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Préjugés Les catégories comme grille de lecture Mama Maggy Un croisement des cultures réussi Comportements expliqués par le Cultural detective π16 février 2014 COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT ET RELATIONS HUMAINES en Afrique La Chine Une autre vision du développement

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Dans ce numéro de février, on vous emmène en Asie, en Europe et en Afrique. Tous ces voyages mettront en évidence l’influence de nos valeurs sur nos actes...

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Préjugés Les catégories

comme grille de lecture

Mama Maggy Un croisement des cultures

réussi

Comportements expliqués

par le Cultural detective

π16février 2014

Coopér ation au dév eloppement et r el ations hum a ines

en AfriqueLa Chine

Une autre vision du développement

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Les Chinois – peut-être malgré eux – sont en train de provoquer en Afrique un changement de cap important dans les mentalités. D’importants accords entre des pays africains et la Chine ont été signés ces dernières décennies. Heureux de sortir d’une relation souvent jugée paternaliste avec les Occidentaux, les dirigeants africains ont mené les premières négociations tambour battant. Avec du recul, les Chinois ont parfois été jusqu’aux limites des droits convenus, laissant des mers vidées de leurs poissons ou des forêts rasées. Maintenant que la période de renégociation est arrivée, les pays africains jurent qu’on ne les y reprendra plus. Ils préparent leur négociation avec professionnalisme ce qui les met de facto dans une position de négociateur sur pied d’égalité : des Africains décomplexés aux commandes de leur avenir. A méditer en lisant ce numéro… Belle lecture !

Miguel de ClerckDirecteur Echos Communication

Retrouvez Echos Communication sur Internet www.echoscommunication.org

| éditoportrait p.7 Mama Maggy

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Ombres chinoises dossier p.13

Déconstruire les préjugés p.22

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outil p.27 Une lentille n’est pas l’autre

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blog-notes p.32 Weh Yeoh

savoirs du sud p.23 Yasmina El Alaoui

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3n’GO février 2014changement de regard

une girafe contre la pollution ? c’est à peu près l’idée... tout au long de l’année, les plages kényanes voient s’échouer des milliers de tongs en plastique, en caoutchouc ou en mousse, face visible de la pollution des océans. plutôt que de les mettre à la poubelle, l’entreprise Ocean sole, basée à Nairobi, les transforme en jouets, en boules de Noël en porte-clés ou en cale-porte ! le spécimen que vous voyez là est une sculpture qui sera vendue aux enchères pour la bonne cause, comme bon nombre d’éléphants et de crocodiles colorés avant elle. Découvrez Ocean Sole

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L’Afrique décoloniséeil parait qu’avec des ‘‘ si ’’, on peut mettre paris en bouteille. nikolaj Cyon, artiste suédois, est presqu’imbattable à ce petit jeu-là. sa première supposition l’amène à décupler les effets de l’épidémie de peste qui a sévi en 1350. l’europe ayant été ravagée par la maladie, elle n’ambitionnera jamais d’exploiter l’afrique qui jusqu’à aujourd’hui se serait construite à partir de ses propres définitions. Fini les frontières dessinées à la latte ! Sur base de recherches très sérieuses, nikolaj Cyon mixe les contours des empires historiques, des sphères culturelles, des régions linguistiques et des frontières naturelles. Un projet renversant !

Regarder l’explication de l’auteur

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5n’GO février 2014changement de regard

Gandhi avait raison !amis de la non-violence, réjouissez-vous ! Votre combat a deux fois plus de chance de réussir que si vous prenez les armes. C’est le résultat le plus marquant des recherches d’erica Chenoweth de l’université de denver. elle a répertorié 250 mouvements entre 1946 et 2006 visant un changement de régime, une sécession, ou le départ d’un occupant. « Une résistance civile efficace comprend un certain nombre de mouvements habilement agencés qui diversifient et augmentent la base de supporters, qui permettent d’éviter la répression et qui amènent les loyalistes à abandonner » écrivait-elle à propos de son livre.

Why Civil Resistance Works: The Strategic Logic of Nonviolent Conflict, Erica Chenoweth & Maria Stephan, Columbia University Press, 2011.

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6n’GO février 2014changement de regard

une vidéo vaut mieux qu’un long discours ! pour une critique amusante de la communication des ONG occidentales, il ne vous reste plus qu’à regarder la vidéo...

Michael, the fundraising actor| Vidéo du mois

Découvrez la vidéo

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portrait 7n’GO février 2014

« L’éducation est amère, violente par moments, mais ses fruits sont succulents ! »

Mama Maggy, pionnière de l’enseignement intégratif au Congo

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1951 Nait au Congo

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Margueritte Musole, ou Mama Maggy pour les intimes, ne rentre pas dans les stéréotypes habituels. Congolaise ? Un peu Belge aussi ? En tant qu’enfant du Congo colonial, elle est un produit du système d’enseignement belge, mais elle incarne pleinement la vitalité, la détermination et la chaleur congolaises. Les deux cultures jouent un rôle crucial dans son projet de vie : la première école à système intégratif congolaise.

1957-1968Suit l’enseignement belge à Lubumbashi (Institut Spes Nostra)

1968-1971Etudie la pédagogie à l’Institut Supérieur de Lubumbashi

1974 Suit son doctorant de mari en Belgique

1979 Retourne au Congo

1990 Devient directrice du Centre Balou, une école d’inclusion

1980 Participe au lancement d’un projet d’inclusion sociale

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portrait 9n’GO février 2014

«L’ enseignement est la clé pour tout développe-ment durable. » Mama Maggy le soulignera à plusieurs reprises.

C’est sa conviction la plus intime et la va-leur la plus précieuse qu’elle retient de ses diverses expériences ‘belges’. « Ajoutez un système d’enseignement bien structuré à la capacité congolaise de transformer les choses en très peu de temps, et vous ob-tiendrez une société avec des perspectives d’avenir », nous dit-elle. « Les Congolais brillent par leur vitalité et sont experts en relations humaines. C’est un pays de su-perlatifs, un pays dans lequel les miracles sont possibles. Le seul élément manquant est un système éducatif performant et une structure compétente pour former des en-seignants du niveau maternel et primaire. Telle est la véritable crise du Congo. Et croyez-moi, cela ne requiert pas de moyens énormes. Avec de petites choses, nous pouvons réaliser de grands changements. L’ordre, la compétitivité, la productivité, la régularité et l’excellence doivent remplacer le mythe du diplôme qu’il faut décrocher à tout prix, quitte à devoir le payer. »

Fertilisation croisée et effet boule-de-neige« Je suis intimement convaincue que des croisements sains entre deux cultures gé-nèrent une société meilleure. Si le potentiel africain est canalisé et structuré, la voie est ouverte pour un bel avenir. Nous de-vons repenser notre société, car elle a été profondément marquée par la colonisation

et la décolonisation qui a suivi. Et comme le Congo se situe au cœur de l’Afrique, si les choses y évoluent, c’est l’ensemble du continent qui s’épanouira ! »

L’illusion de la vie facileMama Maggy s’exprime avec un enthou-siasme volontaire. Quasi imperturbable. « Je banalise les difficultés », admet-elle. « Elles me laissent indifférente. Et je ne me lance jamais dans la critique, car je risquerais alors de perdre le nord. Je su-bis, j’observe et je cherche des solutions. Je n’abandonne jamais. Je considère mon grand amour pour le travail dur et bien accompli comme ma principale qualité. En Afrique, on imagine souvent que l’Europe déborde d’opportunités, que tout y est fa-cile. Les Africains de la diaspora, qui sont considérés dans leur pays d’origine comme ayant réussi, font tout pour maintenir cette illusion. J’ai moi-même habité cinq ans en Europe. Je m’y suis alors forgé une image toute différente de la réalité occidentale qui peut aussi être très dure. La prise de conscience que seul le dur labeur mène à la réussite est un capital que j’ai plus tard

