Κωνσταντίνος Χατζόπουλος - Φθινόπωρο

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Transcript of Κωνσταντίνος Χατζόπουλος - Φθινόπωρο

  • (f)8INOn~po

    AUTOMNE

  • Collection Etudes grecques dirige par Rene-Paule Debaisieux

    DOMAINE GRECMODERNE:- Edmond ABOUT, La Grce contemporaine, 1854 [rdition,prsente et annote par J. Tucoo-Chala] - 304p.- Venetia BALTA, Problmes d'identit dans la prose grecquecontemporaine de la migration - 234p.- Paul CALLIGAS, : textes traduits, prsents et annots par Marle-Paule Masson-Vincourt :

    Thanos Vlcas - 320 p.Des Prisons - 112p.Rflexions historiographiques - 174p.Voyage Syros, Smyrne et Constantinople - 222 p.

    - Constantin CHATZOPOULOS, Dans l'obscurit et autres nouvelles[Nouvelles traduites du grec] - 9Op. .- Jolle DALGRE, La Thrace grecque, populations et territoire -27~. '- Rene-Paule DEBAISIEUX,

    Le Dcadentisme grec (1894-1912) - 272p.Le Dcadentisme grec, une esthtique de la dformation186p.

    - Andras EMBIRI cos , Domaine intrieur [Traduit par JacquesBouchard] - 112p.- Joannis KONDYLAKIS, Patoukhas [Traduit, prsent et annot parVassiliki et Pierre Coavoux] - 206p.- Marie-Paule MASSON-VINCOURT,Paul Calligas (1814-1896) et lafondation de l'Etat grec - 658 p.- Grgoire PALAIOLOGUE, L'Homme aux mille msaventures (1839)[Traduit, prsent et annot par Henri TOIll1et- dition bilingue] -650p.- Charles-Sigisbert SONNINI, Voyage en Grce et en Turquie (1801)[Prsent et annot par Patrice Brun] - 253 p.- Henri TONNET, Histoire du roman grec, des origines 1960- 304p.- Irini TSAMADOU-JACOBERGER,

    Le nom en grec moderne, Marqueurs et oprations dedtermination - 336p.Mlanges offerts Astrios Argyriou - 416p.

    - Mario VITTI, Introduction la posie de Georges Sfris [Traduitdu grec] - 256p.

  • CONSTANTIN CHATZOPOULOS

    AUTOMNE

    Texte traduit, comment et annotpar Nicole Le Bris

    L'Harmattan5-7, rue de l'cole-Polytechnique

    75005 ParisFrance

    L 'Harmattan Hongrie L'Harmattan ItaliaHargita u. 3 Via Bava, 37

    1026 Budapest 10214 TorinoHONGRIE ITALIE

  • ()L'Harmattan, 2001ISBN: 2-7475-1549-4

  • Introduction

    Pourquoi traduire et prsenter 4>8zvonmpo?Pour faire partagerle plaisir et l'impression profonde d'une lecture: voil un roman peuconnu hors de Grce, qui subjugue, et, d'entre de jeu, intriguefortement. Ce qui, en particulier, dsoriente, c'est la curieuseimpression qu'il donne d'appartenir plusieurs poques la fois.- Ce jour trouble, ces pensives traverses de nuages, ces paysagesd'me, voil, nous disons-nous par moments, reparatre le monde Verlaine et de Rodenbach. D'un autre ct, ces fatales oscillations, cesaveuglements, cette droute des espoirs et l'impression que le pire estpresque toujours sr,

    - la rflexion c'est assez bien le genred'histoire que pouvait inspirer, en 1915-1916, la situation nationale etinternationale. Mais comment se fait-il qu' cette mme date le romanprenne pour traiter son lecteur des faons si hardiment modernes? Carle lecteur est ici trs fortement sollicit. Dans l'effacement obstin dunarrateur, lui de construire sa lecture, d'interprter des signes; dansl'absence apparente d'vnements, de percevoir la marche d'unetragdie; dans l'objective nullit des dialogues et des actes, de devinerla trace "des mouvements secrets qui se passent, inaperus, en deslieux carts de l'me"l ; dans les blancs d'un texte clat l'extrme,d'laborer par ses propres moyens toute la sous-conversation qu'on luisuggre; de tourner autour d'un "secret" qui se drobe; et de donnerlui-mme, en fin de compte, un sens, ou des sens, l'histoire. Desrapprochements se font, au fil de la lecture, avec Freud, avec Proust ouMusil, avec James, avec Sarraute et tout le roman moderniste, desrapprochements dont on sait bien pourtant que certains sontanachroniques. Et pour les autres, qu'en est-il? Justement: le romandonne envie d'y voir plus clair, d'essayer de comprendre commentpeuvent ainsi s'associer en son sein un symbolisme comme attard etune dmarche comme exprimentale, et d'aller regarder de plus prsquels peuvent tre, de tout ce troublant paradoxe, les tenants etaboutissants.

    1 Knut Hamsun, De la vie inconsciente de l'me, 1890.

  • L'auteur2

    Kostantinos (Constantin) Hadzopoulos naquit Agrinion, enRoumlie, le Il mai 1868, premier des 7 enfants, 5 garons et 2filles, de Yoannis (Jean) Hadzopoulos et de Thophani Stakou. Sonpre tait propritaire terrien. Sa mre appartenait elle-mme unegrande famille qui s'tait illustre dans la guerre d'Indpendance contreles Turcs, en 1821, et avait reu du nouvel Etat grec, en rcompense,de grandes tendues de terre. Parmi les frres de Kostas, Dimitrios futconnu plus tard dans le monde du journalisme et des lettres sous lepseudonyme de "Bohme" [M1toJ.llDe ses deux surs, la plus jeune,Aspasia, mourut sans avoir atteint l'ge de se marier3.

    Je remercie avec gratitude tous ceux qui m'ont aide dans ce travail, enparticulier monsieur Henri Tonnet, qui m'a t un guide sans pareil ;monsieur Christos Papazoglou; monsieur Stavros Lnis; madameEfstratia Oktapoda; madame Mary Chryssicopoulou; et madame NikiSkoulatos, qui a accept de rviser la traduction.2 Le nom Xa-ro1touoest susceptible de plusieurs transcriptions. Dansun souci de cohrence, notre page de couverture a conserv la graphieChatzopoulos dj en usage dans la collection. Dans le corps de ce livre enrevanche, on trouvera la transcription Hadzopoulos, la plus proche de laprononciation grecque effective. On pourra rencontrer d'aventure, danscatalogues et fichiers, les formes Chadsopoulos, Chatsopoulos,Hadjopoulos, Hatzopoulos, Khatzopoulos...

    A la biographie sommaire que nous donnons ici le lecteur trouvera uncomplment dans l'article "Chronologie de K. Hadzopoulos" paru dans larevue L1ta{3&m,n 319, 29.9.1993, p. 30-36, et dans la "somme" queconstitue, sur K. Hadzopoulos, l'ouvrage de Takis Karvlis, KostantinosHadzopoulos le prcurseur [KlOO'ravr{vo Xaronovo 0npmonopo], d. Sokolis, Athnes, 1998.3 Une zone d'ombre entoure la vie et la disparition de cette jeune sur,morte dans une clinique d'Athnes, et dont certains Agrinion disentqu'elle tait atteinte d'une maladie ou de quelque lgre dficience.

    On penserait volontiers que la destine douloureuse de cette jeune fille aretenti sur la sensibilit de son frre. Certes ni Marika ni "la petite sur",

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  • Le jeune Kostas, comme convenu ds avant sa naissance, futlev par son grand-pre Sotiris Stakos (pre adoptif de sa mreThophani et par ailleurs oncle de son pre Yoannis) et la sur cecelui-ci, Hlne, dans le grand domaine de Lycorrachia, Agrinion4. A10 ans, on l'envoie au Lyce de Missolonghi5. A 14 ans il estbachelier et commence en 1882 Athnes ses tudes de droit. Sespremiers pomes paraissent en revue ds 1884. Les ts le ramnent Agrinion. Dans l'anne il commence frquenter les milieuxlittraires. Il connat bien Palamas, dj pote reconnu. Celui-civoque en ces termes l'impression que lui faisait l'adolescent ds leLyce: "Hadzopoulos tait ds cette poque vif, rebelle, expansif ourenferm, selon le moment; ds cette poque manquant constammentd'quilibre, mais pour cette raison mmeparticulier et attachant."6 Cestraits de sa personnalit se maintiendront. Voici le portrait que dessine

    dans Automne, ni Clara, ni "la grande sur", dans les Nouvelles, ne sontidentifiables directement Aspasia. Mais ces' diverses jeunes figures dlmalheur fminin doivent peut-tre cette source secrte une part de leurexistence.4 Les origines de l'crivain ne vont pas sans quelque mystre. Lesmmoires en allemand de sa femme voquent, telle qu'il la lui a raconte, ladramatique histoire de Sotiris et d'Hlne Stakou, faits prisonniers par lesTurcs lors du sige de Missolonghi en 1821, la captivit de celle-ci dans unharem, et la dcision qu'elle prit ensuite de ne jamais se marier. La traditionempchant Sotiris dans ces conditions de se marier lui-mme, Hlne et luiadoptrent la jeune filleule de celle-ci, Thophani,

    -

    la future mre deKostas (cf. l'introduction de Krista Anemodou-Arzoglou son dition desTextes de critique de Hadzopoulos, p. 7 9).

    Cette fille d'adoption, Thophani, pourrait se trouver en ralit la fillenaturelle que Sotiris aurait eue d'une femme son service.

    Cependant, avant que ne se rpande cette version de l'histoire familiale,une opinion trs gnralement partage Agrinion voyait en Kostas lui-mme, et non en sa mre Thophani, l'enfant naturel de Sotiris Stakos.

    Quoi qu'il en soit, en dpit de la grande aisance dans laquelle il vcut et dela beaut des lieux de son enfance, une souffrance a pu natre pour le jeuneKostas de sa situation familiale ou des rumeurs qu'elle souleva, et decertaines tensions ou rancunes qu'on peut deviner de l'extrieur.5 Il ne semble pas que ce Lyce ait comport un internat. On ne sait riend'une ventuelle famille d'accueil, ni de ce que put tre Missolonghi la viede ce trs jeune lycen.6 Kostis Palamas, uvres conlpltes [ff:\nav1'a], d. Fondation KostisPalamas, Athnes 1962-1984, 1. 8, p. 423.

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  • de lui Eri Stavropoulou, tel qu'il lui apparat travers les diverstmoignages et travers sa correspondance: "Esprit inquiet etinsatisfait, ouvert aux ides et aux courants de pense de son poque, ilfaisait preuve d'une particulire sensibilit tant aux problmesartistiques qu'aux problmes politiques et sociaux. La soif d'tude,l'inlassable effort pour atteindre une plus grande perfection dansl'criture et l'attachement ses idaux allaient de pair dans sa personneavec un caractre difficile et obstin, irascible et disputeur, capable cEsusciter avec une gale facilit amitis et inimitis, de passerbrusquement, avec quelque tendance l'excs, de l'enthousiasme audsespoir et de la colre la raillerie et des farces redoutables. ,,7Pourfaire bonne mesure, ct de cette instabilit nerveuse dont il souffraitle premier, il convient d'voquer une extrme droiture, une totaleabsence de petitesse et un dsintressement absolu. "Il tait trssensible et brusque", crit sa femme. "L'injustice tait ce qui le mettaitle plus souvent en colre; il ne pouvait supporter la versatilit, lemanque de sincrit et la servilit."

    En 1891, ses tudes termines et son service militaireaccompli, il se fait avocat Agrinion. Pas pour longtemps: en 1893,il renonce sa carrire de juriste pour se consacrer entirement etdfinitivement la littrature.

    En 1897, mobilis, il participe aux oprations dsastreuses cEla guerre contre les Turcs. Cette priode lui fournira la matire de sapremire nouvelle: "Franc-Tireur", parue en 1907.

