Cossutta, Frédéric - Pour Une Analyse Du Discours Philosophique

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    A N N E E R E V U E T R I M E S T R I E L L E

    S E P T E M B R E 9 5 119

    Lanalyse du discours philosophique

    Frdric Cossutta

    M. Ali Bouacha, J.-F. Bordron, K. Ehlich, D. Maingueneau, G. Philippe

  • CONSEIL DE DIRECTION

    J. D U BO IS - B . PO TTIER B . QUEMADA - N. RUW ET

    RESPONSABLE DITORIALE :DANIELLE LEEMAN

    CHARGE DE FABRICATION :MARTINE TOUDERT

    La composition de ce numro a t confie Frdric Cossutta

    Sommaire

    F. C o s s u t t a , Prsentation ....................................................................................................... 5F. C o s s u t t a , Pour une analyse du discours philosophique............................................ 12D. .M a i n g u e n e a u , Lnonciation philosophique comme institution discursive . . . 40J.-F" B o r d r o n , Signification et subjectiv it........................................................................ 63M. A l i B o u a c h a , De l ego la classe de locuteurs : lecture linguistique des

    . Mditations ............................................................................................................................ 79G. P h i l i p p e , Embrayage nonciatif et thorie de la conscience : propos de V Etre

    e.p le Nant ............................................................................................................................... 95K. Ehlich, Manire de penser, manire dcrire : la procdure phorique dans le

    texte hglien '......................................................................................................................... 109

    Abstracts ...................................................................................................................... 123

    Un an, quatre numros :France .............................................................................Etranger ...........................................................................Le numro ......................................................................

    Rglement par chque bancaire l ordre de : Centrale des Revues

    11, rue Gossin 92543 Montrouge Cedex

    Larousse17, rue du M ontparnasse, 7529N Paris Cedex 06

  • S E P T E M B R E 9 5 119

    Lanalyse du discours philosophique,

    par (% >s\ . / SH V '/M\ /// vVi

    Frdric COSSUTTWNV

    et

    M. Ali Bouacha, J-F. Bordron, K. Ehlich, D. Maingueneau, G. Philippe

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    LAROUSSE

  • La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement rserves l'usage priv du copiste et non destines une utilisation collective et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute reprsentation ou reproduction intgrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alina 1er de l'Article 40). Cette reprsentation ou reproduction, par quelque procd que ce soit, constituerait donc une contrefaon sanctionne par les Articles 425 et suivants du Code Pnal .

    Commission paritaire n 56492

    Larousse, Paris. Printed in France

  • F. C o ssu t t aCollge International de Philosophie

    P R S E N T A T IO N

    Le numro 21 de la revue Langages de mars 1971 intitulait La philosophie du langage. Mais si on en examine le sommaire, on dcouvre que certaines contributions portaient sur le langage des philosophes et sattachaient en mettre en vidence certaines proprits. Cela montre qu une poque o commenait se rpandre lapplication des diverses disciplines linguistiques une multitude de types de discours, littraire, politique, mdiatique, religieux, la philosophie aurait pu devenir elle aussi un objet dinvestigation. Pourtant, except quelques tentatives isoles, on constate quaucun programme de recherche ne sest vraiment dvelopp comme analyse du discours philosophique. Cette trange impasse est moins due aux hasards de lhistoire qu des raisons de fond. Elles tiennent en effet autant aux proprits spcifiques de la philosophie considre comme discours, qu la nature des outils linguistiques ou textuels qui taient offerts lpoque. Dun ct en effet la philosophie, mme si sa position hgmonique tait battue en brche par la monte en puissance des sciences humaines, rpugnait se laisser constituer comme objet dune investigation extrieure, et aprs le moment 'de fascination structuraliste pour Saussure, Jakobson et les formalistes russes, elle intervenait de nouveau sur le terrain du langage. De lautre, les sciences du langage et du discours se dveloppaient en ordre dispers dans un foisonnement de courants et dcoles, avec pour consquence un abaissement progressif de la frontire entre linguistique et philosophie, ce qui a entran un redcoupage des territoires disciplinaires. Les linguistes du speech act par exemple ont dvelopp les intuitions initiales dAustin, qui tait un tenant du courant analytique anglo-saxon, les dveloppements logiques vers des smantiques formelles ou des logiques non extensionnelles ont influenc nombre de thories linguistiques du sens et de la rfrence, linspiration aristotlicienne du courant no-rhtoricien nest plus dmontrer, on connat les rapports privilgis qui lient les conceptions de Hjelmslev ou de la smiotique la phnomnologie husserlienne, ou la pragmatique celle de Peirce. Enfin, nombre de philosophies contemporaines, celles de Habermas, Apel, Ricur, Jacques, Meyer, placent la dimension langagire au cur de leur dispositif thorique, et intgrent tel ou tel secteur de la linguistique, quils contribuent en retour influencer. L histoire raisonne de ces bouleversements reste faire, nous nous contentons ici de constater quelle met en vidence une proximit mais aussi des ambiguts entre les disciplines du langage et la philosophie, qui ont fait paradoxalement obstacle un tel projet.

    Le moment nous semble pourtant venu dexaminer quelles conditions une Analyse du discours philosophique est possible, et de montrer par la diversit des textes ici runis, quelques-unes des directions dans lesquelles elle peut se dvelopper.

    Deux facteurs nous y encouragent. Tout dabord une transformation progressive du panorama que nous dressions grands traits, a vu se modifier le centre de gravit des disciplines du langage. La linguistique, en prenant en considration les propri-

  • ts nonciatives et pragmatiques, sest dplace vers ltude de la langue en contexte, conue comme activit en situation communicationnelle. Les dimensions proprement argumentatives ou dialogiques du sens ont t mises en vidence, et lexamen doprations qui, dans la philosophie, jouent prcisment un rle important est venu au centre des proccupations. Les thories du discours de leur ct (voir le numro rcent de cette revue consacr par D. Maingueneau aux Analyses du discours en France) ont cess de sinscrire dans un espace thorique et idologique assez restreint qui privilgiait ltude du discours politique, et sattachait surtout penser, ft-ce dune faon moins mcanique que le marxisme des annes 60, larticulation entre les formations discursives et les formations sociales. La multiplication des centres de recherche, la diversification des types de discours tudis lenrichissement des mthodes en linguistique, le dplacement des enjeux en analyse du discours, sont autant de signes encourageants.

    La seconde circonstance, quon ne saurait certes mettre sur le mme plan que la prcdente, tient la mise en uvre dun projet de recherche que nous pouvons conduire dans le cadre dune Direction de Programme au sein du Collge International de Philosophie. Nous avons voulu rassembler des linguistes, des philosophes, qui, sans ncessairement faire de cette question leur objet principal, sans ncessairement partager les mmes choix thoriques, saccordent pourtant tous sur la ncessit dapprhender la philosophie comme activit discursive. Un sminaire de recherche 2, des journes de travail 3, des publications 4 commencent donner ce projet quelque consistance 5. Il sagit moins de crer une unit thorique illusoire et vaine que de donner des chercheurs isols les conditions dune rflexion en commun.

    Ce volume ne cherche pas illustrer directement les travaux de ce groupe, mme si tous les auteurs runie ici, part K. Ehlich, en font partie, puisque nous avons privilgi le point de vue des linguistes ou analystes du discours, afin de proposer quelques repres et quelques exemples de la fcondit de leur perspective.

    Si tous les auteurs saccordent pour tudier la dimension spcifiquement discursive du philosophique, cela ne prjuge pas ncessairement de la mthode quil convient demployer pour en rendre compte, ni de la nature des rapports existant entre ces mthodes et leur objet. On peut ici, sans vouloir accentuer les diffrences lexcs, distinguer deux types de positions.

    1. Le CED ISCO R, anim par S. Moirand Paris I I I , dveloppe une activit de recherche intense portant sur les discours de vulgarisation ou de spcialit, dun grand intrt pour la perspective que nous dveloppons ici. Cf. Beacco-Moirand. Autour des discours de transmission des connaissances , dans Langages, n 117.

    2. Ce groupe a dj trait de la question de l argumentation philosophique, du style des philosophes, de la cohrence textuelle. A chaque fois une tude dtaille de textes, p ar exemple de Descartes ou de Bergson, a permis de comparer concrtement la diversit des mthodes et dapprofondir l intelligibilit des textes (correspondance : Collge International de Philosophie, 1 rue Descartes, 75005 Paris).

    3. Dans le cadre dune srie de journes publiques intitules L'criture des philosophes, deux journes consacres en fvrier 1995 au Discours philosophique, ont permis de confronter les points de vue des logiciens, des linguistes, des historiens de la philosophie et des philosophes sur cette question.

    4 . Un volume consacr l tude du statut de l argumentation en philosophie travers lexemple privilgi de la philosophie cartsienne, sans constituer la transcription dun travail collectif, traduit la fois une communaut dinspiration et la diversit des options qui sy manifestent. Voir Cossutta (d.). Structures de Vargumentation philosophique. P aris, P uf, 1996.

    5. Nous tenons galement ne pas nous couper des centres de recherche qui dveloppent des problmatiques d analyse du discours, ou qui approchent la philosophie sous des angles comparables, le CEDISCO R a Paris I I I , le Centre Europen pour lEtude de l Argumentation a Bruxelles, le Groupe de Recherche ur la Philosophie et le Langage de Grenoble.

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  • Pour certains auteurs il est ncessaire, si lon veut rendre compte du discours philosophique, de disposer dune thorie gnrale de la signification et du discours. Ainsi D. Maingueneau a labor une conception gnrale de la discursivit, puis, layant par ailleurs applique au discours littraire 6, en transpose ici de faon trs globale (mais systmatique) les catgories, en les mettant lpreuve du discours philosophique. L article, porte thorique 7, montre que nonobstant son statut de discours constituant, la philosophie nen dpend pas moins, comme tout discours, dune institution discursive qui suppose quon la rapporte ses conditions dnonciation. La catgorie centrale de scnographie permet dviter de penser le contexte de luvre de faon purement mcanique, puisquelle donne au faisceau des repres nonciatifs un rle qui, loin de simplement traduire une inscription dans un champ social, montre que le discours procde rtroactivement la lgitimation de son procs dinstauration et valide ou dplace en retour les conditions de son institution discursive. Ainsi le sens dune philosophie ne saurait tre dissoci de ltude de ses conditions dnonciation.

