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ÉVANGILE SELON S. LUC PRÉFACE § 1. — NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR S. LUC (Voyez Fabri, Vita di S. Luca Evangelista, Venise 1643). Luc, en latin Lucas, en grec Λου ς, est la forme abrégée de Zucianus ϰᾶ (Λου ιανός), ou de ϰ Lucilius (Λου ιλιός), ou plus probablement de Lucanus ϰ (Λου ανός) : plusieurs anciens manuscrits ϰ de l’Itala (En particulier les Cod. Vercell., Vindobon., Cottonian. Comp. Patrizi, de Evangel. libri tres, l, 62.) intitulent en effet le troisième Evangile « Evangelium secundum LUCANUM » (Les abréviations de ce genre étaient très fréquentes chez les Grecs et les Romains ; par exemple Zénas pour Zénodore, Démas pour Démétrius, Artémas pour Artémidore, Cléopas pour Cléopater, Hermas pour Hermagoras; Alexas pour Alexandre, etc.). Ce nom apparaît trois fois dans les écrits du Nouveau Testament, Col. 4, 14; Philem. 24; 2 Tim. 4, 11, et toujours, d’après le témoignage unanime de l'antiquité, pour désigner le troisième des évangélistes synoptiques. Mais c’est à tort que divers auteurs anciens et modernes ont essayé d'identifier S. Luc avec les deux personnages nommés « Lucius » dont il est question au livre des Actes, 13,1 (« Sed et Lucium quidam ipsum perhibent esse Lucam qui evangelium scripsit, pro eo quod solent nomina interdum secundum patriam declinationem, interdum etiam secundum græcam romanamque proferri. » Orig., Comment. In Ep. ad Rom. 16, 21. Camp. Baronius, Annal. ad ann. 58, n° 57), et dans l'Epitre aux Romains, 16, 21 (Voyez Ad. Maier, Einleit. in die Schriften des N. Test., Fribourg 1852, p. 88). Nous possédons sur la patrie et l'origine de S. Luc des renseignements patristiques du plus grand prix. L'historien Eusèbe et S. Jérôme s’accordent pour le faire naître à Antioche, capitale de la Syrie. Λου ςτ γένος τ ν π ντιοχείας, dit le premier, ϰᾶ ἀ ʹἈ Hist. Eccl. 3, 4. De même S. Jérôme : « Tertius (Evangelista) Lucas..., natione Syrus, Antiochensis, » Proœm. in Matth. (Comp. S. Jean Chrysost, Hom. in Matth. 1; Tillemont, Mémoires ecclésiast. 2 p 60.) Cette tradition, bien qu’on l’ait parfois attaquée, vaut assurément les conjectures de Greswell et d’autres protestants contemporains, qui attribuent sans la moindre apparence de raison aux villes de Troas ou de Philippes l’honneur d’avoir donné le jour à notre évangéliste. S. Luc, par sa naissance, n’appartenait pas au judaïsme, mais à la gentilité. Cela ressort très clairement) de l'Épitre aux Colossiens, 4, 10 et ss., où S. Paul, après avoir mentionné trois de ses amis et collaborateurs, Aristarque, Marc et Jésus le Juste, en prenant soin d’ajouter qu’ils étaient Juifs d'origine (« qui sunt ex circumcisione, » verset 11), en nomme trois autres, Epaphras, LUC et Démas, sans indication du même genre, ce qui suppose que ces derniers étaient nés de parents païens. Les hébraïsmes que l’on rencontre en plusieurs endroits des écrits de S. Luc ne prouvent rien contre cette conclusion, car ils s’expliquent très bien par les sources juives auxquelles l'auteur du troisième Évangile et des Actes a dû parfois puiser. — Des quatre évangélistes, S. Luc est donc le seul qui soit issu de la gentilité. Il est très possible néanmoins, suivant une croyance qui était déjà générale du temps de S. Jérôme (Quæst. in Gen. c. 46), et qui est aujourd’hui encore assez communément admise, qu'il se soit fait affilier à la religion juive en devenant prosélyte (Voyez Matth. 23, 15, et le commentaire), avant de se convertir au christianisme. Par là s’explique sa parfaite connaissance des usages israélites. S. Paul nous apprend que S. Luc exerçait la profession de médecin. « Salutat vos, écrit-il aux Colossiens, 4, 14, Lucas medicus carissimus. » Et l’on trouve une confirmation de ce fait non seulement dans les nombreuses assertions des écrivains ecclésiastiques des premiers siècles, mais jusque dans les pages du troisième Évangile et du livre des Actes. Des termes techniques y trahissent en effet à différentes reprises le « Doctor medicus. » Par exemple, 4, 38, l’auteur prend soin de dire que la belle-mère de S. Pierre était malade d’une grande fièvre, πυρετ μεγάλ , Page 1 / 384

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  • VANGILE SELON S. LUC

    PRFACE

    1. NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR S. LUC (Voyez Fabri, Vita di S. Luca Evangelista, Venise 1643).

    Luc, en latin Lucas, en grec , est la forme abrge de Zucianus ( ), ou de Lucilius ( ), ou plus probablement de Lucanus ( ) : plusieurs anciens manuscrits de lItala (En particulier les Cod. Vercell., Vindobon., Cottonian. Comp. Patrizi, de Evangel. libri tres, l, 62.) intitulent en effet le troisime Evangile Evangelium secundum LUCANUM (Les abrviations de ce genre taient trs frquentes chez les Grecs et les Romains ; par exemple Znas pour Znodore, Dmas pour Dmtrius, Artmas pour Artmidore, Clopas pour Clopater, Hermaspour Hermagoras; Alexas pour Alexandre, etc.).

    Ce nom apparat trois fois dans les crits du Nouveau Testament, Col. 4, 14; Philem. 24; 2 Tim. 4, 11, et toujours, daprs le tmoignage unanime de l'antiquit, pour dsigner le troisime des vanglistes synoptiques. Mais cest tort que divers auteurs anciens et modernes ont essay d'identifier S. Luc avec les deux personnages nomms Lucius dont il est question au livre des Actes, 13,1 ( Sed et Lucium quidam ipsum perhibent esse Lucam qui evangelium scripsit, pro eo quod solent nomina interdum secundum patriam declinationem, interdum etiam secundum grcam romanamque proferri. Orig., Comment. In Ep. ad Rom. 16, 21. Camp. Baronius, Annal. ad ann. 58, n 57), et dans l'Epitre aux Romains, 16, 21 (Voyez Ad. Maier, Einleit. in die Schriften des N. Test., Fribourg 1852, p. 88).

    Nous possdons sur la patrie et l'origine de S. Luc des renseignements patristiques du plus grand prix.

    L'historien Eusbe et S. Jrme saccordent pour le faire natre Antioche, capitale de la Syrie. , dit le premier, Hist. Eccl. 3, 4. De mme S. Jrme : Tertius (Evangelista) Lucas..., natione Syrus, Antiochensis, Prom. in Matth. (Comp. S. Jean Chrysost, Hom. in Matth. 1; Tillemont, Mmoires ecclsiast. 2 p 60.) Cette tradition, bien quon lait parfois attaque, vaut assurment les conjectures de Greswell et dautres protestants contemporains, qui attribuent sans la moindre apparence de raison aux villes de Troas ou de Philippes lhonneur davoir donn le jour notre vangliste.

    S. Luc, par sa naissance, nappartenait pas au judasme, mais la gentilit. Cela ressort trs clairement) de l'pitre aux Colossiens, 4, 10 et ss., o S. Paul, aprs avoir mentionn trois de ses amis et collaborateurs, Aristarque, Marc et Jsus le Juste, en prenant soin dajouter quils taient Juifs d'origine ( qui sunt ex circumcisione, verset 11), en nomme trois autres, Epaphras, LUC et Dmas, sans indication du mme genre, ce qui suppose que ces derniers taient ns de parents paens. Les hbrasmes que lon rencontre en plusieurs endroits des crits de S. Luc ne prouvent rien contre cette conclusion, car ils sexpliquent trs bien par les sources juives auxquelles l'auteur du troisime vangile et des Actes a d parfois puiser. Des quatre vanglistes, S. Luc est donc le seul qui soit issu de la gentilit. Il est trs possible nanmoins, suivant une croyance qui tait djgnrale du temps de S. Jrme (Qust. in Gen. c. 46), et qui est aujourdhui encore assez communment admise, qu'il se soit fait affilier la religion juive en devenant proslyte (Voyez Matth. 23, 15, et le commentaire), avant de se convertir au christianisme. Par l sexplique sa parfaite connaissance des usages isralites.

    S. Paul nous apprend que S. Luc exerait la profession de mdecin. Salutat vos, crit-il aux Colossiens, 4, 14, Lucas medicus carissimus. Et lon trouve une confirmation de ce fait non seulement dans les nombreuses assertions des crivains ecclsiastiques des premiers sicles, mais jusque dans les pages du troisime vangile et du livre des Actes. Des termes techniques y trahissent en effet diffrentes reprises le Doctor medicus. Par exemple, 4, 38, lauteur prend soin de dire que la belle-mre de S. Pierre tait malade dune grande fivre, ,

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  • expression quon rencontre prcisment dans Galien. Dans les Actes, XIII, l3, 11 dsigne la ccit par un mot rare, , galement employ par Galien. Ailleurs, Luc. 22, 44, etc., il signale des phnomnes pathologiques que les autres vanglistes avaient passs sous silence (Voyez Michaelis, Einleit., 2, p. 1079). Ces traits sont assurment significatifs.

    Partant de ce fait, et sappuyant dune part sur ce que les noms desclaves taient frquemment abrgs en as comme celui de S. Luc (Voyez p. 1, et Kitto, Cyclopdia of bibl. Literature, s. v. Luke), dautre part sur ce que, chez les Grecs et Rome, les mdecins taient souvent de condition servile (Comp. Sueton., In Caio, c. 8; Senec., De benef. 3, 24; Quintil., 7, 2, n26), divers exgtes ont prtendu que notre vangliste aurait t un esclave affranchi. Mais rien, dans la Bible ni dans la tradition, ne vient justifier cette singulire hypothse.

    S. Luc aurait-il t peintre en mme temps que mdecin ? C'tait la croyance de S. Thomas dAquin ( Unde et B. Lucas dicitur depinxisse Christi imaginem qu Rom habetur ) (Summa, p.3, q. 25, a. 3), comme aussi celle de Simon Mtaphraste au milieu du dixime sicle (Vita Luc, c. v1.). Nicphore (14me sicle) nest donc pas le premier, ainsi quon le rpte souvent, mentionner cette opinion (Hist. eccl. 2, 43; . S. Luc aurait fait, d'aprs cet auteur, les portraits de Notre-Seigneur Jsus-Christ, de la sainte Vierge et des principaux Aptres.). Quoi quil en soit de l'authenticit des tableaux qui lui ont t attribus, il est certain, et le commentaire le fera voir chaque instant, que S. Luc avait une me d'artiste, et quil excelle dans les descriptions de tout genre, spcialement dans les portraits psychologiques (Voyez Manni, Del vero pittore Luca, Florence 1764; Faber, Bethlehem, passim; Bougaud, Jsus-Christ, 2 dit. pp. 87, 88, 93).

    A quelle poque et dans quelles circonstances S. Luc devint-il chrtien? La tradition est peuprs muette sur cette question, laquelle on ne peut rpondre, par consquent, qu laide de conjectures plus ou moins hazardes. Toutefois, S. Luc tant originaire dAntioche, il parat vraisemblable quil ait appris connatre et adopt la religion de Jsus dans cette ville, qui possda de si bonne heure une chrtient florissante, forme en grande partie dlments paens (Comp. Act.11, 19-30.). Tertullien insinue mme, adv. Marcion, 4, 2, que S. Luc aurait t converti par laptre des Gentils en personne ( Lucas, non apostolus, sed apostolicus; non magister, sed discipulus, utique magistro minor, certe tanto posterior quanto posterioris apostoli sectator, Pauli sine dubio. ):ce qui expliquerait trs bien du reste leurs rapports intimes dont nous allons bientt parler.

    S. Epiphane, adv. Hr. 51, 6, et dautres auteurs sa suite, font de S. Luc un des soixante-douze disciples. Quelques-uns des partisans de cette opinion allguent, pour la justifier, que le troisime vangliste a seul racont lenvoi des soixante-douze, les instructions que Jsus leur adressa, leurs travaux et leur retour (Luc. 10, 1 et suiv.). Mais S. Luc les a en quelque sorte rfuts davance, ds le dbut de son vangile (1, 1), en affirmant dune manire implicite quil ne fut pas tmoin oculaire des choses quil raconte. Au reste, Tertullien (Loco citato.) dit comme une chose constante que S. Luc n'a point t disciple de Jsus-Christ... Le mme Tertullien et S. Irne (Lib. 1,c. 20) se contentent de l'appeler Homme apostolique (Calmet, Commentaire littral, t. 20, p. 182, Prface sur S. Luc.). Le canon de Muratori affirme tout aussi nettement, que S. Luc Dominum tamen nec ipse vidit in carne.

    Le sentiment daprs lequel notre vangliste serait lun des deux disciples dEmmas (Luc. 24, 13 et ss. Voyez Thophilacte, Comm. h. l.) ne repose pas sur des fondements plus solides.

