux analyser la situation et à desceller la vérité qu’il

y cache.

91 Edward R. Branigan, [Notre traduction], Point of view in the cinema, Mouton Publishers, Berlin,1984, p.128. « The mirror image is a way of representing the character as divided (conscious/ unconscious); it allows one aspect or quality of the character to be (spatially) separated out ». 92 Guy Michaud, Cahiers de l’Association international des études française, volume 11, 1959, p.199, [en ligne], http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/revue/caief

Page 77: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

77

Tel un conte de fée, Mathilde reçoit la chance de pouvoir vivre son

souhait pour une nuit. Elle se voit offrir plusieurs faveurs mais en veut

toujours plus. Tout d’abord son mari lui apportera une invitation pour le bal du

ministère, une soirée dont elle rêvait tant. Celui-ci accepte qu’elle s’achète

une robe de grande valeur et au final son amie lui prête une parure en

diamant. Cette dernière scène se produit dans le salon de Jeanne où

Mathilde s’admire dans le miroir avec la parure. Quand son amie lui annonce

qu’elle peut emprunter le bijou, la jeune femme, remplie de joie, prend son

amie dans les bras. La caméra, ayant toujours le miroir dans son champ,

zoom à l’intérieur du reflet, ne montrant aucun rebord du miroir. (10 :40) Le

reflet devient alors le plein écran et donc le regard direct de la caméra. Cette

scène symbolise le passage du monde réel au monde onirique que Mathilde

aspirait tant. La séquence suivante sera la scène du bal où la jeune femme

sera au comble de ses joies. Ce n’est qu’une fois chez elle, en s’admirant

dans le miroir, qu’elle se rendra compte de la disparition de la parure. C’est

de nouveau à travers le miroir que Mathilde sortira de son rêve et devra

affronter la tragique réalité. D’après Gaston Bachelard « les miroirs sont des

objets trop civilisés, trop maniables, trop géométriques, ils sont avec trop

d’évidence des outils de rêve pour s’adapter d’eux-mêmes à la vie

onirique »93. Quand la caméra utilise le reflet du miroir, elle possède alors une

dualité narrative. La première narration est celle de l’histoire principale,

incorporant tous les personnages et dans un deuxième degré, celle désignant

le point de vue de Mathilde.

93 Gaston Bachelard, L’Eau et les rêves, Paris, Librairie José Corti, 1996, p.32.

Page 78: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

78

La scène du bal, qui précède le passage dans le miroir, est en majorité

focalisée d’après le point de vue de Mathilde. La musique entrainante,

accompagnée du sourire de la jeune femme, montre son bonheur en cette

soirée parfaite. Mais tout n’est pas parfait comme le voudrait Mathilde, la

caméra, qui procède par un regard double, garde un côté satirique de

l’histoire en filmant des éléments que la jeune femme n’a surement pas

remarqués. « Le bal, unique soirée de triomphe, se révèle être fréquenté par

des hommes d’âges »94, d’un unijambiste et de maris endormis.

Tout comme La Parure, la nouvelle Au Bord du lit traite du thème du

« paraître ». L’histoire conte les problèmes conjugaux du comte de Sallure.

Après que sa femme ait découvert ses nombreuses aventures avec d’autres

compagnes, le comte proposa à sa femme d’avoir un mariage libre. Étant

marié par intérêt et non par amour, celui-ci lui fait comprendre qu’elle peut,

elle aussi avoir un amant, du moment que leur relation reste discrète. Le

comte regrettera sa proposition quand il sera pris de jalousie en voyant

d’autres hommes s’intéresser à sa femme et finira par lui avouer son amour

pour elle. La comtesse n’éprouvant plus rien pour son mari, lui propose un

marché. Elle acceptera de nouveau son mari dans son lit, à la seule condition

qu’il lui paie la même somme qu’il dépense pour ses maîtresses.

L’histoire pour son époque est du moins fort choquante, car elle traite

des difficultés conjugales en relation avec les problèmes sexuels du couple.

94 Agnès Lefillastre, «Chez Maupassant(1), Secrets et Mensonges», op.cit., p.3.

Page 79: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

79

La narration du texte tourne vers l’érotisme en décrivant la comtesse comme

tentatrice sexuelle.

Elle ôte son corsage de bal lentement, dégageant ses bras nus et blancs.

Elle les lève au-dessus de sa tête pour se décoiffer devant la glace ; et, sous une

mousse de dentelle, quelque chose de rose apparaît au bord du corset de soie

noire95.

Le lecteur d’époque se retrouve dans une position inconvenante, car l’image

érotique n’est cette fois-ci pas celle d’une maitresse ou bien d’une prostituée,

comme il était d’habitude, mais celle de la femme légitime. On décèle dans la

narration, l’intention de choquer le lecteur. Maupassant veut pointer la

débauche cachée derrière le paraître de la société parisienne et d’une

certaine manière, la comtesse Sallure, avec son marché, en vient à se

prostituer. Cette nouvelle était une comédie satirique cherchant à provoquer.

Mais comment l’œuvre est-elle perçue de nos jours ? L’audace de la

comtesse ainsi que les propos qu’elle porte, bien que déplacés pour son

époque, sont des propos féministes :

- Vous avez avoué, vous m’avez avoué votre liaison, ce qui équivalait à me donner

l’autorisation de vous imiter.

- Nous ne sommes plus rien l’un pour l’autre, n’est-ce pas ? Je suis votre femme,

c’est vrai, mais votre femme – libre.

- Il est bien plus bête, quand on a une femme légitime, d’aller payer des cocottes96.

Le lecteur contemporain sera moins choqué par la situation du couple. Il

percevra l’œuvre plus comme une comédie et ne ressentira pas la perversité

créée par le jeu du paraître. L’idée de la prostitution de la comtesse ne lui

passera peut être pas à l’esprit. Il verra en l’action de la comtesse une forme

de vengeance envers son mari. Étant déjà riche, elle n’a que faire de l’argent

supplémentaire. Elle n’est pas non plus satisfaite à l’idée de rendre son mari

cocu ; non, elle pousse l’humiliation plus loin en mettant son mari dans une

situation des plus inattendues.

95 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, op.cit., p.900. 96 Ibid., p.897-901.

Page 80: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

80

Qu’en est-il de l’adaptation filmique de Jean-Daniel Verhaeghe ? Son

œuvre s’est-elle plus rapprochée du point de vue de l’œuvre originale ou bien

de celui de la vision contemporaine ?

L’œuvre, en tant que telle, respecte parfaitement la nouvelle, à

l’exception de quelques scènes rajoutées telle l’histoire parallèle du couple du

majordome et de la femme de chambre. Cependant l’aspect choquant de

l’œuvre de Maupassant n’est pas vraiment ressenti. Le choix du metteur en

scène est compréhensible, car la série Chez Maupassant étant destinée à un

public plutôt familial, certains thèmes ne sont pas toujours permis d’être

abordés. Néanmoins, Verhaeghe laisse une petite note, presque cachée au

regard inattentif, de cette notion de débauche. Le premier élément est celui

du livre de Nana d’Émile Zola que la comtesse lit et utilise comme référence.

Le deuxième élément est le miroir. Après que le comte de Sallure ait fini par

accepter l’offre de sa femme, il se jette dans son lit et commence à

l’embrasser. La caméra se détache du couple et vient focaliser sur leur reflet

dans le miroir. Au passage elle prend la peine de laisser paraître le livre de

Nana sur la table de chevet :

La caméra, en tournant le regard, crée au public la sensation de pudeur. Le

téléspectateur pense que les débats conjugaux vont rester privés, cependant

quand la caméra filme le reflet ou plutôt le double reflet, car l’on perçoit aussi

celui d’un autre miroir, le spectateur se retrouve en position de voyeur. Le

miroir symbolise une fenêtre cachée que l’on ouvre pour espionner l’intimité

Page 81: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

81

du couple. Par l’utilisation de cette technique, Verhaeghe se rapproche, tout

en restant pudique, de la narration érotique que Maupassant insère dans son

texte pour déstabiliser son lecteur. Le spectateur contemporain, étant moins

choqué par les débats sexuels, le metteur en scène doit d’abord diriger leurs

sentiments vers une idée de pudeur pour pouvoir ensuite toucher leur

sensibilité. Si la scène du lit avait été directement filmée, l’effet attendu

n’aurait pas été ressenti. C’est le reflet du miroir qui crée l’illusion de

voyeurisme et place le public dans une position d’inconvenance.

