Cheyn - Le Θυμός Et La Conception de l'Homme...

68
André Cheyns Le θυμός et la conception de l'homme dans l'épopée homérique In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 61 fasc. 1, 1983. Antiquité — Oudheid. pp. 20-86. Citer ce document / Cite this document : Cheyns André. Le θυμός et la conception de l'homme dans l'épopée homérique. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 61 fasc. 1, 1983. Antiquité — Oudheid. pp. 20-86. doi : 10.3406/rbph.1983.3406 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1983_num_61_1_3406

description

ssssss

Transcript of Cheyn - Le Θυμός Et La Conception de l'Homme...

  • Andr Cheyns

    Le et la conception de l'homme dans l'pope homriqueIn: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 61 fasc. 1, 1983. Antiquit Oudheid. pp. 20-86.

    Citer ce document / Cite this document :

    Cheyns Andr. Le et la conception de l'homme dans l'pope homrique. In: Revue belge de philologie et d'histoire.Tome 61 fasc. 1, 1983. Antiquit Oudheid. pp. 20-86.

    doi : 10.3406/rbph.1983.3406

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1983_num_61_1_3406

  • Le et la conception de l'homme dans l'pope homrique

    Andr Cheyns

    L'Iliade et Wdysse, attribues par la tradition Homre, figurent au nombre des monuments les plus illustres de la littrature universelle. Leur succs ne s'est pas limit au cercle restreint des artistes et des rudits ; elles ont encore sduit, travers l'enseignement de multiples gnrations de professeurs, tous ceux qui ne peuvent rester insensibles devant les ralisations les plus sublimes du gnie humain.

    Or, si Homre a conserv, tout au long des sicles, l'estime et la faveur d'un vaste public, c'est surtout parce qu'il a russi pntrer jusqu'aux rgions les plus secrtes et les plus intimes de la personne humaine, parce qu'il s'est appliqu dcrire les sentiments dans leur volution, depuis leur gense l'intrieur d'organes mystrieux jusqu' leurs consquences les plus tragiques.

    C'est dans cette sympathie pour la nature humaine, dans cette proccupation constante de sortir du cadre troit des aventures piques pour chercher dfinir les principes d'une conduite raliste, qui permette l'homme, sinon de vivre dans le bonheur, car telle n'est pas sa destine, mais du moins de rduire son lot de souffrances, que rside le vritable gnie d'Homre. Un tel esprit anime aussi bien YMade que l'Odysse, qui dvoilent deux aspects antithtiques du comportement humain.

    En effet, bien qu'on trouve dans l'Iliade des catalogues, des gnalogies et des rcits de combats sans grande originalit, on sait qu'il s'agit l uniquement de vestiges hrits d'une tradition sculaire ; ainsi que l'atteste le prologue, cette pope est tout entire organise autour de la colre d'Achille, passion violente et dmesure, que le hros entretient en lui avec un certain plaisir, sans prvoir les souffrances et les destructions qu'elle provoquera. En revanche, l'Odysse souligne, travers le rcit des aventures prilleuses d'un naufrag, qui rejoint sa patrie aprs une longue errance, mais doit y endurer de nouvelles preuves avant de vaincre ceux qui convoitent sa femme et son bien, les mrites d'un homme intelligent, avis et prudent, conscient des limites qui lui sont imposes et soucieux de respecter les droits de chacun, modeste dans les victoires, car il sait qu'aucune

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 21

    entreprise ne russit sans le concours d'un dieu, mais capable, dans les difficults et les malheurs, de subir les coups du sort avec rsignation et d'attendre patiemment l'occasion favorable pour ragir. Telles sont les qualits qui ont permis Ulysse d'chapper aux dangers de la guerre et l'hostilit des prtendants. Dans Ylliade au contraire, Achille se laisse dominer par sa passion ; c'est pourquoi, il se condamne lui-mme prir devant Troie.

    Pour bien comprendre ces deux popes et les apprcier leur juste valeur, il importe donc d'acqurir une connaissance exacte du vocabulaire psychologique de leur auteur. Il convient notamment d'lucider un ensemble de notions qui taient destines fournir une rponse aux problmes poss par le comportement humain : il s'agit des principes qui gouvernent les activits psychiques et des parties du corps investies, dans ce domaine, de certaines fonctions.

    Une dizaine de termes rpondent aux conditions ainsi dfinies : (m.) ; (.) ; (f.), moins frquent au singulier qu'au pluriel ; (f.), attest uniquement au pluriel dans l'pope homrique ; (.) ; (.) ; (f.) ; (.), usit le plus souvent au pluriel ; (m.) ; (.) ('). Parmi eux, mrite une attention toute particulire ; il se distingue en effet de tous les autres par le nombre lev de ses emplois (environ 750), la complexit des notions qu'il exprime et la position centrale qu'il occupe l'intrieur du systme. Nous voudrions tout d'abord, dans le prsent article, rsumer les diffrentes opinions qui ont t formules son sujet et ensuite, examiner un certain nombre de questions auxquelles la recherche moderne n'a pas fourni de rponse complte et dfinitive. Cette investigation nous conduira proposer sur plusieurs points des

    (1) Signalons que pour Homre, la est dpourvue de toute activit dans l'homme vivant. Elle demeure assez mystrieusement en lui tant que dure la vie terrestre, mais quand la mort survient, elle s'chappe et prolonge son existence dans l'Hads. - Le mot , considr comme un synonyme de , mais qui dsigne plus prcisment la partie suprieure de la poitrine, n'est employ qu'une seule fois pour dcrire une raction psychologique, en l'occurrence la terreur prouve par le guerrier peureux quand il se tient en embuscade : / son cur martle durement le haut de sa poitrine, car il pense la mort (il., XIII, 282-283); comparez avec //., X, 94 : mon cur bondit hors de ma poitrine et //., XXII, 451-452 : ' $ v mon cur, tourbillonnant dans ma poitrine, saute jusqu' mes lvres. La valeur spcifique de est encore nettement souligne dans les emplois de l'expression , qui dsigne la partie infrieure de la poitrine, alors que voque l'ensemble du thorax : II., IV, 106-108 ; XI, 842 ; Od., V, 346, 373. En //., III, 194, Priam distingue Ulysse d'Agamemnon en disant que le premier est plus petit que le second, mais qu'il est en revanche plus large d'paules et de carrure : ' , cf. //., II, 479. Notons enfin que , contrairement , n'voque jamais la poitrine d'une femme.

  • 22 A. CHEYNS

    solutions originales, qui permettent, croyons-nous, de mieux comprendre les emplois homriques de , de jeter une lumire plus vive sur les notions qu'il exprime et de cerner plus troitement les valeurs qui l'opposent ses synonymes.

    L'tymologie met en rapport avec l'ide de mouvement. Selon Boisacq, ce terme serait apparent skr. dhmah, lat. fiimus, v. slave dym, lit. d mai, fume, vapeur, grec 2 (qui a la voyelle du radical brve ou longue) brler des offrandes, d'o offrir un sacrifice en gn. ; il serait donc issu d'une racine i.-e. dheu-, dheud- tre anim d'un mouvement vif, tourbillonner, comme p. ex. la fume ou la^poussire. L'existence d'un verbe brler des parfums ; produire ou exhaler de la fume serait un argument l'appui de cette affirmation, condition de supposer que a perdu le sens physique de fume et n'a conserv que celui de mouvement pour dsigner la force vitale (2). Pokorny et Frisk partagent cette opinion (3). Chantraine estime au contraire que cette etymologie ne convient pas au sens de et propose un rapprochement avec 1 (qui a la voyelle du radical toujours longue) bondir, s'lancer avec fureur (4).

    Selon certains, il n'y aurait eu l'origine qu'un seul verbe , qui associait l'ide de fume, vapeur celle d'un mouvement rapide. Dans la suite, on aurait distingu, d'une part 1 bondir, se dmener, s'agiter et de l'autre, 2 brler les prmices (afin qu'elles parviennent aux dieux sous forme de fume), d'o sacrifier, immoler dans un sens plus gnral (5). Chantraine n'admet pas cette origine commune, qui n'est d'ailleurs pas mentionne par Bailly (6).

    (2) E. Boisacq, Dictionnaire tymologique de la langue grecque, 4e d., Heidelberg, 1950, s.v. .

    (3) J. Pokorny, Indogermanisches etymologisches Wrterbuch, Berne, Munich, 1959, p. 261 ; H. Frisk, Griechisches etymologisches Wrterbuch, Heidelberg, 1960-1970, s.v. ; cf. aussi . Walde - J. B. Hofmann, Lateinisches etymologisches Wrterbuch, 4. Aufl., Heidelberg, 1965, s.v. fumus.

    (4) P. Chantraine, Dictionnaire tymologique de la langue grecque, Paris, 1968-1980, s.v. ; cf. aussi A. Ernout-A. Meili et. Dictionnaire tymologique de la langue latine, 4e d., Paris, 1959, s.v. fumus.

    (5) E. Boisacq, op. cit., s.w. 1 et 2 ; J. Pokorny, op. cit., p. 261-263 ; H. Frisk, op. cit., s.w. 1 et 2 ; Liddell-Scott, with a supplement edited by . . Barber, Oxford, 1968, s.w. A et ; R. Renehan, Greek lexicographical Notes I, Gottingen, 1975, s.v. . - Pour les significations et les valeurs de 2 sacrifier, cf. J. Casabona, Recherches sur le vocabulaire des sacrifices en grec des origines la fin de l'poque classique. Aix-en-Provence, 1966, p. 69-85 ; 327-348.

    (6) P. Chantraine, op. cit., s.w. 1 et 2 ; Bailly, dition revue par L. Schan et P. Chantraine, Paris, 1950, s.w. 1 et 2.

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 2 3

    On pourrait justifier le rapprochement de avec skr. dhiunah en dmontrant qu' date ancienne, les Grecs se reprsentaient la force vitale comme une sorte de vapeur qui se diffuse dans l'organisme tout entier ou dans certaines de ses parties. Cependant, aucun contexte de ne confirme explicitement cette hypothse. A notre connaissance, un seul passage est susceptible de reflter une telle conception ; il s'agit de//., XVIII, 108-1 10, o Achille dplore, aprs la mort de Patrocle, que la colre () soit pernicieuse au point d'garer l'esprit d'un homme raisonnable : elle s'lve, telle une fume, dans sa poitrine et lui parat plus agrable que le miel (7). Quelques autres contextes peuvent tre interprts dans ce sens, mais ils ne permettent pas de conclusion certaine (8).

    D'autre part, la seconde etymologie n'est pas plus conforme que la premire aux significations attribues dans l'pope homrique. En effet, bien que ce terme y dsigne souvent une force intrieure assez puissante pour influencer le comportement, il ne contient que rarement, en dfinitive, l'ide de violence qui est toujours prsente dans le verbe 1 (9). On a ici un exemple des dangers

    (7) xai , ' ,

    (8) Par exemple //., IX, 646-647, o Achille exprime aux ambassadeurs d'Agamemnon sa dtermination de se retirer des combats, car son cur se gonfle de colre quand il se souvient du traitement injurieux que l'Atride lui a inflig devant toute l'arme : ' ' . Plus loin (vers 678-679), aux questions angoisses d'Agamemnon qui l'interroge sur le rsultat de l'entrevue, Ulysse rpond que, loin d'teindre sa colre ( ), Achille est encore davantage rempli de et s'obstine dans son refus. Ailleurs, ce sont plus prcisment les qui s'emplissent de fureur ( en //., I, 103-104 = Od., IV, 661-662) ou de force ( et en //., XVII, 499 ; en //., XVII, 573).

