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Blog-notes... Mirjam Vossen: images d’Afrique… Portrait Rencontre avec Salimata Wade Outil Six chapeaux pour penser… mieux π11 mai 2013 COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT ET RELATIONS HUMAINES Blague à part l’humour dans les relations interculturelles

description

Ce nouveau numéro du magazine n’GO est très diversifié et vous réserve donc bien des surprises. Mais la ligne rédactionnelle reste la même : appréhender sous tous les angles les relations humaines. Le dossier analyse l'utilisation de l'humour dans les relations interculturelles. Au menu : compréhension mutuelle, respect de la diversité et universalité. L'outil du mois rend chaque réunion plus rapide et plus efficace. En revêtant les six chapeaux pour penser, vous verrez chaque question sous un autre jour. Salimata Wade cuisine pour réconcilier identité culturelle, gastronomie et santé. Elle voyage entre tradition et mondialisation pour s'attaquer aux différents défis liés à l'alimentation. Que nous coûte notre image sociale ? Et quel est son poids dans les décisions que nous prenons ? Venez faire un tour de l'autre côté du miroir... Enfin, Mirjam Vossen nous parle de son neveu et de l'image qu'il construit de l'Afrique.

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Blog-notes...Mirjam Vossen :

images d’Afrique…

PortraitRencontre

avec Salimata Wade

OutilSix chapeaux pour penser…

mieux

π11mai 2013

COOPÉR ATION AU DÉV ELOPPEMENT ET R EL ATIONS HUM A INES

Blague à part

l’humour dans les relations

interculturelles

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Savez-vous pourquoi les Japonais ne montent pas à cheval ? Parce qu’ils sont déjà poneys ! En écrivant ceci, je ne suis absolument pas sûr de vous avoir fait rire… Si vous êtes Japonais, certainement pas. Si vous aimez l’humour potache, j’ai déjà plus de chances. Si vous avez des enfants (et qu’ils ne vous avaient pas déjà répété cette blague), il se peut même que vous la racontiez ce soir à la maison. L’humour peut nous rapprocher autant qu’il nous divise.Dans les relations humaines, c’est finalement toujours un peu la même histoire. Un com-portement n’est acceptable et accepté que dans un certain contexte. Une attitude plaira à l’un et fera fuir l’autre. Un outil peut être très efficace mais encore faut-il trouver le bon moment et la bonne manière de l’utiliser. Entamer une relation c’est comme écrire un nouveau sketch ; le comédien ne sait pas si le public rira, vous ne saurez pas si la confiance viendra. Garder juste en tête qu’il ne faut pas avoir peur d’une mauvaise chute…

Miguel de ClerckDirecteur Echos Communication

Retrouvez Echos Communication sur Internet www.echoscommunication.org

| éditoradar P.3

portrait P.8 Salimata Wade

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C’est pour rire !L’humour dans la relation interculturelle

dossier P.14

Combien vous coûte votre image sociale ? P.21

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outil P.26 Six chapeaux pour penser...

Abonnez-vous gratuitement au magazine en cliquant ici.

blog-notes P.31 Mirjam Vossen

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« Mon objectif est de montrer la vie de tous les jours et la guerre en même temps. Avec cette photo, je voulais mettre en évidence les réper-cussions de la guerre sur le foyer, l’impact sur ceux qui restent à la maison dans l’at-tente. Je voulais aussi parler de la vie après la guerre et de ses effets sur le quotidien. Une fois les combats finis, beaucoup de choses se trouvent changées à jamais. »

(photo : Shadi Ghadirian - Iran)

La photo du mois

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My worldVous avez des choses à dire, mais avez l’impression de ne jamais être entendu ? Ne vous en faites pas, vous avez deux ans pour vous expri-mer ! Les Nations Unies ont lancé

une grande enquête mondiale pour savoir quelles sont les priorités des citoyens. Pour préparer l’après 2015, date butoir des objectifs du millé-naire, chaque habitant de la planète peut choisir six priorités parmi seize propositions. Pour l’instant, “une

bonne éducation’’ trône en tête du classement (sauf chez les plus de 55 ans), suivi de près par un meilleur système de santé et la bonne gouver-nance. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Votez pour vos priorités !

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C’est ce que nous montre Leah Warshawski et Chris Towey dans un documentaire qui retrace l’éclosion de Hillywood, l’industrie du

film au pays des milles collines. Les productions, en kinyarwanda, vont bien au-delà du divertissement. Le cinéma devient une thérapie

pour guérir les blessures du génocide. Il est le miroir de la société, il rassemble et il guérit. Découvrez le trailer de cette belle aventure...

Un film vaut parfois mieux qu’un long discours…| Finding Hillywood

Découvrez le trailer

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Check, check et re-check...

Pour plus de détails, découvrez l’article

Le temps passe et votre to-do-list fond comme neige au soleil. Ne pensez pas pour autant que

vous avez été productif ! D’après Tony Wong, expert en la matière, la producti-vité consiste justement à faire moins de choses… Petite leçon en huit points :•   Réduisez la taille de votre to-do-list

pour pouvoir vous concentrer sur ce qui compte vraiment.

•   Prenez des pauses pour être plus efficace par après.

•   Suivez la règle des 80/20 : 20%  de votre travail amène 80% de  vos résultats.

•   Commencez la journée par vos propres priorités, pas celles dictées par vos e-mails.

•   Faites les tâches les plus compliquées tôt dans la journée, avec un esprit frais.

•   Décrochez le téléphone, les e-mails ne sont pas toujours un gain de temps.

•   Systématisez les activités redondan-tes, par exemple ne lisez vos mails que à 10h, à 14h et à 16h.

•   Ne confondez pas produc tivité et paresse : accumuler les petites tâches mineures n’a rien de productif !

360° Nous avons lu pour vous

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C e mois-ci, nous continuons notre tour de la Côte d’Ivoire en nous intéressant au peuple baoulé. Avec près de quatre millions de représentants, cette

ethnie est la première du pays. Elle est re-connue pour sa stabilité culturelle qui réside dans son mode gestion de conflit entre les lignées. « C’est avec de bonnes paroles que le Mille Pattes traverse un champ envahi par les fourmis magnan », dit-on en pays baoulé. Le langage occupe une place parti-culière dans la gestion des conflits et dans la vie des Baoulés.Urbain Amoa, qui a analysé la “Parole afri-caine” dans le parler baoulé, en tire les pos-tulats suivants :

– Quand la parole vive se fait brûlante, il faut nécessairement recourir à l’élégance et à un silence actif et responsable, (un soupir ou un silence qui parle), pour la faire mélo-dieuse et belle.

– Quand dans son univers, la parole est brisée et violée, c’est par la parole et dans le même univers qu’il faut soigner la parole pour apaiser les cœurs meurtris.

– Tout comme la personne humaine, la parole nue, dans un espace désert sur une longue durée, devient laide : d’où l’impé-rieuse nécessité pour la personne humaine d’œuvrer sans cesse à l’habiller pour son propre mieux-être, pour le plaisir de l’Autre et pour le bien-être de tous.

Ce simple exemple nous montre à quel point le langage peut être une source de malen-tendu. Pour certains, il est vu comme un simple moyen de communication tandis que pour d’autres, il recèle bien d’autres vertus. L’utilisation généralisée du français ou de l’anglais crée l’impression que l’on parle la même langue… Mais quels que soit les mots, les perceptions sont très différentes.

Les Baoulés : plus qu’un moyen de communication

Chaque mois, retrouvez une analyse linguistique d’Odile

Tendeng sur l’interprétation qui est faite du mot “développement” dans

une langue africaine.