IV. Le costume adjuvant de la narration

Si à première vue les costumes sont considérés comme des éléments

à caractère esthétique cela ne veut pas dire pour autant qu’ils ne possèdent

pas une double utilité. Le choix de l’habit peut refléter la personnalité de la

personne qui le porte. Le symbolisme qu’il exprime renforce certains aspects

des sentiments du personnage. Bien entendu les renseignements étant

divulgués à travers une image symbolique, ceux-ci peuvent passer inaperçus

sous le regard d’un public inattentif. Pour cette raison l’information que

dévoile le costume n’est pas, en elle-même, nécessaire pour la

compréhension de l’histoire mais elle permet cependant au public attentif

d’avoir une meilleure approche des sentiments exprimés par le personnage.

Agnès Nègre, créatrice des costumes des téléfilms sélectionnés, parle

de la profondeur dans son choix des costumes dans Histoire d’une fille de

ferme. « Le personnage de Rose se situe dans des couleurs un peu sourdes

(des vieux roses et des bruns). Et, à partir du moment où elle accouche, des

petites touches de bleu sont insérées par-ci, par-là, de manière à ce qu’une

fois mariée, Rose apparaisse dans des dominantes froides de bleu. Les

costumes accompagnent son évolution, passant d’un univers chaud à des

couleurs froides »97.

L’habit est le support à travers lequel la couleur permet de refléter un

sentiment. Le costume est un élément cognitif à la capacité de divulguer au 97 Agnès Nègre, «Chez Maupassant (1), Costumes de contes», op.cit., p.3.

Page 82: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

82

spectateur une idée commune. Le changement du rose au bleu des habits de

Rose désigne la perte de son innocence et le début de sa vie tourmentée. Le

passage de la pureté à la cruauté réaliste est aussi ressenti dans le costume

d’Isidore, dans le téléfilm du Rosier de madame Husson. Le bel ensemble

blanc, choisi par madame Husson, symbolise la pureté de l’âme d’Isidore ; il

sera même comparé à un cygne. Après sa disparition d’une semaine, il sera

retrouvé complètement ivre dans une allée de Gisors, portant toujours le

même ensemble. Devenu gris à cause de la saleté, le changement de couleur

du même costume symbolise ici aussi la perte d’innocence d’Isidore.

Dans le téléfilm Au Bord du lit, l’histoire débute avec une valse lors

d’un bal. Parmi tous ses gens, la comtesse de Sallure s’y démarque par la

couleur rouge de sa robe qui est d’un grand contraste avec celles au ton

blanc et beige des autres dames. Le costume permet de focaliser l’attention

du spectateur directement sur la Comtesse sans qu’elle ait besoin d’être

introduite. D’autre part la couleur rouge exprime une idée de sensualité et de

tentation. Effectivement la Comtesse ayant pour projet de trouver un amant,

désirait avant tout choquer le plus possible. Le rouge représente ainsi sa

colère intérieure envers son mari, elle est une flamme dansante.

Dans le téléfilm de La Parure, c’est un petit détail présent lors du bal

du ministère, qui accentue l’ironie de l’histoire. Mathilde a emprunté la parure

en diamant à son amie, car elle n’avait aucune pierre à se mettre. Charles,

Page 83: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

83

son mari, lui avait cependant proposé de mettre des fleurs dans ses cheveux,

mais l’idée la révolta : « Les fleurs, c’est le plus sûr moyen d’avoir l’air pauvre

au milieu des riches.» (09 :00) La petite touche sarcastique de la soirée ne se

trouve pas ici dans l’habit même mais dans un accessoire. Effectivement

toutes les dames du bal sont coiffées de fleur, malgré le commentaire de

Mathilde.

C. La fonction acoustique

En faisant référence à la forme acoustique nous faisons allusion à la

bande son au cinéma. Il s’agit d’une catégorie qui est composée par la

« voix », la « musique », le « bruitage » et d’une certaine manière le «

silence ». La « voix » englobe tout ce qui est prononcé vocalement, en d’autre

terme, la parole. La « musique », qu’elle soit originale ou déjà existante,

s’accorde avec l’image et la complète, elle donne au film son rythme et son

ambiance. Le « bruitage » est un son fabriqué par un bruiteur98, hors du

cercle du tournage, et qui intensifie l’illusion du réel. Le « bruit » quand à lui

est un son directement capturé pendant l’enregistrement du film. Quand au

« silence », il peut exprimer un sentiment profond, ressenti par le personnage.

Par l’absence de bruit, il crée un détachement de l’illusion du réel et peut

annoncer un événement chambardeur.

Pour le 7e art, il va de soi que son et image vont ensemble, même à

l’époque du cinéma muet, il y avait toujours cette recherche de l’illusion du

son, apportée par le pianiste accompagnateur. Le spectateur est attentif au

son qu’il unit avec l’image. « Le travail d’écoute rendait possible ce que

Serguei Eisenstein a appelé une “synchronisation des sens” : la concordance

de l’image et du son sous un seul rythme ou une seule qualité expressive »99.

Bien que l’étude de la bande son au cinéma soit très large, nous

mettrons de côté « la voix » pour nous concentrer uniquement sur deux

98 Spécialiste du bruitage. Le repérage, le rassemblement, la création des éléments sonores requis par le film sont sous la responsabilité du bruiteur. Voir André Roy, Dictionnaire général du cinéma, Du cnématographe à internet, Montréal, Éditions Fides, 2007. 99 D. Bordwell et K. Thompson, L’Art du film, Une introduction, Paris, Édition De Boeck, 2002, p.384.

Page 84: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

84

catégories: le « bruitage» et la « musique ». Nous ne chercherons pas à

établir un parallélisme entre la musicalité du film et la musicalité de la

littérature, car il s’agirait d’une tout autre étude. Nous nous concentrerons sur

les caractères narratifs exprimés par la forme acoustique et comment elle

peut substituer l’information de l’œuvre littéraire, tout en gardant le même but.

I. Le bruitage

Le bruitage consiste à intégrer dans le film tout élément sonore en

rapport avec l’univers fictif tels, le bruit de pas, le bruit de porte, le bruit

d’horloge, le bruit de sonnerie, etc. En d’autre terme, il « reproduit les bruits

des actions avec un matériel très hétéroclite »100. Un mauvais bruitage

rappellerait constamment au spectateur qu’il est en train de visionner un film

et c’est en comblant ces blancs de bruit que l’illusion du réel prend place.

Certains sons se démarquent pourtant plus que d’autres, avec leurs sonorités

plus importantes ou bien plus détachées. Ils renforcent certains éléments clés

de l’histoire et accentuent l’ambiance de l’œuvre.

Le bruit émis par une porte ou bien par une sonnette prévient de la

venue d’un personnage, c’est une technique d’introduction. Il peut cependant

créer l’effet de surprise. Dans la nouvelle de L’Héritage, Cora sait qu’elle va

être introduite à Lesable, son futur mari, qu’elle n’a jamais rencontré. Bien

que le jeune homme ait déjà été présenté au lecteur au début de l’œuvre,

Maupassant met en place une deuxième introduction : « Le timbre du

vestibule tinta, des portes s’ouvrirent et se fermèrent. Lesable parut »101. Pour

créer une notion d’intrigue qui s’associe au sentiment ressenti par Cora, le

narrateur ralentit la trame en prenant la peine de décrire le son émis par la

sonnette et par la porte. On peut clairement distinguer l’incorporation de

l’illusion du son dans la nouvelle. La même scène est représentée

pareillement dans le téléfilm : on entend d’abord la sonnette et après que la

100 Marie-Térèse Journot, Le Vocabulaire du cinéma, op.cit. 101 Guy de Maupassant, L’Héritage, op.cit., p.26.

Page 85: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

85

famille se soit rassemblée devant la porte, Cachelin fait entrer Lesable chez

eux.

