Les obligations
Embed Size (px)
Transcript of Les obligations
-
D R O I T
P. O U R L I A C E T J . D E M A L A F O S S E
H I S T O I R E D U
D R O I T P R I V
P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S D E F R A N C E
-
M I S C O L L E C T I O N DIR IGE P A R M A U R I C E O U V E R G E R
D R O I T
P A U L O U R L I A C Professeur la Facult de Droit
et des Sciences conomiques de Toulouse
J . D E M A L A F O S S E Professeur la Facult de Droit
et des Sciences conomiques de Paris
Histoire du Droit priv
1 / Les Obligations
P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S D E F R A N C E 1 D B , B O U L E V A R D S A I N T - G E R M A I N , P A R I S
-
Dpt lgal. l r e dition : 4 e trimestre 1957 2 e dition mise jour : 3 e trimestre 1969
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation rservs pour tous pays
1957, Presses Universitaires de France
-
AVANT-PROPOS
Les auteurs du prsent manuel ont essay de rester fidles au programme et l'esprit de la licence en droit, dont Vide gnrale a t bien exprime dans Vexpos des motifs du dcret du 27 mars 1954 : Les Facults de droit doivent donner leurs tudiants d'une part une culture gnrale, de caractre social, appuye sur renseignement du droit et de l'conomie politique, d'autre part, une formation mieux oriente vers leur profession future.
Dans cette perspective, une place de choix devait revenir aux enseignements historiques. Nul ne conteste plus aujourd'hui fa valeur de l'histoire et la rforme des tudes juridiques a subi elle-mme l'influence de l'volution rcente des tudes historiques ; l'histoire rpudie aujourd'hui le positivisme ; elle pntre dans des domaines nouveaux, l'conomie, les socits, les civilisations, hs ides ; elle ne veut tre ni un catalogue, ni un pLdoyer ou un rquisitoire ; elle est avant tout explication et exploration .
Ces tendances qui valent pour l'histoire des institutions, conviennent mieux encore l'histoire du droit priv : celhci est au premier chef une histoire sociale : c'est par l'tude du droit qui la rgit que l'on pntre le mieux et le plus profondment l'essence d'une socit. Mais le droit est aussi une technique et, nous adressant des tudiants qui suivent les enseignements de la licence de droit priv et qui, parvenus en troisime anne, doivent recevoir une formation oriente vers leur profession future , nous avons t souvent conduits faire une large part la technique. Nous ne nous en excusons pas, parce que nous croyons que technique et culture sont insparables et galement ncessaires V humanisme juridique . La technique implique une rigueur d'esprit, un sens de la rgle qui sont aussi ncessaires au juriste, qu'indispensables la vie et la sauvegarde du droit ; mais c'est vivifier cette
-
6 HISTOIRE DU DROIT PRIV
technique et en montrer la valeur profonde que de la faire passer sous la toise de Vhistoire. Nous croyons mme que Us Facults franaises doivent beaucoup de leur originalit et de leur mrite la place qu'y a tenue Vhistoire. L'histoire apporte au juriste une mthode et un tat d'esprit qui lui permettent la fois de mieux comprendre l'volution du droit et de mieux connatre le prsent. Saleilles, le doyen Hauriou, Adh. Esmein, Ed. Lambert taient, par formation, des historiens.
Ces considrations expliquent la manire dont nous avons conu notre tche. Nous avons crit ce manuel pour des tudiants forms au droit civil moderne, en nous rfrant sans cesse celui-ci. Nous avons suivi, en gros, le plan d'un cours de droit civil, mme quand ce plan n'tait gure justifi par l'histoire. Nous avons souvent trop sacrifi la sociologie juridique et le droit compar ; que les sociologues et les comparatistes veuillent bien nous en excuser : nous leur livrons des lments que, mieux que nous, ils sauront mettre en uvre.
Les anciens programmes concdaient un semestre au droit romain des obligations et ne faisaient aucune place l'histoire du droit priv. La rforme de 1954 a prvu une histoire globale de chaque rgle de droit : nouveaut heureuse qui imposait la colla-boration d'un romaniste et d'un historien et la conjugaison du plan logique, propre au droit, et du plan chronologique, ncessaire l'histoire.
A l'histoire du contrat, nous avons consacr une premire partie ; elle fait bien apparatre, croyons-nous, que le contrat n'est pas ce mythe, cet difice d'enchantement que dcrivait Valry : Un systme qui repose sur des critures, sur des paroUs obies, des promesses tenues, des images efficaces, des habitudes et des conventions observes fictions pures (Au sujet des Lettres Persanes). Le contrat s'adapte aux socits qui le pra-tiquent, il traduit leurs besoins et varie avec les vnements et les poques ; mais le contrat implique aussi une philosophie : il est avant tout volont et il exprime l'autonomie de l'individu et sa libert.
Libert ne signifie pas forcment justice : d'o, pour rgler les conflits de l'une et de Vautre, la trame des prescriptions et des mcanismes qui font l'intrt d'une tude technique du contrat.
-
AVANT-PROPOS 7
A cet gard le droit romain demeure incomparable et irrem-plaable : c'est lui qui inluctablement nous a fourni les cadres de notre tude ; c'est lui qu'est revenu en dfinitive notre Code civil.
Quant la part de l'ancien droit, elle n'en est pas moins remar-quable : son intrt vient de la diversit de ses tendances et de ses rgles, de son empirisme, de l'volution sociale et conomique qu'il traduit ; de l aussi vient la difficult de l'exposer clairement, difficult encore accrue par les lacunes de la bibliographie : depuis Brissaud, aucun manuel franais n'a trait de l'histoire des contrats.
Nous souhaitons que, malgr ses imperfections, ce livre soit utile aux tudiants. Puisse-t-il hs aider mieux comprendre notre droit actuel ! Puisse-t-il aussi les convaincre qu'un vri-table humanisme juridique ne peut se passer ni du droit romain, ni de l'histoire qui donnent, qui veut bien les pratiquer, cet ordre de grandeur, ce sens des perspectives et des ralits sociales sans lequel il ne peut y avoir de vraie culture juridique.
-
ABRVIATIONS
A G Archivio giuridico. AHDE Anuario de historia de Derecho espanol. ASD Annali di storia del diritto. AUCT Annali del Sem. giur. delV Universit di Catania. AUPA Annali del Sem. giur. dlia R. Universit di Palermo. Basil Basiliques, dit. G. E . H E I M B A C H , Leipzig, 18331870 ;
dit. H . J . S C H E L T E M A et N. V A N D E B W A L , Groningen, Djakarta , 1954 ss.
BGB Biirgerliches Gesetzbuch. BIDR Bullettino delV Istituto di diritto romano. C. Code de Justinien, Corpus juris civilis, t. I I , dit.
K R U G E R , l i e d., Berlin, 1954. C. C Code Civil . C. Comm Code de Commerce. CIL Corpus Inscriptionum Latinarum. Coll. leg Collatio legum Mosacarum et Romanarum ( F I R A ,
I I , p. 541 ss.). Consult Consultatio veteris cujusdam jurisconsulti ( F I R A ,
I I , p. 591 ss.) . c. r Compte rendu. C. Code Thodosien, dit. M O M M S E N et PaulM. M E Y E R ,
2 d., Berlin, 1954. D Digeste, corpus joris civilis, t. I , dit. M O M M S E N et
K R U G E R , 16 e d., Paris , 1954. Ecloge lus Graeco romanum, t. I I , p. 6 ss., dit. I . et
P. Z E P O S , Athnes, 1931. F I R A Fontes juris romani antejustiniani, 2 e d., Florence,
t. I : Leges, dit. R I C C O B O N O , 1941 ; t. I I : Auctores, dit. B A V I E R A et F U R L A N I , 1940 ; t. I I I : Negotia, dit. A R A N G I O R U I Z , 1943.
F . V Fragmenta Vaticana ( F I R A , I I , p. 461 ss.). G A I U S Institutes de Gaius, dit. D A V I D , Leiden, 1948 ;
dit. R E I N A C H , Paris , Les BellesLettres, 1950.
-
10 HISTOIRE DU DROIT PRIV
Hexabiblos d 'Har-menopule Manuale legum sive Hexabiblos cum appendicibus et
legibus agrariis, dit. G . . H E I M B A C H , Leipzig, 1851.
Institutes de J U S T I N I E N , Corpus juris civilis, t. I , dit. K R U G E R , 16 e d., Berlin, 1954.
ltP interpolation. ^ura Rivista internazionale di diritto romano e anlico,
Naples. Journal of Roman Studies. Rivista di scienze giuridiche, Milan.
, " The Law Quarterly Review, Londres. MSDB Mmoires de la Socit pour Vhistoire du droit et des
institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands.
MSDE Mmoires de droit crit. * Nuits attiques d'AuluGelle, H E R T Z , Berlin, 1883. vL Novissimo Digesto Itaiiano.
Novelles de Justinien, dit. S C H O E L L et K R O L L . . L O N L E S A G E Les Novelles de Lon IV le Sage, dit. P. N O A I L L E S
et A. D A I N , Paris , 1944. Nouvelle revue historique de droit franais et tranger,
Paris. Paul. Sent Sentences de Paul ( F I R A , I I , p. 317 ss.). Prochiron I u s Graecoromanum, t. I I , p. 114 ss., dit. I . et
P. Z E P O S , Athnes, 1931. PSI Publicazioni dlia Societ Italiana, Papiri greci e
latini. "wRE Paulys Wissowa Realenzyklopdie der Klassischen
Altertumswissenschaft, Stuttgart. Rivista di diritto commerciale.
Revue gnrale de droit. Revue Historique de droit franais et tranger, Paris. t; Revue internationale des droits de l'antiquit, Bruxelles. tr Revue internationale de droit compar. KlLoL Rendiconti delVIstituto Lombardo di scienze e lettere,
Milan. " " Rivista italianaper le scienze giuridiche, Turin et Milan. KSADR Revista de la Sociedad Argentina de Derecho Romano. * ' Studia et documenta historiae iuris, Rome. * Seminar, Washington.
Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, Haarlem, Bruxelles.
Zeitschrift der Savigny stiftung fur Rechtsgeschichte, romanist. Abu, Weimar.
-
B I B L I O G R A P H I E GNRALE
D R O I T R O M A I N
Parmi les nombreux manuels, tant franais qu'trangers, qui traitent des obligations, certains, utiliss plus frquemment, sont cits en abrg : J . A R I A S R A M O S , Derecho romano, 4 e d., Madrid ; B I O N D I , Istituzioni di diritto romano, 3 e d., Milan, 1956 ; C A R B O N N I E R , Droit civil, t. I I , Les biens et les obligations5, 1967 ; CuQ, Manuel des institutions juridiques des Romains, Paris , 1917 ; E L L U L , Histoire des Institutions, t. I , Paris , 1955 ; G I R A R D , Manuel lmentaire de droit romain, revu et corrig par E . S E N N , Paris, 1929 ; I G L E S I A S , Instituciones de derecho romano, t. I I , 2 e d., Barcelone, 1953 ; K A S E R , Das rmische Privatrecht, t. I , Munich, 1955, et t. I I , Munich, 1959 ; L E P O I N T E et M O N I E R , Les obligations en droit romain et dans l'ancien droit franais, t. I I , Paris, 1954; D l M A R Z O , Istituzioni di diritto romano, t. I I , 5 e d., Milan, 1946 ; M O N I E R , Manuel de droit romain, t. I I , Les obli-gations, 5 e d., Paris, 1954 ; S C H U L Z , Classical Roman Law, Oxford, 1951 ; S E I D L , Rmische Privatrecht, Erlangen, 1949 ; V I I X E R S , Droit romain, t . I I , Les obligations.