« Ajoutez un système d’enseignement structuré à la capacité congolaise à changer les choses en très peu de temps, et vous obtenez une société avec des perspectives d’avenir. »

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portrait 10n’GO février 2014

d’autres priorités dans l’aide qu’elle dis-pense. Avec son projet d’école d’inclusion, Mama Maggy tente d’améliorer l’image que la société a des handicapés. En intera-gissant avec des enfants en pleine posses-sion de leurs moyens, les enfants handi-capés s’intègrent dans un environnement aux liens presque familiaux. Le nombre d’handicapés est limité à un ou deux par groupe de vingt enfants. Les classes sont volontairement réduites afin de garantir 

retournée en Allemagne quelques années plus tard, le Centre Balou est devenu mon projet de vie. La rigueur allemande ne m’est donc pas inconnue ! »

Devenir maçon en partant de rienEn Afrique, l’acceptation d’un enfant vi-vant avec un handicap est souvent très délicate. La société congolaise les rejette et la communauté internationale a défini 

emporté au Congo. A mon avis, les Congo-lais de la diaspora doivent prendre leurs responsabilités et aider leur pays, quitte à y revenir. Notre retour était un choix délibé-ré, mais il n’était absolument pas évident. Ce fut difficile. Nous avions peu de moyens et j’ai dû me réinventer pour parvenir à joindre les deux bouts. J’ai commencé un petit commerce de carburants, boissons et autres denrées, afin de pouvoir offrir le strict minimum à nos enfants. J’ai appris à transformer la douleur en fleurs ; si elle reste une pierre, elle tue. Cette vision, je la transmets également aux enfants avec qui je travaille aujourd’hui. »

Rigueur allemande à la sauce africainePlus tard, Mama Maggy devint assistante de lecture au centre culturel français de Lubumbashi. Jusqu’à ce qu’elle soit remar-quée par une coopératrice au développe-ment allemande, avec qui elle fonda une petite école dans laquelle 15 enfants, dont 5 avec un handicap, suivaient les cours en-semble. « C’est là que s’est pleinement épa-nouie ma grande passion qui est de donner à chacun les meilleures opportunités via l’enseignement. Lorsque ma collègue est

« J’ai appris à transformer la douleur en fleurs ; si elle reste une pierre, elle tue. »

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D est un arc« L’intelligence des enfants dits handicapés est souvent stupéfiante », d’après Mama Maguy. « Il y a quelques années, je tentais désespérément d’entrer en contact avec un enfant autiste, via différentes techniques de communication. Il s’appelait Dauphin. Soudain, après cinq jours, il a épelé son nom à l’aide d’images qui lui rappelait des lettres. Le D est

devenu un arc tendu, le A une échelle... Cela a donné naissance à un alphabet typographique que tous les enfants de notre école maternelle maîtrisent à présent. C’est devenu un instrument commun et il nous a énormément aidé à renforcer notre respect à l’égard des enfants en difficulté d'apprentissage. »

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un accompagnement aussi personnel que possible.

Les parents sont informés, par des classes ouvertes, de l’évolution des enfants. Cela facilite leur processus d’acceptation. Lorsqu’ils constatent que des enfants, qui auparavant n’étaient capables de rien, deviennent maçon ou menuisier, cela leur met du baume au cœur.Et les autres enfants ? « Ils en profitent 

tout autant. Non seulement ils acquièrent des aptitudes sociales particulières en côtoyant des handicapés, mais ils béné-ficient également d’un accompagnement sur mesure et des moyens pédagogiques dont nous disposons. Sans aucune compé-tence éducative, les enfants utilisent entre eux des méthodes particulièrement riches qui favorisent l’interaction. Grâce à la mé-thode 'children for children', des enfants sont parvenus à ce que leurs camarades de classe atteints d’audimutité produisent certains sons, ce qui leur a permis d’entrer en interaction les uns avec les autres. J’ai énormément appris de ces enfants, sur le plan humain et relationnel. »

Des termites comme source de revenusL’école d’inclusion de Mama Maggy est un modèle de foi en ses propres capacités. De-puis 34 ans, elle fonctionne exclusivement sur fonds propres grâce aux contributions des parents et aux revenus générés par une usine à briques approvisionnée par les 110 collines à termites qui se trouvent sur le site de l’école. « Je crois toujours que tout est possible », répète Mama Maggy. C’est son crédo.

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portrait 12n’GO février 2014

Les meilleurs enseignants, partoutEntre temps, Mama Maggy travaille à un nouveau projet en lien avec sa principale préoccupation : la professionnalisation de l’enseignement. « Avec des partenaires locaux et internationaux, je vais fonder un institut facultaire de formation pour les enseignants maternels et primaires. Je veux que s’élève une nouvelle génération d’enseignants bien formés, capables de poursuivre mon projet. Je ne veux pas mo-nopoliser mon projet, je veux le pérenniser en le transmettant à la jeunesse congolaise. La qualité de la formation des enseignants doit s’améliorer partout, jusque dans les plus petits villages du pays, et pas seule-ment dans les grandes villes. Pour étayer solidement mon projet, je me suis engagée dans un trajet d’échange avec la forma-tion d’enseignants de la Erasmushoges-chool de Bruxelles. J’étudie leur façon de travailler et j’enrichis mon projet avec ce qui est utilisable. La pédagogie congolaise doit être totalement repensée. Ce qui ne veut pas dire que nous devions calquer nos systèmes sur le modèle occidental. Nos élèves peuvent acquérir les connais-sances requises via des formes pédago-giques intégrant nos propres usages, récits et traditions. Les grands changements ne demandent parfois que des interventions mineures ! »

SYLVIE WALRAEVENS

Je connais Mama Maggy grâce aux visites de terrain qu’on organise pour les étudiants. Quelle personnalité ! Elle fait partie de ces figures fortes qui, malgré les difficultés immenses, continuent à faire avancer les choses. L’Afrique a grand besoin de gens comme elle. Mama Maggy est charmante, intelligente et elle n’a pas sa langue en poche. C’est une businesswoman lucide qui sait quels sont les moyens nécessaires pour réaliser quelque chose. Elle n’a pas ménagé ses efforts pour acquérir un terrain pour son école. Elle a des sources de financements très variées qui vont d’activités de production aux subsides, et elle sait les transformer en résultats

qualitatifs. Elle investit sur ceux que les autres délaissent et leur offre les meilleures pédagogies disponibles. Comme elle est agréable à vivre, beaucoup de gens veulent travailler avec elle, mais elle est très sélective. Ses actions vont de pair avec une profonde réflexion ; elle ne copie jamais bêtement. Ses projets

sont un brillant mix de potentiels africains et de contributions occidentales. Sa personnalité est époustouflante même si, de prime abord, elle est plutôt sobre. Le jour où je l’ai rencontrée, elle était en jeans, ce qu’aucune femme de son âge ne porte au Congo. Cela prouve simplement son esprit libre : rien ne lui fait peur ! Une fois, elle a même jeté la potion d’un fétichiste qui voulait l’intimider avant de le congédier... Elle ne manque vraiment pas d’audace ! »

Frank Verstraeten cOOrdINateur de ucOs (ceNtre uNIversItaIre de cOOpératION au dévelOppemeNt)

« Elle envoie promener les fétichistes »

|  témoignage

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dossier 13n’GO février 2014

Ombres chinoisesEconomistes, écologistes, politiciens ou citoyens : tout le monde s’est forgé une opinion sur la présence chinoise en terre africaine. Et peu de sujets divisent autant... Entre péril jaune et modèle à suivre, le fossé ne pourrait être plus grand. Comment expliquer de telles différences de perception ?