Cependant le frappement à la porte n’est pas toujours celui d’une

invitation, parfois il s’agit de celui d’une intrusion. Tel dans le téléfilm Au Bord

du lit où le comte de Sallure frappe à la porte de la chambre de sa femme

pour qu’elle le laisse entrer. Cette scène est premièrement filmée dans la

chambre de la comtesse ; on entend frapper à la porte mais on ne voit pas qui

produit le son. La comtesse, tout comme le spectateur, sait parfaitement de

qui il s’agit. Le son étant émis sans que l’on ne voie sa source indique

l’assurance de la comtesse et son emprise manipulatrice sur son mari. Le

comte s’énervant du comportement de son épouse, frappe de plus en plus

fort, associant ainsi le bruit avec sa colère. Le vacarme produit, accentue

l’intérêt du téléspectateur qui s’interroge sur l’évolution de l’histoire.

Autre le rapport avec l’introduction d’un personnage, le bruit de la porte

peut aussi être associé avec l’annonce d’une mauvaise nouvelle. Dans le

téléfilm Le Rosier de madame Husson, la vieille dame se rend à la mairie

pour annoncer qu’Isidore sera leur Rosier. Le maire la reçoit avec joie mais

son sourire disparaît bien vite à l’écoute de la nouvelle qui sera d’ailleurs très

mal prise par le docteur Barbesol. Le frappement de la porte symbolise le

chamboulement du projet initial, celui de couronner une Rosière et non pas

un Rosier. Le bruit est ici l’annonceur de mauvaise nouvelle, il sert

d’indicateur du retournement de situation qui prendra lieu par la suite. C’est

aussi un frappement de porte qui viendra avertir madame Husson de la

retrouvaille d’Isidore. Nouvelle qui soulage la vieille dame mais qui très vite

l’horrifiera à la vue d’Isidore ivre dans une allée.

Un autre son très fréquent dans les films, mais tout aussi présent dans

les romans et les nouvelles, est celui produit par l’horloge. Que se soit son tic-

tac ou bien sa sonnerie, il s’agit d’un bruit qui se démarque des autres et joue

une importance plus grande quand il vient rompre les moments de silence :

Page 86: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

86

Ses terreurs grandirent, et chaque fois que dans le silence assoupi de la

maison la grosse horloge de la cuisine battait lentement les heures, il lui venait des

sueurs d’angoisse102.

Comme l’indique le narrateur dans cet extrait de la nouvelle Histoire d’une fille

de ferme, le battement des heures accentue l’angoisse ressentie par Rose.

Après que le fermier lui ait demandé sa main, la jeune fille, totalement perdue

dans ses pensées, n’arrive pas à dormir. On ressent clairement la

synchronisation du tic-tac avec son cœur. Dans le téléfilm, le fermier fait sa

demande en mariage à Rose qui, sous le choc ne sait que lui répondre. Le

metteur en scène, Denis Malleval, utilise lui aussi le bruit produit par l’horloge

pour accroître la pression qui pèse sur Rose. Silencieuse, elle semble perdue

dans ses pensées, seul le tic-tac de l’horloge la retient à la réalité et lui

rappelle que le fermier attend une réponse.

On distingue la même utilisation du tic-tac dans le téléfilm de Claude

Chabrol, La Parure. Malgré les dix années qui se sont écoulées, Mathilde

repense toujours à la soirée du bal du Ministère où tout lui semblait parfait. La

caméra filme Mathilde de dos en train de se regarder dans le miroir. Alors que

sa rêverie commence et que son reflet se transforme en souvenir, le tic-tac de

l’horloge se fait toujours entendre, malgré la musique de la valse qui cherche

à prendre le dessus. Mathilde ne peut ignorer le bruit de l’horloge. Les

événements qu’elle a vécus lui ont fait réaliser qu’elle doit rester attachée à la

102 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, op.cit., p.34.

Page 87: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

87

réalité et ne peut sombrer de nouveau dans ses songes. Le bruit de l’horloge,

étant relié à la réalité, donne à la scène une double narration ; celle du rêve

de Mathilde, narré par la musique de valse en son « off » et celle du présent

fictif, où la pauvre femme se tient debout devant son miroir. Toute la notion de

réalité et de rêverie est accentuée dans cette scène grâce à la tonification du

bruit produit par l’horloge. Quand Mathilde rentre dans le hall d’entrée, le tic-

tac de l’horloge est déjà présent. Ce n’est que lors du début du rêve que le

son deviendra plus prononcé et quand Mathilde émergera à la réalité, le son

diminuera pour finir par définitivement s’éteindre.

De tous les bruits produits au cinéma, la sonnerie de l’horloge ou bien

de la cloche est sûrement un des sons les plus dramatiques. À l’inverse du

tic-tac, qui se fait entendre sur une durée plus longue, la sonnerie a un effet

soudain, telle une surprise, qui accentue la focalisation du spectateur. Il est

généralement accompagné d’un événement tragique. Si le tic-tac de l’horloge

crée l’effet du battement de cœur du personnage, la sonnerie serait alors

l’équivalent d’un coup de poignard dans le cœur. Quand le fermier demande

la main de Rose dans Histoire d’une fille de ferme, l’horloge sonne au même

moment, accentuant l’effet de surprise chez la jeune fille. En entendant

l’horloge sonner, le spectateur ressent le choc que vient de subir Rose et le

moment de silence qui suivra marquera le chaos intérieur de la jeune fille. Si

nous comparons cette même scène dans la nouvelle de Maupassant, on

remarque que l’auteur procède à un changement de vitesse dans la

narration :

Le fermier, gros homme de quarante-cinq ans, deux fois veuf, jovial et têtu,

éprouvait une gêne évidente qui ne lui était pas ordinaire. Enfin il se décida et se mit

à parler d’un air vague, bredouillant un peu et regardant au loin la campagne.

« Rose, dit-il, est-ce que tu n’as jamais songé à t’établir ? »

Elle devint pâle comme une morte. Voyant qu’elle ne lui répondait pas, il continua103.

La narration du début de la scène est racontée par de longues phrases

détaillées qui marquera une opposition à la narration qui suivra la question

103 Ibid., p.32.

Page 88: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

88

posée par le fermier : « Elle devint pâle comme une morte ». L’information sur

l’état de Rose est dite d’une telle simplicité que l’on conçoit le côté brusque et

rapide de la scène. L’annonce a frappé Rose comme une décharge

électrique.

Le bruitage, utilisé de manière stratégique, pourrait être comparé, en

narratologie, à la fonction de régie ; une intervention du narrateur, au sein de

l’histoire, qui commente l’organisation et l’articulation du texte afin de mieux

orienter la lecture du public. De cette manière le metteur en scène, en utilisant

le son habilement, accentue la focalisation du spectateur qui réagit en même

temps à l’image et au son.

II. La musique

La fonction donnée à la musique peut fortement différencier d’un

metteur en scène à un autre. Grâce à ses multiples rôles, elle sert

d’accompagnement et aide à la narration de l’histoire, en fonction de son

degré d’implication. Il s’agit d’une description musicale qui affecte les

émotions et le point de vue du spectateur. «La musique est, en général,

subordonnée au dialogue […] Elle peut cependant accompagner aussi des

scènes dansées, des séquences de transition ou des moments émotionnels

fort »104.

III. La musique accompagnatrice

La musique accompagnatrice du film, qui peut à la fois être une

chanson ou bien une composition musicale, intensifie la dimension

dramatique du film en accentuant l’atmosphère de la scène, tels les aspects

dramatiques, comiques, poétiques ou bien romantiques. Elle exerce un

pouvoir narratif sur l’œuvre, en permettant au metteur en scène de contrôler

104 Jeanne Grandjean, La Bande son, PDF. [en ligne], http://www.lamediatheque.be/, p.69.

Page 89: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

89

le rythme du déroulement de l’histoire, mais aussi, sert d’indicateur des

sensations exprimées par les acteurs du film.