A N C I E N D R O I T
Les seuls ouvrages gnraux en langue franaise sont ceux de J . B R I S S A U D , Cours d'histoire gnrale du droit franais public et priv, 2 vol. , 1904 ; L E P O I N T E et M O N I E R , cit supra et les cours (polycopis) de M E Y N I A L , Histoire du droit priv, 1928-29 ; Auguste D U M A S , Cours d'histoire du droit priv, Les obligations, s. d. et A U B E N A S , Cours d'histoire du droit priv, t. V , Contrats et obligations, 1950. Ajouter ces ouvrages gnraux les livres cits l'occa-sion de l'histoire du contrat spcialement la prcieuse tude d ' Y v E R . On doit retenir tout spcialement pour e droit savant : P . S. L E I C H T , Storia del diritto italiano, I I I , L e obligazioni, 2 e d., 1948, et E . B E S T A , Le obligazioni nella storia del diritto italiano, 1937 ; et pour le droit statutaire : F r . S C H U P F E R , Il diritto dlie obligazioni in Italia nel' et del Risorgimento, 3 vol. , 1920-21. Les coutumes traitant peu du contrat : F r . O L I V I E R - M A R T I N , Histoire de la coutume de la prvt et vicomte de Paris, 2 vol. , 1920-1930, ne renferme que des indications rares mais fort prcieuses.
Les capitulaires des rois francs sont cits d'aprs l'dition de B O R E T I U S et Victor K R A U S E , M. G. H. Legum, sectio I I , 1883. Les institutes de Loisel sont cites d'aprs l'dition R E U L O S (1935) ; on a fait souvent appel des proverbes franais (d. Joseph M O R A W S K I , Paris , 1925). D ' A R G E N T R E est cit d'aprs l'dition Nicolas B U O N , 1613 ; D u M O U L I N , d'aprs d. de 1612. P O T H I E R , sans autre indication, renvoie au Trait des obligations, d. 1805.
-
INTRODUCTION
[1 ] L'ide d'obligation appartient un droit relativement volu, une poque o l ' indiv idu a acquis une certaine ind-pendance, o existent des relations normales d'affaires et o la monnaie est couramment employe.
U n droit pr imi t i f le droit romain ancien ou le droit franc au lieu d'une notion abstraite de l 'obligation, dfinit la condition des obligs et des pouvoirs qui s'exercent sur eux. L ' oblig peut tre un citoyen enchan soumis la discrtion d'un matre et travaillant pour l u i comme un esclave. On distingue mal l 'obligation de la proprit et ce que nous appelons le droit rel du droit de crance.
Un droit plus raffin comme le sera le droit romain clas-sique distingue au contraire ces deux situations. L'oblig devient un dbiteur qui , li par un acte de sa volont ou astreint par la lo i ou par la coutume, doit donner ou faire quelque chose.
Entre ces deux notions de l 'obligation, i l y a place pour bien des nuances. Le droit allemand tend dpersonnaliser l 'obl i -gation et mettre l'accent sur la valeur patrimoniale de la dette (B. G. B. , art. 241). Le droit anglais rpugne une thorie gnrale de l 'obligation ; i l traite sparment des contrats et des dlits, insiste sur l'aspect concret de l 'obligation ; pour l u i tout rapport obligatoire se traduit par une prestation et i l met l'accent sur le caractre matriel de celle-ci.
La tradit ion franaise est comme celle des autres droits latins trs fidle aux principes romains. Sans doute, la notion d'obligation n'est-elle pas au Moyen Age d'une parfaite puret ; la distinction du droit rel et du droit personnel appa-rat difficilement applicable aux fiefs ou aux rentes ; mais
-
14 HISTOIRE DU DROIT PRIV [2]
partir du X I I E sicle le droit de J U S T I N I E N va fournir aux prat i -ciens des formules prcises et un cadre nettement arrt.
I l parat donc de bonne mthode d'tudier d'abord, en elle-mme, la conception romaine de l'obligation. [2] L A D F I N I T I O N ROMAINE D E L ' O B L I G A T I O N . L'obligation est un lien de droit en vertu duquel nous sommes astreints payer quelque chose, conformment au droit de notre cit (I, 3, 1 3 , pr . ) . Cette dfinition des Institutes de Justinien, dj valable en droit classique, doit tre complte par celle du jurisconsulte P A U L (milieu du n e sicle, aprs J.-C.) : la subs-tance des obligations ne consiste pas nous rendre propritaires d'une chose, ou titulaires d'une servitude, mais astreindre une autre personne envers nous, soit transfrer la proprit (dare) soit faire (facere) soit praestare, c'est--dire excuter toute autre prestation (D. , 4 4 , 7 , 3 , pr . ) .
L'obligation est un lien de droit qui uni t le dbiteur au cran-cier. Ce dernier (crditer, de credo : j ' a i confiance), quand i l y a convention, fait confiance au dbiteur par qui i l espre tre rembours. Toute l'opration repose alors sur le crdit fait par le crancier au dbiteur, tel point que l 'on a pu dire : L 'obl i -gation c'est le crdit considr au point de vue juridique ; le crdit c'est l 'obligation considre au point de vue conomique ( E . G A U D E M E T , Thorie gnrale des obligations, Paris, 1 9 3 7 , p. 1 0 ) . L'obligation a donc pour caractre essentiel d'tre un rapport personnel entre deux sujets : l 'un actif, le crancier, l 'autre passif, le dbiteur. [ 3 ] Lien personnel et valeur patrimoniale. L'opposition faite par P A U L , entre droit rel (proprit, servitude) et droit de crance, n'est pas fortuite. Celui-ci s'exerce sur la personne du dbiteur, celui-l sur un bien quelconque, objet de droit . La distinction est particulirement importante dans une c iv i l i -sation qui admet l'esclavage. On doit viter toute confusion entre le rapport obligatoire qui uni t le crancier au dbiteur et le droit de proprit du matre sur l'esclave. Non seulement le droit rel procure une jouissance immdiate son titulaire, mais i l est durable, i l emporte droit de suite et de prfrence. Le droit de crance, au contraire, n'est pas muni de tels avantages ; du point de vue conomique ses rsultats sont beaucoup plus
-
[3] INTRODUCTION 15
alatoires. Non seulement le crancier ne peut suivre un l-ment du patrimoine du dbiteur, ft-ce la chose due, entre les mains des tiers (sauf le cas de fraus creditorum, p. 195) mais i l n'a pas d'avantages sur les autres cranciers (sauf au cas de privilge, n 3 2 0 ) . En cas d'insolvabilit du dbiteur, i l devra se contenter d'un dividende, c'est--dire d'une quote-part des biens du dbiteur proportionnelle au montant de sa crance. I l n'en va autrement que s'il a pris la prcaution de se faire octroyer une garantie sous la forme prcisment d'un droit rel (hypothque).
La diffrence entre le droit de crance et le droit rel est d'autant plus nette que leur source est diffrente. Alors qu'en droit franais le contrat peut indiffremment servir constituer des droits de crance et transfrer des droits rels (C. C , art . 1 1 3 8 ) , en droit romain les modes de constitution des droits rels et personnels sont distincts (C , 2 , 3 , 2 0 ) .
Pour le droit franais, en cas de vente de corps certain, le contrat, par lui-mme, en mme temps qu ' i l cre l 'obligation de transfrer la proprit, l'excute. Le t i t re constitutif d'obliga-t ion et le t i t re constitutif de droits rels se confondent en un seul acte juridique (E. G A U D E M E T , ouvr. cit., p. 1 6 ) .
E n droit romain, au contrat, source d'obligations, devra s'ajouter un acte de transfert, une traditio par exemple. La validit de celle-ci est indiffrente la nullit du contrat : solution illogique sans doute, mais qui rpond mieux aux exi-gences du crdit. L'indpendance des deux actes, l 'un crateur de droit rel, l 'autre constitutif de droit personnel, assure une scurit absolue aux tiers. Ils n'ont pas se proccuper des vices qui peuvent entacher une convention laquelle ils n'ont pas particip et qui leur sont, pour cela, le plus souvent cachs. La fusion moderne des deux actes, si elle consacre un progrs de l'analyse juridique, n'en est pas moins incompatible avec les exigences de la pratique conomique ; d'o un retour aux rgles romaines dans les codifications du X X E sicle. Rapport personnel, le droit de crance a cependant un but conomique ; i l tend l'excution d'une prestation qui reprsente une valeur, et cons-titue un lment du patrimoine du crancier.
Ce double caractre de l'obligation correspond la clbre distinction imagine par les juristes allemands de la fin du
-
16 HISTOIRE DU DROIT PRIV [ 4 ]
X I X E sicle (BRINZ) , entre le devoir (Schuld) et l'engagement (Haftung). [4] Analyse de l'obligation. La Schuld est le rapport j u r i -dique en vertu duquel le corps social demande au dbiteur d'excuter sa prestation. La Haftung met la disposition du crancier un moyen de contrainte direct ou indirect qui l u i permettra d'obtenir satisfaction. Cette dissociation de l 'obl i -gation en deux rapports distincts expliquerait, selon certains auteurs, l'origine de l 'obligation. I l suffit d'admettre pour cela que les obligations dlictuelles ont prcd les obligations contractuelles. Le systme p r i m i t i f de la vengeance prive a t tempr par l 'emploi des compositions volontaires : sommes d'argent verses par le dlinquant la victime ou sa famille. Sous le rgime de la vengeance, le coupable est soumis la victime en l'absence de tout rapport juridique, i l y a engagement sans devoir. Lorsque le rgime des compositions se substitue celui de la vengeance prive, l'lment devoir apparat sans pour autant se confondre avec l'engagement. Non seulement les deux lments de l 'obligation restent distincts mais ils peuvent jouer en faveur de personnes diffrentes. Si le dlinquant obtient sa libert en donnant un otage, le sujet du devoir est diffrent de celui de l'engagement, le crancier ne peut exercer aucune contrainte l'encontre du dbiteur.
A l'inverse, pour les tenants de cette doctrine, un mme devoir pourra tre garanti par plusieurs engagements simultans ou successifs. Enf in devoir et engagement constituent deux rapports distincts qui peuvent natre et s'teindre indpen-damment l ' un de l 'autre.
Une telle analyse de la notion d'obligation est commode. Elle permet notamment d'expliquer la nature particulire de l 'obligation naturelle qui engendre un devoir dmuni de sanc-t ion ou encore le fonctionnement de la novation qui consiste en une modification de l'engagement, l'lment devoir restant inchang. Si la dissociation de la Schuld et de la Haftung est logiquement utile, elle est en droit romain historiquement inexacte, elle ne peut rendre compte des origines de l 'obligation. [5] Origines de l'obligation. Dans le trs ancien droit romain, la doctrine moderne reconnat l'existence de devoirs dpourvus
-
[5] INTRODUCTION 17
de sanctions juridiques, et par l mme comparables la Schuld que l 'on retrouve dans l'ancien droit germanique. Ces devoirs n'en sont pas moins respects grce l 'emploi de moyens de contrainte religieux et sociaux. L'observation des usages sociaux s'impose avec rigueur dans le milieu uni et ferm, que constitue la Rome primitive ( V . E L L U L , p. 2 3 7 ss.). L'opinion publique constitue un moyen de pression particuli-rement efficace pour les chefs de famille peu nombreux et constamment en rapport. Surtout, la crainte des sanctions sur-naturelles, qui peuvent frapper le parjure ou celui qui viole la fidlit la parole donne (fides), pallie l'absence d'action en justice. Le collge des pontifes, qui a la direction suprme de toutes les affaires religieuses, fait enfin respecter l'observation des prceptes religieux (fus) qui s'ajoutent au droit profane (jus ; N O A I L L E S , Du droit sacr au droit civil, Paris, 1 9 4 9 , p. 2 4 ss.).