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dossier 14n’GO février 2014

A ddis Abeba, janvier 2012. Le siège f lambant neuf de l’Union Africaine est inau-guré devant un parterre de dirigeants africains. A la tri-

bune, les remerciements pleuvent. Ils sont adressés au gouvernement chinois qui, en signe d’amitié, a offert à l’Union cet immense complexe de verre et d’acier. Le premier partenaire commercial du conti-nent se félicite pour sa part de pouvoir aider l’Afrique dans son développement. Dans l’assemblée, le message est reçu cinq sur cinq. Et qu’on ne s’y trompe pas : dans les casques de traduction, le canal numéro un retransmet en langue chinoise, l’anglais ayant été relégué en seconde position.

Identité et fraternité« Historiquement, la relation sino-afri-caine s’est construite sur un respect mu-tuel », explique Peter Konijn, directeur de Knowing Emerging Powers in Africa. « Dans ses discours, la Chine parle d’une identité partagée : ‘nous sommes aussi en développement et nous avons aussi souf-fert du colonialisme et de la domination des grandes puissances, disent-ils en subs-tance. Nous étions aussi pauvres que vous

En 1964, lors d’un voyage au Ghana, le premier ministre de l’époque, Zhou Enlai, a énoncé les principes qui guideraient l’aide chinoise. S’ils sont encore d’actualité aujourd’hui, leur interprétation à évoluer au fil du temps.

1º La Chine fournit une aide selon les principes d’égalité et d’avantages mutuels.

2º La Chine respecte la souveraineté et n’impose ou ne réclame ni condition ni privilège.

3º La Chine limite les charges et intérêts liés aux prêts financiers. 

4º La Chine veut aider les pays bénéficiaires à devenir indépendants et autonomes.

5º La Chine mise sur des projets aux investissements peu élevés et aux résultats rapides.

6º La Chine fournit des équipements et du matériel de la meilleure qualité qu’elle fabrique elle-même.

7º La Chine s’engage à faire former le personnel du pays bénéficiaire aux savoir-faire techniques nécessaires.

8º Les experts chinois ne sont pas autorisés à jouir de conditions particulières ou de traitement de faveur.

Huit principes

« La Chine part de la conviction que la situation peut s’améliorer. »

peter Konijn

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dossier

viennent les réalisations de la Chine en Afrique, suivies d’une série de promesses. Pour conclure, le président insiste sur l’as-surance d’une collaboration fraternelle, respectueuse et durable. Il s’agit donc d’un discours bien construit et cohérent qui a le mérite de répondre aux attentes des audi-teurs africains. »

Différents niveaux de perceptionL’offensive de charme semble porter ses fruits. La Chine conquiert petit à petit les têtes et séduit les cœurs des pays afri-cains. Ce qui engendre une perception relativement positive. « Il est difficile de généraliser cette perception à l’ensemble de l’Afrique, mais globalement on observe quelques tendances. Au niveau du person-nel politique, on apprécie le changement d’attitude, en comparaison avec une cer-taine arrogance européenne. De plus, les interventions chinoises permettent aux politiciens de tenir certains de leurs enga-gements électoraux en terme d’infrastruc-tures et d’investissements. Concernant la classe moyenne, le besoin de consom-mation est grandissant. Grâce au rappro-

l’êtes maintenant mais nous avons réussi à briser le lien de dépendance aux techno-logies et aux financements occidentaux.’ L’idée principale qui en ressort, c’est la foi dans le progrès, la conviction que la situa-tion peut s’améliorer. »

Ces paroles résonnent de Cape Town à Dakar,  comme  le  confirme Guy Gweth, consultant en intelligence économique et stratégique et directeur de Knowdys. « On a analysé les discours officiels de Hu Jintao, entre 2004 et 2009. Lors de ses 18 visites d’Etat, il reprenait invariable-ment la même architecture qui se découpe en quatre temps. Il est d’abord question de l’historique de la relation. Ensuite,

Doudou et ses belles-mèresLe soft power ça vous dit quelque chose ? C'est la capacité d'un acteur politique (qu'il soit public, privé, ONG ou groupement citoyen) d'influencer de manière indirecte le comportement d'un autre acteur. Pour y arriver, les moyens mis en oeuvre sont non coercitifs. Généralement, ses vecteurs les plus efficaces sont la culture et les idéologies. Un exemple ? La diffusion de séries télé. Le soap chinois “Doudou et ses belles-mères” a été doublé en swahili en 2011 et a connu un grand succès en Tanzanie et au Kenya. Aujourd'hui, c'est avec un accent sénégalais que Mao Doudou et son mari Yu Wei envahiront les petits écrans d'Afrique francophone. Le but est de faire découvrir à quoi ressemble la culture moderne dans la Chine urbaine...

Regarder l'accueil de la série par la télévision gabonaise

« Grâce au rapprochement avec la Chine, un ménage peut maintenant se permettre d’acheter un réfrigérateur sans se ruiner. »

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Guy Gweth

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dossier 16n’GO février 2014

géopolitiques. « Ca fait longtemps que l’Europe cultive un certain nombre de pré-jugés sur la Chine », nous confie Laurent Delcourt, sociologue, historien et cher-cheur au Centre tricontinental (CETRI). « Avec plus d’un milliard d’habitants, c’est une puissance qui inquiète et dont les in-tentions paraissent suspectes. Elle repose sur des institutions et des valeurs complè-tement différentes que l’on connait mal, ce qui ne facilite pas notre compréhension de son action internationale. Les Chinois pro-cèdent, par exemple, à un tout autre arbi-trage entre droits individuels et collectifs. En gros, le développement de la collecti-vité dans son ensemble prime sur le reste. Traditionnellement, le développement est avant tout un droit collectif, qui ne peut être atteint qu’en préservant l’unité de la communauté, devant laquelle les droits in-dividuels doivent s’effacer. En tant qu’Oc-cidental, ça nous choque et on s’invente un péril jaune qui en fait n’existe pas ! Il est, par exemple, très étonnant d’entendre les critiques par rapport à l’accaparement des terres africaines par les Chinois. Quand on fait le calcul, 50% de ces sols ont été pris par des opérateurs privés occidentaux, contre 4% seulement par les Chinois... »

Faut-il alors résumer la réaction euro-péenne à de la fierté mal placée ? « Il semble difficile pour les Européens d’ac-cepter cette nouvelle influence, mais aussi de se regarder dans le miroir pour évaluer les 50 dernières années de coopération au développement. Cette percée asiatique doit être mise en relation avec l’image négative que les élites africaines ont de

tion. Par contre, les petits commerçants souffrent beaucoup de la concurrence et certains secteurs, comme le textile, ont été laminés par le ‘made in China’. Cer-tains intellectuels s’inquiètent également des répercussions sur le moyen et le long terme de la présence sur l’ensemble du continent. Lamido Sanusi, gouverneur de la banque centrale du Nigéria, parlait en mars 2013 de néocolonialisme chinois en Afrique. La Chine veut faire de l’Afrique la vitrine de sa puissance et de son succès dans les affaires internationales, mais quel en sera le prix ? »

L’Occident rit jauneDepuis Paris ou Washington, on ne voit pas d’un très bon œil ces changements

chement avec la Chine, un ménage peut maintenant se permettre d’acheter un ré-frigérateur sans se ruiner. Cette classe so-ciale peut donc se renforcer et asseoir son statut, ce qui par effet mécanique profite à la croissance économique. La satisfaction du néo-consommateur ne peut qu’être au rendez-vous. Enfin l’opinion publique, confortée par une presse africaine très enthousiaste, considère généralement la Chine comme un partenaire économique et diplomatique plutôt sympathique. »

L’empire du Milieu se taille donc une image lisse et bienveillante. Mais les pre-mières écornures commencent à voir le jour. « Si vous prenez les opérateurs éco-nomiques, la grande distribution, aux reins solides, est enchantée de la situa-

Plus d’un visageVu d'Europe, on se dit que la Chine est gouvernée par un pouvoir ultra-centralisé qui prend toutes les décisions au niveau national et international et qui contrôle tant le domaine public que les acteurs privés. Le Parti communiste chinois serait seul maitre à bord. C'est probablement l'existence de ce parti unique qui nous pousse à cette simplification abusive. 