Le téléfilm de Denis Malleval, Histoire d’une fille de ferme, est un bel

exemple de la capacité narrative obtenue par la musique accompagnatrice.

« Essentiellement affective et subjective, la musique “s’objective” pourrait-on

dire, dans des thèmes ou des sentiments généraux, relatifs à l’être humain

plutôt qu’à l’individu »105. Ainsi, tout au long du téléfilm la musique suit et

s’unit aux émotions de Rose, de la musique joyeuse à la musique dramatique,

elle se synchronise avec le cœur de la jeune fille ; son amour pour Jacques,

sa désespérance quand il l’abandonne, sa joie de vivre pour son enfant, tout

est en parfaite harmonie. Durant la scène où Rose n’arrive pas à dormir,

après la demande en mariage du fermier, une musique dramatique s’accorde

avec la panique ressentie par Rose, qui devient plus intense au fur et à

mesure que son anxiété augmente. Elle pourrait fonctionner comme une

narration simultanée car la musique est en parfait accord avec le déroulement

de la situation. L’attention du téléspectateur est grandement renforcée, car il

est entrainé par le rythme rapide qu’exerce la musique. La musique s’arrêtera

quand Rose plongera dans la mare et disparaitra sous l’eau.

Le silence qui prend place est aussi un élément de la dramaturgie musicale. Il

s’agirait d’une sorte de pause dans la narration acoustique. Le spectateur est

105 Jean Mitry, Esthétique et psychologie du cinéma, 1. Les structures, op.cit., p.303.

Page 90: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

90

pris d’inquiétude car l’effacement de la musique intensifie la disparition de la

jeune fille sous l’eau. Le silence sera rompu par l’émergement de Rose dans

un long cri de désespoir. Un tel effet dramatique est réalisable grâce à la

synchronisation de la musique et des actions de la jeune fille. On distingue

clairement le changement du rythme de la scène, qui devient de plus en plus

rapide.

Cette même scène dans la nouvelle de Maupassant est aussi narrée

dans un rythme progressif, ayant pour but de montrer l’évolution de l’anxiété

de Rose. Cette partie de l’histoire possède une narration plus longue que

d’autres scènes de l‘histoire, dû à la taille du texte. Maupassant à établi une

progression du point de vue des sentiments de Rose et de l’action :

Rose ne se coucha pas cette nuit-là. Elle tomba assise sur son lit, n’ayant

plus même la force de pleurer, tant elle était anéantie. Elle restait inerte, ne sentant

plus son corps, et l’esprit dispersé, comme si quelqu’un l’eût déchiquetée avec un de

ces instruments dont se servent les cardeurs pour effiloquer la laine des matelas106.

Le paragraphe commençant en soulignant l’immobilité de Rose, la narration

en est elle-même plus lente et sous une longue pause narrative, le narrateur

s’exprime à travers de longues phrases, fortement descriptives. Le rythme de

la narration deviendra cependant plus rapide au fur et à mesure que le

narrateur avance dans le développement de l’action :

Sa tête se perdait, les cauchemars se succédaient, sa chandelle s’éteignit ;

alors commença le délire, ce délire fuyant des gens de la campagne qui se croient

frappés par un sort, un besoin fou de partir, de s’échapper, de courir devant le

malheur comme un vaisseau devant la tempête107.

On perçoit dans la continuité de la narration un changement dans la forme.

Les phrases sont beaucoup plus brèves, généralement limitées au sujet et au

verbe, créant un enchainement d’actions séparées par de simples virgules :

« un besoin fou de partir, de s’échapper, de courir ». Il s’agit d’une

106 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, op.cit., p.33. 107 Idib. p.34.

Page 91: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

91

accélération de la forme narrative, reflétant l’accroissement de l’action et des

sentiments de Rose.

IV. La musique distinctive

Appelée en terme cinématographique « leitmotiv », c’est une « figure

musicale attachée à un personnage, à une action, à un lieu ou à un objet »108.

Elle fait référence à une musique distinctive et répétitive que le spectateur

reconnaitra et identifiera immédiatement avec le sujet désigné. On pourrait

citer comme exemple la musique de la valse dans le téléfilm de La Parure.

Tout au long de l’histoire, on entend toujours la même balade que le

spectateur assimilera très rapidement avec la personnalité de Mathilde Loisel.

« La valse qui enchaine la plupart des scènes correspond, grâce à un

procédé de décalage, à la voix ironique du narrateur. Si la même musique est

reprise, thème lancinant du bal, elle est jouée sur des rythmes plus lents et

mélancoliques dans les moments où Mathilde devient pathétique »109. Au tout

début de l’histoire le spectateur interprète la valse comme élément

symbolisant du rêve de la jeune femme, mais très vite il en deviendra son

obsession, pour terminer comme sa punition. La fonction du leitmotiv, dans

notre exemple cité, se rapproche en narratologie du mode répétitif, où l’on

raconte plusieurs fois un même événement. Cette technique a pour effet de

créer une obsession chez le personnage, qui reste bloqué sur une idée fixe.

Dans la nouvelle de Maupassant, Mathilde est clairement focalisée sur ce

qu’elle ne peut avoir. Le narrateur introduit très tôt dans l’histoire cet aspect

de la personnalité de Mathilde : « Elle n’avait pas de toilettes, pas de bijoux,

rien »110. La jeune femme répétera l’information en s’adressant à son mari :

« Cela m’ennuie de n’avoir pas un bijou, pas une pierre, rien à mettre sur

moi »111.

108 Voir Musique, Roy André, Dictionnaire général du cinéma, Du cinématographe à internet, op.cit., 2007. 109 Agnès Lefillastre, «Chez Maupassant(1), Secrets et Mensonges», op.cit., p.3. 110 Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, op.cit., p.454. 111 Ibid., p.456.

Page 92: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

92

Le mode répétitif permet à certains éléments de la narration de se

démarquer d’autres dû à leur fréquence référentielle. Ce même effet peut être

produit par une musique à partir du moment où elle s’identifiera à un certain

sujet que le spectateur reconnaitra.

V. La mélodie et la chansonnette

La fonction de la mélodie est généralement la même que celle du

narrateur, c’est-à-dire de raconter un événement relié à l’histoire à travers les

paroles d’une chanson. Il s’agit d’une narration musicale. Cependant aucune

des œuvres envisagées ne possèdent de mélodie à caractère narratif. On

pourrait néanmoins mentionner la chansonnette présente dans le téléfilm Le

Rosier de madame Husson. Il s’agit de la chanson Les Bottes de Bastien

d’Eugène Imbert (1821-1898) qui est chantée par divers villageois de Gisors.

En voici le refrain :

Mais il a des bottes

Il a des bottes,

Bastien ;

Il a des bottes, bottes, bottes,

Il a des bottes,

Bastien

Cette chansonnette est premièrement chantée par les jeunes filles qui

viennent taquiner Isidore pendant sa livraison. Elle sera ensuite prononcée

par tous les gens invités à la réception en l’honneur d’Isidore. Cette mélodie

n’a aucun rapport avec le déroulement de l’histoire. Cependant à la fin du

téléfilm, alors qu’il était prévu à Isidore d’aller confesser ses péchés, le jeune

homme se présente de nouveau ivre chez madame Husson, tentant de

chanter Les Bottes de Bastien. À la vue de madame Husson, Isidore toujours

en train de chanter, retransforme les paroles de la chanson et remplace le

refrain par « Elle a des gros tétons, Madame Husson.» Ironique chanson,

touchant non pas par hasard au thème du plaisir charnel. Il est évident que la

vieille dame, surnommée « le thermomètre de la vertu » se fait une idée bien

Page 93: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

93

restreinte de ce sujet : « La vertu si chère à Mme Husson se réduit quasiment

à un aspect : la chasteté »112.

Mais quel est l’effet voulu par cette chansonnette ? Il est clair qu’il ne

s’agit pas d’une mélodie à caractère narratif, décrivant la situation présente.