“Développement”

en BaouléChez les Baoulés, l’idée de développe-ment est exprimée par le vocable (njɛ̰). Il s’agit d’un verbe qui signifie “aller de l’avant”, “se développer”, “s’amélio-rer”. Cette idée est également évoquée dans l’expression (kô nirun̰), qui veut dire “progresser”, “aller de l’avant”. (Kô) veut dire “aller”, “avancer” et (nirun̰) signifie “devant”. Les Baoulés conçoivent le développement comme un processus qui mène la société vers l’avant et qui bonifie le patrimoine.Le patrimoine d’une famille comprend l’ensemble des terres et des trésors accumulés depuis des générations. La terre est donnée en usufruit à un membre de la famille qui devient un co-gestionnaire du bien commun qu’il ne doit ni vendre ni aliéner. Le chef du village, choisi pour sa richesse, son éloquence ou pour sa ruse, doit pouvoir, avec le conseil des notables, régler les questions d’intérêt géné-ral. Les décisions font donc l’objet de concertation de toutes les notabilités qui représentent en fait le peuple.

| au mot près

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Les mots du développement Les Baoulés 7n’GO mai 2013

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8portrait n’GO mai 2013

“On nous apprend à chanter, à conduire, à prier mais pas à manger”

Salimata Wade

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| bio

EnfanceSuit l’école à Dakar puis à Abidjan

1982Part en France pour ses études universitaires

1985Diplômée de la Faculté des Lettres et Sciences Hu-maines de l’Uni-versité de Nice

1985-1994Obtient plusieurs diplômes et un doctorat dans plusieurs facultés de l’Université de Montpellier

1995-2005Multiplie les domaines de compétences et de recherche princi-palement autour des questions liées à l’urbanisation et aux change-ments climatiques

2007Axe ses recherches sur la culture ali-mentaire

2008Création de la Compagnie du Bien Manger

Dans un Sénégal et une Afrique de l’Ouest en pleine urbanisation, la sous-alimentation et l’obésité se côtoient et se rejoignent sous un même terme : la malnutrition. Saly Wade cuisine pour réconci-lier identité culturelle, gas-tronomie et santé. « Chan-ger les mentalités et les comportements reste le plus difficile. »

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N’ imaginez pas que Sali-mata Wade était prédes-tinée à passer derrière les fourneaux. Même si cette universitaire a tou-

jours apprécié se cuisiner de bons petits plats, elle n’imaginait pas y consacrer tant de temps et d’énergie, au point d’en faire l’un des combats de sa vie. Mais, comme souvent, le hasard a décidé de mettre son grain de sel. « Il y a quelques années, j’ai été malade et j’ai rencontré plusieurs mé-decins. Ils m’ont assuré que ma vie n’était pas en danger, mais en même temps, ils disaient ne rien pouvoir faire pour aider à ma récupération. La vie passionnante que j’avais eue jusqu’alors s’était accompagnée d’un niveau d’activité et de stress incom-parable, qui nécessitait que je redéfinisse mes priorités. Obligée de décélérer, j’ai re-tourné la contrainte en un choix assumé. Comme je m’étais très tôt intéressée à mon alimentation et l’avais gérée moi-même dès l'âge de 10 ans, il ne me restait plus qu’à développer des dispositions personnelles,

“On parle beaucoup d’éthique dans la finance mais il est temps d’en remettre aussi dans la nourriture.”

| témoignage

Alioune Ba, chargé d’enseignement au département de géographie« En tant que chef du département de géographie, Saly a d’abord été pour moi un CV impressionnant. Ensuite, j’ai pu découvrir son énorme capacité de réflexion. Elle évite les sentiers battus et amène toujours des idées originales et créatives. Elle a un pied dans l’université mais elle fait le lien avec le monde extérieur : du simple citoyen au chef d’entreprise. Elle fait preuve d’une grande ouverture. Dès qu’il y a une question innovante, vous êtes sûr de croiser Saly ! Dans le privé, elle est en plus d’excellente compagnie. On peut discuter de tout avec elle ; elle a toujours quelque chose de pertinent à ajouter au débat... »

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une expérience non négligeable et des connaissances que je n’avais cessé de faire évoluer. »« Le retour de ma forme et la reprise de mes activités professionnelles en ont sur-pris plus d’un ! Des gens sont ensuite venus me trouver pour que je les aide à prendre en main leur alimentation. J’ai cuisiné pour un, pour deux, pour trois… Des médecins m’ont fortement suggéré de travailler avec une équipe pluridisciplinaire pour pouvoir conseiller chaque personne au mieux. Voilà comment j’ai été amenée à me lancer dans la diététique thérapeutique. Ma touche personnelle a été de mettre l’accent sur les aspects culturels et gastronomiques. »

Du berceau à la tombeSaly Wade s’est attelée à la tâche côté cui-sine tout en creusant les autres aspects de la problématique de l’alimentation par ses activités d’enseignante-chercheuse au Dé-partement de Géographie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. « Le fait de s’alimenter nous concerne dès le moment où l’on est conçu jusqu’à notre dernier souffle. C’est donc une question fonda-mentale et très transversale. Derrière la simple action de manger, qui peut paraître banale, on découvre d’autres dimensions. Il y a l’impact sur la santé, l’acte de socia-

Saly Wade s’est entourée d’une fine équipe pour couvrir la variété des do-maines liés à l’alimentation. Plusieurs personnes l’entourent selon les situa-tions : cuisiniers, nutritionnistes, diététi-ciens, psychologues, moniteurs de sport, communicateurs, etc. Ensemble, ils forment La Compagnie du Bien Manger, le premier cercle d’un mouvement en faveur de cultures alimentaires locales et de gastronomies renouvelées, enra-cinées dans la tradition et ouvertes sur le monde. L’équipe propose une large gamme de services autour du manger bien, bon et autrement : diagnostic, suivi et rééducation alimentaires, formule traiteur pour des évènements, repas sains en entreprise, ateliers de cuisine diététique et gastronomique, éducation à l’alimentation en milieu scolaire et hos-pitalier, formations et démonstrations culinaires… www.cbmsn.org

| La Compagnie du Bien Manger

“Dans certaines régions d’Afrique, des gens meurent de faim à côté de choses comestibles !”

bilité, les choix politiques et environne-mentaux, la balance commerciale entre les denrées exportées et importées… La question de l’alimentation renferme des enjeux majeurs, aux niveaux individuel, local, national et mondial. Aujourd’hui on parle beaucoup d’éthique dans la finance, mais il est temps d’en remettre aussi dans la nourriture. Et je suis sûre qu’on va y ar-river ! Ce que l’on mange ou donne à man-ger n’est ni innocent, ni bénin. Les scan-dales sanitaires et autres tromperies sur la

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marchandise montrent bien que manger n’est pas une petite affaire. Il faut au contraire y mettre toutes les forces que la loi, l’éthique et la culture peuvent offrir pour résister aux arnaques permises par les progrès technologiques, le marketing et les procédures de contrôles défail-lantes, voire inexistantes. » Les pieds dans le platPour faire passer le message, la recette est éprouvée. « Je les attrape tous par l’assiette. Que ce soit pour faire du lobby auprès des politiques, donner des for-mations aux cuisinières de rue ou sen-sibiliser les écoliers et leurs mamans, je commence par faire gouter ce dont je parle. On dit qu’un ventre affamé n’a pas d’oreilles. J’ajoute qu’ une fois qu’il a bien mangé, il est prêt à écouter. »Une fois l’audience attablée, encore faut-il trouver les mots justes pour décrire ce sujet si complexe. De plus, à chaque public correspondent différentes pré-occupations. Le maire voudra en savoir plus sur les cantines scolaires, le méde-cin examinera le rapport entre sédenta-rité et maladies métaboliques, tandis que le simple consommateur opposera son envie de manger des hamburgers pour entrer dans la modernité. « Certains produits traditionnels manquent de représentations positives. Par exemple, les gens mangent de moins en moins de feuilles car on ne sait plus comment