    Mais voici que S. Luc va devenir son propre biographe pour une partie considrable de sa vie. Sans se nommer, et pourtant dune faon tellement claire quil est impossible de sy mprendre (Comp. S. Irne, Hr. 3, 14. Voyez les commentaires du livre des Actes, aux passages indiqus ci-aprs), il raconte en abrg le ministre vanglique quil eut le bonheur dexercer dans la socit de S. Paul pendant plusieurs annes. Le trs cher mdecin, partant de Troas avec lAptre des nations, au moment o celui-ci se disposait passer en Europe pour la premire fois, l'accompagna jusqu Philippes, en Macdoine, Act. 16, 10-17 (Voyez V. Ancessi, Atlas gogr. pl. 19; R. Riess. Atlas de la Bible, pl. 5. Suivant S. Jrme, De viris ill. c. 7, le disciple qui accompagna Tite Corinthe pour y recueillir les aumnes des fidles au nom de S. Paul (2 Cor. 8, l8 et ss.), ne serait autre que S. Luc.). Plus tard, Act. 20, 5 et ss., nous le retrouvons dans cette mme ville avec son

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  • illustre matre : ils traversent de nouveau lHellespont, mais en sens contraire, pour rentrer Troas, do ils font route ensemble vers Jrusalem en passant par Milet, Tyr et Csare. Ibid. 20, l3-21, l7. Tout trahit le tmoin oculaire dans ce rcit plein de dtails intressants. Cest sur ces entrefaites queut lieu larrestation de S. Paul Jrusalem et sa longue incarcration Csare. Quand le grand Aptre, aprs son appel Csar, fut dirig sur Rome avec dautres prisonniers, son fidle S. Luc le suivit encore et partagea son naufrage, ce qui nous a valu lune des narrations les plus vivantes et les plus instructives du Nouveau Testament. Cf. Actes, 27, 1-28, l6.

    Quelques annes aprs, durant sa seconde captivit romaine, S. Paul nous montre lui-mme S.Luc ses cts, comme un ami dont rien ne peut branler l'attachement : Lucas est mecum solus . 2 Tim. 4, 11 (Pour la chronologie de cette partie de l'histoire de S. Luc, voyez Drach, Eptres de S. Paul, pp. 72 et 73.).

    Que devint l'vangliste aprs la glorieuse mort de son matre ? Les sources certaines nous abandonnent ici, et nous ne pouvons parler que daprs des traditions presque toujours indcises et flottantes, quand elles ne sont pas directement contradictoires. On nous le montre du moins comme un missionnaire infatigable, qui porta en de nombreuses contres, mme jusque dans les Gaules d'aprs le tmoignage de S. Epiphane (Hr. l. 51, 11.) le nom et la doctrine du Seigneur Jsus. LAchae semble toutefois avoir t le principal thtre de ses travaux (Comp. S. Greg. de Naz. Orat. 33, 11; Carm. 12 de veris S. Script. libris. Voyez D. Calmet, Prface sur S. Luc. p. 183.). Il mourut martyr (En Grce, pendu un olivier, daprs Nicphore, Hist. Eccl. 2, 43; en Bithynie, suivant S. Isidore, De ortu et de obitu Patrum, c. 92), un ge assez avanc (soixante-quartorze ou quatre-vingt-un ans, selon les diffrentes traditions. Voyez Nicphore et S. Isidore, l. c.), probablement durant le dernier quart du premier sicle chrtien. Sdulius (Argum. in Luc. Collect. nov. Vol. 9, p. 177.) dit expressment quil avait gard, comme S. Paul, une virginit perptuelle. En357, la vingtime anne du rgne de Constance, ses prcieux restes furent solennellement transports a Constantinople (Comp. S. Jrme, De vir. Illustr., c. 7; S. Jean Damasc. ap. Spicil. rom. ed. Mai, t. 4. p. 352.). Cest en vertu dune tradition lgendaire quon montre aujourdhui son tombeau parmi les ruines dphse (Voyez Wood, Discoveries at Ephesus, et Green, Pictures from Bible Lands, p. 100).

    Lglise clbre sa fte le 18 octobre (Voyez le Martyrologe romain, hac die.).

    2. AUTHENTICIT DU TROISIME VANGILE.

    Lauthenticit du troisime vangile nest pas moins certaine que celle des deux premires biographies de N.-S. Jsus-Christ ( Rien de trs grave, ce sont les paroles de M. Renan, ne soppose ce qu'on tienne Luc pour l'auteur de l'vangile quon lui attribue. Luc navait pas assez de clbrit pour qu'on exploitt son nom en vue de donner de lautorit un livre. Les vangiles, Paris 1877, p. 252. Mme ainsi formul l'aveu ne laisse pas davoir son prix). Nous avons, pour la dmontrer, des tmoignages nombreux, qui remontent jusquaux temps apostoliques (Nous laissons de ct les preuves intrinsques, dont la force probante nous parat contestable. Voyez Langen, Grundriss der Einleit. in das N. T., Fribourg 1868, p. 44 et suiv.). Nous pourrions dire que l'authenticit du livre des Actes, dont on a tabli ailleurs (Voir le commentaire. Prface, 1) l'existence par les raisonnements les plus plausibles, est un sr garant de celle de notre vangile, l'auteur des deux crits tant le mme, et affirmant en termes formels, Act. 1,1, quil na compos lesecond que pour complter le premier. Mais, pour le moment, nous ne voulons faire appel qu la tradition proprement dite.

    I. Les tmoignages directs, c'est--dire ceux qui dsignent nommment S. Luc comme lauteur du troisime vangile, ne dpassent pas, il est vrai, le second sicle. Toutefois, il faut remarquer quils ne sont point l'expression du sentiment individuel des crivains chez qui ils se rencontrent, mais quils apparaissent accidentellement, comme 1'expression de la conviction antique, non interrompue et non conteste, de l'glise entire. Ces crivains expriment le fait comme une chose que personne nignore. Ils n'auraient pas song lnoncer si une circonstance

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  • spciale ne les y avait appels. Par ce caractre ecclsiastique, tout la fois universel et hrditaire, ces tmoignages, lors mme quils ne datent que du 2me sicle, nous permettent donc de constater la conviction du premier. Ce qui rgnait alors, en effet, ce ntait pas la critique individuelle, mais latradition (Godet, Commentaire sur l'vangile de Luc, 2 dit. t. l, p. 32). Le silence de Papias, queles rationalistes aiment nous opposer, nenlve donc S. Luc aucun de ses droits dauteur (le lecteur se rappelle que Papias attribue expressment S. Matthieu et S. Marc la composition du premier et du second vangile. Voir nos commentaires, t. 1, p. 8; t. 2, p. 4. On sait du reste que nousne possdons que de rares fragments des uvres de Papias.).

    Le premier tmoignage formel est celui de S. Irne. Il est extrmement net et prcis : . Hr. 3, l; comp. 14, 1. Du reste, le grand vque de Lyon cite plus de quatre-vingt fois le troisime vangile.

    A la mme poque (fin du second sicle), le Canon de Muratori (Voyez sur cette pice importante le. P. de Valroger, Introd. hist. et crit. aux livres du N. T., t. l, p. 76 et suiv.) promulguait comme il suit, dans son curieux latin, l'authenticit de lvangile selon S. Luc : Tertio (tertium) Evangelii librum Secundo (secundum)Lucam. Lucas iste medicus post ascensum Christi, cum eo (eum) Paulus quasi ut juris studiosum secundum assumpsisset, numine (nomine) suo et opinione concriset (conscripsit); Dominum tamen nec ipse vidit in carne, et idem, prout assequi potuit, ita et ab nativitate Joannis incipet (incipit) dicere.

    Tertullien nest pas moins explicite: In summa, si constat id verius quod prius, id prius quod ab initio, quod ab apostolis, pariter utique constabit, id esse ab apostolis traditum, quod apud ecclesias apostolorum fuerit sacrosanctum... Dico itaque apud illas, nec jam solum apostolicas, sed apud universas, qu illis de societate sacramenti confderantur , id evangelium Luc ab initio editionis stare, quod eum maxime tuemur (Adv. Marcion. 4, 5.).

    On le voit, comme nous le disions plus haut, nous nentendons pas seulement ici le sentiment priv dun grand docteur, mais la croyance de toute l'ancienne glise.

    Origne, cit par Eusbe, Hist. Eccl. 6, 25, sexprime ainsi sur le troisime vangile : , , (Comparez Clem. Alex., Strom. 1, 21.).

    Eusbe lui-mme nhsite pas admettre cet vangile parmi les , cest--dire parmi les livres sacrs universellement reconnus comme authentiques dans la primitive glise. Cf. Hist. eccl. 3, 4.

    S. Jrme enfin, car il est inutile de descendre plus bas que le quatrime sicle (Voir dautres nombreuses citations dans le savant ouvrage de M. Westcott, A general survey of the Canon of the New Testament, 2 dit. Londres 1866), crit dans son trait De viris illustr., c. 7 : Lucas medicus Antiochensis, ut ejus scripta indicant, grci sermonis non ignarus fuit; sectator Pauli et omnis peregrinationis ejus comes. Scripsit Evangelium.

    On peut galement regarder comme des tmoins directs du plus grand prix les antiques traductions latines (lItala et la Vulgate), syriaques, gyptiennes, etc. , qui intitulent le troisime vangile Secundum Lucam.

    2. Les tmoignages indirects sont peut-tre encore plus importants, soit parce quils remontentbeaucoup plus haut, soit parce que nous les recevons de la bouche des crivains hrtiques tout aussi bien que de celle des auteurs orthodoxes, soit enfin parce quils nous prouvent que le troisime vangile a toujours t ce quil est aujourdhui (le lecteur studieux trouvera des documents assez complets sur cette question dans Davidson, Introduction to the study of the N. T., Londres 1868. t. 2. pp. 19-25 ; Feilmoser, Einleitung in die Bcher des N. T., 2 dit. pp. 180 et ss.; L. Hug, Einleitung in die Schriften des N. T., 3 d. t. l, pp. 35 et ss.; C. Tischendorf, Wann wurden unsere Evangelien verfasst ? 4 d. p. 16 et ss.; Westcott, l. c., p. 83 et ss. Nous devons nous borner ici aux principales indications.).

    1 Les crivains orthodoxes. S. Justin, dont les citations multiples nous ont t si prcieuses pour tablir lauthenticit du premier vangile, ne nous sera pas ici dun moindre secours. Recueillons d'abord quelques aveux significatifs dexgtes rationalistes. La

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  • connaissance qua Justin de l'vangile de Luc, dit Zeller, est dmontre par une srie de textes dont les uns sont nen pas douter, les autres selon toute vraisemblance, des emprunts faits cet crit (Apostelgeschichte, p. 26.). Outre Matthieu et Marc..., Justin utilise encore l'vangile de Luc, crit Hilgenfeld (Der Kanon, p .25. Comp., du mme auteur, das Evangel. Justin's, pp. 101 et ss.). Et Volkmar: Justin connat nos trois vangiles synoptiques, et les extrait presque en entier (Ursprung unserer Evangelien, p. 91. Comp. Semisch, die Denkwrdigkeiten Justin's, pp. 134 et ss.). Quelques rapprochements justifieront ces dires.

    Dialog. c. 100 : La Vierge Marie, quand lange Gabriel lui annona que lEsprit du Seigneurviendrait sur elle et que la puissance du Trs-Haut la couvrirait de son ombre, et que par consquentltre saint qui natrait d'elle serait le fils de Dieu, rpondit: Quil me soit fait selon ta parole ! (Voir aussi Apol. 1. 33.) Comparez Luc. 1, 26-30.

    Dialog. c. 78 : Le premier recensement tant alors fait en Jude sous Cyrinus, (Joseph) tait venu de Nazareth, o il habitait, Bethlem, o nous le trouvons maintenant, pour se faire inscrire. Il appartenait en effet la tribu de Juda, qui habitait cette contre. Comp. Luc. 2, 2.

    Dialog. c. c103: Dans les mmoires composs, comme je lai dit, par les Aptres et leurs disciples, il est racont que la sueur dcoula par gouttes (de Jsus), tandis quil priait et disait : Que cette coupe, sil est possible, sloigne de moi! Comp. Luc. 22, 44.

    Dialog. c. 105 : Expirant sur la croix, il dit: Mon Pre, je remets mon me entre vos mains. Comparez Luc. 23, 46.

    Rapprochez semblablement Dial. 51 de Luc. 16, 16 ; Apol. 1, 16 et Dial. 101 de Luc 18, 19; Apol. 1, 19 de Luc. 20, 34 ; Apol. 1, 66 de Luc. 22, 19, etc.

    La lettre des glises de Lyon et de Vienne (Ap. Euseb. Hist. eccl. 5, l), crite en lanne 177, cite clairement Luc. 1, 5 et 6.

    Dans celle de S. Clment de Rome, c. 13, Volkmar lui-mme reconnat un texte de S. Luc, 6, 31, 36-38 (Maier, Einleit., p. 117, mentionne quelques autres citations moins certaines provenant dcrivains apostoliques.).