Cependant, de par l’intervention de cette chanson, le spectateur pourrait

s’imaginer une suite, hors de l’univers filmique, où madame Husson

deviendrait la risée de Gisors et où les habitants fredonneraient ce refrain

après son passage. Le metteur en scène en incorporant cette chansonnette,

chercherait peut être à implanter une idée à son spectateur où bien à

l’orienter vers certaines réflexions.

112 Laurence Jung, «Chez Maupassant(4), Comédies grinçantes», op.cit., p.2.

Page 94: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

94

Conclusion

Dans le présent travail on a essayé d’effectuer une lecture des

nouvelles de Guy de Maupassant à la lumière de la narratologie et des outils

théoriques proposés afin de révéler les particularités de l’écriture

maupassantienne au niveau des techniques narratives utilisées et d’en

dégager son originalité. Ne nous étant pas attardés sur des thèmes de

l’analyse littéraire tels ceux du sujet de l’histoire ou bien des personnages,

notre essai s’est uniquement consacré à « la fabrication de l’écriture ». La

nouvelle étant un genre littéraire de taille restreinte, c’est à travers sa maitrise

narrative que Maupassant démontre tout son talent d’écrivain. Si l’auteur n’a

pas suscité l’intérêt des études littéraires du XIXe siècle, il est cependant la

cible de beaucoup d’études théoriques de la narration. Comme nous l’avons

démontré dans le parcours de notre essai, l’auteur utilise avec habilité les

techniques narratives ce qui lui permet d’avoir un meilleur contrôle de son

texte. « Ses contes et ses nouvelles, qu’on croit lisses, simples et clairs, ne

relatent pas seulement des histoires où les personnages sont fréquemment

pris au piège d’une nécessité qui transforme leur existence en farce tragique.

Ils sont eux-mêmes des pièges pour le lecteur qui se laisse prendre aux faux

semblants de leur prétendue lisibilité »113. Maupassant est parfaitement

conscient de la direction que prend son œuvre, car chaque ligne est un

chemin tracé que son public doit emprunter. Ce parcours narratif est rempli

d’éléments distinctifs pour le lecteur parisien du XIXe siècle, qui les

appréhende de façon presque instinctive. Entrainé par le rythme de la

narration, il reconnaît les lieux, discerne les personnages-types de son

époque et démasque les sous-entendus des dialogues. Bien que le public de

Maupassant soit facilement identifiable, il ne ferme pas pour autant ses portes

à d’autres lecteurs potentiels. La lisibilité de son style permet à n’importe qui

d’embrasser ses œuvres, ce qui explique son continuel succès à travers le

temps. « La vraisemblance culturelle, même si elle donne au texte un petit

113 A. Fonyi, P. Glaudes, A. Pagès, Relire Maupassant, La Maison Tellier, Contes du jour et de la nuit, op.cit., p.9.

Page 95: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

95

côté daté, ne remet toutefois pas totalement en jeu son intelligibilité, et c’est

même parce que la lisibilité globale des œuvres de Maupassant n’est pas

menacée par ces quelques références à un autre temps (qui font du reste le

charme du récit) que ces œuvres sont encore populaires de nos jours »114. Le

lecteur contemporain cherchera à se positionner temporellement dans le

contexte de l’œuvre et le comparera à celui de son époque. Les descriptions

sombres et étouffantes des bureaux du ministère, que l’on retrouve dans

beaucoup d’œuvres de Maupassant, peuvent notamment éveiller un

sentiment de compassion chez le lecteur contemporain. Il ressent la pression

que ce lieu exerce sur les personnages car il l’assimilera avec un autre lieu

qu’il considèrera négatif et pourra, malgré la différence d’époque, ressentir de

la sympathie pour le personnage.

La vraisemblance culturelle et la lisibilité des œuvres de Maupassant

expliquent l’intérêt de plusieurs metteurs en scène à vouloir les adapter en

film. « La nouvelle fait bénéficier le cinéma de la renommée d’un titre […] et

d’un “beau sujet” : une action resserrée, concentrée sur un environnement et

des personnages caractérisés. L’adaptation, en retour, avère le récit par des

décors et par des acteurs qui lui apportent la valeur des “vedettes” »115. Le

cinéma n’est pas le seul à s’intéresser à transposer l’héritage littéraire de

l’auteur ; le théâtre, la télévision et même la bande dessinée ont voulu être le

support de ses nombreuses histoires116. Tous sont unis par la notion du

« discours » qui a besoin d’être énoncé. Propres à leur genre, leurs formes

narratives restent basées sur les éléments essentiels de toute narration ; le

temps, l’espace et la focalisation. «La caractéristique de toutes les énoncés

culturelles en tant que mot117, facilite le raccord de la théorie littéraire à la

théorie cinématographique »118. Ainsi, l’approche que nous avons effectuée

des téléfilms adaptés aux œuvres de Maupassant aurait très bien pu

114 Floriane Place-Verghnes, Jeux pragmatiques dans les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, op.cit., p. 229. 115 Daniel Grojnowski, Lire la Nouvelle, op.cit., p.66. 116 Voir la liste sur http://www.maupassantiana.fr/ 117 D’après la définition de Mikhaïl Bakhtine du mot « slovo », tout système cohérent, telle la littérature, l’art acoustique et l’art visuel est considéré comme une forme de discours. 118 Χρυσής Καρατσινίδου, [Notre traduction], Η αναγέννηση του νοήματος, Αθήνα, Εκδόσεις ‘Ινδικτος, 2005, σελ 122. «Ο χαρακτηρισμός όλων των πολιτισμικών εκφωνημάτων ως κειμένων διευκολύνει τη μετάβαση απο τη λογοτεχική στην κινηματογραφική θεωρία».

Page 96: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

96

s’appuyer sur une adaptation théâtrale. La démarche aurait été la même,

seules les techniques de transposition auraient différé.

En distinguant les multiples techniques narratives littéraires et filmiques ainsi

que leurs impacts sur la perception du public, nous avons cherché à saisir les

divers moyens de transposition du texte à l’écran. Pour établir un meilleur lien

entre l’adaptation filmique et l’œuvre dont elle s’inspire, il faut, en outre de

l’histoire et des thèmes principaux, appréhender la forme narrative du texte.

Le metteur en scène doit approfondir son analyse de la nouvelle qu’il

adaptera. Il doit prendre conscience de la structure du récit et de la

fonctionnalité que lui donne l’auteur. Les éléments stratégiques de la

narration doivent être descellés par le metteur en scène, car ils pourront

bénéficier son film. S’ils sont ignorés, le film pourrait, dans certains cas, en

être désavantagé, comme nous l’avons souligné pour le téléfilm de L’Héritage

de Laurent Heynemann. Le metteur en scène n’ayant pas pris en compte la

pause narrative qu’exerçait le contact de la nature, la moquerie et l’ironie de

l’histoire prirent le dessus et alourdirent son téléfilm.

D’un point de vue filmique, les metteurs en scène trouvent dans les

nouvelles de Maupassant une certaine liberté dans la conception des

personnages et de leurs mouvements. « Le conteur dispose de peu d’espace

de texte et il privilégie donc tout naturellement le récit, la narration d’actions,

laissant de côté descriptions et analyses psychologiques. […] Les

personnages des contes ont une vie intérieure qui se traduit souvent par des

gestes, des mouvements, une façon de se déplacer ; l’on peut alors parler

d’une psychologie behaviouriste qui se passe par une proxémie, un rapport

de corps à l’espace, fait de mobilité ou d’immobilité »119. En travaillant nos six

nouvelles, nous avons pu en déduire que les héros de Maupassant ne sont

pas des êtres agissants mais des êtres passifs, l’action dont nous faisons ici

référence est au niveau de leur mouvement qui coïncide avec les

caractéristiques de leur personnage-type. « Non que les personnages des

nouvelles de Maupassant soient de pures caricatures ; mais la plupart portent

119 A. Fonyi, P. Glaudes, A. Pagès, Relire Maupassant, La Maison Tellier, Contes du jour et de la nuit, op.cit., p.262.

Page 97: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

97

des marques aisément reconnaissables par le lecteur »120. L’art filmique est

un art gestuel qui fait appel au mouvement pour créer son illusion de réalité.