    J . F. Bordron apprhende la question de la constitution du sens des noncs philosophiques dune tout autre faon, en essayant plutt, partir dune thorie gnrale du sens, de penser la nature des contraintes smiotiques qui en assujettissent la possibiht. Dans un ouvrage entirement consacr Descartes, il avait dtermin quelles taient les contraintes smiotiques de la pense discursive, en testant les relations possibles entre les oprations philosophiques et le discours smiotique 8. Cela lavait conduit privilgier ltude des structures smio- narratives et montrer quil ny a aucun tonnement constater quune philosophie puisse sorganiser en rcit. Mais ce qui parat vident pour les Mditations Mtaphysiques ne lest pas moins pour la philosophie en gnral, et, en saidant du schmatisme kantien et de la conception husserlienne du sens, il met en vidence linterdpendance troite entre les schmes spculatifs et les schmes narratifs qui sont sous-jacents toute philosophie 9. Il montre enfin ici, aprs avoir exphcit la question de la signification par une thorie des dpendances, comment la scne spculative du cartsianisme permet la construction du point de vue subjectif.

    L auteur de cette prsentation voudrait pour sa part essayer de tenir ensemble les deux dimensions qui sont ainsi prises en compte. En effet loption de J . F. Bordron conduit, si on la poursuit, envisager les conditions dune dduction transcen- dantale des catgories expressives du discours philosophique. Les recherches de D. Maingueneau, sans jamais verser dans lempirisme ou le sociologisme, rapporteraient plutt les modes de constitution du discours philosophique une transaction entre des constructions doctrinales et leurs conditions sociales dinstitution, puisquaussi bien une uvre constituante joue-t-elle son rle non seulement par les contenus quelle vhicule mais aussi par les modes dnonciation quelle autorise . Mais comment penser de faon homogne une double articulation qui, dans les deux options prcdentes, est certes indique, mais au profit de lun des deux termes :

    6. Maingueneau. Le contexte de Vuvre littraire. P aris, Dunod, 1993.7. On trouvera l tude de fonctions ou de cas particuliers dans Maingueneau-Cossutta, L analyse des

    discours constituants , Langages n 117 et Ethos et argumentation philosophique. Le cas du discours de la mthode , in Cossutta d. op. cit., 1996.

    8. Descartes. Recherches sur les contraintes smiotiques de la pense discursive, p. 10, P aris, Puf, 1987.

    9. Schmatisme et signification , Smiotique, ontologie et icnicit. Potica et analytica. Aarhus universitet, 1991.

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  • entre le discouru et son contexte, entre le discoure de luvre et luvre comme doctrine. Nous montrerons que c est ltude du dispositif scnographique mis en place autour des repres nonciatifs qui, nos yeux, permet de penser simultanment ces dimensions constituantes. Elle permet en effet de rapporter les schmes spculatifs et les schmes expressifs par la mdiation de contraintes nonciatives qui, corrlativement, jouent le rle de mdiation pour rapporter les conditions de linstitution discursive du philosophique ses conditions dinstauration doctrinale ,0. Il faudrait donc, et nous nous loignons alors de loption smiotique, dvelopper une analyse du discours philosophique capable de lier une analyse linguistique des oprations et une tude globale des contraintes discursives.

    Une analyse du discours philosophique doit autant dvelopper une thorie gnrale du sens ou du discours, et donc aborder ltude des grandes oprations qui contraignent la constitution discursive du philosophique, que lanalyse microcontextuelle ou dtaille des oprations de langue qui concourent llaboration du sens.

    Cest cela que sattachent les trois autres contributions, qui senracinent moins directement dans la volont de construire une thorie autonome du discours philosophique que dans le souci, partir dune linguistique gnrale, de se donner les moyens daborder les oprations discursives par ltude de leurs marqueurs linguistiques. Cette deuxime voie ne soppose pas la prcdente, l enjeu dune rflexion thorique sur l analyse du discours tant plutt de les concilier.

    Ainsi A. Ali Bouacha se rfre explicitement une linguistique des oprations telle quelle a t dveloppe par A. Culioli 11, et montre quil faut tenir compte de deux proprits fondamentales pour dvelopper une telle approche : Il faut dabord distinguer entre le discours, objet thorique conu comme lieu organis dun systme de signes mettant en jeu des individus et des univers en reprsentation et lunivers objet empirique renvoyant du texte. Dun ct on met en relation du texte dans son apprhension immdiate avec une activit discursive laquelle il renvoie ou plus prcisment laquelle on le fait renvoyer, et de lautre, on considre ce texte comme un ensemble de donnes linguistiques brutes quil faut ensuite traiter en donnes discursives. Celles-ci sont ncessairement filtres par des proprits linguistiques partir desquelles il est possible de dcrire des proprits discursives l2. A. Ali Bouacha, partir de lanalyse de discours didactiques ou de vulgarisation 13, a ainsi largi la catgorie linguistique de gnricit vers une laboration de la catgorie discursive de gnralisation. Son texte montre comment sont lies les oprations nonciatives et les oprations discursives, grce ltude du statut de la premire personne dans les Mditations mtaphysiques.

    L tude de Gilles Philippe vient renforcer lintrt de cette investigation, dans la mesure o, partir dun horizon thorique trs proche, il tudie aussi le statut gnrique de la premire personne, mais cette fois dans lEtre et le nant. Il sagit de

    10. Pour une application des uvres philosophiques de Platon ou Descartes, Dimension dialogique du discours philosophique : les dialogues de Platon . Colloque le Dialogique, organis par l universit du Maine, sept. 1994, actes a paratre (Berne, Peter Lang). Argumentation, ordre des raisons, et mode d exposition dans l uvre cartsienne , dans Cossutta d. op. cit., 1996.

    11. Pour une linguistique de Vnonciation. Oprations e t reprsentation I. Paris, Ophrys, 1990.12. Enonciation, argumentation et discours , p. 47 , dans Configurations discursives, Annales

    littraire de l Universit de Besanon, Paris, Diffusion les Belles Lettres, 1993.13. Le discours universitaire, la rhtorique et ses pouvoirs, Peter Lang, Berne, 1984.

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  • reprer et comprendre des alternances trs rapides dans le systme dembrayage nonciatif qui ne recoupent pas les htrognits squentielles entre passages argumentatife et passages narratifs ; le texte, oprant un constant va-et-vient entre deux scnes nonciatives, brouille constamment les pistes. Il faut, pour clarifier cette question, procder une tude du fonctionnement linguistique de la premire personne. Or on dcouvre un emploi qui subvertit lopposition classique entre embray / non embray : cette forme idale de discours totalement dsembray... que Benveniste cherchait dfinir, c est dans le discours philosophique quil fallait la rechercher . Ce qui invite le linguiste, en considrant la spcificit de la pratique philosophique du discours , largir, voire reconsidrer ses catgories . Il convient en effet ici de rapporter les modalits langagires au contenu spculatif du discours sartrien. Or on se rend compte que la langue vhicule une ontologie substantiellste dont la phnomnologie sartrienne veut se dmarquer, et pour ce faire, lemploi dun Je non spcifi lui permet de djouer les clivages traditionnels que la conscience entretient avec elle-mme comme conscience-de-soi.

    L article de K. Ehlich partage avec les prcdents le souci dune analyse microscopique des phnomnes de langue qui interviennent dans la structuration du procs discursif. Mais on pourrait aussi le rapprocher de la perspective de D. Maingueneau, dans la mesure o, prenant en considration les difficults de lecture auxquelles sont confronts les lecteurs de Hegel, quils soient de langue allemande ou pas, il sinscrit dans une perspective pragmatique, rejoignant indirectement les questions de lthos, de lincorporation et de loralit. Il lui faut en effet penser les ajustements toujours difficiles auxquels le philosophe doit consentir, pris entre lexigence dautarcie expressive des structures conceptuelles et les exigences com- municationnelles qui dcoulent de la ncessit dtre lu et compris. Le reproche dobscurit fait Hegel, selon lauteur, est en grande partie un faux procs, car il existe au sein du texte des mcanismes et des structures langagires qui, sans dispenser de tout effort intellectuel, permettent de pallier cette difficult. Refusant une dfinition corfrentielle des pronoms personnels de la troisime personne, lauteur en donne une interprtation anaphorique ou plus globalement phorique , en montrant quils contribuent non seulement la structuration interne du procs de pense, mais quils facilitent chez le lecteur le maintien dune orientation focalisante, condition de la rception et de la comprhension du discours. Mais prise entre le souci dconomie et le risque dun excs phorique, la discursivit hglienne pour rsoudre ses paradoxes micro-langagiere apphque des schmes dorahsation, les principes dune scansion quasi prosodique, son nonciation textuelle.

    Nous avons prsent ces contributions en fonction dune diffrence dapprciation concernant le rle respectif du linguistique et du discursif. Nous pourrions galement rapprocher celles qui insistent plus sur la dimension pragmatique (Cossutta, Maingueneau, Ehlich) ou examiner le rapport quelles entretiennent avec leur objet.