    1898 : Il publie, sous le pseudonyme Ptros Vassilikos, qu'ilgardera jusqu'en 1910, ses deux premiers recueils de pomes, Chantsde la solitude et Elgies et idylles, qui portent la marque dusymbolisme, en particulier de la posie verlainienne. L'hritage qu'ilreoit la mort de son grand-pre Stakos le met la tte d'unecertaine fortune. Il est ainsi en mesure d'diter, l'espace d'une anne(nov. 1898-oct. 1899), une revue, L'Art, dont la parution fait datedans les lettres grecques. Premire revue en langue dmotique, elleoffre ses lecteurs, sous forme d'analyses et de traductions, un

    7 p. 13-14 de l'introduction son dition des Nouvelles de Hadzopoulos,d. Synchia, Athnes, 1989.

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  • remarquable tour d'horizon de la littrature et de l'art traversl'Europe, avec un intrt marqu pour le symbolisme, surtout franais,et pour le thtre nordique; une coloration nietzschenne lui estdonne en particulier par les contributions, depuis Munich, de YannisKambysis.

    L'Allemagne est alors en Europe un ple de fascination.Kambysis presse son ami de l'y rejoindre. Hadzopoulos, qui a apprisquelque peu d'allemand auprs du professeur Karl Dieterich, part enmai 1900. De mai aot il sjourne Munich; puis Berlin; enoctobre il est Dresde; dans la pension o il descend, il fait laconnaissance de deux jeunes amies, elles-mmes venues se familiariseravec les muses allemands et s'exercer la peinture, la NorvgienneMarguerite Lundt, la Finlandaise Sunny Haggmann, phytothrapeutede profession. Il croit un temps s'tre pris de la premire; c'est laseconde avec qui il se lie. En avril 1901, tous. deux partent pour laFinlande dans la famille de Sunny, et leur mariage a lieu Helsinki autemple protestant. Puis ils gagnent la Grce, en passant par Saint-Ptersbourg, Varsovie, Vienne, Trieste et Venise. Le 14 mai, ilsarrivent en train Agrinion pour se rendre dans la famille Hadzopoulos. Celui-ci accepte un deuxime mariage religieux,orthodoxe cette fois.

    Aot 1901 - juin 1905: Hadzopoulos et Sunnyemmnagent rue Mavromichalis Athnes. Leur fille Senda y nat auprintemps 1902: avec sa venue finit de se constituer un trio trsaimants. Pour leur installation, peu de meubles, mais beaucoup cEIivres: "La riche bibliothque de mon mari", crit Sunny dans sesmmoires9, "comportait surtout de la littrature germanique; il yavait aussi des auteurs classiques franais et allemands, desphilosophes et des potes, et aussi de grands auteurs scandinavestraduits en allemand, comme Kierkegaard, Jonas Lie, Herman Bang,

    8 L'enfant a reu le nom de l'hrone de l'opra de Wagner, Le VaisseauFantme, dans lequel le personnage de Senta symbolise la rdemption parl'amour. - Ceux qui l'ont connue prononcent son nom" Senda", la faongrecque.9 Tous les extraits de ces mmoires donns ici en traduction proviennent,non de l'original en allemand, mais de la version en grec qu'en a donneSenda.

    Il

  • Ibsen, Hamsun et Strindberg. (...) De mon ct j'avais emport unassez grand nombre de livres sudois et finlandais." - "Bohme" etKambysis ditent une revue, Dionysos (1901-1902), et Kostas ycollaborelO.Pendant l'hiver 1902 il entame une srie de traductions, -reconnues comme magistrales -, du rpertoire thtral europen. Lemoment est favorable pour un homme que le thtre intresse depuistoujours, qui croit son minente vertu "ducative", qui dplore lamdiocrit des programmes offerts au public grec, et voudrait tout lafois lui donner accs aux plus grandes uvres trangres classiques etcontemporaines, et montrer que la dmotique possde pour cela lesqualits requises. Justement viennent d'ouvrir, en novembre 1901, leThtre Royal, o travaille le grand metteur en scne ThomasIkonomou, et la Scne Nouvelle, que dirige l'crivain Christomanos.Avec Ikonomou Hadzopoulos est li par l'amiti, avec Christomanospar certaines vues communes; pendant 4 ou 5 ans, qui furent un grandmoment de la scne grecque (jusqu' ce que la Scne Nouvelle fermeses portes le 2 novo 1905 et qu'Ikonomou soit contraint de quitter leThtre Royal en avril 1906), les deux thtres mettent l'affiche, ct d'Ibsen et de Maeterlinck, des uvres traduites par Hadzopoulos,de Gthe (Faust, dont il remaniera la traduction sans cesse pendantquinze ans, Iphignie en Tauride), Gogol, Shakespeare, Kleist,Hauptmann, Sudermann, Grillparzer, Bj~rnson... Par la suite, sestraductions resteront en usage, mais un rythme moins soutenu, dansle "thtre libre" et en particulier au thtre de Marika Kotopouli.

    Pourtant l'attrait de la vie culturelle allemande ramnel'crivain et sa famille Munich (juin 1905-juil. 1906), puis BerlinGui!. 1906-fv. 1908), puis de nouveau Munich (fv. 1908-t1914). Ce deuxime sjour allemand, entrecoup de voyages enFinlande (t 1906, t 1907), constitue pour Hadzopoulos une priodede grande activit. En 1907 il adhre au socialisme, tente de mettre surpied dans le milieu des Grecs expatris des associations socialistes, etse livre de vastes lectures politiques. (Il traduira d'ailleurs en 1908 le

    10 Ils en produisent eux trois la quasi-totalit. Ch. L. Karaogloucaractrise la revue comme "l'organe pratiquement personnel de Kostas etMitsos Hadzopoulos et de Kambysis." (Dionysos (/901-1902), d. Diatton,Athnes 1992, p. 41)

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  • Manifeste Communiste de Marx et Engels et le publiera ses frais en1913). Cette mme anne 1907, la nouvelle "Franc-tireur" marque ledbut de son uvre en prose11. Paralllement il continue publier despomes dans des revues, multiplie les articles de critique littraire, etse dpense en faveur de la cause dmotique.

    - En 1914, aprsl'attentat de Sarajevo, la menace de guerre s'alourdit, les trangers sontde plus en plus mal l'aise Munich. En aot, aprs la dclaration guerre, Hadzopoulos, sa femme et sa fille quittent l'Allemagne enhte, laissant en garde-meuble Munich, pour peu de temps pensent-ils, mobilier, livres, tableaux et manuscrits.

    Et 1914 - 1916 : A Athnes, l'crivain renonce, non pas ses idaux socialistes, mais aux runions des groupes socialistes,dcourag par les querelles de personnes qu'il Y constate, et conscientd'tre un homme d'ides plus que d'action 12.Il s'associe en revanche l'activit du groupe dit des "Sociologues" en faveur de la dmotique. Il

    11 Avant cette date se prsente un texte qu'on a pu croire crit par lui. Il serencontre dans le feuilleton du Journal des Dbats du mardi 29 jv. 1895,sous ce titre: "Artinia, nouvelle de M. Chatzopoulo, traduite du grec, parN. . ." Il s'agit d'un rcit la premire personne fait par un voyageur,comme on peut en trouver chez Maupassant, et qui joue sur le pittoresquemoral de la vie grecque traditionnelle. Dans la maison de montagne o ilest accueilli par un vieil homme et sa fille, la jeune Artinia, le voyageurvoit arriver un klephte farouche, meurtrier par accident, qui vient chercher,pour l'emmener partager les risques de sa vie, la blonde Artinia, - safemme.

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    A la Bibliothque de l'Institut no-hellnique de la Sorbonne oil se trouvait jadis, le document est signal par une fiche ancienne au nomde Chatzopoulo, C. Toutefois cette attribution ne convainc pas. Le "M." de"M. Chatzopoulo" peut tre lu comme "Monsieur" , mais aussi commel'initiale de Mitsos ou de M1tOfl,le frre de notre crivain (cf. la page detitre de la revue Dionysos, 1. 2: "Directeur M. XATZOnOYA01:(MllOEM)". Dimitrios-Mitsos-" Bohme" Hadzopoulos (par ailleurs bienconnu de la Bibliothque, o figurent certains de ses ouvrages, dont deuxavec ddicace chaleureuse Hubert Pernot) publia pendant la dcennie1890-1900 plusieurs recueils de courts textes descriptifs ou narratifs. Onlui doit aussi nombre de traductions de romans et nouvelles, surtout partirdu franais, parues dans sa revue Dionysos (1901-1902).12

    "Toute ma vie je resterai socialiste, mais les armes avec lesquelles oncombat doivent tre pures et honntes", dit-il sa femme au retour d'unerunion, en annonant qu'il ne s'y rendra plus.

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    Sur sa conception dIsocialisme au dbut de 1915, cf. son article" Ce que veut et ce qu'est lesocialisme", Textes de critique, p. 496 et ss.

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  • remanie, rassemble et publie son uvre antrieure. En 1915 paraissentson roman Le Chteau d'Akropotamos et sa traduction en volume, partir du sudois, du roman Le Livre du petit frre, de Geijerstam ; iltraduit de l'allemand la Mde de Grillparzer, qui est monte par lethtre Kotopouli en septembre 1915. En 1916 paraissentsuccessivement13 sa traduction remanie de Gthe, Iphignie enTauride, celle de Hofmannsthal, Electra, son propre recueil Tasso,Dans l'obscurit et autres nouvelles, et sa traduction dfinitive duFaust de Gthe. C'est pendant la mme priode, hiver 1915-1916,qu'il crit Automne. - En dcembre 1916, il signe avec d'autresintellectuels la ptition qui demande au roi Constantin de ne pas rangerla Grce au ct de l'Allemagne.

    1917 : En juin, il participe l'accueil triomphal du premierministre Vnizlos, qui sort vainqueur de son conflit avec le roi. Enjuillet il accepte dans le gouvernement Vnizlos le poste de directeurde la Censure. "Il travaillait nuit et jour", crit Sunny, "et voulait luiaussi servir sa patrie, inspir par l'esprit de libert." (Epuis, ildmissionnera au dbut de 1919). - En septembre parat Automne, ladernire uvre en prose qu'il ait publie.

    En 1918, la mort de son pre, Hadzopoulos vend le domainede L ycoITachia.

    1920 : Il achte une maison Athnes rue Mavromichalis. Ilest plein de projets, fait paratre deux recueils de pomes, Modessimples et Lgendes du soir. En aot il dcide de se rendre Munichavec sa femme et sa fille pour rapporter de l-bas ce qu'ils avaient d Ylaisser en 1914. A bord du bateau qui les transporte Brindisi, il meurtd'une intoxication alimentaire.

    Aprs sa mort furent dits, en 1923, le recueil Annio etautres nouvelles, et en 1927 sa traduction du roman d'Herman Bang,Les Quatre Diables.

    13 C'est ce qui apparat quand on compare les annonces des quatrimes decouverture.

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  • L'uvre: chronologie

    1898 : Deux recueils de pomes, Chansons de la solitude [TpayovDlarij fJ17J.ll]aux ditions Estia, et Elgies et idylles [T yea ICai't' eiDvMla] dit par Techni. Certains de ces pomes avaient tpublis en revue partir de 1894.Nov. 1898 - oct. 1899 : Parution de la revue L'Art [tH TXV17].

    1910: Amour au village ['AyamJ (]'t'oXWplO], d. Estia (nouvelle 40 pages).

    1915: Le Chteau d'Akropotamos, tude de murs [ta ,ropyo 't'oi)'AICpo1Cma/lov,1j(}oypacp{a],d. Fxi, 148 p. (version remanie de tHICovla 't'aICpo1COTa/lOV,paru en revue de jv. avril 1909).

    1915 : Surhomme, nouvelle [tY1Cepav(}ptmro, D117rr1/la], d. Fxi,138 p. Paru en revue ds novo 1911.

    1916: Tasso, Dans l'obscurit, et autres nouvelles [Ta(]w, ITO(]ICmaDl, 1ClaMa Dl17Y11/laTa], d. Estia. Ce volume de 174 p.contient, outre "Tasso", publie en revue en nov. 1910, et "Dans

    l' obscurit " (en revue mars-avril 1911): "Quelle vie!" ["Zom"] (enrevue juil.-aot 1911); "Le chteau d'Alivris" ["fa 1tupyo 'to'At~P1l"] (en revue en 1912); "La maison du matre d'cole" ["ToC11tl'tt'to aQ1(aou"]; "La sur ["fH eqn1"](en revue mai1912); "Barbandonis" [" f0 M1tapJl1tav'tcOvll"]; "Le rve de Claire"["To ovetpo

    't'i1KNXpa"] (en revue en 1913).