Dans les faits, les jeux de pouvoir n'ont rien à envier aux démocraties occidentales. Les différentes provinces mènent la vie dure aux politiques nationales et bon nombre d'entreprises privées ont une sphère d'influence bien plus large que les ministères avec lesquelles elles entretiennent des liens souvent privilégiés. La Chine a bien changé depuis Mao...

laurent delcourt

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17dossier n’GO février 2014

l’Ouest. Il faut, en partie, y voir un rejet des politiques économiques mises en place ces trente dernières années, des condition-nalités et du discours moralisateur. »

Gagnant-gagnant« Bien sûr, il ne faut pas minimiser le non-respect par des entreprises chinoises des normes environnementales, des droits so-ciaux, les trafics de faune ou les problèmes de déforestation. Mais il ne faut pas pour autant condamner les énormes avancées en matière d’infrastructures. Du point de vue des gouvernements africains, ce n’est pas une mauvaise chose de bénéficier d’une aide plus rapide et beaucoup moins chère. Il suffit de voir Kinshasa pour s’en rendre compte. Pékin ne cache pas ses besoins en matières premières ou sa vo-lonté de pénétrer certains marchés, mais cela se passe dans un climat relativement serein. Chinois et Africains ne parlent plus comme autrefois de solidarité Sud-Sud,

« La Chine veut faire de l’Afrique la vitrine de sa puissance et de son succès dans les affaires internationales, mais quel en sera le prix ? »

« Le développement est le seul moyen de survivre » nous explique Zhang Sirui, directeur de l’Institut Confucius de Bruxelles. « Le monde a beaucoup évolué et, même si la Chine a commencé très lentement, elle se développe beaucoup ces trente dernières années et les gens en bénéficient. Selon moi, le développement est une nécessité pour parvenir à un dialogue d’égal à égal car notre croissance nous a permis de retrouver un droit de parole au niveau international. L’égalité a toujours été un problème mondial à travers les âges. La Chine tente de contribuer à un équilibre planétaire, sachant que dans tout processus de

développement, personne ne devient riche du jour au lendemain et que tout le monde ne grandit pas au même rythme. Le rêve chinois est de pouvoir vivre dans un cadre au sein duquel tout le monde pourrait réaliser sa propre ambition, que ce soit aller sur la lune pour un scientifique ou enseigner l’anglais et le chinois au plus grand nombre, dans mon cas en tant que professeur d’université. Pour arriver à satisfaire la diversité, il faut s’unir pour travailler à un futur meilleur. C’est de là que vient le bonheur : sentir que notre situation est meilleure qu’hier et regarder le futur avec espoir. »

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dossier 18n’GO février 2014

sortent pratiquement pas de leur chantier car ils ont un peu peur de l’extérieur. »

« Je pense que ce qui fait la différence pour l’instant, se mesure au niveau de l’at-titude. La Chine ne cherche pas à impo-ser sa vision du développement. Elle n’a pas l’intention de se mêler des politiques intérieures et elle ne dit pas aux autres ce qu’ils doivent faire. Elle se concentre sur la croissance économique et sur une rhétorique valorisant le win-win et l’éga-lité entre les parties. Mais il ne faut pas se leurrer : que ce soit la Chine, le Brésil ou l’Inde, on reste dans des relations asy-métriques. Et les dirigeants africains s’en rendent bien compte. De plus en plus, j’ob-serve que les pays africains sont réticents à l’idée de considérer les pays émergents différemment des anciennes puissances. Ils veulent surtout prendre en main leurs propres défis et ne plus chercher les solu-tions, voire les causes de leurs problèmes, à l’extérieur. L’Afrique veut faire ses propres choix et la multiplication d’acteurs inter-nationaux peut augmenter son pouvoir de négociation et peut être une des conditions vers une véritable indépendance. »

RENAUD DEWORSt

mais d’un véritable partenariat gagnant-gagnant, ce qui indique que la coopération économique a pris le relais de la coopéra-tion politique ou idéologique. Par rapport à l’aide au développement, plutôt que d’op-poser celle de l’OCDE et celle de la Chine, je pense qu’il vaudrait mieux se concentrer sur les complémentarités. L’intérêt pour la bonne gouvernance et pour la croissance économique sont, après tout, parfaitement conciliables. »

Au-delà des motsLa relation sino-africaine n’est pas neuve. Dès les années 50, des liens se sont trico-tés, au niveau culturel aussi. En témoigne les nombreux Instituts Confucius qui fleurissent au Kenya, au Cameroun ou en Afrique du Sud. Ils ont pour but de diffuser la culture chinoise. « La Chine investit beaucoup, via les médias et via les Instituts, pour se faire connaitre », relève Peter Konijn. « Tous les ans, près de 20.000 bourses sont attribuées a des étudiants africains pour qu’ils puissent étudier en Chine. Par contre, il y a un défi-cit de connaissances du côté chinois. Ils en savent très peu sur les différents pays, les

cultures, sur les gens. On note une légère hausse des études africaines ces dix der-nières années, mais cela reste marginal. Sur le terrain, ils ne parlent pas la langue locale et ont une maitrise assez pauvre de l’anglais ou du français. On ne peut pas vraiment parler d’enrichissement intercul-turel. La plupart des employés chinois sont pauvres et viennent pour travailler. Ils ne

Chinois et Africains ne parlent plus comme autrefois de solidarité Sud-Sud, mais d’un véritable partenariat gagnant-gagnant, ce qui indique que la coopération économique a pris le relais de la coopération politique ou idéologique. Ce qui fait la différence se mesure au niveau de l’attitude.

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comment faire pour... déconstruire les préjugés 19n’GO février 2014

Episode 1 : des catégories aux stéréotypes« tous corrompus, tous fainéants. tous des voyous. toujours en retard. Jamais à l’heure. » Ces mots simplificateurs, ces généralisations sont l’essence même du préjugé. Ils révèlent le refus ou l’ignorance d’une réalité plus complexe.

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comment faire pour... déconstruire les préjugés 20n’GO février 2014

D ire du préjugé qu’il est naturel, n’est pas le colorer en bien ou en mal. Il s’agit simplement de constater son existence chez tout le monde. Car tous,

nous développons des attitudes positives ou négatives à l’égard d’un groupe donné. Dans un contexte de repli identitaire s’ac-centuant en Europe, s’intéresser à la ques-tion présente un intérêt majeur. Vouloir s’attaquer à un préjugé est difficile et dé-bouche trop souvent sur la mise en état de stress des gens qui ont ce préjugé, surtout lorsque celui-ci est puissant. Enervement, colère, évitement, silence sont des réac-tions coutumières. L’expérience montre qu’on ne peut pas obliger ni une personne ni un groupe à revoir un préjugé. Les en-traîner de force sur ce terrain aurait plutôt l’effet contraire : les conforter dans leur vision. C’est au groupe ou à la personne de faire le chemin. Le principe que nous dé-

Catégorie Regroupement d’entités différenciables selon une règle ou un principe. Les entités regroupées présentent donc une caractéristique commune.