    Sans quil y ait eu de concertation sur ce point, trois contributions portent en effet sur le statut de la premire personne dans le cadre de philosophies de la conscience (Ah Bouacha, Bordron, Philippe). Il ne faut pas stonner de cette relation qui vrifie un lien entre des types dapproches et des types doprations philosophiques. G. Philippe observe ainsi au dbut de son article quil existe, dans le champ des sciences humaines, un rapport trs troit entre les thories linguistiques de lembrayage nonciatif et les thories philosophiques et psychologiques de la

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  • conscience et du sujet . Nous mettrons pour notre part en vidence le risque de voir se dvelopper ainsi une circularit non matrise du rapport entre philosophie et linguistique qui annulerait l ide mme dune analyse du discours philosophique. J . F. Bordron vite ce risque en dduisant la forme gnrale du sujet empirique partir dune schmatisation instruite par la thorie kantienne. Pour leur part, les trois auteurs qui tudient au plus prs les oprations linguistiques ne tombent ni dans le risque dune application de catgories thoriques qui ne feraient que sauto-vrifier, ni dans la tentation de donner une leon au philosophe en prtendant rsoudre linguistiquement la question philosophique que celui-ci se pose. En effet aussi bien A. Ali Bouacha que G. Philippe vitent une lecture laveugle, et se posent la question de savoir comment le rgime nonciatif du texte en premire personne est modifi par le statut philosophique de la premire personne. Tous deux rencontrent en effet des formes dusage qui ne sont ni de luniversel ni du singulier, mais une faon indite de les associer virtuellement. De son ct, K. Ehlich montre que le rgime anaphorique et les procdures focalisantes mises en place par Hegel ne sont pas indpendants des relations structurelles que sa philosophie entretient avec ses propres modes dexpression, ce qui est dailleurs dvelopp explicitement dans la prface la Phnomnologie de l esprit. Le paradoxe du commencement du systme (il nest possible que sil est achev...) se voit immdiatement redoubl en un paradoxe de la lecture, dont ltude de K. Ehhch met en vidence la transposition micro-contextuelle : il indique en effet quels procds Hegel met en uvre pour assurer les possibilits de bouclages rtroactifs et anticipateurs qui permettent dassurer la translation du sens ncessaire lauto-dveloppement et lappropriation rceptive du concept philosophique.

    Les auteurs ont su viter un positivisme qui, confrant leur discipline une position de surplomb excessif, lempcherait de problmatiser son objet. Confronts des structures langagires indites, ils doivent approfondir leurs modles et raffiner leurs catgories. Ainsi, on peut considrer que lexpression philosophique, comme le souligne A. Ah Bouacha propos du remodelage cartsien de lemploi du pronom de la premire personne, peut modifier les usages au-del de son propre champ. Pour mettre cela en vidence, comme le souligne fortement G. Philippe la fin de son article, le linguiste a d, sans abandonner son statut de spcialiste du langage, prendre en considration certaines dimensions spcifiquement doctrinales (philosophie de la conscience, phnomnologie, dialectique) qui contraignent en retour les procds de langue qui sont pourtant la condition de leur mergence dans lordre du discours. Ils rejoignent ainsi les trois premires interventions pour lesquelles la diffrenciation entre dimension spculative et dimension expressive navait dautre statut que fonctionnel, la tche de lanalyse tant de comprendre la nature de leur articulation, la porte de leur autonomie respective, ou les mcanismes de leur rversibilit.

    Ainsi les tudes que nous prsentons ici voudraient pouvoir intresser aussi bien le spcialiste danalyse de discours, ou le linguiste, que le philosophe, ou lhistorien des doctrines, puisque les diffrentes communications sefforcent de ne sacrifier ni ltude des dimensions langagires la prise en considration des contenus philosophiques (dont elles ne seraient alors quun support extrinsque), ni la dimension philosophique au profit de ltude exclusive des oprations linguistiques (qui ds lors ne prendraient le texte philosophique qu titre de prtexte). Dans la mesure o tous ont considr que les dimensions nonciatives, pragmatiques ou smiotiques taient

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  • le lieu o se nouait la relation entre les dimensions doctrinales spculatives, les dimensions expressives, et les dimensions contextuelles, il devient possible denvisager une Analyse du discours philosophique qui soit la fois une authentique Analyse du discours, et un encouragement pour leffort de comprhension ou dinterprtation des uvres philosophiques.

    U

  • Frd ric COSSUTTA(College International de Philosophie (Paris)

    P O U R U N E A N A LYSE D U D IS C O U R S P H IL O S O P H IQ U E

    1. A quelles conditions une Analyse du discours philosophique est- elle possible ?

    1. Un trange objet qui semble rsister toute tentative danalyse

    On pourrait stonner de devoir donner une justification thorique une question qui, si on sintressait au discours politique, mdiatique, de vulgarisation ou littraire, ne se poserait pas avec la mme acuit.

    La situation de la philosophie semble en effet bien trange, puisquelle suppose quon sinscrive dj dans son propre champ pour pouvoir sen dmarquer et la prendre pour objet. En effet :1) il faut la pratiquer pour y exercer une activit critique, puisque les philosophes ne rpondent de leurs assertions quau regard dinstances de validation qui sont elles-mmes philosophiques. Ainsi lactivit philosophique comporte une dimension polmique et dialogique intrinsque qui la met perptuellement en conflit avec elle-mme ou avec les institutions discursives concurrentes. Si toutes les doctrines prtendent unilatralement la vrit, leurs prtentions sont limites par la juxtaposition dune diversit de systmes qui sont en concurrence. Quon limite cette dispersion par un principe clectique ou synthtique, quon la rduise dans une progression historique, ou que lon se rfre la philosophie perennis ne change rien.2) La critique de lextrieur nest pas possible si lon en croit largument bien connu selon lequel le misologue ou le ngateur du principe de contradiction sont dans une position intenable. Ainsi le dnigrement de la philosophie, on le sait depuis les sophistes, les cyniques et les sceptiques grecs, renvoie moins un ailleurs de la philosophie qu un travail opr par la philosophie elle-mme sur ses marges et ses frontires, comme si lide de son impossibilit perptuellement la hantait, et tait depuis toujours inscrite dans ses conditions de surgissement. Comme le phnix, la philosophie renat toujours de ses cendres, et on peut souponner l quelque complaisance de sa part. Nous savons en effet depuis le Socrate platonicien quelle a d souvent mimer sa propre mort pour instaurer la possibilit de sa rsurgence. Cest un de ses gestes caractristiques que de faire table rase, de revenir lorigine pour retrouver un socle originaire, et c est vrai aussi bien pour Nietzsche qui justifie lapocalypse en attendant une nouvelle aurore, que pour Hegel qui au crpuscule consume rtrospectivement lhistoire dans lembrasement final du savoir absolu.3) Et de fait, comment pourrait-on lui poser extrieurement la question de sa possibilit, puisque son projet sinscrit dans la volont de rpondre dabord, et avant toute autre proccupation cette question ? Une des tches prioritaires de toute philosophie, ft-elle anti-systmatique ou anti-philosophique , consiste en effet expliciter son propre mode de constitution, c est--dire ne sautoriser que delle -mme pour poser les conditions de validit de ses propres noncs, comme les

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  • conditions de vuliilution
  • rcemment, dans un article o il se posait la question Y a-t-il une langue les philosophes ? , J . Derrida rpondant ceux qui laccusent de rduire la philosophie la littrature, caractrisait ainsi son travail dcriture : Dans mes textes la forme dcriture qui, pour ntre pas ni purement littraire ni purement philosophique, tente de ne sacrifier ni lattention la dmonstration ou aux thses, ni la fictionnalit ou la potique de la langue (Derrida 1988, p. 31-32).

    2 . En sortir sans en sortir : philosophie du langage, langage de la philosophie et analyse du discours philosophique

    On ne peut donc sortir de la philosophie... quand on y est dj entr. Mais pourquoi devrait-on y entrer ? Rpondre cette question, ne serait-ce que dun mot, serait recommencer lternel recommencement de la philosophie. Si bien quil faut prendre acte du fait que, du point de vue du philosophe, on ne saurait fonder aucun savoir sur la philosophie qui ne soit philosophique. Mais pourquoi devrait-on en sortir ? Rpondre cette question serait ne pouvoir terminer une fois de plus son interminable agonie. Si bien quil faut prendre acte de ce que dun point de vue extrieur la philosophie, celle-ci ne saurait tre garante du savoir quelle a sur elle-mme. Cela signifie-t-il l'impossibilit de la philosophie et dune analyse du discours philosophique ? Au contraire, nous voyons l un encouragement et un mode de rsolution des paradoxes qui nous permettrait simultanment de dvelopper une analyse du discours qui chapperait autant au relativisme quau positivisme, linhibition quau dogmatisme, et dassumer un exercice de pense et de vie qui, dbarrass de ses fantasmes auto-destructeurs comme du risque totalitaire, nhsiterait pas se dire philosophique.

    Si la philosophie ne peut se totaliser elle-mme, sinon sur le mode dune clture mtaphysique, si elle ne peut non plus sannuler sans reconduire immdiatement son geste instaurateur, il devient lgitime de la prendre pour objet. En effet, cela signifie quelle ne peut jamais achever son mouvement dauto-constitution, non seulement parce que des paradoxes structurels grvent les tentatives de construction systmatique , ce que le scepticisme prcisment met en vidence, mais aussi parce quune doctrine est toujours menace de d-constitution de la part de ses concurrentes. Cest bien plutt ce constant mouvement qui fait lessence de la philosophie. Mais c est dire que son projet dexplicitation de son propre mode de constitution discursive laisse toujours un reste, un point aveugle qui porte justement sur cette question. Les paradoxes que nous avons voqus trouvent en effet tous leur quivalent dans des paradoxes inhrents lexpression philosophique. Pour les philosophies systmatiques, on se heurte par exemple la circularit existant entre les termes permettant linstauration conceptuelle et la catgorisation doctrinale qui doit rtroactivement se les rapproprier. Paralllement, dans les philosophies de dconstitution du philosophique comme le scepticisme, ou dans des philosophies comme celles de Nietzsche, Kierkegaard, Bergson, Wittgenstein, on est en permanence confront devoir rsoudre la difficult dune discursivit auto-contradictoire. Ce reste discursif, intotalisable par le philosophe, peut devenir lenjeu dune investigation pour qui disposerait des moyens de penser la constitution discursive, non plus en vue driger un univers de sens auto-constitu, mais pour dvelopper un savoir sur la constitution discursive.

    1. Sur ce point, voir Cossutta, 1989, p. 145 ; 1994a, 111 ,117 .

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  • Muh la condition qui permet un avoir le prtendre la validit est la ri'1-onnaHHance de ses limites, et une analyse du discours philosophique devra soigneusement les dfinir.