« Reproduire l’apparence d’un mouvement, c’est en fait reproduire sa

réalité»121. La nouvelle de Maupassant fournit au metteur en scène ce

mouvement dont il a besoin pour élargir son champ du vrai-semblant. À

travers les mimiques du personnage-type, il peut approfondir sa figure, en lui

donnant une personnalité plus développée. Par cette procédure, il assure la

présence d’une touche personnelle, ce qui lui permet ainsi d’exploiter les

capacités du jeu de l’acteur et de donner une dynamique gestuelle que la

nouvelle ne peut refléter.

La continuité temporelle du succès d’un grand nombre de classiques

littéraires vient du fait qu’ils sont constamment évoqués. Comme nous l’avons

cité au début de notre essai, les œuvres de Maupassant refirent surface pour

être le sujet d’études d’une nouvelle théorie du XXe siècle ; la narratologie.

Suite à cette théorie, on entama une nouvelle approche des œuvres littéraires

dont notamment la nouvelle qui jusque-là était un genre littéraire

généralement ignoré. La continuelle recherche et étude du genre littéraire

incitera toujours à redécouvrir sous un nouvel angle les multiples capacités de

la littérature. D’une autre part, nous avons pu constater que l’industrie du film

joue, elle aussi, un rôle dans la préservation des œuvres littéraires. Depuis

son invention, l’art filmique a trouvé dans la littérature une source illimitée de

sujets, en adaptant romans et nouvelles en films. À travers cette

transposition, les œuvres littéraires continuent d’exister au cours des

générations. La collaboration de la polyphonie apporte à l’œuvre littéraire le

bénéfice de paraître sous une nouvelle perspective qui n’est autre que le

point de vue du metteur en scène. Cette nouvelle voix est influencée par son

époque et se reflète dans sa transposition ; ainsi une même œuvre au fil du

temps est redécouverte sous une autre focalisation. En près de cent ans la

nouvelle La Parure a vu au moins douze adaptations filmiques pour le grand

120 Floriane Place-Verghnes, Jeux pragmatiques dans les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, op.cit., p. 205. 121 J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet, Esthétique du film, op.cit., p.106.

Page 98: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

98

et petit écran122. La relation qu’entretient le film avec le texte se rapproche au

fil des années, car elle maintient les connaissances littéraires du public. « De

nombreuses nouvelles, en effet – mais aussi des recueils et des auteurs – ont

été portés à la connaissance du grand public par des adaptations

cinématographiques»123. Si pour beaucoup de gens, leur premier contact

avec une œuvre littéraire est à travers son adaptation filmique, il est alors

important que celle-ci soit à la hauteur de l’œuvre dont elle s’inspire.

« Observer c’est voir et choisir, il faut donc savoir voir car rien n’est uniforme

et l’œil doit s’exercer à voir juste et de façon discriminante avec l’aide

combinée de son esprit, de son savoir, de sa réflexion […] Faire vrai et voir

juste c’est d’abord interpréter, atteindre à une vérité exprimée avec talent »124.

La collaboration polyphonique n’est pas une tache facile, elle requiert d’une

double étude qui touche premièrement le texte littéraire et ensuite la capacité

de sa transposition en images mouvantes.

Nous espérons que cet essai a pu éclairer certains aspects de l’étude

narratologique et des procédés d’adaptations filmiques, qui aideront à une

meilleure approche des relations qui unissent la page à l’écran.

122 Voir la liste sur http://www.maupassantiana.fr/ 123 Daniel Grojnowski, Lire la Nouvelle, op.cit., p.66. 124 Gérard Delaisement, La Modernité de Maupassant, Paris, Éditions Rive Droite, 1995, p.218.

Page 99: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

99

Résumé en grec

Στο πλαίσιο της παρούσας μελέτης με τίτλο Nouvelles de Guy de

Maupassant: De la page à l'écran πρόθεσή μας ήταν να επιχειρήσουμε μια

εξειδικευμένη μελέτη του γάλλου συγγραφέα εφαρμόζοντας τις αρχές της

αφηγηματολογίας. Ακολουθώντας κυρίως τη θεωρία του Gérard Genette,

αναλύσαμε την τεχνική της γραφής του Maupassant. Επιλέξαμε τη νουβέλα,

επειδή η ειδική γραφή αυτού του λογοτεχνικού είδους είναι η πιο κατάλληλη

για να αναδείξει τη δύναμη της αφήγησης. Οι συγγραφείς, κυρίως λόγω των

περιορισμένων διαθέσιμων σελίδων τους125, βασίστηκαν περισσότερο στην

αφήγηση για να αναπτύξουν την ιστορία τους. Πολλοί κριτικοί δεν πίστευαν

στην καλλιτεχνική αξία της νουβέλας, γιατί θεωρούσαν ότι ήταν ελλιπής όσον

αφορά τα θέματα, τη δράση και την ψυχογράφηση των χαρακτήρων.

Προφανώς η νουβέλα με το μέγεθος της δεν μπορεί να αναπτύξει πλήρως

αυτά τα στοιχεία. Όμως, ακόμα και αν τα θεωρήσουμε a priori απαραίτητα ή

δεδομένα για το μυθιστόρημα, αυτό δεν σημαίνει ότι η νουβέλα οφείλει να

απαντάει στα ίδια ζητήματα. Ο συγγραφέας δεν προσπαθεί να κάνει την

περίληψη ενός μυθιστορήματος, αλλά βρίσκει στη νουβέλα έναν διαφορετικό

τρόπο έκφρασης, που στηρίζεται σε άλλα στοιχεία: «Ότι για πολύ καιρό

θεωρούνταν αδυναμία, όσον αφορά τη δομή και το θέμα, είναι στην

πραγματικότητα αυτό που ορίζει τη νουβέλα και αυτό που αποτελεί τη δύναμή

της»126.

Παρόλο που μέχρι σήμερα δεν έχουμε ξεκάθαρο ορισμό για τη

νουβέλα, μπορούμε να πούμε ότι πρόκειται για μια μικρή διήγηση (récit court).

Φυσικά η έννοια του «μικρού» προκύπτει ανάλογα με τον συγγραφέα ή την

κριτική θεώρηση: «ο Balzac, το 1833, χαρακτήρισε την Eugénie Grandet, των

διακοσίων σελίδων, "μια καλή, μικρή νουβέλα"»127. Για αυτό το λόγο

επιλέξαμε έξι νουβέλες που έχουν διαφορετικό μέγεθος και φυσικά μια

125 Το 19ο αιώνα, οι περισσότερες νουβέλες δημοσιεύονταν σε εφημερίδες. 126 Προσωπική μετάφραση. Floriane Place-Verghnes, Jeux pragmatiques dans les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, op.cit., p.25. 127 Προσωπική μετάφραση. A. Fongi, P. Glaudes, A. Pagès, Relire Maupassant, La Maison Tellier, Contes du jour et de la nuit, op.cit., p.133.

Page 100: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

100

ιδιαίτερη τεχνική στη γραφή: L’Héritage, Le Rosier de madame Husson,

Histoire d’une fille de ferme, La Parure, Le Petit fût, Au Bord du lit.

Στην προσπάθειά μας να δώσουμε στην προσέγγιση ένα πιο σύγχρονο

χαρακτήρα, συνδυάσαμε τη λογοτεχνική ανάλυση με τή μεταφορά των

λογοτεχνικών έργων σε ταινίες. Από την αρχή της δημιουργίας του

κινηματογράφου παράγονται ταινίες βασισμένες λιγότερο ή περισσότερο σε

λογοτεχνικά έργα. Όμως η κατανόηση των θεμάτων και των χαρακτήρων ενός

έργου, δεν αρκεί για να γίνει σωστά η μεταφορά. Πρέπει επίσης να είναι

κατανοητή και η γραφή του συγγραφέα, δηλαδή ο χειρισμός τού

αφηγηματικού χρόνου και χώρου, όπως και ο ρόλος του αφηγητή. Για να

αποδείξουμε ότι πέρα από την θεωρητική ανάλυση, η αφηγηματολογία μπορεί

να χρησιμεύσει ως εργαλείο, επιλέξαμε έξι ταινίες βασισμένες στα λογοτεχνικά

έργα που αναλύσαμε και επιχειρήσαμε μια σύγκριση μεταξύ των

λογοτεχνικών και των κινηματογραφικών τεχνικών. Από το σύνολο της

κινηματογραφικής παραγωγής επιλέξαμε ταινίες μικρού μήκους,

προορισμένες για την τηλεόραση διότι, κατά αναλογία με τη νουβέλα,

πρόκειται για ένα είδος τέχνης περιορισμένο σε συγκεκριμένα όρια, τα οποία

ξεπερνά μέσω των τεχνικών της αφήγησης.