    1917 : Automne [

  • 1923 : Annio et autres nouvelles, avec prface de K. Palamas [rHi:\VVlCOla aa c5l1rrf1lla~a, Il~ J(pl~l1(OV 1tpoMyov K. IIaall], 00.

    Fxi, 86 p. En dpit de son titre, le volume renferme seulement deuxnouvelles: "Annio" ; "Franc-Tireur" ["'Av'tapTI1"](en revue en dco1907).

    Traductions14 :

    1910 : Gthe, Iphignie en Tauride, d. Heinrich Laupp, Tbingen.1913: Marx-Engels, Le Manifeste communiste, premire traductionen grec de cet ouvrage, dite aux frais de l'auteur l'imprimerie duJournal des travailleurs, Athnes. Premire version parue ds 1908dans le journal Le Travailleur [ 'EpyaTIJ].1915: Gustaf Geijerstam, Le Livre du petit frre, roman d'unmariage. Traduit du sudois. Ed. Vasiliou, Athnes (traductionprcdemment parue en revue en 1908-1909).1916: Gthe, Iphignie en Tauride, dition remanie. Ed. Estia,Athnes.1916 : Hofmannsthal, Electra, d. Estia, Athnes.1916 : Gthe, Faust, d. Estia, Athnes.1927: Herman Bang, Les Quatre Diables, d. Elefthroudakis,Athnes.

    14 Seules figurent ici les traductions publies en volumes. Pour lestraductions publies en revue, celles qui sont restes manuscrites ou ont tperdues, cf. Stratis Horafas, Contribution la bibliographie deK. Hadzopoulos [EVIlf30Il1} C1TIJ fJlfJllloypacpa ~ov K. Xa~61tovov], d.ELIA, Athnes 1983.

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  • Automne

    Situation

    Automne fut crit Athnes pendant l'hiver 1915-1916. Aupremier abord, on est fond se dire que pareille histoire sentimentaledans la province grecque au tournant du sicle a t labore dans letotal oubli de la guerre, de la tragdie collective en cours. Et pourtant:moins peut-tre qu'il n'y parat.

    Pour reconstituer l'tat d'esprit de l'crivain ce moment,nous disposons des mmoires de sa femme, Sunny Haggmann-Hadzopoulos. Voici son tmoignage:

    "Sitt aprs les ftes [de Pques 1915], Kostas fut pris par lapassion du travail (...) Nous revnmes [d'Agrinion] Athnes.Iphignie tait sortie en version amliore, on la lisait mme dans lescoles cette poque15. En ce qui concerne les autres publicationslittraires de Kostas, la ralisation en avait t dlaisse cause de lacrise gnrale. De toute faon nous tions heureux de nous trouverdans notre patrie, sur un sol qui tait ntre. Les barbaries de la guerre l'extrieur se poursuivaient et la Grce elle-mme commena subir lapression de la situation mondiale. Chacun devait donc prendre positionet dcider de quel ct se ranger, du ct du Roi Constantin qui voulaitque la Grce restt neutre, ce qui revenait se montrer germanophile[Kat 'tcn Sa xapa1crT\pttaVE YEPJ.UXVq>tll],ou du ct d'ElefthriosVnizlos, qui voulait la mobilisation pour engager le pays du ct l'Entente. Dans l'intrt de la patrie nous pensions qu'il fallait sanshsitation prfrer le second.(...)

    Pendant l'hiver 1915-1916, mon mari crivit le romanAutomne. C'est le livre dans lequel les cordes les plus mlancoliquesde son me se firent musique. C'est le Iivre dans lequel son tre intime

    15 Les indications de ce paragraphe ne concordent pas avec le millsime,1916, que porte la page de couverture d'Iphignie.

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  • trouva se frayer son chemin calme et triste [Etvat 'to ~t~io O''too1too 0 au'to 'tou ~pflKE TItv f\PEJlT\8tJlJlvT\1topEia 'tou] . Mais, ce que je crois, cette uvre est d'accs plus difficile que ses autresuvres.

    Pour le reste, nous passmes cet hiver sous la pressionexcessive du clivage qui divisait le pays. Les deux camps se faisaientface comme des ennemis. Kostas ne se mlait pas tellement de ceshistoires. Il tait absorb par les dernires corrections de sa traductionde Faust qui devait tre imprime. L't [1916], nous retournmes notre cher Maroussi (.. .). Je fus malade au dbut (.. .), mais fin aot jepus prendre mes pinceaux pour peindre.

    La situation du pays allait de mal en pis. (...) A Athnes lahaine contre Vnizlos et ses partisans parvint son comble (00 .).Beaucoup d'amis de Kostas avaient disparu d'Athnes, mais lui resta,bien qu'il y et des arrestations. Il disait avec humour: "Un pote doittoujours avoir la conscience nette." Un homme que par malchance ontrouva ayant dans sa poche le pome de Hadzopoulos "France"["raia"] fut arrt par les Monarchistes16. Les passions avaientbeau se dchaner et les haines grandir au-dehors, Kostas demeuraittranquille la maison - dans son bureau - et travaillait. Son granddsir enfin se ralisa. Faust, Electra et Tasso furent imprims en1916."

    On aurait aim disposer d'indications et de dates plus prcisessur l'laboration d'Automne, savoir si elle connut des tapes, desremaniements, quel moment exact elle fut acheve17.On aurait aimmieux percevoir aussi dans ces mmoires de quelle faon la situationde guerre et de crise se rfracta dans l'esprit de l'crivain. Ce que l'onvoit seulement ici, c'est d'une part la concidence du moment ol'crivain rdige Automne, avec celui o commence se creuser enGrce la grande "Dissension" nationale; et c'est d'autre part l'attitude

    16 Je n'ai pas trouv trace de ce pome.17 Le manuscrit a disparu. Aucune parution en revue n'a prcd celle dIlivre. La seule et minuscule indication de variante porte sur l'orthographedu titre, ainsi annonc en quatrime de couverture de Tasso... (1916):"sous presse: Gthe, Faust, traduction. paratre: Automne, roman [p'YO'tEpa: XtV 01tropo, Jl'U8tO''top11Jla].''

    18

  • gnrale qu'il observa: l'gard de la crise une certaine distance, quilui permettait ou que lui permettait la concentration sur un travailcapital; et paralllement un engagement rsolu et courageux, trsloign de l'indiffrence. Mais rien sur la manire dont peuvent jouerl'un par rapport l'autre l' uvre et le moment.

    C'est donc nous-mmes d'y regarder de plus prs.Rappelons les pisodes qui, au cours de ces mois, marqurent leconflit, la tte de l'Etat, entre le Roi et son Premier MinistreVnizlos. Le 4 oct. 1915, Vnizlos accepte le dbarquement destroupes de l'Entente Thessalonique. Le mme mois, le Roi obligeVnizlos dmissionner. En dcembre ont lieu des lections marquespar l'abstention des Vnizlistes. Les mains dsormais libres, le Roicommence avec l'Allemagne des ngociations, ensuite desquelles, enmai 1916, les troupes allemandes et bulgares descendent vers laMacdoine.

    Le pays ce moment oscille donc entre deux camps, entreneutralit et engagement; et les partisans d'une aide l'Entente ont lesentiment que la Grce, entrane par son Roi, s'aveugle et prend lechemin d'une fatale erreur. On dirait que l'Histoire en Grce s'ingnie imiter le tragique balancement qui constitue l'argument d'Automne.Pas seulement en Grce, d'ailleurs. C'est dans toute l'Europe cettepriode que nul ne sait plus au juste quelle position adopter, que lespacifistes d'hier hsitent entre "l'union sacre" dans la guerre et lafidlit leur idal ancien. Une sorte de vertige a pu conduire serenier mme de bons esprits18. La confusion est son comble;l'engagement dans la guerre est dclar ncessaire, selon le cas, toutaussi bien par ceux qu'anime un nationalisme conqurant, que par ceux

    18 L'article "L'Art allemand et la guerre", crit par Hadzopoulos en sept.-dco 1916 (Textes d critique p. 501 et ss.), voque en termes imags ceschavirements en Allemagne: "L'ivresse des premiers jours de guerre et lapeur (...) transforment comme par enchantement mme les classespopulaires les plus imprgnes de cosmopolitisme en foules et en armesanimes d'un patriotisme d'emprunt (Jl 'tEpO

  • qui se rclament d'un pacifisme et d'un humanisme bien compris.Illusions, indcisions, inconscience, mauvaise foi: ce que montreAutomne peut paratre comme le reflet, au plan de la vie prive, dudsarroi de toute une poque qui se sent vaciller19.

    Bien entendu, il ne convient pas de forcer l'analogie, et voir dans ce roman une quelconque allgorie politique et historique. Ily ad' ailleurs, dans le souci d'achvement artistique que manifeste letexte, et dans son intertextualit cosmopolite, la volont de se placer,par-del les passions du moment, "au-dessus de la mle", pourreprendre le titre de l'ouvrage de Romain Rolland, auquel Hadzopoulosa rendu un hommage appuy20. Il reste que la trame de l'histoire et leton du rcit portent la marque du "vertige d'incertitude"21 qui fut celuide ces mois prcis, et, par-del, de cette dcennie en gnral. Et c'estpeut-tre justement cette capacit du roman, par-del son apparence mince drame sentimental, faire cho un dsarroi et une angoissecollective, qui explique l'ampleur de son succs auprs des jeunes

    19 Si nettes qu'aient t les positions de Hadzopoulos en 1915-1916,l'vnement ne l'a pas toujours trouv lui-mme aussi assur dans sesjugements. En rponse une question que lui avait pose la revue Lettres[rpa,u,ua1'a] sur la guerre balkanique, il rpondit par un article, "Unjugement sur la guerre", dat Munich 1913, et publi par la revue en 1914(p. 499-500). L'article commence par dplorer que "le sentiment del' humanisme ne se soit pas encore tendu au point de bannir la guerrecomme solution aux diffrends entre les peuples". La conclusion est celle-ci: "Seule la fin de la guerre et le nouvel ordre des choses qui s'ensuivrapeut montrer de faon plus sre si la participation, ou la forme qu'a prise laparticipation de la Grce la guerre balkanique tait un coup de gnie[J!eya.oupyt1J!a]politique ou une fatale erreur politique."

    -

    Cet article nefigure pas dans les Textes de critique et semble avoir chapp auxrecensements bibliographiques.20 Dans l'article cit plus haut, "L'Art allemand et la guerre", Hadzopoulosrappelle, la suite de Romain Rolland, les exemples allemands del'crivain Hermann Hesse, "qui s'est exil en Suisse pour lutter en faveur dela paix", de revues comme les Feuillets pour l'art de Stefan George, "quiveulent ignorer la guerre comme un mauvais rve", les Feuilles blanches,"qui cherchent prparer au milieu du vertige [Mll] de la guerre la victoirede la fraternit de l'esprit, le Forum qui "dclare la guerre la guerre", etc.21 L'expression est emprunte une phrase de Musil, qui caractrise ainsison hros dans Les Dsarrois de l'lve Torless (1906).

    20

  • crivains grecs au cours de la dcennie suivante22, marque par letraumatisme de la catastrophe d'Asie Mineure.

    Au moment de sa parution, le roman semble avoir surtoutsuscit la perplexit. "Il fit l'objet de commentaires divergents[1to{>1tuPT\Kpt'tt1ci)]",crit Sunny. "On le condamnait, mais onl'admirait aussi. Certains le comprenaient et d'autres ne lecomprenaient pas; pour finir, la conclusion gnrale fut que[Hadzopoulos] tait l'crivain de Grce qui allait le plus loin dans lamodernit [0 1tto EKYXPOVtcrJlvom>rfpaq>a 'til f EMa] . Lui-mme ne s'intressait pas tellement l'opinion publique. Il crivaitsous l'impulsion d'une ncessit intrieure [ypaq>Eci1to EO"rotEptK1lva')'1CT\]."Plus nette encore, cette remarque de Grigorios Xnopoulos(cf. la revue Na Hestia, 15 fv. 1932, p. 184): "Beaucoup trouvent[ce roman] si incomprhensible qu'ils soutiennent qu'en l'crivantl'auteur de Tasso et le traducteur de Faust n'~tait pas srieux ['typa'VE 1tairov] .