    Kn effet, toute tentative pour constituer un savoir non philosophique qui voudrait puiser lessence de la philosophie se heurterait sa propre impossibilit, et au risque de limposture sil prtendait faire ce que la philosophie na pas pu faire sur elle-mme. Cela condamne tout positivisme pistmologique ou naf lchec, car la philosophie pourra toujours linterroger sur ses fondements et expliciter la dpen

    dance des sciences du langage lgard de postulats qui indirectement renvoient des choix philosophiques. Une thorie du discours philosophique (ou toute approche utilisant des outils non philosophiques, en loccasion linguistiques ou danalyse textuelle), ne saurait donc analyser la philosophie comme discours constitu qu la condition de renoncer son auto-constitution, c est--dire la possibilit dune explicitation totale de ses conditions de possibilit. Faute de quoi elle se constituerait elle-mme comme philosophie. Cest le cas pour des tentatives comme celle de Katz, qui, en construisant une smantique, pensait se donner les moyens de rsoudre linguistiquement les questions philosophiques, et dbouche, aprs stre inscrite dans une philosophie de la linguistique, comme lindique le titre de son livre sur une philosophie du langage (Katz 1971). Une thorie du langage, en croyant penser le langage de la philosophie, devient ainsi une philosophie part entire. Il y a donc un lien de dpendance plus complexe quil ny paraissait entre lanalyse du discours et son objet philosophique, puisquil joue la fois en aval et en amont. En amont, par le risque dune dpendance prsuppositionnelle dune thorie du discours par rapport des conceptions philosophiques dtermines, en aval par la possibilit dinterventions des linguistes dans les questions traditionnellement traites par les philosophes.

    Le discours philosophique, comme discours constituant, nest pas sans avoir jou un certain rle, au cours de son histoire, par rapport la langue dont il a, dans certains cas, contribu modifier les usages, et surtout par rapport larchive quil contribue priodiquement remanier lorsque ses schemes doctrinaux ou mthodiques valent comme principes de structuration pour dautres discours ou ont des effets pratiques et institutionnels. Il peut donc intervenir dans la constitution des disciplines du langage, ce quatteste leur dveloppement rcent. En effet, labaissement des frontires entre philosophie et sciences du langage dans les vingt dernires annes, sil est extrmement fcond, nen reprsente pas moins, du point de vue dune analyse du discours philosophique, un risque. Le philosophe peut tre tent dinvestir les conceptions linguistiques du sens des noncs philosophiques, pour mieux rgnrer le geste dinstauration philosophique. Cest manifeste pour des tentatives hermneutiques qui, soucieuses dintgrer comme le fait par exemple P. Ricur, ltude de structures narratives ou mtaphoriques, laissent toujours la dimension spculative le dernier mot. Dun autre ct lanalyse du discours, tente dutiliser lapport des philosophies, aurait bien du mal conduire une investigation sur lune dentre elles, tout en devant directement ou indirectement lui emprunter ses catgories, ou au contraire des catgories issues de philosophies adverses (ainsi, imaginons ce que pourrait comprendre du platonisme ou de Descartes, une approche rhtorique utilisant des classifications aristotliciennes).

    Nous avons vu que cest la limitation des prtentions hgmoniques de la philosophie lgard du discours qui rendait lgitime le projet dune approche extrieure, mais nous dcouvrons galement que c est lirrductibilit dun tel discours (il nest

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  • pas rductible ce que lanalyse en fait, ou du moins elle nen invalide pas pour autant la possibilit) qui invite lanalyse contraindre sa constitution.

    3 . Contraintes pistmologiques dune analyse du discours philosophique

    Une rflexion thorique sur lanalyse du discours philosophique doit donc expliciter la nature des dpendances quelle doit reconnatre et des limites quelle doit se donner si elle veut prtendre au statut dun savoir.

    Elle doit accepter une double dpendance : une dpendance forte lgard dune rflexion pistmologique, et une dpendance faible lgard dun horizon philosophique. Il nest pas ncessaire quelle explore systmatiquement cette dpendance faible qui nobre en rien son effort dinvestigation. Sinon elle reculerait perptuellement la mise en uvre de son programme, en spuisant en valider la possibilit, ou comme nous lavons vu, deviendrait une philosophie honteuse. Il lui sufft de maintenir la prsence de ce point aveugle, non comme un obstacle llaboration de ses mthodes danalyse, mais comme leur condition, en considrant que son refoulement, loin de la dlivrer dune sujtion la philosophie, linscrirait au contraire dans un assujettissement dautant plus dommageable quil serait inaperu ( la faon dont Althusser dans un autre contexte parlait de philosophie spontane du savant). Elle doit par consquent se dmarquer dune philosophie du langage, sans ignorer lhorizon philosophique des questions portant sur le langage.

    Par contre, la dpendance forte lgard dune rflexion pistmologique doit tre constamment maintenue comme une chance, et non comme un risque. Elle signifie en effet le refus dun empirisme naf. La premire tche dune analyse de discours est en effet de penser la constitution de son objet comme domaine dobservables : comment partir de lobjet-texte dcouper des squences signifiantes, hirarchiser des niveaux opratoires, passer dun relev dindices doprations linguistiques la complexit doprations proprement discursives ? Cette tche va de pair avec la construction de catgories mtadiscursives permettant de rendre intelligibles les phnomnes tudis, et de modles permettant de schmatiser le procs de constitution ou de rception du sens des noncs philosophiques. Une telle rflexion ne peut se dispenser de prendre en considration les thories du discours labores pour dautres domaines, non seulement parce quil serait vain de construire ad hoc une dfinition du discours qui ne vaudrait que pour la philosophie, mais parce quil est ncessaire, si lon veut pouvoir en penser la spcificit, de la comparer dautres types discursifs 2. Mais l encore, il ne sagit pas de procder au choix dune mthode au hasard ou selon la fantaisie. La thorie approprie sera celle qui sajustera au mieux la nature de lobjet, sans en rduire la complexit.

    Or nous avons dfini cette complexit et cette spcificit du philosophique la place quil occupe parmi les discours constituants, dont la prtention est de sauto- constituer et de jouer un rle constituant lgard dautres rgimes discursifs (Maingueneau-Cossutta, 1995, p. 112). La spcificit du discours philosophique parmi les discours constituants est dtre le discours qui veut expliciter les conditions de possibilit de toute constitution discursive. En effet, lobjet du discours philosophique nest pas seulement sa propre constitution, mais la constitution discursive en gnral. Une uvre littraire certes construit les conditions de sa propre lgitimit

    2 . C V st ce

  • discursive en proposant un univers de sens, et plus gnralement offre des catgories sensibles pour un monde possible. La philosophie, elle, n explicite pas sous forme figurative et fictionnelle, mais sous forme conceptuelle et catgorielle, les conditions qui rendent le sens possible. L analyse du discours pour sa part, a une vocation comparable, mais elle sinscrit dans un autre registre. Si elle peut laborer une conception gnrale, lorsquelle fait retour sur elle-mme, comme c est le cas ici, elle ne peut jamais se dispenser dune articulation de ses modles et catgories des domaines dobjets diversifis. Bien entendu, le cas particulier o elle se prendrait elle-mme comme objet fait problme, car vouloir expliciter ses propres conditions discursives elle transgresserait la rgle de non-totalisation et serait reconduite au rgime paradoxal qui rgit le discours philosophique. Dans ce cas, une fois de plus, on oscillerait dans une boucle sans fin. Nous sommes face un choix qui, de lanalyse du discours, peut nous reconduire la philosophie (lobjet analys deviendrait sujet analysant), ou au contraire, nous conduire linscrire dans un champ disciplinaire autonome, dont lanalyse du discours philosophique ne serait quun secteur.

    Si lon opte pour cette direction, il faut maintenir, mais maintenir faiblement, le caractre faible de la dpendance lgard dun fondement philosophique, et sappuyer au contraire fortement sur la dpendance forte qui pose la ncessit dune rflexion pistmologique, afin de dfinir le rapport de lanalyse du discours philosophique son objet et ses mthodes.

    4 . Contraintes pistmologiques portant sur lobjet. Quelles relations une doctrine entretient-elle avec ses modes dexpression ?

    Si lanalyse du discours veut dfinir son objet, il lui faut lucider la nature du rapport quentretient la philosophie avec la langue et les contraintes gnrales qui rendent un discours possible. La tche est dautant plus difficile que, le discours philosophique sappliquant lui-mme ses propres catgories, les formes de lexpression y sont en permanence rabsorbes par les contenus et rassignes dans le cadre des catgories conceptuelles. La philosophie est ce discours qui, constitu partir des contraintes gnrales et spcifiques qui sont la condition de toute mise en discours, les rlabore dans son propre champ, les catgorise, de telle faon quil devienne auto-constituant. Cest ce qui lui confre la proprit, au regard des autres discours, den prtendre fonder le mode de constitution, de sen porter garant ou de les dlgitimer.

    Tantt le philosophe fait comme s il y avait une pure transparence des contenus philosophiques en construisant une langue idale, ou en se posant dans le registre dutilisation idale de la langue. Par exemple il labore partir des notions offertes par la langue vernaculaire un champ conceptuel dont les structures smantiques sont lies des procdures dfinitionnelles et obissent aux contraintes inhrentes une logique explicite du sens. Tantt au contraire, il retravaille une langue vernaculaire dont il sollicite les stratifications smantiques et tymologiques, les usages, afin de donner voir le mouvement de constitution du sens des noncs. Que le rsultat dbouche sur la stabilisation dun lexique ou sur la valorisation dune faon de dire, dans les deux cas le philosophe assume une position de matrise en contrlant des processus dont il ne garde certaines traces que pour mieux favoriser la rception de sa doctrine. La philosophie ne prsenterait donc aucun des rsidus expressifs, mienne des scories communicationnelles qui maillent les conversations, et ne laisserait donc pas prise lanalyse, comme si lon pouvait donner aux moyens expressifs un rle purement contingent. Cette matrise serait dautant plus grande quelle

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  • ne dpendrait pas dune habilet stylistique ou dune aptitude au maniement de la langue, mais du travail philosophique lui-mme qui constitue en tant que tel la source de toute stylisation et le lieu dun rapport que la langue entretient avec elle-mme.