Ο Gérard Jourd’hui μαζί με την Gaëlle Girre σχεδίασαν να μετατρέψουν

διάφορες νουβέλες του Maupassant σε ταινίες διάρκειας 30 έως 60 λεπτών. Η

σειρά ονομάστηκε Chez Maupassant και προβλήθηκε για πρώτη φορά το

2007 στο γαλλικό κανάλι FRANCE 2 με μεγάλη επιτυχία. Γυρίστηκαν δυο

επιπλέον κύκλοι επεισοδίων το 2008 και το 2011, όπου το κάθε επεισόδιο, το

ανέλαβε διαφορετικός σκηνοθέτης. Συνεπώς, κάθε ταινία που αναλύσαμε έχει

την προσωπική ματιά του, καθώς επίσης και τις προσωπικές του

σκηνοθετικές τεχνικές. Ο Laurent Heynemann διασκεύασε την νουβέλα

L’Héritage (2007), ο Denis Malleval ανέλαβε την Histoire d’une Fille de Ferme

(2007) και την Le Rosier de madame Husson (2008), ο Claude Chabrol

ασχολήθηκε με τα έργα: La Parure (2007) και Le Petit fût (2008) και ο Jean-

Daniel Verhaeghe γύρισε το Au Bord du lit (2008).

Στο πρώτο μέρος της μελέτης προσπαθήσαμε να προσδιορίσουμε την

ιδιαιτερότητα της νουβέλας ως λογοτεχνικό είδος όπως και την ξεχωριστή της

Page 101: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

101

αφηγηματική δύναμη. Στα δυο κεφάλαια «χώρος» και «χρόνος», αναλύσαμε

την ειδική γραφή του αφηγηματικού λόγου και τη στρατηγική δομής της

νουβέλας. Είδαμε πως ο χώρος δεν είναι ένας απλός τόπος, στον όποιο

διαδραματίζεται η υπόθεση, αλλά μια πηγή πληροφοριών, που ενδυναμώνει

την ιστορία και τους χαρακτήρες. Η λειτουργικότητα του χώρου προσδιορίζει

την οικονομική τάξη, την κουλτούρα και τα ήθη των ηρώων. Οι χαρακτήρες

του Maupassant θεωρούνται «χαρακτήρες τύπου»128, δηλαδή δεν είναι

πρωτότυποι, αλλά αντιθέτως προκύπτουν από τα στερεότυπα της εποχής. Ο

συγγραφέας βασίζεται στη γνώση του αναγνώστη, από τον οποίο αντλεί τα

κοινωνιολογικά δεδομένα, στα οποία τον παραπέμπει ο εκάστοτε χώρος.

Είδαμε επίσης και την στρατηγική της τοπογραφίας του χώρου, δηλαδή

τη διαδρομή που ακολουθούν οι χαρακτήρες. Για παράδειγμα η κυκλική

διαδρομή, η οποία συμβολίζει τη μονοτονία της καθημερινής ζωής ή η

διαδρομή-παγίδα (circuit piégé ), όπου ο χαρακτήρας είναι υποχρεωμένος να

ακολουθήσει ένα μονοπάτι στο τέλος του οποίου τον περιμένει η καταδίκη.

Όσον αφορά στο χρόνο, είδαμε τις διάφορες χρονικές μονάδες (unités

temporelles)και πώς επηρεάζουν την αφήγηση αλλά και τον αναγνώστη.

Κάποιες είναι περισσότερο συνηθισμένες, όπως η αφηγηματική παύση, που

χρησιμοποιείται κυρίως στην περιγραφή. Άλλες είναι πιο πολύπλοκες όπως ο

εγκιβωτισμός, όταν δηλαδή μέσα στην κύρια ιστορία κάποιος χαρακτήρας

διηγείται μια δεύτερη ιστορία.

Στο δεύτερο μέρος της μελέτης μας, προσεγγίσαμε την αφήγηση

υιοθετώντας μια πιο κινηματογραφική ματιά και ασχοληθήκαμε με την εστίαση

(focalisation). Χωρίσαμε τη λειτουργία της σε τρεις κατηγορίες: λεκτική,

εικονογραφική και ακουστική. Αναλύσαμε στοιχεία που αφορούν κυρίως τις

ταινίες χωρίς όμως να είναι και τελείως άγνωστα στη λογοτεχνική γραφή.

Εφόσον ο κινηματογράφος είναι οπτική και ακουστική τέχνη, αναζητήσαμε τις

τεχνικές που αντικαθιστούν το ρόλο της αφηγηματικής γραφής. Είδαμε πως ο

διάλογος ή ο μονόλογος αποκτούν και κάποια χαρακτηριστικά της

λογοτεχνικής αφήγησης. Συγκρίναμε το “μάτι” της κάμερας (l’œil de la caméra)

με την αφηγηματική εστίαση (focalisation), για να κατανοήσουμε τους τρόπους

128 Floriane Place-Verghnes, Jeux pragmatiques dans les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, op.cit., p.198.

Page 102: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

102

με τους οποίους ο σκηνοθέτης τονίζει τη σημασία ενός στοιχείου. Και τέλος,

προσπαθήσαμε να εξηγήσουμε τον αφηγηματικό ρόλο του ήχου και της

μουσικής.

Προσεγγίζοντας τις νουβέλας τον Maupassant με τη βοήθεια της

αφηγηματολογίας, διαπιστώσαμε την ιδιαιτερότητα της γραφής του και την

αληθινή δύναμη που έχει ο συγγραφέας πάνω στο έργο του. Επίσης,

διαπιστώσαμε ότι ο τρόπος γραφής είναι και αυτός χαρακτηριστικός ενός

συγγραφέα και πρέπει να λαμβάνεται υπ’ όψη εφόσον κάποιος επιθυμεί να

μεταφέρει τα λογοτεχνικά έργα σε άλλη μορφή τέχνης. Τέλος, με τη μελέτη

Nouvelles de Guy de Maupassant: De la page à l'écran προσπαθήσαμε να

δημιουργήσουμε μια μεθοδολογία της αφηγηματολογίας, ώστε να μπορεί να

χρησιμοποιηθεί ως εργαλείο ανάλυσης λογοτεχνικών έργων που

μεταφέρθηκαν σε τηλεταινίες ή σε άλλες μορφές αφηγηματικής τέχνης, όπως

ο κινηματογράφος, το θέατρο, τα κόμικς.

Page 103: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

103

Bibliographie

Ouvrages littéraires

Guy de Maupassant, Contes et Nouvelles, Édition Complète avec 24

inédits, établies par les soins de Albert-Marie Schmidt avec la

Collaboration de Gérard Delaisement, Paris, Édition Albin Michel,

1973.

Guy de Maupassant, L’Héritage, Bruxelles, Éditeur André Versaille,

2009.

Guy de Maupassant, Le Rosier de madame Husson, Paris, Édition

Albin Michel, 1988.

Guy de Maupassant, Une Partie de campagne, avec le scénario du film

de Jean Renoir, Paris, Édition Brodard & Taupin, 2005.

Guy de Maupassant, Une Vie, Paris, Édition Brodard & Taupin,

Collection Livre de Poche, 2003.

Filmographies

Chabrol Claude, Chez Maupassant, La Parure, DVD Vidéo, France 2

Éditions, Jourd’hui Mitchell Production, 2007, 30 min.

Chabrol Claude, Chez Maupassant, Le Petit fût, DVD Vidéo, France 2

Éditions, Jourd’hui Mitchell, 2008, 30 min.