    ,,23

    L'tonnement des contemporains n'est pas difficile comprendre. L'uvre marque une rupture spectaculaire avec ce qui laprcde. Elle rompt d'abord avec la production grecque du temps,encore mal dgage de la tradition de "l'tude de murs" rgionaliste,du roman rural, qui nagure encore livrait une vision idalise de la viepaysanne avant de porter sur elle un regard plus critique24. Aussi bien

    22 Sur l'influence exerce par Automne au cours des annes 20,cf. T. Karvlis, Radz. prcurseur, p. 216, et P. Moullas, La Prose del'entre-deux guerres [H MeG01COAE/ll1d]neoypacp{a], d. Sokolis,Athnes 1993, 1. 1, p. 88.23 Les lecteurs qui prirent Automne pour un canular littraire avaient uneexcuse: Hadzopoulos tait connu, en mme temps que Nirvanas, commeun redoutable farceur: cf. Pavlos Nirvanas, uvres compltes[tl1nav-ra], d. Yovanis, Athnes 1968,1. 3, p. 319 et ss: "Hadzopouloscomme farceur". - Ainsi, du temps qu'il tait en Allemagne, il russit,grce une srie de lettres savamment conduites, et avec l'aide de soncomplice Nirvanas, accrditer dans Athnes la "rumeur" qu'il avait perdul'esprit. Palamas, entre autres, s'y laissa prendre, et s'en remit mal.24 Un tournant vers le rcit "citadin" est cependant amorc par Voutyrasavec la nouvelle Langas en 1903. Cf. l'introduction aux uvres compltesde Voutyras, tl1nav't"a, d. Delphini, Athnes 1994, t. 1, p. 21-50, etd'autre part H. D. Gounlas, La Conscience socialiste dans la littrature

    21

  • Hadzopoulos jugeait-il assez svrement peu prs tout ce quis'crivait dans la prose grecque de son temps. "Sche production",crit-il en 1914, "[qui], en dehors de rares exceptions, en reste toujoursau stade du journalisme. ,,25 Mme expression propos plusprcisment des nouvelles: "Production sche, pdante, bavarde", bienqu'il considre la nouvelle grecque comme plus "avance" que lethtre, qui "n'en est qu' ses premiers pas. "26Le tour est assez vitefait des ouvrages et des auteurs auxquels il consent quelque loge: lesnouvelles de Vizynos, publies entre 1883 et 1895 (Textes decritique, p. 268); les Histoires de Vlachoyannis, parues en 1890(ibid., p. 95) et son roman (1914) Le Coq [ta lIe1"elv] ; lesNouvelles de Karkavitsas, publies entre 1892 et 1900, et enparticulier "La Statue" [To KovtcrJla], parue dans la revueDionysos (ibid., p. 98 et 133), - bien qu'il dclare (lettre K. Dieterich du 12.05.1902) avoir de l'art une conception entirementdiffrente; certains rcits ralistes de Paroritis (ibid., p. 137); lespremires nouvelles de Rodokanakis (p. 260); de Kondylakis, enparticulier Patoukhas (1892, rdit en 1916) et Quand j'tais matred'cole (1916), comments dans les Textes de critique p. 269; legrecque 1897 -1912 [H O"oolalO"1"lK'T]avveZt517aT] O"1"1JVeM17vlK'T]oyareXV1a],d. Kdros, Athnes 1984, p. 148-151 et 171 ss.

    TI est surprenant que les articles de Hadzopoulos ne fassent aucunemention de Voutyras: la parution de Langas en 1903 avait valu cedernier les loges sentis de gens l'avis desquels Hadzopoulos devait treattentif: Palamas, Xnopoulos, Golfis ; d'autre part, dans diverses revuesentre 1900 et 1914, des nouvelles de Voutyras se trouvaient voisiner avecses propres pomes ou articles, trs peu de distance (ainsi "MonsieurVolvis" dans Noumas, n 353, en 1909, "Les Rcits du Tzigane" danslIavathjvazadu 31.10.1911), voire dans le mme numro ("Le Crime dlprtre" dans Ta lIeplobucov lla du 15.12.1900; "Le Coupable", dans taKaMZ1"XV17de fvrier-mars 1912; "Pour la Race", dans IIava(Jr]vazad'avril 1913, "Rappelle-toi", dans Na Zanj de jv.-mars 1914).

    -

    On estenclin penser que Hadzopoulos connaissait la production de Voutyras,mais que, pour des raisons qui restent lucider, il ne fut pas tent d'encrire.25

    "Art potique", juil.-dc. 1914, dans les Textes de critique, p. 266-274.Sous ce titre se trouve runie une srie de courts articles, dont le dernierpropose Flaubert comme exemple suivre aux romanciers grecs.26 p. 278 des Textes de critique (article de 1916), et ibid. p. 384 (article dejanv.-mars 1914).

    22

  • recueil de Xnopoulos La Mauvaise Voie [~OICaICo8p6,uo] (1912)(ibid., p. 237); et les petits rcits symbolistes de Nirvanas, LaBergre aux perles et autres petites histoires [tH !300'IC01COVa,u

    't",uapyapl't"apla ICa! a. ,uIICp iO''t"op{e],rdits en 1914, qu'ilcommente avec sympathie et dclareprfrer ses nouvelles ralistes(ibid., p. 275-277).

    Or qui entreprend de lire ces ouvrages en liaison avecAutomne, fort peu de ressemblances apparaissent. Les seuls aveclesquels on soit tent de faire un bout de route pour comparaison, cesont les nouvelles de Vizynos et celles de Nirvanas. Vizynos,tonnant psychologue, sait dj rendre sensibles le poids que dans unevie peut prendre le pass, en particulier celui de la petite enfance, ouencore l'emprise du sentiment de culpabilit, le tragique du bonheurinaccessible; et ses rcits tmoignent de toute une rflexion sur lesmodes divers de la narration. - Mais Automne est conduit de maniretoute diffrente, et, comme il est naturel une gnration plus tard, faitparatre des phnomnes psychologiques analogues de faon beaucoupplus complexe et moderne, jouant sur les diffrents niveaux dusouvenir et du subconscient. Quant au recueil de Nirvanas, il est d'uneremarquable originalit dans les thmes et la facture, et l'on nes'tonne pas que Hadzopoulos s'y soit intress. Il est possible mmeque l'on ait un instant, dans les promenades de Stphanos et Marika auchapitre 4 d'Automne, quelque cho conscient ou inconscient de lanouvelle "La petite route du bonheur" ["To poJlaMKt'ti1 E\rt'Uxia"].Cependant les limites du rapprochement apparaissent vite. Ces petiteshistoires de quelques pages disent la difficult de la vie humaine, maissur un mode gnral, sans savoir s'ancrer dans la ralit des rapportssociaux. Les tres qu'elles font vivre ne sont pas de ceux que l'onrencontre dans ce monde. Ils sont de la substance des contes et dessonges. Et de mme les "beauts du monde" qu'elles chantentpotiquement ne sont pas ceux d'un lieu donn, d'une saison prcise.- Les lieux d'Automne, pour n'tre point nomms, n'en ont pasmoins leur identit particulire.

    Peu de rapport donc au total entre Automne et ce quis'crivait en Grce en ce temps-l. Mais la rupture se marque aussiavec ce que l'auteur a dj crit lui-mme. - Moins nette, celle-l,

    23

  • tout de mme. Certains thmes majeurs du roman sont dj ceux desnouvelles qui le prcdent: la difficile condition de la femme, le dclinet la mort; la mme inspiration socialiste, ou, selon un terme quel'auteur affectionne, humaniste, s'y retrouve27. La mauvaise foi et lafaiblesse masculine sont dj au cur des nouvelles "Tasso" et"Annio". La mlancolie de l'automne est celle qui baigne nombre pomes anciens ou rcents. Une certaine facture symboliste marque lesnouvelles "La Sur" et "Le Rve de Clara". Enfin dans le dtail duroman, comme on le verra la lecture, nombre de pages reprennent desmotifs, des tableaux, dj apparus ici ou l dans les uvresprcdentes, comme si une de ses ambitions tait de rassembler et mener leur point d'accomplissement des tentatives nagurebauches. - Ds lors dira-t-on qu'Automne constitue comme la"somme" des expriences littraires de Hadzopoulos ? Non pourtant:d'abord simplement parce que pareil terme s'applique mal une uvresi drastiquement rduite l'essentiel; et puis surtout parce que, mmesi elle se souvient tout moment de ce qui la prcde, elle s'en dgageaussi par sa conception d'ensemble. L'action se rarfie, le rcits'miette, la succession linaire des vnements se brise, laparticipation du lecteur est requise et mise l'preuve comme jamaisauparavant. Une sorte de saut qualitatif s'opre ici, qui impose unsentiment de radicale nouveaut: ce qu'on appellera, en rejoignant lescontemporains, modernit.

    Maintenant d'o vient cette vritable mutation? On est toutnaturellement tent d'envisager une influence des romanciers qui l'poque engageaient le roman europen sur de nouvelles voies."Quand on considre", crit T. Karvlis28, "les bouleversements quisurviennent dans la prose au dbut du sicle avec des crivains commeMarcel Proust, James Joyce, Kafka, Musil, V. Woolf, etc., oncomprend pourquoi la jeune gnration de 1917 fut sduite parAutomne. Elle voyait se vrifier son pressentiment d'un renouveau."Soit. Mais si l'on examine les crits critiques de Hadzopoulos, forceest de constater qu'y manquent tous ces grands noms. Or s'il est un

    27 Ce sont l les trois plans sur lesquels Eri Stavropoulou place sa rflexiondans l'introduction dont elle accompagne son dition des Nouvelles.28 Radz. prcurseur, p. 201.

    24

  • peu tt pour que l'crivain ait eu connaissance des tentativesmodernistes de Kafka (Regard, 1908 ; La Mtamorphose, 1915), cCJoyce (le Portrait de l'artiste en jeune homme est de 1916, Ulysse neviendra qu'en 1922), et de V. Woolf (dont, mis part La Traversedes apparences, 1915, l'uvre est encore venir), on s'attendraitqu'il mentionne James, qui a dj beaucoup publi (en particulier UnPortrait de femme, 1881; Ce que savait Maisie, 1897; LesAmbassadeurs, 1903.. .), et qui l'apparentent ses recherches sur lepoint de vue dans le rcit; on s'attendrait trouver sous sa plume lenom de Musil, qui a publi Les Dsarrois de l'lve Torless (1906),et L'Accomplissement de l'amour (1911), et qui l'on songe enlisant Automne quand le pass vient s'pancher dans le prsent de laconscience, quand Stphanos sent comme "trangres" les chosesautour de lui et lui-mme avec elles. De Proust aussi Hadzopoulospourrait en principe avoir quelque connaissance: Du Ct de chezSwann est paru en novo 1913. - Mais d'aucun de ces romanciersaucune mention n'est faite dans ses crits29.'La curiosit intellectuellede l'crivain est sans bornes et sa culture immense, mais plusclassique que moderniste. Quand en dcembre 1914 il propose auxromanciers grecs un exemple suivre, c'est de Flaubert qu'il s'agit.Anatole France, qu'on ne saurait considrer comme un romancierd'avant-garde, conserve sa faveur, mme si le compte rendu qu'il donneen juin 1914 de La Rvolte des anges regrette discrtement unecomposition un peu lche30. Ses rfrences les plus "avances" enmatire de roman sont Hamsun et Heinrich Mann. On verra l unepreuve de belle clairvoyance. Ce n'est pourtant pas assez pourcomprendre la nouveaut d'Automne. - Il faut sans doute admettrel'ide qu'en crivant ce roman Hadzopoulos n'imite personne31, qu'il

    29 Aucune allusion non plus au livre d'Edouard Dujardin, Les Lauriers sontcoups (1887 ; rdit par le Mercure de France en 1897). Mais on sait quel'ouvrage, aujourd'hui clbre, resta peu connu jusqu'aprs la premireguerre mondiale.30 Textes de critique, p. 265-266.31 Faisons ici rapidement raison de l'ide, trangement rpandue l'poque, selon laquelle Automne driverait tout entier du Livre du petitfrre, de Geijerstam, traduit par Hadzopoulos en 1908-1909. Dj en1920, dans sa prface Annio, Palamas se montrait sur ce point

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  • invente sa formule, qu'il accompagne le courant moderniste sansbeaucoup le connatre ou sans prter grande attention sesreprsentants, - mais, risquons cette hypothse, en percevant dans lesuvres plus traditionnelles auxquelles il se rfre des virtualits rvolution romanesque, qui prendront corps dans sa propre criture. Ensorte que c'est seulement en scrutant l'uvre de l'intrieur qu'on peutesprer en comprendre peut-tre le projet.