    Nous pensons au contraire que ces lments discursifs ou expressifs, loin dtre adventices ou occasionnels, sont doublement lis aux contenus : dune part ils dterminent leur possibilit dmergence, en leur offrant plus quun support, mais ltoffe mme de leur inscription dans lordre du dicible. Dautre part ils sont rtroactivement dtermins par les contenus, pour autant que chaque doctrine doit trouver le mode de prsentation adquat ses schemes. Certes, une doctrine ne semble pas totalement rductible ses lieux dinscription, dans la mesure o le philosophe sy rfre comme une entit faite didalits qui ne devrait rien aux conditions contingentes de son laboration, parmi lesquelles il faudrait compter la varit de ses reconfigurations dans la diversit des textes. Mais ces reformulations voient leur nombre restreint par des rgles de limitation ou d emploi (tous les modes dexpression gnriquement possibles ne sont pas ncessairement acceptables pour telle ou telle philosophie) qui ne sont pas sans rapport avec les contraintes doctrinales 3. On rencontre donc, certes, une variation sur les reformulations possibles, mais aussi des formes d expression que lon appellera canoniques, travers lesquelles une philosophie saccomplit. Ainsi les rapports entre forme dexpression et structures du contenu oscillent entre contingence et ncessit. La nature des transactions opres consciemment ou non par le philosophe sur ce rapport dtermine la forme gnrale de luvre.

    Comme nous lavons vu, les grandes philosophies explicitent leur propre mode de constitution, et par consquent thmatisent ncessairement la question de leur choix de langue, de leur mode dexpression et dexposition. La forme dexpression dune doctrine et ses thses ne sont pas dissociables, dans la mesure o le procs danalyse et de dmonstration qui permet de leur donner une lgitimit est lui-mme dpendant des thses quil est cens permettre dexpliciter. Donc le choix dun genre, celui dune forme dexposition ne dpendent pas du hasard mais doivent tre appropris la forme procdurale qui dveloppe la conceptualit propre une philosophie. Ainsi la mtaphysique cartsienne trouve son mode dexpression appropri dans un expos narratif empruntant ses caractristiques gnriques lexercice spirituel de type mditatif. Il ne sagit en rien dun emprunt mcanique, puisque le temps mditatif constitue la dimension expresssive de lordre analytique quelle explicite et quelle rend en mme temps possible, et accessible au lecteur. Descartes emprunte les traits caractristiques dun genre en les adaptant la faon dont saccomplit le procs de pense (mthode). Nous avons montr galement comment, au sein des dialogues platoniciens, les personnages explicitaient constamment les conditions de leur entretien au point quen faisant une tude systmatique des proprits mta- dialogiques de lactivit interlocutive, on pouvait esquisser les lments dune pragmatique transcendantale platonicienne. Cela pourrait donc laisser penser que la philosophie matriserait totalement ses propres conditions dexpression, dans la mesure o on y observerait une adquation la plus grande possible entre les schemes

    3. Nous avons tudi ces phnomnes entre autre pour les dialogues de Platon (Cossutta 1994b) et pour r

  • doctrinaux et les schemes expressifs. Cela correspond effectivement la vocation des grandes philosophies systmatiques. Mais sil est normal que la philosophie efface aprs coup les traces de son laboration ou quelle en donne une version publique dulcore ou reconstruite, pour permettre au lecteur de reparcourir son cheminement, cela ne justifie pas de la rduire sa dimension purement conceptuelle ou dmonstrative. Au contraire lanalyse du discours philosophique doit desserrer cette compacit expressive et observer comment sont effectus les montages, les mises en scne par lesquels la doctrine se joue ou se mime elle-mme dans un espace de reprsentation qui utilise toutes les ressources de lcriture. Elle a vocation mettre en vidence le travail grce auquel cette tentative dadquation se ralise, valuer les degrs de cohrence ou dhtrognit que cela suppose, moins pour disqualifier la prtention du philosophe, que pour signifier que cest aussi ce travail patient dlaboration du sens, avec ses fourvoiements et ses russites, qui caractrise lactivit conceptuelle. Ainsi, la matrise expressive est plus un idal, que ralisent parfois avec bonheur certaines grandes uvres, quun fait. L activit philosophique est faite dune pense qui se cherche et qui sapprivoise elle-mme dans le jeu du discours, entre la pure libert cratrice qui dcoupe idalement son objet, et les compromis formels quexige sa destination. Pour rpondre cette double ncessit, le philosophe doit matriser nombre dexigences qui gnrent des tensions au sein de son texte. Entre la forme qui accomplirait l expression la plus rigoureuse et la plus pure de la structure des idalits philosophiques, et ce quil faudrait prendre en compte pour rfuter les adversaires, initier un disciple, expliquer ce que lon veut dire, il faut transiger. Tantt on tente dintgrer le plus conomiquement le maximum de contraintes discursives, et l on tend alors vers une uvre-monde unique, tantt on accepte une prolixit textuelle en redployant ou rlaborant la doctrine au gr de formes dexpression, qui, travers le choix dun genre ou dun mode dexposition, satisfont de faon privilgie lune ou lautre de ces contraintes.

    Toute philosophie, quelle que soit la faon philosophique dont elle rsout le problme de sa propre expressivit, doit satisfaire aux exigences inhrentes la communication, ngocier un rapport avec son public et les institutions sociales qui rglent la rpartition de la parole. Un philosophe doit dvelopper des stratgies pour tre reconnu, il doit passer des alliances, sadresser aux spcialistes, tre accept par ses pairs, chercher officialiser sa doctrine. On peut ds lors parler avec D. Main- gueneau de lnonciation philosophique comme institution discursive . Les phnomnes quil tudie ici-mme, eux non plus, ne sont pas des lments extrinsques la philosophie et doivent tre pris en considration au mme titre que ceux que nous venons de dcrire. Pour chapper un sociologisme rducteur qui traiterait mcaniquement le rapport du texte au contexte, on doit, l aussi, privilgier la richesse des composantes discursives de la philosophie, ne pas ngliger les prfaces, tudier les notes qui renvoient des systmes daffiliation, ou par leurs oublis des dnis, tudier tout ce qui au sein du texte contribue lgitimer ses propres conditions dlaboration.

    L analyse du discours philosophique, grce ltude des proprits discursives apprhendes dans leur complexit et leur richesse, mettra donc en vidence le double aspect de la constitution philosophique : les conditions de son institution et celles de son instauration discursive. Son institution discursive mdiatise le rapport entre uvre et contexte, son instauration discursive mdiatise le rapport entre formes expressives et schmes spculatifs.

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  • 5 . Contraintes pistmologique portant sur les mthodes. Rgles de la mthode de lanalyse du discours philosophique

    Il reste prsent dterminer par quel biais aborder la philosophie comme discours. Les prsupposs pistmologiques dfinis tout au long de cette rflexion contraignent autant la dfinition des mthodes que le choix des objets.

    Nous pouvons carter rapidement toute approche reposant sur une srie de postulats qui, isols ou groups, reprsentent des impasses plus que des encouragements pour une analyse du discours philosophique : le postulat de rduction rduirait unilatralement la complexit textuelle lune de ses composantes ; le postulat de traduction exigerait que lon transpose dans un mtalangage adquat les contenus philosophiques, puis quon opre mcaniquement (voire automatiquement) des calculs sur le modle pour obtenir une reprsentation du langage objet. Le postulat de normativit, solidaire des prcdents, voudrait qu partir dune rfrence ou dun critre (langage idal, langage ordinaire, modles de genre, normes de raisonnement, rgles de cohrence) on puisse procder des jugements de valeur revenant disqualifier lobjet tudi. Le postulat prescriptif, consquence du prcdent, donnerait celui qui le manie la possibilit de rectifier ou dintervenir sur la question traite en prtendant disposer des moyens de la rsoudre ou de la dissoudre et par exemple de gurir ceux qui sont atteints par cette maladie philosophique. Nous ne nous attarderons pas analyser ces postulats, solidaires dune position en surplomb que nous avons dj critique.

    Nous nous attarderons un instant sur trois postulats dont la critique dterminera directement le choix dune position mthodique : postulat clectique, postulat ins- trumentaliste et postulat de lecture en aveugle .

    Nous avons indiqu quil fallait envisager ltude de la philosophie comme activit langagire, mais comment choisir entre les diffrentes approches offertes par les linguistes et les analyses du discours ? Il faut renoncer une thse excessive qui dun point de vue extrieur poserait la rductibilit de la philosophie sa dimension expressive, puis la rductibilit de celle-ci lun de ses constituants. On tudierait alors le texte en le rduisant une de ses composantes, logique, rhtorique, smantique , stylistique, lexicologique par exemple. Il est intressant de constater dailleurs que la seule tentative vraiment cohrente, suivie de la mise en uvre de moyens importants, dapplication des progrs de la linguistique la philosophie, sest dveloppe dans le domaine lexicologique. Ce programme de recherche (soutenu par le CNRS) sest dvelopp dans le domaine de lhistoire de la philosophie et des doctrines et non dans une perspective danalyse du discours 4. Il sagissait, au dbut des annes 70, de coupler lutilisation doutils informatiques avec les mthodes de la lexicologie statistique (les travaux du laboratoire de lexicologie politique de lENS de St-Cloud jouant un rle pionnier). Andr Robinet en fondant le CIRPHO (Centre International de Recherches Philosophiques par Ordinateur) fut linitiateur dun tel projet en France, puisquil a men bien avec ses quipes des projets sur Malebranche, Descartes, Leibniz, Rousseau, et fonda une coopration europenne fructueuse dans ce domaine. La lexicologie assiste par linformatique a pu procurer

    4. Le programme dvelopp par J . Cauvin 6e montre plus soucieux de penser, comme pralable son approche du corpus hglien, les caractristiques langagires de la philosophie, comme le montre l'article remarquable quil avait consacr cette question (Gauvin 1971). On pourrait en dire autant des travaux en Analyse Automatique du Discours de M. Pcheux, en remarquant toutefois que le privilge accord au discours politique n a pas vraiment permis den mesurer la fcondit en philosophie.