    2 Les crivains htrodoxes (voyez Westcott, l. c., p. 237 et suiv.). Cerdon admettait lautorit du troisime vangile, comme nous lapprend un ancien livre attribu Tertullien : Solum evangelium Luc, nec tamen totum, recipit (Cerdo) (Pseudo-Tertull. De prscript. hr. c. 51).

    Dans les Philosophoumena, 6, 35 et 7, 26, nous voyons Basilide et les Valentiniens citer notre vangile (1, 15), preuve quils en acceptaient lauthenticit (Comparez aussi S. Irne, Hr. 1, 8, 4, et Luc. 2, 29, 36.). Hraclon en commente plusieurs passages (3, 17; 12, 8, 9, ap. Clem. Al, la suite des Stromates.); Thodote argumente sur divers autres textes (Theodoti Ecloge, c. 5, 14, 85). De mme les Homlies clmentines, comme on le voit en tablissant une comparaison entre les passages suivants: Hom. 12, 35, 19, 2 et Luc. 10, 18 ; Hom. 9, 22 et Luc. 10, 20; Hom. 3, 30 et Luc.9, 5; Hom. 17, 5 et Luc. 18, 6-8. etc. (Voyez Credner, Beitraege, t. 1, pp. 284-330; Zeller, Apostelgesch., p. 53.).

    Mais, de tous les tmoignages hrtiques favorables lauthenticit du troisime vangile, le plus important et le plus clbre est celui du gnostique Marcion (vers 138 de lre chrtienne). Dsireux de faire disparatre du christianisme tout lment qui rappelt le Judasme, cet hrsiarque trancha, coupa sa guise dans les crits du Nouveau Testament, dont il garda seulement quelques ptres de S. Paul et lvangile selon S. Luc, non sans leur avoir fait subir des changements et des modifications considrables, pour les approprier son systme. Nous avons pour tmoins de ce fait plusieurs Pres, qui lui donnrent un grand retentissement par leurs dnonciations nergiques. Et super haec, dit S. Irne, id quod est secundum Lucam evangelium circumcidens, et omnia qu suntde generatione Domini conscripta auferens, et de doctrina sermonum Domini multa auferens.., semetipsum esse veraciorem quam sunt hi, qui evangelium tradiderunt apostoli, suasit discipulis suis; non evangelium, sed particulam evangelii tradens eis (Hr. 1, 27, 2.). Tertullien crivait de mme : Lucam videtur Marcion elegisse quem cderet (Contr. Marcion, 4, 2.). Comparez Orig. Contr. Celsum 2, 27; S. Epiphane, Adv. Hr. 42, 11; Thodoret, Haeret. Fab. 1, 24 (On trouvera dans Thilo, Cod. apocryph. N. T., pp. 401-486, et dans Volkmar, das Evangel. Marcion's, pp. 150-

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  • 174, des fragments considrables de l'vangile de Marcion, recueillis travers les crits des Pres).Que suit-il de ce traitement inflig par Marcion au rcit de S. Luc, de manire former ce que

    le fameux gnostique appelait firement lvangile du Christ? La conclusion vidente est que le troisime vangile prexistait Marcion, quil tait reu dans lglise ds la premire moiti du second sicle.Mais les rationalistes ont prtendu tout autre chose ( la fin du 18me sicle Semleret Eichhorn, de nos jours Schwegler, Baur, Ritschl (das Evangel. Marcions u. das kanonische Evangel. des Lucas, Tubing. 1846), etc.). Prenant pour base le fait que nous avons signal, ils ont os soutenir, malgr l'interprtation si claire quen avaient donne les Pres les plus anciens et les plus instruits, que, bien loin de tirer son origine du troisime vangile canonique, la composition arbitraire de Marcion est beaucoup plus ancienne que luvre dite de S. Luc, celle-ci ntant en ralit quun remaniement tardif de celle-l. De pareilles assertions mriteraient peine une rponse. La Providence a nanmoins permis que dautres nationalistes devinssent sur ce point dardents dfenseurs de la vrit, et quils dvoilassent au grand jour les secrtes manuvres de leurs rivaux : Cette opinion, crit Hilgenfeld (Die Evangelien, p. 27.), a mconnu la tendance relle de l'vangile marcionite, dans le but d'attribuer au texte canonique LA DATE LA PLUS RCENTE POSSIBLE. Nous pouvons admettre comme dmontr et gnralement accept, dit pareillement Zeller, non seulement que Marcion a employ un vangile plus ancien, mais encore quil la retravaill, modifi, souvent abrg, et que cet vangile plus ancien ntait autre... que notre S. Luc (Apostelgeschichte, l. c. Volkmar, das Evangel. Marcion's, Leipzig 1852, dveloppe savamment la mme thse. Cdant ces raisons, Ritschl sest vu oblig de se rtracter, Theolog. Jahrb, 1851, pp. 528 et ss. Voyez encore, sur cette questio vexata des rapports de S. Luc et de Marcion, Hahn, das Evang. Marcion's, Knigsburg 1824 ; Heim, Marcion, sa doctrine et son vangile, Strasbourg 1862 ; Mgr Meignan, Les vangiles et la critique au 19me sicle, Bar-le-Duc 1864, pp. 317 et ss.). La question est donc dsormais tranche, et Marcion devient, quoique malgr lui, un garant de lauthenticit du troisime vangile.

    Ajoutons enfin que le paen Celse (Cfr. Orig. adv. Celsum, 2, 32) connat les difficults exgtiques qui proviennent des gnalogies de Notre-Seigneur Jsus-Christ, preuve que lvangile selon S. Luc existait de son temps.

    On a parfois attribu un caractre apocryphe aux deux premiers chapitres, qui racontent lhistoire de la Sainte Enfance de Jsus. Cette opinion, qui navait aucune base srieuse, a t depuislongtemps abandonne. Aujourdhui, les critiques sont daccord pour admettre lvangile tout entier, ou pour le rejeter tout entier (Voyez Langen, Grundriss der Einl., p. 45; Maier, Einleitung, p. 118 et ss.).

    3. LES SOURCES DE S. LUC.

    1. S. Luc, nous lavons vu dans la notice biographique qui ouvre ce volume, a eu de longues et intimes relations avec lAptre des Gentils. A priori nous devons nous attendre trouver dansson vangile quelques reflets de la doctrine et du style de S. Paul. Mais voici que, grce la tradition et la critique, nos conjectures sur ce point vont se changer en une complte certitude.

    , lisons-nous dans S. Irne= ( Hr. 3, 1. Cfr. 14, l), , . Origne dit semblablement :

    (Ap. Euseb. Hist. eccl. 6, 25). Tertullien (Contr. Marcion. 4, 2), aprs avoir appel S. Paul le magister et l illuminator Luc , ajoute : Nam et Luc digestum Paulo adscribere solent. Capit magistrorum videri qu discipuli promulgarint (Ibid, 4, 5). Lauteur de la Synopsis S. Scriptur faussement attribue a S. Athanase (P. 155), crit aussi que

    , . Enfin, plusieurs Pres assurent que, selon l'enseignement de divers exgtes qui vivaient de leur temps, S. Paul aurait voulu dsigner directement le troisime vangile toutes les fois que, dans ses Eptres, il emploie cette expression : Mon vangile (Par exemple, Rom. 2, 16; 16, 25; 2 Tim. 2, 8).

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  • ( ) , , . Eusbe, Hist. Eccl. 3, 4. Quidam suspicantur quotiescumque in epistolis suis Paulus dicit Juxta evangelium meum, de Luc significare volumine. S. Jrme, De viris illustr. c. 7 (Comp. S. Jean Chrys. Hom. 1 in Act. Apost.; Orig. Hom. 1 in Luc.).

    Sans doute nous ne devons pas prendre trop la lettre ces divers passages : S. Luc lui-mme sy opposerait (Voyez 1, 1 et ss.). Il ressort toutefois trs clairement de leur ensemble que S. Paul a jou un rle important dans la composition du troisime vangile. Son influence devient tout--fait palpable si, de la tradition, nous passons l'examen de plusieurs faits qui ont depuis assez longtemps attir l'attention des interprtes et des critiques.

    Premier fait. S. Paul a insr dans sa premire ptre aux Corinthiens, 11, 23 et suiv., le rcit de l'institution de la divine Eucharistie : or, la narration parallle de S. Luc, 22, l9 et suiv., dune part scarte de celle des deux autres synoptiques (Comp. Matth. 26, 26 et ss., et Marc. 14, 22 et ss.), dautre part concide dune manire presque verbale avec celle de S. Paul. Cette concidence nest certainement pas accidentelle (Comparez encore d'un ct Luc. 10, 7; 1 Tim. 5, 18. de lautre Matth. 10, 11).

    Second fait. On remarque, dans les crits du grand Aptre et dans lvangile selon S. Luc, un grand nombre d'ides communes. Comme son matre, l'vangliste relve chaque instant le caractre universel de la religion du Christ; il parle de la justification par la foi, de lactivit de la grce divine dans la rmission des pchs, etc. Voyez en particulier les passages suivants : 1, 28, 30,68 et ss.; 2, 3l et 32; 4, 25 et ss.; 7, 36 et ss.; 9, 56; 11, 13; 14, 16 et ss.; 17, 3 et ss., 11 et ss.; 18, 9 etss., etc. (Voir aussi ce que nous dirons plus bas du but et du caractre du troisime vangile, 4 et 5).

    Troisime fait. Souvent, la ressemblance n'existe pas seulement entre les penses : elle atteint mme les expressions. Nous pourrions, la faon de Holtzmann (Die synopt. Evangelien, Leipzig 1863, pp. 316 et ss.) et de Davidson (Introduction, t. 2, pp. 12 et ss.), remplir des pages entires de locutions communes S. Paul et S. Luc. Il suffira den citer quelques-unes, choisies parmi celles qui nont t employes que par ces deux crivains sacrs : , Luc. 11, 44 et 1 Cor. 14, 8; , Luc. 21, 34 et I Thess. 5, 3; , Luc. 9, 54 et 2 Cor. 10, 5; , frquemment de part et dautre; , Luc. 1x, 54 et Gal. 5, 15, 2 Thess. 2, 8; , Luc. 14, 12 et Rom. 11, 9; , Luc. 21, 18 et souvent dans S. Paul; , Luc. 17, 7 et 1 Cor. 9, 10; , Luc. 11, 49 et 1 Thess. 2, l5; , Luc. et 1 Tim. 3, 5 ;

    , Luc. 5, 11, Actes. et Rom. 10, 6; , Luc, 22, 25 et Rom. 6, 9; , Luc., Act. et 2 Cor. 12, l ; , Luc. 20, 23 et 2 Cor. 4, 2, 11, 3; , Luc. 18, 5 et 1 Cor. 9, 27, etc., etc. Comparez aussi Luc. 4, 22 et Col. 4, 6; Luc. 4, 36 et 1 Cor. 2, 4; Luc. 6, 36 et 2 Cor. 1, 3; Luc. 6, 48 et 1 Cor. 3, 10; Luc. 8, 15 et Col. 1,10, 11; Luc. 10, 8 et 1 Cor. 10, 27; Luc. 11, 36 et Eph.5, l3; Luc. 11, 41 et Tit. 1, 15, etc. On le voit, lesprit de l'vangliste tait tout imprgn des vues et de la phrasologie de S. Paul (Davidson, l. c., p. 19.). Aussi les critiques mme les plus sceptiques avouent-ils quil est impossible de mconnatre l'affinit qui existe entre lvangile selonS. Luc et les ptres de S. Paul (Voir Gilly, Prcis d'introduction l'criture Sainte, t. 3, p. 221. Il est vrai que quelques-uns dentre eux, par exemple l'Anonyme saxon (Cfr. l'excellent ouvrage de M.Vigouroux, la Bible et les dcouvertes modernes, t. 1, p. 21 et ss. de la 2e dit.) et l'cole de Tubingue (ibid. p. 79 et ss.), ont conclu de l que notre vangile est un crit de tendance destin oprer une conciliation entre le Paulinisme et le Ptrinisme; mais nous avons vu ailleurs (Commentaire sur S. Matth., p. 18) le cas qu'il faut faire de pareilles assertions.).

    2. De mme que S. Pierre (Voyez l'vangile selon S. Marc, p. 11 et 12), S. Paul a donc aussi dune certaine manire son vangile. Nanmoins, sil exera sur la rdaction de S. Luc une influence incontestable, il ne l'exera pas dune manire exclusive. La tradition est de nouveau trs explicite sur ce point. S. Irne. Hr. 3, 10, l, appelle S. Luc sectator et discipulus Apostolorum (Comp. 3, 14, 1 et 2). S. Jrme dit de lui, daprs des tmoignages antrieurs, quil navait pas seulement appris l'vangile de la bouche de lAptre S. Paul, SED ET A CETERIS APOSTOLIS (De viris illustr. l. c.). Suivant Eusbe (Hist. eccl. 3, 4), ...

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  • , , ,

    . Mais S. Luc est lui-mme encore plus affirmatif dans son Prologue, 1, 1 et ss. : Quoniam

    quidem multi conati sunt ordinare narrationem qu in nobis complet sunt rerum, sicut tradiderunt nobis qui ab initio ipsi viderunt et ministri fuerunt sermonis, visum est et mihi, assecuto omnia a principio diligenter, ex ordine tibi scribere, optime Theophile (Voyez le Commentaire.).