E n dpit des moyens de contrainte extrajudiciaires dont dispose le crancier, l 'obligation a dans le trs ancien droit romain un certain caractre de prcarit. Lorsque l'opration n'est pas au comptant, on conoit que le crancier ait dsir l'accompagner de certaines garanties, qu ' i l ait mis l'accent aussi sur l'engagement du dbiteur, sur le lien qui l'unissait au crancier ( V . HGERSTRM, Der rmische Obligationsbegriff, Uppsala, Leipzig, 1 9 2 7 , 1 . 1 , p. 5 9 7 ss.). Obligatio vient de ligo : je lie et ob : autour (du corps). L'assujettissement du dbiteur est l'lment prpondrant de l 'obligation, surtout quand elle a pour source un dlit ; i l y a, dans ce cas, lien physique plutt que vinculum juris. Mais obligare n'a pas seulement le sens matriel de crer un lien physique, ce terme va de pair avec damnare et la formule archaque damnas esto signifie qu ' i l soit tenu de, oblig ( C U V I L L I E R , Manuel de sociologie, Paris, 1 9 5 0 , t . I I , p. 4 7 8 ) . Or la damnatio est elle-mme sanction d'une devotio, d'une maldiction. I l suffit que la devotio soit condition-nelle, suspendue l'ventualit o un certain acte ne serait pas accompli, pour qu'elle devienne source d'obligation (Ibid.). On constate galement que toutes les mythologies indo-europennes ont eu des dieux lieurs ( V . D U M Z I L , Mitra-Varuna, 1 9 4 8 , p. 1 1 3 ) .
-
18 HISTOIRE DU DROIT PRIV [6]
Les facteurs religieux et sociaux sont donc l'origine part i -culirement importants surtout en ce qui concerne l'excution de l 'obligation, on ne saurait pour autant ngliger le facteur conomique. Ds l'ancien droit , i l joue un rle essentiel dans la formation de l 'obligation. De plus en plus l 'obligation se pr-sente comme un dplacement de valeur conomique et l 'on a pu dire que l'histoire de l 'obligation est l'histoire du progrs de son caractre patrimonial (E. G A U D E M E T , ouvr. cit., p. 12). [6 ] CLASSIFICATION DES SOURCES D ' O B L I G A T I O N . a) B I P A R -T I S M E . Ce n'est qu' la fin de l'poque classique que les juris-consultes romains se sont proccups de classer les obligations d'aprs leur source, c'est--dire d'aprs l'acte juridique ou le fait qui leur a donn naissance. Cette summa divisio des obliga-tions a t dgage, sinon gnralise, par G A I U S au milieu du I I E sicle aprs J.-C. Dans ses Institutes, 3, 85, cet auteur remarque : Toute obligation nat en effet d'un contrat ou d'un dlit. E n dpit de sa nettet, la classification bipartite ne peut englober toutes les obligations. Gaius doit admettre que l 'obl i -gation qui rsulte du paiement de l ' indu notamment n'a pas son origine dans un contrat (Institutes, 3, 91 : ce genre d'obli-gation ne parat gure dcouler d'un contrat, car l ' intention de celui qui effectue un paiement n'est pas de faire une opration juridique mais plutt d'en terminer une).
b) T R I P A R T I S M E . Pratiquant, plus ou moins consciem-ment, l'ors ignorandi, le jurisconsulte classique range les obli-gations qui chappent la classification bipartite dans la catgorie, empirique s'il en est, des variae causarum figurae (divers types de sources ; D. , 44, 7,1). Mthodiques, les Byzantins ne pouvaient se contenter de cette rubrique de divers, ils devaient chercher prciser quelles taient les sources d'obli-gations autres que le dlit et le contrat. Ils se fondent pour cela sur la comparaison faite par G A I U S entre l 'obligation qui rsulte du paiement de l ' indu et celle qui rsulte d'un contrat. En dclarant que la somme paye indment peut tre rclame celui qui l 'a reue comme s'il avait reu un prt (Institutes, 3, 91), G A I U S suggre la catgorie des quasi-contrats.
c) QUADRIPARTISME. Les Byzantins par esprit de sys-tme rtablissent la symtrie de la classification en y ajoutant
-
[ 6 ] INTRODUCTION 19
la catgorie des quasi-dlits (I, 3, 27, pr . ) . De plus, alors que G A I U S se bornait constater que, dans leurs effets, certaines oprations juridiques ressemblaient aux contrats, les juristes du Bas-Empire, en crant les quasi-contrats, transposent la comparaison dans le domaine des sources. Or, on ne saurait admettre que les obligations rsultant d'un paiement indu , d'un enrichissement sans cause ou d'une gestion d'affaires par exemple, aient leur origine dans une convention mme tacite des parties.
E n dpit de son inexactitude et en raison autant de son apparence de logique que de sa simplicit, la classification qua-dripartite des compilateurs de J U S T I N I E N a connu jusqu' nos jours un trs grand succs. Complte dans notre ancien droit o l 'on considre la loi comme une cinquime source d'obligation, la classification quadripartite a t reprise par notre C. C , art . 1370.
Si tout le monde s'accorde pour la critiquer, les tentatives que l 'on a faites pour l u i en substituer une autre sont demeures vaines (V. R I P E R T et B O U L A N G E R , I I , n 806 ; D E M O G U E , Studi Chironi, t . I , p. 105). Les Codes modernes qui ont voulu se dbarrasser des notions de quasi-contrats et de quasi-dlits ont d renoncer une classification gnrale des sources d'obli-gations (cf. B. G . B. , Code autrichien, Code portugais, Code gyptien, Code polonais, projet de Code franco-italien).
Le rsultat le plus apprciable des tentatives de classifi-cation de l'poque romaine reste l'antithse contrat-dlit qui a des racines profondes dans le droit classique (GROSSO, II sistema romano dei contratti, Tur in , 1949, p. 14).
TAT D E S Q U E S T I O N S
I N T R O D U C T I O N
D F I N I T I O N . L e substantif O B L I G A T I O est relativement rcent. V . les textes de C I C H O N cits par K A S E R , p. 4 0 1 , et A . D I A Z B I A L E T , Obligatio. Interpretacion por los conceptos, RSADR, 1 9 5 9 - 6 0 , p. 9 ss.
A N A L Y S E D E L ' O B L I G A T I O N . Pour l'expos de la doctrine de la Schuld et de la Haftung, v . M A I L L E T , La thorie de Schuld et Haftung en droit romain, thse, Aix , 1 9 4 4 . L'auteur critique fort justement les applications qui en sont faites. Contra, G A N G I , Ancora sul concetto dell'obligazione e sulla
-
20 HISTOIRE DU DROIT PRIV [6]
distinzione tra debito e responsabilit, dans RILSL, 1953, p. 364 ss. V . ga-lement D E V I S S C H E R , Les origines de l'obligation ex delicto, dans RHD, 1928, p. 335 et sa critique fort pertinente du postulat de l'antriorit de l'obligation dlictuelle sur le contrat.
O R I G I N E S . Pour la bibliographie et l'expos des doctrines, v. P A S T O R I , Profile dogmatico e storico dell'obligazione romana, Milan, 1951, p. 17 ss. et 271 ss. ; B E R K I , Romada borlarin Kaynaklari (Sources des obligations Rome), dans Ankara Universitesi Hukuk Fakiiltesi Dergisi, 1954, p. 134 ss.
C L A S S I F I C A T I O N . Certains auteurs ( A R A N G I O - R U I Z , Istituzioni, Naples, 1949, p. 293 ; D l M A R Z O , Manuale elementare di diritto romano, T u r i n , 1954, p. 230) pensent que la classification tripartite de G A I U S serait due des juristes de la fin du I I I E ou du I V E sicle. Dans un rcent article ( V A N O V E N , Remarques sur Gai . , 3, 91, dans Iura, 1950, p. 21 ss.), on s'est fond sur la contradiction, sinon sur l'volution de la pense de G A I U S , pour justifier l'existence d'interpolations. Certes, dans ses Institutes, 3, 91, G A I U S reconnat l'insuffisance de sa classification bipartite, i l avoue son erreur de classement en matire de rptition de l ' indu, mais le postulat de l'infailli-bilit de ce juriste peut difficilement servir de critre valable d'interpolation.
Sur le phnomne de polarisation de l'antithse contrat-dlit, et sur l'vo-lution de la terminologie qui est l'origine de l'expression : quasi-contrat, v. G R O S S O , II sistema romano dei contratti, Turin , 1949, p. 21 ss.
Sur les survivances romaines en droit moderne, v. notamment : B . B I O N D I , Reminiscenze ed esperienze romanistiche in tema di contratto moderno (Sistemazione. Definizione. Requisiti), Studi in onore di Francesco Messineo..., Milan, 1959, p. 19 ss. ; P. V A N W A R M E L O , Die uitleg van Kontrakte, The South African Law Journ., 1960, p. 69 et 219 ss.
-
PREMIRE P A R T I E
HISTOIRE DU CONTRAT
[ 7 ] Source principale de l 'obligation, le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, donner, faire, ou ne pas faire quelque chose (C. C , art . 1 1 0 1 ; cf. P O T H I E R , Obligations, n 3 ) . Le respect de la foi jure n'a t obtenu qu' la suite d'une longue volution marque par le progrs du consensualisme, par le recul du principe ex nudo pacto... actio non nascitur (Sent. Paul., 2 , 1 4 , 1 ) . Recul constant mais nullement lent et continu. Comme toutes les volutions, celle du contrat comporte des temps d'arrt, voire des retours en arrire avec le regain de faveur que connat le formalisme pour des raisons pratiques.
-
CHAPITRE P R E M I E R
L E S C L A S S I F I C A T I O N S R O M A I N E S D E S C O N T R A T S
[8 ] 1 Contrats solennels et consensuels. I l faut cependant se garder de donner trop d'importance l'antithse formalisme-consensualisme. Cette opposition, fondamentale pour la classi-fication des contrats, est souvent considre comme traduisant le contraste qui existe entre deux conceptions, l'une archaque, l 'autre moderne. Aux principes formalistes et matrialistes de l'ancien droit romain, se serait substitu peu peu un consen-sualisme triomphant.
La ralit est tout autre. Le principe de l'autonomie de la volont n'apparat de plus en plus que comme une tape dans l'volution du contrat. Une double raction se dessine son encontre : raction contre l'individualisme exclusif qu ' i l incarne, raction contre l'inscurit des transactions qu ' i l engendre. Qu'elles soient d'ordre politique, social ou conomique, les ra i -sons que l 'on invoque contre la souverainet d'une volont individuelle, favorisent la renaissance du formalisme.