Heynemann Laurent, Chez Maupassant, L’Héritage, DVD Vidéo,

France 2 Éditions, Jourd’hui Mitchell, 2007, 60 min.

Malleval Denis, Chez Maupassant, Histoire d’une fille de ferme, DVD

Vidéo, France 2 Éditions, Jourd’hui Mitchell, 2007, 60 min.

Malleval Denis, Chez Maupassant, Le Rosier de madame Husson,

DVD Vidéo, France 2 Éditions, Jourd’hui Mitchell, 2008, 60 min.

Verhaeghe Jean- Daniel, Chez Maupassant, Au Bord du lit, DVD

Vidéo, France 2 Éditions, Jourd’hui Mitchell, 2008, 30 min.

Page 104: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

104

Ouvrages théoriques littéraires

Arabyan Marc, Le Paragraphe narratif, Paris, Édition L’Harmattan,

1994.

Bachelard Gaston, L’Eau et les rêves, Paris, Librairie José Corti, 1996.

Barthes R., Greimas A. J., Bermond C., Eco U. Gritti J., Morin V., Metz

C., Todorov T., Genette G., L’Analyse structurale du récit, Paris,

Édition Seuil, 1981.

Bayard Pierre, Maupassant, juste avant Freud, Paris, Les Éditions de

Minuit, 1994.

De Mattia M., Joly A., Rivara R., De la syntaxe à la narratologie

énonciative, Paris, Éditions OPHRYS, 2001.

Delaisement Gérard, La Modernité de Maupassant, Paris, Éditions

Rive Droite, 1995.

Demont Bernard, Représentations spatiales et narration dans les

Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant, Une rhétorique de

l’espace géographique, Paris, Édition Honoré Champion, 2005.

Dizol Jean-Marie, Guy de Maupassant, Toulouse, Édition Milan, 1997.

Fonyi A., Glaudes P., Pagès A., Relire Maupassant, La Maison Tellier,

Contes du jour et de la nuit, Paris, Éditions Classique Garnier, 2011.

Genette Gérard, Nouveau discours du récit, Paris, Éditions du Seuil,

1983.

Giacchetti Claudine, Maupassant, Espace du roman, Genève, Librairie

Droz, 1993.

Gratton Johnnie, Le Juez Brigitte, Modern french short fiction,

Manchester, New York, Édition Manchester Univeristy Press, 1994.

Grojnowski Daniel, Lire la Nouvelle, Paris, Éditeur Dunod, 1995.

Hénault Anne, Les Enjeux de la sémiotique. volume 2. Narratologie,

sémiotique générale, Paris, Édition Presses Universitaires de France,

1983.

James Henry, Sur Maupassant, précédé de L’Art de la fiction,

Bruxelles, Éditions Complexe, 1987.

Page 105: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

105

Makropoulou Marie, Guy de Maupassant, La vie errante, Une dérive

mystique?, Thessalonique, Édition University Studio Press, 2003.

Place-Verghnes Floriane, Jeux pragmatiques dans les Contes et

Nouvelles de Guy de Maupassant, Paris, Édition Honoré Champion,

2005.

Thumerel Thérèse et Fabrice, Maupassant, Paris, Édition Armand

Colin, 1992.

Tolstoï Léon, Guy de Maupassant, Montpellier, trad. Halpérine -

Kaminski Élie, Édition de l’Anabase, 1995.

Καρατσινίδου Χρυσή, Η αναγέννηση του νοήματος, Αθήνα, Εκδόσεις

Ίνδικτος, 2005.

Brécy Robert, La Chanson de la commune : chansons et poèmes

inspirés par la commune de 1871, Hongrie, Les Éditions Ouvrières,

1991.

Ouvrages théoriques sur le cinéma

Aumont J., Bergala A., Marie M., Vernet M., Esthétique du flm, Paris,

Édition Nathan, 1988.

Bordwell D. et Thompson K., L’Art du film, Une introduction, Paris,

Édition De Boeck, 2002.

Branigan E. R., Point of view in the cinema, Berlin, New York,

Amsterdam, Mouton Publishers, 1984.

Gardies André, L’Espace au cinéma, Paris, Édition Meridiens

Klincksieck, 1993.

Journot Marie-Thérèse, Le Vocabulaire du cinéma, Paris, Édition

Armand Colin, 2006.

Metz Christian, Essais sur la signification au cinéma, Paris, Édition

Klincksieck, 1978.

Metz Christian, Langage et Cinéma, Paris, Librairie Larousse, 1971.

Mitry Jean, Esthétique et psychologie du cinéma, 1. Les structures,

Paris, Éditions Universitaires, 1973.

Page 106: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

106

Odin R., Noguez D., Virmaux A. et O., Marie M., Jost F., Chateau D.,

Gardies A., Alebersmeier F.J., Cahiers du 20e siècle, Cinéma et

littérature, numéro 9, Paris, Édition Klincksieck, 1978.

Ropars-Wuilleumier Marie-Claire, De la littérature au cinéma, Paris,

Librairie Armand Colin, 1970.

Ropars-Wuilleumier Marie-Claire, Le Temps d’une pensée, Du

montage à l’esthétique plurielle, Paris, Édition Presses Universitaires

de Vincennes, 2009.

Roy André, Dictionnaire général du cinéma: Du cinématographe à

internet, Montréal, Éditions Fides, 2007.

Sorlin Pierre, Esthétiques de l’audiovisuel, Paris, Édition Nathan, 1992.

Sitographie

Grandjean Jeanne, La Bande son, PDF. [en ligne],

http://www.lamediatheque.be/

Guy Michaud, Cahiers de l’Association internationale des études

françaises, numéro 11, 1959, [en ligne],

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/revue/caief

http://fr.wikipedia.org/wiki/Guy_de_Maupassant

http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Bottes_de_Bastien

http://www.cndp.fr/accueil.html

http://www.france2.fr/

http://www.maupassantiana.fr/

Jung Laurence, Chez Maupassant(4), Comédies grinçantes, Télédoc,

Le petit guide télé pour la classe [en ligne], 2007-2008,

http://www2.cndp.fr/TICE/teledoc/mire/teledoc_maupassant%284%29.

pdf (Page consultée le 12 octobre 2012)

Lefillastre Agnès, Chez Maupassant(1), Secrets et mensonges,

Télédoc, Le petit guide télé pour la classe [en ligne], 2006-2007,

http://www2.cndp.fr/TICE/teledoc/mire/teledoc_maupassant1.pdf (Page

consultée le 12 octobre 2012)

Lefillastre Agnès, Chez Maupassant(5), Marchés de campagne,

Télédoc, Le petit guide télé pour la classe [en ligne], 2006-2007,

Page 107: NOUVELLES DE GUY DE MAUPASSANT - ikee.lib.auth.gr

107

http://www2.cndp.fr/TICE/teledoc/mire/teledoc_maupassant%285%29.

pdf (Page consultée le 12 octobre 2012).

Lucie Guillemette et Cynthia Lévesque (2006), « La narratologie »,

dans Louis Hébert (dir.), Signo [en ligne], Rimouski (Québec),

http://www.signosemio.com/genette/narratologie.asp

Marchand Loïc, Chez Maupassant, 2007, [en ligne],

http://www.culture-series.fr/Chez-Maupassant-2007 (Page consultée le

12 octobre 2012).

Nègre Agnès, Chez Maupassant(1), Costume de conte, Extrait du

dossier de presse de la série , Télédoc, Le petit guide télé pour la

classe [en ligne], 2006-2007,

http://www2.cndp.fr/TICE/teledoc/mire/teledoc_maupassant1.pdf

Présentation de Chez Maupassant, [en ligne],

http://series-tv.premiere.fr/Chez-Maupassant-1597993 (Page consultée

le 12 octobre 2012).

Velasco Barbara, Chez Maupassant(7), Les femmes, les maris et les

amants… , Télédoc, Le petit guide télé pour la classe [en ligne], 2006-

2007, http://www2.cndp.fr/TICE/teledoc/mire/teledoc_maupassant7.pdf

(Page consultée le 12 octobre 2012).