    L'vangliste S. Luc nayant pas eu le bonheur de contempler de ses propres yeux les vnement divins quil voulait raconter, fait ainsi connatre ses lecteurs quelles sources il recourut pour se procurer des matriaux bien authentiques. Avant tout, il sadressa des tmoins oculaires de la vie de Jsus (S. Paul ne lavait pas t), et il recueillit de leur bouche les traditions quils avaient fidlement conserves. Or, si nous cherchons, dans le cercle des Aptres, quels hommes peuvent lui avoir fourni des renseignements, lhistoire nous montrera dabord S. Barnab, fondateur de l'glise dAntioche..., ensuite S. Pierre, avec lequel S. Luc fit certainement connaissance Antioche..., puis S. Jacques de Jrusalem, frre du Seigneur, avec lequel notre vangliste entra en relation (Act. 21, 18), et qui, tant membre de la sainte Famille, pouvait lui donner les renseignements les plus srs au sujet des premiers temps de la vie de Notre-Seigneur Jsus-Christ. (De Valroger, Introduction hist. et critique aux livres du N. T., t. 2, p. 77 et sv. Petrus Cantor (vers la fin du 12me sicle) pensait dj que S. Luc avait recueilli de la bouche mme de la Trs-Sainte Vierge la plupart des traits qui remplissent les deux premiers chapitres de son vangile. Comp. Pitra, Spicilegium Solesmense, 2, 67; Wiseman. Mlanges religieux, etc., p. 166 et ss. Cette pieuse opinion n'a rien que de trs vraisemblable; aussi a-t-elle t adopte mme par des exgtes protestants. Cfr. entre autres Grotius, Annotat. in Luc. 2, 5). Dans le cercle moins intime, il est vrai, mais plus nombreux des disciples, il fut plus facile encore S. Luc de recueillir de prcieuses informations sur le ministre du Sauveur. Ses longs voyages, ses sjours Jrusalem, Antioche, Csare de Palestine, en Grce, Rome, durent le mettre en rapport avec cent personnes dignes de foi, qui lui apprirent sur Notre-Seigneur Jsus-Christ les ravissants dtails quil nous a seul conservs.

    La tradition orale, telle fut donc la principale source laquelle il puisa. Mais il eut aussi sa disposition les documents crits dont il parle dans son Prologue. Ctaient, comme nous dirions aujourdhui, des Essais plus ou moins considrables, soccupant, les uns peut-tre de la vie entire de Jsus, les autres, la plupart sans doute, du compte-rendu fragmentaire de telle ou telle partie de son ministre public, par exemple, de ses discours, de ses miracles, dautres encore de son Enfance, de sa Passion, etc. S. Luc puisa dans une pice de ce genre sa gnalogie de Jsus, 3, 23 et ss., probablement aussi le Benedictus , le Magnificat , le Nunc dimittis , sinon tout le rcit des premires annes du Prcurseur et de Jsus (Voyez Maier, Einleitung, p. 107.). A-t-il galement mis profit les vangiles de S. Matthieu et de S. Marc, composs, selon toute vraisemblance, avant le sien? Les critiques se sont prononcs en sens contradictoires sur cette question, qui a t de nos jours vivement dbattue. On trouvera dans notre Introduction gnrale les lments de cette grave et dlicate controverse, qui ne forme quune partie accessoire dans la vaste discussion relative aux rapports rciproques des trois synoptiques.

    Cest d'une faon toute arbitraire que divers rationalistes doutre-Rhin ont essay de reconstituer exactement, dans le dtail, les sources dont S. Luc fit usage pour composer lvangile qui porte son nom. Schleiermacher (Ueber die Schriften des Lukas, Berlin 1817. Comp. Gfrrer, Gesch. des Urchristenthums, 2, 1, pp. 33 et ss.) sest cru assez perspicace pour distinguer dans le troisime Evangile quatre sries de documents antrieurs S. Luc, et compils, cousus ensemble, par le narrateur. Kstlin (Der Ursprung u. die Composition der synopt. Evangelien, 1853) constate de son ct des sources de provenance judaque, dautres sources dorigine Samaritaine. Il ny a rien de solide dans cette critique exagre (Voir Maier. l. c., p. 106. note 2.).

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  • 4. DESTINATION ET BUT DU TROISIME VANGILE.

    Ici encore, lauteur lui-mme nous fournit de prcieux renseignements. Nous navons donc pas insister beaucoup sur ces deux points, grce au Prologue que nous avons cit plus haut en grande partie.

    l. Chose nouvelle et mme unique dans la littrature vanglique, la biographie de Notre-Seigneur Jsus-Christ selon S. Luc commence par une ddicace : ... ,

    , 1, 3. Nous indiquerons dans le commentaire les principales opinions qui se sont formes ds l'antiquit la plus recule sur ce mystrieux personnage, auquel est ddi le troisime vangile. Il suffira de dire actuellement que ce devait tre un homme dune certaine distinction, paen dorigine et converti au Christianisme. S. Luc, se conformant une coutume alors en vogue dans l'empire romain, le prit, suivant l'expression consacre, pour son patronus libri . Mais, quoiquil sadresse directement Thophile, cela ne veut pas dire quil nait crit en ralit que pour lui. Un livre de ce genre navait pas t compos pour une destination si restreinte. Par lintermdiaire de son illustre ami, l'vangliste prsentait donc son uvre, ainsi que les Pres l'affirmaient dj, soit dune manire plus spciale aux glises grecques ( Lucas igitur, qui inter omnes Evangelistas grci sermonis eruditissimus fuit, quippe ut medicus, et qui Evangelium Grcis scripserit . S. Jrme, Epist. 20. ad Damas. , . S. Greg. Naz. Carmen de veris: S. Script. Libris, 12, 31. . Id. Carm. 22, 5, 1.), soit tous les convertis de la Gentilit (Orig. ap. Euseb. Hist. Eccl. 3, 4 : ), soit mme en gnral tous les chrtiens (S. Jean Chrysost., Hom. in Matth. 1 : ). Un examen attentif du troisime vangile corrobore ces donnes de la tradition, et montre que S. Luc navait pas en vue, comme S. Matthieu, des lecteurs issus, au moins pour la plupart, du Judasme. En effet, un grand nombre de ses explications auraient t parfaitement inutiles pour des Juifs, tandis quelles taient indispensables pour des Gentils. Par exemple, 4, 3, Descendit in Capharnaum, civitatem Galil ; 8, 26, Navigaverunt ad regionem Gerasenorum, qu est contra Galilam ; 21, 37, Morabatur in monte qui vocatur Oliveti ; 22, 1, Appropinquabat autem dies festus Azymorum, qui dicitur Pascha ; 23, 51, Ab Arimatha, civitate Jud ; 24, l3, Ibant... in castellum, quoderat in spatio stadiorum sexaginta ab Jerusalem, nomine Emmaus , etc. Comparez 2, 1 et 3, l, o l'vangliste dsigne par le rgne et par le nom de deux empereurs romains la date de la naissance de Jsus et du ministre de S. Jean-Baptiste.

    2. Le but du troisime vangile nest pas moins clair que sa destination. Cest avant tout un but historique. Composer une biographie du Sauveur plus complte et mieux coordonne que toutescelles qui avaient paru jusque-l (Comp. 1, 1-3), fournir par consquent ses lecteurs un nouveau moyen daffermir leur foi ( Ut cognoscas eorum verborum, de quibus eruditus es, veritatem , 1,4),telle fut la double fin que se proposa S. Luc.

    Cest ce qu'exprime fort bien l'historien Eusbe (Hist. Eccl. 3, 24.) : ,

    , ,

    , , , ,

    . Durant lre apostolique, les discours et les actions de N.-S. Jsus-Christ formaient la base de l'enseignement chrtien; la catchse des premiers prdicateurs sappuyait toute entire sur la vie du Matre. En crivant son tour un abrg de cette vie divine, S. Luc contribuait donc minemment la diffusion du christianisme. Dix-huit sicles aprs leur premire apparition, ses pages inspires contribuent encore fortifier dans les curs les convictionschrtiennes. Cest seulement en ce sens quelles ont un but dogmatique.

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  • 5. CARACTRE DE L'VANGILE SELON S. LUC.

    1. Comme nous lavons indiqu plus haut, en parlant des rapports de ressemblance qui existent entre le troisime vangile et les ptres de S. Paul, ce qui frappe surtout quand on tudie l'uvre de S. Luc en tant qu'vangliste, cest son universalit. Les limites du christianisme y sont aussi vastes que le monde. Jsus y apparat comme le Sauveur de tous les hommes sans exception, mme des paens : imo et gentium ajouterons-nous avec S. Paul. Aucune distinction ny est tablie, sous le rapport du salut, entre les Juifs et les Gentils, les Grecs et les barbares, les justes et les pcheurs : on dirait plutt que si, d'aprs S. Luc, il y a quelque privilge ce point de vue, ce sont les Gentils, les barbares et les pcheurs qui en jouissent (Nous ne voulons pas dire, assurment,que les autres rcits vangliques n'enseignent pas la mme doctrine mais nous essayons de mettre en lumire le ct spcifique et caractristique du troisime vangile. Voyez Bougaud, Jsus-Christ, 2me d., pp. 89 et ss).

    Citons quelques exemples lappui de cette thorie. S. Luc, 3, 23 et ss., communiquant ses lecteurs la gnalogie de Jsus, ne remonte pas seulement jusqu Abraham, ainsi quavait fait S. Matthieu ; danneau en anneau, il va jusquau pre de toute lhumanit : Qui fuit Adam, qui fuit Dei. A la naissance du Rdempteur, les anges, aprs avoir annonc dabord ce grand vnement des pasteurs juifs, se htent den indiquer les heureuses consquences pour tous les hommes:

    , 2, 14 (Comparez 2, l et ss., o Jsus nous est montr comme un sujet de Csar, comme un citoyen de l'empire romain.). Quarante jours plus tard, cest la bouche dun fils de Jacob qui profre ces mots sublimes : Lumen ad revelationem gentium, et gloriam plebis tu Israel, 2, 32. Au dbut de sa vie publique, Jsus lui-mme, propos dun passage dIsae, rappelle bien haut ses compatriotes que, ds les jours dElie et dElise, des paens avaient reu les bndictions divines de prfrence aux Isralites. Cfr. 4, 25-27. Ailleurs, 9, 52-56, 17, 11-16, nous le voyons accorder ses bienfaits mme aux samaritains maudits. La parabole du festin, 14, 16-24, annonce de mme que les Gentils auront part au salut messianique.

    Par combien de traits analogues S. Luc ne relve-t-il pas la prdilection accorde par le bon Pasteur aux mes les plus pauvres, les plus gares ! Qui1 suffise de mentionner ceux de la pcheresse, 7, 37 et ss., et de lenfant prodigue, 15, 11 et ss., comme deux des types les plus clbres ( A peine est-il une anecdote, une parabole propre Luc qui ne respire cet esprit de misricorde et d'appel aux pcheurs... L'vangile de Luc est par excellence l'vangile du pardon . E. Renan, les vangiles, p. 266 et ss. Il est vrai que M. Renan ajoute aussitt : Toutes les dtorses lui sont bonnes ( S. Luc!) pour faire de chaque histoire vanglique une histoire de pcheurs rhabilits . De quel ct sont vraiment les dtorses ?).

    Tandis quil met ainsi constamment en relief les dispositions bienveillantes que Dieu nourrit, non-seulement l'gard des Juifs, mais encore l'gard des paens et des pcheurs, S. Luc passe sous silence les dtails qui auraient pu blesser les convertis du paganisme (Voyez Patrizi, de Evangeliis, 1, 78), ou du moins qui prsentaient moins dintrt pour eux (Davidson, Introduction, t.2, p. 44 et suiv.).

    2. Nous indiquerons mieux encore le caractre du troisime vangile en faisant voir la manire dont S. Luc a trac le portrait de Jsus.

    Fidle sa promesse, il a donn lglise la plus complte de toutes les biographies du divin Matre ( On a calcul quun tiers du texte de Luc ne se trouve ni dans Marc ni dans Matthieu . E. Renan, les vangiles, p. 266. Comparez Bougaud, Jsus-Christ, 2 d., p. 92 et suiv.; S. Irne, 3, 14). Prenant le mystre de lIncarnation pour point de dpart, il conduit le lecteur jusqu lAscension de Jsus, travers tous les faits principaux qui constituent notre rdemption. Sans lui, nous neussions connu que dune manire trs imparfaite l'enfance et la vie cache de Notre-Seigneur : grce aux dtails qui remplissent ses deux premiers chapitres, nous pouvons nous faire une juste ide de cette importante priode. Sa description de la vie publique abonde en traits nouveaux, qui comblent de nombreuses lacunes. Un passage considrable, 9, 51-18, l4, lui appartient presque totalement en propre: il est de mme seul raconter les pisodes de Nazareth, 4, l6 et ss., et de Zache, 19, 2-10. On compte, durant cette poque de la vie de Jsus, jusqu douze

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  • paraboles (1 Les deux dbiteurs, 7, 40-43; 2 le bon Samaritain, 10, 30-37; 3 les deux amis, 11, 5-10; 4 le riche insens, 12, 16-21; 5 le figuier strile, 13, 6-9; 6 la drachme perdue et retrouve, 15, 8-10; 7 l'enfant prodigue. 15, 11-32; 8 l'conome infidle, 16, 1-8 ; 9 le riche et Lazare, 16, 19-31 ; 10 le juge inique, 18, 1-8; 11 le Pharisien et le publicain, 18, 9-14; 12 les mines, 19, 11-27) et cinq miracles (1 La premire pche miraculeuse, 5, 5-9; 2 la rsurrection du fils de la veuve, 7, 11-17; 3 la gurison dune femme infirme, 13, 11-17; 4 la gurison dun hydropique, 14,1-6; 5 les dix lpreux, 17, 12-19) quon ne trouve pas en dehors du troisime vangile. Son rcit dela passion nest pas moins riche en particularits du plus grand prix, telles que la sueur de sang et lapparition de l'ange consolateur Gethsmani, 22, 43 et 44, l'interrogatoire chez Hrode, 23, 6-12,les paroles de Jsus aux saintes femmes, 23, 27-31, l'pisode du bon larron, 23, 39-43 (Comparez encore 22, 61 : Le Seigneur, s'tant retourn, regarda Pierre; 23, 34, etc.). On voit par ces traits nombreux que les recherches de S. Luc navaient pas t vaines. Nous en signalerons beaucoup dautres dans le commentaire.