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  • concernant la relation entre les lments qui y sont prsents, et de dire ce quil peut sattendre trouver dans dautres exemples de langage soumis au mme type danalyse (ibid., prface, non pagine). Il ne sufft pas disoler un seul niveau de stratification textuelle, ni de lui appliquer un outil linguistique 5 pour obtenir une analyse de discours. Ici le texte ne sert que de corpus pour llaboration ou la vrification dun modle labor en dehors de lui. Il est vrai que ltude de Platon inviterait plutt ltude des proprits dialogiques du procs dialectique, et on peut esprer des dveloppements rcents de la pragmatique et de la linguistique du dialogue quelles dveloppent une tude fine de la structure dialgale des dialogues platoniciens 6. Toujours est-il quaux postulats prcdents nous opposerons la ncessit dune analyse qui ne renoncera pas obtenir un gain heuristique ou interprtatif du texte, qui prendra en compte tous ses niveaux constitutifs, concourant ainsi lenrichissement des hypothses de lhistorien de la philosophie.

    On constate que des correspondances stablissent tout naturellement entre des courants linguistiques ou de disciplines danalyse du discours, et le choix dun phnomne particulier du texte philosophique. Ainsi ltude du champ conceptuel bnficierait des apports privilgis de la smantique structurale, ltude des structures narratives celle de lanalyse du rcit ou de la smiotique de type greimassienne, la forme dialogue celle dune linguistique du dialogue, largumentation des apports dune nouvelle rhtorique, les philosophies de la conscience, dune linguistique de lnonciation, ltude des rapports entre uvre et contexte dune sociolinguistique ou dune analyse du discours largissant son horizon la prise en considration de linstitution discursive.

    Mais ces couplages, auxquels on ne saurait refuser une part de pertinence, illustrent le risque dune dpendance forte lgard dune philosophie voque plus haut, et tendent fragiliser la vocation scientifique de ces approches : ou lon privilgie un seul aspect du texte alors quil faudrait prendre en considration sa complexit, ou lon risque un clectisme mthodologique vouloir superposer artificiellement ces tudes pour pouvoir analyser les dimensions correspondantes du texte. Il est certes lgitime disoler aux fins de lanalyse certains phnomnes : par exemple si lon veut faire une tude des aspects mtaphoriques, comparatifs ou imags chez Bergson, ou Kant, il peut tre utile de disposer dune critriologie fine, permettant de dterminer ce qui est mtaphore ou image, etc. Cependant, les textes prsentent les traces dune activit discursive qui intgre les usages mtaphoriques dans des constructions qui mobilisent des effets de style ou dargumentation, des catgorisations conceptuelles, des structures dadresse faisant intervenir un destinataire suppos ou rel, et enfin doit-on prendre en considration les contraintes doctrinales qui en rglent lusage. On ne saurait par ailleurs faire dpendre ltude du discours philosophique de lvolution des rapports de force intervenant entre ces disciplines, coles ou courants relevant des sciences du langage qui, un moment donn, cherchent occuper une position dominante dans les institutions et le champ disciplinaire.

    5. Dans un autre registre, D. Parrochia a tent de modliser le systme des dichotomies platoniciennes en appliquant au procs de division un modle mathmatique emprunt la thorie des filtres issue de la topologie gnrale de Bourbaki (D. Parrochia, La raison systmatique, Vrin, 1993, Livre I I , ch. 1 et 2).

    6. Cf. sur ce point Auchlin A. Une approche discursive du Mnon : sur le dialogisme explicite et la participation. L criture des philosophes /. Colloque organis par le Collge International de Philosophie, P aris, 1995. Il existe en Allemagne et en Angleterre une bibliographie dj importante sur ce point.

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  • Ces considrations plaident en faveur dune mthodologie qui permettrait de rendre compte de la philosophie comme systme dactes, ensemble de gestes de pense agis travers le discours, et dont les traces demeurent travers les marques nguistiques stratifies qui se dposent en criture. La philosophie nest pas le dpt immobile dune pense rigidifie dans la monumentalit dune doctrine acheve, mais propose bien davantage le partage du geste par lequel elle constitue comme objet de sens ses objets et ses thses. Certes la pense dpose des thses, offre des rsultats, mais il est beaucoup plus important de comprendre le mouvement par lequel les significations ont t poses que de se rfrer un catchisme dogmatique. On ne sparera donc plus le corps, la biographie, l existence et la pense quand on aura pris en compte l encore de faon non mcanique leur intrication 7. Une philosophie traduit moins une existence, une vie quelle ne mdiatise travers ses gestes une forme de vie, une forme dexistence. On pourrait ainsi tendre la conception dveloppe par P. Hadot propos des philosophes antiques, jusquaux systmes qui paraissent les plus referms sur leur abstraction (Hadot, 1992, p. 9). On les interprterait comme exercices spirituels , puisquils nous invitent nous approprier leur gestuelle, ou ce quon pourrait appeler aussi leur style.

    Une linguistique des oprations associe une approche pragmatique du discours est indispensable, si on veut restituer cette dimension expressive de la philosophie, et garder son texte la caractristique dune uvre vive. On peut en effet les associer, dans la mesure o toutes deux tendent privilgier ltude des composantes nonciatives du discursif, ce qui les rend virtuellement compatibles, et on doit le faire si lon veut penser simultanment le rapport de la philosophie considre comme genre de discours son ailleurs extradiscursif, et son intriorit doctrinale.

    Il convient donc prsent de dfinir une hirarchisation de niveaux opratoires permettant dintgrer les composantes linguistiques et discursives du philosophique dans un modle gnral.

    I I . Construction des catgories de l analyse discursive

    1 . Oprations linguistiques, oprations discursives

    Pour construire les catgories dune approche discursive du philosophique, sans quelle soit greve par les limites inhrentes la restriction de son domaine dobjet (thorie qui ne vaudrait que pour la philosophie), il faut que la thorie qui lie les catgories dans un modle gnral sintgre dans une thorie gnrale du et des discours.

    Pour construire une thorie gnrale du et des discours sans que llaboration de ses catgories soit dpendante dautres champs disciplinaires, ou de prconstructions idologiques ou philosophiques, il faut faire en sorte que la thorie gnrale du discours sarticule une thorie linguistique gnrale. Ainsi lanalyse du discours philosophique cherchera, pour penser les oprations complexes, leurs points d ac- croche dans des formes linguistiques. Il ne sagit pas de proposer une rduction du

    7. Sur ce point, nous souscrivons aux analyses proposes ici-mme par D. Maingueneau sur le statut 'le lu biographie et de l thos, avec les amnagements requis par le dni dont ils font en apparence l objet chez nombre de philosophes.

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  • discursif du linguistique, mais de comprendre que ce qui opre un niveau transphrastique trouve son ancrage dans des micro-oprations associant les repres nonciatifs, le lexique et la syntaxe. Nous partageons le point de vue de Sophie Moirand pour qui Les indices verbaux dordre linguistique sont constitus par lorganisation du lexique dans lordre du discours, les rcurrences ou les rarets dapparition de constructions syntaxiques sous-jacentes ou de celles qui apparaissent en surface, la prsence effective de marques nonciatives (traces doprations nonciatives privilgies : positionnement de la personne, positionnement par rapport au temps ou lespace, dtermination, quantification, thmatisation, modalits, htrognits exhibes ou suggres) (Moirand, 1990 : 6-7). Cest l une conviction forte, pour reprendre son expression, puisquelle pose la ncessit dune prise linguistique du pragmatique et de largumentatif dans la matrialit du texte (ibid. P. 7). On pourra alors dterminer la porte et les limites de leur valeur opratoire au niveau transphrastique, dceler les mcanismes des transferts de proprits, relever des marqueurs communs. Cela ne nous dispensera pas de devoir diffrencier des niveaux de structuration fonctionnant comme des paliers dintgration des diffrents types doprations, ni de devoir laborer un modle gnral articulant la faon dont ces oprations gnrales de mise en langue et de mise en discours concourent la spcification du discours philosophique. On pourra ainsi laborer les catgories permettant de reprsenter rigoureusement sinon formellement les contraintes de mise en discours. Notre hypothse thorique consiste utiliser la linguistique dA. Culioli pour en transposer lesprit (sens dune analyse dtaille des mcanismes de langue, rflexion pistmologique sur la construction des reprsentations mtalinguistiques, prise en considration comparative de la diversit des langues, phnomnes de langue reprsents comme oprations), et les mta-catgories (systmes de repres, dcrochage, frontire, arbre came, curseur) au niveau dune linguistique du discours. Il nous semble en effet quil est possible de transposer au plan du discours ce constat valeur programmatique : Lentement, nous passons dune linguistique des tats une linguistique des oprations. Peu peu, nous entrevoyons que la langue est une incessante mise en relation (prdication, nonciation), grce quoi des nonciateurs, en tissant un jeu structur de rfrences, produisent un surplus dnoncs et reprent une pluralit de signification (Culioli, 1973, p. 87). Nous ne prtendons pas nous seul dvelopper une telle analyse des oprations discursives mais en avoir indiqu la ncessit. Sil y a sous la diversit des formes dexpression philosophiques des contraintes gnrales inhrentes toute mise en discours, qui psent sur leffort pour penser lorsque celui-ci seffectue travers la langue, on peut dfinir lanalyse du discours philosophique, pour paraphraser encore une formule fondatrice de la conception culiolienne, comme la discipline dont la finalit est dapprhender lactivit discursive travers la diversit des textes.