    Matire

    L'argument est celui-ci: la jeune Marika et le jeuneStphanos se sont pris l'un de l'autre. Marika vit chez ses grands-parents avec sa mre, Aglaa, qui entretient le souvenir des temps grandeur o son mari, maintenant disparu, tait prfet. Stphanos vitchez ses parents, prnomms "Yangos Ilet IlKatingo ", et, jeune avocat,travaille avec son pre, avocat lui-mme. Les deux familles, quelquepeu apparentes, se frquentent depuis longtemps. Jadis jeux etpromenades communs rassemblaient quatre enfants: Marika,Stphanos, mais aussi la cousine de Marika, Evanthia, orpheline longue date et leve chez ses grands-parents en mme temps queMarika, et une autre petite Evanthia, sur de Stphanos, que la mortest venue frapper petite encore. Aprs ce drame, les enfants se sontdisperss. Des annes plus tard, Stphanos et Marika se sont retrouvset fiancs. En dpit d'un bonheur apparent se manifestent chez Marikales premiers signes de la tuberculose, et les deux "mres" se supportentmal. Le retour d'Evanthia prcipite un drame latent: Evanthia cherche attirer Stphanos, discrtement encourage par Katingo, et le faibleStphanos rsiste mal. La maladie de Marika volue vitesse

    parfaitement sceptique. Les deux romans ont trs peu d'lments encommun: la mort d'un jeune enfant, la tuberculose (qui mine la mre, chezl'auteur sudois), quelque impressionnisme dans les descriptions. Pour lereste, le roman de Gejerstam, tout d'analyse et de confidences, mouvant etfin mais parfois maladroit, est d'une facture trs diffrente de celle quicaractrise Automne.

    26

  • foudroyante. Stphanos s'est ressaisi, mais trop tard. A la mort Marika, nul ne sait de quel geste il est capable.

    Le lieu gographique et l'poque historique de cette actiontoute morale sont dlibrment maintenus dans l'indtermination.Aucun nom de ville, ni mme de rgion; pas de dates. A nous entenir strictement aux indications du texte, nous sommes dans unepetite ville du bord de mer, dans la province grecque, la fin du XIXesicle ou au dbut du xxe. Pourtant il n'est gure possible pour lelecteur d'en rester l: telle indication topographique, d'uneincohrence roue (comme cette notation: "vers l'est", p. 203, endehors de toute description d'ensemble), tel fragment de chanson couleur irrcusable de rel, d'autres prcisions insolites dans le flougnral crent en lui le sentiment grandissant que tout ceci se passe un endroit existant et une date prcise, et qu'on lui refusesimplement les moyens de savoir o et quand.

    Deux possibilits de recherche s'offrent alors lui: chercher, l'extrieur du texte, de quoi satisfaire sa curiosit ainsi veille etfrustre; chercher comprendre pourquoi lui est tendu cette sorte pige, ou, ce qui revient presque au mme, pourquoi il est si agrabled'y tre tomb. Tentons de faire successivement l'un et l'autre.

    La chanson du chapitre 4 (cf. la p. 163 et la note) fournit unterminus a quo: 1894 ; cette anne-l l'auteur a 26 ans. La "montagneabrupte" qu'on peut de la ville voir se profiler au fond d'une rue doittre le Pantolique qui domine Agrinion. Les maisons du roman,maisons un tage au milieu d'un jardin, donnant sur la rue par uneporte de fer, les pices d'habitation se trouvant au premier tage, cellesdu rez-de-chausse pouvant avoir usage professionnel, - sontexactement semblables celles qu'Agrinion conserve encore de cettepoque, celle mme qu'y possdaient les parents de l'crivain (si cen'est que le grand portail en tait de bois). Le port, les ponts, les les,sont ceux de Missolonghi. Les plantes et les arbres, les paysages montagne reflts par la mer, sont ceux de la rgion. Bien que l'auteurcompose une seule ville partir de deux villes relles, il y a l uneexactitude des dtails d'autant plus droutante que le texte enfouitparfaitement leur provenance. Il est trs clair que son projet n'est pas

    27

  • du tout, comme aux temps du ralisme, de se faire l'historien de laralit, ni mme simplement de crer un "effet de rel". Maintenant cequ'est effectivement ce projet est plus difficile cerner.

    A cette indtermination spatiale et temporelle, qu'on remarquedj dans Le Chteau d'Akropotamos, un lment d'explication, dontl'crivain ne rcuserait pas le principe32, est propos par G. Vloudis(p. 53 de son introduction ce roman) : elle permet de donner au rcitvaleur plus gnrale. En ce qui concerne Automne, o l'on se sent sisouvent comme au thtre, on pourrait ajouter que choses et lieux ysont prcisment soumis un traitement thtral: la "maison poupe" d'Ibsen, prsente sur scne dans toute sa matrialit, ne sesoucie pas de se situer dans telle rue de telle ville en telle anne. Il estcertain en outre que l'indtermination facilite le jeu des significationssymboliques. - Mais on souponne que l'crivain fait ici jouer unressort de plus, qui pourrait tre celui d'une semi-cryptographie sil'on peut dire. Evoquant sans le dire des lieux de son pass, il se donnele plaisir d'une connivence secrte avec lui-mme, dont il souponnepourtant qu'elle pourrait tre en partie devine et constituer pour letexte une vertu potique de plus, comme un trs lger lyrisme ensourdine, - le mme attrait des choses la fois tues et dites, selon unquilibre fragile et dlicat, qui est celui sur lequel joue si souvent laposie romantique et symboliste, depuis des pomes dsormais tropconnus comme "Le Lac" ou "Tristesse d'Olympia" jusqu' telle scnenigmatique de Sagesse.

    Dans cette petite ville sans nom, le cadre du drame estconstitu par les deux maisons de "madame Aglaa" et de "madameKatingo", avec comme en prolongement les rues, le bord de mer et lesmontagnes d'alentour. Or il est frappant qu'aucun chapitre ne prenne lafois pour scne l'une et l'autre maison, - l'exception du premierchapitre, qui joue avec cette rgle d'exclusion, en nous conduisantjusque dans la deuxime maison, mais pour s'interrompre ds la porte

    32 cf. ce qu'il crit en 1914sur la pice de Poriotis, Rodopi: "Si l'action sesitue sur une cte grecque, si les personnages ont un nom grec, le terrain ose situe la pice est celui de l'ternel et du gnral, celui des passionshumaines universelles et des ternelles faiblesses et forces de la femme."(Textes de critique, p. 382)

    28

  • referme, et du dernier, dans lequel significati vement toutes lesstructures se dfont. Il y a l deux "cts" qui ne se rejoignent pas. Lechoix de pareille construction produit un effet double: il crel'impression gnrale qu'est respecte, l'intrieur de chaque chapitre,une unit de lieu caractre fortement thtral; il impose d'autre partla sensation d'un foss, destin, en dpit de tous les va-et-vient, demeurer infranchissable.

    Le dcoupage temporel est celui que se donnent lestragdies classiques: le rcit s'ouvre sur un vnement qui fait claterune crise latente: c'est l'arrive d' Evanthia, dont les rpercussionssecrtes prcipitent chez Marika la marche de la maladie. Audnouement, aprs la mort de l'hrone, il accompagne un brefmoment le deuxime des protagonistes.

    - Le drame aura dur quinzejours au moins, un mois tout au plus, le temps pour l'automne passer de la splendeur la dfaite. Les 24 premiers chapitres, ceux ole destin est en suspens, et qui constituent l'action proprement dite,couvrent une dure de 8 jours, - ce qui surprend: premire lecture,on imagine beaucoup plus. Mais c'est qu'il faut au roman trois ouquatre chapitres pour puiser la matire de chacune de ces journes,pourtant trs ordinaires et apparemment vides d'vnements marquants.Au total, l'effet produit est celui d'un tirement dmesur d'un tempspourtant trs bref, et d'apparents petits riens regards comme laloupe.

    Mais c'est aussi que cette structure temporelle rigoureuse sedbote de l'intrieur, creuse par la mise en place de multiples retoursen arrire. Ces anamnses constituent, dans l'uvre de Hadzopoulos,une importante nouveaut. Ses rcits prcdents s'en tenaient unemarche strictement linaire. Certes l'auteur y montrait une certaineprdilection pour le rcit-souvenir. Les nouvelles "Tasso" et "Annio"racontent la premire personne les souvenirs d'un narrateur adulte,"La Sur" ceux d'un enfant. "Dans l'Obscurit", qui semblait audpart racont par un narrateur extrieur au rcit, se rvle la fin son troisime quart comme une remmoration du personnage principal(p. 212 de l'dition cite). L'histoire de Surhomme passe par le prismede deux mmoires: elle a t raconte, la premire personne, unnarrateur qui apparat la dernire page, et qui se souvient de ce rcit.

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  • - Mais le souvenir dans ces textes constituait surtout le recours d'uncrivain soucieux, presque tout au long de son uvre, de rduire auminimum la prsence d'un narrateur "omniscient" ou trop facilementdevin33. Les "retours en arrire" d'Automne, surprenants par leurampleur, leur audace et la subtilit de leur usage, rpondent cEbeaucoup plus vastes ambitions: ils donnent au roman son assisethmatique, montrant l'emprise du pass en le greffant, en quelquesorte, - parfois au simple moyen de la minuscule entaille d'un tiret,directement sur le prsent. Ils constituent d'autre part le domaine d'uneinvestigation psychologique trs neuve, donnant voir, comme plustard le roman moderniste, l'enchevtrement des penses34, le jeu de lammoire associative, ou encore les diverses formes que chez Stphanosrevt le souvenir,

    -

    parfois ais et net et parfois entrav ou peinedistinct du rve, constitu en strates d'o montent des images aveclesquelles ruse la conscience en lutte avec f?lle-mme. Enfin ilsdoublent d'une temporalit intrieure la temporalit "externe" desvnements et installent au cur du drame le jeu qui s'institue entreces deux formes du Temps.

    Le premier retour en arrire, et le plus long, celui deschapitres 3 et 4, est conu de faon trs tudie. Il fait revivre dans unmme flux de mmoire deux priodes loignes dans le temps:l'enfance de Stphanos et la naissance de son amour pour Marika. Parun effet d'embotement les souvenirs d'enfance se trouvent enferms l'intrieur des souvenirs d'amour. Le rsultat est une impressionaigu d'ambivalence. De prime abord, le rapprochement des deuxpriodes en une mme "inclusion" l'intrieur du roman fait de leurensemble comme le versant heureux de l'histoire - le temps dubonheur. Mais la suite du roman fait vite prvaloir, rtrospectivement,

    33 Sur ce point Le Chteau d'Akropotamos tranche sur le reste de l' uvre:l'auteur y laisse au narrateur les coudes plus franches, intress qu'il estcette fois surtout, ce qu'il semble, par les ressources du style indirectlibre, dont il fait d'ailleurs un usage blouissant.34 Particulirement audacieux sont les "retours en arrire" des p. 365 et407 -409; ils portent sur des faits qu'on se serait attendu, dans un rcitplus traditionnel, trouver pris dans une succession linaire. L'ide surlaquelle ils reposent est que le moment o un vnement surgit la pensepeut tre plus important que celui o il est effectivement survenu.