    Il a pourtant omis plusieurs incidents remarquables, rapports par les deux premiers synoptiques: par exemple, la gurison de la fille de la Chananenne, la marche de Jsus sur les eaux,la seconde multiplication des pains, la maldiction du figuier, et divers autres miracles (Voici ses principales omissions: Matth. 14, 22-16, 12 (cfr. Marc. 6, 45-8, 26) ; Matth. 19, 2-12; 20, 1-16, 20-28 (Cfr. Marc. 10, 35-15) ; Matth. 26, 6-13 (Cfr. Marc. 14, 3-9); Matth. 17, 23-26, etc.).

    Limage de Jsus qui se dgage du rcit de S. Luc a un caractre tout--fait spcial. Ce nest pas celle du Messie promis aux Juifs, comme dans S. Matthieu; ce nest pas celle du fils de Dieu, comme dans S. Marc et dans S. Jean: cest celle du fils de lhomme, vivant parmi nous, semblable lun de nous. Les premires pages du troisime vangile sont trs significatives ce point de vue, car elles nous montrent, par une srie de rapides gradations, le dveloppement humain de Jsus. Dabord ( le fruit de ton sein ), 1, 42, le Sauveur devient successivement ( le nouveau-n ), 2, l6, puis ( le petit enfant ), 2, 27, puis : ( enfant ), 2, 40, enfin , homme parfait, 3, 22. Quoique hypostatiquement uni la Divinit, ce fils de lhomme est pauvre, il shumilie, il sagenouille chaque instant pour prier (Cf. 3, 2l; 9, 29; 11, l ; 22, 32, etc.) ( Sicut verus Pontifex (Jesus) obtulit preces; nam in Evangeli ospe legitur orasse, et maxime apud Lucam S. Anselme, In Epist. ad Hebr. cap. 5.), il souffre, et nous le voyons mme pleurer (19, 4l). Mais, dun autre ct, cest le plus aimable des enfants des hommes : nous le disions dans la premire partie de ce paragraphe, la misricorde dborde de son cur sacr, il sapitoie sur toutes les misres, physiques ou morales, il met du baume sur toutes les plaies. Tel est le Jsus de S. Luc.

    3. Ajoutons encore quelques points dignes dobservation touchant le caractre du troisime vangile.

    1 On la parfois appel lvangile des contrastes. Cest par un contraste quil dbute, les doutes de Zacharie mis en opposition avec la foi de Marie. Bientt aprs, 2, 34, il nous montre Jsuscomme une occasion de ruine pour les uns, comme une cause de salut pour les autres. Plus tard, dans la reproduction abrge du sermon sur la montagne, il place les maldictions ct des batitudes. L'orgueilleux Simon et lhumble pcheresse, Marthe et Marie, le bon pauvre et le mauvais riche, le Pharisien et le publicain, les deux larrons : ce sont l quelques autres frappants contrastes du troisime vangile (Voyez Kitto, Cyclopdia of the Bible, s. v. Luke (Gospel of)).

    2 La part laisse aux femmes est aussi un trait caractristique de cette uvre admirable. En aucune autre des rdactions vangliques il nest si longuement question de la Sainte Vierge. Ste lisabeth, Anne la prophtesse, la veuve de Nam, Marie-Madeleine et ses compagnes (8, 2 et 3), les surs de Lazare, les filles de Jrusalem (23, 28), et bien dautres, apparaissent tour tour dans le rcit de S. Luc comme des preuves vivantes de l'intrt que portait Jsus cette partie alors si humilie, si maltraite de l'humanit (voyez l'intressant opuscule de A. Wnsche, Jesus in seinerStellung mit den Frauen, Berlin 1872 ).

    3 S. Luc est le pote, l'hymnologue du Nouveau Testament. A lui seul il nous a conserv quatre cantiques sublimes, le Magnificat de Marie, le Benedictus de Zacharie, le Nunc dimittis du vieillard Simon, enfin le Gloria in excelsis chant par les anges. Il est aussi lvangliste psychologue. Il parsme son rcit de rflexions dlicates et profondes, qui jettent un grand jour sur

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  • les faits dont elles sont rapproches. Comparez 2, 50 et 51; 3, 15; 6, 11; 7, 25, 30, 39; 16, 14; 20, 20;22, 3; 23, 12, etc.

    4 Au fond, la composition de S. Luc surpasse certainement en beaut celles de S. Matthieu etde S. Marc. Elle ravit lesprit et le cur, et contribue puissamment faire connatre Notre-Seigneur Jsus-Christ. S. Marc l'emporte cependant sur S. Luc pour le pittoresque et le dramatique des rcits :ce qui nempche pas le troisime vangile de contenir une foule de traits graphiques, par exemple 3, 2l, 22; 4, l ; 7, l4; 9, 29, etc.

    6. LANGUE ET STYLE DU TROISIME VANGILE.

    C'est en grec que S. Luc composa son vangile; il ny a jamais eu le moindre doute ce sujet.L'antiquit jugeait dj trs favorablement son style. Evangelistam Lucam, crivait S.

    Jrme (Comment. in Is. 6, 9. Comp. De viris illustr., l. c., Epist. 20 ad Damas), tradunt veteres Ecclesi tractatores...magis Grcas litteras scisse quam Hebras. Unde sermo ejus, tam in Evangelio quam in Actibus Apostolorum..., comptior est et scularem redolet eloquentiam ( Lvangile de Luc est le plus littraire des vangiles... Luc... montre une vraie entente de la composition. Son livre est un beau rcit bien suivi,... joignant lmotion du drame la srnit de l'idylle. E. Renan, Les vangiles, p. 282 et suiv. Notre ignorance est telle aujourdhui, qu'il y a peut-tre des gens de lettres qui seront tonns dapprendre que S. Luc est un trs grand crivain. Chateaubriand, Gnie du Christianisme, liv. 5, c. 2. ). En effet, aucun des autres vanglistes ne lgale sous ce rapport. Sa diction est facile, gnralement pure, parfois mme dune exquise lgance. Le prologue en particulier est tout--fait classique.

    Mais des dtails et des exemples feront mieux ressortir la culture littraire de S. Luc. Signe dela plus haute importance quand il sagit de dmontrer la connaissance dune langue, notre vangliste emploie un nombre considrable dexpressions. A lui seul, il fait usage de plus de mots grecs que S. Matthieu, S. Marc et S. Jean runis. Les mots composs, qui marquent si dlicatement les nuances varies de 1a pense, reviennent chaque instant sous sa plume. Il a une prdilection pour ceux dans la composition desquels entrent les prpositions et (e. g. , , , , , , , ,

    , , , , , , , ). Ses phrases sont pour la plupart bien formes (quelle diffrence, par exemple, entre la lourde phrase de S. Marc,12, 38 et suiv.,

    , et celle de S. Luc, 20, 46, ... ..., !); il les varie avec aisance. Les constructions les plus compliques ne sont pas un embarras pour lui.

    Il prend soin dviter les expressions ou les ides trop hbraques qui auraient pu prsenter de l'obscurit ses lecteurs. Cest ainsi quil emploie au lieu de (six fois), ,

    ou au lieu de (On rencontre pourtant sept fois cet adverbe dans le troisime Evangile; mais S. Matthieu la employ trente fois, S. Marc quatorze fois), au lieu de (six fois), au lieu de , au lieu de , etc. Il appelle le lac de Gennsareth et non (Voyez Kitto, Cyclopdia, l. c. ). Parfois nanmoins, surtout dans les deux premiers chapitres, ainsi quil a t dit prcdemment, quelques hbrasmes se sont glisss dans ses phrases. Les principaux sont: l ..., -vingt) trois fois, deux fois seulement dans S. Marc, jamais dans S. Matthieu); 2 , 3; dans le sens de famille la faon de ; et 4 le nom de ( appliqu ,( Dieu (cinq fois, une seulement dans S. Marc); 5 , quatre fois, jamais dans les) autres vangiles); 6 20, 11, 12 (Voyez Davidson, Introduction, p. 57).

    Parmi les particularits de construction les plus remarquables du troisime vangile on peut signaler les suivantes : l Le participe mis au neutre et accompagn de larticle, pour remplacer un substantif; v. g. : 4, 16, ; 8, 34, ; 22, 22; 24, 14, etc. 2 L'auxiliaire tre construit avec le participe, au lieu du verbe au tempus finitum Cf. 4, 31 ;

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  • 5, l0; 6, 12; 7, 8, etc. (Quarante-huit fois.) 3 Larticle plac en avant dune phrase interrogative, v. g. : 1, 63, , ; 7, 11; 9, 46, etc. 4 Linfinitif prcd de larticle au gnitif, pour marquer un rsultat ou un dessein; Cf. 2, 27; 5, 7; 21, 22, etc. (En tout, vingt-sept fois : une fois seulement dans S. Marc, six dans S. Matthieu.) 5 Lemploi frquent de certains verbes au participe, pour donner plus de vie et de couleur au rcit; parexemple, (dix-sept fois), (sept fois), , etc. 6 (soixante-sept fois) (Une fois seulement dans le premier vangile.), (quatre fois), (dix fois).

    Voici maintenant quelques-unes des expressions propres lauteur du troisime vangile, ou qui du moins reviennent le plus souvent dans son rcit (On en trouvera la liste peu prs complte dans Davidson, l. c., pp. 58-67. Voir aussi Kitto, Cyclopdia of the Bible, l. c., et Westcott, Introduction to the study of the Gospels,5 d., p. 377 et suiv.) : au lieu de (quatorze fois), et , (huit fois), (dix fois), (vingt-et-une fois),

    (sept fois), (vingt fois), (huit fois), (vingt-deux fois, jamais dans les deux premiers vangiles), , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , etc.

    S. Luc emploie quelques mots latins grciss ; , 12, 6; , 7, 41 ; , 8, 30; , 11, 33; , 19, 20.

    7. TEMPS ET LIEU DE LA COMPOSITION.

    A dfaut de renseignements certains sur ces deux points, nous pouvons du moins apporter des conjectures probables.

    1. Le livre des Actes, ainsi quon ladmet gnralement, fut crit vers lan 63 (Voyez Gilly, Prcis d'Introduction gnrale et particulire l'criture Sainte, t. 3, p. 256; P. de Valroger, Introduction histor. et critiq., t. 2, p. 158.). Or, ds ses premires lignes, ce livre sannonce comme une suite et un complment du troisime Evangile (1, 1 : , , . Les mots dsignent certainement l'vangile selon s. Luc). Lauteur indique par l mme quil avait compos depuis un certain temps la biographie de Notre-Seigneur Jsus-Christ, quand il se mit crire l'histoire du Christianisme naissant. Lan 60 de lre chrtienne, telle est donc la date approximative de lvangile selon S. Luc. Cest celle que la plupart des exgtes ont adopte, daprs un raisonnement analogue celui que nous venons de faire. Il est vrai que divers manuscrits et auteurs grecs mentionnent expressment la quinzime anne qui suivit lAscension comme celle o S. Luc publia le premier de ses crits ( .Thophylacte et Euthymius); mais ces donnes paraissent tout--fait exagres (Voyez de Valroger, l. c., p. 86.). L'exagration est pire encore de la part des critiques, presque tous rationalistes, qui reculent la composition de notre vangile jusqu' une priode plus ou moins avance du second sicle (Volkmar, lan 100; Hilgenfeld, de 100 110; Davidson, vers lanne115; Baur, en 130, etc.). En effet, des arguments par lesquels nous avons dmontr plus haut (. 2) lauthenticit du troisime vangile, il rsulte quune pareille opinion est tout--fait insoutenable au point de vue historique (voici encore quelques autres sentiments particuliers sur la date de lvangile selon S. Luc : Alford, de 50 58; MM. Vilmain et Gilly. 53; Bisping et Olshausen, 64; Maier, entre 67 et 70; von Burger, vers 70 ; Credner, de Wette, Bleek, Reuss, etc., aprs 70; Holtzmann, entre 70 et 80; Keim, en 90. On voit, par ces variantes, qu'il y a ncessairement quelque chose de subjectif dans la fixation des dates de ce genre, quand la tradition na pas clairement parl. M. E. Renan montre qu'il ne connat pas tous les auteurs, lorsquil crit : Tout le monde admet que le livre est postrieur l'an 70. Les vangiles, p. 252 et 253. Il ajoute pourtant : Mais dun autre ct il ne peut tre de beaucoup postrieur cette anne).