Les objets bleus ou rouges, les grands, les petits, les Français, les Hollandais, les hommes, les femmes...

StéréotypeEnsemble de croyances partagées sur les caractéristiques d’un groupe de personnes. Ces croyances reposent sur des rumeurs construites de toutes pièces (Les Roms enlèvent les enfants.) ou s’inspirent d’exemples existants que l’on généralise à la catégorie (« Tout ce qui est petit est mignon », « les Français sont chauvins », « les Hollandais sont économes »). Ces croyances sont appliquées à un groupe entier de personnes sans tenir compte des différences individuelles. Il s’agit de constructions mentales basées sur une série de facteurs : rapport de forces, émotions, simplification, généralisation, omission et distorsion…

Le stéréotype est évolutif dans le temps. Aux Etats-Unis, les Japonais étaient considérés comme plus rusés avant la seconde guerre mondiale qu'après. De même, les Noirs sont

de moins en moins paresseux et superstitieux et de plus en plus sportifs et musicaux.

Préjugé Attitude comportant une dimension évaluative du type « j’aime ou j’aime pas ! » à l’égard d’un groupe donné. Il est défini comme un jugement préalable, définitif sur une personne ou un groupe de personnes sans posséder de connaissances suffisantes pour évaluer la situation. C’est une idée préconçue socialement apprise, partagée par les membres d’un groupe.

Exemple : « Je n’aime pas les Hollandais parce qu’ils sont économes et donc avares. »

Discrimination Comportement positif ou négatif non justifiable à l’encontre d’un groupe social donné. La discrimination est le comportement qui est induit par le préjugé. Il consiste à appliquer un traitement différent et inégal à des personnes ou des groupes en raison de leur origine, de leur appartenance ou de leurs opinions, réelles ou supposées.

Exemple : « Je ne loue pas ma maison à un Hollandais. »

Quatre conceptsOn voudrait pouvoir s’en séparer mais la réalité est que tout le monde en a. Le préjugé est « naturel ». Impossible de ne pas en avoir. Faut-il pour autant baisser les bras ? Non, il existe des méthodes et des manières d’être qui facilitent sa déconstruction.

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comment faire pour... déconstruire les préjugés 21n’GO février 2014

velopperons dans les articles qui suivront est de nous inviter à regarder les choses autrement, à apporter de la nuance, de la curiosité, de la relativité dans la manière de regarder l’autre. Plus facile à dire qu’à faire…

Le préjugé construction du cerveau et construction socialeQu’est ce qu’un préjugé et comment se forme-t-il ? En quoi est-il inhérent à la condition humaine ? A ces questions, les scientifiques répondent en identifiant trois sources spécifiques que nous détaillerons. La première est liée à la socialisation, en l’occurrence la transmission des normes, des valeurs, des usages, de la culture, etc. La deuxième réside dans le fonctionne-ment des groupes entre eux et à l’intérieur du groupe. La troisième source est celle du cognitif ou autrement dit de la manière dont le cerveau fonctionne pour appré-hender le monde. Cette dernière offre des pistes d’action importantes et nous pousse à nous intéresser à quatre mécanismes cérébraux à l’œuvre dans la création des stéréotypes : la catégorisation, l’omission, la généralisation et la distorsion.

Catégoriser une compétence essentielleSelon des recherches menées depuis les années quatre-vingts, les bébés disposent déjà à la naissance d’une capacité à créer des catégories de base. Dès les premiers mois, ils regroupent des objets selon la couleur, l’orientation ou encore la forme.

Dans le langageLes signes de généralisation associés à un groupe et à une caractéristique : ils sont tous corrompus… Les mots comme tous ou leurs autres formulations : « Les Amé-ricains (= tous les Américains), les Blancs (= tous les Blancs) » sont des indices. Jamais, toujours, aucun sont autant de pistes additionnelles.

Les signes physiologiquesLe préjugé est une attitude qui se traduit par le langage verbal mais aussi par le langage corporel. Dans la communica-

tion, ce dernier est en général spontané et inconscient. Lorsqu’un préjugé est néga-tif, l’attitude se manifeste par exemple à travers les signes corporels du dégout, du rejet, de l’évitement, de la condes-cendance… Encore faut-il pouvoir les distinguer.

Sur ce sujet, lire : Loris Tamara Schia-ratura, Analyse et interprétation psycho-logiques des comportements corporels en situation de communication interper-sonnelle, 2013. http://methodos.revues.org/3013

Repérer les signes du préjugé

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|  aller + loin

Or, créer des catégories est une habilité essentielle pour le fonctionnement des êtres humains : cela permet de réduire la complexité, la quantité et la diversité du monde qui nous entoure. C’est aussi l’occa-sion de relier les informations entre elles et de ne pas devoir les traiter de manière individuelle. Créer des catégories a éga-lement pour avantage de mémoriser plus facilement l’information et de la restituer. Enfin, cela permet de mettre en place des mécanismes logiques d’inférence : à partir d’une assertion considérée comme vraie, il est possible de considérer une autre affir-mation comme étant vraie en utilisant des règles précises.

On comprend toute l’importance de ce mécanisme pour les êtres humains, mais aussi les biais qui vont en naître. Car créer des catégories implique de mettre en avant une caractéristique commune à un groupe. On exagère alors la similarité entre les re-présentants d’un même groupe. Parallèle-ment, les différences entre des personnes appartenant à deux groupes différents sont elles aussi accentuées. La catégorisa-tion induit l’augmentation du sentiment de différence entre les groupes et renforce le sentiment de préférence accordé au groupe auquel on appartient. La catégorisation est le marchepied qui mène au stéréotype.

Décatégoriser, première possibilité d’actionDes scientifiques tels que Gaertner ont exploré la possibilité de travailler sur un mécanisme de décatégorisation allant de pair avec de l’individuation. Lors d’une

expérience qui sera répétée par la suite, des volontaires étaient invités à regarder les membres d’un autre groupe comme des individus dotés de caractéristiques et d’opinions personnelles propres et non plus comme les membres d’un autre groupe. En poussant le principe à sa limite les chercheurs en sont arrivés à décatégo-riser les membres des deux groupes. Il n’y avait plus que des individus.

Cette méthode peut être efficace pour soi-même lorsqu’on cherche à dé-construire un préjugé sur quelqu’un basé, par exemple, sur son appartenance reli-gieuse ou sa nationalité. Mais, elle fait aveu de faiblesse pour les personnes qui ont des préjugés sur un groupe donné et qui n’ont aucune raison particulière de se prêter à pareille expérience. Plus embêtant encore, comme l’appartenance à un groupe semble être l’un des fondements de la vie humaine, personne n’a vraiment envie de détricoter son identité sociale pour, par exemple, abandonner son identité belge, wallonne, bruxelloise, f lamande pour une identité européenne… La technique n’est donc valable que pour des personnes d’une extrême bonne volonté qui veulent consciemment dépasser les barrières du préjugé. PIERRE BIéLANDE

LivresStéréotypes, préjugés et discriminations Jean-Baptiste Légal & Sylvain Delouvée, Dunod, 2008

Contes philosophiques de la diversitéÉvelyne Lagardet & Michel Tubiana, Eyrolles, 2010

Internetwww.prejuges-stereotypes.netwww.psychologie-sociale.com

Dans le prochain épisode, nous nous intéresserons à l’interaction entre les mécanismes d’omission, de distorsion et de généralisation mis en exergue par la Programmation neurolinguistique.