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  • un autre sentiment, celui d'un voisinage redoutable: l'enchanementpar lequel se rencontrent la mort de la petite sur et les souvenirsd'amour donne penser que Stphanos subit une vritabledpendance, que ses choix d'adulte sont troitement lis sonenfance, qu'il est conduit par quelque obscure ncessit aimer unefemme qu'il puisse identifier la petite sur emporte par la mort,mais aussi pouss renouveler cette mort, ou du moins s'en laisserdevenir l'instrument.

    Ce rappel du pass fonctionne ainsi comme un projecteurpuissant, qui claire d'un jour violent le danger que fait courir Marikal'inconscience de Stphanos. Et d'autre part le "dcoupage" tragique l'histoire a d'emble impos la sensation qu'un sablier a t retourn,qu'un certain Temps va son rythme propre.

    -

    Or paralllement chezStphanos la mmoire contre-courant tente son uvre d'auxiliaire la conscience. Tels petits faits survenus l~ veille, ou mmesimplement quelques instants plus tt, se prsentent son espritcomme des signes, tentant de lui faire comprendre de quel obscurcomplot il se fait le complice. Et tout le drame est en fait suspendu la question de savoir si ce travail intrieur parviendra prendre devitesse l'autre processus qui s'est enclench.

    Tout va se jouer en deux moments cruciaux, dont chacuncorrespond l'un des protagonistes, et qui jouent l'un contre l'autre:chapitre 21, chapitre 24. Dans la petite glise les yeux de Stphanos sesont enfin ouverts. Mais le mme jour un mauvais hasard, qui trouveen Stphanos l'alliance d'un reste de faiblesse, persuade Marika qu'ellen'est pas aime. Et ds lors tout est dit.

    Telle est la tension temporelle essentielle sur laquelle reposela composition de cette tragdie tout intrieure. En discret contrepoint,raffinement ironique, joue un autre principe d'unit, celui qui faitflotter dans le texte, comme tout fait en dehors de cette temporalit,ou venant absurdement la recouper, des inclusions qui sont autant "mises en abyme" ou de rappels musicaux du motif principal. Al'hsitation de Stphanos qui balance entre Marika et Evanthiarpondent, - pour aller de la variation la plus tendue la plusponctuelle, de la plus voyante aux plus allusives -, les lans

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  • alternatifs de Fifika en direction du prfet et du capitaine35, letableautin du bruant entre ses deux chardonneret(te)s, Orion entrel'Aurore et Artmis, et Don Jos entre Carmen et Micala.

    Ce qui apparat en fin de compte clairement, - disons-le enopposition complte avec certains jugements hasardeux, anciens ourcents36-, c'est, dans le traitement de l'espace et surtout du temps:d'une part l'espce de discipline classique que s'impose l'auteursoucieux d'une dlimitation rigoureuse; et comme l'opposl'tonnante et fconde libert qu'il se donne l'intrieur de ce cadre,brisant plaisir les successions linaires, ou difiant des effets cemiroir insolites et non dpourvus d'un soupon de dfi.

    Mme libert dans le traitement des personnages. La drisoireFifika Prifti est la seule d'entre eux disposer d'une fiche signaltique,certes trs sommaire, mais pourvue de toutes les rubriques prvues parle roman raliste: nom et prnom, aspect physique, garde-robe, unbrin de parentle et un certain degr de fortune. Selon une approche trsmoderne, les autres ont une identit lacunaire, sont comme peineesquisss d'une ou deux touches descriptives, et se trouvent montrssurtout comme des forces psychiques, ou comme un champ de forcespsychiques. Le drame tout entier est constitu par le jeu mouvant destensions qu'elles entretiennent, par l'avance et le recul de telle forcepar rapport telle autre, par l'apaisement ou le rveil des conflitsinexpiables. Il y a l, on l'aura remarqu, une tonnante prfigurationde l'univers romanesque de Nathalie Sarraute.

    Ce qui est en jeu dans ces affrontements, et dont nul de cesgens ou presque ne s'avise, trop occup marquer des points ou mesurer son pouvoir, c'est le sort des deux protagonistes, et au

    35 L'histoire de Fifika est aussi fertile en rebondissements fracassants quecelle de Marika en blessures enfouies; une de ses fonctions, parmid'autres, tant sans doute de montrer ce que le roman ne veut pas tre.36 cf. encore Roderick Beaton, dans son Introduction to Modern GreekLitterature, Oxford 1994, parlant d'Automne comme d'''une histoired'amour sans commencement ni fin", jugement qui reprend celui de A.Sahinis dans 1. Roman grec moderne [To VEOEM17VlK'OJ.lv(Jlcrrop17J.la](Athnes 1958), p. 189; l'oppos de celui de Palamas (pr. tEM17vlld]L117J.llovPyia,1.5.1952, p. 526).

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  • premier chef la vie de Marika. Marika est une superbe figure, quel'auteur a dessine avec grande tendresse, un tre qui par noblessenative s'lve au-dessus de ces minables jeux de pouvoir, mais quitragiquement se trouve leur prisonnire. Il faut souligner la loyautscrupuleuse que l'auteur lui prte ds l'enfance l'gard de sa mre, etpourtant la manire dont elle sait plus tard, en dpit de son inaptitudeaux mesquineries communes, s'opposer, dire non, prendre desinitiatives pour vaincre les rsistances qui font obstacle son bonheur.Mais cette noblesse mme est ce qui fait son malheur; il y a l unediffrence trop nette, de nature irriter sourdement, maisimplacablement. Or l'lvation naturelle de Marika est aussi ce qui laprdestine souffrir plus que quiconque; souffrir de cette distance laquelle on la tient, de l'troitesse de la vie qui lui est faite, de l'inanitdes existences et des conversations, de la violence souterraine qui rgitles rapports autour d'elle. Elle aspire une vie. qui ferait place labeaut, la posie, la communion silencieuse avec les tres, aumystre des choses qui sont plus et autre chose qu'elles-mmes. Pourun tel tre, chaque instant de l'ordinaire des relations humaines est uneblessure de plus; et Marika sent, comme de faon tIpathique, enparticulier quand il s'agit de Stphanos, mme des faits dont elle nesait rien. Dans cette vulnrabilit rside, bien sr, l'origine de samaladie. A quoi s'ajoute le soupon, peu peu grandissant, que celuiqu'elle aime pour l'avoir cru diffrent, sensible comme elle un autreordre de choses, n'est pas de taille rpondre son espoir.

    Stphanos. C'est vrai pourtant qu'il est diffrent, tranger auxapptits du tout-venant, aux proccupations d'argent ou de carrire; ilsait percevoir la beaut d'une lumire, d'un paysage,

    - et mme il litWerther. Loin d'tre de l'espce triomphante qui joue des coudes oudu monocle pour s'imposer, il sait depuis l'enfance la mlancolie l'chec. Il y a chez lui, sans doute, une relle aptitude aimer. MaisStphanos est un mystre, et pour lui-mme le premier. Il sent en lui-mme un "secret", avec lequel il lui faut se dbattre et qui sans cesses'entremle sa vie. De ce secret il nous est permis deux reprises nous approcher quelque peu. On entrevoit, en rapprochant les pages183 et 263, qu'il s'agit de "quelque chose de sombre", que dominentdes images ngatives: celle de l'oiseau qui ne s'est jamais pos,

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  • image manifeste d'un dsir mis en chec; celle des cercles sur la mer,associs la mort de la petite sur; celle d'Orion, qui fait"frissonner" Stphanos, pour une raison que lui doit connatre, maisdont l'accs nous est refus. D'un autre ct le secret englobe aussi lafigure positive de Marika, qui semble-t-il en dtient la cl et pourrait,- nouvelle Ariane37 -, l' "ouvrir" pour Stphanos, lui apportantainsi connaissance et dlivrance.

    Ce que dit le texte s'arrte l, laissant en suspens desinterrogations capitales: sur quoi porte, au-del de l'oiseau, le dsirfrustr dont il est question; comment, de faon gnrale, s'articulententre elles les quatre images, et avec elles les sentiments obscursqu'elles reprsentent: le fil qui les relie nous fait dfaut. Reste lesentiment que l se situe le point nodal du comportement erratique cEStphanos.

    Nul doute que Hadzopoulos ait voulu indiquer dans ces pagesla prsence chez Stphanos, gouvernant son insu sa conduite, d'unestructure inconsciente ou subconsciente. C'taient l des notionsfamilires tous ds la fin du XIXe sicle, bien avant que ne sedivulguent les conceptions de Freud38, et un domaine auquel lui-mmes'intressait particulirement, louant par exemple Vlachoyannis cErvler "quelque chose d'indcel sous la surface des choses" (Textes decritique, p. 98), et Pantlis Horn de montrer le jeu "des forcesobscures de la vie humaine, les forces inconnues qui constituent sonmystre" (ibid., p. 384). Mais, tout en dsignant ce secret, il a voulunous maintenir, comme Stphanos et mme plus que Stphanos, dansl'impossibilit de le dchiffrer.

    Le lecteur en est donc rduit ses propres hypothses.Aujourd'hui, malgr qu'il en ait, il ne peut gure viter de lire enfonction de ce qu'il sait, peu ou prou, de psychanalyse. Il remarque parexemple le peu de place que cette histoire accorde aux hommes. Lespres, celui de Marika et celui d' Evanthia, sont morts depuis

    37"Ariane" est une des subdivisions du recueil de pomes Modes simples.

    38 cf. par exemple le titre du livre de Hamsun De la Vie inconsciente de l'me(1890); ou en 1898 cette distinction de Palamas dans L'Art (p. 39) propos du drame de Maeterlinck: "[On y peroit] le balbutiement del'inconscient, ou, mieux, du subconscient."

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  • longtemps. Celui de Stphanos existe, mais si peu. Le grand-pre estdans l'tat qu'on sait. Certes, Stphanos est au premier plan du roman.Mais Stphanos est-il autre chose qu'un champ de bataille os'affrontent des prsences fminines? Or sa faiblesse est celle qu'onvoit tous les personnages masculins, dans l'uvre de Hadzopoulos.Et une lecture psychanalytique de la nouvelle "Le Rve de Clara"conclut ainsi: "Dans son uvre Hadzopoulos retourne, ou plutt seshros retournent (. . .) un rapport pr-dipien, o domine l'archtypede la figure fminine. De ce rapport le pre est absent. ,,39Il pourrait yavoir, dans cette constante de toute une uvre, de quoi jeter quelquelumire sur les mystres de l'me de Stphanos et sur l'aboulie qui lecaractrise.

    Maintenant est-ce bien l le schma, ou plutt partie duschma, que l'auteur, quand il parle du "secret" de Stphanos, sembleavoir en tte et vouloir drober notre vue?

    ~Cette question en

    entrane une autre, plus prcise: Hadzopoulos pensait-il en termes psychanalyse la psychologie de son personnage? C'est peu probable,mme si ce n'est pas tout fait exclu40. On tendrait penser qu'il n'a

    39 Analyse prsente par Ch. Tzoulis, "Le processus onirique chezK. Hadzopoulos", Actes du Colloque Hadzopoulos Agrinion, d. Dodoni,Athnes 1998, p. 335-353.40 On sait que les intellectuels grecs n'ont pris que tard, gure avant lesannes 20, connaissance des thses de Freud. Le premier ou l'un despremiers a t Manolis Triantaphyllidis, qui ds dco 1910 crit NicolasPolitis: "Je voulais vous recommander deux livres crits par des mdecinsspcialistes de la psychologie des rves (...): Abraham, Rves et mythes;Riklin, La Satisfaction des dsirs et les Symboles dans le mythe, (...) ditspar S. Freud. Freud est professeur de neurologie Vienne, et c'est lui qui cesdernires annes a jet les bases et construit le systme de certainesthories clbres sur les phnomnes psychiques." Triantaphyllidis voqueaussi la psychanalyse dans ses lettres Pnlope Delta en 1911.-

    Hadzopoulos change des lettres avec Politis en jv. 1911 et nov. 1912,et reoit sa visite Munich. Mais les deux livres cits plus haut n'ont past retrouvs dans la bibliothque de Politis, en sorte que rien n'autorise imaginer ce dernier servant de relais aux ides freudiennes.