    2. S. Jrme, dans la Prface de son commentaire sur S. Matthieu, parlant de l'vangile selon

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  • S. Luc, dit qui1 fut compos in Achai Beotique partibus. S. Grgoire de Nazianze place galement l'origine du troisime vangile . Mais lantique version syrienne nomme Peschito affirme au contraire, dans un titre, que S. Luc publia et prcha son vangile Alexandrie-la-Grande. Ne sachant auquel de ces deux renseignements contradictoires il valait mieux se ranger, les exgtes ont compliqu la question en fixant dautres berceaux l'uvre vanglique de S. Luc, par exemple Ephse (Kstlin. Cette opinion est compltement invraisemblable), Rome (Ewald, Keim, Olshausen, Maier, Bisping, etc.) et Csare de Palestine (Bertholdt, Kuinl, Humphrey, Ayre, Thiersch, Thomson, etc). Lardner, Hilgenfeld et Wordsworth se rapprochent toutefois du sentiment de S. Jrme quand ils font crire S. Luc, le premier en Grce, les deux autres en Macdoine. Rome ou Csare conviendraient trs bien au point de vue historique, S. Luc ayant eu tout le temps de composer son vangile durant les loisirs forcs que lui donna la longue captivit deS. Paul dans ces deux villes (Comp. Act. 23, 33; 24, 27; 28, 14 et ss., et les commentaires). Mais lautorit du grave S. Jrme fait impression sur nous, et nous ne croyons pas quon ait des motifs suffisants pour rejeter son tmoignage.

    8. PLAN ET DIVISION

    1. Le plan de S. Luc est contenu tout entier dans ces lignes du Prologue, 1, 3 : Visum est et mihi, assecuto omnia A PRINCIPIO diligenter, EX-ORDINE... scribere . et , tels sont les mots les plus importants de cette dclaration. Notre vangliste voulait donc remonter aussi haut que possible dans lhistoire de Jsus; dun autre ct, il se proposait de coordonner de son mieux les vnements daprs leur suite naturelle et chronologique. Il a tenu fidlement sa promesse. En premier lieu, personne, pas mme S. Matthieu, ne reprend les choses daussi loin que lui pour ce qui concerne la vie humaine de Notre-Seigneur Jsus-Christ. Commencer son rcit par lanaissance du Sauveur ne lui paraissait pas suffisant; il a donc expos d'abord ltonnant mystre de lIncarnation. Mais, comme si cela mme net pas encore t assez, il a plac avant ce divin pisode l'annonciation faite Zacharie et la nativit du Prcurseur.

    En second lieu, S. Luc est, plus quaucun autre vangliste, attentif aux dates et l'ordre historique des faits. Le plus souvent, dans ses pages lucides, les incidents se suivent la manire mme dont ils se sont passs : les enchanements factices y sont plus rares que dans les deux autres synoptiques. Tantt il fixe clairement les poques, v. g.,1, 5; 2, 1, 2, 42; 2, 23; 9, 28, etc., ayant mme parfois recours au synchronisme pour les mieux indiquer (comp. 3, 1 et 2); tantt, il unit entre eux les divers incidents par des formules de transition qui en dmontrent la connexion relle. Comparez 4, 14, 16, 31, 38, 42, 44; 5, 1, 12, 17, 27; 6, 1, 6,12; 7, 1, 11; 8, 1, etc. Cela ne veut pas dire, nanmoins, quil se soit toujours rigoureusement astreint lordre chronologique: le commentaire et l'Harmonie vanglique place la suite de notre Introduction gnrale montrent des exceptions sous ce rapport: mais ces cas sont peu nombreux, et n'empchent pas le plan de S. Luc dtre en somme trs rgulier.

    Lexactitude chronologique de notre crivain sacr se manifeste encore avec un caractre assez frappant par le soin quil prend dentourer les conversations du Seigneur Jsus des circonstances secondaires qui leur avaient servi de cadre (Voyez surtout 9, 5118, 14).

    2. On a divis de bien des manires 1vangile selon S. Luc, au moyen de combinaisons plus ou moins ingnieuses, c'est--dire plus ou moins artificielles. Behrmann (Bibelwerk fr die Gemeinde, t. 1, p. 271 et suiv.) le partage en quatre sections : lhistoire prliminaire, 1, 5-4, 13, le ministre de Jsus en Galile, 4, 14-9, 50, le rcit du dernier voyage Jrusalem, 9, 51-18, 30, la Passion, la Rsurrection et lAscension, 18, 31-24, 53. Davidson (Introduction, p. 25) admet cinq divisions : 1 l'enfance de Jean-Baptiste et de Jsus, 1 et 2; 2 les prliminaires du ministre public de Jsus, 3, 1-4, 13; 3 la Vie publique en Galile, 4, 14-9, 50 ; 4 ce quon nomme parfois la gnomologie , avec lentre Jrusalem, 9, 51-21, 38; 5 les derniers incidents jusqu lAscension, 22-24. Plus communment, quoique avec diffrentes nuances, on se borne trois parties, qui correspondant la Vie cache, la Vie publique, la Vie souffrante et ressuscite de

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  • Notre-Seigneur Jsus-Christ (M. Gilly, Prcis d'introduction, l. c. : 1, 1-4, 13; 4, 14-21, 38 ; 22-24. M. Langen : 1 et 2; 3-21; 22-24. Le Dr van Oosterzee : 1 et 2; 3, 1-19, 27; 19, 28- 24, 53). Telle seraaussi notre division, dont on trouvera plus bas les dtails.

    9. COMMENTAIRES.

    S. Ambroise a compos sur le troisime vangile un commentaire complet, que lon peut ranger parmi ses meilleures uvres exgtiques (Expositio Evangelii secundum Lucam libris decemcomprehensa). Le saint Docteur appartient, comme l'on sait, lcole allgorique et mystique : souvent il ne fait quindiquer le sens littral, pour stendre sur ses sujets de prdilection. S. Jrme lui reproche de trop jouer sur les mots.

    Antrieurement, Origne avait crit cinq livres de commentaires sur S. Luc : on nen possde quun trs petit nombre de fragments (Ap. Migne, Patrol. grca, t. 13, col. 1901 et ss.). En revanche, il nous reste du Doctor Adamantinus trente-neuf Homiliae in Lucam traduites par S. Jrme (Ibid., col. 1801-1900. Le texte grec a t perdu).

    Les explications du Vn. Bde (In Luc EvangeIium expositio, ap. Migne, Patrol. lat. t. 92, col. 301 et ss.), de Thophylacte (Enarratio in Evang. Luc, ap. Migne, Patr. grc., t. 123, col. 691 et ss.), dEuthymlus Zigabenus (Interpretatio Evangelii Lucae, ibid., t. 129, col. 857 et ss.), sont, pour le troisime vangile, ce quelles avaient t pour les deux prcdents, c'est--dire pleines dexcellentes choses malgr leur brivet.

    Nictas Serron, diacre de lglise de Constantinople, puis vque dHracle (11me sicle), a runi dans une sorte de Chane ( ... ), nagure publie par le Card. A. Mai (Scriptor. vet. nova Collectio, t. 9, pp. 626 et ss.), un grand nombre dexplications patristiques relatives notre vangile. Cordier a rendu un service analogue aux exgtes dans les premires annes du 17me sicle (Corderii Catea grcor. Patrum in Lucam, Anvers 1627).

    Dans les temps modernes, outre les uvres drasme, de Maldonat, de Cornlius Lapide, deCornlius Jansnius, de Luc de Bruges et de Nol Alexandre, qui embrassent les quatre vangiles, nous navons signaler, parmi les catholiques, que deux commentaires spciaux sur S. Luc, celui deStella, publi en 1575 et frquemment rdit depuis, et celui de Tolet, qui parut en 1612 (Commentarii in sacrosanctum J. C. D. N. Evangelium sec. Lucam).

    Les plus rcentes explications du troisime vangile composes par des crivains orthodoxes sont celles de MM. Reischl, Schegg, Bisping (Voir les titres de ces ouvrages dans lvangile selon S. Matthieu, p. 29), Curci (Il Nuovo Testamento volgarizzato ed esposto in note esegetiche e morali. Vol. 1 Vangeli sec. Matteo, Marco e Luca, Torino, 1879), et de Mgr Mac Evilly (An Exposition of the Gospel of S. Luke, consisting of an Analysis of each chapter, and of a commentarycritical, exegetical, etc., Dublin, 1879). Celles des exgtes hrtiques sont beaucoup plus nombreuses : les principales proviennent des Docteurs de Wette, Kuinl, H. Meyr, Ewald, Baumgarten-Crusius (Voir l'vangiIe selon S. Matth, ibid), Bornemann (Scholia in Lucae Evangelium, Lips. 1830), von Burger (Die Evangelien nach Matthus, Markus u. Lukas deutsch erklrt, Nrdlingen, 1865), van Oosterzee (Das Evang. nach Lukas theologisch-homilet. bearbeitet, 3 dit., Leipzig. 1867), Bleek (Synoptische Erklrung der drei ersten Evangelien, herausgeg. von Holtzmann, Leipz. 1862), Behrmann, Keil (Commentar ber die Evangelien des Markus und des Lukas, Leipzig 1879), Sevin (Synoptische Erklrung der drei ersten Evangelien, Wiesbaden 1873), Zittel (Die vier Evangelien bersetzt u. erklrt, 2. Theil, das Evangelium nach Lukas, etc. Karlsruhe, 1880) en Allemagne, des Rvrends Abbott (The Gospel according to Luke, with notes, comments, etc., Londr. 1878), Wordsworth (The N. Test. of our Lord J. C. : The four Gospels, Lond. 1877), Plumptre (A N. Test. Commentary for Engl. Readers, t. 1, Lond. 1878), Trollope (The Gospel according to S. Luke, with Prolegomena, Appendices, a. grammat. and explanatory notes, Cambridge. 1877), Alford (The New Testament for English Readers, t. 1, 3 dit.

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  • Cambridge, 1872), Jones (Speaker's Commentary, New Test. vol. 1, Londr. 1878), Farrar (The Gospel according to S. Luke, with maps, notes and introduction, Cambridge 1880) et Norris (The New Testament... with Introduction a. Notes, vol. 1, The four Gospels, Lond. 1880) en Angleterre, de M. Godet (Commentaire sur l'vangile de S. Luc, Neuchtel 1872, 2 dit) en Suisse.

    DIVISION SYNOPTIQUE DE L'VANGILE SELON S. LUC

    PROLOGUE. 1, 1-4. PREMIRE PARTIE VIE CACHE DE NOTRE-SEIGNEUR JSUS-CHRIST. 1-2. 1. Annonciation de Zacharie et conception miraculeuse de Jean-Baptiste. 1, 5-25.2. L'Annonciation de Marie et lIncarnation du Verbe. 1, 26-38.3. La Visitation et le Magnificat. 1, 39-56.4. Les premires annes de Jean-Baptiste. 1, 57-80.

    1 Nativit du Prcurseur. 1, 57-58. 2 La circoncision de Jean-Baptiste et le Benedictus. 1, 59-79. 3 ducation et dveloppement de S. Jean. 1, 80.

    5. Nol. 2, 1-20.1 Jsus nat Bethlem. 2, 1-7. 2 Les premiers adorateurs de Jsus. 2, 8-20.

    6. La circoncision de Jsus. 2, 21.7. La prsentation de Jsus au temple et la purification de Marie. 2, 22-38.

    1 Les deux prceptes. 2, 22-24. 2 Le saint vieillard Simon. 2, 25-35. 3 Sainte Anne. 2, 36-38.

    8. Vie cache de Jsus Nazareth. 2, 39-52.1 Abrg de l'enfance de Jsus. 2,39 et 40. 2 Jsus parmi les Docteurs. 2, 41-50.3 De douze trente ans. 2, 51-52.

    DEUXIME PARTIE VIE PUBLIQUE DE NOTRE-SEIGNEUR JSUS-CHRIST. 3, 1-19, 28.Ire SECTION. PRIODE DE TRANSITION ET D'INAUGURATION : LE PRCURSEUR ET LE MESSIE. 3, 1-4, 13.1. Ministre de S. Jean-Baptiste 3, 1-20.

    1 L'apparition du Prcurseur. 3, 1-6. 2 Prdication de Jean-Baptiste. 3, 7-18. 3 S. Jean est mis en prison. 3, 19-20.

    2. Les prliminaires du ministre de Notre-Seigneur. 3, 21-4, 13.1 Le baptme de Jsus. 3, 21-22.2 La gnalogie de Jsus. 3, 23-38. 3 La tentation de Notre-Seigneur Jsus-Christ. 4, 1-13.