les accommoder. Cela signifie que dans certaines localités d’Afrique de l’Ouest, des gens meurent de faim à côté de den-rées comestibles, ou qu’ils souffrent de malnutrition à côté de produits qui leur auraient permis d’équilibrer leur alimen-tation. La transmission des savoirs ne se fait plus comme avant, notamment entre les générations. Le modèle de consom-mation a aussi beaucoup changé. On est passé d’une chaîne courte, proche de ce que la nature offrait localement, à une chaine beaucoup plus longue de pro-duits très transformés et importés. Ces produits industriels, paradoxalement bourrés d’additifs et sources de carence, pavent le chemin des maladies métabo-liques. Faut-il rappeler que l’on creuse sa tombe avec ses dents ? » Eveiller les consciencesLa première étape vers le changement a déjà été franchie par Saly Wade : avec la Compagnie du Bien Manger (voir encadré p.11), elle prouve que la mise en pratique de ses idées induit des effets positifs à un niveau individuel. Mainte-nant se dressent devant elle deux défis de taille : éveiller les consciences et ins-titutionnaliser le combat. « La malbouffe et les carences alimentaires sont des pro-blèmes de société. Il faut donc que la so-ciété les endosse et prenne ses responsa-bilités ! Cela signifie qu’il ne suffit pas de savoir ce qu’il faut améliorer mais il faut

“ Il est impératif d’avoir une vision du changement que

l’on veut amener. Je crois que c’est cet élément qui fait le plus souvent défaut chez les politiciens et les décideurs en général.

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aussi s’impliquer et passer à l’action. Mon rôle est d’éveiller les consciences. Je fais du bruit avec une clochette mais, à moi seule, je ne constitue pas un troupeau ! Il faut une véritable prise de conscience collective. Vous savez, les plus grosses contraintes sont rarement techniques et financières. Elles se trouvent d’abord et surtout dans le changement des mentalités et, si on re-monte encore en amont, dans la manière de se représenter les problèmes. »Dans les prochains mois, Salimata Wade est déterminée à faire résonner ses préoc-cupations auprès de diverses institutions. « L’institutionnalisation jusqu’au plus haut de la pyramide du pouvoir de décisions et la diffusion de l’action par l’exemple et l’implication, en commençant par le bas, sont primordiales. Il faut additionner les énergies pour pérenniser tous les efforts. Si j’ai pu convaincre de simples citoyens, ça doit pouvoir marcher avec les déci-deurs. Par exemple, quand je pense initier un projet avec des élus de la commune de Dakar, il faut que les politiques prennent leurs responsabilités à défaut d’avoir pensé à prendre des initiatives. Pour cela, il est impératif d’avoir une vision du change-ment que l’on veut amener. S’ils n’en ont pas encore développé une, je veux bien

commencer par partager la mienne et les aider à se forger la leur. Je crois que c’est cet aspect de vision qui fait le plus souvent défaut chez les politiciens, comme dans les autres groupes de la population. Comme le dit le proverbe : “Il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait où il va”. »

Rêver le mondeToujours en mouvement et jamais rassa-siée, Saly Wade espère bien pouvoir, un jour, retourner à une vie tranquille. En attendant, son rythme de travail effréné ne lui laisse guère le temps de digérer. Quelle est sa recette pour garder toute son énergie ? « Je trouve beaucoup de force dans ma capacité de rêver. Faire quelque chose de réfléchi commence avant tout par une longue réflexion où toutes les pensées sont permises. Il y a aussi de nombreuses personnes qui m’aident et m’encouragent à oser désirer, oser orienter mes actions dans le sens de mes ambitions, à créer des changements que je crois nécessaires et positifs. Et puis, à mes deux enfants et à leur génération, je veux donner un monde plus prometteur ».

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“Je fais du bruit avec une clochette mais, à moi seule, je ne constitue pas un troupeau ! ”

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C’est pour rire !L’humour dans la relation interculturelle

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Un sourire écla-tant. Quelle joie de vivre ! Les photos de pro-jets locaux dans le Sud donnent libre cours à notre imagination. L’humour semble être un lubrifiant miraculeux pour faciliter la col-laboration avec les partenaires locaux. Ou juste-ment pas ? Cela dépend…

14dossier n’GO mai 2013

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U ne plaisanterie n’est pas toujours bien accueillie, mais en géné-ral une boutade ou un brin de taquinerie permet de détendre l’atmosphère. L’humour adoucit

les mœurs, l’humour détend. Mais qu’en est-il lorsque l’on ne maîtrise pas complètement la langue ou que l’on ne connaît que superficiel-lement la culture ? L’humour est-il toujours un facilitateur de la communication ?

In or outRuddy Doom, professeur émérite en Sciences Politiques à l’Université de Gand et fondateur de la section Conflits et Développement, me glisse sous le nez un livre contenant la traduc-tion de vers japonais. « Tu ne ris pas ? », me demande-t-il en feignant l’étonnement. Il enchaine : « l’humour est de toutes les lan-

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Nancy Bell a étudié si le fait d’aborder la langue de manière humoristique ou ludique peut favoriser le proces-sus d’apprentissage. Les résultats de l’étude ont démontré que l’on retient en effet plus rapidement de nouveaux mots lorsqu’ils sont inculqués avec

humour. « L’humour est plutôt un style personnel, un mode de com-munication. Tout ce que l’on fait sérieusement, peut aussi être fait avec humour, mais dans un processus d’apprentissage l’approche humoris-tique se révèle très efficace ! »

“Dans des cultures étrangères, nos antennes sont moins développées pour capter les petits signaux.”

Nancy Bell (Washington State University)“Apprendre plus rapidement par le rire”

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gues et de toutes les cultures, mais il est difficilement traduisible. Parce qu’on ne

saisit pas les subtilités de la langue ou qu’on ne comprend pas les codes. Mais selon moi, la ligne de rupture ne se situe pas tant entre les différentes cultures, et encore moins entre le Nord et le Sud. Ce sont surtout le statut social, le sexe, l’âge et l’appartenance au groupe qui déterminent notre appréciation de l’humour. Dans toute société, la gamme s’étend des bla-gues triviales à l’humour ironique de la classe supérieure. Un intellectuel africain et un in-tellectuel européen se comprennent mieux que des compatriotes de différents milieux sociaux. Plus on a en commun, plus on trou-vera de choses dont on peut rire ensemble. Pour comprendre et apprécier l’humour, il est essentiel que le contenu fasse partie de notre environnement. Ce n’est que maintenant que les films de Laurel & Hardy connaissent une grande popularité en Chine, alors qu’ils sont entre-temps passés de mode chez nous. Dans bon nombre de pays africains, la soumission et le sarcasme mâchonné de Richard, dans la série Keeping up Appearances, n’a pas la moindre valeur humoristique car les rela-tions homme-femme y sont définies autre-ment. De même, l’humour de la lower class noire aux Etats-Unis présente peu de simili-tudes avec celui de la classe moyenne noire. »

Les applaudissements des colonisateursPie Tshibanda est un psychologue, écrivain et conteur congolais habitant en Belgique. Il dif-fuse une vue critique et humoristique sur les stéréotypes à l’égard des Africains. En Europe, au Québec, dans les Caraïbes ou