    Entre Hadzopoulos et Triantaphyllis lui-mme on a trace de contacts etd'un projet commun de revue, lors du sjour de ce dernier Marburg en1908. Ces contacts, apparemment interrompus, pourraient avoir reprisplus tard Athnes: c'est Triantaphyllidis que choisit Hadzopoulos pourlui ddier la nouvelle "Dans l'obscurit" lors de sa publication en volume

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  • connu tout au plus que par ou-dire et d'assez loin les thsesfreudiennes. Mais l'exploration romanesque du subconscientn'implique pas ncessairement, bien entendu, ces connaissances. Acela suffit le don de vision et de cration. Et l'on est en droit supposer chez Hadzopoulos, au vu de certains de ses choix traducteur (Iphignie, Electra, L'Aeule, et mme Les NouveauxMaris), une sensibilit particulire aux diverses formes conditionnement et d'assujettissement, y compris psychiques,engendres par les appartenances familiales, - sensibilit qui pourraitl'avoir conduit des intuitions proches parentes de celles qui fondent lapsychanalyse, quoique sans doute il ne se les formult pas avec lamme nettet. - Mais ce roman d'investigation psychologique trshardie est en mme temps, comme on va le voir, un roman qui refusedlibrment l'analyse, en sorte que nous sentons ces intuitions l' uvre, sans que jamais elles s'explicitent clairetp.ent.

    Modes du rcit41

    Le roman se prsente comme un rcit au pass, crit latroisime personne. Ces choix dcoulent en parfaite logique de lapersonnalit que l'auteur prte son protagoniste. Un rcit au prsent,qu'il faudrait imaginer sous la forme d'un journal, ou du monologue

    en 1916. En 1914-1915, tous deux collaborent activement la mmerevue: le Bulletin de l'Association ducative [L1e:r{o

    'l'OV'Emau5eV'l'lICOV tOjL{ov]. Or c'est dans cette revue qu'en 1915 (1. 5,

    p.219-231), Triantaphyllidis fait paratre, en mme temps que quatreautres articles, ce qui est sans doute le premier texte publi en Grce sur lapsychanalyse: l'article "L'Origine de la langue et la psychologiefreudienne". Dans ce mme numro figurent des articles de Hadzopoulos. Ilest ainsi trs vraisemblable que ce dernier a lu le texte consacr Freud.(Sources: P. Moullas, 1. Discours de l'absence [0 A6yo T1Ja1rovO"{a],MIET, Athnes 1992, p. 317 et 412; et pr. Na tEO"'l'{a,1959, p. 1442 et 1445.)41 A ce sujet cf. dans la revue L1laf3aw,n 319 consacr K. Hadzopoulos,p. 56-62, l'article d'Iphignie D. Triantou, "La Reprsentation de la vieintrieure dans Automne de K. Hadzopoulos et le rle du point de vue", dontnous ne retiendrons pourtant pas toutes les propositions.

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  • rapport, supposerait en effet un hros-narrateur port surl'introspection, ou susceptible au moins d'couter de faon suivie unevoix intrieure. Or la personnalit de Stphanos est l'oppos.Stphanos n'aime pas, sauf moments exceptionnels, regarder en lui,"couter" en lui, rflchir ni se souvenir. Quand le souvenir surgit enlui, c'est - l'exception des souvenirs du chapitre 3, dont il provoquela monte aprs un long oubli -, par surprise et comme pareffraction. - L'usage de la troisime personne ressortit une logiquesemblable. Hadzopoulos avait, dans les nouvelles "Tasso" et "Annio",us de la premire personne pour prsenter, dj, l'histoire d'unhomme qui par sa propre faute a perdu la femme qu'il aimait, parinconscience et mauvaise foi - le hros-narrateur de "Tasso" n'atoujours pas compris ses torts, celui d'''Annio'' s'en est rendu compteaprs coup. L'crivain, faisant pour Automne le choix diffrent du rcit la troisime personne, a pu vouloir explorer, su~ un thme analogue,les ressources d'une autre pratique narrative. Mais surtout il est clairque l'usage conjoint du pass et de la premite personne se serait cettefois mal accord avec le climat tragique qui enveloppe le dnouementd'Automne. Le roman laisse peu de chance de survie physique Stphanos, et exclut de toute faon la marge de survie morale quesupposeraient d'ventuelles confidences ultrieures. A la fin de cettehistoire Stphanos est un homme dtruit. Quoi qu'il advienne de luiaprs la mort de Marika, il faut, pour que le roman prenne sens,supposer Stphanos jamais hors d'tat de raconter ce qui s'est passl. Ce rcit doit tre, par ncessit psychologique, pris en charge parquelqu'un d'autre.

    Une des originalits et des plus remarquables russites duroman rside dans la manire dont le narrateur choisit les points de vuesuccessifs partir desquels il montre choses et gens. Une visionglobale et rapide laisse le souvenir de certains chapitres crits toutentiers en focalisation externe, d'autres en focalisation interne. Unexamen de dtail conduit nuancer grandement: des chapitres, parexemple 1, 2, 22, 30, o dominent nettement la focalisation externe,ne se privent pas de glissements insensibles, chemin faisant, la

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  • focalisation interne42.Et mme les chapitres 3, 4 et 5, qui livrant lessouvenirs de Stphanos sont crits logiquement grosso modo enfocalisation interne, comportent des passages de rcit non focalis43 ouen focalisation externe44. Certains moments comme le chapitre 6donnent le sentiment de jouer sur la limite entre une focalisationinterne qui montrerait les choses comme les voit Stphanos, et unefocalisation externe qui engloberait Stphanos lui-mme dans lespectacle reprsent. Beaucoup de souplesse donc et de virtuosit dansle choix du point de vue. Mais le plus intressant est ailleurs. Il rsidedans les particularits que prsentent ici et la focalisation externe et lafocalisation interne.

    La focalisation externe suppose un observateur qui, sanspntrer dans les consciences, voit et dcrit les choses de l'extrieur. Orl'observateur d'Automne, dans l'exercice de ses fonctions, a cettesingularit de consigner, autour d'un dialogue rarfi, une multituded'indications scniques, dplacements minimes, gestes bauchs, jeuxde physionomie et de regards, que l'observateur du roman ordinairelaisse dlibrment de ct; indications qui relvent de ce que l'onvoit au spectacle, mais ne trouvent pas place d'habitude dans ce qu'onlit dans un roman. En sorte que cet observateur-enregistreur, au lieu se faire sentir nous comme cette espce d'objectif de camra auquelon le compare volontiers (non sans quelque inexactitude:l'observateur du roman courant trie ses observations beaucoup plusqu'une camra), prend figure la fois vivante et anonyme, merge demi dans le texte sous la forme d'une conscience de spectateur thtre. Il se comporte d'ailleurs, non point comme une camra, maiscomme une intelligence en plein exercice, laborant des hypothses surce qu'il voit et tente intensment d'interprter: "Stphanos parutlever les bras [vers Evanthiar-, dit le texte p. 311. Comme nous

    42 On trouvera par exemple un passage de "vision-avec" Marika p. 97 ;avec Evanthia p. 115; avec Stphanos p. 417. - Le glissement d'unefocalisation l'autre se fait parfois la faveur d'une simple rptition: cf.p. 313 : "Il partit, comme s'il avait eu peur de voir. Et le matin de nouveauil eut peur de voir."43 ainsi p. 129-131, ou au bas de la p. 175.44 cf. par exemple p. 175 : "Stphanos la regarda comme tonn", ou toutela p. 181.

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  • aiderait ici une bonne focalisation interne, ou alors un observateur srde son fait ou simplement pourvu de meilleures lunettes! Celuiauquel nous avons affaire remarque beaucoup plus de choses que ne lecomporte la routine de la focalisation externe, et il interprtebravement, mais sur le mode dubitatif.

    En fait les choses ne changent pas tellement pour le lecteurquand le rcit passe en focalisation interne. Ces moments du texte ontla plupart du temps pour point focal le regard de Stphanos45. La scneque nous avons sous les yeux est alors celle de sa vie intrieure. Maiscette vie intrieure elle-mme se prsente comme un droulementd'vnements, petits ou grands, qu'il se contente d'enregistrer. Nous,lecteurs, sommes comme des spectateurs placs ct de Stphanos,lui-mme spectateur assez passif, qui prenons connaissance avec lui ce qui advient sa conscience: le jour baisse, Evanthia porte une roberouge, la mer se remplit de cercles. Stphanos se souvient qu'alors ilse souvint... Il est clair que souvent le degr de conscience Stphanos ne va pas plus loin, qu'il n'a d'ailleurs aucune envie d'ensavoir plus sur ce qui se passe en lui. De mme que dans les dernirespages il lui arrive de ne pas entendre ce qu'il dit (p. 421), il lui arrivesouvent de ne pas savoir ce qu'il sent. Il arrive aussi qu'il ressentenettement quelque chose, sans que nous-mmes, pourtant placs ctde lui devant ce qui se passe ses yeux, nous soyons mis dans laconfidence; et nous sommes alors rduits regarder de l'extrieurl'effet que produit ce qui se passe sur, en quelque sorte, notre voisin spectacle: "L-haut dans le ciel ple (...) Orion montait clatant etdemeura comme dress (...). Stphanos demeura longtemps lui aussidebout le regarder. Ensuite il baissa la tte et enfouit son visage dansses mains. ,,46Autant dire que dans ce roman la focalisation interne nenous donne accs qu' une espce d'extriorit de la conscience.

    45 Pas toujours cependant. Cf. par exemple la page 331, o le point de vueest celui de Marika, ou la page 377, o il concide un moment avec madameKatingo.46 La nouvelle "Le Songe de Clara", crite par Hadzopoulos en 1912, estdj un rcit la troisime personne men grosso modo en focalisationinterne, mais qui opre soigneusement, parmi les penses ou lesimpressions du personnage, un choix rduit, en sorte que soit prserv le

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  • Or pour en savoir un peu plus le lecteur n'a pas compter surun narrateur extrieur au rcit. Le narrateur extra-digtique a tendance s'effacer de ce texte d'autant plus facilement que ses rares indicationsressemblent souvent de simples didascalies de thtre. Deuxexemples parmi beaucoup: dbut du chapitre 6, "Avant queStphanos ait pu entendre, madame Aglaa entra." (p. 193) ; p. 195,"On vit paratre le bout du bonnet blanc du grand-pre. Mais il battitaussitt en retraite, et madame Aglaa ne le vit pas. ,,47Or la prsencede celui qui parle en didascalies est par nature vanescente: sesindications sont destines disparatre du spectacle, en se transposantdans une attitude d'acteur propose comme signe au spectateur.Imaginons ainsi au thtre cette didascalie: "Le grand-pre se retirevivement. Madame Aglaa ne le voit pas." On pourrait la gloser endisant: "L'actrice doit ici jouer de faon que le spectateur comprenneque le personnage n'a pas vu." - Au total,. dans le roman, cesdidascalies transposes ont pour effet de brouiller les frontires quisparent le rcit non focalis, d un narrateur extra-digtique, et lercit en focalisation externe, adoptant le point de vue d'un lecteur-spectateur. Les indications du narrateur elles-mmes tendent se fondreavec les impressions d'un spectateur.

    Avec un protagoniste comme Stphanos, si trangement peucurieux de lui-mme, comme s'il avait quelque chose se cacher, et unnarrateur aussi circonspect, il est naturel que nous ne trouvionsqu'exceptionnellement dans Automne l'emploi du style indirect libre48et du monologue intrieur par lequel Le Chteau d'Akropotamos sesignale l'attention. Mais il faut bien voir que l'ambition et latechnique narrative d'Automne ne sont pas en-de, elles se situent au-del de celles du Chteau..., et mme de la littrature du "courant conscience" que le roman pourtant prcde. Automne constitue unetentative, non plus seulement pour rendre le dbat intrieur comme s'y

    mystre de ses intentions et de ses sentiments profonds, et en particulierson tat d'esprit au dnouement.47 On comparera ces notations avec cette didascalie, par exemple, dansPques de Strindberg, acte III, sc. 1: "Kristina traverse la scne vers ladroite; elle passe devant Elis qui sort gauche. Ils ont fait semblant de nepas se voir."48p. 183, 185, 263, 265.