    2me SECTION. MINISTRE DE JSUS EN GALILE. 4, 14-9, 501. Retour de Jsus en Galile, et coup dil gnral sur les dbuts de son ministre. 4, 14-15.2. Jsus Nazareth. 4, 16-30.3. Jsus Capharnaum. 4, 31-44.

    a. Aperu gnral de l'activit du Sauveur Capharnaum. 4, 31-32. b. Gurison dun dmoniaque. 4, 33-37.

    c. Gurison de la belle-mre de S. Pierre et dautres malades. 4, 38-41.d. Retraite de Jsus sur les bords du lac. Il vanglise la Galile. 4, 42-444. La pche miraculeuse et les premiers disciples de Jsus. 5, 1-11.5. Gurison d'un lpreux. 5, 12-16.6. Gurison dun paralytique. 5, 17-26.7. Vocation de S. Matthieu et faits qui sy rattachent. 5, 27-39.

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  • 8. Les pis et le jour du sabbat. 6, 1-5.9. Gurison d'une main dessche. 6, 6-11.10. Choix des Aptres et discours sur la montagne. 6, 12-49.

    a. Jsus choisit les douze Aptres. 6, 12-16. b. Discours de Jsus sur la Montagne. 6, 17-19.

    1) La mise en scne. 6, 17-20a2) Premire partie du discours : Le vrai bonheur. 6, 20b-26.3) Deuxime partie du discours : La vraie charit. 6, 27-38.4) Troisime partie du discours : Rgles de vraie sagesse. 6, 39-49.

    11. Le serviteur du centurion. 7, 1-10.12. Rsurrection du fils de la veuve de Nam. 7, 11-17.13. Jsus, Jean-Baptiste, et la gnration prsente. 7, 18-35.

    1 L'ambassade du Prcurseur. 7, 18-23. 2 Discours propos de l'ambassade. 7, 24-35.

    14. Simon le Pharisien et la pcheresse. 7, 36-50.15. Un voyage apostolique de Jsus. 8, 1-3.16. Deux journes conscutives de Jsus. 8. 4-56.

    1 La parabole du semeur et son explication. 8, 4-15.2 Ncessit d'couter attentivement la divine parole. 8, 16-18.3 La vraie famille de Jsus. 8, 19-21. 4 La tempte miraculeusement apaise. , 8, 22-25.5 Le possd de Gadara. 8, 26-39. 6 L'hmorrhosse et la fille de Jare. 8, 40-56.

    17. Lenvoi des Douze. 9, 1-6.18. Opinion dHrode au sujet de Jsus. 9, 7-9.19. Retour des Douze et multiplication des pains. 9, 10-17.20. Confession de S. Pierre et premire annonce de la Passion. 9, 18-27.21. La Transfiguration. 9, 28-36.22. Gurison dun paralytique. 9, 37-43.23. Seconde prdiction officielle de la Passion. 9, 44-45.24. Leon dhumilit et de tolrance. 9, 46-50.3 SECTION. RCIT DU DERNIER VOYAGE DE JSUS JRUSALEM. 9, 51-19, 28.1. Les Samaritains inhospitaliers. 9, 51-56.2. Ce quil faut pour suivre Jsus. 9, 57-62.3. Les soixante-douze disciples. 10, 1-24.4. La parabole du bon Samaritain. 10, 25-37.5. Marthe et Marie. 10, 38-42.6. Entretien sur la prire. 11, 1-13.7. Le blasphme des Pharisiens et le signe du ciel. 11, 14-36.8. Premire maldiction contre les Pharisiens et les Scribes. 11, 37-54.9. Divers enseignements l'adresse des disciples et du peuple. 12, 1-59.

    1 Premire srie d'avertissements aux disciples. 12, 1-12. 2 trange interruption, et parabole du riche insens. 12, 13-21. 3 Seconde srie davertissements aux disciples. 12, 22-53. 4 Grave leon pour le peuple. 12, 54-59.

    10. Ncessit de la pnitence. 13, 1-9.1 Deux faits historiques qui prouvent cette ncessit. 13, 1-5.2 Parabole du figuier strile. 13, 6-9.

    11. Gurison dune femme infirme. 13, 10-17.12. Paraboles du grain de snev et du levain. 13, 18-21.13. Grave rponse une demande vaine. 13, 22-30.14. Le renard Hrode. 13, 31-35.15. Jsus dans la maison dun Pharisien en un jour de sabbat. 14, 1-24.

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  • 1 Gurison dun hydropique. 14, 1-6. 2 Le repas, accompagn des instructions du Sauveur. 14, 7-24.

    16. Ce quil en cote pour suivre Jsus. 14, 25-35.17. La misricorde de Dieu l'gard des pcheurs. 14, 1-32.

    1 Occasion du discours. 15, 1-3.2 La parabole de la brebis gare. 15, 4-7. 3 La parabole de la drachme perdue. 15, 8-10.4 La parabole de lEnfant prodigue. 15, 11-32.

    18. Du bon usage des richesses. 16, 1-31.1 Lconome infidle. 16, 1-12. 2 L'avarice des Pharisiens rprouve par la parabole du pauvre Lazare. 16, 14-31.

    19. Quatre avis importants. 17, 1-10.20. Gurison des dix lpreux. 17, 11-19.21. Lavnement du royaume de Dieu. 17, 20-37.22. Parabole de la veuve et du juge inique. 18, 1-8.23. Parabole du Pharisien et du publicain. 18, 9-11.21. Jsus et les petits enfants. 18, 15-17.25. Lpisode du jeune homme riche. 18, 18-30.26. Jsus prdit de nouveau sa Passion. 18, 31-34.27. Laveugle de Jricho. 18, 35-43.28. Zache. 19, 1-10.29. La parabole des mines. 19, 11-28.TROISIME PARTIEVIE SOUFFRANTE ET GLORIEUSE DE JSUS. 19, 29-24, 53.1. Entre solennelle du Messie dans sa capitale. 19, 29-44.

    1 Prparatifs du triomphe. 19, 29-35.2 La marche triomphale. 19, 36-44.

    2. Jsus rgne en Messie dans le temple. 19, 4521, 4.1 Expulsion des vendeurs. 19, 45 et 46.2 Description gnrale du ministre de Jsus dans le temple. 9, 47-48.3 Le Sanhdrin et l'origine des pouvoirs de Jsus. 20, 1-8.4 Parabole des vignerons rebelles. 20, 9-19.5 Question relative limpt. 20, 20-26.6 Les Sadducens dfaits leur tour. 20, 27-40.7 David et le Messie. 20, 41-44. 8 Jsus dnonce les vices des scribes. 20, 45-47. 9 Lobole de la veuve. 21, 1-4.

    3. Discours sur la ruine de Jrusalem et la fin des temps. 21, 5-36.a. Occasion du discours. 21, 5-7.b. Partie prophtique du discours. 21, 8-33.c. Partie morale du discours. 21, 34-36

    4. Coup dil densemble sur les derniers jours du Sauveur. 21, 37-38.5. Trahison de Judas. 22, 1-6.

    1 Le Sanhdrin cherche le moyen de se dfaire de Jsus. 22, 1-2.2 Judas et le Sanhdrin. 22, 3-6.

    6. La dernire cne. 22, 7-30.1 Prparatifs de la Pque. 22, 7-13.2 Les deux cnes. 22, 14-23.

    7. Conversation intime rattache la cne. 22, 24-38.8. L'agonie de Jsus Gethsmani. 22, 39-46.9. L'arrestation de Jsus. 22, 47-53.10. Reniement de S. Pierre. 22, 54-62.11. Jsus insult par les valets du Sanhdrin. 22, 63-65.

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  • 12. Jsus devant le Sanhdrin. 22, 66-71.13. Jsus comparat devant Pilate et devant Hrode. 23, 1-25.

    1 Premire phase du jugement devant Pilate. 23, 1-7. 2 Jsus devant Hrode. 23, 8-12. 3 Seconde phase du jugement devant Pilate. 23, 13-25.

    14. La via dolorosa. 23, 26-32.15. Jsus meurt sur la croix. 23, 33-46.

    1 Le crucifiement. 23, 33-34.2 Les insulteurs et le bon larron. 23, 35-43.3 Les derniers moments de Jsus. 22, 44-46.

    16. Tmoignages rendus au Sauveur aussitt aprs sa mort. 23, 47-49.17. Spulture de Jsus et prparatifs de son embaumement. 23, 50-56.18. La Rsurrection de Jsus et ses preuves. 24, 1-43.

    1 Les saintes femmes trouvent le spulcre vide. 24, 1-8.2 Elles avertissent les disciples qui refusent de croire. 24, 9-11.3 S. Pierre au spulcre. 24, 12. 4 Jsus apparat aux disciples d'Emmas. 24, 13-35.5 Jsus apparat aux disciples runis dans le cnacle. 24, 36-43.

    19. Les dernires instructions de Jsus. 24, 44-49.20. LAscension de Notre-Seigneur Jsus-Christ. 24, 50-53.

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  • PREMIRE PARTIE VIE CACHE DE NOTRE-SEIGNEUR JSUS-CHRIST. 1 2

    VANGILE SELON SAINT LUC - CHAPITRE 1

    Prologue (vv. 1-4). - Zacharie et Elisabeth (vv. 5-7). - L'Ange Gabriel annonce Zacharie qu'il aura bienttun fils destin de grandes choses (vv. 8-22). - Conception de S. Jean-Baptiste (vv. 23-25). - L'Annonciationde la Sainte Vierge et l'Incarnation du Verbe (vv. 26-38). - La Visitation et le Magnificat (vv. 39-56). -Nativit de S. Jean-Baptiste (vv. 57 et 58). - Sa circoncision (vv. 59-66). - Le Benedictus (vv. 67-79). - LePrcurseur se prpare son rle sublime (v. 80)

    Prologue (vv. 1-4)

    1Plusieurs ayant entrepris dcrire lhistoire des choses qui se sont accomplies parminous, 2suivant ce que nous ont transmis ceux qui les ont vues eux-mmes ds lecommencement, et qui ont t les ministres de la parole, 3il ma paru bon, moi aussi,aprs mtre soigneusement inform de tout depuis lorigine, de te les exposer par critdune manire suivie, excellent Thophile, 4afin que tu reconnaisses la vrit desparoles que lon ta enseignes.

    Cette Prface est unique en son genre dans la littrature vanglique ; mais S. Luc en a plac une autre demme nature, quoique plus courte encore, en tte du livre des Actes, 1, 1. Bien qu'elle contienne plusieurspoints obscurs, elle nous fournit cependant des renseignement du plus grand prix. Elle est d'un trs beaustyle, qui rappelle les dbuts analogues des meilleurs historiens grecs : elle consiste en une priodeadmirablement cadence, aux tours et aux expressions vraiment attiques. Lptre aux Hbreux prsenteseule quelques passages qu'on puisse rapprocher de celui-ci au point de vue littraire.

    Luc chap. 1 verset 01. - Plusieurs ayant entrepris dcrire lhistoire des choses qui se sont accompliesparmi nous. Plusieurs. Quels sont ces hommes nombreux qui, ds les premires annes du Christianisme,avaient entrepris d'crire la vie de Notre-Seigneur Jsus-Christ, et quelle ide doit-on se faire de leurstentatives ? Les anciens commentateurs ont souvent pris en mauvaise part les expressions plusieurs etentrepris. Ils ont vu, ans la premire, la dsignation des vangiles apocryphes, ou mme hrtiques, qui netardrent pas envahir d'une manire trange l'glise primitive, et par suite, dans la seconde, un blmevigoureux adress par S. Luc aux auteurs des Essais en question. En disant ils ont essay, il porte uneaccusation latente contre ceux qui, sans la grce du Saint-Esprit, ont tent dcrire des vangiles. Matthieu,Luc, Marc et Jean nont pas essay dcrire, mais ont crit . Origne, Hom. 1 in Lucam. Comp. S. Ambr.Expositio in Luc. l. 1 , 4, Salmeron, Tolet, etc., h. l. Mais tous les exgtes modernes sont d'accord pourreconnatre, comme le faisaient dj Maldonat et Luc de Bruges, que ces deux expressions n'ont ni parelles-mmes, ni dans le contexte, une signification aussi svre. Plusieurs ne saurait s'appliquer aux critsapocryphes et hrtiques qui se parrent du nom d'vangiles, attendu que ces crits n'existaient pas encorequand S. Luc publia sa biographie du Sauveur : ce mot dsigne donc des auteurs inconnus, dont les critsfurent peu peu relgus dans l'oubli, quand Dieu et donn l'glise, et que celle-ci et marqu du sceaude son autorit, les quatre vangiles canoniques. Le verbe entrepris est un choix assez heureux, parce qu'ilsuppose assez souvent, et c'est ici le cas, une entreprise dlicate, importante, qui n'est pas sans difficult.Aussi, sans blmer prcisment ces essayistes, puisqu'il se place, au v. 3, sur la mme ligne qu'eux, S. Lucfait peut-tre une allusion indirecte l'imperfection, au caractre insuffisant de leurs uvres. Il montre dumoins qu'ils n'ont pas puis le sujet, et, s'il prend la plume son tour, c'est assurment pour le traiter dansdes conditions plus avantageuses. - L'histoire des choses qui se sont accomplies. On devine sans peine dequelles choses S. Luc veut parler. Il s'agit videmment des faits admirables qui composent la vie deNotre-Seigneur. Parmi nous peut dsigner soit, d'une manire gnrale, le monde entier, c'est--dire lemonde contemporain de Jsus, soit le cercle beaucoup plus restreint, mais chaque jour grandissant, des amiset disciples du Sauveur. Ce second sens parat le plus probable, puisque c'est un chrtien qui s'adresse ici un

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  • chrtien ; c'est aussi le plus communment admis. - Accomplies. Peut-tre, en employant cette expression,l'crivain sacr voulait-il faire une allusion aux anciennes prophties, que Jsus avait si parfaitementralises. Il est vrai que des auteurs anciens et modernes, en assez grand nombre et faisant autorit(spcialement le traducteur syrien Origne, Thophylacte, Euthymius, rasme, Grotius, Hug, Olshausen,etc.) donnent ce participe le sens de tout fait accrdites , su avec certitude ; mais ce sens n'estpossible que lorsqu'on l'applique aux personnes (v.g. Rom. 4, 21 ; 14, 5), il ne l'a pas quand il s'agit deschoses.