Pie Tshibanda fait rire des salles entières avec son humour sur la relation entre les blancs et les noirs. Son message est très critique, souvent péniblement confron-tant, mais jamais venimeux. « L’humour est un instrument qui me permet de faire passer mon message. Je parle d’une grave réalité historique, à savoir le passé colonial et ses ramifications jusqu’à ce jour. Si je le faisais sous forme de

conférence, ce serait trop indigeste. Je ne veux pas être prétentieux et faire la leçon aux gens ; je veux inciter mon public à la réflexion. C’est pourquoi je diversi-fie mes tactiques. Je pique, mais je caresse aussi. Si je m’arrêtais aux accusations, les gens quitteraient la salle avec amertume. Je titille afin que les gens rient de leurs propres comportements et de leurs propres codes. Celui

qui parle en connaissance de cause peut se permettre beaucoup de choses. Mon humour est comme le sucre qui fait avaler une pilule amère à un enfant. Mon indicateur, c’est le public. Ce n’est pas l’humoriste qui doit s’amuser ; il faut toujours privilégier son public. Il m'est arrivé de faire rire le public pendant que dans mon coeur je pleurais. »

Pie Tshibanda“La critique avec un morceau de sucre”

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en Afrique, il fait rire des salles entières. Il constate lui aussi que l’humour prend

mieux lorsque les gens partagent un cadre de référence ou une expérience. « Je remarque que les Belges et les Français applaudissent aux mêmes moments ; ils partagent une même histoire avec l’Afrique et se reconnaissent dans le colonisateur. Au Canada, je dois m’y prendre autrement, vu qu’ils n’ont pas de passé colonial. Les Canadiens vont rire mais en se mettant dans la peau du colonisé puisque c’est cela leur histoire. L’humour entre personnes d’origines différentes est parfaitement possible, mais il requiert une solide connaissance de la culture. Ayant été élevé au Congo par des prêtres belges, je connais cette culture de fond en comble. C’est pourquoi je peux me permettre, en tant que Congolais, de me moquer de la mentalité belge. C’est aussi en partie ma culture. »

Antennes défaillantesMaarten Bremer est directeur à l’Institut Royal Néerlandais pour les Tropiques. L’ins-titut donne des formations en communication interculturelle aux prestataires de soins qui partent à l’étranger. Maarten Bremer estime qu’utiliser l’humour dans des cultures incon-nues est risqué. « L’humour ne peut avoir un effet de liaison que lorsque l’on connaît suf-fisamment la culture et – plus important en-

core – la personne concernée. Rire ensemble, c’est comme manger ensemble ; l’humour peut renforcer la relation et sert en général à briser la glace. Mais cet effet de liaison ne joue que dans l’in-group. Avec un out-group, l’humour a un effet d’exclusion. Songeons par exemple aux blagues sexistes, que très peu de femmes apprécient. Dans les relations intercultu-relles, l’incompréhension est souvent due à la langue, l’un des deux interlocuteurs n’étant pas, généralement, un native speaker. De ce fait, certaines subtilités, qui créent justement la blague, se perdent et des personnes peuvent se sentir offensées ou totalement déconcertées. Dans des cultures étrangères, nous disposons en effet d’antennes moins développées pour capter les petits signaux. »

You are so fat!Nancy Bell, professeur en Linguistique spécia-lisée dans l’apprentissage de langue étrangère à la Washington State University, a réalisé une étude approfondie sur les échecs de l’humour chez les native et les non-native speakers. Les résultats de cette étude la rendent plutôt optimiste : « L’humour n’est pas dangereux entre des personnes ayant une maîtrise dif-férente de la langue. Les plaisanteries créent en tous lieux les mêmes possibilités et comportent partout le même risque

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d’incompréhension. Les utilisateurs d’une seconde langue commettent

les mêmes erreurs que les native spea-kers, ils les commettent simplement plus souvent du fait qu’ils ne comprennent pas certains termes ou ne saisissent pas totalement la signification sémantique. Il s’agit d’erreurs pragmatiques, où la pré-cision dans l’utilisation de la langue en fonction de la situation sociale fait défaut. De telles erreurs sont parfois à l’origine de stéréotypes ou d’insultes. Lorsque je donnais cours au Cameroun, les gens me disaient souvent ‘you are so fat!’. En soi je n’avais pas de quoi me réjouir, mais comme je comprenais qu’il s’agissait d’un compliment dans leur culture, je n’étais pas vexée. Je trouve que l’humour est, de manière générale, utilisé positivement et qu’il fait plus de bien que de tort. Les gens semblent être suffisamment conscients du risque de malentendus interculturels. C’est pourquoi ils font preuve de beaucoup de prudence dans leur parole et d’indul-gence dans leur écoute. Tous les aspects de la langue, pas seulement l’humour, ont un bagage culturel. Humor is not a big issue. »

Rire entre égauxPourtant, nous ne pouvons ignorer l’une des conditions, peut-être la principale, pour un usage approprié de l’humour : un rapport de force égal. Parfois, le subal-terne est obligé de rire de l’humour de son supérieur, même s’il trouve la blague tout sauf drôle. Ruddy Doom : « Je me souviens d’une fête entre expat’ à Abidjan, où l’on riait d’un cochon rôti qui devait être pré-paré par du personnel musulman. Celui qui ne riait pas n’avait rien compris, pen-saient-ils. C’est une grave sous-estima-tion. L’humour des impuissants est celui de l’acquiescement à l’extérieur qui brandit un doigt d’honneur à l’intérieur. C’est une façon de s’opposer, de conserver le respect de soi, de dire ‘pas avec moi’. » Nancy Bell exhorte elle aussi à la pru-dence en cas de rapports de force inégaux. « Derrière des taquineries se dissimule souvent un zeste de critique. C’est pour-quoi il préférable de ne pas y faire appel si l’on se trouve en position de force. On risque de franchir rapidement une limite. Un subalterne, en revanche, peut recou-rir à l’humour ou aux taquineries. Il s’agit

d’une manière sûre et douce d’exprimer des désidératas, en espérant que l’autre comprenne le message. » Dans les com-munautés africaines, l’âge joue un rôle important dans l’usage de l’humour, nous dit Pie Tshibanda. « La société est fort hié-rarchisée et les relations se déploient ver-ticalement. C’est pourquoi on rira surtout entre amis et très peu entre générations. »

AutodérisionEn d’autres termes, l’égalité, sociale ou culturelle, est la meilleure base pour un humour efficace. « C’est la raison pour laquelle l’autodérision fonctionne partout dans le monde », confirme Maarten Bre-mer. « On ne trouve aucune culture qui ne se moque pas d’elle-même. Au sein de son propre groupe, on peut même aller très loin. Les noirs s’appellent parfois ‘négros’ et les musulmans font, entre eux, des plaisanteries innocentes sur Maho-met. L’autodérision renforce le sentiment ‘nous-eux’. » Selon Ruddy Doom, c’est sans doute ce qui explique que l’autodérision soit l’une des rares formes d’humour à valeur universelle. « Quelques-unes

“Les gens sont suffisamment conscients du risque de malentendus. Ils se montrent dès lors très prudents et les interlocuteurs sont souvent très indulgents.”

Ruddy Doom

Maarten Bremer

dossier 18n’GO mai 2013

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seulement s’en rapprochent, comme l’humour grossier (à la Benny Hill), où

la gêne de ce qui n’est pas permis agit sur les zygomatiques, ou le slapstick, où on rit d’événements physiques, comme la chute de quelqu’un. Se réjouir de ce qui s’écarte de la norme est alors, à l’instar de l’autodérision, une forme de délimitation du groupe ‘nous’. »

Attention, champ de mines!L’humour est partout, de Bollywood au festi-val de l’humour en Arabie Saoudite, mais son utilisation correcte nécessite une bonne dose de sensibilité. « L’humour est par définition contextuel », confirme Ruddy Doom. « Ce qui est à ranger dans la catégorie ‘humour’ à carnaval ne l’est plus le lendemain. Et les pratiques des baptêmes étudiants sont abso-lument inacceptables en-dehors de ces festi-vités. Il en va ainsi depuis toujours. Pourtant, le contexte ne justifie pas tous les types d’hu-mour. Doit-on rire parce que l’on peut ? Dans quelle mesure peut-on être blessant ? Est-ce que l’autre n’a qu’à s’y faire ? La culture occi-dentale a l’habitude de beaucoup relativiser car nous plaçons la liberté d’expression au-dessus de la raison individuelle. Cette liberté d’expression est inexistante dans de nom-breux régimes ; les dictatures veulent même exercer un contrôle sur le rire. »« Un bon humour tient compte de ce qui est toléré et de ce qui est tabou dans une société déterminée », estime Maarten Bre-mer. « Dans une culture de la honte, comme au Japon, des émissions de