    (9) Dans les emplois homriques de 1 , l'ide prdominante est celle d'une force qui se manifeste avec une violence peu commune. Il peut s'agir d'un guerrier qui charge en frappant de tous cts et tue ainsi un grand nombre d'ennemis (IL, XI, 180 ; XVI, 699 ; XXII, 272), ou d'un vent qui souffle en tempte (Od., XII, 400, 408, 426), ou de la mer qui s'agite dans un bouillonnement d'cume (IL, XXIII, 230 ; Od., XIII, 85), ou encore des flots du Scamandre qui s'abattent, gonfls de colre, sur Achille (IL, XXII, 234, 324). En //., I, 342, Achille emploie ce verbe au sens figur en parlant d'Agamemnon, qui est ce point aveugl par la passion qu'il ne se rend pas compte que, sans le concours du plus fort de ses allis, il est incapable de vaincre les Troyens ; c'est pourquoi, on rencontre ici le mot ( ' , / ...). Enfin, pour ce qui est des trois passages de l'Odysse dans lesquels figure le syntagme ' (XI, 420; XXII, 309 = XXIV, 185), nous estimons, contrairement l'avis gnral, qu'ils offrent un exemple de la signification primitive et profane de 2 fumer). Homre y dcrit chaque fois un massacre, celui d'Agamemnon et de ses hommes ou celui des prtendants, et il faut comprendre, selon nous, que le sol tout entier exhale la vapeur du

  • 24 A. CHEYNS

    auxquels s'exposent les tymologistes qui ne tiennent pas suffisamment compte de la diachronie sur le plan smantique. La parent de et de 1 bondir a t suggre pour la premire fois par Platon dans le Cratyle, 419 e : : Thumos devrait son nom tluisis, c'est--dire au bouillonnement de l'me (10). Signalons par parenthse que l'emploi de comme synonyme de n'est attest que dans ce passage et n'a laiss aucune autre trace dans la littrature grecque (M). En raison du prestige de Platon, cette etymologie a t gnralement admise dans l'Antiquit (12). Toutefois, il est vident qu'elle tait destine justifier la place bien particulire que Platon rservait au dans son systme philosophique ; en effet, il insistait prcisment sur le caractre fougueux, agressif et irrationnel de cette partie de l'me (13). Homre au contraire attribuait ce principe des fonctions beaucoup plus tendues. Les Anciens taient bien conscients de cette diffrence, ainsi que le rvle notamment la notice de YEtymologicon Magnum :

    sang vers et non que des flots de sang se rpandent partout sur le sol. En effet, le sujet de est, non , mais sol, plancher. Les traductions qui introduisent ici l'ide d'un bouillonnement doivent donc tre cartes, p. ex. Liddell-Scott, s.v. ; R. J. Cunliffe, A Lexicon of the Homeric Dialect, Londres, Glasgow, 1924 (editio stereotypa, Norman, 1963), s.v. 1 ; W. B. Stanford, The Odyssey, 2nd ed., Londres, 1965-1974, I, p. 396 ; M. Dufour-J. Raison, Homre. L'Odysse, Paris, 1935, 11. cc. ; V. Brard, L Odysse, posie homrique, 2e d., Paris, 1933, XXII, 309 et XXIV, 185, mais non XI, 420, o il crit le sol fumait de sang.

    (10) Le caractre imptueux et dsordonn du principe appel est encore mis en vidence dans le petit trait des Dfinitions, joint l'uvre de Platon dans les manuscrits, mais qui est en ralit une compilation tardive : Le thumos est un lan violent et irrflchi de l'me prive de raison (415 e).

    (11) Bailly, s.v. 1 relve deux occurrences tardives de ce terme dans le sens de sacrifice.

    (12) Cf. Eustathius Thessalonicensis, Commentant ad Homeri Iliadem, edidit M. van der Valk, Leiden, 1967-..., 8, 20 et sv. ; Etymologicum Gudianum, edidit Fr. G. Sturzius, Leipzig, 1818 (editio stereotypa, Hildesheim, 1973), s.v. (deux notices) ; I. Zonaras, Lexicon, edidit H. Tittmann, Leipzig, 1808 (editio stereotypa, Amsterdam, 1967), s.v. ; Porphyrius, Quaestionum Homericarum ad Iliadem Pertinentium Reliquiae, edidit H. Schrader, Leipzig, 1880, p. 308-309 ; J. A. Cramer, Anecdota Graeca e Codd. Mss. Bibl. Regiae Parisiensis, Oxford. 1839-1841, III, p. 312 ; etc.

    (13) Pour PlatonJe est utile dans la mesure o il se laisse guider par l'me raisonnante et la soutient dans sa lutte contre les passions ; mais s'il agit de sa propre initiative, sans tre matris par l'me dirigeante, il ne peut que s'garer et commettre les pires excs: cf. notamment Time, 70 b-c ; Rpublique, IV, 436a-441 c; IX, 586 c- 587 a ; Lois, IX, 863 a-864 a ; 866 d-867 d ; XI, 933 e-935 c.

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 25

    : ' , ' , .

    , , ' , ' (/., V, 155). ' , {Od., IX, 302), , , (//., IX, 255-256) , (//., II, 196), /^ xai , , , ) (). , , (5).

    Plus intressante que l'tymologie partir de * ( + ) est la suite du texte, dans laquelle les significations homriques de sont dfinies par rapport la thorie platonicienne des parties de l'me, tellement connue que le nom du philosophe n'est mme pas mentionn. On y voit par quelques exemples que le Pote employait indistinctement ce terme pour exprimer des notions qui, partir de Platon, ont t soigneusement diffrencies : 1 ) l'me dans son ensemble ; 2) () ( = , ) la partie raisonnante de l'me; 3) ( = ) le principe irascible; 4) ( = ) l'me passionnelle O6). La cinquime acception, celle de concorde, union, harmonie, a t ajoute tort, car il s'agit plutt, chez Homre, de la ralisation, dans certains contextes particuliers, d'un sens plus

    (14) Ce vers n'est pas attest sous cette forme dans la posie homrique ; on le rencontre avec le participe au fminin en Od., V, 126 : xai . En revanche, le premier hmistiche, tel qu'il est cit ici, apparat en //., IX, 598 : ' .

    (15) Etymologicon Magnum, edidit Th. Geisford, Oxford, 1848 ieditio stereotypa, Amsterdam, 1962), s.v. . - Le dernier exemple doit tre une citation errone de Od., Ill, 128 : ' xai (). Au vers 122 de la Thogonie d'Hsiode, on trouve le second hmistiche l'accusatif aprs la csure trochaque : xai .

    (16) Cf. aussi Scholia Graeca in Homeri Illadem, edidit G. Dindorf, Oxford, 1875- 1877, I, p. 30 ; III, p. 37 ; P. Matranga, Anecdota Graeca, Rome, 1850, II, p. 372 et p. 383, o figure le nom de Platon ; Scholia In Homeri I Hadern, edidit L. Bachmann, Leipzig, 1835. p. 23 ; J. Tzetzes, apud L. Bachmann, op. cit., p. 797, qui signale en outre qu'Homre emploie souvent le mme terme pour dsigner un ensemble et ses diffrentes parties.

  • 26 A. CHEYNS

    large, dans lequel se dfinit comme le principe du comportement en gnral (n).

    Une seule conclusion s'impose : les significations de dans la posie homrique ne confirment aucune des deux etymologies proposes, car elles ne comportent ni la notion de fume, voque par 2 ni celle de mouvement imptueux, prsente dans 1 . L'identit possible, mais non prouve, de ces deux verbes une date plus ancienne ne change rien au problme.

    Les dictionnaires nous enseignent que dsigne l'nergie vitale, le principe de toute activit du corps ou de l'esprit, ainsi que la rgion du cur, considre comme le sige de l'ensemble des phnomnes psychiques. Ils prcisent ensuite que ce terme est employ de prfrence pour traduire les mouvements tumultueux de l'me, les sentiments violents et passionns, qui peuvent entrer en conflit avec la raison. Ils signalent enfin que a parfois pour fonction d'voquer la personnalit, le caractre, ou de souligner qu'une raction psychique ne se manifeste pas extrieurement C8).

    Parcourons prsent les ouvrages qui traitent de la psychologie homrique. C. W. Halbkart estime que correspond au lat. animus : Agit omnia, quae animus agere solet : primo vult, apptit aversaturque ; deinde cogitt, recordatur, obliviscitur ; denique corpus animt, cui decedens mortis est causa (I9). Pour C. G. Helbig, , apparent s'lancer, a dsign tout d'abord l'me soumise un mouvement violent. Il a voqu ensuite la volont, puis la facult de penser, enfin le principe de la vie corporelle (20). K. F. Ngelsbach dfinit comme le

    (17) Le syntagme s'emploie quatre fois propos de guerriers qui agissent ensemble, comme un seul homme, dans une situation donne (//., XIII, 487 ; XV, 710 : XVI, 219 ; XVII, 267). On trouve encore, avec le mme sens, l'expression (), qui s'applique aux deux Ajax (II., XIII, 704 ; XVII, 720). En Od., Ill, 128, l'accent est mis sur l'activit intellectuelle : Nestor et Ulysse s'entendaient toujours merveille pour dfendre un projet utile tous les Achens ; c'est pourquoi, est ici en relation avec et .

    (18) H. Estienne, Thesaurus G raecae Linguae, ediderunt C. B. Hase .... Paris, 1831- 1865, s.v.; Baii.i.y, s.v.; Liddei-I.-Scott, s.v.; G. Crusius-C. CapeM-E, Vollstndiges Wrterbuch ber die Gedichte des Homeros und der Hrnenden, 9e d., Leipzig, 1889, s.v.; G. Autenrieth-A. Kaegi, Schulwrterbuch zu den Homerischen Gedichten, 13. Aufl., Berlin, 1920, s.v. ; R. J. Cunuffe, op. cit., s.v.

    (19) C W. Haibkart, Psychologia Homerica, Zullichau, 1796, p. 6-9. (20) C. G. Helbig, Dissertatio de VietVsu Vocabulorum , similiiimque apud

    Homerum, Dresde, 1840. p. 18-26.

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 27

    principe incorporel de la vie psychique ; il l'oppose ainsi, d'une part , qui dsigne le principe corporel de la vie psychique, et de l'autre , qui voque le principe de la vie vgtative. Il ajoute que tait usit de prfrence pour exprimer la force des sentiments et des passions, ainsi que le montre sa parent avec 1 s'lancer, s'agiter, bouillonner (21).

    Dveloppant la thorie de Ngelsbach, . Buchholz se reprsente le comme le principe incorporel des activits psychiques, une sorte de fluide impalpable, concentr dans la rgion du cur et des diaphragme, et transport de l par le sang travers tout l'organisme. Le sens de force vitale est donc driv du prcdent. L'volution est facile comprendre : lorsque le est agit par une motion violente, l'acclration des mouvements respiratoires et des pulsations cardiaques, que l'on observe alors, donne l'impression qu'en mme temps, l'nergie vitale contenue dans l'organisme devient plus intense. C'est ainsi que le , principe de la vie psychique, a t confondu avec la , principe de la vie vgtative (22).

    Dans un article tomb malheureusement dans l'oubli, C. F. Keary exprime l'opinion que les phnomnes de la vie affective ou mentale, tels que la joie, la tristesse, la colre, le plaisir, la pense, qui sont pour nous des notions abstraites, taient pour Homre des ralits concrtes, qui prenaient possession de l'homme, ou plus exactement de son , ainsi que les maladies s'emparaient de son corps. Le s'identifie donc en quelque sorte l'homme vivant et termine avec lui son existence, au contraire de la , qui subsiste dans l'Hads. Keary accorde cependant que le tait parfois considr comme distinct de l'individu, qui n'hsitait pas le combattre en certaines circonstances. De telles incohrences rvlent, selon lui, que la posie homrique ne reflte que des conceptions psychologiques rudimentaires (2).