Dans les contrats solennels la forme l'emporte sur le fond, la lettre sur l'esprit. La convention des parties ne produit d'effet obligatoire que si elle se manifeste par l'accomplisse-ment de certaines formalits fixes par le droit . Publicit assure par des manifestations extrieures non quivoques, donc facilit de la preuve et par l mme, protection contre les inquisitions moralisantes du juge et son arbitraire dans l'apprciation du contrat (CARBONNIER, I I , n 1 2 6 ) . Garantie contre les erreurs ou les manuvres du cocontractant et donc plus grande libert de consentement. Stabilit des transactions, enfin, raison du caractre souvent abstrait de la convention. Tels sont, tant pour les parties au contrat que pour les tiers,
-
24 HISTOIRE DU DROIT PRIV PI
les avantages du formalisme. Ils l u i ont valu de se voir dcerner le t i t re de palladium de la libert ( I H E R I N G ) . A l'inverse, sa lenteur et ses complications sont incompatibles avec une vie conomique active. De tels inconvnients n'existent pas dans les contrats consensuels dans lesquels, selon le principe moderne, les conventions sont la lo i des parties et qui sont de ce fait extrmement souples. [9] Contrats rels. Le droit romain tempre l'opposition entre contrats formels et consensuels grce la catgorie des contrats rels, transition entre les deux prcdentes. Dans ces contrats, l'lment crateur de l 'obligation est le transfert, par l'une des parties l 'autre, d'une valeur conomique, sans avoir l ' intention de faire une libralit. L'objet de l 'obligation consiste en la restitution de la valeur reue, soit en nature, soit en quivalent. Ncessaire, le transfert n'est pas suffisant, une convention doit l u i tre jointe pour rgler les modalits de remise et de restitution, pour prciser quel t i t re la chose est transfre : dpt ou prt par exemple. Conciliation du forma-lisme et du consensualisme, ainsi se prsente la catgorie des contrats rels. La commodit de la preuve, qui rsulte du trans-fert, est affaiblie par la difficult qu ' i l y a prouver la conven-t ion cependant indispensable pour carter l'quivoque d'une simple remise matrielle. Le caractre formel, consensuel ou rel ne suffit pas prciser la nature du contrat qui peut faire l 'objet de bien d'autres classifications. [10] 2 Contrats de droit strict et de bonne foi. Assez sem-blable la prcdente, cette distinction n'a cependant pas pour origine la source du contrat mais la procdure, elle repose sur la nature de l 'action qui sanctionne le contrat. Celle-ci est-elle de droit strict, le juge est li par la lettre de la convention, au contraire avec les actions de bonne foi , le juge a un large pouvoir d'interprtation et d'apprciation : i l peut faire jouer la compensation ; l'exception de dol est sous-entendue ainsi que toutes les clauses de style ; dommages-intrts et respon-sabilit sont apprcis souverainement. Bien que prfrable sur le plan de l'quit, l 'action de bonne foi prsente le grave inconvnient de n'offrir aucune garantie contre l 'arbitraire ou l'erreur du juge, danger encore aggrav, l'poque classique,
-
[12] CLASSIFICATIONS ROMAINES DES CONTRATS 25
par l'absence sinon l'imperfection des voies de recours contre les jugements. Si les caractres consensuels et de bonne foi du contrat, qui sont la rgle dans notre droit c ivi l actuel, apparais-sent comme le couronnement de l'volution de la technique juridique, les considrations pratiques, par l'intermdiaire surtout de notre droit commercial, ont amen les modernes rhabiliter les oprations solennelles et de droit strict. [11] 3 Contrats unilatraux et synallagmaliques. E n fonc-t ion des effets du contrat, deux autres classifications : celle des contrats unilatraux et synallagmatiques, celle des contrats t i t re gratuit et t i t re onreux, traduisent une volution qui parat, l'inverse des prcdentes, irrversible. Le contrat unilatral n'engendre d'obligation qu' la charge d'une seule des parties, le contrat synallagmatique donne naissance des obligations rciproques. Le premier, qui est toujours de droit strict, est largement rpandu au dbut du droit romain. Par suite de la complexit croissante des rapports conomiques, le contrat synallagmatique ne cesse de gagner du terrain.
Une catgorie intermdiaire apparat mme, que l 'on dsigne sous le nom de contrat synallagmatique imparfait (cf. P O T H I E R , n 9). On appelle ainsi des contrats qui crent ncessairement une obligation principale la charge d'une partie, ventuellement des obligations rciproques la charge de l 'autre. Celles-ci sont sanctionnes par une action contraria, celles-l par une action directa, c'est--dire normale. Dans le prt usage par exemple, ct de l'obligation principale de restituer un animal prt, i l existera ventuellement la charge du prteur l'obligation d ' in-demniser l 'autre partie du prjudice caus par l 'objet du prt (contamination d'un troupeau par exemple). Une grande partie de la doctrine moderne rejette une telle sous-distinction la suite d'une analyse juridique aussi subtile que peu conforme la ralit. [12] 4 Contrats titre gratuit et titre onreux. Dans les premiers, les avantages qui rsultent du contrat, profitent l'une des parties, alors qu'ils sont rciproques dans les seconds. Cette classification ne doit pas tre confondue avec la prc-dente. Tous les contrats synallagmatiques parfaits sont t i t re onreux, mais un contrat unilatral ou synallagmatique impar-fait n'est pas forcment t i t re gratuit. Par suite des trans-
-
26 HISTOIRE DU DROIT PRIV [13]
formations sociales et conomiques, le caractre gratuit origi-naire de certains contrats s'est estomp, l'exemple du mandat est cet gard caractristique. Actuellement, la distinction a perdu de sa nettet et on la nuance parfois de faon excessive. [13] 5 Contrats nomms et innoms. Cette distinction n'a en droit moderne n i le mme sens, n i la mme importance qu'en droit romain. De nos jours, i l est commode d'indiquer par le seul nom du contrat le genre de la transaction que l 'on veut conclure (RIPERT et B O U L A N G E R , I I , n 87). Si dans la pratique on nomme toujours l'opration juridique, ne serait-ce que pour dterminer les rgles qu i l u i sont applicables, en thorie le rgime de la libert contractuelle rend une telle dsi-gnation inutile. Le C. C , art. 1107, n'oppose contrats nomms et innoms que pour distinguer ceux qui ont fait l 'objet de dispositions particulires dans le Code, de ceux qui n'ont pas t spcialement rglements. A Rome, la simple convention n'engendre pas d'action, le contrat pour tre sanctionn en justice doit tre nomm, i l doit appartenir un type dtermin. Cette typicit des contrats n'est nullement mise en chec par la prsente classification. En droit romain, la catgorie des contrats innoms groupe, en dpit de son nom, des contrats bien dtermins (change, transaction...). Ils ont t individua-liss lorsque les types plus anciens de contrats nomms se sont avrs insuffisants rendre compte des nouvelles oprations. L'apparition des contrats innoms est une tape importante dans l'volution vers la libert contractuelle ; la catgorie n'a cependant pas de caractre gnral ; comme les contrats innoms, les pactes (donation, constitution de dot) viennent complter en effet les anciennes catgories juridiques.
L'histoire du contrat romain est essentiellement celle de sa qualification. L'individualisation des formes de contracter rend compte des nouveaux rapports conomiques qui s'ta-blissent entre les individus. Tous les auteurs reconnaissent la primaut du facteur conomique dans l'volution de la thorie des obligations, mais on ne saurait pour autant ngliger l ' impor-tance du facteur social et moral. E n revanche, l'influence du facteur politique a t fortement conteste (ZAKSAS, Les trans-formations du contrat et leur loi, 1939, p. 53 ss.). I l n'en reste
-
[13] CLASSIFICATIONS ROMAINES DES CONTRATS 27
pas moins que les transformations politiques sont en corrlat ion troite avec l'volution conomique et sociale, soit qu'elle l'annonce, soit qu'elle la renforce ou qu'elle l'entrine : 1 Dans Vancien droit romain, la gense du contrat apparat domine par le formalisme et le matrialisme. 2 L'poque classique (dbut I I e sicle avant J.C.fin du m e sicle aprs J.C.) est celle de la technique, elle est labore avec un empirisme paysan (Introduction Vtude du droit, t . 2 , L E B R A S , Les cadres sociologiques et chronologiques du droit, Paris, 1 9 5 3 , p. 2 3 ) qui se nuancera au contact de la rhtorique et de la dialectique grecque. 3 Gnralisateurs et classificateurs, les juristes du BasEmpire se signalent par leur dogmatisme. L'unit ralise leur poque n'est que formelle : la coupure OrientOccident est plus spectaculaire mais peuttre moins importante que la sparation qui s'accentue entre le droit savant et le droit vulgaire.
TAT D E S Q U E S T I O N S
C L A S S I F I C A T I O N . V . une classification dtaille des rapports juridiques sous leurs diffrents aspects dans L O N C O , Diritto romano, t . I , Rome, 1954, p. 17 ss.
C O N T R A T S Y N A L L A G M A T I Q U E E T U N I L A T R A L . L a classification est plus nette en droit moderne, du moins en thorie. L a majorit de la doctrine considre que le contrat dit synallagmatique imparfait est en ralit un contrat unilatral ( C O L I N et C A P I T A N T , t . I I , n 28 ; R I P E R T et B O U L A N G E R , t . I I , n 0 B 71, 2860, 2895 ; R I P E R T et E S M E I N , t. V I , n 35). Seul dcoule du contrat l'obligation principale de l'une des parties. L'obligation de l'autre, qui n'est qu'ventuelle, drive d'un fait accidentel, postrieur et indpendant de la convention . I l y aurait par exemple ct du prt usage, une gestion d'affaires ou un dol qui justifierait l'obligation ventuelle du prteur de rembourser l'autre partie les dpenses faites pour la conservation de la chose ou de l'indemniser du dommage caus par les vices de celleci ( R I P E R T et B O U L A N G E R , t. I I , n 2895). Une pareille discrimination est une complication aussi inutile que dangereuse. Outre qu'il ne peut tre fait abstraction du contrat principal pour justifier et dterminer les obligations ventuelles de l'une des parties, une telle solution est peu conciliable avec les textes ( C . C , art. 1890, 1947, 1999, 2080) et en contradiction avec le droit de rtention reconnu au dpositaire jusqu' l'entier paiement de ce qui lui est d raison du dpt ( C . C , art. 1948). V . galement la jurisprudence relative au droit de rtention du mandataire ( R I P E R T et E S M E I N , t . V I , n 35). Mieux vaudrait, sembletil, admettre une notion plus large des rapports synallagmatiques. L a nettet d'une classification ne gagne pas tre obtenue au dtriment de la ralit des rapports contractuels.
-
CHAPITRE I I
L ' A N C I E N D R O I T R O M A I N : L A G E N S E D U C O N T R A T
[14] Le contrat, parce que gnrateur de crdit, comporte un risque, i l se concilie mal avec la conception vulgaire du donnant donnant. C'est dire que la technique romaine ne s'est pas la-bore d'un coup. Mais, l'origine du droit romain, i l ne pouvait tre question d'une intervention lgislative pour prciser les dveloppements de la pratique, dont la connaissance demeure donc incertaine. I l est probable que l 'on n'est pass qu'aprs bien des hsitations, du stade du droit rel celui du droit de crance. L'appropriation immdiate d'un bien se conoit mieux que l'assujettissement ventuel d'une personne une autre. S'il est impossible de retracer l'volution au cours de laquelle s'est dgage la notion de contrat, i l est vraisemblable que l'une de ses dernires tapes a t constitue par le nexum. [15] N E X U M : R I T U E L OU JUSTICE PRIVE ? Acte juridique hybride, mi-chemin entre le contrat, source d'obligations, et le droit rel, crateur de pouvoir, ainsi se prsente l ' inst i -tut ion qui fait l 'objet des controverses sinonles plus nombreuses, du moins les plus anciennes puisqu'elles remontent la fin de la Rpublique romaine ( V A R R O N , De lingua latina, 7 , 1 0 5 ) .
Le nexum fa i t natre une condition juridique modifiant le statut de la personne qui en est l 'objet ( N O A I L L E S , Fas et Jus, Paris, 1 9 4 8 , p. 1 4 4 ) . Acte formaliste, i l requiert pour son accom-plissement la solennit de l 'airain et de la balance (acte per aes et libram), la pese du mtal tant devenue fictive avec l'appa-ri t ion de la monnaie, aprs la loi des X I I Tables.