    2 . Dtermination et hirarchisation des oprations linguistiques et discursives

    Comment viter le double risque du rductionnisme linguistique et du laxisme dans la catgorisation ? Il faut distinguer et hirarchiser des types de catgories et distinguer les niveaux o elles interviennent dans la complexit discursive du texte. Puisquil sagit ici en effet dans la majorit des cas de discours crits, il faudra accorder une attention particulire aux contraintes spcifiques la mise en texte : nous accorderons par exemple une attention particulire au rle jou par la matrialit spatiale du livre-support. Au mme titre que le temps associ la premire

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  • personne dans le dispositif nonciatif (rle du prsent dnonciation), il constitue en effet un lment situationnel qui va jouer un rle considrable dans les oprations de reprage interne au discours, permettant de situer les paquets dnoncs les uns par rapport aux autres. On voit sur cet exemple que les oprateurs linguistiques jouent un rle intermdiaire favorisant la construction doprations discursives complexes. Dans lexemple choisi, le systme des espaces typographiques, les dcoupages divers, la numrotation des pages, paragraphes ou chapitres, sont mis en relation par le moyen dun systme de renvois effectus par des marqueurs aspectuels, dictiques, anaphoriques divers, avec des lments du contenu philosophique qui peuvent tre dsigns par une catgorie doctrinale ou par dautres formes thmatisantes. Ces oprateurs de renvoi ancrs dans des formes syntaxiques (anaphoriques) ou lexicales (rptition dun syntagme nominal, reprise substantive dun procs), constituent un niveau dorganisation lmentaire souvent structur par des prises en charge nonciatives ( comme nous lavons amplement montr au paragraphe 2 ... ), qui permettent lnonciateur de gloser ou nommer les oprations discursives quil effectue, comme latteste la rfrence de amplement montr la sphre argumentative. On distinguera des marqueurs linguistiques constituant le support ou jouant un rle dans la construction doprations discursives (ex. : rle des relais anaphoriques dans la densification dun discours vise didactique ou argumentative), des marqueurs non directement linguistiques entrant dans la composition ou constituant le support doprations discursives (rle doprateurs rhtoriques, argumentatifs, relais mtadiscursifs, ordre dexposition, jeux sur les niveaux rfrentiels). De mme quon peut regrouper des faisceaux de marqueurs pour dfinir des oprations en langue que lon reprsente par des catgories mta- linguistique (A SSERTIO N , M ODALIT, G N R IC IT , ANAPHORE, PASSIVATION, NOMINALIS A T IO N ...) , on pourra dfinir, par composition doprations linguistiques et de marqueurs proprement discursifs, des oprations discursives dfinies en termes de contraintes ou reprsentes par des mtacatgories discursives (ARGUMENTATION, D ID A CTICIT, DIALOGICIT , R E N V O I...) .

    Lapprhension du niveau discursif pose des problmes spcifiques en philosophie. Nous voudrions en voquer quelques-uns. Les sujets parlants, mme sils ont une activit de commentaire sur leur propre activit langagire (reformulations, mta-noncs relevant dune activit qualifie par A. Culioli dpilinguistique), ne passent pas leur temps, sauf sils sont linguistes ou professeurs de langue, introduire explicitement les catgories grammaticales ou les rgles smantiques qui gouvernent leur production verbale. De la mme faon, maie c est dj moins vrai pour les discours de transmission de connaissance ou de vulgarisation (Beacco- Moirand, 1995), lutilisation du discours ne suppose pas en permanence une explicitation de ses conditions de fonctionnement, mme sil est vrai que la recherche dune entente par exemple, oblige au cours dun change rechercher des ajustement en explicitant certains postulats conversationnels. En philosophie, ce travail est constant, celui qui dfinit dit quil dfinit, celui qui dmontre non seulement le dit et en disant le donne croire, mais souvent explicite ce quil entend par dmonstration. Cela introduit une difficult particulire parce quil sera difficile de bien distinguer la reprsentation mtadiscursive de ces oprations de leur dnomination a dfinition en contexte par le philosophe. Pourtant, il faut intger cette activit mtadiscursive du philosophe lanalyse, en mettant en vidence la part des procds qui sont gnraux, et en dlimitant exactement leur part et leur degr d'implication dans les contenus doctrinaux : tous les philosophes utilisant le support

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  • lu livre recourent au systme du blanc typographique, et souvent numrotent des rgions de texte ou les associent des titres. Pourtant, ce systme peut prendre une valeur signifiante ou non, en vertu des contenus. Ainsi lutilisation de structures de numrotation ternaires chez Hegel (par exemple dans / Encyclopdie des sciences philosophiques) est lie au rythme du procs dialectique dont il rigidifie ici lexposition pour des raisons didactiques. De la mme faon, comme le montre ici K. Ehlich, le fonctionnement du rgime anaphorique chez le mme auteur rpond aux mmes contraintes que dautres niveaux macro-contextuels de lexpressivit hglienne.

    Une seconde remarque a trait la distinction et la porte des oprations discursives. On peut, lorsquon labore un modle, distinguer abstraitement des oprations, examiner leurs rgles de compatibilit, mais ltude suivie et dtaille des textes montre quelles sont toujours lies, que les mmes oprateurs linguistiques concourent simultanment leur mise en uvre. Ainsi un renvoi peut fort bien simultanment permettre une conomie en vitant la rptition, consolider une thse, et renforcer la systmatisation doctrinale. Nous avons montr propos de Platon, Descartes, Spinoza ou Hume, que les tches dargumentation, dexplication, dinitiation sopraient simultanment, selon des modalits toujours diffrentes chez chaque auteur, en fonction dune vise privilgie selon les thses philosophiques soutenues. Enfin, la porte de ses oprations pose des problmes dchelle et de dcoupage. En effet, le discours construit son propre espace-temps mesure quil se dveloppe linairement, ce qui oblige travailler aussi bien en micro-contexte quen macro-contexte. On peut isoler une squence dfinitionnelle ou consacre la description dun cas particulier, mais nombre de processus se dploient transversalement sur un texte entier. Ainsi, limiter par exemple ltude dune mtaphore dans une uvre de Kierkegaard un passage donn, empchera de remarquer la prgnance significative de certains thmes mtaphoriques que seule lanalyse du texte entier permet de comprendre.

    3 . Hirarchisation des catgories

    Pour commencer clarifier quelque peu la complexit des oprations discursives, on peut distinguer les quatre niveaux o elles oprent en leur associant les catgories qui permettent de les reprsenter.

    (1) Catgories permettant de dsigner les phnomnes de construction des noncs.

    Il sagit ici de cerner des oprations syntaxiques et smantiques qui ne sont pas spcifiquement transphrastiques, mais entrent dans la composition des oprations de niveau discursif : proprits lexicales, nominalisations, passivations, phnomnes de focalisation et de reprage, valeurs aspectuelles, dictiques, anaphores. Ces catgories renvoient la langue pour autant quelle structure tout discours : elles prennent en considration des mcanismes de reprage fondamentaux, dans la mesure o larticulation entre la prdication et lnonciation est effectue leur niveau. La linguistique culiolienne est un cadre satisfaisant pour leur traitement (Culioli, 1990). A la limite, ce niveau ne concerne que lanalyse interne des noncs, mais on voit bien que les relations transphrastiques le supposent ncessairement, puisque la rptition dun syntagme nominal, lintervention dun relatif ou de tout autre anaphorique par exemple, permet dengendrer une trame nonciative complexe, homogne dans la mesure o elle construit sa propre cohrence (suivi isoto

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  • pique, cohrence smantique, harmonisations des marques morpho-syntaxiques), ou la modifie par variations, ruptures, changement dembrayage ou de rgimes smantiques.

    (2) Catgories gnrales permettant de dcrire la mise en discours.

    Un faisceau doprations syntaxico-smantiques concourt la construction doprations ncessaires toute mise en discours, et qui interviennent donc pour her les noncs dans lorganisation du discours, indpendamment des considrations de vise, ou de genre. Les catgories de ce niveau dsignent des phnomnes, qui certes peuvent tre reprs ponctuellement travers les traces des oprations linguistiques qui les mettent en uvre, mais se caractrisent avant tout par le fait quils contribuent la construction de la trame mme du discours. Tout discours utilise des repres nonciatifs, aspectuels, dictiques, dtermine des zones et des squences articules selon des modes de relation qui font dune production orale ou dun texte un espace/temps susceptible dtre parcouru et dentrer dans un mcanisme de bouclage fait de rtroactions et danticipations. On trouve la position des repres nonciatifs rglant la distribution de la parole et lattribution du dire, rendant possible lmergence d un cadre d espace/tempe spcifique qui prend la forme gnrale dune scne (cf. Cossutta, 1989) o viennent sinscrire les vnements du discours. Tout discours, pour autant quil a ncessairement un destinataire (son absence apparente tant un cas limite), construit une image de sa destination, et on peut lgitimement regrouper tous les traits grce auxquels cette fonction est remplie... On examinera galement la position des systmes rfrentiels : rfrence et co-rfrence, anaphore textuelle. Nous dsignons par ce terme tous les phnomnes de relayage et de renvois grce auxquels un discours, un texte peuvent se rfrer eux-mmes (simple systme de grille numrique, ou renvois labors laide de dictiques). On relvera enfin les oprations qui concourent la position thmatique, l obtention dune cohrence textuelle assurant la fois une identit travers la variation, et autorisant lapport dinformations nouvelles par rapport un repre constituant le fond identique du propos.

    (3) Catgories gnrales permettant didentifier de grandes contraintes discursives.

    Les oprations prcdentes constituent des supports ou des cadres pour la mise en place doprations discursives plus complexes : le discours quel quil soit obit des vises qui sont lies simultanment aux conditions du traitement de son objet, et aux conditions de son inscription dans le procs de communication. Nous appelons contraintes du discours les macro-oprations qui lui permettent de prendre une configuration dtermine en visant une fin : tantt il transmet une information, tantt il la rlabore, la critique, lexphque, mais il peut galement viser par des prescriptions, des conseils, des souhaits, modifier lattitude du destinataire. Enfin il peut proposer un univers de sens qui nest pas destin directement vhiculer un contenu informatif, ni modifier nos attitudes, comme c est le cas dans la fiction ou pour lexamen dune hypothse. Ces oprations gnrales, rpondant aux vises du discours, ne sont pas spcifiques dun type de discours, mme si leur prvalence peut contribuer spcifier des genres : les oprations didactiques, argumentatives, pdagogiques, dialogiques, polmiques, tantt interviennent de faon localise, tantt donnent au discours sa coloration prvalente. On peut ainsi distinguer un passage dialogu dun dialogue. Il y a des aspects didactiques dans dautres productions que

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  • celles qui, comme les manuels scolaires, sont rgies par cette contrainte. Ainsi on dcrira sous ces catgories les grands principes de structuration du discours, sans prjuger des types ni des genres quils permettent dlaborer. On mettra ainsi en vidence la prsence des schemes organisateurs de la prsentation des contenus (structures narratives, schma de composition).

    (4) Catgories spcifiantes, permettant de dsigner des fonctions particulires unmode de discours ou de dfinir des types de discours.