    W. Schrader diffrencie de en prcisant que le premier est surtout en relation avec les sentiments et la volont, alors que le second voque principalement la facult de rflchir, de raisonner. Il ajoute que traduit galement la notion de vie personnelle. La cause de cette volution serait celle- ci : l'homme a l'impression que ses ractions motives lui sont plus personnelles, contribuent davantage le distinguer des autres, que ses activits intellectuelles.

    (21) K. Fr. von Naegelsbach, Die Homerische Theologie in ihrem Zusammenhang dargestellt, 3. Aufl. bearbeitet von G. Autenrieth, Nuremberg, 1884, p. 334-340. - Cf. aussi J. . Friedreich, Die Realien in der Iliade und Odyssee, 2. Aufl.. Erlangen, 1856, p. 139-141.

    (22) E. Buchholz, Die Homerischen Realien, Leipzig, 1871-1885, III/2, p. 4-30. (23) C. F. Keary, The Homeric Words for Soul, in : Mind, 6 (1881), . 471-483.

  • 28 A. CHEYNS

    diriges vers l'abstraction et la gnralisation. C'est donc tout d'abord en considrant leurs sentiments que les personnages d'Homre ont eu conscience de leur individualit, d'o l'extension smantique de (24).

    Sous l'influence des thories concernant les mentalits primitives, T. Gomperz a cru pouvoir affirmer que dsignait l'origine la vapeur du sang qui jaillit d'une blessure (2). P. Justesen, au contraire, dfinit le comme l'air qui est entr dans les organes de la respiration (26).

    S'inspirant des ides de Gomperz, F. Ruesche soutient que et ont dsign tout d'abord une ralit matrielle : le premier, la vapeur du sang ; le second, l'air qui pntre dans les poumons. Il admet cependant que les contextes homriques ne permettent pas de maintenir cette distinction. D'autre part, le sang qui s'coule d'une blessure et l'air qui s'chappe des poumons, librement, comme notre insu, reprsentaient pour le hros homrique, selon Ruesche, des forces indpendantes et spontanes, de mme nature que celles qui s'emparaient de lui quand il prouvait certaines affections psychiques. Au surplus, il avait observ qu'une perte abondante de sang abolissait pour un temps la vie consciente et aussi, qu'une motion violente provoquait un drglement de l'activit respiratoire. Il en a tout naturellement conclu, poursuit l'auteur, que le et la exeraient une fonction essentielle dans le domaine de la vie psychique. A ce point de l'volution, une distinction importante s'est introduite : alors que l'existence du continuait dpendre de la vie corporelle, la ne devenait vraiment elle- mme qu'aprs la mort (27).

    R. Onians dfend une position qui n'est pas trs loigne de celle de Ruesche ; il dfinit le comme la vapeur issue de la rencontre de l'air et du sang. Cette nergie n'entretient pas seulement les activits physiologiques ; elle est aussi l'origine de toutes les manifestations de la vie psychique (28).

    J. Boehme estime que s'applique l'ensemble des activits psychiques, mais plus prcisment aux tendances instinctives et aux sentiments. Il affirme que ce terme n'a jamais t pourvu d'une signification matrielle, au contraire de par exemple, qui peut dnommer un organe corporel, en l'occurrence le

    (24) W. Schrader, Die Psychologie des altern griechischen Epos, in : Jahrbcher fr classische Philologie, 31 (1885), p. 145-176.

    (25) Th. Gomperz, Les penseurs de la Grce, traduit par A. Reymond, 3e d., Paris, 1928, p. 288-289.

    (26) P. Th. Justesen, Les principes psychologiques d'Homre, Copenhague, 1928, p. 17. (27) Fr. Ruesche, Blut, Leben und Seele, Paderborn, 1930, p. 23-50. (28) R. Omans, The Origins of European Thought about the Body, the Mind, the Soul,

    the World, Time and Fate, 2nd ed., Cambridge, 1954, p. 44-56.

  • LE 0VMOI ET LA CONCEPTION DE LHOMME 29

    diaphragme. Dans le domaine de la pense, voque le principe d'une connaissance intuitive et mle d'affectivit, alors que dsigne, au sens concret, l'instrument de la rflexion et du raisonnement, et, au sens abstrait, l'intelligence, surtout pratique, le jugement, la raison. D'autre part, Homre pouvait se servir de uniquement pour localiser un phnomne psychique, ainsi que le prouvent les nombreuses occurrences du datif locatif , souvent renforc par h (p. ex. , IL, XIV, 156 ; XXI, 423 ; XXII, 224 ; Od., VIII, 483, etc. ; , Od., I, 31 1 ; VIII, 395). Toutefois, ce terme est galement susceptible de dsigner un vritable principe des activits psychiques, notamment quand il apparat comme sujet de verbes qui expriment une motion ou un sentiment, alors que le nom de la personne est relgu au second plan, en gnral sous la forme d'un datif d'intrt (p. ex. ,., XIII, 494). Le est donc parfois identifi l'individu (p. ex. ' ,., VII, 1 73), mais il peut aussi en tre distingu, soit qu'il lui dicte des ordres (p. ex. . IL, VII, 68, 349, 369 ; etc.), soit qu'il s'oppose lui (p. ex. , IL, IX, 496). Boehme a encore observ qu'Homre emploie de prfrence quand il dcrit les sentiments qui animent le hros pique et qui se manifestent surtout dans les combats (courage, audace, fiert, fidlit, etc.). Il signale enfin que ne traduit pas exactement la notion de caractre, qui tait d'ailleurs inconnue d'Homre. Sans doute certains contextes laissent-ils entrevoir une signification qui s'en rapproche. Cependant, la plupart d'entre eux se rapportent une exprience isole et parfois mme exceptionnelle. Ainsi, en //., XIX, 216-237, Ulysse tente de modrer la fougue d'Achille, qui veut attaquer les Troyens immdiatement, afin de venger Patrocle, alors que les Achens, harrasss par les durs combats qu'ils viennent de livrer, aspirent quelque rpit ; il faut, dit-il, penser aux vivants et leur laisser le temps de prendre un repas, et non aux morts, tellement nombreux qu'on doit se rsigner les ensevelir d'un cur impitoyable, en limitant le deuil un seul jour : ' (vers 228-229). Quelques autres emplois mettent en vidence la manire dont un individu se comporte habituellement en telle ou telle occasion. En //., XVIII, 254- 283 par exemple, Polydamas conseille vivement aux Troyens de se rfugier l'abri des remparts, car Achille, qui manifeste toujours un emportement excessif, ne consentira pas combattre dans la plaine, mais s'efforcera par tous les moyens de prendre la ville d'assaut : , ' ... (vers 262-263). Il serait toutefois anachronique, selon Boehme, de confrer ici le sens de caractre. En effet, quand il prvoit la raction d'Achille, Polydamas tient compte uniquement des rsultats d'observations isoles, qu'il s'est born enregistrer, sans avoir essay de les systmatiser en vue

  • 30 A. CHEYNS

    de dceler les lments stables et distinctifs qui sont l'origine du comportement envisag (29).

    Parmi ceux qui associent la notion de souffle, il faut encore citer V. Larock : Le , c'est le souffle qui habite en nous, agit et oppress certains moments, parfois dfaillant, presque teint, le plus souvent rgulier et calme. Mais il s'empresse d'ajouter que chez Homre, le apparat trs souvent, soit comme une certaine force, qui anime la fois le corps et l'esprit, soit comme un vritable personnage log l'intrieur de l'homme (30). E. L. Harrison propose une dfinition qui s'carte quelque peu de celle de Larock : is not basically breath in any abstract sense, but the breath as it was affected in experience : in effect, then, abnormal breathing. Il concde volontiers, lui aussi, que cette signification fondamentale n'a laiss aucune trace dans la posie homrique. D'autre part, il s'intresse plus particulirement aux nombreux passages o le intervient dans une activit intellectuelle. Il en infre que ce principe ne se distingue pas essentiellement, ainsi que l'admet l'opinion courante, par son caractre irrationnel et spontan (31).

    Les diffrentes expressions homriques susceptibles de recouvrir la notion de caractre ont t examines par W. Marg, dont les conclusions rejoignent en grande partie celles de Boehme. L'auteur se propose de montrer que les emplois de et de ses synonymes qui peuvent tre interprts dans ce sens se rfrent toujours, soit une exprience dtermine, soit plusieurs observations isoles que l'esprit se contente de juxtaposer, sans chercher les mettre en rapport avec la nature profonde et immuable de l'individu, laquelle il n'accorde d'ailleurs aucune importance. Par exemple, en //., XXII, 337-360, Hector mourant supplie Achille de ne pas outrager sa dpouille, mais de permettre aux Troyens de l'ensevelir. Son adversaire refuse brutalement. Le fils de Priam alors se rsigne, car il ne pouvait s'attendre une autre rponse de la part d'Achille :

    ' , ' ' ' (32).

    Je te vois devant moi tel que je te connais ;je ne pouvais pas te convaincre, car tu as dans ta poitrine un thumos de fer.

    (29) J. Boehme, Die Seele und das Ich im Homerischen Epos, Leipzig, Berlin, 1929, p. 20-23 ; 70-83.

    (30) V. Larock, Les premires conceptions psychologiques des Grecs, in : Revue belge de philologie et d'histoire, 9 (1930), p. 381-385.

    (31) E. L. Harrison, Notes on Homeric Psychology, in: The Phoenix, 14 (1960), p. 65-72.

    (32) //., XXII, 356-357.

  • LE ET LA CONCEPTION DE LHOMME 3 1

    Marg estime qu'il ne s'agit pas ici d'un vritable trait du caractre d'Achille. Il faut comprendre, selon lui, que dans cette situation bien prcise, Achille ragit avec une duret excessive, qu'il a dj tmoigne en d'autres circonstances. Toutefois, il peut galement se montrer sensible et bienveillant, alors que la plupart des hros, dans une situation analogue, apparaissent aussi acharns et inflexibles que lui. Il suffit de se rappeler, d'une part, la cruaut manifeste par Hector l'gard de Patrocle, dont il veut mutiler la dpouille (//., XVII, 125-127) et de l'autre, le revirement d'Achille au chant XXIV, puisque le hros y traite avec douceur et respect le roi Priam, venu lui demander le corps de son fils, et accdera sa requte.

    La prsence de l'adverbe dans certains contextes n'apporte aucune modification essentielle cette conception. On peut relever ici, parmi d'autres exemples, //., III, 59-63, o Paris rpond aux invectives d'Hector en affirmant que celui-ci est toujours intraitable : (vers 60). Selon Marg, Paris ne prtend pas que son frre est par nature aussi rigide et tranchant qu'un fer de hache, mais qu'il est capable d'adopter une attitude ferme et intransigeante chaque fois que la situation l'exige. En temps normal cependant, il se montre volontiers doux et conciliant, ainsi que nous l'apprend Hlne en //. , XXIV, 762-775.

    En conclusion, l'auteur estime qu'Homre se borne dcrire ses personnages tels qu'ils apparaissent extrieurement, tels qu'ils ragissent manifestement dans diffrentes situations, sans accorder le moindre intrt leur vie intrieure, sans chercher dcouvrir les lment stables et distinctifs qui dirigent leur comportement, permettent de le comprendre et mme de le prvoir. Cette psychologie toute superficielle trouverait son origine dans la mentalit aristocratique dont l'pope homrique est le reflet, et qui mesure uniquement la valeur d'un homme l'activit qu'il est capable d'exercer dans le monde, aux exploits qu'il ralise, aux succs qu'il remporte, la puissance et l'autorit qu'il possde. Dans une telle socit, le pote se contente d'accompagner ses hros et de dcrire avec plus ou moins de dtails leur comportement extrieur ; il ne se proccupe nullement de pntrer dans l'intimit de leur personne ou d'examiner leurs motivations (").