Léon Michel est belge d’origine congolaise. Il est écrivain, professeur des Sciences du Langage et chef d’entreprise spécialisé dans le dévelopement des potentiels. Il a un pied dans chacune des deux cultures. « Je ne fais pas de distinction. Que ce soit au Congo ou en Belgique, je ma-nie toujours l’humour avec prudence. Aussi longtemps que la relation n’est pas solidement ancrée, je ne ferai de plaisanteries que sur des sujets anodins et totalement

neutres, comme les enfants ou des situations de tous les jours ; jamais sur la culture, l'identité ou sur ce qui nous différencie. Je trace une ligne claire entre l’humour et le respect de la différence de l’autre. L’humour entre blancs et noirs a souvent un côté dénigrant, secrètement méprisant. Dans certains milieu, il est arrivé qu’on me donne des sobriquets de ‘Père Fouettard’, de ‘Mobutu’ ou de ‘Kabila’. Pour les blancs ne se doutant de rien c’était drôle,

mais pour moi ces noms ont une connotation très néga-tive. C’est comme si j’appelais quelqu’un d’ici Hitler ou Le Pen. Inversement, j’ai moi-même un jour, en plaisan-tant, traité de ‘raciste’ l’une de mes connaissances, de couleur blanche. Ces paroles qui pour moi étaient tout à fait innocentes l’ont complè-tement déconcertée. J'ai donc appris... L’humour peut cer-tainement renforcer les liens, mais uniquement lorsque l’on se connaît bien. »

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Léon Michel Ilunga“Ne m’appelez pas Mobutu”

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télé dans lesquelles des personnes tombent marchent bien, alors que

nous hausserions tout au plus les sourcils. Par contre, le style grossier des cabare-tiers hollandais causeraient beaucoup de dommages au Japon, où leurs paroles ne feraient que blesser. L’humour est très vite un champ de mines ! »

Rire pour ne pas pleurerEst-il alors préférable d’éviter de blaguer lors d’une visite de terrain ? Bien sûr que non, explique Pie Tshibanda, mais soyez préparés. « Les employés d’ONG ne s’aven-turent pas en terrain vierge. Ils doivent réaliser que la perception est en leur dé-faveur. Ne sont-ils qu’un instrument d’un système qui reproduit le colonialisme ? Ou ont-ils un champ de manœuvre et un véritable souci d’aider les gens à se prendre en charge ? Celui qui veut nouer des relations avec la population locale doit sentir lui-même quelles armes il peut uti-liser. L’humour peut très bien constituer un outil. Les plaisanteries dans la langue locale seront d’autant plus appréciées, car la forme quelque peu ‘tordue’ devient alors une partie de l’humour. Les gestes peuvent également renforcer l’effet comique. Les Africains rient beaucoup et volontiers, mais la signification est souvent mal in-terprétée par les Occidentaux. Nous rions parfois par timidité ou par gène. Le rire est une forme de thérapie, une consolation en cas de revers. C’est plutôt ‘rire pour ne

pas pleurer’. » L’image que nous avons hé-rité de l’époque coloniale donne des fris-sons à Ruddy Doom. « ‘ventre plein, nègre content’ était alors la pensée habituelle. Les Africains étaient considérés comme des gens simplets, qu’un rien faisait rire. Ils ne riaient cependant pas en raison de leur ventre plein, mais bien malgré la faim. »

‘Ils finiront par apprendre’Selon Ruddy Doom, ‘l’ancien monde’ doit cesser de se considérer comme la culture de référence, déterminant ce qui est drôle ou pas. « Le monde non-occidental fait une percée rapide avec des lauréats de prix Nobel et d’autres reconnaissances. Ils amènent une langue et un humour qui nous font réfléchir. Nous allons devoir faire de plus en plus d’efforts pour com-prendre la forme dominante de l’humour, celle qui est déterminée par la force du nombre. À l’avenir, l’expression ‘ils finiront par apprendre’ s’adressera davantage à nous. »

L’humour. Aussi longtemps que nous res-tons attentifs aux sensibilités sociales, culturelles et individuelles, mieux vaut maintenir nos muscles zygomatiques bien entraînés. Car le rire est universel, seul le style a une légère couleur locale.

SYLVIE WALRAEVENS

“Le rire est une sorte

de thérapie, une consolation en cas de revers. C’est plutôt ‘rire pour ne pas pleurer’.

© STAN LAUREL (1890 - 1965) AND OLIVER HARDY (1892 - 1957) IN A DANCE ROUTINE FROM THE FILM

'WAY OUT WEST', DIRECTED BY JAMES HORNE. (PHOTO BY HULTON ARCHIVE/GETTY IMAGES)

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Combien vous coûte votre image ?

Le regard que porte sur nous notre entourage nous pousse

à adopter des comporte-ments qui ne correspondent pas toujours à nos choix per-sonnels. Ce besoin de satis-faire à notre image sociale, ancrée au cœur de chacun

peut toutefois être confondu avec son antidote : l’opinion personnelle. Où commence

l’une, où s’arrête l’autre ? Réponse en quatre pages…

comment faire pour... se dégager de son image sociale 21n’GO mai 2013

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« Laissez parler votre mari : même s’il exagère un peu, ne l’interrompez pas. Sans doute sait-il ce qu’il fait »… Cet exemple en forme de clin d’œil provient

de l’ouvrage intitulé “Nous recevons”, le premier Marabout Flash. Millésimé “1959”. Ce petit conseil, prodigué de manière conviviale par l’auteur, illustre ce qui était attendu de la maîtresse de maison à l’époque. Ce type d’attentes n’a rien

Qu’on le veuille ou non, le regard de l’autre a un poids. On peut s’y soumettre ou y réagir, mais il influence nos choix, notre manière d’être et de nous exprimer en fonction de critères qui répondent davantage aux attentes du milieu qu’à nos aspirations propres.

1. Repérer les phrases-clésCertaines phrases peuvent indiquer que vous êtes trop sensible à votre image so-ciale. Réfléchissez-y si vous entendez à votre égard des réflexions dans le genre : « On ne sait jamais ce que tu en penses vraiment » ; « Tu vas toujours dans le sens du vent » ; « Tu t’arranges toujours pour répondre ce qu’on attend de toi » ; « Aie le courage de tes opinions ! » ; « Tu es vraiment influençable » …

2. Recentrer sur la réalitéPrenez du recul par rapport à vous-même. Pour vous, ce que vous pensez est vrai. C’est la réalité. C’est normal. L’Acceptance and Commitment Therapy (ACT), parle de fusion cognitive : « ce que je pense est vrai ». L’ACT invite à faire de la “défusion” cognitive, qui consiste à se rendre compte qu’une pensée… n’est qu’une pensée, même si vous y adhérez intensément, au point de vous y accro-cher comme à une bouée de sauvetage (« un homme, ça ne pleure pas ! »)… Faites une petite expérience. Pendant deux minutes, écrivez vos pensées sur des Post-it, ce qui les matérialise. En-suite, collez-les partout sur votre corps, ce qui symbolise que vous y adhériez.

Puis collez-les sur un mur et demandez-vous : « Qu’ai-je perdu, en réalité ? ».