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Yasmina El Alaoui

Construire sur les talents

savoirs du sud 23n’GO février 2014

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savoirs du sud construire sur les talents 24n’GO février 2014

L a plupart du temps, on mène des projets en Afrique, en regardant ou en considérant ce qui ne va pas, ce qu’il semble manquer, ou ce qu’il faut changer dans les

mentalités pour obtenir des changements de comportement en accord avec le monde moderne et certains indicateurs. Mais pourquoi ne pas le voir autrement ? Et si nous partions plutôt des talents pour créer du développement ?

C’est dans cet esprit que travaille l’équipe de la MJCA, une maison de quartier de Ouagadougou dont je coordonne l’activité. Si on veut du développement, il faut partir des gens et de leurs talents, sans s’arrêter aux contextes non favorables. Ils ont des aspirations, une histoire, des souffrances aussi... Mais, avant tout, chaque personne porte en elle un énorme potentiel. Com-ment le valoriser et le mettre en action ?L’équipe de la MJCA est composée d’une vingtaine d’animateurs, salariés ou béné-voles, issus du quartier et mobilisés sur leur vision communautaire et leur désir de progresser. Pour permettre à chacun d’évoluer, l’association a investi dans le renforcement des compétences. Au niveau collectif,  il est facile et efficace d’organi-ser des formations. Au niveau individuel, l’approche est plus complexe. En effet, comment permettre à chacun de trouver sa place et de s’approprier le projet ?

Pas d’exécutionIl faut veiller à une bonne circulation des informations et des idées. Chaque semaine, l’équipe se réunit pour que cha-

« L’épanouissement, la confiance en soi et un cadre d’expression constituent l’une des bases pour impulser le changement social. »

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tisation des femmes. Je lui ai demandé de m’expliquer pourquoi elle voulait le faire et lui ai proposé de préparer elle-même le projet. En fait, ce projet faisait déjà partie des plans pour les années à venir. Mais si je lui avais demandé de l’organiser, nous aurions été dans une démarche d’exécu-tion. Ici, on est plutôt dans une démarche de gagnant-gagnant : à la fois la structure et la personne sont renforcées.

Partir des motivations profondesLe fait qu’un projet prenne forme sur base d’une véritable motivation personnelle a des  répercussions  très  bénéfiques.  Cela 

cun soit au courant des activités menées et participe à leur élaboration et à leur évaluation. Chacun à l’occasion de s’affir-mer au sein de l’équipe, ce qui augmente la confiance en soi. Tous les deux ans, j’orga-nise une évaluation via un questionnaire d’amélioration. Il donne lieu, par la suite, à une discussion sur les compétences, sur le développement professionnel et personnel, sur l’évolution de la structure dans les pro-chaines années. C’est l’occasion de laisser les employés prendre des initiatives dans les domaines qui leur tiennent à cœur. Par exemple, il y a deux ans, Honorine a conclu notre entretien en disant qu’il fal-lait commencer un programme d’alphabé-

La Maison des jeunes, des cultures et des associations

Créée et mise en œuvre depuis 2007 par l’association Dunia la Vie-Burkina, la Maison des jeunes, des cultures et des associations (MJCA) est une maison de quartier animée par et pour les habitants dans une des banlieues de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. L’association, à vocation socioéducative, vise notamment à promouvoir les talents et les aspirations, à être un espace d’expression, de partage et d’apprentissage avec l’ambition d’avancer tous ensemble. Ainsi, en s’appuyant sur les habitants pour animer la MJCA, l’association repère et valorise les capacités locales et crée ainsi une dynamique de quartier. Par exemple, Monsieur Sanga, couturier travaillant en face de la MJCA, n’a pas hésité à ouvrir un centre de couture pour les enfants déscolarisés dont il est le formateur bénévole.

http://mjcabf.blogspot.be/

n’GO février 2014savoirs du sud construire sur les talents

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savoirs du sud construire sur les talents 26n’GO février 2014

verte de soi, le désir d’avancer dans le cadre d’une interaction. Par la suite, le fait de progresser permettra à chacun de prendre confiance en soi et de pouvoir contribuer à l’amélioration de ses conditions de vie. Pour pouvoir appuyer ce changement, il faut s’inscrire dans un vrai partage. Il ne s’agit pas uniquement d’écoute. Il s’agit avant tout de s’insérer dans le tissu social dans lequel on évolue et de s’impliquer dans la relation humaine.

éveille d’autres motivations. Les ateliers d’alphabétisation en témoignent. Prenant confiance en elles, les femmes participant à ce programme ne se sont pas arrêtées là ! Elles ont mis en place une troupe de théâtre pour sensibiliser les enfants à l’importance de l’école et elles ont créé une équipe de foot où elles s’entrainent chaque dimanche. Les sorties à l’extérieur du quartier (spectacles, visites, etc.) leur ont permis par ailleurs de s’ouvrir à d’autres réalités. Les femmes ont gagné en autono-mie (lire un numéro de téléphone, gérer leur budget, proposer de nouvelles acti-vités...). Cet épanouissement a eu un im-pact positif direct sur le foyer. Les maris ne pensaient pas que leur femme pouvait faire des études. Les bancs étaient réser-vés pour les jeunes et les enfants. L’affir-mation des femmes a permis que les maris les estiment davantage, contribuant à une meilleure communication et entente au sein du foyer.

L’épanouissement, la confiance en soi et un cadre d’expression constituent l’une des bases pour impulser le changement social. Cela demande une certaine forme de lâcher-prise : croire en l’autre, l’appuyer sans se substituer est un des éléments es-sentiels pour la bonne marche des projets. A la MJCA, nous nous appuyons dans un premier temps sur les qualités, la décou-

« Croire en l’autre, l’appuyer sans se substituer est un des éléments essentiels pour la bonne marche des projets. »

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outil 27n’GO février 2014

Une lentille n’est pas l’autrePrenez un bain de culture avec la méthode Cultural Detective

Une communication directe est-elle efficace ou choquante? Est-il déconseillé de demander l’avis de chacun ou est-ce, au contraire, une garantie de succès ? Voyagez d’Est en Ouest, du Nord au Sud, et vous obtiendrez des réponses de toutes les couleurs… Comment ne pas commettre d’impair ? Selon la méthode Cultural Detective, la connaissance d’une culture n’est pas une question de règles, mais avant tout une compétence.

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outil une lentille n'est pas l‘autre 28n’GO février 2014

A vez-vous déjà consulté un guide de voyage sur votre propre pays ? Fou rire ga-ranti ! Si certains conseils évoquent des souvenirs, ils

relèvent, dans bon nombre de cas, de la simple caricature. Toutes ces règles et théories sur ce qui est approprié ou pas ne vous seront d’aucun secours dans la plu-part des situations. Il est bien plus utile de cerner les valeurs et les normes qui conduisent à un comportement déterminé afin de développer une certaine compré-hension des manières d’être d’autrui.