Quant aux paroles qui pouvaient tre prononces cette occasion, mieux vaut pratiquer leur gard Yars ignorandi.
-
[15] LA GENSE DU CONTRAT 29
L'emprunteur, nexus, est plus qu'un simple dbiteur tenu envers son crancier en raison d'un contrat, i l est dans un tat de quasi-servitude. Sa sujtion n'est cependant que virtuelle : en cas de non-remboursement l'chance, l'assujettissement ncessite pour devenir effectif l 'emploi d'une procdure part i -culire (manus injectio). N u l recours la justice prive, la source de la contrainte est exclusivement juridique ( N O A I L L E S , Ibid., p. 126), elle consiste en un acte r i tuel consacr par la loi des X I I Tables. Selon une rcente hypothse, ce second crmonial aurait mme t inuti le . U n i son crancier par un lien defides, le nexus offre sa personne en garantie de sa crance, i l se soumet au bon vouloir de celui qui l u i a prt, tant que la dette n'est pas rembourse ( I M B E R T , Fides et nexum, dans Studi Arangio-Ruiz, f . 2, 1952, p. 339 ss. ; contra LEMOSSE, L'aspect p r i m i t i f de la fides, Studi de Francisci, t . 2,1956, p. 45). Sorte de pr-contrat de caractre mystique , le nexum produit tous ses effets par la seule force du rite . Ainsi se trouve vrifie l'hypothse selon laquelle la justice aurait une origine magico-religieuse, alors qu'on la voyait autrefois dans un rgime de la force et de la vendetta ( E L L U L , I , p. 257).
Comme le constate N O A I L L E S (Ibid., p. 144) nous ne savons pas quelle transformation le nexum aurait d subir pour devenir un contrat, attendu qu ' i l a t abrog avant que la transfor-mation ne soit devenue ncessaire . A u dbut du I V E sicle avant J . - C , une lo i Poetelia Papiria, vote au profit de la plbe endette, adoucit le sort des nexi et enlve ce faisant tout intrt cet acte. L'apparition de procdures plus souples d'excution force, notamment de l'excution sur les biens, ne pouvait que renforcer sa dsutude.
Le caractre objectif du r i tuel qui assujettit le nexus montre le peu de cas que l 'on fait d'une volont qui ne se matrialise pas par un acte, par la remise d'un objet. Le symbole est nces-saire l'efficacit du rite . Pour en arriver la notion de contrat une dernire tape doit tre franchie. Elle le sera d'abord avec la catgorie des contrats solennels verbaux dans lesquels, si la forme est prpondrante, elle n'est plus le symbole mais l'ex-pression directe de la volont. Elle le sera surtout avec les contrats rels qui rpudient le symbole pour la ralit et font une
-
30 HISTOIRE DU DROIT PRIV [16]
place la volont exprime librement. Enfin les pratiques du jus gentium, du commerce international, faciliteront l'admission par le droit c ivi l romain des contrats consensuels dans lesquels la cration de l 'obligation est uniquement l'uvre de la volont. 1 ) Formalisme ; 2 ) Ralisme ; 3 ) Consensualisme, autant d'tapes dans l'volution du systme contractuel romain.
S E C T I O N I . Formalisme
[ 1 6 ] Noailles, pour rendre compte de l'volution du contrat montrait comment le droit c ivi l s'tait substitu au droit sacr, comment on tait pass du Fas au Jus. Pour saisissante qu'elle soit, l'antithse ne doit pas tre exagre (v. H . L V Y - B R U H L , c. r. de N O A I L L E S , dans Iura, 1 9 5 0 , p. 3 3 4 ) . Le processus de lacisation est indniable, mais la sparation entre le religieux et le laque n'a pas toujours t bien nette. Ds l'ancien droit, les paroles sacramentelles utilises pour : 1 ) Le contrat de stipulation ont un effet obligatoire autant raison de leur caractre religieux que de la pression de la collectivit ; l'inverse 2 ) Le serment (jusjurandum), acte religieux par excellence, subsistera en dpit de la lacisation du droit priv avec un domaine, i l est vra i , trs limit : jusjurandum liberti (serment de l'affranchi).
1 . S T I P U L A T I O N
[ 1 7 ] C'est un contrat solennel, abstrait, unilatral et de droit strict, qui se forme par l'change de paroles solennelles entre crancier et dbiteur. Solennit certes, mais lmentaire. A la question du futur crancier : prometstu ? (spondesne) le futur dbiteur rpond : je promets (spondeo). On voit mal quelles paroles plus simples pourraient tre utilises. Elles sont cependant prescrites peine de nullit, et c'est en cela que rside le formalisme.
Les volonts, pour lier, doivent s'exprimer d'une certaine manire, c'est cette manifestation extrieure qui est prise en considration, abstraction faite de toute recherche d'intention. Cette gne est trs largement compense par une qualit que ne possderont aucun des contrats crs par la suite : la stipu
-
[19] LA GENSE DU CONTRAT 31
lation est moins un contrat, qu'une forme gnrale de s'obliger. Ce n'est pas un contrat, mais le contrat ( B I O N D I , p. 4 4 9 ) . La stipulation fait chec la typicit des contrats, principe selon lequel, la diffrence de notre droit moderne, tout contrat, pour tre sanctionn en justice, doit avoir un nom et des rgles propres, et doit tre adapt une opration concrte dtermine. Le caractre abstrait de la stipulation l u i permet d'chapper une rgle gnrale. Les conventions les plus varies peuvent tre sanctionnes en se pliant son formalisme trs simple, aussi a-t-elle t qualifie de moule contrats , d'estampille juridique . [ 1 8 ] S PONSIO . L'origine de la stipulatio est particuli-rement controverse. Seule sa trs grande anciennet ne fait plus de doute depuis la dcouverte en 1 9 3 3 de nouveaux fragments des Institutes de G A I U S qui prouvent qu'elle tait sanctionne par la loi des X I I Tables. Le verbe spondeo tant utilis par les parties, la forme primitive d'engagement est dsigne sous le nom de sponsio. Suivant l'volution de la terminologie, on parlera plus tard de fidepromissio ou de fidejussio. Considr par certains comme ayant t l'origine un mode de cautionne-ment, son caractre religieux p r i m i t i f parat plus vraisemblable (v. M A G D E L A I N , Essai sur les origines de la sponsio, 1 9 4 3 ) . Hypothse qui semble confirme autant par l'tymologie (spondai : faire des libations) que par l 'util isation que l 'on fait de la sponsio dans les relations internationales au I V E sicle avant J.-C. A cette poque, elle fait encore natre un enga-gement la fois religieux et juridique ( H . L V Y - B R U H L , La sponsio des fourches caudines, dans RHD, 1 9 3 8 , p. 5 3 3 ss. qui montre qu'en droit public le promettant s'engage lui-mme ainsi que la collectivit mais qu ' en ralit i l ne s'oblige n i tout seul, n i pour autrui . On peut se demander s'il n 'y a pas l une sorte de personnaUt diffuse).
2 . L E S E R M E N T E T L A P R O M E S S E D E D O T
[ 1 9 ] S E R M E N T . Pour les anciens, le serment est le meilleur moyen de resserrer la confiance (fides) de rgle entre personnes qui sont en rapports constants ( C ICRON, De officiis, 3 , 3 1 ; D E N Y S D ' H A L I C A R N A S S E , 1 , 4 0 ) . On rendait une convention
-
32 HISTOIRE DU DROIT PRIV [20]
obligatoire en prtant serment sur l 'autel domestique ou sur celui d ' H E R C U L E , dieu de la richesse. Toute violation tait effi-cacement rprime par une sanction morale et religieuse, par la crainte d'tre mis au ban de la socit.
A la diffrence de la sponsio, le serment ne s'est pas impos comme mode gnral de contracter. Aprs la lacisation du droit par la loi des X I I Tables, i l ne subsiste plus que sous une forme trs spciale : le serment de l'affranchi (jusjurandum liberti). [ 2 0 ] PROMESSE D E D O T . Ce troisime type de contrat solennel verbal consiste en une dclaration unilatrale faite lors des fianailles par la personne qui constitue la dot. Ce contrat de droit strict, mais non abstrait, disparatra au Bas-Empire, poque laquelle la simple promesse de dot deviendra obliga-toire (C. T. , 3, 13, 4).
S E C T I O N I I . Ralisme
[ 2 1 ] La conception raliste est peut-tre celle qui a marqu le plus profondment le droit contractuel romain. Systme inter-mdiaire entre le formalisme et le consensualisme, i l se prsente comme un compromis entre le matrialisme rigide du contrat solennel et la trs grande libert dont bnficient les parties dans les contrats consensuels.
Ds la fin de l'ancien droit romain, apparat le contrat de prt de consommation, qui se forme re, par la remise d'une chose : c'est Vactum re ou mutuum qui est mentionn diverses reprises par PLAUTE . I l s'agit, l'origine, d'un service d'ami que l 'on se rend entre voisins : prt de semences par exemple. I l ne comporte pas d'intrt, c'est le type du service rendu charge de revanche . L'emprunteur est simplement tenu de restituer, aux temps et lieu fixs par les parties, une quantit gale de choses de mme espce et de mme qualit. L'absence d'intrt est implique aussi bien par l'origine que par le gnie du contrat. Les contractants sont lis par un transfert matriel d'autant moins gnant qu ' i l correspond au but poursuivi par les parties. Le symbole s'identifie la ralit. Ce transfert n'en constitue pas moins une sorte de forme qui s'impose la
-
[22] LA GENSE DU CONTRAT 33
volont des parties. Dans la convention qui accompagne la remise matrielle pour fixer les modalits de l'opration, les contractants ne peuvent prvoir la restitution d'une espce ou d'une quantit diffrente, notamment le versement d'intrts.
A l'poque suivante, lorsque le mutuum sera utilis dans les relations commerciales comme dans les rapports entre amis, les inconvnients d'un te l systme commenceront se faire sentir. Dans l'ancien droit romain, au contraire, la conception raliste rpond un besoin naturel et son domaine d'applica-t ion dpasse largement celui des contrats. C'est ainsi que, ds l'poque de la lo i des X I I Tables, l 'un des modes de trans-fert de la proprit (pour les res nec mancipi) est la traditio qui consiste simplement en une remise effective de la chose l'ac-qureur. [ 2 2 ] F I D U C I E . Remise d'une chose, entente avec un ami, tels sont les traits caractristiques de la technique contrac-tuelle dans l'ancien droit romain. Ce mlange de matrialisme et de confiance n'est nullement contradictoire, i l n'est que l'expression de la pratique. Ainsi trouve-t-on cette poque des contrats non encore individualiss qui se concluent de cette manire. U n transfert de proprit (par mancipatio ou in jure cessio), accompagn d'un pacte de restitution, peut aussi bien raliser un dpt qu'un prt usage, rendre service l'alina-teur qui veut mettre ses biens en sret avant de partir en voyage, qu' l'acqureur fiduciaire qui a besoin d'utiliser un objet. Techniquement trs imparfait , ce contrat de fiducie (fido : j ' a i confiance) repose essentiellement sur la bonne foi ; le dposant ou le prteur n'a gure d'autre moyen pour rentrer en possession du bien alin que la pression de l 'opinion publique ou la nota censoria. A l'poque suivante, G A I U S ( 2 , 6 0 ) opposera cette forme de fiducie ralise avec un ami (cum amico), le pacte conclu avec un crancier (fiducie cum creditore) qui ra-lise un gage. L encore, l'acqureur fiduciaire, qui est le cran-cier, n'est tenu de restituer, quand le dbiteur le remboursera, qu' raison de sa bonne foi .