3. Nuancer et transgresserPrenez l’habitude de rendre à vos pensées leur statut de pensée, et non d’affirma-tion souvent péremptoire. Plutôt que de dire : « Je dois être irréprochable », dites : « J’ai la pensée que je dois être irrépro-chable ». Entraînez-vous à vous donner un ordre… et à ne pas y obéir. Commen-cez simplement, par de petites choses sans conséquence. Dites-vous : « Main-tenant, je dois lever la main ». Puis… ne la levez pas. Petit à petit, translatez cet exercice vers des ordres en rapport avec votre image sociale. « Maintenant, je dois dire quelque chose d’intelligent ». Puis… ne le faites pas !

4. Apprendre à réagir autrement

Quand vous sentez, généralement à une montée de stress en situation sociale, que votre image sociale est en train de prendre le dessus, posez-vous quelques questions qui vous en font décrocher, comme : « que me coûte mon image ? » ; « qu’est-ce que je gagne à vouloir avoir raison ? » ; « quels sont mes enjeux réels ? » ; « pourquoi est-ce que je me sens toujours concerné ? ».

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d’inconnu. Il balise nos existences : « un homme, ça ne pleure pas » ; « un

enfant doit être studieux s’il veut réussir dans la vie » ; « une femme respectable ne se promène pas attifée comme ça »… Nous en avons intégré des centaines. Ensemble, elles forment “notre image sociale”, qui définit précisément ce qui est attendu de chacun d’entre nous. À l’intersection de critères tels que le sexe, l’âge, le lieu de vie, la religion, la catégorie sociale, le niveau d’éducation, la culture ou le pouvoir d’achat se trouve un rôle à jouer, avec ses règles, ses codes, ses obligations… et ses limites à ne pas franchir.

Le rôle de votre vieTout ce que vous avez vécu est mémorisé par votre cerveau : croyances, émotions, habitudes et conditionnements. Aussi connaissez-vous le rôle qui est le vôtre dans votre tissu social. Vous avez appris à le jouer. De compliments en réprimandes, de récompenses en punitions, de bouts de carotte en coups de bâton, votre environ-nement (famille, école, amis, collègues et la société en général) a façonné l’enfant spontané que vous étiez pour en faire un adulte acceptable par tous. Si, enfant, vous aviez envie de rire (ou de pleurer), et si ça vous valait d’être rembarré par des proches qui disaient que ce n’était pas drôle (ou que pleurer était un signe inadmissible de fai-blesse), vous avez tendance à penser que rire (ou pleurer), ce n’est pas bien, ça ne se fait pas. Le mode automatique (voir n’GO n°9), seul actif durant l’enfance, enregistre

l’information. Si elle se répète, il établit une “vérité”, une croyance. Vous êtes condi-tionné : rire (ou pleurer), ça ne se fait pas. Les plus prégnantes de ces croyances sont concentrées sur les sphères de la sécurité, de l’affectivité, du sentiment d’apparte-nance et de reconnaissance ainsi que de l’estime de soi. Donc, si “rire” (ou “pleu-rer”) équivaut à se faire incendier, “rire” (ou “pleurer”) ne satisfait pas le besoin de sécurité (psychologique). L’enfant aban-donne cette stratégie… À l’inverse, il per-sévèrera dans les comportements acceptés et encouragés.

Ce qui est acceptableNos croyances sont le reflet de notre vécu antérieur. Ce reflet, vu à travers nos yeux, notre personnalité, s’est gravé en nous. Il sert de cadre de référence auquel nous soumettons les situations que nous vi-vons, les personnes que nous rencontrons, les comportements et attitudes que nous croisons. Et nous réagissons en fonction : si l’on a appris qu’il faut se taire quand le chef parle, nous nous taisons, même s’il profère une énormité. Si nous avons expérimenté que c’est mal d’être ambitieux, nous serons intolérant envers les ambitieux… Comme notre entourage partage ces croyances, nous évitons les comportements (rire, être ambitieux…) qui entraineraient sa désap-probation, source d’émotion négative pour nous. Au contraire, nous recherchons son approbation. Ce faisant, nous soumettons à d’autres notre opinion ou comporte-ment final. Que ne ferait-on pas pour

Ce qu’en dit le Dico

L’image sociale• Perception intuitive de ce qui se fait, de ce qui est acceptable socialement dans un groupe, perçu comme un “juge”, par rapport à un rôle.

Individualisation• Affirmer son opinion sans peur du regard de l’autre, même si on est le seul à le penser, même sans être sûr d’avoir raison.

| au mot près

“L’image sociale nous pousse à jouer un rôle

défini par des critères généraux (sexe, âge, culture)…

LivreVotre profil face au stressPatrick Collignon et Jean-Louis Prata, 2012, Eyrolles, Paris

| aller + loin

comment faire pour... se dégager de son image sociale 23n’GO mai 2013

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être acceptable, donc brillant, séduisant, déterminé, etc. ? En outre, notre réaction

nous semblera tout à fait évidente, car le mode automatique, aux commandes 90 % du temps, définit notre état d’esprit le plus habituel. Nous ne la remettrons pas en question.

La solution : s’individualiserL’objectif consiste à développer votre sens de l’individualisation pour vous affranchir du regard des autres. Il s’agit de pouvoir affirmer votre opinion, même si vous êtes seul à l’incar-ner, sans rechercher l’assentiment d’autrui ni craindre son jugement. Bien sûr, en corollaire, vous prenez le risque de vous tromper ou de ne pas avoir raison. Ce risque est, par nature, indissociablement lié au fait de prendre une décision. Quand vous ressentez une difficulté à assumer ce risque, vous êtes sous la coupe de votre image sociale. Elle est sensible à l’échec. Faites un test. Prenez une opinion liée à votre statut dans l’ONG (par rapport à votre équipe ou par rapport aux bénéficiaires de votre ac-tion). Posez-vous la question : « Si cette opi-nion que j’ai se révèle être une grosse erreur, je me sens comment ? ». Si vous ressentez une forme de stress, vous êtes probablement sensible au regard des autres et vous adhérez à l’image sociale que vous imaginez devoir être la vôtre. Faites un second test : « Si, finalement, mon opinion se révèle être

“Quelqu’un qui veut toujours avoir raison est influencé par l’image sociale qu’il s’est construite.”

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comment faire pour... se dégager de son image sociale 24n’GO mai 2013

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totalement adéquate, comment je me sens ? » Si vous ressen-

tez une forme de soulagement, vous êtes à nouveau dans l’image sociale. En fait, si vous êtes zen dans un cas comme dans l’autre, vous acceptez de facto le risque lié à toute prise de position. Vous exprimez plutôt une opinion vraiment personnelle. C’est pareil pour tout le monde. Lorsque vous vous rendez compte qu’une personne est conditionnée par son image, n’en parlez pas à chaud : elle entrerait en stress. Par contre, reve-nez-y à froid, un peu plus tard, en lui ouvrant le champ de nouvelles possi-bilités. Posez-lui des questions sur le rôle qu’il endosse (ce rôle de chargé de mission, de manager ou autre, que chacun connaît) pour avoir son point de vue. Puis aidez-la à prendre du recul, en lui disant, par exemple : « Tu sais, être chargé d’étude, j’ai le senti-ment que c’est aussi … (à compléter en fonction de votre situation). Qu’en penses-tu ? ». Si elle répond quelque chose du genre : « À partir de ce que je sais, c’est ce que je crois la meilleure chose, mais il est possible que je sois dans l’erreur », bingo. Elle s’affranchit de son image sociale. Sinon, proposez-lui l’un des exercices de la page 22.

PATRICK COLLIGNON

…l’image socialeAutomatiqueVotre mode automatique (voir N’Go n°9) a intégré les règles sociales qui vous concernent sous la forme de conditionnements et de croyances qui façonnent l’image que vous avez de vous-même. Cette image est sensible au regard de l’autre.