    Les diffrentes opinions, parfois divergentes, parfois complmentaires, que nous venons de mentionner, mettent bien en vidence les multiples aspects de la

    (33) W. Marc Der Charakter in der Sprache der frhgriechischen Dichtung, Wurzburg, 1938. p. 43-50; 76-79.

  • 32 A. CHEYNS

    notion de , ainsi que les dangers auxquels on s'expose dans l'tude de la psychologie homrique. Elles appellent un certain nombre d'observations, qu'il nous faut prsent examiner attentivement.

    Tout d'abord, le rapprochement de et de 1 s'lancer avec fureur a conduit certains chercheurs considrer comme fondamental, mme dans les textes les plus anciens, le sens de mouvement tumultueux de l'me. Or, si cette etymologie a t avance par Platon pour justifier la valeur bien particulire qu'il confrait dans son vocabulaire philosophique, elle ne trouve aucune confirmation dans la posie homrique ; elle est mme en contradiction avec les contextes o ce terme est sujet ou complment de verbes signifiant penser, rflchir, comprendre, savoir, connatre, tels par exemple , , () , , , (34). Il s'ensuit que la tradition pique dans son ensemble ne reflte pas l'image d'un fougueux, draisonnable et passionn.

    Une seconde question concerne la nature de ce principe. Elle a surtout proccup les dfenseurs de la thse selon laquelle tous les termes du vocabulaire psychologique d'Homre voquaient l'origine une ralit matrielle. Elle n'est pas facile rsoudre, car les contextes homriques susceptibles de l'clairer ne sont pas trs explicites. La plupart d'entre eux rvlent que traduit une notion trs gnrale, savoir la force vitale, qui est l'origine de l'ensemble des activits du corps et de l'esprit. Il possde par exemple cette signification dans plusieurs expressions qui voquent l'ide de tuer ou de mourir, telles , , , , ainsi que dans les noncs o il est sujet des verbes , (), (, ) (35). Quand on examine ces contextes

    (34) : //., I, 193 ; XI, 41 1 ; XVII, 106 ; XVIII, 15 ; XXI, 137 ; XXIV, 680 ; Od., II, 156 ; IV, 120 ; V, 365, 424 ; VI, WZ. - : II., V, 671 ; VIII, 169 ;Od., IV, 117 ; , 50, 151 ; XVI, 237 ; XXIV, 235. - : //., XV, 163 ; XVI, 646 ; Od., I, 294 ; XVII, 595 ; XXIV, 391. - : Od., XV, 202. - : //., XVI, 1 19 ; Od., XVI, 309 ; XXI, 218 ; XXII, 373. - : //., , 36 ; VIII, 430 ; , 491 ; XVIII, 4 ; Od., II, 1 16 ; VI, 313 ; VII, 42, 75 ; , 317 ; XX, S.-OSa : //., II, 409 ; IV, 163, 360 ; VI, 447 ; XII, 228 ; Od., , 1 12 ; XIII, 339 ; XV, 21 1 ; XVIII, 228.

    (35) : II., V, 317, 346, 673, 691, 852 ; , 506 ; XI, 381 ; XII, 150 ; XV, 460 ; XVI, 655 ; XVII, 17, 678 ; XX, 436 ; XXI, 1 12 ; XXII, 68 ; Od., XI, 201 ; XIV, 405 ; XVII, 236 ; XX, 62 ; XXII, 388, 462. - : //., VI, 17 ; , 495 ; XVI, 828 ; XVII, 236 ; XX, 290 ; XXI, 179, 296 ; Od., XI, 203 ; XIII, 270. - ' : II., IV, 531 ; V, 155, 848 ; XX, 459. - ' : II., , 205 ; VIII, 90, 270, 358 ; , 452 ; XI, 433, 342 ; XII, 250 ; XVI, 861 ; XVII, 616 ; XVIII, 92 ; ,412 ; XXIV, 638 ; Od., XII, 350. - : //., IV, 470 ; XII, 386 ; XVI, 410, 743 ; XX, 406 ; Od., Ill, 455 ; XI, 221 ; XII, 414. - : //., XIII, 671 ; XVI, 606. - : //., XVI, 469 ; XXIII, 880 ; Od., , 163 ; XIX, 454.

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 3 3

    d'un peu plus prs, on se rend compte qu'ils ne livrent aucune information cohrente, ni sur la nature du , ni sur l'endroit o il se tient. Le plus souvent, Homre mentionne uniquement la victime, sans prciser le lieu d'origine de cette force vitale dont elle est prive ; p. ex. ' " , IL, XXI, 296 ; ' /, IL, V, 155-156 ; : , IL, XVI, 410. Parfois, on lit que le s'chappe des os ( : //., XII, 386 ; XVI, 743 ; XX, 406 ; Od., Ill, 455 ; XI, 221 ; XII, 414) ou encore des membres { : IL, XIII, 671-672 ; XVI, 606-607 ; XXIII, 880 ; Od., XI, 201 ; : //., XXII, 68) (3S). En prsence d'informations aussi vagues, on ne peut arriver qu' une seule conclusion : dans les contextes envisags, n'voque pas une substance particulire, mais la force, de quelque nature qu'elle soit, qui anime les diffrentes parties de l'organisme humain et qui est responsable de leur fonctionnement. Priv de cette nergie, l'homme n'est plus qu'un cadavre inerte et rigide. Il faut ajouter que pour Homre, le n'est pas un principe transcendant, car il ne peut exister en dehors de l'homme vivant. Il est donc en quelque sorte inhrent

    (36) A partir de l'poque classique, est attest au singulier avec le sens de visage. D'aprs les Anciens, il s'employait primitivement au pluriel comme synonyme de les membres, saufen olien, o il dsignait le visage. En ce qui concerne les contextes homriques, o figure le pluriel , (IL, XVI, 856 = XXII, 362, avec ; //., XXII, 68, avec ), les opinions taient divergentes : les uns le tenaient pour un synonyme de et comprenaient que la et le animaient l'ensemble de l'organisme ; les autres lui confraient le sens de visage, pour la raison qu'au moment de la mort, le souffle vital s'chappait par la bouche ; cf. Eustathius Thessalonicensis, op. c/7.,1090, 28 et sv. ; Scholia inHomeri Iliadem, edidit H. Erbse, Berlin, 1969-1977, XVI, 856 et XXII, 68. Pendant longtemps, la tradition philologique moderne a jug que le sens de membre tait le plus ancien ; ainsi Bailly, s.v. : I. membre, au pluriel ; II. p. ext. 1 . le corps entier ; 2. visage, air, aspect ; Liddell-Scott, s.v. Cependant, Br. Snell (Die Entdeckung des Geistes, Hambourg, 1955, p. 26-30) a voulu montrer que la signification primitive de tait celle de visage, conserve en olien ; elle apparat d'ailleurs clairement, selon lui, en //., XVI, 856 = XXII, 362, o on lit que le souffle vital () s'envole bt '. Il estime d'autre part qu'en //., XXII, 68, , qui est cette fois en relation avec , doit dsigner les membres du corps. Cet emploi aberrant rsulterait d'une confusion entre les notions de et de , jointe une mconnaissance de la signification olienne de . Cette opinion a t confirme par M. Leumann, Homerische Wrter, Bale, 1950, p. 218-222 ; elle a t admise dans le supplment au Liddell-Scott dit par E. A. Barber en 1968 ; elle a encore t partage par P. Chantraine, op. cit., s.v. . Cependant, pour des raisons qu'il serait trop long de dvelopper ici, l'argumentation de Snell et de Leumann est loin d'tre convaincante. La thse traditionnelle peut mme se dfendre plus aisment : 1 . au pluriel ; les membres ; 2. au sg. : le corps, la prestance, le maintien ; 3. en particulier : l'expression du visage, le visage, la physionomie. Cette question mrite donc un nouvel examen, qui doit s'tendre l'ensemble de la littrature grecque.

  • 34 A. CHEYNS

    l'organisme humain, dont il partage la destine : ds qu'il en est spar, la mort survient et il disparat lui-mme compltement, comme s'il s'vaporait dans les airs.

    L'homme qui se trouve dans un tat d'puisement extrme, suite un effort violent ou une blessure grave, ne contient donc plus en lui qu'une faible quantit de . Au chant I de Ylliade, Hphastos raconte qu'un jour, Zeus lui infligea un dur chtiment parce qu'il avait os se dresser contre lui en prenant la dfense d'Hra. Le roi des dieux le projeta dans les airs avec une force telle que pendant tout le jour, il vogua entre ciel et terre. Au coucher du soleil, il tomba dans l'le de Lemnos, o les habitants le recueillirent, alors qu'il ne restait plus en lui qu'une mince parcelle de vie ( ' he , vers 593). On lit de mme, dans un passage du chant XXI de YHiade, qu'Ares, bless par Athna, ne parvient qu'avec beaucoup de peine rassembler ses forces ( ' , vers 417).

    Parmi les symptmes qui dnotent un affaiblissement dangereux des forces physiques, le drglement de l'activit respiratoire est assurment un des plus frquents et des plus sensibles. On comprend donc aisment qu'Homre ait considr que la force vitale s'chappe de l'organisme quand la respiration devient pnible et haletante, et qu'elle s'y concentre nouveau quand les suffocations ont pris fin. C'est ainsi qu'il utilise avec les verbes et (aor.) exhaler, souffler pour voquer la respiration rauque et oppresse de l'homme ou de l'animal qui a reu une blessure grave, mortelle ou non. En //., XIII, 653- 654, Harpalion, un alli des Troyens, est tu par Mrion d'une flche qui lui traverse la vessie : il tombe dans les bras de ses compagnons et expire aussitt : ' / . On pourrait croire, sur la foi de ce contexte, que dsigne toujours, dans des expressions de ce genre, le dernier soupir du mourant ; cependant, cette interprtation est dmentie par le second passage, o Pirs, le roi des Thraces, frappe d'une pierre Dirs et lui broie les os de la jambe droite :

    ( ) ' ' ' ' , ' ' , (37).

    L 'homme tombe dans la poussire, sur le dos, et tend les mains vers ses compagnons, en exhalant ses forces. Pirs, qui l'a bless, bondit alors sur lui et le frappe de sa lance prs du nombril , toutes ses entrailles se rpandent terre et l'ombre voile ses yeux.

    (37) //., IV, 522-526.

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 35

    La premire blessure de Dirs ne provoque pas, de toute vidence, une mort immdiate ; le guerrier est simplement immobilis et livr ainsi sans dfense son ennemi, qui lui porte ensuite le coup fatal. L'expression dcrit donc ici une raction bien particulire de la victime, suite au coup reu la jambe, et non sa mort, cause par une blessure au ventre et dsigne par la formule .

    Quand il s'agit d'une blessure mortelle, il est donc possible de trouver dans un mme contexte deux emplois diffrents de : l'un qui dcrit un symptme de l'agonie, l'autre qui voque la mort. Ainsi, en //., XVI, 468-469, Sarpdon manque Patrocle et blesse mortellement le cheval Pdase ; l'animal pousse un cri en exhalant ses forces, puis tombe dans la poussire en hennissant, pendant que sa vie s'envole : ' , / ' ' \ , ' .

    La prsence dans ce court passage de deux verbes signifiant crier, hurler (, ) n'est pas fortuite, car le second emploi de comme complment de l'aoriste est mis en relation avec mettre un son rauque, mugir ; vomir, hoqueter. Achille tue Hippodamos, qui fuit devant lui : xai , / ... ' ' l'homme exhale ses forces et pousse un cri ; tel mugit le taureau ... ; c'est ainsi qu'il mugit pendant que son me virile abandonne ses os (38).