Toutes ces oprations sont du jus civile ; elles sont propre-ment romaines et ne sont valables que si elles sont conclues entre citoyens. On doit se garder de croire, cependant, que la
D R . PRIV, I 2
-
34 HISTOIRE DU DROIT PRIV [23]
fides soit le monopole des Romains. La preuve en est que dans les contrats consensuels, o la confiance est le plus ncessaire, l'influence des pratiques trangres est indniable.
S E C T I O N I I I . Consensualisme
[ 2 3 ] La date d'apparition des contrats consensuels, et tout particulirement de la vente qui est le plus usit, est trs contro-verse. Pour G I R A R D (Manuel, p. 566), ces contrats n'existeraient pas dans l'Ancien droit , mais ils paraissent avoir t ensuite reconnus trs vite . Le grand romaniste ajoutait que des auteurs de plus en plus rares croient l'existence d'une vente consensuelle l'poque de la loi des X I I Tables. Aujourd 'hui , pourtant, ces auteurs deviennent plus nombreux et ce n'est pas l une simple question de mode. Deux textes, en effet, dont l 'un , au moins, parat indiscutable, attestent la reconnaissance de la vente crdit par la loi des X I I Tables ( G A I U S , 4, 28 ; I , 2, 1, 41).
I l est logique d'admettre que la vente consensuelle a t prcde par une vente-transfert, que la vente-contrat s'est substitue la vente au comptant. On a longtemps pens que l'volution n'avait p u tre naturelle, que la technique avait d venir au secours de la pratique. Tour tour, contrats rels, stipulations ont t proposs comme t ra i t d'union entre les deux formes de vente. Selon les auteurs, c'est l'change ou une double stipulation qui aurait servi d'introduction la vente consensuelle.
I l semble admis aujourd'hui que l 'on peut passer directe-ment de la vente au comptant la vente crdit ou contrat consensuel, sans rechercher d'intermdiaire ( L E P O I N T E et M O N I E R , p. 236). Les contrats solennels ou rels, que nous venons d'examiner, sont trop diffrents des contrats consensuels pour tre leur origine. C'est dans l'volution de la pratique que l 'on doit chercher les raisons de la transformation, et le problme consiste dterminer les facteurs de cette volution.
L'influence du droit public, des ventes conclues pour le compte de l ' E t a t par adjudication aux enchres ( C U Q , p. 453), ne peut tre retenue, car elles sont soumises des rgles trs
-
[23] LA GENSE DU CONTRAT 35
spciales. Beaucoup plus vraisemblable au contraire est l ' i n -fluence des pratiques du commerce international ( C O L L I N E T et G I F F A R D , I I , n 9 0 ; P R I N G S H E I M , OUVT. cit., p. 4 8 5 ss.).
Une vente crdit fonde sur la confiance, sur la fides, dpourvue de sanctions lgales n'est pas une utopie. La bonne foi des commerants ou celle des paysans repose sur l'intrt ; elle est implique par la crainte que la violation de la parole donne n'entrane des mesures de rtorsion. L'honntet et la probit des parties ne s'expliquent nullement par des proc-cupations morales mais par l'exprience raliste . Si les pra-tiques du jus genrium ont permis le passage de la vente-trans-fert la vente-contrat, dans l'ancien droit romain de tels usages ne sont pas sanctionns en justice. Ils n'en sont pas moins respects comme le sont, dans une socit ferme et groupe autour des chefs de famille, les rapports de correction et d'honntet. A u besoin, les censeurs interviennent efficace-ment en frappant les contrevenants grce la Nota censoria (EiiLUL, I , p. 3 0 9 ) . E n cas de contestation, la difficult tait tranche par l'arbitrage d'un homme de bien qui statuait en quit. C'est le prteur prgrin qui consacrera la coutume en sanctionnant le contrat par une action de bonne foi qui peut tre utilise entre Romains ou trangers : le nouveau contrat appartenant au jus gentium.
Tout comme la vente, le louage, contrat consensuel, est signal par la lo i des X I I Tables ( G A I U S , 4 , 2 8 ) . A cette poque, on connat au moins le louage de btes de somme, mais la location des biens immobiliers semble n'avoir t pratique que beaucoup plus tardivement, au dbut de l'poque classique, et sous l'influence du droit public, beaucoup plus probable i c i qu'en matire de vente.
Si les facteurs conomiques externes ou internes apparais-sent dterminants dans l'laboration des contrats de vente et de louage, le contrat de socit s'est dgag sous des influences beaucoup plus complexes. Ce contrat drive pour partie de l ' indivision naturelle qui existait entre les hritiers la mort d pater familias (antiquum consortium : G A I U S , 3 , 1 5 4 a), pour partie des pratiques commerciales du bassin oriental de la Mditerrane. Socits familiales, socits commerciales, les
-
3 6 HISTOIRE DU DROIT PRIV [ 2 3 ]
premires plus que les secondes allaient marquer profondment le contrat, et l u i interdire par l mme d'avoir dans la vie co-nomique la place prpondrante qu ' i l occupe de nos jours.
Si ds l'ancien droit romain, i l existe trois des contrats consensuels que l 'on retrouve l'poque classique, le dernier est dj en formation . Qu' i l s'agisse de la reprsentation en justice (cognitio) ou de la gestion gnrale des affaires de quel-qu'un (procuratio), i l existe des pratiques dont se dgagent, l'poque suivante, les techniques du mandat et de la gestion d'affaires.
Solennels, rels ou consensuels, les contrats de l'ancien droit ont tous un dnominateur commun : la confiance. Elle s'explique soit par une communaut d'intrts, soit par une amiti personnelle. Elle est postule par la croyance religieuse. On ne saurait s'tonner de voir associer deux concepts qui paraissent contradictoires un esprit moderne : la fides et le formalisme. La fides est ncessaire une poque o les pres-sions morales et sociales priment une sanction judiciaire encore lmentaire ; le formalisme parat naturel des esprits sensibles au symbole, peu ports aux abstractions de l 'obligation subjec-tive. A l'poque classique, les donnes de l'volution vont se trouver modifies.
TAT D E S Q U E S T I O N S
N B X U M . V . la copieuse bibliographie antrieure 1 9 4 0 cite par N O A I L L E S , Fas et Jus, Paris, 1 9 4 8 , p. 9 1 , n. 2 et p. 9 3 se. ; les principales hypothses sont galement exposes par L U Z A T T O , Per un ipotesi sulle origini e la natura dlie obligazioni romane, Milan, 1 9 3 4 , p. 2 1 7 ss. , partisans du ree^um-contrat et du nexum-drot rel (mancipatio) s'affrontent en vain depuis le dbut du sicle. V . plus rcemment les c. r . de l'uvre de Noailles par H . L V Y - B B U H L , notamment dans Iura, 1 9 5 0 , p. 3 3 2 ss. L'auteur ne se borne pas une simple mise au point, tirant les conclusions de ses tudes sur l'acte per aes et libram (v. RHD, 1 9 3 8 , p. 4 6 0 ss. ; LQR, 1 9 4 4 , p. 5 1 ss. ; Nouvelles tudes, Paris , 1 9 4 7 , p. 9 8 ss.), i l dgage de faon particulirement convaincante les caractres de l'acte rituel dans l'ancien droit romain. L e dernier mot est cependant loin d'avoir t dit sur la question. V . un nouvel aspect du problme : I M B E R T , Fides et Nexum, dans Studi Arangio-Ruiz, t. I , 1 9 5 2 , 3 3 9 ss. ; L E M O S S E , L'aspect primitif de la fides, Studi de Francisco, t. I I , 1 9 5 6 , p. 4 5 ss. Les anciennes thories ne semblent pas pour autant
-
[23] LA GENSE DU CONTRAT 37
avoir perdu toute audience. Cf. P U H A N , L'histoire de l'ancien nexum romain, dans Annuaire de la Facult de Droit et des Sciences conomiques de Skopie, t. I , 1954, p. 139 ss. V . galement S. A . B . M E I R A , L e x Poetelia Papiria de Nexis, dans Revista da Facultade de Direito da Universidade do Para, 1962, p. 77 ss.
S P O N S I O S T I P U L A T I O . V . la bibliographie cite par K A S E K , I , p. 150, n 13 ; 151, n 19 ; K A S E H , Das Altrmische Jus, Gttingen, 1949, p. 256 ss., n'admet pas l'volution du Fas au Jus trace par Noailles. D'une faon gnrale, l'auteur rpugne reconnatre un caractre religieux au formalisme jur i dique romain. Cf. son manuel, p. 152. Contra : W E S T K U P , Notes sur la sponsio et le nexum dans l'ancien droit romain, Copenhague, 1947. V . galement B I O N D I , Contralto e stipulatio, Milan, 1953, p. 277 ss. L a sponsio archaque n'aurait pas eu de rle promissoire, garantissant l'existence d'une situation objective, elle serait trangre au concept d'obligatio ; F . P A S T O R I , Appunti in tema di sponsio e stipulatio, Milan, 1961, p. 75 ss.
Sur les domaines d'application de la sponsio : vux, fianailles, traits internationaux, v. M O N I E R , I I , p. 23 ss. V . galement sur son rle de garantie : H . L V Y B R U H L , L a sponsio des fourches caudines, RHD, 1938, p. 544 ss.
S E R M E N T . Tout lien de filiation entre le jusjurandum et la sponsio doit tre cart, les deux procdures tant apparues sensiblement la mme poque. V . C H E V R I E R , DU serment promissoire, thse, Dijon, 1921, p. 57 ss. Sur la nature civile ou plus probablement prtorienne de la sanction, v. C H E V R I E R , op. cit., p. 231 ss. ; L A M B E R T , Les operae liberti, thse, Paris , 1934, p. 130 ss. ; G I F F A R D , L a porte de l'dit De operis libertorum, dans RHD, 1938, p. 92 ss.
R A L I S M E : L E M U T U U M . On a soutenu que le nexum tait l'origine du mutuum qui se serait substitu lui aprs la loi Paetelia Papiria. E n ralit le mutuum, tout comme la sponsio, a exist ct du nexum, tous trois rpondent des besoins diffrents. V . K R E L L E R , PWRE, t. V I , p. 572. L a philologie permet de bien dgager le sens de la conception raliste : cf. V I A R D , La mutui datio, Paris , t. 1,1939, p. 14 ss. Sur la procdure utilise pour sanctionner le contrat de prt, v. S C H W A R Z , Die Grundlage der condictio im Klassischer rOmischen Recht, Munster, 1952, p. 273 ss. ; L U B T O W , Beitrge zur Lehre von der Condictio nach rmischen und geltendem Recht, Berlin, 1952, p. 90 ss.
F I D U C I E . E n cas de nonrestitution, l'alinateur, outre les sanctions morales et sociales, peut utiliser Vusureceptio fiduciae. Si d'aventure, l'objet revient en sa possession, i l peut l'usucaper, c'estdire en devenir propritaire aprs l'avoir conserv pendant le dlai d'un an. M O N I E R , I I , p. 122, pense qu'une sanction judiciaire existait ds l'ancien droit. L a fiducie a jou un rle trs important, aussi bien dans le droit des personnes (mancipation, adpotion, coemptio fiduciaire) que dans le droit des successions (mancipatio
familiae, fideicommis). V . E R B E , Die Fiduzia im rmischen Recht, Weimar, 1940 ; v. bibliographie dans K A S E R , Eigentum und Besitz im lteren rmischen Recht, Weimar, 1943, p. 161 et dans L E M O S S E , Studi de Francisci, t. I I , p. 51, . 1.