Basée sur la crainteAutomatiquement, vous cherchez à éviter la désap-probation. Vous craignez d’être jugé ou mal perçu. Vous avez tendance à émettre une opinion qui concorde avec les règles sociales en vigueur. Pas forcément avec ce que vous pensez réellement.

Associée au stressLe stress apparaît quand vous accordez une attention trop importante au regard des autres. Il provient du fait que vous préfériez défendre votre image sociale (réponse automatique) que vos opi-nions personnelles (réponse adaptative).

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Cet article a été rédigé en collaboration avec l’INCwww.neurocognitivism.com

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Chaque problème ou chaque défi peut, après mûres réflexions, trouver une solution... Mais comment faire pour augmenter la qualité des décisions prises ?

Six chapeaux pour penser...

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26outil Six Chapeaux pour Penser n’GO mai 2013

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S ur une semaine, à combien de réunions assistez-vous ? Et combien d’entre elles dé-bouchent sur des décisions claires, créatives et efficaces ?

Si vous avez l’impression que le ratio n’est pas assez élevé, il est peut-être temps d’imposer le port du chapeau ! La méthode des Six Chapeaux pour Penser, inventée par le docteur Edward de Bono, bonifie la réflexion individuelle ou collective en abordant chaque question sous différents angles.« L’outil est puissamment simple », nous confie Aline Frankfort, directrice de Crea-

tive ConsulTeam. « Le prin-cipe de base est de dissocier la réflexion. À chaque chapeau correspond une direction à explorer… Par exemple, le cha-peau jaune se concentre uniquement sur la logique positive, sur les aspects poten-tiellement intéressants. À l’inverse, quand on porte le chapeau noir, la consigne est d’adopter une position de prudence : on identifie les risques et tout ce qui pourrait constituer un obstacle à la réussite. »

Tour de têteLors d’une réunion, tout le monde porte

Chaque chapeau représente une direction de pensée et donc un type d’information que l’on cherche à obtenir.

– Le blanc symbolise la neutralité. On cherche les informations les plus neutres possibles. On en reste au niveau des faits et chiffres objectifs.

– Le rouge symbolise la critique émotionnelle. On est dans la réaction, les a priori, les intuitions. On sonde le ressenti.

– Le noir symbolise la critique négative. On liste les dangers potentiels et les écueils à éviter en essayant de rester neutre.

– Le jaune symbolise la critique positive. On regarde les choses de manière résolument optimiste, à l’affût des opportunités, des bénéfices et des scénarios positifs.

– Le vert symbolise la créativité. On teste des solutions de rechange et fait évoluer les concepts sur base des idées déjà énoncées.

– Le bleu symbolise l’organisation. Il sert à définir les objectifs de la réunion et clarifie les processus d’échange entre les participants.

| six chapeaux et six couleurs

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Aline Frankfort

outil Six Chapeaux pour Penser 27n’GO mai 2013

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le même chapeau en même temps. De ce fait, la collaboration entre les participants peut s’installer très rapidement. « Les gens mettent très vite leur égo de côté. La règle du jeu est d’explorer le plus loin possible chaque direction… Chacun essaye donc d’apporter l’observation la plus riche et la plus pointue possible. On quitte la lo-gique du débat et des discussions sans fin dont certains sont pourtant si friands. Le but n’est pas d’arriver tout de suite à une conclusion mais de chercher des éléments pertinents qui enrichissent la réflexion. »Les chapeaux s’enfilent les uns après les autres dans un ordre non-défini. Un anima-teur veille à harmoniser les enchainements. Jean-Louis Baudoin, partenaire chez Crea-tive ConsulTeam, joue ce rôle à merveille. « Certaines séquences ont fait leurs preuves mais tout dépend du contexte ambiant. Par exemple on commence rarement avec le

chapeau rouge qui couvre les aspects liés à l’émotion-nel et est donc plus dans la réaction. Pourtant, un jour je n’ai pas eu d’autres choix que d’ouvrir sur du rouge. Les participants étaient di-visés en deux blocs qui s’op-posaient fortement. Il fallait avant tout vider les ballons avant de pouvoir commen-cer à parler. »

Réfléchir mieux« La métaphore du chapeau est facile à comprendre. On peut le mettre et l’enlever aisément et il est proche de l’endroit où l’on réfléchit. », continue Jean-Louis Baudoin. « L’intérêt de cette technique c’est d’amener une dynamique collaborative dans laquelle les gens dialoguent au lieu de discuter. Le

Philippe Woitrin, CEO du Hain Celestial Group « La méthode permet d’être plus effi-cace dans les réunions et permet de gé-rer les émotions. On arrive à éviter que les gens, souvent allergiques au chan-gement, ne réfléchissent uniquement aux raisons pour lesquels ils n’ont pas envie de faire quelque chose. À partir du moment où on donne la possibilité de parler de ses craintes, de ses angoisses ou de ses stress, il est plus facile de travailler à un consensus. D’ailleurs, on débouche souvent sur beaucoup plus qu’un consensus. Comme tout le monde a l’impression d’avoir pu être écouté et d’avoir pu exprimer son point de vue, le consensus devient un accord construc-tif entre les participants. Personne ne se sent obligé de mettre en œuvre les décisions prises vu que chacun a parti-cipé à l’élaboration de la solution. C’est devenu un certain automatisme entre nous. Quand j’entends quelqu’un critiquer fortement une nouvelle idée, je lui dis un peu ironiquement : « Vas-y, enfonce bien le chapeau noir sur ta tête. Ce n’est pas un souci ! » Ca permet de déminer beaucoup de situation. À la fois ceux qui écoutent comprennent mieux l’état d’esprit de celui qui parle et celui qui parle se sent plus écouté. En nommant les choses, on avance plus vite. »

| témoignage

Jean-Louis Baudoin

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but est d’être le plus créatif possible à l’intérieur de contraintes bien identifiées. Est-ce qu’on est dans un bac à sable ou sur une plage ? Le fait de changer de points de vue à plusieurs reprises permet de mieux percevoir et d’élargir les limites à l’intérieur desquelles on doit prendre une décision. Et ça fonctionne à tous les coups. On pourrait même imaginer qu’un jour on utilise cet outil dans un jury d’assises. »

Pour Aline Frankfort, la méthode pallie les limites fixée par notre matière grise. « Le cerveau auto-organise l’informa-tion. Toutes nos perceptions sont basées sur le principe de reconnaissance : nous associons ce que nous voyons ou ce que nous entendons à quelque chose que nous avons appris auparavant. Nous dévelop-pons des “autoroutes’’ qui nous amènent à une certaine forme d’évidence qu’on

Six Chapeaux pour Penser – La méthode parvient à faire

émerger l’énergie créatrice de tous les participants. Les talents et idées individuels s’additionnent sans que

des antagonismes s’installent.

– Le gain de temps est indéniable et la productivité est fortement augmentée. Comme tout le monde regarde dans la

même direction, on ne perd pas de temps à mettre d’accord les uns et les autres.

– Même si le groupe change de réunion en réunion, il est très

facile pour les nouveaux arrivants d’intégrer la méthode.

– La communication à l’intérieur des équipes est favorisée par l’aspect

collaboratif de la méthode. La cohésion est dès lors renforcée.

| les points forts

– Si l’outil est simple à comprendre, cela ne veut pas dire qu’il est simple

à utiliser. Tenter l’expérience sans être accompagné peut

s’avérer contre-productif.

| les limites

“On peut être très bon en réflexion mais si on ne réfléchit pas sur de bonnes bases, il va être

difficile d’arriver à une conclusion pertinente !