    Aprs avoir constat qu'en //., XVI, 468-469, l'expression ne peut pas voquer la mort, qui est dsigne par la formule ' , . Nehring a exprim l'opinion que l'aoriste signifie s'affaiblir, s'engourdir (issu de i.-e. *uei-, *ueis-, *uis-), et non exhaler, expirer, comme on le croit gnralement (39). Cependant, il ne s'est pas rendu compte que l'expression s'emploie, en //., IV, 524, pour dcrire les ractions d'un homme souffrant d'une blessure qui, malgr sa gravit, n'entrane pas une mort immdiate (40). Or, cette observation est importante, car signifie de toute vidence souffler, expirer. Mieux vaut donc s'en tenir ici l'opinion traditionnelle, confirme par les ouvrages les plus rcents, et considrer comme un synonyme ' (41). Dans cette hypothse, l'emploi de ces deux

    (38) //., XX, 403-406. (39) A. Nehring, Homer's Descriptions of Syncopes, in : Classical Philology, 42 (1947),

    p. 118-119. (40) Ibidem, p. 114, o il affirme que l'expression , employe deux fois

    par Homre, voque le dpart dfinitif du principe vital au moment de la mort. (41) Lexikon des frhgriechischen Epos, Gottingen, 1955-..., s.v. (V. Pisani) ; .

    Frisk, op. cit., s.v. ; P. Chantraine, op. cit., s.w. *, *.

  • 36 A. CHEYNS

    verbes avec doit voquer la respiration pnible et haletante d'un homme qui, souffrant d'une blessure grave, perd une grande partie ou la totalit de sa force vitale.

    Un autre argument permet d'tayer cette conclusion : le verbe sert dsigner un souffle rapide et saccad, ainsi que le prouve par exemple son emploi en //., X, 376. Ulysse et Diomde poursuivent l'espion troyen Dolon, trs rapide la course. Diomde tire sur lui et le manque. Le javelot cependant effraie Dolon, qui s'arrte, tout tremblant. Les deux hros peuvent ainsi le rejoindre, mais ils sont bout de souffle : ' (42). De mme, en //., XVI, 826, le participe s'applique un sanglier qui est vaincu par un lion aprs un dur combat ; ce verbe voque donc, ici encore, la respiration haletante qui dnote un puisement total : ' .

    Or, dans certains contextes, voque plus particulirement le souffle oppress du mourant. Ainsi, en //., V, 585 = XIII, 399, o un cocher, frapp mort, tombe de son char en suffoquant. Citons enfin les deux contextes les plus intressants, o ce verbe est mis en relation avec , qui figure prcisment dans une priphrase dsignant la mort. Le premier est situ au chant XXI de Ylliade :

    ' opi . ' , ' ()(*3).

    mais Achille est dj sur lui (Astrope) et, de son pe, lui prend la vie ; il le frappe au ventre prs du nombril ; toutes ses entrailles se rpandent terre et l'ombre voile ses yeux, alors qu'il suffoque.

    En //., X, 496, la situation est quelque peu diffrente : Rhsos, roi de Thrace, est tu par Diomde pendant son sommeil :

    , ' ' (44).

    (42) En //., XVI, 109-1 1 1, le substantif dsigne la respiration pnible d'Ajax, qui rsiste l'assaut des Troyens jusqu' la limite de ses forces : toujours le tenait une suffocation pnible, de tout son corps ruisselait une sueur abondante, et il n'arrivait pas reprendre son souffle, car partout les malheurs s'accumulaient".

    (43) //., XXI, 179-183. (44) //., X, 495-497.

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 3 7

    c'est le treizime qui il prend la douce vie, alors qu'il est tout haletant, car pendant cette nuit, un rve funeste s'tait pos sur son front, sous la forme du fils d'One, par la volont d'Athna.

    Ces deux derniers contextes autorisent un rapprochement entre d'une part et de l'autre, les expressions dans lesquelles est complment ' et '.

    Par consquent, on peut affirmer que les emplois de dans le sens de force vitale se rpartissent en deux catgories. La premire se compose d'expressions trs gnrales voquant la mort, considre comme la sparation dfinitive de l'homme et de son ; la seconde regroupe des formulations plus prcises qui traduisent un affaiblissement du principe vital, et parmi lesquelles il faut ranger les syntagmes et , qui dsignent, ainsi d'ailleurs que le verbe dans certains contextes, la respiration rauque et saccade d'un grand bless, et qui expriment par consquent l'ide que le s'chappe de l'organisme avec le souffle quand les fonctions respiratoires sont altres.

    Cette relation entre l'nergie vitale et l'air qui pntre dans les poumons ou s'en chappe est donc bien mise en relief dans certains contextes. Elle n'est cependant pas exclusive, car une respiration profonde et rgulire n'est pas toujours suffisante pour procurer l'individu la totalit de son , ainsi qu'il ressort par exemple du passage suivant, tir du chant V de l'Odysse.

    Soutenu par le voile que lui a donn In, Ulysse russit nager jusqu' l'le des Phaciens. A peine a-t-il touch le rivage qu'il s'croule, puis. Pendant un court instant, il reste tendu sans connaissance: ' p' - xai '

    , il gisait inerte, sans souffle et sans voix, accabl par une immense fatigue (vers 456-457). Ds qu'il reprend ses esprits, il se souvient qu'In lui a donn l'ordre de rejeter le voile la mer :

    ' ' xai , xai (4S).

    mais ds qu'il reprit son souffle et que son thumos ranima sa conscience, il dtacha de son corps le voile divin et le jeta dans l'embouchure du fleuve.

    Le hros se demande ensuite comment il va passer la nuit : s'il gravit la colline pour dormir sous le couvert des bois, il craint d'tre attaqu par les fauves ; si au contraire il reste proximit du fleuve, le vent glacial de l'aube risque de lui porter un coup fatal :

    (45) Od., V, 458-460.

  • 38 A. CHEYNS

    ' ,

    ' (46).

    si je passe une nuit pleine d'angoisses veiller prs du fleuve, il est craindre que le gel funeste de l 'aube et l 'humide rose n 'achvent mon thumos, dj min par l'puisement.

    L'examen de ces contextes permet de prciser la relation qu'Homre tablit entre le et la respiration. L'tat d'extrme faiblesse dans lequel se trouve Ulysse quand il aborde le rivage des Phaciens est traduit par diffrents termes. Relevons tout d'abord , qui est souvent accompagn de l'pithte terrible, et qui dsigne la fatigue physique en gnral ; ensuite, le participe , auquel rpond, au vers 468, le substantif , et qui voque plus prcisment un manque total de vigueur physique, une incapacit d'action, dont la cause peut tre une blessure grave (//., XV, 24, 245) ou la vieillesse (Od., XIX, 356). L'adjectif sans voix se passe de commentaire. Enfin, l'emploi ' priv de souffle se comprend aisment quand on sait qu'Homre se reprsente une syncope comme une mort de courte dure ; p. ex. //., V, 696 ( ' ) ; XXII, 467 ( ) ; Od., XXIV, 348 (). Dans ces deux derniers contextes, la fin de la syncope est exprime, comme ici, par le vers ' ' " , qui tablit donc une relation entre d'une part et de l'autre, et (47).

    Le verbe s'emploie, dans la posie homrique, pour dsigner la respiration profonde et rgulire qui succde un tat d'puisement ou une syncope. Dans les trois contextes dont il est ici question, il s'oppose par consquent aux termes ou expressions qui traduisent l'ide que pendant toute la dure d'un vanouissement, la respiration et la vie sont comme suspendues. Il possde encore cette valeur en //., V, 697 ; XI, 359 et XIV, 436. Ailleurs, il signifie reprendre son souffle aprs avoir fourni un effort considrable (IL, XI, 327 ; XI, 800 = XVI, 42 = XVIII, 200 ; XVI, 1 1 1 , 302 ; XXI, 534 ; XXII, 222). Enfin, on le rencontre trois fois avec le gnitif de sparation, dans le sens de avoir quelque

    (46) Od., V, 466-468. (47) Dans le contexte du chant XXII de Ylliade, Andromaque voit Hector tran

    travers la plaine par les chevaux d'Achille. Elle en reoit un tel choc qu'elle tombe vanouie (vers 467). Plus loin, au vers 474, Homre note qu'elle est tellement pouvante qu'elle est bien prs de rendre l'me ( ). Cependant, elle reprend bientt connaissance et retrouve l'usage de la parole (vers 475-476). Au chant XXIV de l'Odysse, il s'agit de la scne o Ulysse se fait reconnatre de Larte. Le vieillard ne peut dominer son motion. Il tombe, inerte, dans les bras de son fils (vers 348). Mais il reprend bien vite ses esprits et rend grce aux dieux (vers 349-350).

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 3 9

    rpit dans la peine (, IL, XV, 235 ; XIX, 227) ou le malheur (, IL, XI, 382) (48).

    Quand les fonctions respiratoires sont rtablies, la force vitale se rassemble dans la . Au terme de cette premire tape, la victime sort de son vanouissement et reprend connaissance. Il convient par consquent de mettre ces trois emplois de en parallle avec certains contextes o dsigne l'organe de la vie consciente. Citons par exemple //., X, 137-140, o Nestor rveille Ulysse, plong dans un profond sommeil :

    ' ' ' , '

    C'est tout d'abord Ulysse, mule de Zeus par son intelligence, que Nestor, chevalier grnien, alla tirer de son sommeil. Il l 'appelle ; aussitt, le son de sa voix enveloppe les phrnes d'Ulysse, qui sort de sa tente et leur adresse ces mots.

    Ce contexte nous apprend que l'homme ne peroit une ralit qu'au moment o celle-ci produit, par l'intermdiaire des sens, une impression sur sa . Un passage du chant XIV de Vlliade nous conduit la mme conclusion. Hra dcide de requrir l'aide du dieu Hypnos pour engourdir l'esprit de Zeus :

    " , fl , ' ] \ (49).

    Voici la dcision qu 'elle jugea, pour sa part, la meilleure. Aprs s 'tre joliment atourne, elle irait vers l'Ida, dans l'espoir que son poux, sduit par la beaut de son corps, soit pris du dsir de s 'tendre ses cts. Elle rpandrait alors sur ses paupires et sur ses phrnes pntrantes un sommeil doux et bnfique.

    Il apparat ici encore que la exerce une fonction complmentaire de celle des organes sensoriels. Zeus observe avec une grande attention le combat qui

    (48) Les formes et & sont attestes dans la majorit des manuscrits. Aristarque a propos, sans raison valable, de lire - et dans les contextes qui dcrivent une syncope ; cf. A. Nehring, op. cit., p. 108-1 12.

    (49) //., XIV, 161-165.

  • 40 A. CHEYNS

    oppose les Achens aux Troyens. Il utilise, dans cette activit, ses yeux, qui captent les images de la bataille, et sa , qui les recueille et les examine en vue d'acqurir une connaissance exacte de la ralit. La qualit principale de la est donc la clairvoyance, la perspicacit ; elle est souligne dans ce contexte par l'adjectif aigu, perant, pntrant. On constate en outre que pendant le sommeil, qui implique une suspension de la concience, la n'est plus sensible aux ralits extrieures. En fait, elle devient alors le sige ou l'instrument des activits oniriques, ainsi que l'atteste ce passage du chant II de Ylliade, dans lequel le dieu Oneiros recommande au roi Agamemnon de ne pas perdre souvenance, son rveil, des instructions qu'il lui a communiques :

    ( ') , , ' (50).

    Toi, garde la mmoire de mes conseils ; ne les rejette pas dans l'oubli, lorsque le doux sommeil t'aura libr de son treinte.

    La concentration de la force vitale dans la , qui est prsente ici comme la consquence d'une respiration rgulire, est donc ncessaire et suffisante pour que l'individu se rveille et prenne nouveau conscience des ralits qui l'entourent. Elle ne lui permet cependant pas de rcuprer toute sa capacit d'action et de rsistance, car la suite du texte nous apprend qu'Ulysse hsite rester proximit du fleuve ; il craint en effet qu'un coup de froid ne l'achve, tant donn prcisment qu'il n'a encore en lui qu'une faible quantit de vie. Cette raison est exprime au vers 468, o est accusatif de relation, complment du participe parfait , qui signifie, selon toute vraisemblance, dfaillant, affaibli, engourdi (5I).