Ni bon ni mauvaisJolanda Tromp est consultante, forma-trice et  coach certifiée dans  la méthode Cultural Detective. Elle apprécie grande-ment la simplicité et l’aspect pratique de cette approche. « Les instruments sont directement utilisables dans une situation de ‘confrontation’ culturelle, alors que les théories culturelles exigent un travail de traduction. En quoi est-ce utile de savoir si une culture est plutôt directe ou indi-recte, si on ne sait pas pourquoi il en est ainsi et quelle attitude adopter ? Cultural Detective opte pour un angle d’attaque différent. La méthode est analytique et procédurale. Elle ne vise pas à donner tout de suite un sens à un comportement, mais à identifier les valeurs et les normes importantes au sein d’une culture qui engendrent ce comportement. Ainsi, les Néerlandais attachent beaucoup d’impor-tance au dialogue ouvert, alors que les An-glais se montrent plutôt réticents à l’égard

d’une communication trop directe. Ces deux attitudes ne sont ni positives ni indé-centes ; elles sont simplement l’expression de valeurs. Notre perception dépendra de la culture à travers laquelle nous jugeons la réalité. Il va de soi que chaque indivi-du a aussi sa propre histoire, qui fait qu’il vit les valeurs dominantes de sa culture à un certain degré. En recherchant, pour chaque comportement, les interprétations positives et négatives d’une valeur sous-jacente, la méthode Cultural Detective ouvre les perspectives et évite le recours aux stéréotypes. Les gens réalisent alors qu’ils voient le monde à travers une lentille culturelle. »

Compassion et confiance en soiLa méthode Cultural Detective est un ins-trument particulièrement efficace en cas de négociation ou de  conflit, mais aussi pour des personnes qui dirigent des pro-

« Nos attitudes ne sont ni positives ni indécentes. Elles sont simplement l’expression de valeurs. »

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jets de développement, qui voyagent ou qui déménagent. « En cernant les différentes perspectives (lentilles), nous apprenons à respecter les cultures des deux parties et à évoluer vers des synergies. Dans une équipe composée de différentes cultures, les barrières culturelles forment d’abord un obstacle. A partir du moment où les membres ont acquis des compétences interculturelles, le travail d’équipe se voit justement renforcé grâce à la diversité. L’incompréhension culturelle engendre des incidents et ronge la confiance en soi. Celui qui se sent incompris fait rapi-dement preuve d’un comportement de saboteur, avec des conflits à  la  clé. Cela coute énormément d’énergie et peut avoir un impact financier considérable dans un contexte professionnel, lorsque cela conduit à l’échec de projets. Celui qui est capable d’utiliser une autre lentille cultu-relle développe davantage de compassion et de confiance en lui. »

outil une lentille n'est pas l‘autre 29n’GO février 2014

1. Découvrir une culturesubjective

les participants apprennent en premier lieu à observer sans vouloir d’emblée donner un sens. ils apportent des photos ou des objets qui sont incompréhensibles pour d’autres cultures. en les interrogeant sur la signification possible de ces choses, le coach ouvre les yeux des participants sur l’influence des normes et des valeurs culturelles sur le comportement. Cette expérience a souvent l’effet d’une révélation : « Comment ai-je pu ignorer cela ! » C’est la première étape : apprendre à connaitre sa culture subjective et ses propres conclusions hâtives. Cultural detective tente de jeter un pont sur le malentendu qui maintient une distance entre les cultures a et B.

2. Acquérir une connaissance culturelle

dans une deuxième étape, on prend conscience que l’autre n’est pas étranger, mais qu’il agit à

partir de son propre système de valeurs et de normes. les signaux que nous percevons ne sont que des interprétations de ce que les gens veulent dire. par cette prise de conscience, la confiance entre les cultures concernées grandit progressivement.

3. Apprendre toute sa viepour celui qui a grandi dans une seule culture, réaliser que la conception que d’autres ont du monde n’est pas nécessairement moins bonne, mais qu’elle est simplement basée sur d’autres valeurs, est un processus d’apprentissage laborieux. adopter une vision ‘relativisante’ du monde demande un long processus de prise de conscience qui, dans chaque situation concrète, doit à nouveau être parcouru et pratiqué afin que l’aptitude se développe.l’acquéreur d’un paquet Cultural detective est ensuite guidé en ‘live’ ou en ligne dans le cadre du développement de ses compétences interculturelles. Cela se fait individuellement ou en groupe. après la formation, un trajet de coaching est possible.

|  comment ça marche ?

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outil une lentille n'est pas l‘autre 30n’GO février 2014

Cinq valeurs dominantesCultural Detective a analysé les normes et valeurs de plus de 50 cultures et a ensuite réparti ces informations en différents modules. Le Global Teamwork, auquel Jo-landa Tromp a participé, est l’un des plus récents. Il existe en outre des modules sur l’éthique, le project management, les différences entre hommes et femmes, ou entre les générations : autant de sujets pouvant faire échouer des projets ou des collaborations.

En plus d’un module thématique, on choisit également la lentille de la (sous-)culture que l’on souhaite apprendre à connaitre. Une lentille décrit cinq à sept valeurs et normes considérées comme do-minantes dans un environnement déter-miné. Il y a des lentilles par pays ou par régions, mais également pour des sous-cultures sociales. Ces valeurs influencent le comportement des personnes et peuvent

Ce que j’apprécie surtout dans la méthode Cultural De-tective, c’est que les cultures n’y sont pas présentées comme étranges, mais tout simplement différentes. L’ac-cent y est mis sur la richesse plus profonde, sur les valeurs qui se cachent derrière la culture. Les valeurs sont en général positives, mais elles peuvent être perçues négativement. En partant de ce point de vue, Cultural Detective assure une certaine objectivité. Le module Self Discovery est mon préféré. Il part de questions simples qui relativisent petit à petit les stéréotypes nationaux. Je demande ainsi à mes étudiants américains quelles sont les valeurs typiquement américaines. La débrouillar-dise, le dur labeur et la liberté d’expression sont très sou-vent cités. Moi-même, je leur parle des valeurs nationales du Ghana. Ils sont souvent

étonnés des différences. Dans une deuxième phase, je leur demande quelles sont leurs valeurs personnelles. Elles coïncident parfois avec les valeurs nationales, mais peuvent aussi s’en écarter largement. Bien souvent, mes valeurs personnelles sont très proches de leurs valeurs. Les valeurs individuelles nous rendent humains. Les discussions concernant nos

films préférés, notamment, font facilement office de pont. Dans le cadre d’un échange culturel, il est logique de commencer par une com-paraison entre les valeurs nationales, mais les simili-tudes doivent ensuite être abordées le plus vite possible. La bonne attitude pour com-bler le fossé culturel ? Faire preuve de patience et écouter attentivement...

Angela Owusu-Ansah, prOFesseur GhaNéeNNe aux etats-uNIs

« Nos valeurs nous rendent humains »

|  témoignage« Celui qui est capable d’utiliser une autre lentille culturelle développe davantage de compassion et de confiance en lui. »

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outil une lentille n'est pas l‘autre 31n’GO février 2014

constituer une source de conflit. Chaque valeur est décrite avec ses interprétations positives et négatives. Les lentilles cultu-relles sont rédigées par des experts locaux et bénévoles (anthropologues, psycholo-gues, sociologues...). Ils répertorient l’in-formation sur leur culture à partir de leur propre expertise. Afin d’en garantir la va-leur scientifique, chaque lentille est créée par plusieurs experts et est revue tous les deux ans.