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ne remet que rarement en question. Cet automatisme rend la pensée plus rapide mais, en même temps, il limite la capacité de voir la nouveauté. En Occident, par exemple, on procède souvent par déduc-tion logique sur base de prémisses. On ne va dès lors pas s’écarter de ce qui est connu au départ. Ce mode de traitement ne remet absolument pas en cause la per-ception. On peut être très bon en réflexion mais si on ne réfléchit pas sur de bonnes bases, il va être difficile d’arriver à une conclusion pertinente ! »Six couvre-chefs pour autant de points de vue. Ce moyen ludique et sérieux ouvre le champ des possibles. « Quand des mana-

gers me disent ‘il y a deux manières de voir les choses’, je rigole doucement », conclut Jean-Louis Baudoin. « Grâce aux chapeaux, on prend conscience de la ma-nière très limitante avec laquelle on réflé-chit. C’est le résultat d’une éducation qui s’oriente plus vers la conformation que vers la stimulation. Or, il est quand même plus intéressant d’apprendre à penser que d’apprendre un modèle que quelqu’un d’autre a pensé pour vous. Dans une so-ciété multiculturelle, il est maintenant important de trouver des langages com-muns. Il est temps de montrer une plus grande ouverture d’esprit et de s’éveiller aux alternatives. » RENAUD DEWORST

Vous connaissez un outil intéressant dans un

contexte de développement ? Faites-le nous savoir !

| en savoir +

Pour en savoir plus sur l’offre de Creative ConsulTeam, visitez leur site internetwww.consulteam.be

“Quand des managers me disent ‘il y a deux manières de voir les choses’, je rigole doucement’’

outil Six Chapeaux pour Penser 30n’GO mai 2013

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blog-notes

M on neveu Jesse, 9 ans, va vendre ce mois-ci des travaux de bricolage au profit des en-fants en Afrique. Avec deux de ses camarades, il jongle entre

la corde, la colle et le papier. Ils présenteront le joli résultat sur un stand à la fancy fair de leur école. Les recettes iront au Bénin. Car, comme le sait Jesse, ‘là-bas les enfants n’ont rien’. Avec l’argent envoyé, ils pourront peut-être s’acheter des stylos et des cahiers.Jesse me raconte tout ça avec des joues ver-meilles et je suis émue. Un garçon de 9 ans

ayant la conscience morale qu’il doit s’enga-ger pour les enfants moins bien lotis : fan-tastique ! Mais je suis également prise d’un sentiment de gêne. Voici un garçon de 9 ans, qui n’a jamais été en Afrique, mais qui sait une chose avec certitude : les enfants y sont pauvres, et nous devons les aider. Cette image stéréotypée de l’Afrique, incapable de s’en sortir sans notre aide, fait entre-temps partie de notre éducation depuis deux ou trois générations. Cela a incontestablement apporté énormément de bonnes choses. Des millions de personnes

se sentent concernées par la pauvreté mondiale et font des dons à des associations caritatives, aidant ainsi des millions d’autres à faire un pas en avant. Mais tout doucement, la critique grandit à l’égard des effets secondaires de cette image de l’Afrique. Premièrement, parce que ce tableau correspond de moins en moins à la réalité, maintenant que l’Afrique réalise des progrès à tous les niveaux. Deuxièmement, parce qu’involontairement, elle met l’accent sur la différence entre eux et nous, au lieu de mettre l’accent sur l’égalité. Et troisième-

Mirjam Vossen

| parole d’expert

Mirjam Vossen est géographe du développement et rédactrice de MyWorld. Pendant plus de dix ans, elle fut impliquée dans des projets au Malawi, où elle a habité à plusieurs reprises. À côté de son travail de journaliste, elle réalise une étude sur le framing de la pauvreté mondiale dans le débat public aux Pays-Bas, en Flandre et en Angleterre. Elle est pour cela, en tant que doctorante externe, liée à la Radboud Universiteit Nijmegen et à la Katholieke Universiteit Leuven. Elle examine quelles frames les journalistes et les organisations de développement utilisent dans leur communication sur la pauvreté et leurs effets possibles sur le public.

L’Afrique a besoin de nouvelles images

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ment, parce qu’elle peut, à terme, ruiner notre implication. Jesse bricole pour l’instant encore avec enthousiasme pour les enfants du Bénin. Mais qu’en sera-t-il lorsque, à 40 ans, il entendra qu’on y a toujours besoin d’argent pour les écoles ?

Indépendamment de la réalitéEn tant que journaliste et chercheuse, je suis fascinée par l’idée que nous nous faisons de l’Afrique, de la pauvreté et de la coopération au développement. Il s’agit de thèmes sur lesquels nous avons tous un avis, même si la plupart d’entre nous n’y sont jamais allés et n’en connaissent pratiquement rien. Notre image se déve-loppe indépendamment de la réalité. Elle nous est inspirée par les récits que nous entendons et par les photos et documen-taires que nous voyons dans les médias. Une image ou un récit sur l’Afrique se construit à partir de certains cadres de

pensée ou frames : les communicateurs racontent leur histoire avec certains mots, faits, métaphores et photos par lesquels ils renforcent, consciemment ou inconsciemment, les émotions, les convictions et les opinions des lecteurs et des auditeurs. Les journalistes le font lorsqu’ils réalisent un reportage sur l’Afrique et les politiciens lorsqu’ils pré-sentent leur programme de coopération au développement. Plus une frame est répétée, plus elle reste ancrée solidement chez les récepteurs. Les organisations de développement se servent elles aussi de frames. Comme l’image, pour une campagne, d’un enfant africain au ventre gonflé par la famine. Cela suscite la com-passion et motive les gens à aider. Cette ‘frame caritative’ n’est assuré-ment pas la seule que les organisations de développement utilisent. Mais c’est cette frame qui fait actuellement l’objet de débats animés aux Pays-Bas. Les ONG

sont de plus en plus nombreuses à réali-ser que cette frame stéréotypée contribue à une ‘lassitude d’aider’ qu’elles nour-rissent elles-mêmes par leurs campagnes. Lorsque les gens se voient présenter, année après année, un appel à l’aide, ils restent convaincus que tout n’est que misère en Afrique et que, manifestement, toute cette aide a peu d’impact.

Dilemme diaboliqueIl faut donc quelque chose de différent, de plus équilibré et multiforme. Mais quoi précisément ? C’est là que les organisa-tions de développement se retrouvent dans un dilemme diabolique. Car malgré toutes les critiques au sujet de l’utilisation

“Notre image se développe indépendamment de la réalité. Plus une image est répétée, plus elle est ancrée”

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d’images ‘tragiques’, celles-ci génèrent encore le plus de dons. L’organisation néerlandaise ‘Cordaid Mensen in Nood’ a tenté il y a quelques années de changer son fusil d’épaule, avec une campagne ex-centrique d’hommes et de femmes Masai. Ils posaient de manière provocante avec des bouteilles de parfum, des lunettes de soleil et des sacs à main, comme s’il s’agissait d’une publicité de Louis Vuit-ton. Ici, pas de regards d’enfants dans le besoin, mais de robustes Africains qui prennent la pose d’un air assuré. Malheureusement, la campagne rapporta moins d’argent qu’espéré. Des images fortes peuvent influencer positivement notre représentation de l’Afrique, mais elles sont moins rentables à court terme

pour les projets au profit de ces mêmes Africains.À l’heure actuelle, ce dilemme engendre des discussions animées entre les collec-teurs de fonds et les employés d’orga-nisations de développement. J’espère qu’ils auront l’audace d’expérimenter davantage de nouvelles images et de nouvelles formes de communication et qu’ils parviendront à se détacher de la ‘frame caritative’ stéréotypée. Afin que ‘l’Afrique’ évoque aussi, dans l’esprit de mon neveu Jesse, des enfants possédant un smartphone, habitant dans une mai-son ordinaire avec de l’eau et du courant, et aimant, tout comme lui, jouer au foot le weekend.

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“Des images fortes peuvent influencer positivement notre représentation de l’Afrique, mais elles sont moins rentables à court terme…”

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