    (50) //., II, 33-34 ; cf. II, 70. (51) A. Nehrinco^. cit., p. 113-116 ;H. Frisk, op. cit., s.v. ; P. Chantraine,

    op. cit., s.v. . Le participe accompagne encore en //., V, 698, cette fois en tant qu'pithte. Sarpdon perd connaissance au moment o on lui extrait de la cuisse la pointe d'une lance ( ' , ' ' , vers 696). Toutefois, il reprend bien vite ses esprits, ranim par le souffle frais du Bore : ' , ^ / (vers 697-698). Le verbe ( + prendre, capturer) signifie prendre vivant, garder en vie, d'o 1 . ranimer ; 2. laisser la vie sauve un prisonnier (cf. ranon paye en change de la vie sauve) ; cf. Bailly, s.v. ; Liddell-Scott, s.v. ; P. Chantraine, op. cit., s.v. . A. Nehring, op. cit., p. 117-118, s'carte ici de l'opinion courante : il attribue le sens de saisir, garder aprs avoir pris et comprend que le Bore saisit le , l'enveloppe de son souffle glacial et Vempche par consquent de se fortifier (l'adverbe se rapporte alors ). . Frisk, op. cit., s.v. , juge obscur le sens de en //., V, 697.

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 4 1

    On constate par consquent qu'une respiration normale est la premire condition pour qu'un homme reprenne ses esprits et rassemble assez de force pour ne plus rester tendu. Cependant, le principe vital peut rester trs affaibli, alors mme que l'activit respiratoire est rtablie.

    Les trois descriptions de la syncope d'Hector, qui figurent aux chants XIV et XV de l'Iliade, corroborent ces conclusions. Profitant du sommeil de Zeus, sduit par Hra, Posidon exhorte les Achens, qui contre-attaquent victorieusement. Au cours de cette bataille, Hector est touch en pleine poitrine par une norme pierre lance par Ajax. Il tombe de son char, compltement tourdi. Bien vite, ses compagnons l'entranent loin du combat. Arrivs prs du Xanthe, ils retendent terre et l'aspergent d'eau :

    ( ) S' xai , ' ' ' , ' (").

    // reprend haleine et ouvre les yeux ; il s 'assied sur les genoux et vomit du sang noir ; aussitt aprs, il retombe en arrire sur le sol et une sombre nuit recouvre ses yeux : le trait dominait encore son thumos.

    A son rveil, Zeus voit la dfaite des Troyens et le triste tat dans lequel se trouve leur chef :

    " ' , ' ', ' ' ' , ' ' (53).

    // voit dans la plaine Hector tendu ; autour de lui sont assis ses compagnons ; il est oppress par une suffocation douloureuse, alors qu 'il est inconscient et qu 'il vomit du sang, car ce n 'est pas le plus faible des Achens qui l'a touch.

    Zeus ragit sans tarder : il dpche Apollon auprs d'Hector avec ordre de procurer au hros la force ncessaire pour qu'il puisse reprendre le combat. Quand le dieu arrive sur place, l'tat du prince troyen s'est dj sensiblement amlior :

    (52) //., XIV, 436-439. (53)//., XV, 9-11.

  • 42 A. CHEYNS

    , ' , ' , ', ().

    // n 'est dj plus couch, mais assis ; une nergie nouvelle s 'accumule en lui ; il reconnat les compagnons qui l'entourent ; suffocations et sueurs ont cess, car la volont de Zeus porte-gide l'a rveill.

    Les trois contextes cits se rpondent d'une manire tellement prcise, malgr les intervalles assez longs qui les sparent, qu'on ne peut y voir l'effet du hasard. Ces correspondances sont exposes dans le tableau suivant.

    Manifestations

    Respiration

    Conscience

    Force physique

    Vomissements de sang

    Sueur

    Etat du

    Contexte I

    Amlioration Nouvel passagre tourdissement

    '

    '

    '

    Contexte II

    Prolongation

    ' (")

    Contexte III

    Amlioration dfinitive

    , ' in

    '

    On voit clairement ici que l'affaiblissement du principe vital se manifeste, non seulement par le drglement des activits respiratoires, mais galement par d'autres symptmes, tels que la paralysie des membres, la perte de la conscience et les vomissements de sang. En revanche, la prsence dans l'organisme d'un nouveau s'accompagne la fois d'un rtablissement des fonctions respiratoires, du rveil de la conscience et d'une amlioration gnrale de la condition

    (54) //., XV, 240-243. (55) Le verbe signifie ne pas avoir tous ses esprits, tre inconscient (cf.

    intelligence, bon sens, jugement). On le rencontre encore dans la tournure tu ne me parais pas dpourvu de sens (Od., V, 342 ; VI, 258).

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 43

    physique. Il faut signaler d'ailleurs que les deux emplois de qui apparaissent ici sont mis en relation plus particulirement avec les expressions qui concernent la conscience et la force physique : en XIV, 438-439, nous trouvons la squence ' ' he ; en XV, 240-241 , la succession des syntagmes est la suivante : , ' ' .

    En conclusion, les contextes homriques ne prouvent nullement que le doit tre assimil une substance particulire, qu'il s'agisse de l'air ou du sang. Ils dmontrent au contraire que cette force vitale est considre, non dans sa nature, mais dans ses fonctions les plus caractristiques. Quand ce principe subit une grave altration, Homre peut donc, soit signaler l'ensemble des symptmes, soit mettre en vidence certains d'entre eux, comme par exemple la faiblesse des membres, la perte de la conscience, les difficults respiratoires ou les coulements de sang. Toutefois, il tablit une relation privilgie entre le et la respiration, car il avait observ qu'un souffle pnible et saccad tait le signe d'un affaiblissement dangereux du principe vital.

    On est donc autoris croire qu' l'origine, voquait la force vitale, qui dirige l'ensemble des activits du corps et de l'esprit. Cependant, cette signification fondamentale n'est pas la plus frquente dans la posie homrique. En effet, dans la plupart de ses emplois, dsigne en particulier un principe de la vie psychique, responsable aussi bien des activits cognitives ou intellectuelles que des phnomnes de la sensibilit, ou encore des manifestations de la volont. En outre, de nombreux contextes laissent apparatre une valeur plus prcise, qui est le reflet de l'idologie impose par la socit hroque.

    Deux questions essentielles se posent donc ici : la premire est de savoir quelles sont exactement les fonctions imparties au dans le domaine des activits psychiques ; la seconde concerne l'histoire de cette notion, telle qu'on peut la retracer partir des tmoignages conservs dans l'pope homrique. Nous n'avons videmment pas la prtention d'puiser d'emble un sujet aussi vaste et difficile ; notre seule intention est de proposer la recherche future des orientations que nous croyons fructueuses.

    Notre opinion est que le reprsente la personne humaine, avec toute la capacit de souffrir et d'agir qui lui est propre. Il comporte donc deux aspects, l'un, passif, puisqu'il subit l'action des phnomnes extrieurs ; l'autre, actif, puisqu'il est capable d'y rpondre et mme d'intervenir de sa propre initiative. Cette notion, assez vague l'origine, est devenue de plus en plus prcise mesure que l'homme prenait conscience de ses propres moyens d'action et d'une

    Desse modo que thymos est vinculado com o problema Moral em Homero, o elemento da narrativa que funciona como articulao entre as aes divinas, causas exteriores, e as reaes dos heris.

  • 44 A. CHEYNS

    opposition entre lui-mme et le monde extrieur, qu'il s'agisse par exemple des vnements, parfois dfavorables, dont il est oblig de tenir compte, ou des conventions sociales, qui imposent son comportement certaines limites. L'pope homrique se signale en effet par un caractre individualiste trs affirm, qui rvle qu'un changement capital s'est produit dans les mentalits une date assez ancienne. Aprs bien des hsitations et des doutes, l'homme s'est rendu compte que c'est en lui-mme que rsidait son identit, sa valeur et sa raison d'tre, et non plus dans une socit hiratique qui l'emprisonnait, avec toute l'autorit de ses traditions sculaires, dans un cadre de vie, de pense et d'activits rigoureusement dfini. Il est videmment impossible de situer avec prcision l'poque o ces ides originales ont commenc se rpandre, mais il n'est pas interdit de supposer que l'effondrement des royaumes mycniens, avec leur administration bureaucratique, leur organisation fortement hirarchise, leurs activits hautement spcialises, n'est pas tranger cette volution. Quoi qu'il en soit, cette conception nouvelle, qui reconnaissait l'homme le droit de dfendre ses propres intrts, d'prouver des sentiments personnels et d'exprimer des opinions originales, a favoris l'closion et le dveloppement d'une tradition pique particulirement florissante, qui s'attache prcisment mettre en relief les qualits ncessaires pour s'lever au-dessus de la masse, au lieu de se confondre avec elle (").

    (56) La relation entre l'pope hroque et une mentalit nouvelle, qui encourageait l'individu dvelopper ses propres forces, a t mise en lumire par C. M. Bowra. En 1952 dj, dans son clbre ouvrage intitul Heroic Poetry (p. 91-102), il a montr comment le hros, qui surmonte les obstacles par ses propres moyens, grce sa vigueur physique et son intelligence, se distingue du magicien, qui remporte la victoire parce qu'il utilise son profit des forces surnaturelles, qu'il parvient subjuguer par des rites et des incantations. Mais c'est surtout dans son article The Meaning of a Heroic Age (in : The Language and Background of Homer, Cambridge, 1964, p. 22-47, mais publi pour la premire fois en 1957), qu'il traite de cette question. Il y tablit que la promotion de l'individu est une condition ncessaire au dveloppement d'une tradition pique. C'est pourquoi, l'pope n'a connu aucun succs parmi certains peuples, comme les Egyptiens et les Assyriens, qui taient arrivs un niveau trs lev de civilisation et de culture et qui accordaient une place importante aux activits guerrires, mais o dominait un pouvoir thocratique et o les prtres exeraient une influence prdominante dans tous les domaines de la vie sociale et intellectuelle, de sorte qu'ils empchaient l'individu d'avoir conscience de toutes les forces qu'il possdait l'tat virtuel. Enfin, dans son livre The Greek Experience, New York, 1962, p. 32-38 (Ie d., 1957), il exprime l'opinion que cet esprit individualiste, dont la posie hroque est le reflet, est inhrent la mentalit hellnique. Il y montre par quelques exemples comment les Grecs ont russi l'adapter au service de la cit. Les grandes familles qui tenaient le pouvoir dans les aristocraties se prtendaient issues des anciens hros. Dans les dmocraties, on introduisit l'ide que le peuple tout entier tait capable de se comporter en hros pour sauver la cit ou tendre son

    Por isso, o thymos o fundamento da moral homrica

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 4 5

    Cependant, tout individu est oblig d'entretenir avec son entourage un certain nombre de relations. Or, l'idal hroque a tendance ngliger cette dpendance l'gard d'autrui pour exhalter au contraire l'gocentrisme et une volont de puissance qui n'est pas exempte d'agressivit. Le comportement du hros est souvent dirig vers l'exploit individuel, qui lui permet de se distinguer de la foule, d'tendre sa puissance et d'acqurir la gloire, seul accs l'immortalit. Il risque donc souvent de succomber la dmesure ; c'est pourquoi, son entourage le met frquemment en garde contre toute raction excessive. Il faut savoir en effet que dans la mentalit homrique, un hros, quelle que soit sa valeur, reste toujours infrieur aux dieux et ne surpasse jamais les autres hommes au point de pouvoir se passer dfinitivement de leur assistance ou de leurs conseils.