Tout au long de l’accompagnement, le coach a recours à des incidents critiques : des instantanés où les choses se passent mal. « Ces incidents critiques sont de véri-tables pépites d’or. On peut véritablement y observer le déroulement des mésententes ou frictions culturelles : des actions par-tant d’une bonne intention mais qui sont mal perçues. Les participants apprennent à analyser les malentendus et à aller à la recherche de l’interprétation positive du comportement. Il s’agit d’un processus par étapes, où l’on apprend à ne pas juger (ni condamner) trop vite. »

SYLVIE WALRAEVENS

APPEL à CANDIDAtS cultural detective a déjà répertorié un grand nombre de pays, régions et sous-cultures. toutefois, il existe encore un large territoire inexploité en afrique. actuellement, le cameroun, l’afrique de l’Ouest et l’afrique du sud figurent parmi les lentilles proposées. la demande d’experts, surtout en afrique, est donc énorme. vous sentez-vous l’âme d’un sherlock ?

www.culturaldetective.comDianne Hofner Saphiere e.a., Communication Highwire: Leveraging the Power of Diverse Communication Styles, Intercultural Press, 2005

|  en savoir +

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Q ue ce soit Daniel-san dans Karate Kid, l’équipe de bobsleigh jamaï-caine ou encore Mel Gibson en kilt, les gens aiment soutenir les outsiders. Voici une histoire qui

fait du bien, avec une leçon toute simple.Au Cambodge, on estime que 600.000

personnes n’ont pas accès à un service de base en thérapie du langage. Il s’agit de per-sonnes ayant un handicap lié à la commu-nication ou ayant des difficultés à avaler. Certaines ont eu une attaque cérébrale et ne sont plus en mesure de se nourrir de ma-nière autonome. D’autres sont nées avec un bec de lièvre et doivent subir un traitement chirurgical et thérapeutique pour pouvoir manger et communiquer. D’autres encore souffrent de troubles du spectre autistique et requièrent des stratégies de communica-

Weh YeohWeh Yeoh travaille au Cambodge autour de la question du handicap. Il a une formation de physiothérapeute et un master en Etudes du Développement à l’université de NSW. Il a voyagé dans différentes régions d’Asie et a travaillé dans un orphelinat et refuge pour adultes atteints d’un handicap au Vietnam. Il a vécu en Inde et étudié le Mandarin à Pékin. Il a travaillé pour Handicap International en Australie et en Chine.

|  parole d’expert

Seules les petites ONG sont capables de répondre aux besoins insatisfaits

blog-notes 32n’GO février 2014

tion pour pouvoir interagir avec leur famille, leurs amis et leur communauté.

Pas de loi, pas d’aideMalgré cette demande importante,

l’offre de service fait défaut. Les raisons en sont multiples, mais ce manque peut s’expliquer à l’aide du diagramme (simpli-fié à l’excès) suivant.

conventions, lois, politiques

Financements

programmes

services

Au sommet du diagramme, le handicap

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blog-notes 33n’GO février 2014

priorités internationalement reconnues, comme l’éducation, le sida ou la santé maternelle. A contrario, les ONG de plus petite taille, qui briguent des sommes autour des $30,000, rencontrent les pires difficultés pour y arriver.

Comment font la plupart des ONG quand elles ne trouvent pas de ressources ? Pre-nons l’exemple d’une grande organisation cambodgienne qui attire pas mal de fonds et qui, il y a quelques années, avait elle aus-si identifié les besoins en thérapie du lan-gage. Toutefois, en raison principalement du manque de motivation des organismes donateurs, elle fut incapables de prendre des mesures permettant de répondre à ces besoins. A la place, elle a entamé des programmes axés sur la santé de la mère et de l’enfant. Pourquoi ? En raison de la disponibilité de fonds dans ce domaine, s’agissant d’une des priorités des Objectifs du Millénaire pour le Développement.

Qui veut peutJe ne suggère nullement qu’il n’est pas

justifié de s’intéresser à la santé de la mère et de l’enfant, ni que le travail de cette ONG dans  ce  domaine  est  inefficace.  Cepen-dant, la décision de cette organisation de

n’est pas mentionné explicitement parmi les Objectifs du Millénaire pour le Déve-loppement, et la Convention de l’ONU rela-tive aux droits des personnes handicapées ne fait pas non plus mention des services de thérapie du langage ni des besoins des personnes souffrant d’un handicap relatif à la communication ou à l’alimentation.

Lorsque les conventions, les lois et les politiques sont muettes, les mêmes pro-blèmes surgissent lors de la collecte de fonds. Cela a un effet sur les programmes, qui à leur tour influencent les services. En conséquence, la plupart des organisations d’aide aux handicapés se concentre sur les infirmités liées à l’ouïe ou à la vue.

Une organisation n’a toutefois pas pu ignorer les besoins des 600.000 Cambod-giens en attente de thérapie du langage.

CABDICO, une petite organisation comp-tant onze employés et qui dispose d’un budget annuel inférieur à de nombreux salaires onusiens, est allée à la recherche de fonds pour initier un programme du-rable de formation et de mise en place de services de thérapie du langage. Malgré les besoins colossaux, une année de recherche s’est avérée infructueuse. La réponse la plus courante était : « La problématique semble très importante, mais ce type de handicap ne fait pas partie de nos priorités et nous ne pouvons pas vous aider ».

Que pouvait faire CABDICO dès lors que des besoins ressentis au niveau local sont ignorés au niveau international ?

La main qui nourrit...Les grandes ONG sollicitent souvent des

fonds de plusieurs millions de dollars. Ces fonds existent car ils s’inscrivent dans les

Les efforts d’innombrables ONG prouvent qu’il n’y a nul besoin de millions pour proposer des solutions, mais juste la foi d’un petit homme qui ose croire que les choses peuvent s’améliorer.

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n’GO février 2014blog-notes 34

Council et, ce qui est tout aussi important, dans le National Strategic Disability Plan. Une université cambodgienne enseignant la médecine, les soins infirmiers et d’autres disciplines liées à la santé a accepté de dé-buter un cours de thérapie du langage.

Même s’il reste encore énormément de choses à faire, le changement en cours s’est produit à une vitesse vertigineuse, et CAB-DICO a démontré que les choses peuvent se dérouler selon un autre schéma.

Besoins

programmes

Financements

conventions, lois, politiques

La force de l'outsiderIdentifier un besoin insatisfait exige de 

se rendre sur place, d’écouter et d’obser-ver. Tout le monde peut le faire. Mais, bien souvent, seules les petites organisations ont la souplesse et le potentiel de réagir à ce qu’elles entendent.

Dans cette histoire d’outsiders, des gens ordinaires ont contribué, avec générosité, à créer un changement, là où ceux qui avaient le pouvoir de le faire restaient les bras croisés. Les efforts de CABDICO, et ceux d’innombrables ONG, petites et effi-caces, prouvent qu’il n’y a nul besoin de millions pour proposer des solutions, mais juste la foi d’un petit homme qui ose croire que les choses peuvent s’améliorer.

s’orienter vers les fonds disponibles a af-fecté sa flexibilité et sa faculté à répondre aux besoins de la population qu’elle sert.

CABDICO, de son côté, a décidé de lan-cer une collecte en ligne via la plateforme StartSomeGood en vue d’offrir un service communautaire de thérapie du langage. Grâce à l’argent récolté, et à un budget débloqué par l’ambassade australienne, CABDICO a commencé à s’attaquer à cet immense problème.

La première étape a été de réunir, dans une même pièce, tous ceux qui avaient touché, de près ou de loin, à la thérapie du langage, en théorie ou en pratique. Aussi simple que cela puisse paraitre, CABDICO n’avait jamais organisé un workshop de grande envergure. C’était une tâche colos-sale, qu’elle a pu mener à bien grâce à son attitude proactive. Elle s’est, par exemple, rapprochée du Disability Action Council, l’organisme gouvernemental de coordina-tion, pour pouvoir atteindre le personnel des Ministères de la Santé, de l’Education, des Affaires Sociales et du Travail.

Bottom-upAu final, et pour la première fois dans 

l’histoire du Cambodge, des personnes de tous horizons, national et international, gouvernemental et non-gouvernemental, se sont réunies pour discuter de l’avenir de la thérapie du langage dans le pays.

Des groupes de travail ont commencé à plancher sur les solutions. L’implication gouvernementale, tellement cruciale pour réussir, est en marche. La thérapie du langage a été reprise explicitement dans le plan stratégique du Disability Action

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rédacteur en chefPierre Biélande

rédacteur en chef adjointRenaud Deworst

JournalistesSylvie Walraevens Patrick Collignon

Création de la maquetteBertrand Grousset

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