    Luc chap. 1 verset 02. - Suivant ce que nous ont transmis ceux qui les ont vues eux-mmes ds lecommencement, et qui ont t les ministres de la parole. - Dans le verset qui prcde, l'vangliste asignal un fait : plusieurs ayant entrepris... ; il indique dans celui-ci la source laquelle avaient puis lesnombreux crivains qu'il se propose d'imiter en les perfectionnant. Transmis dsigne la tradition orale, dontle rle tait si considrable dans l'glise naissante. - Ceux qui les ont vues.. et qui ont t ministres... S. Lucavait-il en vue deux catgories distinctes d'individus, ou tout fait les mmes, dsigns sous un doublecaractre ? La premire opinion serait plus favorise par le texte latin, qui semble ranger les tmoins dansune classe, et les ministres dans une autre. Elle est adopte par Fr. Luc, Maldonat, Salmeron, Grotius,Olshausen, etc. La seconde est certainement plus conforme la construction du texte grec primitif, qui placeles deux substantifs sur une mme ligne, rattachs aux mmes mots, et parat ainsi reprsenter une catgorieunique de personnages, ceux qui furent tout ensemble tmoins et auxiliaires, c'est--dire les disciples deJsus dans le sens strict. D'aprs cela, l'expression ds le commencement ne dsignerait pas les premiresannes du Sauveur (Kuinoel, Olshausen, Bisping, etc.) mais seulement le dbut de sa Vie publique ; elleaurait une signification relative et non absolue. Cette interprtation nous est suggre par Jsus-Christlui-mme , qui disait un jour ses aptres : vous aussi, vous rendrez tmoignage, parce que vous tes avecmoi DS LE COMMENCEMENT , Joan. 15, 27 ; Comparez Act. 1, 21 et 22 et Luc. 3, 23. Il nous reste prciser le sens de la parole. D'anciens exgtes, tels qu'Origne, S. Irne, S. Athanase, Euthymius,auxquels s'est associ le Dr Wordsworth, voient sous ce terme le Logos personnel ou Verbe divin ; mais il estdifficile de croire qu'ils aient voulu donner ici une interprtation stricte, attendu que le substantif parole n'estemploy de la sorte que dans le quatrime vangile. Aussi la Vulgate ne l'a-t-il pas traduit par parole ,mais par sermo (dialogue, discussion), montrant ainsi que S. Luc a voulu parler seulement de laprdication vanglique, qui est le langage, le discours par excellence ; ou, mieux encore, des actions deJsus en gnral, ce qui correspondrait aux choses du v.1. - La tradition apostolique, voil donc la basesur laquelle s'taient appuys les crivains mentionns par S. Luc : base excellente, qui sera galement lasienne. Il suit de l que S. Matthieu n'est pas compris dans les plusieurs , puisqu'il avait tpersonnellement tmoin et ministre de la parole. S. Marc en faisait-il partie d'aprs la pense de S. Luc ?C'est possible en soi mais si peu vraisemblable, que la plupart des exgtes se dcident pour la ngative, quelque cole du reste qu'ils appartiennent.

    Luc Chap.1 verset 03. - Il ma paru bon, moi aussi, aprs mtre soigneusement inform de toutdepuis lorigine, de te les exposer par crit dune manire suivie, excellent Thophile. - L'vangliste faitpart maintenant au lecteur de sa mthode, des principes directeurs qu'il suivra en tant qu'historien de Jsus. -Il m'a paru bon. Les mots et au saint Esprit , insrs aprs m'a par la version gothique et plusieursmanuscrits latins, sont apocryphes, bien qu'ils expriment une ide juste. - A moi aussi. S. Luc s'autorise enquelque sorte de l'exemple des crivains qui l'ont prcd. Ce qu'ils ont fait, il est pareillement en droit del'entreprendre. Mais il insinue ensuite dlicatement en quoi il essaiera de les surpasser. Quatre expressionschoisies indiquent les qualits qu'il s'efforcera de donner sa narration. 1. Il sera aussi complet que possible,aprs m'tre assur de tout. Dans la version grecque, le verbe signifie littralement suivre pas pas ; lesmeilleurs auteurs grecs l'appliquent comme S. Luc aux investigations intellectuelles. Comp. Polyh. 1, 12 ;Dmosth. Pro corona, c. 53, etc. 2. S. Luc remontera jusqu' l'origine la plus recule de l'histoire duSauveur, car il se propose d'introduire dans son tableau mme l'aurore du jour qui en forme le fond(Bisping). Les vv. 5 et ss. Nous montreront ce que S. Luc a entendu par le commencement de toutes leschoses. . 3 Il racontera avec toute l'exactitude dont il sera capable ; la mthode suivie par lui dans son rcitcomme dans ses recherches sera critique , selon l'expression qui est la mode aujourd'hui. 4 Il organiserales vnements d'aprs un ordre rgulier, qui sera gnralement celui de la chronologie, dans l'ordre. Nousavons vu en divers endroits de la Prface, 5 et 8, que S. Luc a t fidle toutes ses promesses. Il est pluscomplet qu'aucun autre vangliste (comp. S. Ambr. Exp. in Luc. 1, 11) ; il remonte non-seulement jusqu'l'Incarnation du Verbe, mais jusqu' la conception du Prcurseur ; il est un narrateur trs exact ; enfin unordre lumineux rgne peu prs partout dans ses pages. - De te les exposer excellent Thophile. Ces mots

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  • renferment la ddicace de l'ouvrage. Voyez la Prface, 4. Mais qu'tait ce trs excellent Thophile auquel S. Luc adressait ainsi premirement et directement son vangile ? Les avis ont t de tout temps trspartags sur ce point. De la signification mystique de son nom (ami de Dieu), on a parfois conclu(Hammond, Leclerc, E. Renan, etc.), la suite d'Origne, Hom. 1 in Luc., de S. piphane, Haer. l. 51, et deSalvianus, epist. 9 ad Salonium, que c'tait un personnage purement idal et suppos, destin reprsentertout lecteur chrtien, de la faon de la Philothe de S. Franois de Sales. Mais c'est bon droit que lesexgtes rejettent pour la plupart ce sentiment : car, d'un ct, il est contraire l'ensemble de la tradition,laquelle a vu trs gnralement dans Thophile un personnage historique et rel, vivant en mme temps queS . Luc ; d'un autre ct, il est suffisamment rfut par l'pithte excellent associ au nom de Thophile. Eneffet, on ne donne pas de titres honorifiques un tre imaginaire ; or cet adjectif, quivalent au splendidus des Latins, apparat soit dans les crits du Nouveau Testament (comp. Act. 23, 26 ; 24, 3 ; 26,25), soit sur les monuments antiques devant le nom de personnages officiels et distingus. On a infr de l,sans doute avec raison, que le Thophile auquel est ddi le troisime vangile tait selon toute apparence unhomme d'un rang assez lev, par exemple un magistrat suprieur. Tout prouve aussi qu'il tait chrtien, etd'origine paenne. Toutefois on n'a pas voulu se borner ces ides gnrales : il n'est mme sorte d'hypothseque les exgtes n'aient faite pour dterminer au juste sa personne et sa patrie. C'est ainsi qu'on l'a identifitantt avec le grand-prtre juif du mme nom, fils d'Anne, ant. 18, 5, 3 ; 19, 6, 2), tantt avec un autreThophile, habitant d'Athnes, mentionn par Tacite, annal. 2, 55, 2, tantt avec le clbre PhilondAlexandrie (car on est all jusque l!), tantt avec deux autres homonymes dont l'un, d'aprs les Recognit.Clementinae, l. 10, c. 7, aurait t l'un des premiers citoyens de la ville dAntioche, dont l'autre, d'aprs lesConstit. Apostol. 7, 46, serait devenu le troisime vque de Csare de Palestine. Tout cela est bien hasard.On a pourtant conjectur d'une manire assez ingnieuse que Thophile habitait probablement l'Italie quandS. Luc lui ddia son vangile ou du moins le livre des Actes. Tandis que partout ailleurs les claircissementsgographiques abondent, ils cessent tout coup dans le dernier chapitre des Actes ; ds qu'il est question del'Italie, l'crivain sacr se borne mentionner les localits, supposant que son illustre ami est suffisammentrenseign sur leur compte. Et cependant plusieurs de ces localits sont sans importance, comme ForumAppii, Tres Tabernae : c'est donc que Thophile les connaissait, et il ne pouvait gure les connatre qu' lacondition d'tre domicili dans le pays. On trouvera les dveloppements de cette thse dans Hug, Einleitung,t. 2. Pour de plus amples dtails sur Thophile, nous renvoyons Winer, Realwoerterbuch, et Smith,Dictionary of the Bible, s.v.

    Luc chap. 1 verset 04. - Afin que tu reconnaisses la vrit des paroles que lon ta enseignes. - S. Lucconsacre la dernire partie de cet intressant Prologue exposer le dessein qui lui avait fait prendre la plume.Il veut que son lecteur principal, et tous les autres avec lui, soient confirms dans la foi chrtienne par uneconnaissance plus approfondie de l'vangile. - Des paroles que l'on t'a enseignes. Ici, de mme qu'au v. 2,paroles dsigne l'enseignement vanglique, ou les vnements qui lui servaient de base. Du verbe greccorrespondant enseigner, nous avons fait catchiser, catchse, catchisme, catchumne .

    Dans cette entre en matire digne d'Hrodote ou de Thucydide, le rationaliste Baur se complat voirluvre d'un faussaire. Ewald, autre rationaliste, en admire au contraire la modestie dlicate, l'aimablecandeur ; caractre qui est en effet trs frappant. Au point de vue thologique, cette petite pice a une trsgrande importance, car elle est d'un prcieux secours pour dterminer la nature de l'inspiration. S. Luc parlecomme aurait fait un auteur ordinaire, qui relve sa fidlit, son exactitude et la parfaite connaissance qu'il ades choses qu'il raconte L'inspiration du Saint Esprit n'exclut pas la science, la diligence, la fidlit del'crivain. Plus sa dignit est releve, et plus les choses qu'il raconte sont divines et surnaturelles, plus il doitapporter d'exactitude et de fidlit s'instruire et s'claircir de tout . D. Calmet, Comment. Litt. sur S.Luc, p. 267 et suiv. Si Dieu est le principal auteur des saintes lettres, il laisse pourtant quelque chose faireaux hommes qu'il inspire.

    1. Annonciation de Zacharie et conception miraculeuse de Jean-Baptiste, 1, 5-25.

    Zacharie et Elisabeth (vv. 5-7).

    5Il y avait, aux jours dHrode, roi de Jude, un prtre nomm Zacharie, de la classedAbia ; et sa femme tait dentre les filles dAaron, et sappelait Elisabeth. 6Ils taienttous deux justes devant Dieu, marchant sans reproche dans tous les commandements

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  • et tous les prceptes du Seigneur. 7Et ils navaient pas denfant, parce quElisabethtait strile, et quils taient tous deux avancs en ge.

    En annonant Zacharie la conception miraculeuse de celui qui devait tre le prcurseur du Messie, l'angeGabriel emploie, dans le texte latin, v. 19, le mot evangelizare, annoncer la bonne nouvelle ; preuve quecet vnement faisait en ralit partie de l'histoire vanglique. Il tait donc bien naturel que S. Luccomment par ce beau prlude le rcit du grand drame qui expose la vie et la mort du Christ. S.Jean-Baptiste est ainsi le lien qui unit les deux Testaments ; il ouvre l'vangile de mme qu'il clt lesProphties (Cfr. Mal. 4, 5 et 6).

    Luc chap. 1 verset 05. - Il y avait, aux jours dHrode, roi de Jude, un prtre nomm Zacharie, de laclasse dAbia ; et sa femme tait dentre les filles dAaron, et sappelait Elisabeth. - Le style de S. Luc,si classique dans les vv. 1-4, se transforme tout coup au dbut du cinquime. Au lieu de belles priodesadmirablement cadences, nous ne trouvons plus, pendant quelque temps, que les phrases courtes et simplesde la prose hbraque, rattaches sans art les unes aux autres par des conjonctions, et charges d'aramasmes.Ce contraste provient sans nul doute des documents hbreux dont S. Luc se servit pour cette partie de sanarration, et qu'il y insra mme dans une large mesure,