-
38 HISTOIRE DU DROIT PRIV [23]
C O N S E N S U A L I S M E
F I D E S . L e droit compar est particulirement utile pour les problmes relatifs aux origines. V . G E H N E T , Recherches sur le dveloppement de la pense juridique et morale en Grce, thse, Paris, 1917, qui rapproche pistis grecque et fides romaine et la bibliographie cite par L E M O S S E , L 'aspect primitif de la fides, Studi de Francisci, t . I I , 1956, p. 42 es. V . galement E I X U L , I , p. 243 et 324 et B I O N D I , A proposito di equit e di buona fede, JUS, 1957, p. 127.
V E N T E . V . l'expos et la rfutation des thories favorables l'existence de types intermdiaires de ventes-contrats dans L E P O I N T E et M O N I E H , p. 234 ss. et pour la bibliographie, M O N I E R , I I , p. 131 ss. Sur la valeur des textes qui mentionnent l'existence de la vente crdit ds l'poque des X I I Tables, v. pour le plus critiqu d'entre eux ( I , 2, 1, 41), G . B O Y E R , Recherches historiques sur la rsolution des contrats, Paris, 1924, p. 88 ss., dont l'argumentation emporte la conviction. Sur l'anciennet d'origine de la vente, v. en dernier lieu l'article d'un autre minent spcialiste du droit des obligations, P R I N G S H E I M , L'origine des contrats consensuels, dans RHD, 1954, p. 487 ss. V . D U M M E A U T E U R les diffrences qui existent dans la vente grecque : The Greek Law of Sale, Weimar, 1951 ; c. r. de G E R N E T , dans RHD, 1951, p. 560. V . galement F . C A N C E L L I , L'origine del contratto consensuale di compravendita nel diritto romano. Appunti esegetico-critici, Milan, 1963.
S O C I T . L'origine familiale de la socit et l'organisation de Vantiquum consortium ont t remarquablement tudies par H . L V Y - B R U H L , L e consortium artificiel du nouveau G A I U S , dans Atti del IV Congresso di Papi-rologia, 1936, p. 293 ss. ; iVouueiies tudes sur le tris ancien droit romain, Paris , 1947, p. 51 ss. I l semble tabli qu'il y a eu une tape intermdiaire entre la simple indivision et le contrat consensuel, dans u n consortium artificiel : socit forme volontairement l'exemple de la socit fraternelle. V . galement pour une comparaison plus large avec la technique de l'indi-vision, J . G A U D E M E T , Rgime juridique de l'indivision, thse, Strasbourg, 1934, p. 10 ss. ; v. D U M M E A U T E U R , C . r. de W I E A C K E R , Societas Hausgemein-schaft und Erwerbsgesellschaft, dans RHD, 1939, p. 131 ss. Sur l'influence des pratiques des peuples commerants du bassin mditerranen et de l 'Orient, v . surtout la vaste synthse comparative de E . S Z L E C H T E R , Le contrat de socit en Babylonie, en Grce et Rome, Paris, 1947. U n jus mercatorum trs vaste semble bien avoir exist qui n'tait limit ni dans le temps l'poque romaine : le droit babylonien ayant pu faire sentir son influence par l'inter-mdiaire du droit phnicien, ni dans l'espace l'Orient hellnistique : la contribution de la pratique carthaginoise tant infiniment probable. V . c. r. de l'ouvrage de Szlechter par J . D A U V I L M E R , dans RHD, 1953, p. 288.
M A N D A T . Sur les origines, l'ouvrage fondamental reste encore celui de G . L E B R A S , L'volution du procurateur, thse, Paris , 1922, p. 102 ss. V . galement c. r. D E D O N A T U T I , Contributi alla teoria di mandate, dans RHD, 1931, p. 391 ss.
-
C H A P I T R E I I I
D R O I T C L A S S I Q U E : L E P R A G M A T I S M E
[ 2 4 ] A l'poque classique, le facteur conomique l'emporte sur le facteur familial ou social ; i l fait disparatre les derniers vestiges du ritualisme religieux pr imit i f , i l suscite l 'apparition et surtout la transformation des formes de contracter. L'volu-t ion se fait au fur et mesure des besoins et sous le signe de l'utilit. L'empirisme paysan devient commerant, mais ce sont les mmes mthodes, ce sont les mmes hommes que l 'on retrouve aux deux poques. Pour satisfaire les besoins de la pratique, pour sanctionner les nouvelles oprations, la tech-nique des jurisconsultes s'affirme, et partant, leur croyance dans la supriorit de leur discipline.
Certes, le droit romain est, plus que jamais, rceptif aux influences trangres. Avec l're des conqutes, les pratiques grco-orientales et carthaginoises sont mieux connues, elles trouveront une large audience auprs du prteur qui n'hsitera pas les sanctionner. Ds lors, on ne peut que s'tonner de la rserve dont les jurisconsultes font preuve leur gard. Le mpris qu'ils professent envers les pratiques commerciales, plus qu'un chauvinisme dont on a tendance exagrer la porte, explique une telle rticence. Ces techniciens, comme tous les juristes, ne croient pas la vertu des transformations radicales ; ce sont des conservateurs rsolus . On constate bien une vo-lution du formalisme archaque, la solennit se rapproche de la preuve qui tend devenir sa principale raison d'tre, mais en dpit de tous les changements, i l persiste une quivoque de rvolution conservatrice ( L E B R A S , Introduction Vtude du droit, t . I I : Les cadres sociologiques et chronologiques du droit, Paris, 1953, p. 26).
-
40 HISTOIRE DU DROIT PRIV [25]
S E C T I O N I . La technique [ 2 5 ] L'assouplissement de la procdure, l 'apparition de la formule ( V . E L L U L , I , p. 4 0 8 ) , donnent au prteur les moyens de sanctionner des oprations qui n'taient pas encore ind iv i dualises : 1 La dissociation de la fiducia, la spcialisation de la procuratio vont permettre individualisation des contrats rels et consensuels dont les caractres essentiels sont dgags sous le signe de la bonne foi ; 2 Mais, pour sanctionner les nouveaux negotia, jurisconsultes et prteur ne pouvaient se contenter de ces amnagements techniques ; i l fallait , pour respecter la typicit des contrats, crer de nouvelles catgories juridiques : contrats innoms et pactes rpondent ce souci respectivement en droit c ivi l et en droit prtorien. [ 2 6 ] I N D I V I D U A L I S A T I O N E T B O N N E F O I . A l'poque classique, deux contrats rels : le dpt puis le prt usage (commodat) se substituent la fiducia. Celleci prsentait en effet le double inconvnient d'tre dangereuse pour l'alinateur qui perdait son droit rel et incommode pour les parties cause des formalits du transfert de proprit (mancipatio ou in jure cessio). Dsormais un simple transfert de dtention (dpt) ou de possession (prt), accompagn d'une convention, suffit la conclusion des nouveaux contrats rels, d'abord sanctionns par une action prtorienne (in factum) puis civile (in jus).
De son ct, le consensualisme gagne du terrain. Le louage de choses frugifres, considr comme une vente des fruits produits, se dissocie peu peu du contrat de vente. Ds le I I E sicle avant J . C . on distingue le louage de services du louage d'ouvrage ( C A T O N , De agricultura, 4 , 1 ) . Le mandat issu de la procuratio se dissocie de la gestion d'affaires. Le prteur fait une discrimination entre celui qui se charge spontanment de grer le patrimoine d'un absent et celui qui accepte de s'occuper d'une affaire dtermine. Service d'ami gratuit dans les deux cas, mais volont unilatrale dans le premier, accord de volonts dans le second : la technique se prcise, la spcialisation contractuelle se poursuit. A la fin de l'poque classique, le mandat pourra devenir gnral sans risquer de se confondre avec la
-
[27] DROIT CLASSIQUE : LE PRAGMATISME 41
gestion d'affaires : ces oprations font dsormais partie de catgories bien dfinies.
Pour dgager les effets des contrats consensuels, les juristes se familiarisent avec la volont, ils la recherchent, ils l ' inter-prtent, ils la supposent. Fiction et tacitas assurent le triomphe de l'esprit sur la lettre, le rapprochement du droit et de l'quit. Mais la place plus que modeste faite la notion de cause montre les classiques peu dsireux de sonder les reins et les curs. Leurs recherches psychologiques leur permettent sur-tout de mieux dfinir certaines catgories juridiques ou de rprimer les atteintes l'ordre public (cause illicite et immorale).
Le dveloppement de la technique est troitement li aux proccupations de la pratique. C'est ce qui explique le succs relatif que connat le consensualisme ; l'accord de volonts est difficile prouver. Ds la fin de la Rpublique, la vente, contrat consensuel par excellence, verra sa preuve facilite grce l'emploi des arrhes. Cet usage emprunt aux coutumes smitiques, fait constater l'accord de volont des parties par la remise que fait l'acheteur au vendeur, d'un objet, le plus souvent d'un anneau (G. B O Y E R , Cours, I I , p. 21).
Pour soucieux que soient les juristes de dgager une tech-nique concrte, ils n'en gnralisent pas moins la notion de bonne foi . Mais l'ide qu'ils s'en font tient moins compte des proccupations morales, issues des principes de justice commu-tative, que de l'honntet lmentaire sans laquelle les relations commerciales sont impossibles. Qu ' i l s'agisse de prciser les notions de dol, de violence ou d'erreur, les Romains font preuve avant tout de sens pratique. L' interdiction de s'enrichir injus-tement aux dpens d'autrui n'a que la valeur d'un prcepte moral, i l n'en est fait que des applications occasionnelles. L'habilet dans les affaires est admire, la tromperie est tenue pour un bon tour condition de respecter la rgle du jeu (bonus dolus), le droit se dsintresse des timors et des sots, l ' a t t ra i t du bnfice est la base du systme conomique classique, libral et individualiste. [ 2 7 ] N E G O T I A E T T Y P I C I T D E S C O N T R A T S . La complexit croissante de la vie conomique ncessite la formation de nou-veaux rapports de droit , comme elle favorise la multiplication des
-
42 HISTOIRE DU DROIT PRIV [28]
actes juridiques (negotia). Ces actes ne peuvent tre rattachs aux formes gnrales de contracter de l'ancien droit ; ils ne correspondent aucun des types de contrats connus. Grce la varit des moyens de procdure, le prteur n'a aucune peine protger dans des cas d'espce les nouveaux rapports j u r i -diques ; leur sanction, pour tre normale, exige qu'ils soient qualifis , c'est--dire classs dans des catgories nouvelles cres par la jurisprudence. Les uns sont intgrs dans le droit c ivi l : ce sont les contrats innoms, les autres restent sanc-tionns par une simple action prtorienne : ce sont les pactes. [ 2 8 ] R A L I S M E E T C O N S E N S U A L I S M E . I . Une synthse de ces deux conceptions est labore avec la thorie des contrats innoms.
Pour sanctionner les nova negotia, certains jurisconsultes ont d'abord cherch les rapprocher des contrats individualiss et pourvus de sanctions : l'change est assimil la vente (dans l'hypothse de deux choses dont l'une devrait tenir lieu de pr ix , Ph. M E Y L A N , dans Mlanges H. Lvy-Bruhl, p. 4 5 ) . D'autres negotia sont compars au louage ou au mandat (D. , 1 9 , 3, 1 , pr . ) , au dpt ou au prt usage (D., 1 9 , 5 , 1 , 2 ) . Outre les inconvnients qui en rsultent, les buts poursuivis par les parties n'tant pas les mmes, les limites de la vraisemblance sont vite atteintes. Certes en cas de refus d'excution de l'une des parties, si le cocontractant a dj effectu sa prestation, i l pourra la reprendre, remettre les choses en tat, grce une procdure fonde sur l'enrichissement sans cause (condictio ob rem dati : rclamation de la chose donne pour une chose). I l s'agit l d'un pis-aller, d'une action non pas en excution, mais en rsolution du rapport juridique.