    A la suite de cette volution, le est devenu essentiellement le principe des activits par lesquelles un homme qui a pris conscience de son individualit et de ses propres forces, dfend son indpendance et exerce son tour une influence sur son milieu, afin d'y apporter les changements qu'il juge utiles. Nous voudrions, dans la suite de cet article, mettre en relief ce double aspect de la notion de : d'une part, son caractre actif, entreprenant, dynamique ; de l'autre, son opposition aux ralits extrieures. La premire partie sera consacre la psychologie du guerrier. Nous aurons ainsi l'occasion de voir que le hros est conduit par son combattre au premier rang, rsister jusqu' la toute dernire extrmit, provoquer un adversaire en combat singulier, dfendre son honneur, se venger dans les plus brefs dlais des humiliations et des offenses, juguler tout sentiment ou motion qu'il juge indigne de sa condition et cultiver au contraire les vertus conformes son idal, et notamment le courage, l'endurance, la tnacit, l'ardeur au combat, l'esprit de solidarit et d'initiative. Malheureusement, il ne pourra pas toujours rsister la tentation d'affirmer sa valeur aux dpens d'autrui. C'est pourquoi, le est parfois considr comme une force nuisible, dans la mesure o il entrane le hros commettre des actes excessifs.

    Dans la seconde partie, nous examinerons deux autres aspects de cette opposition entre l'homme et le monde extrieur, travers les contextes o l'emploi de voque, soit la libert individuelle, soit les penses intimes, qui ne se traduisent pas toujours par une raction apparente.

    Les contextes guerriers constituent un ensemble trs vaste, dans lequel est pourvu d'une valeur particulire ("). L'idal du hros est en effet de surpasser tous

    empire ; c'est pourquoi, on y glorifiait, non certains individus, mais l'ensemble anonyme des citoyens.

    (57) Nous avons procd un examen prliminaire de cette question dans un article intitul Considrations sur les emplois de dans Homre, Iliade, VII, 67-218, in : L'Antiquit Classique, 50 (1981), p. 137-147.

    pas quando h mecanismos narrativa que os igualam podemos dizer que so mecanismos da moral moral por excelncia,

    o thymos que d a medida correta ou o excesso.

  • 46 A. CHEYNS

    ses rivaux dans une srie d'activits, et surtout au combat, afin de mriter les privilges que le peuple lui accorde et de laisser la postrit le souvenir de ses exploits. On devine que dans ce domaine, le remplit une fonction capitale. Cependant et c'est un trait distinctif qu'il faut souligner ds l'abord - son action n'est pas suffisante pour assurer la victoire. En effet, il incite le guerrier entreprendre une action hroque, mais il est incapable de le conduire au succs, s'il ne reoit pas l'assistance d'autres forces.

    Mentionnons tout d'abord les contextes o le hros est entran par son engager un combat dont l'issue est incertaine. En//., XII, 298-309, Sarpdon, qui monte l'assaut du mur achen, est compar un lion affam qui, sollicit par son caractre viril, attaque une table ou un troupeau ( , vers 300) ; ou bien il russit s'emparer d'une proie, ou bien il succombe lui- mme sous les coups des hommes (' ' p' , / ' , vers 305-306). La mme alternative est exprime en chant XXII de VHiade, quand Hector, aprs avoir d'abord pris la fuite devant Achille, se dcide enfin l'affronter : / (vers 252-253).

    Ce mpris de la mort est aussi une qualit que s'attribue Ulysse, quand il se prsente Eume comme un prince crtois :

    , (58).

    mon me virile jamais ne pensait la mort, mais je bondissais en avant, toujours bon premier, et ne cessais d'abattre de ma lance tous les ennemis qui couraient moins vite que moi.

    L'action du , qui entrane toujours le hros combattre en avant des lignes, est particulirement bien mise en lumire dans le clbre passage du chant VI de Vlliade o Andromaque demande instamment Hector de ramener l'arme troyenne dans la ville et de combattre dsormais l'abri des remparts. Le hros cependant refuse :

    ' , ,

    (58) Od., XIV, 219-221.

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 47

    aid ' ($9).

    Femme, de tout cela je me proccupe, moi aussi. Mais j'aurai terriblement honte devant les Troyens et les Troyennes aux longs voiles, si je fuis comme un pleutre loin du combat. Et mon tint mos, lui non plus, ne m'y engage pas, car j'ai appris tre valeureux, toujours, et combattre au premier rang des Troyens, pour conserver cette gloire immense qui est celle de mon pre et la mienne.

    Ce passage nous livre des indications prcieuses sur la mentalit du hros homrique. Il rvle en effet que ce guerrier sacrifie son idal les tres qui lui sont les plus chers. Andromaque rappelle son mari qu'il est tout pour elle, puisque son pre et ses frres sont morts, tus par Achille ; elle le supplie d'avoir piti de leur enfant. Hector cependant ne l'coute pas, malgr tout l'amour qu'il prouve pour elle, non par inconscience, car il attache lui aussi de l'importance ces questions, mais parce qu'il est entirement soumis deux forces qui lui interdisent de reculer. 1,' se dfinit, dans ce contexte, comme le sentiment de l'honneur, qui anime un guerrier en prsence d'autrui et le contraint ne pas dchoir du rang qu'il occupe. Elle est donc relative dans la mesure o elle dpend de l'opinion publique et trouve sa justification dans une hirarchie sociale dtermine (60). C'est pourquoi, Hector prouve ce sentiment l'gard de son peuple, dont il est le chef et le principal dfenseur. Au contraire, son agit sur lui en toute circonstance (, rejet au dbut du vers 445), parce qu'il constitue l'essentiel de sa personnalit : Hector n'est vraiment lui-mme que s'il combat en avant des lignes. On constate en outre que l'ducation contribue former le d'un hros : elle dveloppe ses qualits innes et lui grave dans l'esprit certains principes, dont le premier est de garder intacte la gloire de ses anctres, de sorte que ses responsabilits d'poux et de pre passent au second rang.

    Ce contexte nous met en prsence d'une des nombreuses forces auxiliaires qui viennent s'ajouter au , afin de rendre l'activit du hros plus efficace. Il s'agit de , qui interdit l'homme de commettre une action dshonorante. On peut citer encore //., XV, 561 = 661 : , ' .

    Le est galement dmuni quand il se heurte des contraintes matrielles. Au chant XVIII de Vlliade, Polydamas conseille aux Troyens de se rfugier dans la ville et de combattre dsormais du haut des remparts ; Achille, qui sera

    (59) //.. VI, 441-446. (60) Cf. A. Cheyns, Sens et valeurs du mot dans les contextes homriques, in :

    Recherches de philologie et de linguistique, Louvain, 1967, p. 3-33.

  • 48 A. CHEYNS

    invincible dans la plaine, ne russira pas, quelle que soit sa vaillance, emporter d'assaut les fortifications :

    ' , ' (61).

    son thumos ne lui permettra pas de s'lancer l'intrieur de la ville ni de la dtruire ; nos chiens rapides l'auront dvor avant qu'il y parvienne.

    C'est surtout la bonne condition physique qui est indispensable au hros pour mener bien les actions d'clat projetes par son . Un guerrier affaibli par l'ge ne mritera donc aucun reproche s'il recule devant un adversaire plus jeune que lui, condition de prouver que son demeure intact et ne le cde en rien celui de son adversaire. Au chant XIII de VIHade, Idomne appelle son secours les autres chefs achens, car il n'ose se dresser seul en face d'Ene, qui est plus jeune et vigoureux que lui :

    ' , . ' , (62).

    // a en lui la fleur de la jeunesse, qui est la force suprme. Si nous tions de la mme gnration, avec ce thumos qui nous anime, bien vite, c'est lui ou moi qui remporterait ici une grande victoire.

    De mme, au chant IV, Agamemnon regrette que Nestor n'ait plus les muscles de ses vingt ans, alors que son n'a subi aucune altration, ainsi que l'attestent les exhortations et les conseils qu'il prodigue inlassablement ses troupes :

    ' vi ' , , (63).

    A h, vieillard, si tes genoux suivaient ce thumos log dans ta poitrine et si ta vigueur tait encore solide! Mais l'impitoyable vieillesse t 'puise ; que n 'accable-t-elle un autre et te permette de rester parmi lesjeunes !

    (61) //., XVIII, 282-283. (62) //., XIII, 484-486. (63)//., IV, 313-316.

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 49

    Cette opposition est encore exprime en Od., XVI, 99, o Ulysse affirme Tlmaque, qui ne l'a pas encore reconnu, que s'il tait plus jeune, il s'empresserait de chasser les prtendants du palais, au risque de sa vie ( ' ).

    Il nous faut ensuite considrer le , qui est associ au dans plusieurs contextes. Il s'agit d'une force redoutable, qui se dpense dans l'action et produit de grands effets ; elle permet au guerrier de surmonter les obstacles qui se dressent sur sa route et par consquent, de mener bien les projets parfois tmraires que son lui inspire ; elle jaillit comme une flamme, clate comme un incendie, se dchane comme la tempte ou les torrents furieux qui dvalent des montagnes. C'est pourquoi, voque dans certains emplois la capacit de destruction des lments naturels : (Od., V, 478 ; XIX, 440) ; (//., V, 524-525); (IL, XXIII, 190 ; Od., X, 160) ; (II., XII, 18) ; (IL, VI, 181 ; XVII, 565 ; XXIII, 177, 238 ; XXIV, 792 ; Od., XI, 220). Ce terme dsigne donc essentiellement un lan, une fougue, une fureur guerrire que le hros exhale, comme son souffle puissant, ou jette devant lui, comme ses bras vigoureux ; de l des noncs tels que //., V, 506 : ils portaient en avant l'lan de leurs bras (cf. //., XVI, 602 ; XX, 172) ; //., X, 479 : ' allons, porte en avant ta fougue puissante ; (-) ' (-) () les Achens (les Abantes) qui respirent la fureur (IL, II, 536 ; III, 8 ; XI, 508 ; XXIV, 364), cf. Od. XXII, 203 ( ).

    Pour la mme raison, est souvent en relation avec des verbes qui expriment l'ide de conflit, de rivalit, de rsistance ; citons par exemple mler (IL, XV, 510 ; XX, 374), s'opposer , se mesurer avec (IL, VI, 127 ; XXI, 151, 431) ; , porter contre, rsister (IL, XXI, 41 1, 482, 488) ; galer, rivaliser avec (IL, VI, 101), (IL, XVII, 503) et (IL, XIII, 105) tenir bon, rsister ; contenir, matriser (IL, VIII, 178). On voit ainsi que ce terme voque une force que les adversaires se jettent pour ainsi dire l'un contre l'autre dans la bataille.

    Quand l'homme affronte un obstacle, il doit pouvoir disposer du ncessaire pour le surmonter. Par consquent, une priphrase compose de et d'un gnitif de nom propre sera usite pour mettre en relief l'efficacit d'un personnage, sa puissance, l'importance de ses ralisations. On rencontre ainsi des syntagmes tels que : (Od., VII, 178 ; VIII, 423 ; XIII, 49, 64) ; (Od., VII, 167 ; VIII, 2, 4, 385, 421 ; XIII, 20, 24), (Od., VIII, 359) ; (Od., XVIII, 34) ;

    (IL, XXIII, 837). Quelques emplois tmoignent d'une tape intermdiaire, et notamment //., XI, 268, 272, o Agamemnon, bless au bras, est oblig de battre en retraite : ' des douleurs aigus pntraient

    Importante para meu artigo, j que tal aspecto do carter (thymos) do gueereiro lhe serve para vencer os obstculos, sobremaneira, naturais. Pelo ex. que o autor deu ele seria caracterizado pelos mecanismo que falei no artigo.