    Ces catgories dsignent des oprations qui, tant par la nature du travail rfrentiel portant sur la constitution du domaine dobjet que par la nature du procs de mise en relation des nonciateurs entre eux ou aux noncs, contribuent la constitution de formes expressives dotes de caractristiques distinctives plus ou moins stables. Ainsi il est vrai par exemple que la contrainte didactique, l obligation de procder des renvois internes, ou les procds de focalisation peuvent jouer un rle dans toutes les productions discursives ; mais un discours sera didactique sil est structur par des oprations qui le spcifient comme tel (rptition, emplois particuliers des tournures personnelles, formes dadresse, recours lexemplification). Mais sil est possible de reprer des contraintes spcifiquement didactiques, un discours nest pas didactique en soi. Il est construit comme tel travers dautres systmes de contraintes : la transmission de connaissances dans une communaut de spcialistes, la vulgarisation scientifique, la relation pdagogique, le manuel de philosophie, croisent la didacticit avec dautres contraintes qui les spcifient comme situation communicative, comme type de discours ou comme genre. On peut se demander si les diffrents types de discours ont une faon identique de mettre en uvre les mmes contraintes, ou sils construisent chaque fois des contraintes spcifiques, comme semblent lattester pour la philosophie les contributions ici rassembles qui portent sur lemploi du pronom la premire personne.

    4 . Construction d un modle de l appareil de l nonciation philosophique

    Nous avons dfini des niveaux opratoires et des types doprations, et leur avons associ des catgories qui en permettent une reprsentation mtadiscursive. Nous en avons voqu quelques-unes, mais sans faire linventaire complet des oprations constituantes de la discursivit philosophique. Il faut pour cela construire un modle thorique qui, respectant les niveaux qui viennent dtre dfinis, permette de dnombrer et dassocier les oprations qui en contraignent la mise en discours et en dfinissent progressivement la spcificit. La particularit du philosophique tant de reprendre les oprations qui dterminent sa constitution discursive (instituante et instauratrice), en les (re)catgorisant conceptuellement, on pourra ds lors leur associer leur forme transpose. Ainsi en philosophie les repres nonciatifs, effacs sous le procs de pense objectiv, ou exhibs, assums la premire personne, ou associant les cononciateurs pour instaurer une relation avec un interlocuteur suppos, conjugus avec dautres oprations du niveau prcdent contribuent spcifier la figure de lAuteur, ou du Philosophe tel quil est dessin dans lespace scnique ainsi instaur, tout comme celle du Destinataire. Sur chacune des places et des relations de lappareil nonciatif sont construites les fonctions majeures qui concourent, pour la philosophie par exemple, la mise en uvre du procs de pense qui structure la prsentation de la doctrine.

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  • Nous avons prsent ailleurs de faon dtaille un tel modle auquel nous nous permettons de renvoyer (Cossutta, 1994c et 1989). Nous privilgierons plutt lexamen dun exemple, qui permettra de voir comment on peut croiser lanalyse de certaines oprations discursives en procdant lexamen de leur mise en uvre dans un texte philosophique. Observons la faon dont les oprations de renvoi, que nous avons voques plus haut titre dexemple, contribuent la structuration de lexposition dmonstrative et didactique dans lEthique de Spinoza.

    I II . Anaphore textuelle, contraintes didactiques et systm aticit : 1 Ethique de Spinoza

    1. L anaphore textuelle et la construction de leapace-temps discursif

    Il conviendrait de parler de procds diaphoriques, mais, ne tenant pas compte ici de la distinction entre anaphore et cataphore, noue dsignons par ce terme les oprations de reprise ou danticipation dun terme dans la chane du discours. Les oprateurs linguistiques de lanaphore sont multiples : substituts pronominaux (pronoms dmonstratifs, pronoms personnels la troisime personne, pronoms relatifs), verbes, adverbes voire adjectifs anaphoriques. Ils offrent une srie de mcanismes qui, permettant la fois une translation et un transfert de sens, interviennent dans la construction doprations plus globales qui ont pour fonction dassurer au niveau du discours la translation et le transfert de sens. Nous dsignons, rappelons-le, cette opration gnrale parle terme d anaphore textuelle . L Anaphore linguistique nopre pas seulement au niveau de la phrase, mais elle contribue, avec dautres phnomnes, paraphrasages, redondances, itrations, produire une trame complexe qui joue la fois squentiellement et pour ainsi dire synoptiquement, puisquelle maille les noncs dans un filet plus ou moins dense de boucles de rtroaction ou danticipation. Mais cette anaphore micro-contextuelle, si elle assure un suivi et une cohrence interphrastique, a ncessairement une porte limite. Elle doit donc tre relaye par des oprateurs qui vont jouer un rle analogue, mais cette fois en portant sur des groupes dnoncs plus importants, et surtout en reliant des lments appartenant des phrases disjointes. L anaphore textuelle joue un rle considrable pour la cohrence thmatique et smantique, puisquelle assure la continuit interphrastique dun sens qui est en quelque sorte transport en mme temps quil est retravaill (changement de focalisation, etc.). Elle joue galement un rle dterminant dans la constitution de lespace-temps textuel, puisquelle assure un reprage interne et des renvois qui permettent de contrebalancer la linarit squentielle du discours par une mise en prsence quasi-simultane de tout ou partie du texte par rapport un de ses lieux/moments. Il ne sagit pas seulement dassurer le maintien ou la transformation dun niveau isotopique, mais de construire le texte comme son propre rfrentiel en lui associant des repres topologiques ou temporels. Cette opration est extrmement gnrale et joue un rle considrable dans toute lactivit langagire, puisquelle fait du texte sa propre mmoire, le constituant comme une archive que lon peut reparcourir sans fin, que lon peut la fois totaliser mesure quon en parcourt le chemin jusqu la fin, ou dans laquelle on peut se rimmerger si lon se rinscrit dans une des zones despace-temps qui le composent. Le texte est ainsi offert dans une disponibilit permanente qui louvre la lecture, lecture contrainte par les ciblages imposs et les renvois explicites, mais aussi lecture ouverte qui veut sy frayer son propre

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  • cheminement. Sans elle nous serions vous la fragmentation, limits des atomes de sens isols : toute activit discursive suppose la construction dun espace/temps homogne lintrieur duquel transitivit interne (enchanement des squences, isotopie, homognit identifie des contenus ) et tr ans ver s alit (rptitions distance de lidentique noms propres, systmes de dsignations etc. reprises, renvois, anticipations, bilan gnral) se croisent sans cesse grce aux anaphoriques textuels.

    La question du statut de cette catgorie ncessiterait une investigation beaucoup plus approfondie. Faut-il dsigner comme anaphore des phnomnes discursifs qui habituellement ne relvent pas de cette catgorie ? Tous les oprateurs mis en jeu pour cette constitution ntant pas des anaphoriques, faut-il largir ce point la catgorie danaphore, ou dsigner par un autre terme ces phnomnes si lon pense quils constituent une classe bien dfinie ? Faut-il y intgrer des phnomnes qui ne relvent pas de lnonciatif : grilles de numrotation et pages, oprateurs de mise en relation logique ? Par ailleurs cette question recoupe celle qui occupe la smantique (rptitions strictes par synonymie ou largissement en classes paraphrastiques) ? Est-il ncessaire de rappeler quil ne faut pas confondre anaphore et corfrence, cette dernire assurant aussi pour une part des effets de continuit smantique. Enfin, la continuit/cohrence globale est galement lie des systmes de contrainte qui mettent en forme le discours selon des structures prconstruites : structures prosodiques ou rythmiques, structures de genre : un roman, une pice de thtre obissent ou suscitent lattente de structures narratives ou dialogiques qui schmatisent lespace-temps du discours et contribuent la structuration de son univers interne. Nous ne pouvons entrer ici dans lanalyse de cette question, nous attachant seulement indiquer les caractristiques gnrales dune contrainte de mise en discours qui, pour la philosophie, joue un rle considrable.

    Si toute mise en discours, orale ou textuelle, suppose comme une de ses conditions fondamentales la possibilit de croiser continuit et renvois, tous les discours nen font pas le mme usage : coexistent des formes trs contraintes, et donc denses, et des formes lches et dispersives ct de formes quilibres, tant du point de vue squentiel que transversal : la prise en considration de la variation qualitative et quantitative de lanaphore textuelle permet une description fine de ce quon pourrait nommer mtaphoriquement le grain du texte. Mais il sagit moins ici dtablir des coefficients de densit ou de dispersion, que danalyser certains phnomnes structurels pour lexposition doctrinale dune philosophie : celle-ci doit pouvoir assurer son dploiement linaire selon un ordre squentiel contraignant, qui dtermine les phases de la lecture, mais doit aussi accomplir sa structuration en un corps dnoncs homognes. L anaphore textuelle accomplit donc une fonction de totalisation par laquelle le discours se rapportant lui-mme, ayant des limites, une aire propre lintrieur de laquelle sont dfinis topologiquement des rgions, temporel- lement des moments, peut oprer la systmatisation doctrinale, et rendre possible sa ractualisation par un lecteur.

    2 . Anaphore textuelle, didacticit et systmatisation de la doctrine spinoziste dans l'Ethique

    Nous voudrions montrer comment Spinoza doit rsoudre un problme dquilibre entre la construction de sa doctrine selon le point de vue de la vrit de lide adquate, et la ncessit de tenir compte des contraintes communicationnelles permettant doprer une conversion des lecteurs et duniversaliser son propos.

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  • Didacticit et Expressivit selon lordre rigoureusement dmonstratif semblent se contredire, et c est la densit des renvois internes du systme qui, accentuant son caractre hermtique, semble en rendre laccs impossible. Or nous montrerons au contraire que VEthique, en superposant des rseaux de renvois, en intriquant ainsi selon des rgles rigoureuses des strates discursives fonctionnant selon des rgimes nonciatifs diffrents, peut satisfaire simultanment les contraintes didactiques (expliquer), pdagogiques (convertir par lintriorisation comprhensive), dmonstratives (enchanement dductif des propositions).

    A) Forclusion systmique du pdagogique et paradoxes de lecture