U n autre expdient est alors utilis : on demande au magis-t r a t de sanctionner les negotia par une procdure de circons-tance (actio in factum, accorde dans chaque cas dtermin aprs enqute). Le prteur punira l'inexcution de la part du cocontractant, s'il l'estime rprhensible. La dlivrance de l'action est affaire d'apprciation, les parties n'ont aucun droit , car i l n 'y a pas de contrat vritable. Ce n'est qu'au I I E sicle aprs J.-C. que le jurisconsulte, d'origine grecque, A R I S T O N , constatera l'existence d'un contrat, dot d'une action civile,
-
[28] DROIT CLASSIQUE : L E PRAGMATISME 43
du moment qu ' i l y a excution d'une prestation par l'une des parties. Conception la fois raliste et consensualiste, parce que le transfert matriel de valeur d'un patrimoine dans un autre s'accompagne d'une convention dont le rle est beaucoup plus important que dans les contrats rels : elle ne rgle pas seulement les modalits de restitution du bien transfr, elle peut prvoir la restitution d'un objet diffrent.
Convention et transfert sont tous deux l'origine de l 'obl i -gation. Dans le contrat d'change, l 'obligation du cochangiste de livrer telle chose dcoulera, et de la remise de l 'objet chang, et de l'accord sur la nature de la contre-prestation. Significative est l 'att itude des juristes romains qui n'ont pas os opter pour la solution consensuelle. Les pratiques sanctionnes par le prteur, la procdure de la condictio ob rem dati, autant de preuves de l'importance de l'excution dans l'esprit des contrac-tants. La technique a d tenir compte de ces ralits. Une telle solution n'est probablement pas le rsultat de la seule volution interne du droit classique ; pour laborer cette notion de consen-sualisme tempr, les romains se sont probablement inspirs de la conception orientale qui donne un rle important la convention dans le contrat rel.
I I . Certains negotia, cependant, n'ont jamais t sanc-tionns que par une action in factum : ce sont ceux que les modernes qualifient de pactes prtoriens.
Le simple accord de volonts, le pacte n u , n'engendre pas d'action, le prteur permet seulement de l'invoquer par voie d'exception oppose l 'action du crancier (D. , 2, 14, 7, 7). E n revanche, les conventions qui compltent un contrat individualis, bnficient de la sanction de ce contrat. Cette latitude permet d'assouplir considrablement le principe de typicit des contrats. Grce diffrentes clauses, un contrat pourra avoir des effets trs divers. Mais i l existe une limite implique par le gnie du contrat. On ne peut aller par exemple l'encontre de son caractre de bonne foi ou de gratuit : la convention d'intrts, jointe un contrat de prt de consom-mation (mutuum), est nulle.
Certaines promesses unilatrales sont cependant sanc-tionnes par le prteur en dehors de toute association un
-
44 HISTOIRE DU DROIT PRIV [29]
contrat. Outre le trs important pacte d'hypothque (v. n 326) et le pacte de serment, qui dans le domaine extrajudiciaire a un rle analogue au serment dcisoire avec lequel i l sera confondu au Bas-Empire, on trouve le pacte de constitut et les diffrents recepta. La plupart ont pour but , sinon pour effet, de dvelopper le crdit. [ 2 9 ] D V E L O P P E M E N T D U C R D I T . L e pacte de constitut (consti-tuere diem : fixer un jour, assigner un terme) est une promesse d-nue de formes de payer une date fixe une dette prexistante : la sienne propre (constitutum debiti proprii) ou celle d 'autrui (constitutum debiti alieni). Opration de crdit, par excellence, elle se prsente sous la forme d'un report de dette avec ventuelle-ment renforcement de la garantie donne au crancier, si le promettant est un tiers qui s'engage excuter la place du dbiteur, le dlai de paiement une fois coul. L'opration repose sur la fides ( D . , 13, 5 , 1 , pr . ) , le crancier fait une nouvelle fois confiance au dbiteur. Si sa bonne foi est nouveau surprise et plus particubirement si le promettant tiers ou dbiteur conteste t o r t la convention, le plaideur tmraire s'expose payer son adversaire, en guise de dommages-intrts, la moiti de l'intrt du procs ( G A I U S , 4, 171). Le caractre semi-pnal de l 'action se traduit galement par son intransmissibilit passive et sa brve dure, fixe parfois un an.
Sauf clause contraire, le constitut n'opre pas novation, l 'obligation ancienne ne s'teint que par l'excution de l 'obl i -gation du constitut. A l'origine, l 'objet du pacte ne pouvait consister qu'en une somme d'argent ; la suite d'une volution commence ds la fin de l'poque classique, toute restriction disparatra ( C , 4, 18, 2). Si l'obUgation prexistante peut tre temporaire ou conditionnelle ( D . , 13, 5, 19), rien ne permet de croire que l 'obligation naturelle, rsultant d'un pacte n u , ait pu servir de base un constitut. Ce n'est qu'au Moyen Age que l'emploi successif d'un pacte nu et d'un pacte de constitut (pactes gmins) permettra de tourner la rgle ex pacto nudo actio non nascitur (cf. p. 84).
A l'poque classique, la conscration de l'autonomie de la volont ne proccupait nullement les juristes. Le pacte de constitut a t cr dans un esprit trs diffrent. S'inspirant
-
[30] DROIT CLASSIQUE : LE PRAGMATISME 45
de techniques grecques (hmiolion), le prteur a voulu entriner des pratiques bancaires (sur les possibilits d'une origine rurale, v . J . R O U S S I E R , ouvr. cit., p. 102 ss.) ; mais, l'actualit nous le montre, le droit commercial est peu sensible aux vertus du consensualisme.
Les autres pactes prtoriens, les recepta, rpondent des besoins conomiques encore plus prcis : ils constituent un embryon de droit commercial.
S E C T I O N I I . Droit commercial
[30] On s'est souvent demand pourquoi le droit romain n'avait pas connu notre distinction du droit commercial et du droit c ivi l . Peuple commerant, techniciens et pragmatistes, les besoins ne faisaient pas plus dfaut que les moyens. Pour H U V E L I N (Histoire du droit commercial romain, Paris, 1 9 2 9 , p. 8 1 ) , cette anomalie rsulte des conqutes de Rome. Le droit com-mercial spcialis n'existe que l o i l a pu se dvelopper comme droit international. Avec la conqute le droit du march est devenu un droit priv interne .
Le postulat d'un droit commercial qui ne peut tre qu'inter-national parat peu convaincant : droit commercial interne et droit c iv i l peuvent coexister, au mme t i tre que le droit pratique et le droit savant. A Rome, i l y a eu un droit commer-cial interne, mais les juristes, par prjug de classe, ne s'y sont gure intresss. Aristocrates pour la plupart, justement fiers de la supriorit de leur jus civile, ils ne constatent l'exis-tence des pratiques commerciales du jus gentium, que pour les rattacher aux techniques qui leur sont non seulement familires, mais qui leur paraissent toujours adquates. Pourquoi s'tonner de ce que les jurisconsultes romains n'aient pas mis en valeur l'originalit de ces pratiques, alors qu' notre poque, o le droit c iv i l s'est commercialis , les juristes modernes s'effor-cent d'expliquer les pratiques commerciales en les soumettant aux principes gnraux de la lgislation civile ? ( R I P E R T , Trait lmentaire de droit commercial, Paris, 1 9 5 1 , p. 2 7 ) .
Les juristes romains ont surtout d tenir compte des op-
-
46 HISTOIRE DU DROIT PRIV [31]
rations trs varies utilises dans le commerce maritime. En dpit de la diversit des types de louage, i l a fallu faire une place spciale au contrat d'affrtement, ainsi qu'aux rgles relatives aux avaries communes (Lex Khodia de jactu). De mme, le contrat gratuit de prt de consommation (mutuum) ne peut se fusionner avec l'quivalent de notre moderne prt la grosse aventure (nauticumfenus) particulirement sensible aux impratifs conomiques : l'importance du gain raliser correspondant l'ampleur du risque couru. Les socits de publicains, anctres de nos socits par actions, qui ont eu un rle conomique et social considrable, ne sont cependant signales qu'occasionnellement par les juristes romains.
Moins ddaigneux de la pratique commerciale, le prteur l'utilisera pour faire triompher dans certains cas la reprsen-tation parfaite (actio exercitoria et institoria) ; surtout i l n'hsi-tera pas consacrer certaines pratiques, les individualiser, avec les pactes prtoriens de recepta. Si on laisse de ct le receptum arbitrii, promesse de rendre une sentence d'arbitrage, le receptum nautarum et le receptum argentarii ont tous deux un caractre commercial bien marqu. [ 3 1 ] L A P R O T E C T I O N D E S V O Y A G E U R S . Le receptum nautarum, cauponum, stabulariorum (promesse des armateurs, hteliers, matres d'curie) a t cr par le prteur pour protger les voyageurs contre la malhonntet des transporteurs, des auber-gistes et de leurs subordonns, spcialement pour la perte de leurs bagages. Gomme dans le pacte de constitut, les rapports entre les parties reposent sur la confiance, i l s'y ajoute un devoir professionnel de garde la charge de l'htelier et du transpor-teur qui sont rmunrs. Ces derniers, la diffrence de celui qui aurait reu un dpt ou pass un contrat de louage, sont responsables des pertes subies par leur client, sauf cas de force majeure qu'ils devront prouver. L'action dlivre par le prteur a pour base un pacte tacite assez voisin d'un quasi-contrat (G. B O Y E R , Cours, I I , p. 32). [ 3 2 ] L E S P R A T I Q U E S B A N C A I R E S . Avec le receptum argenta-riorum (promesse de banquiers), nous retrouvons une opration de crdit analogue au pacte de constitut mais inspire des pra-tiques orientales, son caractre commercial est plus nettement
-
[33] DROIT CLASSIQUE : LE PRAGMATISME 47
marqu. L'analogie avec le constitutum debiti alieni est vidente : le banquier s'engage en effet payer la dette d'un tiers : habi-tuellement un client qui a dpos de l'argent chez l u i . Ce dpt n'est cependant pas ncessaire ; si le compte du client n'est pas approvisionn, le receptum joue le rle d'une ouverture de crdit ( L E P O I N T E et M O N I E R , p. 303). Mais contrairement au constitut, le receptum argentariorum est domin par le souci d'assurer la scurit des transactions, ce qui est essentiel pour le com-merce. L'engagement du banquier vaut par lui-mme, indpen-damment de l'existence ou de la validit d'une dette du client ( C , 4, 18, 2,1) . L'opration est de droit strict, la lourde respon-sabilit qui en dcoule pour le banquier se justifie par les qualits professionnelles qui doivent le prmunir contre les risques de fraude.
Cette technique, assez semblable notre lettre de change, sera fusionne en Orient, l'poque suivante, avec le pacte de constitut.
S E C T I O N I I I . La forme et la preuve
[ 3 3 ] A u premier abord, une telle association parat illogique, contraire la distinction bien connue des formes tablies ad probationem et ad sollemnitatem. Les premires facilitent la preuve d'un acte juridique, les secondes sont ncessaires sa validit. Primordiale au point de vue pratique, la distinction n'a cependant gure de base dogmatique, puisque la preuve et la solennit ne sont que les aspects diffrents d'un seul et mme besoin du corps social. La preuve est, comme la forme, le critr