  • 50 A. CHEYNS

    l'Atride, considr comme une incarnation du dans ce passage qui traite prcisment de ses exploits.

    Le se distingue encore par son intensit, car les succs auxquels aspire le hros sont gnralement hors de porte du commun des mortels. Il apparat donc comme une nergie supplmentaire, que le guerrier peut parfois se fournir lui- mme, par exemple quand il est emport par une motion violente, mais qui lui est plus souvent octroye par un agent extrieur, et en particulier par une divinit. Nombreux sont en effet les contextes o est complment de verbes signifiant mettre dans, verser dans, remplir, insuffler, p. ex. , (//., V, 513 ; , 366 ; XVI, 529 ; XVII, 451) ; (IL V, 2) ; (IL XXI, 145 ,Od., I, 89, 321) ; (IL V, 125 ; XXIII, 400) ; (IL XVII, 156 ; XIX, 37 ; XX, 80) ; (IL X, 482 ; XV, 60 ; XV, 262 = XX, 1 10 ; XVII, 456 ; XIX, 159 ; XXIV, 442) ; (Od., II, 271) ; (IL I, 103 ; IX, 679 ; XIII, 60 ; XXII, 312).

    En outre, comme l'pope met l'accent sur les activits physiques, le est parfois associ certains membres du corps, et en particulier aux mains ou aux bras, ainsi que le rvlent des expressions comme ' (II., VI, 502 ; XIII, 105) et (-) () (IL, VII, 309 ; VIII, 450 ; XII, 166 ; XIII, 318 ; XVII, 638 ; Od., XI, 502).

    Contrairement au , qui vise toujours de nouveaux exploits et engage le guerrier dans des entreprises parfois hasardeuses, le reprsente la force qui s'puise dans une activit concrte, afin d'obtenir un rsultat dtermin. Cette relation s'exprime, dans le texte homrique, de diffrentes manires. La coordination par exemple met en vidence la collaboration entre ces deux principes, qui agissent ensemble et dans la mme direction. C'est ainsi qu'on trouve la formule (') , qui voque dans Ylliade l'effet produit sur un groupe de guerriers par une exhortation ou une rprimande (64). En effet, les appels qu'un chef lance ses hommes dans les moments critiques ont pour consquence, la fois d'veiller en eux le dsir de combattre et de se mettre en valeur (), et de leur procurer les forces ncessaires pour soutenir une rsistance laborieuse ou mener une nouvelle offensive ().

    Ensuite, on peut estimer que le est de loin suprieur au , puisqu'il se rvle beaucoup plus efficace. Au chant V de Ylliade, Diomde rejoint les premires lignes, rconfort par Athna, qui lui a vers dans la poitrine une fougue aussi intrpide que celle qui animait jadis Tyde :

    (64) //., V, 470, 792 ; VI, 72 ; XI, 291 ; XIII, 155 ; XV, 500, 514, 667 ; XVI, 210, 275. En Od., VIII, 15, le sens de la formule est considrablement affaibli : Athna invite les Phaciens se rendre sur la place publique pour admirer Ulysse.

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 5 1

    ' , (65).

    Et le fils de Tyde revient se mler aux combattants des premires lignes. Auparavant dj, il dsirait ardemment se mesurer aux Troyens, mais ds cet instant, une fougue trois fois plus grande l'emporte. On dirait un lion ...

    C'est l'intervention d'Athna qui marque ici la frontire entre le et le . Diomde est dj par lui-mme () un guerrier courageux, enthousiaste et plein d'ardeur. Mais ds qu'Athna a mis en lui cette force appele , afin qu'il puisse accomplir des exploits encore plus remarquables, sa puissance d'action se trouve pour ainsi dire multiplie par trois, comme celle d'un lion bless dont les souffrances excitent la colre (vers 137-142).

    Certains contextes o est sujet ou complment d'un verbe signifiant dsirer, esprer, souhaiter (, , , , , ) peuvent tre mis en opposition avec les passages dans lesquels dsigne une force qui dpasse en quelque sorte les limites de l'humain et qui est accorde par les dieux un hros pour lui permettre de vaincre ses ennemis. Le dsir de gloire qu'entretient inlassablement le ne tient prcisment pas compte des limites qui sont imposes l'individu. C'est pourquoi, plusieurs contextes soulignent la folie de l'entreprise ou montrent que cette volont de puissance conduit le guerrier l'chec ou la mort: //., VIII, 301, 310, o Teucros souhaite ardemment atteindre Hector, mais le manque chaque fois ; //., XIII, 386, o Asios tire sur Idomne, mais sans succs ; //., XVII, 234, 495, o Hector et ses compagnons, qui esprent emporter la dpouille de Patrocle, puis cherchent capturer les chevaux d'Achille, sont qualifis de ; //., XIII, 813, o Ajax met Hector au dfi d'incendier les navires achens ; //., XV, 701 , o les Troyens, enivrs par leur victoire, caressent l'espoir de massacrer tous les Achens et d'anantir leur flotte entire ; Od., II, 248, o Locrite rpond Mentor que si Ulysse tait de retour et voulait se dbarasser des prtendants, il ne remporterait pas ncessairement la victoire ; il pourrait au contraire payer de sa vie un projet aussi tmraire.

    L'aspiration du vers la puissance et la gloire est donc dangereuse, surtout si le hros ne peut compter avec certitude sur des forces supplmentaires. Au chant XX de Ylliade, Achille demande Ene, qui se dresse devant lui, pour quelle raison il s'expose ainsi, au lieu de battre en retraite comme tous les autres Troyens : .

    (65) IL, V, 134-136.

  • 52 A. CHEYNS

    ( ;) ; ... (66).

    Est-ce ton thumos qui t'incite me combattre, et espres-tu ainsi rgner sur les Troyens dompteurs de chevaux avec le mme pouvoir que celui de Priam ?

    Achille ne pense d'ailleurs pas qu'Ene soit de taille le vaincre (vers 1 86). Il lui rappelle qu'il l'a dj mis en fuite et que, s'il ne l'a pas tu alors, c'est uniquement parce que les dieux l'en ont empch (vers 187-194). Mais cette fois, Ene ne pourra plus compter sur une intervention divine, comme il se l'imagine tort : ' o , / (vers 195-196). C'est pourquoi, Achille conseille son adversaire de reculer et de se perdre dans la masse (vers 196-197).

    C'est l'attrait du pouvoir qui, selon Achille, incite Ene l'affronter pour la seconde fois, alors que le premier combat avait dj tourn sa confusion. L'assistance divine apparat ici, sans l'intermdiaire du , comme la plus efficace parmi les forces capables de fournir une issue heureuse aux projets dicts par le , ou tout au moins d'viter un dsastre. Toutefois, elle n'est jamais dfinitivement acquise, car les dieux sont capricieux et concluent entre eux des alliances ignores des hommes (67).

    On lit d'autres endroits que le est plac dans le ; de telles expressions s'emploient gnralement quand un hros bnficie de l'appui d'une divinit dans une circonstance o sa force morale, son ardeur personnelle combattre, s'avre insuffisante pour surmonter les difficults qui se prsentent. Ainsi, dans un contexte du chant XVI de Vlliade, Apollon gurit la blessure de Glaucos et jette la fougue dans son cur, afin qu'il soit en tat de venger Sarpdon : (vers 529). En //., XVII, 45 1 , dsigne de toute vidence une nergie qui se diffuse la fois dans les membres du corps et dans l'organisme psychique. Aprs la mort de Patrocle, les chevaux d'Achille sont accabls de douleur : ils restent immobiles, comme des statues, au milieu du champ de bataille. Pris de piti, Zeus met la fougue dans leurs genoux et dans leur

    (66) //., XX, 179-181. (67) Un autre exemple de la relation entre le du hros et l'aide apporte par une

    divinit se rencontre en //., V, 800-813. o Athna reproche Diomde de ne pas avoir autant de courage que son pre Tyde. qui n'hsitait pas provoquer de nombreux adversaires et qui, grce au concours de la desse, remportait facilement la victoire : , . ' , ' / (vers 806-808).

  • LE ET LA CONCEPTION DE L'HOMME 5 3

    coeur, afin qu'ils s'lancent vers le camp des Achens : ' ' (68). Au chant de l'Odysse, le , alli cette fois au assurance, audace, intrpidit, vient renforcer le de Tlmaque grce l'intervention d'Athna : ' (vers 320- 321). Il s'agit en effet pour cet adolescent de s'engager pour la premire fois dans une aventure dont il porte seul toute la responsabilit : chapper la vigilance des prtendants et se rendre auprs de Nestor et de Mnlas, afin de recueillir des informations au sujet de son pre. La situation est diffrente au chant XXII de l'Iliade. Achille, anim contre Hector d'une haine farouche et implacable, se confre lui-mme assez de pour livrer contre son ennemi un assaut victorieux : ' ', ' ' (//., XXII, 312- 313). Ce comportement d'Achille, traduit par le moyen , s'oppose l'action des dieux, qui est exprime ailleurs par des formes actives telles que , , .

    Pour terminer cette partie consacre la relation entre le et le , nous citerons deux passages de l'Iliade qui confirment de faon trs explicite les rsultats obtenus et qui ont en outre l'avantage de mentionner un troisime principe d'action, assez proche des deux premiers, et d'en prciser les caractres distinctifs.

    Le premier groupe de contextes est tir du chant XIII. Profitant du sommeil de Zeus, Posidon revt les apparences de Calchas et se rend auprs des Achens, afin de les encourager la rsistance. Il s'adresse d'abord aux deux Ajax, qui dirigent la dfense. Homre prend soin de signaler qu'avant l'arrive du dieu, ils taient dj par eux-mmes pleins d'ardeur pour la bataille : (vers 46). Aprs une brve exhortation, Posidon frappe les deux hros de son sceptre et diffuse dans leurs membres un puissant .

    TH h/ , ' (69).

    (68) La relation entre et est diffrente en //., XXIII, 468, o Idomne, qui observe la course de chars et aperoit en tte l'attelage de Diomde, suppose qu'Eumlos, qui occupait auparavant la premire place, a manqu le virage et bris son char, et que ses chevaux poursuivent leur course dans la plaine, emports par leur lan (i ). Ici, le ne vient pas s'ajouter au , mais il s'en empare, le matrise compltement, de sorte que les btes continuent sur leur lance, comme une pierre qui dvale une pente.

    (69) //., XIII, 59-61.

  • 54 A. CHEYNS

    // dit et, les frappant tous deux de son sceptre, le dieu qui tient la terre, celui qui secoue le sol, les remplit d'une fougue puissante : il rendit plus lgers leurs membres, d'abord leurs jambes puis, en haut, leurs bras.

    Il est normal qu'on ne relve ici aucun emploi de , puisque la force morale des deux guerriers est intacte, ainsi que le prouve l'expression , cite au vers 46. C'est uniquement la fatigue qui les accable, car ils fournissent depuis longtemps dj un effort considrable. Aussi l'action du se concentre- t-elle principalement sur les membres du corps (, qui dsigne ici les bras et les jambes).

    Aprs le dpart de Posidon, les deux hros sentent pntrer en eux des forces nouvelles. Voici comment le fils d'Oleus dcrit ce phnomne :

    ' vi , ' (0).

    dans ma poitrine, mon thumos est agit d'un dsir encore plus grand de guerroyer et de combattre ; les jambes qui me portent et, en haut, mes bras, frmissent d'ardeur.

    Ce qui doit attirer ici notre attention, c'est l'adverbe qui accompagne , car il rpond au syntagme , qui figure au vers 46. Le se dfinit par consquent comme une nergie complexe : il anime videmment les membres du corps qui sont les plus utiles au guerrier, mais il agit galement sur le , mme quand celui-ci n'est pas entam, pour en accrotre l'intensit. En effet, le transmis aux deux hros par le sceptre du dieu n'a pas seulement dissip la fatigue