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  • essayait Le Chteau... 49, mais pour faire sentir indirectement ou encreux ce qui de la vie psychologique chappe la conscience, - etdans le cas de Stphanos, cela fait assurment beaucoup.

    Indirectement. Stphanos, avons-nous dit, n'aime pas regarderen lui-mme. Et pour viter d'y voir on ne sait quoi dont la dcouvertele bouleverserait, il regarde au-dehors. En cela il parat rejoindreMarika, mais ce n'est l qu'apparence. Le paysage, la vision de la meren particulier, offre Marika l'illusion momentane d'chapper lacage qu'est son existence, la cruelle hypocrisie des rapports humains,et comme une ouverture sur ce que pourrait tre la vraie vie. Stphanospour sa part regarde le paysage pour se fuir, pour chapper quelqueobscure culpabilit, ses penses et ses pressentiments. Mais ceplus en plus nettement mesure qu'avance le rcit, le paysage rfractpar ses yeux prend la tonalit de la pense qu'il vite. C'est lprcisment que rside la fonction essentielle de ces amplesdescriptions, en alternance trs concerte avec les scnes de dialogue oude rcit proprement dit. Le roman trouve sur 'ce point un quilibre quel'crivain cherchait depuis longtemps50; mais l'essentiel ici n'est pasdans un souci de proportion ou d'harmonie formelles. L'vocation dupaysage s'est sans doute impose l'auteur comme le meilleur moyend'accs, en mme temps que le plus riche de possibilits potiques,

    49 On peut penser qu'il suivait en cela l'exemple donn par la nouvelleLangas (1903) de Voutyras, considr par Gounlas comme l'initiateur decette technique dans la prose grecque ( l Conscience socialiste..., p. 171-172). Cela dit, il faut peut-tre revoir le jugement de Gounlas la lumirede certains rcits de Papadiamantis, comme Eros-Hros (1897). Au reste,Hadzopoulos a eu trs tt une pratique personnelle du style indirect Iibre,en tant que traducteur de la nouvelle de BjfZjrnson, "Une Enigme de la vie",pour le numro de 1901 de la revue Dionysos (p. 352-359).50 cf. la lettre Nicolas Politis date Munich, jv. 1911, que citeP. Moullas, Le Discours de l'absence, p. 330: "Votre jugement [sur mapetite tude de murs] m'encourage essayer dans une autre nouvelle ce quemoi aussi maintenant je trouve qui [lui] manque: un peu plus dedescription. Dans une prcdente tentative de nouvelle j'avais laiss lespersonnages parler seuls moins qu'il n'aurait fallu, et cette faute, que j'airemarque par la suite, m'a entran l'autre extrme."

    -

    La "petite tudede murs" est sans doute, selon Moullas, Amour au village, qu'avaientprcde les nouvelles Franc-Tireur (publie en 1907), et tH K"OvlaTKponOra/lov (publie en 1909).

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  • des tats psychiques inconscients ou demi conscients, qui par naturene peuvent tre verbaliss par le personnage, et pour lesquels l'auteurrefuse son narrateur le statut exorbitant d'interprte.

    Le paysage permet ainsi parfois de deviner ce que le natTateurne saurait dire, et ce que le protagoniste ne saurait se dire: les cerclessur l'eau disent la peur superstitieuse d'une fatalit cCrecommencement, le frisson de la mer (p. 225) se charge d'exprimerune protestation secrte contre le mensonge, le jour trouble s'accordeau refus de voir clair, le ciel jaune ou rouge, les formes menaantes desnuages parlent de dclin et annoncent la mort que la pense refused'envisager. En arrire-plan du drame l'auteur labore des jeux cClumire et de couleurs chargs de muette loquence, dans lesquels onsent affleurer ses souvenirs de grand amateur de thtre51.

    Avec le thtre il y a pourtant une diffrence, qui pourrait bienjouer en faveur du roman. Au thtre le jeu des ,lumires, le coup cCprojecteur sont d'emble interprts comme signe, comme porteursd'un sens, trouver en liaison troite avec les propos ou le silence quiles accompagnent. Dans le roman une tradition bien installe ralisme descriptif, la pratique d'autre part de "l'effet de rel" quiconsiste prcisment introduire des notations insignifiantes, donnentau paysage une autonomie plus grande. Rien n'assure jamais au lecteurqu'il y ait l un sens dcouvrir. Cette autonomie confre dans leroman au jeu de lumire, au dcor naturel, un statut particulier, celuid'un spectacle distance variable entre le monde sourd, aveugle etmuet des choses, et le miroir magique o viennent s'inscrire les signesde la vrit et de l'avenir; un spectacle dans lequel le personnage, et sa suite le lecteur tchant de deviner le personnage, peut ou non, selonle moment, dans une pense " demi divinatoire", voir "comme laperspecti ve obscurment prophtise de [sa] vie", selon les termes Julien Gracq parlant du paysage52.

    La description de paysage permet ainsi un roman commeAutomne, particulirement conscient de ses moyens, de descendre plus

    51 C'est dj ce que remarquait Eri Stavropoulou propos des Nouvelles,d. cit. p. 38-39.52 p. 87-88 de En lisant, en crivant: "Paysage et roman. Qu'est-ce qui nousparle dans un paysage ?" (d. Corti, Paris 1982)

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  • avant dans "les profondeurs infra-verbales de l' esprit"53, sans du toutdtruire le mystre de ces profondeurs. Le paysage n' y est pasmcaniquement, clairement ni uniformment symbolique; il estpotentiellement signifiant, mais d'interprtation incertaine; et sembledsigner un sens toujours douteux, beaucoup plus qu'il ne le dvoile.

    Significations

    L'examen des modalits du rcit dans Automne fait apparatreune frappante srie de choix convergents, qui permettent de cerner lafois une priorit formelle et un thme srement central. Rductionextrme de la place dvolue au narrateur extrieur au rcit,potentiellement "omniscient" et qui ici ne nous livre rien de sascience; dplacement de l'attention, invite . se dtourner de sesobjets habituels pour se porter vers d'autres aspects du rel;laboration, en filigrane du texte, d'un observateur-spectateur rduit formuler des hypothses sur le sens de ce qu'il voit;focalisation interne souvent, mais avec de grandes restrictions cechamp, et qui finit par se transformer en une sorte de focalisationmentale externe, si l'on pouvait dire; transgressions parfois du modenarratif choisi, qui nous interdisent momentanment l'accs ce quelogiquement nous devrions apprendre (ainsi au chapitre 2 l'existenced'un miroir et au chapitre 3 l'identit prcise de la petite malade) ;demi-jour incertain des significations mtaphoriques du paysage.Autant d'entraves opposes au confort de l'interprtation.

    Il est clair qu'il s'agit pour l'auteur, au plan de la forme, prsenter son texte comme une srie de petites nigmes, en chargeantde sens une quantit de notations tout en compliquant pour le lecteur ladtermination de ce sens54. Mais par del ce choix formel, c'est un

    53 L'expression est de Dorrit Cohn, lLl Transparence intrieure, Modes dela reprsentation de la vie psychique dans le roman (1978; traduction del'anglais aux ditions du Seuil, Paris 1981, p. 74), propos prcismentdes ressources propres au "psycho-rcit" men la troisime personne.54 Il est sans doute naf de penser que "c'est cause de la focalisationinterne et de la tentative pour reprsenter le maintenant que des indications

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  • rapport de l'homme au monde que le texte ici veut signifier.L'exprience particulire de lecture qu'il nous propose est destine nous faire prouver la connaissance en gnral sur le mode ce1'hypothse et de l'incertitude, et faire apparatre la ralit, au-del desvidences de l'apparence et des causalits strotypes, comme paressence complexe et nigmatique, comme une nigme multiforme.

    Cette nigme prsente des degrs divers d'obscurit. Pour larsoudre il suffit parfois d'un effort de lecture, d'un regard diffrentqu'il s'agit d'acqurir, et de la volont de trouver. Mais parfois aussil'effort ne donne accs qu' juste un peu plus de clart, sans parvenir parfaite lucidation. C'est que nul n'est en possession de toutes lescls; - en nous y faisant croire un narrateur" omniscient" serait uneimposture. Et pourtant il y a ncessit inluctable de chercher.L'histoire de Stphanos en tmoigne. Comprendre la complexit durel (dans son cas il s'agit de lui-mme), percevoir dans le prsent cequi engage le futur, atteindre la lucidit sont tches trs ardues, et quipourtant s'imposent de toute urgence, 'dans la menace d'unecatastrophe qu'on ne voit pas toujours venir. Le drame de Stphanosest celui d'un manque de clairvoyance. C'tait dj le drame d'dipe;c'est aussi par excellence, si l'on y songe, le risque que doiventaffronter les peuples du monde en cette dcennie 1910-1920.

    On voit donc se dgager des structures mmes unesignification gnrale, de nature tragique, valeur peut-tre historique.D'autres significations, plus particulires, s'apprhendent plusaisment.

    Il est ainsi manifeste que l' uvre comporte une critiquesociale, celle de la vie mesquine et touffante qu'on mne dans laprovince grecque, et une protestation; qu'il s'agit de faire apparatre,selon une proccupation constante dans la prose de Hadzopoulos55, la

    [essentielles] nous sont donnes presque par hasard." (Iphignie Triantou,art. cit dans Llla{3&OJ,n 319, p. 58). Ce qui est premier, c'est le partipris d'en dire au lecteur le moins possible, et non pas le choix de lafocalisation, par lequel d'ailleurs, comme on l'a vu, l'auteur ne se sent pastenu.55 Sur Hadzopoulos et la question de la condition fminine, cf. G. Vloudis,d. cite du Chteau..., p. 58-71; Eri Stavropoulou, d. des Nouvelles,p. 23-24; Takis Karvlis, Hadzopoulos le prcurseur, p. 155-158;

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  • dpendance funeste dans laquelle la socit grecque du temps, ici lapetite bourgeoisie de province, maintient la jeune fille. Comme dansLe Chteau d'Akropotamos est souligne ici l'importance qu'ont dansles familles, lorsqu'il s'agit de mariage, la question de la dot, - quiest l'aune laquelle madame Katingo juge la valeur de Marika, et le"rang", - qui est celle laquelle madame Aglaa juge l'autre famille.Pourtant ces questions dans Automne passent au second plan, commesi l'intrt de l'auteur s'tait dplac, s'tait loign d'un territoiredsormais bien explor pour se porter sur un aspect du rel jusqu'alorsnglig.

    Dans quelle mesure, en effet, Marika ptit-elle de sa conditionde femme? Elle n'a pas affronter ces brutalits masculines, cesbarbaries spectaculaires que mettent en scne les rcits de Karkavitsas,Xnopoulos ou Thotokis. Elle n'est pas non plus spcialementvictime de l'autorit masculine qui s'exerce dans les familles ou dansles couples. Certes on voit bien qu'une rforme de la structure sociale,un changement dans les mentalits et dans l'ide qu'on se fait de lafemme, pourraient donner Marika et ses surs le moyen de choisirleur destine, une plus grande libert conomique, sociale et morale. Ilreste que la mort de Marika est due surtout une insuffisance d'amour, l'obligation de vivre avec des mdiocres, au pouvoir destructeur dutout-venant des relations sociales, l'ordinaire pression quotidienne,quasi sarrautienne, d'un entourage "affectueux"; qu'un hommepourrait lui aussi,

    - mme si la condition masculine, plus favorable,l'expose moins ce danger -, succomber ces blessures incessantesde "la vie sous-entendue"s6. Le monde moral de Hadzopoulos est danscette uvre plus proche de celui d'Ibsens7 que de celui de son propreroman antrieur, Le Chteau d'Akropotamos.

    R. P. Debaisieux, Le Soupon et l'Amertume, p. 78-79, et l'ensemble dlchapitre "Un plaidoyer pour les femmes".56 L'expression est de Maeterlinck, Le Trsor des Humbles, d. Labor,1998, p. 19.57 On songe au Petit Eyolf, au Canard sauvage, au Constructeur Sollness, presque tout le thtre d'Ibsen; cf. aussi ces vers de lui traduits parHadzopoulos pour Dionysos, I, p. 55: "La vie

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    une guerre avec lesmdiocre